Hokousaï (Goncourt)/Chapitre 9

Charpentier (p. 38-40).
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IX

En ces années, en cette fin du xviiie siècle, le talent d’Hokousaï n’a pas seulement fait sa popularité chez ses compatriotes, ce talent commençait à être apprécié par les Hollandais, faisant leur visite d’office, tous les cinq ans, à Yédo et l’un d’eux, que l’on croit être le capitaine Isbert Hemmel, avait eu l’intelligente idée de rapporter en Europe, deux rouleaux dus au pinceau de l’illustre maître, représentant le premier, tous les épisodes de l’existence d’un Japonais depuis sa naissance jusqu’à sa mort, le second, tous les épisodes de l’existence d’une Japonaise, également depuis sa naissance jusqu’à sa mort.

Le prix convenu de ce curieux historique de la vie japonaise était de 150 rios d’or (le rio d’or vaut une livre sterling). Et Hokousaï recevait du médecin hollandais attaché à l’expédition, une commande d’un double des deux rouleaux.

Hokousaï apporta tous ses soins et sa science à la confection des quatre rouleaux, terminés au moment du départ des Hollandais. Et quand Hokousaï livra ces rouleaux, le capitaine, très enchanté, lui remit l’argent convenu, mais le médecin, sous prétexte qu’il avait un traitement inférieur à celui du capitaine, ne voulut payer que la moitié du prix. À quoi Hokousaï se refusa, aussi bien qu’à lui laisser un rouleau à 75 rios.

Mais la somme que le peintre devait toucher, était déjà escomptée pour payer des dettes, et la femme d’Hokousaï lui reprochant de n’avoir pas cédé un rouleau au médecin, dont les 75 rios auraient sauvé le ménage de la grande misère, Hokousaï laissant parler sa femme, après un long silence, lui disait qu’il ne se faisait aucune illusion sur la misère qui les attendait, mais qu’il ne pouvait supporter le manque de parole d’un étranger, les traitant avec si peu d’égards, ajoutant : « J’ai préféré la misère à un piétinement (humiliation). »

Le capitaine mis au fait du procédé du médecin, envoyait son interprète avec l’argent, et faisait prendre les deux rouleaux commandés par le médecin.

Maintenant, sont-ils arrivés en Europe, ces quatre rouleaux ? Le capitaine Isbert Hemmel mourait en 1798, dans la traversée de Yédo à Nagasaki. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’ils ne sont pas au musée de la Haye, dont M. Gonse a fait une étude.

Hokousaï continua de vendre un certain nombre de dessins aux Hollandais, jusqu’au jour, où il lui fut interdit de livrer aux étrangers les détails de la vie intime des Japonais.