Iconologie (Cesare Ripa, 1643)/I/Amitié


Amitié. IV.


VOicy la peinture de l’Amitié, qu’Ariſtote definit vne mutuelle correſpondance d’affections entre des perſonnes de meſme humeur, & qui ſe propoſent touſiours la Raiſon & la Vertu pour guides. Elle eſt ſimplement veſtuë d’vne robe blanche ; & peu s’enfaut que ſon eſpaule gauche ne ſoit auſſi nuë que ſa belle gorge, qu’elle a toute deſcouuerte. Sa Guirlande eſt de fueilles de Myrthe & de fleurs de Grenadiers entrelaſſées, auec ces mots au deſſus, Hyems et Æstas, qui ſignifient L’Hyuer et l’Eſté. De ſa main droite elle monſtre ſon cœur, où ſont eſcrites ces paroles en lettres d’or, Longe et prope, loing & prés, & celles-cy au bas de la robe, Mores et Vita, La Mort & la Vie. Elle ſe plaiſt à la nudité de ſes pieds, & empoigne auec la main gauche vn ormeau ſec, enuironné d’vn ſep de vigne.

La liurée de l’Amitié ſincere eſt touſiours blanche, & ſon habillement ſans parure, pour vne marque de ſa franchiſe, qui ne peut ſouffrir ny artifice, ny déguiſement.

Les differentes deuiſes qui ſe liſent ſur ſon corps, & qui en ſont comme l’ame, ſignifient qu’vn parfait amy prés ou loing de la perſonne aymée, en eſt en tout temps inſeparable : Car pour grand que ſoit le changement de la Fortune, ou bonne, ou mauuaiſe, il eſt tres-content de viure & de mourir pour les intereſts d’vne vertiable affection. Que s’il arriue qu’elle ſoit feinte, il ne faut que le moindre reuers pour la faire fondre tout à l’inſtant, comme la neige au Soleil.

Quant à ſa Guirlande, faite de Myrthe, & de fleurs de Grenadier, elle eſt un ſymbole de l’vnion des volontez, le fruct deſquelles, quelque caché qu’il ſoit au dedans, ne laiſſe pas de paroiſtre enfin ; n’eſtant pas posſſible qu’il ne s’en exhale de bonnes odeurs, par les exemples & les actions honorables de ceux qui les accueillent. En quoy toutesfois il ne faut pas qu’il y ait aucune marque d’oſtentation ny de pompeuſe apparence. Car on ne peut mettre en doute, que l’vne & l’autre ne ſoient bien ſouuent les maſques de la flatterie la plus ſeruile, comme celle-cy eſt aſſeurément contraire à vne amitié ſans fard, & ſon irreconciliable ennemie.

On peint encore cette Vertu nuë par les pieds, pource qu’il n’eſt point d’incommodité qu’elle n’endure pour le ſeruice de ſon Amy : & luy fait-on pareillement embraſſer un ormeau ſec, entouré d’vn ſep de vigne, afin de donner à connoiſtre par là, Que l’Amitié ne doit pas moins paroiſtre dans les diſgraces que dans les ſuccez fauorables, & qu’il n’eſt point d’amy ſi peu vtile, qui ne puiſſe en quelque façon trouuer dequoy s’acquitter des courtoiſies & des effets de bien-veillance qu’au beſoin on luy teſmoigne.