Iconologie (Cesare Ripa, 1643)/I/Amour dompté


Amovr dompté. V.


CEst vn Cupidon aſſis, le flambeau duquel ne paroiſt point, & qui foule aux pieds ſon arc & ſes fleches. Il tient de la main droite vn Horloge de ſable, & de la gauche l’oyſeau communément appellé petit Plongeon, qui eſt extremement maigre & décharné.

Le Temps & la Pauureté ſont les deux choſes les plus capables d’eſteindre l’Amour. C’eſt à raiſon de cela qu’on luy met en main vn Horloge, qui eſt le vray ſymbole du Temps, par qui ſont moderées les inquietudes de l’eſprit, & les paſſions de l’ame. Mais il remedie ſur tout à celle d’Amour, à cauſe qu’ayant pour but la joüiſſance d’vne belle Maiſtreſſe, il faut neceſſairement que la beauté venant à ſe chãger par la reuolution des ans, le deſir ſe chãge auſſi, & que l’Ame ſe tourne à d’autres penſées.

La Pauureté produit encore le meſme effect ; & l’experience nous monſtre, qu’il n’eſt point d’Amant que la miſere ne dompte, apres que pour aſſouuir ſes folles affections il a perdu ſa ieuneſſe, & diſſipé ſa meilleure ſubſtance. Ce pauure Amour que nous deſcriuons icy en ſert d’exemple par le chetif oyſeau qu’il a ſur le poing : C’eſt vne maniere de Plongeon, que les Grecs appellent Κιγκλὁς, qui ſelon Suidas, eſt ſi chetif, que n’ayant pas la force de ſe faire vn nid, il eſt contraint d’aller couuer dans celuy des autres oyſeaux.

Aux deux remedes d’Amour que nous venons de donner, le ſeuere Crates, Philoſophe Thebain, en adjouſte vn troiſieſme, qui eſt le Deſeſpoir. Mais bien qu’en effet quelques Amants ayent voulu recourir à luy, apres n’auoir pû joüir de la choſe aymée ; ſi eſt-ce qu’ils n’ont pas eſté ſi foibles d’eſprit, que de ſe precipiter à la mort toutes les fois qu’ils l’ont inuocquée. C’eſt le reproche que fait Amarillis à ſon Myrtille, lors que l’oyant parler de mourir pour mettre fin à ſes peines, elle luy reſpond,

Bapt. Guar.
C’eſt en vain qu’vn Amant par vne fauſſe enuie,
__S’arme contre ſa vie ;
Et qu’en ſa paβion il veut faire ſon port
__Des eſcueils de la mort ;
Infidelle qu’il eſt, il dément ſa pensée
__D’une bouche inſensée,
Et trahit ſon amour, lors que pour en guerir
__Il dit qu’il veut mourir.

Voilà ce qu’il en ſemble au Caualier Guarini, la penſée duquel approche fort de celle-cy du Taſſo dans ſon Aminte,

Le diſcours de la mort eſt celuy d’vn Amant ;
Et toutesfois l’effet s’en enſuit rarement.

Il n’eſt doncques pas beſoin de reduire l’Amour au Deſeſpoir, qui eſt le pire de tous les maux, puis que nous auons demonſtré que le Temps & la Pauureté ſuffiſent pour le dompter, & le mettre à la raiſon, quelque mauuais qu’il puiſſe eſtre.