Iconologie (Cesare Ripa, 1643)/II/L’Orient


L’Orient.


CEt Enfant doüé d’vne excellente beauté, qui a le teint vermeil, les cheueux blonds comme l’or, & ſur le haut de la teſte vne Eſtoile reſplendiſſante, eſt mis icy pour la Figure Hyeroglifique de l’Orient. Son habillement eſt rouge, agreable à voir, & ſemé par tout d’vne riche broderie de Perles fines. Dans la ceinture qu’il porte, qui eſt de bleu Turquin, ſe voyent par ordre les Signes du Mouton, du Lyon, & du Sagittaire. Il tient de la main droite vn Bouquet de fleurs qui commencent à s’eſpanoüir, & de la gauche vn beau Vaſe plein de feu, d’où s’exhalent des parfums odorans. Où il eſt à remarquer encore qu’en l’vn de ſes coſtez le Soleil ſemble ſortir de terre, d’où il darde ſes rayons de toutes parts ; & qu’en l’autre les Oyſeaux ſe reſioüiſſent parmy les fleurs, & charment les ſens par leur agreable ramage.

Nous repreſentons icy l’Orient en l’aage d’enfance, pource qu’ayant à diuiſer le iour en quatre parties, il n’eſt pas mal à propos qu’en la premiere il paroiſſe Enfant, en la ſeconde jeune Garçon, en la troiſieſme Homme fait, & en la quatrieſme Vieillard : D’où il arriue qu’au meſme inſtant que le Soleil ſe fait voir ſur l’Horizon, & qu’il donne naiſſance au iour, le Ciel commence à ſe remplir de lumiere, afin d’en remplir les globes de la terre. Ce qui fait dire à Petrarque,

À peine le Soleil ſorty de l’Orient,
A fait voir aux mortels ſon viſage riant.

On luy attribuë vne beauté ſinguliere ; pource que ſi il arriue que le Soleil à ſon aſcendant predomine aux autres corps celeſtes à la natiuité de quelqu’vn, de là s’enſuit que par vne influence particuliere, il eſt beau de viſage, & aimable, agiſſant, ſplendide, doüé de qualitez excellentes, & entr’autres d’vne generoſité remarquable.

Son teint vermeil & ſa cheuelure blonde, ſont des effets, des agreemens, & des beautez que luy communique le Soleil, qui met en leur luſtre toutes les plus belles choſes.

L’Eſtoile qui brille ſur ſa teſte eſt vn Symbole de celle qui deuance le iour, appellée pour cét effet des Latins, Lucifer. D’où vient que Petrarque dit,

Qu’vn peu deuant le iour cette amoureuſe Eſtoile
Paroiſt ſur l’Orient ſans nuage & ſans voile.

2. Æn. Et Virgile pareillement :

Deſia ſur les ſommets des Rochers d’alentour
L’Eſtoile du matin nous ramenoit le iour.

L’on feint que ſon habillement eſt rouge, ſuiuant l’opinion Lib. 4 de Bocace, qui dans ſa Genealogie des Dieux, dit qu’au matin le Soleil nous paroiſt de couleur de ſang, à cauſe de l’oppoſition des vapeurs qui s’eſleuent de deſſus la Terre.

Son veſtement eſt ſemé d’vne riche broderie de Perles, à cauſe que celles que l’on priſe le plus viennent d’Orient pour l’ordinaire, à raiſon dequoy elles ſont dites Orientales, & fort eſtimées par tout le mõde pour leur blancheur extraordinaire. Sa Ceinture de bleu Turquin, repreſente les Signes du Mouton, du Lyon, & du Sagittaire, d’autant qu’au dire des Aſtrologues, ces meſmes Signes ſont Orientaux.

A cecy ſe rapporte encore qu’il tient le bras droit eſleué, pour monſtrer que l’Orient eſt comme la dextre du Monde ; Et c’eſt pour le meſme ſujet auſſi qu’il a le viſage tourné de ce coſté-là : Comme pour nous apprendre que ce n’eſt pas ſans raiſon qu’on porte ſa veuë vers ce meſme endroit quand on veut prier & adorer Dieu.

Le Boucquet de diuerſes fleurs qui commencent à s’eſpanoüir, qu’il porte de la main droite, & l’Aſtre du iour tel qu’il eſt icy dépeint, ſignifient qu’auſſi-toſt que le Soleil paroiſt ſur les riues d’Orient, les fleurs s’ouurent par la pointe de ſes rayons, leur eſmail eſclate dans les prairies, & toutes les creatures viuantes ſe reſioüiſſent.

La fumée qui s’exhale du beau Vaſe, qu’il ſouſtient de la main gauche, nous apprend qu’aux parties Orientales naiſſent les aromates, les eſpiceries, les baumes, & autres drogues de prix, dont les parfums ne ſont pas moins delicieux qu’agreables à l’odorat. Le Poëte Bembo dit à ce propos,

Que le Soleil naiſſant dans le Ciel allumé,
Fait ſentir les odeurs dont l’air eſt parfumé.

Et l’ingenieux Petrarque,

Qu’aux riues d’Orient & par tout cet Empire
S’exhalent les odeurs que le peuple y reſpire.