CHAP. XII.

Cycnus.

On a dit la même chose de Cycnus, de Colone, car on prétend également qu’il était invulnérable : c’était un vaillant guerrier et habile dans les combats. Il fut atteint devant Troie, d’un coup de pierre lancé par Achille ; sans être blessé (1). Ceux qui trouvèrent son corps intact dirent donc aussi qu’il était invulnérable, et de là lui vint cette réputation. Mais ce qui prouve que tous ces propos sont des contes, et témoigne en faveur de mon opinion, c’est qu’Ajax, fils de Télamon, fut aussi appelé invulnérable ; ce qui ne l’empêcha pas de se percer lui-même de son épée (2).

(1) Le Cycnus dont il s’agit ici et dont Ovide raconte le combat avec Achille (Métam. liv. XII, v. 64-145) était fils de Neptune. D’après le récit d’Ovide, Achille avait déjà porté en vain plusieurs coups de son terrible glaive à Cycnus, quand celui-ci tomba renversé, non d’un coup de pierre, mais pour avoir heurté contre une pierre qui se trouvait derrière lui. Achille prenant alors ses avan- tages étouffa le guerrier qu’il n’avait pu blesser : au moment où il s’apprêtait à le dépouiller, il ne trouva plus à sa place qu’un beau cygne blanc. Le Cycnus dont parle Apollodore (liv. 2, chap. 5, § 11, p. 84 et 85, Heyne) et Hyginus (fable 31, p. 89) était fils de Mars et fut tué par Hercule. Les poètes et les mythographes parlent encore de plusieurs autres Cycnus.

Il y aurait plus d’un rapprochement curieux à faire entre les fables mythologiques et les traditions fabuleuses du moyen-âge. Roland, d’après la chronique attribuée à l’archevêque Turpin, comme dans les romans des douze pairs de Charlemagne, est aussi donné pour invulnérable. Lorsqu’il périt à la bataille de Ronceveaux, c’est un guerrier espagnol d’une stature colossale, nommé Delcarpio, qui, après lui avoir inutilement asséné plusieurs coups de cimeterre, parvient à l’étouffer dans ses bras.

(2) Tzetzès sur Lycophron dit qu’Hercule ayant été visiter Télamon à Salamine recouvrit Ajax encore enfant, de sa peau de lion, priant les Dieux de le rendre invulnérable dans toutes les parties que la peau enveloppait (V. Ovid. Variorum met., p. 637). Ovide place habilement cette particularité dans la bouche d’Ulysse disputant l’armure d’Achille à Ajax. Après avoir montré les blessures qu’il avait reçues lui-même en combattant pour les Grecs : Ajax ne pourrait pas en faire voir autant, dit-il :

                   At nihil impendit per tot Telamonius annos
                   Sanguinis in socios ; et habet sine vulnere corpus.

                                                 (Métam. liv. XIII, v. 266-267).

V. la 5e ode des isthm. de Pindare et Quintus de Smyrne, (v. 566 et 567 du 1er  chant édit. de Heyne, Strasbourg 1807, p. 25). Hyginus fable 107 (p. 198) et les auteurs cités par M. Roulez, (p. 109 de son Ptolémée Héphestion.)