Histoire socialiste/Thermidor et Directoire/20

Chapitre XIX.

Histoire socialiste
Thermidor & Directoire (1794-1799)
Chapitre XX.

Chapitre XXI.


CHAPITRE XX

Le 30 prairial an VII. — Insurrections royalistes.

(Vendémiaire an VII à vendémiaire an VIII-septembre 1798 à octobre 1799.)

Le 1er vendémiaire an VII (22 septembre 1798), les Cinq-Cents célébraient l’anniversaire de la République ; au cri unanime de : Vive la République ! un député, Destrem, ajouta : Vive la Constitution de l’an III ! Lucien Bonaparte « se levant précipitamment et le bras tendu », raconte le Moniteur, s’écria alors : « Oui, vive la Constitution de l’an III ! Jurons de mourir pour elle ! » Le 3 fructidor an VI (20 août 1798), dans un discours cité (chap. xix, § 3) à propos de la République cisalpine, il avait déjà fait en termes burlesques l’éloge de la Constitution de l’an III : « Dans cette Constitution sainte, avait-il dit notamment, repose notre garantie sociale. Hors d’elle, je ne vois plus de terre ferme où nous puissions asseoir le fondement de nos institutions républicaines. Je ne vois que le sable mouvant du despotisme ou la terre de feu de la guerre civile. Quels sont les êtres qui ont pu croire qu’il était arrivé, le moment où la France devait sortir de l’asile salutaire où elle est entrée après de si longs orages ». Le 29 thermidor précédent (16 août 1798), il avait tonné contre les fournisseurs escrocs et réclamé leur châtiment, ce qui ne l’empêchait pas de faire des affaires (Vandal, L’avènement de Bonaparte, p. 101). Le 13 pluviôse an VII (1er février 1799), combattant l’impôt sur le sel, il se refusait à « renoncer au principe sacré qui veut que, dans un pays libre, ceux qui possèdent supportent seuls les frais de l’État ». Nous verrons à l’œuvre ce constitutionnel, ce justicier et ce démocrate ; mais, tandis que son attitude rendait le nom de Bonaparte sympathique dans le milieu véritablement républicain, des gens, tels que Talleyrand, contribuaient à persuader au monde des salons que Bonaparte était le seul homme capable de ramener le roi, et à effacer le souvenir du 13 vendémiaire.

Le 9 prairial (28 mai), au Conseil des Anciens, Garat devait présenter la première livraison d’un ouvrage de réclame en faveur de Bonaparte, « ce héros que nous ne voyons plus, mais dont nous nous entretenons toujours » ; cherchant à dissiper certaines craintes déjà éveillées par toutes ces menées, il ajoutera, avec cet air de supériorité sceptique qu’ont toujours affecté avant l’événement les complices inconscients (voir chap. xxii) des coups d’État : « Le despotisme militaire dont on vous menace, représentants du peuple, vous n’en prendrez pas un grand effroi ». Il faisait allusion évidemment à ce mot, dit à la séance du 7 (26 mai) par Reubell sorti du Directoire, nous allons le voir, le 20 floréal (9 mai), et élu au Conseil des Anciens : l’engouement pour les généraux a été de tout temps la source du despotisme militaire ».

Pendant que ces intrigues commençaient à se nouer, la deuxième coalition se formait, la reprise des hostilités apparaissait imminente et la loi du 3 vendémiaire (24 septembre) appelait, nous l’avons vu, 200 000 conscrits sous les drapeaux. Cette mesure, qui occasionna des troubles sur divers points du territoire, fut la cause d’un soulèvement général en Belgique. Dans ce pays annexé, les prêtres étaient très puissants ; on le savait et on les savait aussi à l’affût de tous les prétextes pour accroître l’agitation qu’ils s’attachaient depuis longtemps à entretenir. Il eût été sage, dans ces conditions, d’étendre à la Belgique l’exception qu’on consentit à faire, en vertu de l’art. 11 de la loi du 23 fructidor an VI (9 septembre 1798) sur les mesures pour la réquisition, « dans les départements de l’Ouest », au nombre de neuf (Vendée, Loire-Inférieure, Maine-et-Loire, Sarthe, Mayenne, Ille-et-Vilaine, Morbihan, Côtes-du-Nord, Finistère), et de ne pas plus appliquer dans la première que dans la seconde de ces régions la loi sur la levée des conscrits. C’est ce qu’avaient conseillé, mais en vain, les autorités républicaines locales. Du 21 vendémiaire au 15 frimaire (12 octobre au 5 décembre) éclatèrent dans toute la Belgique des insurrections parfois triomphantes ; ce qui décelait l’origine cléricale de la révolte, c’était l’empressement des insurgés à rétablir partout les croix, les signes extérieurs du culte catholique et les prêtres factieux. On eut raison de toutes ces émeutes qu’on aurait pu prévenir, et la répression fut impitoyable. Le clergé avait incontestablement été l’instigateur du mouvement ; il fut rigoureusement frappé. Un arrêté du Directoire du 14 brumaire an VII (4 novembre 1798) substitua aux arrêtés individuels prévus par l’article 24 de la loi du 19 fructidor an V (chap. xvii, § 1er) la proscription en masse du clergé belge séculier et régulier. D’après l’historien clérical du Directoire, M. Sciout (t. IV, p. 359-360), résumant les mesures prises contre les prêtres en Belgique depuis le 18 fructidor an V, « le nombre total des proscrits par le seul arrêté du 14 brumaire s’élève à 7 428, en outre près de 900 furent frappés à différentes époques par des arrêtés particuliers. Sans doute, on ne put arrêter tous ces proscrits, le plus grand nombre réussit à se réfugier à l’étranger ou à se cacher ».

On songea aussi à frapper les fructidorisés qui avaient esquivé la déportation et ceux qui s’étaient évadés (chap. xvii, fin du § 1er). Une loi du 19 brumaire an VII (9 novembre 1798) les assimila aux émigrés.

Les patriotes qui avaient été expulsés du Corps législatif en floréal an VI (mai 1798) et leurs partisans avaient continué une propagande à laquelle les fautes du Directoire, par eux dénoncées, les dilapidations de ses agents, les escroqueries tout au moins tolérées de ses fournisseurs, l’incurie de ses fonctionnaires dont le plus attaqué était peut-être l’ancien ministre Scherer, le désordre de ses finances, l’état de crise des affaires, donnaient une très grande force. En dehors de la tourbe des gens en place et des spéculateurs de tout acabit qui se moquaient plus ou moins ouvertement de la République, tout le monde était mécontent. Nombreux étaient ceux qui, effarés par les revirements du Directoire frappant tantôt à droite, tantôt à gauche, avaient peur de se compromettre. Cette crainte développée par la versatilité du Directoire, combinée avec la tendance de celui-ci à tout mener au gré de ses intérêts, à commander seul partout, avait peu à peu abouti à une centralisation administrative de fait. Les commissaires du Directoire près des administrations municipales et départementales, et principalement ces derniers qui correspondaient directement avec le ministre de l’Intérieur, s’étaient, après être devenus, en leur qualité d’agents du pouvoir exécutif, les véritables maîtres dans leur ressort, transformés en simples exécuteurs des volontés de l’administration centrale à laquelle ils avaient de plus en plus pris l’habitude de soumettre toutes les affaires.

Déjà, à la suite des atrocités cléricales et royalistes de la Terreur blanche (chap. viii), l’affaiblissement qui en était résulté pour le parti démocratique par l’assassinat des chefs locaux, c’est-à-dire des hommes d’initiative, et par la peur du même traitement contribuant à supprimer chez les autres toute velléité d’action, avait été cause que, dès le début du Directoire, s’était manifestée une répulsion très marquée à participer aux affaires publiques. Dans un rapport au ministre de l’Intérieur de fin brumaire an IV (novembre 1795), on lit : et l’organisation des administrations municipales devient de plus en plus difficile. Les agents élus refusent d’accepter et ceux qui avaient accepté donnent leur démission » (recueil d’Aulard, t. II, p. 392). Un rapport « contemporain des commencements du Directoire » (Rocquain, L’état de la France au 18 brumaire, p. 357, note) dit : « Les administrations municipales ne s’organisent qu’avec peine. Dès qu’elles sont formées, la plupart des agents donnent leurs démissions, et on peut dire que l’écharpe tricolore ne paraît plus qu’un fardeau repoussé même avec dédain. Cependant, c’est sur ces administrations municipales que s’élèvent et reposent les administrations supérieures… Il serait bien affligeant d’être réduit à penser que le défaut de traitement accordé aux agents nationaux soit une des causes de la difficulté qu’éprouve l’établissement des administrations municipales. En 1790, 1791 et 1792, nous avons vu nos concitoyens briguer à l’envi ces fonctions gratuites et même s’enorgueillir du désintéressement que la loi leur prescrivait »(Idem, p. 368-359, 362). Dans un « tableau de la situation politique de la République dans l’intérieur », probablement « rédigé dans les premiers temps du Directoire », on remarque que l’« éloignement pour les fonctions publiques… se retrouve dans beaucoup de points de la République » (Idem, p. 367, note, et 358). Pour les municipalités, en particulier, l’accroissement d’un travail sans rémunération, résultant de leur organisation cantonale par la Constitution de l’an III, venait s’ajouter aux motifs d’abstention indiqués plus haut. « Presque personne ne voulait assumer les responsabilités du pouvoir. C’est un spectacle curieux de voir, en certaines localités, les élus s’obstiner à refuser les charges dont on les investit » (Camille Bloch, revue la Révolution française, février 1904, p. 157). Cet état de choses avait persisté, comme le prouve la citation suivante faite pour l’an VI : « Les administrations sont d’autant plus difficiles à renouveler que, parmi les patriotes eux-mêmes, beaucoup sont las, désillusionnés, et s’écartent des fonctions publiques. Il en est aussi qui les acceptent sans les remplir ou les déconsidèrent en soignant trop visiblement

Caricature contre Scherer
(D’après une estampe du Musée Carnavalet.)


leurs intérêts personnels » (Chassin, Les Pacifications de l’Ouest, t. III, p. 235). Si on trouvait difficilement des citoyens acceptant les fonctions électives dans les municipalités ou dans les tribunaux, là même où il y avait des élus, pour un motif ou pour un autre, aussi variable que sa politique, le gouvernement substituait assez souvent à ceux-ci des agents de son choix.

Au dégoût chez certains d’une action électorale vaine, de la participation, en général, à la vie publique, que la centralisation contribua à développer, dégoût et centralisation qui allaient bientôt faciliter l’œuvre de Bonaparte, s’ajoutaient pour beaucoup les souffrances résultant d’une situation matérielle mauvaise. J’ai déjà eu l’occasion de signaler la malheureuse position de la plupart des rentiers (fin du chap. xv, chap. xvii § 2 et chap. xviii) ; ayant placé toute leur fortune, petite ou grosse, en rentes sur l’État, ils ne touchaient, et encore avec d’énormes arriérés venant aggraver la réduction subie, que des bons dépréciés ; ce papier avili ne leur donnait pas de quoi vivre. Voici, puisé dans le remarquable recueil documentaire de M. Aulard, Paris pendant la réaction thermidorienne et sous le Directoire, que j’ai si souvent cité (t. V, p. 271) l’extrait d’un rapport adressé au ministre de l’Intérieur sur la situation du département de la Seine en frimaire an VII (novembre-décembre 1798) : « Une grande partie de la population de Paris se compose d’individus qui ont autrefois placé leurs fonds sur l’État, c’est-à-dire des rentiers. Ces gens, qui sont ruinés, qui n’ont pas reçu une éducation assez industrieuse pour pouvoir aujourd’hui exercer aucun métier, ni assez libérale pour être sensibles aux droits que la Révolution leur a restitués, forment un foyer de mécontentement dont l’influence s’étend dans toutes les familles et fait une foule d’ennemis à la République. Qu’on paye les rentiers ».

Les ouvriers, eux, se heurtaient toujours au même parti pris (chap. iii, xiii et xvii §§ 1 et 2), ainsi que le prouve le compte rendu des opérations du Bureau central du canton de Paris, du 1er au 10 brumaire an VII (22 au 31 octobre 1798) : « Informé que les ouvriers travaillant ordinairement sur le port de la Rapée se proposaient d’empêcher, le 1er brumaire, leurs camarades ou d’autres ouvriers de travailler sur ce port pour un prix inférieur à celui qu’ils se proposaient de demander, voulant que leur main-d’œuvre fût augmentée, le Bureau central a fait part au commandant de la place et l’a invité à envoyer le dit jour, 1er brumaire, dès cinq heures du matin, un fort détachement de cavalerie du côté de la barrière (Idem, p. 188). Ayant appris, nous dit le rapport du 9 prairial an VII (28 mai 1799), que des ouvriers « doivent se coaliser pour exiger un salaire plus fort que celui qui leur est offert », le Bureau central chargeait le commissaire de police de faire connaître nominativement ceux des ouvriers qui exciteraient les autres à une coupable insubordination » (Idem, p. 538). Malgré cela et malgré un chômage assez dur, les ouvriers, qui n’avaient plus à voler, ne sortirent pas de leur apathie au point de vue politique. Dans le rapport au ministre de l’Intérieur de nivôse an VII (décembre 1798-janvier 1799), on lit (Idem, p. 324) : « Le commerce, les arts, l’industrie souffrent ». D’après le rapport de pluviôse (janvier-février) la classe ouvrière, en général, est paisible ; malgré la dureté de la saison, le manque d’ouvrage, il ne s’est rien passé parmi elle qui ait pu alarmer la tranquillité publique » (Idem, p. 387).

Le Directoire était loin d’avoir la force qu’il possédait l’année précédente ; il ne tenait plus le Corps législatif, malgré l’épuration de floréal an VI, aussi redoutait-il davantage les effets d’un mécontentement dont il avait parfaitement conscience. Pour échapper au danger qui le menaçait, il songea à atténuer non les motifs de ce mécontentement, mais la sincérité des élections qui devaient en être la conséquence et qui portaient sur 315 sièges, dont 105 au Conseil des Anciens et 210 au Conseil des Cinq-Cents. Ce ne fut pas dans un changement de politique qu’il chercha le moyen d’enrayer l’hostilité constatée ; il ne tenta aucune réforme administrative et compta sur ce qui lui restait d’autorité et sur le zèle de ses agents pour avoir raison d’un état d’esprit qu’il attribuait plus à la propagande de ses adversaires qu’à sa propre conduite. Pour entraver cette propagande, le ministre de la police, par une circulaire du 6 nivôse an VII-26 décembre 1798 (Révolution française, revue, t. XXVI, p. 464), défendit à la poste de transporter un certain, nombre de journaux de l’opposition ; or des arrêtés du 2 nivôse an VI (22 décembre 1797) et du 7 fructidor (24 août 1798) interdisaient la circulation des journaux par une autre voie que celle de la poste aux lettres, et cette interdiction fut confirmée par l’arrêté du 26 ventôse an VII (19 mars 1799).

Les républicains qui attaquaient le Directoire furent en butte aux calomnies les plus odieuses. Le 23 pluviôse an VII (11 février 1790) il lançait contre eux une proclamation où il spéculait sur la peur ; dans un langage grotesque, il engageait les citoyens à se bien pénétrer « des principes tutélaires et conservateurs » qui devaient diriger leurs choix, et à élire des hommes éloignés « de cette exagération sulfureuse dont le poison… finit par dévorer la chose publique… vos biens, vos personnes ». Le 17 ventôse (7 mars), nouvelle proclamation assimilant, suivant un procédé malhonnête qui n’est pas passé de mode, l’opposition républicaine avancée à l’opposition royaliste, « c’est, disait-elle, la même main qui les paye et qui les dirige », et recommandant d’écarter « tous ceux qui ont figuré dans la réaction royale et dans l’atroce régime révolutionnaire ». Quelques jours avant, le 14 ventôse an VII (4 mars 1799), le ministre de l’Intérieur avait adressé une circulaire aux commissaires du Directoire près les administrations départementales pour leur ordonner de combattre les candidatures désagréables au gouvernement : « Les élections de l’an V furent dirigées par le royalisme dans plusieurs départements, et l’anarchie, gémissait-il, s’est emparée de celles de l’année dernière ». Afin d’obtenir cette fois un meilleur résultat, ces commissaires doivent éclairer « les Français sur les projets, sur les complots ourdis par une faction scélérate, et audacieuse » ; pour les éclairer, ils doivent épouvanter industriels, négociants, littérateurs, soldats, fonctionnaires, en leur montrant leur situation menacés par les « suivants de Robespierre et de Marat » (Moniteur des 28 pluviôse, 20 et 23 ventôse-16 février, 10 et 13 mars). Par contre, les faiblesses à l’égard des émigrés avaient recommencé. À ce sujet, Dufort de Cheverny (Mémoires…, t. II, p. 409), écrit le 4 avril 1799 ; « On m’assure qu’il existe autant d’émigrés à Paris qu’avant le 18 fructidor », et le 9 avril, en parlant de Duval, un des 22 Girondins (voir fin du chap. iii), qui, depuis le 8 brumaire an VII (29 octobre 1793), avait remplacé Le Carlier au ministère de la police : « Depuis qu’il est en place, les radiations montent à plus de quinze par décade ».

En outre de cette cynique pression électorale, les agents du Directoire essayèrent de recourir, de même qu’en l’an VI, au procédé des scissions ; on en vit, dans le Gers, ainsi que cela fut dénoncé à la tribune des Cinq-Cents le 22 floréal an VII (11 mai 1799), s’efforcer de faire certifier par les administrations municipales de plusieurs cantons qu’il y avait eu scission dans des assemblées primaires, alors que c’était faux, et, sur leur refus, le certifier eux-mêmes. Mais toutes ces manœuvres furent inutiles : le 1er germinal (21 mars), les assemblées primaires et, le 20 (9 avril), les assemblées électorales se prononcèrent en masse pour les adversaires républicains du Directoire. Celui-ci n’avait plus la ressource d’opérer contre eux par voie d’exclusion, comme il l’avait fait en floréal an VI (mai 1798) ; car il ne disposait plus d’une façon certaine de la majorité dans les Conseils. On en eut la preuve lors de l’examen des opérations électorales ; le système des scissions fut condamné, même par certains de ceux qui l’avaient approuvé l’année précédente, et, pour la première fois, les Cinq-Cents se préoccupèrent de faire triompher les « choix libres faits par les majorités » (séance des Cinq-Cents du 13 floréal an VII-2 mai 1799).

Le 20 floréal (9 mai), le Directoire procéda à la désignation, par voie de tirage au sort, du directeur sortant ; ce fut Reubell qui se trouva exclu : les Cinq-Cents n’achevèrent que le 24 floréal (13 mai), après trois tours de scrutin, de dresser la liste des dix noms parmi lesquels les Anciens auraient à choisir le nouveau directeur ; cette liste comprenait plusieurs opposants ; le 27 (16 mai), les Anciens élurent Sieyès par 118 voix, tandis que le candidat le plus agréable au Directoire, Duval, le ministre de la police, n’en obtenait que 74. Sieyès était à ce moment ambassadeur à Berlin. On le savait partisan obstiné de la revision d’une Constitution dont il n’était pas l’auteur ; ne voulant pas participer au fonctionnement de cette Constitution, il avait refusé, en brumaire an IV-novembre 1795 (chap. xii), de faire partie du Directoire ; son acceptation en 1799 signifia pour tous qu’on allait s’acheminer vers une modification de la loi constitutionnelle. À peine arrivé à Paris, il fut installé (20 prairial-8 juin) ; tout de suite il se montra aussi froid pour ses collègues que cordial à l’égard de certains députés de l’opposition, de Lucien Bonaparte en particulier, et il commença à manœuvrer pour s’assurer, dans le gouvernement de la France, la place prépondérante qu’il ambitionnait et que Bonaparte, en brumaire, devait lui souffler. Les modérés qui, en grand nombre, avaient été heureux de sa nomination, se rallièrent autour de lui.

À eux seuls, en effet, les républicains avancés, auxquels surtout était appliqué à cette époque, nous le savons, le nom de « patriotes », n’avaient pas la majorité dans les Conseils ; mais ils ne constituaient pas non plus toute l’opposition républicaine. On y trouvait à côté d’eux une fraction importante de modérés qui, alors sincèrement républicains pour la plupart, avaient compris le mal que faisait à la République un gouvernement plus ou moins sciemment complice des plus scandaleuses dilapidations. Ces modérés finirent par s’apercevoir que le Directoire, tel qu’il se trouvait composé, n’avait pu et ne pourrait se maintenir qu’en opposant les républicains les uns aux autres, et par se convaincre que leur accord contre lui avec tous les républicains avancés valait mieux que leur division avec ceux-ci à son profit. Dans ces conditions, il ne restait au Directoire qu’une chance de conserver le pouvoir, c’était de vaincre les ennemis extérieurs. Les défaites éprouvées en germinal (mars et avril) par l’armée du Danube et par l’armée d’Italie, l’amenèrent à penser qu’un seul homme, Bonaparte, était capable de remporter les victoires nécessaires et de le sauver. On le connaissait ambitieux, envahissant, désireux d’être partout le maître ; on savait que, si on avait recours à lui, il faudrait se résoudre à lui accorder une part dans le gouvernement, et d’abord on hésita. Quand les choses se gâtèrent décidément pour le Directoire, entre les deux maux il choisit Bonaparte ; de là la lettre du 7 prairial (26 mai) à Bruix, lui prescrivant d’aller le chercher en Égypte. Nous savons (chap. xix, § 2) que Bruix ne put accomplir cette mission.

Le 1er prairial (20 mai), les Conseils renouvelés étaient entrés en fonction, et le Directoire fut tout de suite l’objet des récriminations les plus vives. Le 6 (25 mai), au Conseil des Anciens, Dubois-Dubais dénonçait la « coalition des fripons » qui ruinait le Trésor public, et il accusait formellement Scherer, ancien ministre de la guerre. Le 8 (27 mai), au Conseil des Cinq-Cents, Français (de Nantes) flétrissait l’impunité dont jouissaient les royalistes assassins dans l’Ouest et dans le Midi : « Quelle est donc, s’écriait-il très justement, la cause de la continuité de tant de crimes ? Elle est dans… la compression de tous les républicains énergiques, adoptée d’abord comme un système et suivie comme habitude ; elle est dans la destitution de plusieurs milliers de fonctionnaires publics ; elle est dans la tiédeur, dans l’inertie de tant d’êtres hermaphrodites appelés dans les places par l’autorité trompée, et qui n’ont d’autre mérite que de n’avoir pas ouvertement conspiré la ruine de la République ;… elle est dans ce système de balance… qui consiste à faire hausser ou baisser à volonté le parti des républicains, espèce d’escarpolette politique qui, laissant toujours la victoire indécise, alimente la fluctuation des partis, échauffe la résistance et éternise les réactions ; elle est dans l’interdiction faite à tous les citoyens français du plus beau droit que leur assure la Constitution et qui est parmi eux le garant de tous les autres, le droit de se réunir et de manifester publiquement ce qu’il y a de plus libre dans le monde, je veux dire la pensée ; elle est dans la métamorphose faite, comme par un coup de baguette magique, de tous les républicains vigoureux en anarchistes et de tous les êtres nuls en seuls gens de bien ».

À ces constatations sur le personnel administratif de l’époque, il faut ajouter celles de Poullain-Grandprey visant les commissaires de la Trésorerie nationale et leurs subordonnés. Dans un rapport lu le 3 prairial (22 mai) aux Cinq-Cents, il établissait qu’à la date du 9 fructidor an VI (26 août 1798), douze payeurs généraux n’avaient pas encore fourni l’état de situation de l’an V, onze autres n’en avaient fourni que de partiels, et « de tels hommes sont encore en place » ; avec la même impunité, tous les comptables ont pu se transformer « en autant de spéculateurs sur les fonds dont ils ne devraient être que les dépositaires passifs ». Enfin, le 17 prairial (5 juin), en même temps que, par message, ils demandaient au Directoire des renseignements sur la situation de la République, les Cinq-Cents adoptaient un projet d’adresse au peuple présenté par Français (de Nantes) et où on lisait : « Des plaintes nombreuses se sont élevées sur la conduite de plusieurs agents du Directoire exécutif accusés de dilapidations et de rapines, tant dans l’intérieur que chez les Républiques alliées. La loi mettra les coupables sous la main de la justice… La responsabilité des agents exécutifs sera organisée ; les comptes des ministres seront solennellement publiés et sévèrement examinés ; la plus rigoureuse économie sera apportée dans la fixation des dépenses ; la liberté des personnes et des opinions sera garantie par des lois sévères ». Sur ce dernier point, dès le 27 prairial (15 juin), les Cinq-Cents votaient l’abrogation de la loi du 9 fructidor an VI (26 août 1798) prorogeant pendant un an l’art. 35 de la loi du 19 fructidor an V (5 septembre 1797), qui livrait les journaux à l’arbitraire policier (chap. xvii, §§ 1 et 2) ; cette mesure constituait l’art. 1er d’une résolution sur la presse, dite projet Berlier, qui fut entièrement votée le 29 prairial (17 juin). Cette résolution en 41 articles, tout en maintenant en particulier l’art. 1er de la loi du 27 germinal an IV-16 avril 1796 ( voir chap. xiii), constituait un progrès ; elle fut repoussée par les Anciens le 4 thermidor (22 juillet) ; le surlendemain, les Cinq-Cents votaient une nouvelle résolution ne comportant que l’abrogation qui formait l’art. 1er de la précédente, et, sous cette forme restreinte, elle était acceptée par les Anciens le 14 thermidor (1er août) ; elle ne devait pas empêcher, d’ailleurs, le Directoire de lancer des mandats d’arrêt contre des journalistes.

Dans la séance du 28 prairial (16 juin), Poulain-Grandpré fit voter par les Cinq-Cents, le Directoire n’ayant pas répondu à leur message du 17 (5 juin), « de rester en permanence jusqu’à l’arrivée de la réponse » à un nouveau message ; et les Anciens, prévenus, se déclarèrent également en permanence. Deux heures après le nouveau message des Cinq-Cents, le Directoire leur annonça qu’il leur enverrait le lendemain les renseignements demandés et qu’il se constituait lui-même en permanence. Le même soir, les Cinq-Cents cassèrent comme inconstitutionnelle — ce qui était rigoureusement exact (chap. xvii, § 2), mais un peu tardif — l’élection, le 26 floréal an VI (15 mai 1798), de Treilhard au Directoire, et décidèrent qu’il devait sur-le-champ cesser ses fonctions ; à deux heures du matin, les Anciens ratifièrent cette résolution. La Revellière, soutenu par Merlin, engagea de toutes ses forces, comme il l’a dit (Mémoires, t. II, p. 391), Treilhard à ne pas se soumettre ; Barras prétend même (Mémoires, t. III, p. 359) qu’il alla jusqu’à parler de recourir à la force armée, et que ce n’est que grâce à lui Barras et à Sieyès, qu’il n’y eut pas de résistance. À la suite de la lecture, le 29 prairial (17 juin). du message du Directoire annoncé la veille, qui ne contenait pas le moindre renseignement et se bornait à réclamer le vote de crédits urgents, les Cinq-Cents maintinrent leur permanence et dressèrent la liste de dix noms pour le remplacement de Treilhard, ; le soir, Gohier fut élu par les Anciens ; c’était un ancien membre de la Législative, honnête homme et républicain sincère.

Par cette mesure habile, la coalition des opposants avait pour elle deux directeurs : Gohier et Sieyès ; deux autres, La Revellière-Lépeaux et Merlin (de Douai), étaient contre elle ; le cinquième, Barras, ne pensait qu’à défendre sa situation personnelle en se mettant du côté des plus forts. Il dépendait de lui de donner la majorité dans le Directoire à un parti ou à l’autre, et il se peut qu’il ait un instant songé à renouveler contre le Corps législatif le coup du 18 fructidor. C’est ce que prétend Cambacérès dans ses Éclaircissements inédits cités par M. Albert Vandal (L’avènement de Bonaparte, p. 73, note).

La Correspondance diplomatique du baron de Staël-Holstein et du baron Brinkman, par Léouzon Le Duc, dit que le Directoire « fut doublement embarrassé à choisir ses moyens de défense. Le plus simple lui parut un coup de main pour mutiler encore une fois le Corps législatif ; mais, comme Barras, leur seul et véritable chef en Fructidor, ne s’y prêta, cette fois-ci, que pour approfondir leurs desseins, tous leurs projets restèrent sans exécution et Sieyès arriva, heureusement pour son parti, assez à temps pour admettre Barras à des délibérations plus précises et pour surveiller les mesures de ses autres collègues » (p. 285). D’autre part, dans les Réponses de La Revellière aux dénonciations portées au Corps législatif contre lui et ses anciens collègues (15 thermidor an VII-2 août 1799) et insérées à la suite de ses Mémoires (t. III, p. 165), on lit au sujet de l’accusation d’avoir voulu faire contre la représentation nationale un coup d’État militaire : « Quant à moi, je déclare formellement que je n’ai ni fait ni entendu faire, à quelque militaire que ce soit, la proposition dont on parle, que je n’en ai aucune connaissance et que je n’ai jamais eu l’intention de la faire ». Quoi qu’il en soit, Barras s’aperçut (Mémoires, t. III, p. 361) que « militaires et députés parlaient de prêter main forte au parti qui voulait décidément l’expulsion de Merlin et de La Revellière) ; les soldats, en effet, étaient les premiers à protester contre l’administration de l’ancien Directoire et les escroqueries des fournisseurs dont ils avaient souffert ; aussi estima-t-il plus prudent d’entrer dans le jeu de Sieyès contre les deux autres. Ce qui est certain, c’est qu’il y eut des velléités de coup d’État de la part des modérés inclinant à droite, qui avaient été victimes du 18 fructidor. Dans la Correspondance inédite de La Fayette, précédée d’une étude par M. Jules Thomas, on lit (p. 177) : « Quelques jours avant le 30 prairial, des propositions lui [à La Fayette] avaient été faites au nom de Carnot par un officier envoyé d’Amsterdam qu’il rencontra à Utrecht et, trop défiant encore ou mal informé des chances du coup d’État, il avait fait le difficile » ; et (p. 377) se trouve une lettre de La Fayette à Louis Romeuf, du 7 brumaire an VIII (29 octobre 1799), dans laquelle il regrettait son attitude en cette occasion.

Le 30 prairial (18 juin), aux Cinq-Cents, Bertrand (du Calvados) répondit au message du Directoire lu la veille ; il s’indigna de voir les directeurs s’efforcer de rejeter sur le Corps législatif la responsabilité du manque de ressources qui provenait de ce qu’elles avaient été gaspillées et non de ce qu’elles n’avaient pas été votées : « des compagnies privilégiées ont été admises à faire des services, ont reçu des avances, n’ont rien fourni et ont remboursé les écus avec des valeurs qui perdaient 60 %, et l’on ose entreprendre de détourner votre attention, celle du peuple, de ces crimes pour rejeter sur vous la faute de notre situation », et il ajoutait qu’on portait, en vendémiaire an VII, « l’effectif de nos armées à 437 000 hommes, tandis qu’il ne s’élevait pas à 300 000, et l’on ose se plaindre de la pénurie du Trésor public ! » Il termina en invitant La Revellière et Merlin à se retirer. Un autre député, Boulay (de la Meurthe), insista sur ce point : « il faut, dit-il, que ces deux hommes sortent du Directoire », et il fit voter la nomination d’une commission de onze membres chargée de rechercher les mesures à prendre. Puis, soit sous l’inspiration des leçons du passé, soit grâce à l’avertissement que leur aurait donné, d’après certains (Aulard, Histoire politique de la Révolution française, p. 685), Barras, sur les velléités de coup d’État des directeurs menacés, les Cinq-Cents votaient une résolution, aussitôt approuvée par les Anciens, mettant hors la loi tous ceux qui donneraient ou exécuteraient l’ordre d’attenter « à la sûreté ou à la liberté du Corps législatif ou de quelques-uns de ses membres ».

Pendant ce temps, les modérés cherchaient à obtenir la démission de La Revellière et de Merlin. Après une longue résistance, ceux-ci finirent par céder. Un membre venait de demander la mise en accusation de Merlin, lorsqu’un message du Directoire annonça aux Cinq-Cents sa démission et celle de La Revellière. C’est là ce qu’on a appelé à tort le coup d’État du 30 prairial ; en fait, ni le 22 floréal an VI, ni le 30 prairial an VII n’ont été des coups d’État. Dans cette dernière journée, il y a eu une très forte pression morale exercée sur la volonté de deux hommes ; mais nul détenteur de la force publique n’est sorti de la légalité. Le 1er messidor (19 juin), les Anciens élurent Roger Ducos à la place de Merlin et, le 2 (20 juin), le général Moulin à la place de La Revellière. Le premier était un ancien Conventionnel qui avait été du parti de Danton et un ancien membre du Conseil des Anciens qu’il avait présidé le 18 fructidor an V ; le second passait pour Jacobin, il avait par intérim remplacé Kilmaine, malade, à la tête de l’armée dite d’Angleterre, le 10 nivôse an VII (30 décembre 1798), et il était arrivé à Paris, avec l’autorisation du ministre de la guerre, le lendemain du 30 prairial, pour se concerter avec le gouvernement sur la situation de l’Ouest.

Sur les trois nouveaux directeurs, il semble bien que deux au moins n’étaient pas du goût de Sieyès. La Revellière raconte dans ses Mémoires (t. II, p. 418) tenir de Talleyrand qu’au lieu de Gohier, Ducos et Moulin, il aurait voulu voir élire Talleyrand, Marescot et Caffarelli (du Falga), le frère

À Bagnères-de-Bigorre en l’an VII.
(D’après un document de la Bibliothèque Nationale.)


du général mort devant Acre (chap. xix, § 1er). D’après Sandoz-Rollin (Neton, Sieyès, p. 361), il aurait désiré la nomination de Marescot à la place de Moulin. À en croire Barras (Mémoires, t. III, p. 366), il aurait été satisfait du choix de Roger Ducos.

Après avoir, le 9 messidor (27 juin), voté, sur la proposition de la commission des onze, la mise en activité de service des conscrits de toutes les classes qui n’avaient pas encore été appelés, et l’affectation à la dépense entraînée par cette mesure d’une somme de cent millions demandée à un emprunt dont la souscription à caractère progressif serait imposée à « la classe aisée des citoyens », le Conseil des Cinq-Cents leva la permanence établie le 28 prairial (16 juin). Approuvées le lendemain par le Conseil des Anciens, dont la permanence cessa également ce même jour, ces résolutions devinrent la loi du 10 messidor an VII (28 juin 1799).

Le mode d’exécution des mesures formulées dans cette dernière loi fit l’objet de lois nouvelles. Ce fut une loi du 14 messidor (2 juillet) au point de vue militaire, et une loi du 19 thermidor (6 août) au point de vue financier, qui déterminèrent les détails d’exécution. La première complétée bientôt par d’autres ne donna tous ses effets utiles que quelques mois après, et Bonaparte devait en recueillir les bénéfices. La seconde était une réédition des lois du 20 mai 1793 et du 19 frimaire an IV-10 décembre 1795 (chap. xii) ; elle portait : « tous les citoyens aisés sont assujettis à l’emprunt de cent millions dans une proportion progressive de la fortune dont ils jouissent » ; étaient dispensés ceux qui payaient moins de 300 francs en principal à la contribution foncière ou de 100 francs à la contribution mobilière. Les traitements et salaires payés par l’État, qu’une loi du 1er thermidor (19 juillet) venait de réduire, n’entraient pas en compte ; les dettes justifiées par titres authentiques étaient déduites. Pour les diverses évaluations, la loi constituait un jury « composé de l’administration centrale et de six citoyens au moins ou de dix au plus pris parmi les contribuables de son arrondissement non atteints par l’emprunt, dont la probité, le patriotisme et l’attachement à la Constitution de l’an III garantissent la fidélité ». En outre de ce jury de taxation, la loi prévoyait un jury de revision « composé de douze contribuables non atteints par l’emprunt ».

Une résolution du Conseil des Cinq-Cents, du 17 messidor an VII (5 juillet 1799), qui suspendait, jusqu’à la conclusion de la paix définitive, le payement du supplément mensuel de 330 francs que les députés s’étaient octroyé (voir fin du chap. xvii, § 2), devait être une manifestation sans résultat.

Les ministres de l’ancien Directoire ne pouvaient évidemment pas être gardés par le nouveau. Avaient été remplacés le 4 messidor (22 juin), à l’intérieur, François (de Neufchâteau) par Quinette ; le lendemain, 5 (23 juin), à la police, Duval par Bourguignon ; le 11 messidor (29 juin), à la marine, Bruix qui, à la tête de la flotte française, n’était ministre que de nom (chapitre xix, § 2) par Bourdon ; le 14 messidor (2 juillet), à la guerre, Milet-Mureau par Bernadotte ; enfin, le 2 thermidor (20 juillet), à la justice, Lambrechts par Cambacérès ; aux relations extérieures, Talleyrand par Reinhard ; aux finances, Ramel par Robert Lindet ; et, le même jour, à la police, Bourguignon, installé depuis moins d’un mois, par Fouché.

Le parti royaliste vit, dans l’application de la loi sur la conscription, un moyen de recruter des adhérents. Ceux que le peuple appelait « des aristobêtes, des aristocruches » (Dufort de Cheverny, Mémoires…, t. II, p. 416), « n’espéraient rien que du désespoir de la France, de l’épée d’un général factieux, de l’intervention des armées étrangères, en un mot, du désastre national et de la force » (Sorel, L’Europe et la Révolution française, 5e partie, p. 5). « Beaucoup de prêtres rentrés continuèrent d’obéir aux directions politiques des évêques émigrés, de prendre le mot d’ordre à l’étranger ; ils prêchaient la désobéissance aux lois, excitaient les conscrits à la désertion, demeuraient agents de réaction royaliste et maintenaient l’état de guerre » (Vandal, L’avènement de Bonaparte, p. 34).

C’est que les défaites éprouvées par l’armée française avaient réveillé les patriotiques espérances du parti royaliste et clérical. Comme aujourd’hui, il comptait sur la guerre extérieure pour triompher ; mais, tandis qu’aujourd’hui il lui faut d’abord fomenter cette guerre, il n’avait alors qu’à attendre la continuation des succès de Souvorov. D’après le résumé des comptes rendus au ministre de l’intérieur pendant le mois de floréal an VII (avril-mai 1799) publié dans l’ouvrage de M. Rocquain (L’état de la France au 18 brumaire), les ancêtres de nos militaristes faisaient de « puissants efforts… pour empêcher l’exécution de la loi salutaire de la conscription » (p. 378). Les « progrès de l’ennemi qu’on affectait chaque jour d’annoncer pénétrant sur le territoire français », causaient aux royalistes et cléricaux « une joie impie » (p. 379). « À Lyon, on criait aussi dernièrement dans le faubourg Georges : « Vive « Louis XVIII ! Le prince Charles arrive ! » (p.380). Dans le recueil de Schmidt (Tableaux de la Révolution française, t. III, p. 428-429), on trouve un rapport de Vesoul daté du 6 fructidor (23 août) où on lit : « Les succès momentanés de la coalition ont relevé l’espoir des royalistes et accru leur audace ».

Le brigandage royaliste et l’assassinat religieux n’avaient jamais complètement cessé ; partout, mais en particulier dans l’Ouest et dans le Sud-Est, on constata leur recrudescence dès que la reprise des hostilités eût nécessité l’envoi sur les frontières de presque toutes les troupes disponibles. Les attentats contre la personne et la propriété des républicains, meurtres et incendies, se multiplièrent de telle sorte que, pour tâcher d’y mettre un terme, les Conseils votèrent la loi du 24 messidor an VII (12 juillet 1799) : dans les départements, cantons et communes déclarés en état de troubles par les Conseils sur la demande du Directoire, les anciens nobles, sauf certaines exceptions indiquées, les parents et alliés d’émigrés, les aïeuls, aïeules, pères et mères des « individus qui, sans être ex-nobles ni parents d’émigrés, sont notoirement connus pour faire partie des rassemblements ou bandes d’assassins, sont personnellement et civilement responsables des assassinats et des brigandages commis dans l’intérieur en haine de la République » ; les administrations centrales avaient le droit de prendre des otages dans les catégories ci-dessus et, pour chaque assassinat commis « sur un citoyen ayant été depuis la Révolution ou étant actuellement fonctionnaire public, ou défenseur de la patrie, ou acquéreur ou possesseur de domaines nationaux », le Directoire pouvait, dans les vingt jours, déporter quatre des otages. Cette loi, dite des otages, que le détestable excès de sa rigueur rendait inexécutable, ne servit à rien. Persuadés que la République dégarnie de troupes ne pourrait résister à une action d’ensemble, les royalistes s’occupèrent d’organiser celle-ci et une vaste conspiration s’étendit à la France entière.

Le Sud-Ouest fut tout spécialement travaillé ; dans toute cette région, de Perpignan à Bayonne, il n’y avait pas plus de 4 000 soldats ; on jugea le moment propice. Des émigrés, des prêtres rentrés en cachette parcoururent le pays, déblatérant contre l’armée républicaine, recrutant leurs partisans parmi les conscrits réfractaires, parmi ceux qui la fuyaient, distribuant de l’argent. Dans le nombre de ces agitateurs royalistes, on cite un Bornier qui ne disait pas celui-là : « France… d’abord ! » un Villèle, un Puybusque : à chacun ils promettaient ce qu’il désirait, sans souci des promesses contradictoires, tablant, comme les nationalistes de nos jours et les cléricaux de tous les temps, sur la sottise de leurs dupes. Le 25 thermidor an VII (12 août 1799), le commissaire du Directoire à Pau écrivait aux ministres de l’intérieur et de la police que les bandes royales étaient prêtes à entrer en mouvement dans toute la région, qu’à l’exception d’un citoyen, l’administration centrale des Basses-Pyrénées était dévouée aux conspirateurs, que les prêtres réfractaires étaient rentrés en grand nombre, que Bagnères-de-Bigorre était rempli d’étrangers fort suspects, qu’on disait hautement qu’avant peu on aurait un roi, et que le massacre des républicains était fixé à la Saint-Barthélémy (Lavigne, L’insurrection royaliste en l’an VII, p. 215).

Dans la nuit du 18 au 19 thermidor (5 au 6 août), des soulèvements eurent lieu dans plusieurs communes de la Haute-Garonne, du Gers, de l’Ariège, de l’Aude, du Tarn, du Lot-et-Garonne, aux cris de : « Vive la religion ! Vive le roi ! ». Victorieux au début, les insurgés étaient bientôt au nombre d’une vingtaine de mille, mais heureusement sans discipline. Le 21 thermidor (8 août), ils étaient maîtres de plus de vingt cantons et, en dehors de quelques bandes éparses, ils formaient, au sud de Toulouse dont ils voulaient s’emparer, un arc de cercle avec leur droite à Caraman, leur centre à Muret et leur gauche à l’Isle-Jourdain. L’administration municipale de Toulouse et l’administration centrale de la Haute-Garonne prirent des mesures pour garder Toulouse et y concentrer les forces disponibles ; en divers endroits, la population républicaine se leva d’elle-même. Ce furent, par exemple, les républicains du Tarn qui, le 23 thermidor (10 août), enlevèrent Caraman aux insurgés et empêchèrent ainsi l’extension de l’insurrection de ce côté.

La veille, le général de brigade Aubugeois, sorti de Toulouse avec les troupes qui y étaient réunies, avait battu les insurgés à l’extrémité du faubourg Saint-Michel ; le 23 (10 août) il les battait de nouveau et, le 24 (11 août), après un nouveau succès, il entrait à l’Isle-Jourdain, coupant par là les communications entre les insurgés de la Haute-Garonne et ceux du Gers. Battus aussi dans l’Ariège où fut distribuée une proclamation de Souvorov aux Français, les insurgés l’étaient également à Beaumont-de-Lomagne, le 3 fructidor (20 août). Ce même jour, les insurgés concentrés en masse à Montréjeau étaient attaqués à la fois, du côté de Lannemezan, par un petit corps que l’administration centrale des Hautes-Pyrénées y avait judicieusement et rapidement réuni, et, du côté de Saint-Gaudens, par des troupes qui venaient de reprendre Saint-Martory où, quelques jours avant, les insurgés avaient obtenu un succès. Les royalistes furent complètement écrasés ; ceux qui purent échapper gagnèrent l’Espagne par Bagnères-de-Luchon et le val d’Aran. Ce fut la fin de l’insurrection dont les principaux chefs avaient été : Rougé de Paulo, Gallias, Lamothe-Vedel, Labarrère, d’Espouy, de Palaminy, de Sainte-Gemme, de Valcabrère (L’insurrection royaliste en l’an VII, par Lavigne). Quand le général Frégeville, envoyé le 26 thermidor (13 août) par le Directoire, arriva à Toulouse, tout était terminé grâce aux courageux efforts de quelques municipalités républicaines. Parmi celles qui firent preuve d’initiative intelligente et énergique, il faut citer Gimont dans le Gers, Grenade, l’Isle-en-Dodon et Saint-Béat dans la Haute-Garonne. Les femmes de certaines localités, de Marciac notamment, se montrèrent très vaillantes contre les bandits du roi et du clergé. La répression n’eut rien de rigoureux : du 26 fructidor an VII (12 septembre 1799) au 30 vendémiaire an VIII (22 octobre 1799), il fut prononcé 32 condamnations, dont 11 à mort furent exécutées dans les vingt-quatre heures.

Si ce fut là la tentative la plus grave, il y eut des troubles dans plusieurs autres parties de la France ; dans le Sud-Est, en particulier dans les Alpes-Maritimes, les Barbets, dans l’Ouest les Chouans redevinrent nombreux. Déjà, le 9 février 1798, dans une lettre écrite au moment de quitter Blankenburg, Louis XVIII donnait des instructions pour chercher à gagner le général Berthier à la cause royaliste : « un mouvement dans le Jura, le Lyonnais et les provinces méridionales lui fournirait le prétexte de marcher en apparence sur les rebelles avec la meilleure partie de son armée, mais, dans le fait, pour s’unir à eux » (Nouvelle revue rétrospective, n° du 10 février 1902, p. 121). Vers la même époque (mai 1798), les royalistes qui dirigeaient l’Institut philanthropique de Paris, notamment l’archéologue Quatremère de Quincy et Royer-Collard, un de nos plus remarquables collets montés, s’étaient assuré, dans la garde des directeurs, « des hommes de main pour frapper un grand coup » et sollicitaient un million de l’Angleterre pour « faire main basse sur les membres du Directoire », autrement dit pour les assassiner (Ch.-L. Chassin, les Pacifications de l’Ouest, t. III, p. 210) ; mais Canning et Grenville refusèrent de se rendre complices d’un pareil attentat. Enfin, pendant toute cette année 1798, Georges Cadoudal chercha d’Angleterre à provoquer une reprise d’armes générale (Idem). L’or anglais n’était pas seulement convoité par les royalistes, il l’était aussi par le roi lui-même. Louis XVIII reçoit du tsar à Mitau, outre le logement, « six cent mille francs par an. Mais cette somme ne représente qu’une partie de ce que les émigrés coûtent au Trésor russe. L’armée de Condé, les cent gardes du corps attachés à la personne du roi sont à la solde de la Russie » (Ernest Daudet, Les Bourbons et la Russie pendant la Révolution française, p. 179). Cette pension se grossit « d’un revenu de quatre-vingt-dix mille francs servi annuellement par l’Espagne, d’une autre rente que la cour de Madrid fait à la reine et dont, quand celle-ci vit près de son époux, elle lui abandonne la presque totalité » (Idem, p. 180). Malgré cela, Louis XVIII mendiait, le 8 avril 1799, un supplément à la fois auprès du tsar Paul Ier et auprès de Georges III, roi d’Angleterre. Il écrivait à ce dernier : « La générosité de Votre Majesté est trop connue, mes sujets malheureux et fidèles en ont trop ressenti les effets, je les ai trop éprouvés moi-même pour que j’hésite à y recourir de nouveau » (Idem, p. 355). D’après un royaliste du temps (Hyde de Neuville, Mémoires et souvenirs, t. I, p. 243), « le roi usait de son droit le plus légitime en recourant à l’argent de l’Angleterre pour remonter sur son trône. C’est l’emprunt que des souverains exercent entre eux, et qui ne peut frapper d’aucun impôt leur indépendance »… de cœur, doit-on ajouter, pour être exact ; il est vrai toutefois que le nationalisme du comte d’Artois consentait à dédommager les Anglais en leur livrant Cherbourg (Chassin, Idem, t. III, p. 303). Avec la même délicatesse de sentiment, les royalistes de nos jours attaquent l’Angleterre, « l’ennemie héréditaire », comme l’appelle leur chef après que lui ou les siens en ont accepté l’argent et l’hospitalité (Le Temps du 28 février 1900, 4e page).

Au moment de nos défaites, fut répandue une proclamation « aux braves royalistes de Bretagne ». Signée « Béhague », successeur, depuis le 9 mai 1798, de Puisaye, parti pour le Canada sur le refus opiniâtre du comte d’Artois de se mettre en personne à la tête d’une nouvelle insurrection royaliste, cette proclamation disait : « Déjà il [Dieu] a brisé le sceptre de fer dont ils [les soldats français] avaient frappé l’Allemagne, l’Italie, le Piémont, la Savoie, au nom de la philosophie, de la liberté et de l’égalité. Les armées triomphantes des alliés ont rendu aux peuples leur religion, leurs lois, leurs souverains légitimes, la paix et la tranquillité. Elles s’approchent de nos frontières pour nous offrir le même bonheur » (Chassin, les Pacifications de l’Ouest, t. III. p. 264). Les royalistes ont de tout temps crié : « Vive l’armée ! » Seulement, suivant les intérêts de leurs décavés toujours en quête d’une riche proie, l’armée flagornée par eux a été tantôt une armée ennemie et tantôt l’armée française. Qu’on ne vienne pas objecter à la décharge des royalistes de la fin du xviiie siècle que, pour eux, la France, la patrie, étaient là où était le roi. Cette thèse a pu être vraie à une certaine époque lointaine, elle ne l’est pas, malgré les trésors d’atténuations indulgentes qu’ont au profit de ce parti des gens si férocement impitoyables quand il s’agit de républicains, pour la période qui nous occupe ; ce sont des royalistes qui vont en fournir la preuve.

Dans l’ouvrage cité plus haut de M. Ch.-L. Chassin (t. II, p. 478) se trouve, à la date du 29 thermidor an IV (16 août 1796), une supplique d’un émigré de marque, le comte de Bourmont, demandant à rentrer, préférant « la mort sur la terre de France » à la vie à l’étranger et, en faveur de sa demande, invoquant la « patrie ». Que ce fût un sentiment affecté par hypocrisie intéressée, cela ne paraît pas douteux ; mais l’affectation même de ce sentiment en impliquait la connaissance. Un autre royaliste insurgé, nommé Duviquet, condamné à mort le 1er messidor an VI (19 juin 1798), faisant des aveux avant son exécution qui eut lieu le jour même, disait : « Je suis décidé à être utile à ma patrie » (Idem, t. III, p. 170) ; pour celui-là encore, il y avait donc autre chose que le roi. Enfin, le général commandant la place de Besançon ayant consenti, d’après une communication faite à Louis XVIII le 19 mai 1799 (Ernest Daudet, les Émigrés et la seconde coalition, p. 359), à livrer cette place à l’armée ennemie pour le compte du roi, ajoutait que, du reste, « quand il serait aussi patriote qu’il est dévoué au roi, il ne pourrait tenir que vingt-quatre heures ». En voilà encore un qui distinguait très nettement l’amour de la patrie de l’amour du roi et ne péchait pas par ignorance ou fausse conception. Ces gens-là ont été des traîtres. Sans doute, on ne doit pas reprocher aux fils les crimes des pères ; mais ce qui condamne leurs descendants, les charlatanesques exploiteurs actuellement d’un patriotisme dont ils n’ont pas reçu la tradition, c’est qu’au lieu de garder le silence, ils s’évertuent à justifier, que dis-je, à glorifier ceux qui ont fait sciemment tous leurs efforts pour livrer leur pays aux armées étrangères et en l’honneur desquels de cyniques monuments ont pu être dressés sur le sol de la France !

Tandis que les armées républicaines étaient vaincues, les royalistes exultaient, multipliaient les intrigues et les infamies ; tous les appétits grouillaient, prêts à se jeter sur la France dès qu’elle serait envahie. Louis XVIII négociait à cet effet avec les coalisés, avec Dumouriez, par l’intermédiaire duquel il semble qu’un rapprochement se soit opéré à cette époque entre lui et les d’Orléans (voir lettre du 17 août 1799, p. 277, t. II, Dubois-Crancé, par Iung), avec Pichegru, qui devait pénétrer dans l’Est, avec Willot, qui se chargeait du Midi ; faut-il ajouter avec Barras ? Je ne le pense pas, malgré l’ignominie du personnage, malgré les « lettres patentes » (Mémoires de Barras, t. III, p. 501) dont on a si souvent parlé, pièce sans date qu’avait écrite Louis XVIII lui-même à la fin de 1798, qui fut ensuite datée du 10 mai 1799, et par laquelle il promettait à Barras, si celui-ci contribuait à le mettre sur le trône, dix millions en espèces et l’oubli du passé. Il semble n’y avoir eu là qu’un projet en l’air, conçu sans l’intervention de Barras, par des agents royalistes désireux de se faire valoir et accepté sans sérieuses informations par l’entourage crédule de Louis XVIII. En tout cas, lorsque Fauche-Borel, signant « Frédéric Boully », écrivit de Wesel directement à Barras en septembre 1799, lui demandant l’envoi d’un personnage muni de ses pleins pouvoirs pour une communication importante, Barras se borna à avertir le Directoire. Un conseil royal central fonctionnait à Paris ; composé de trois membres et d’un secrétaire, d’André (voir chap. xv), qui avait voix délibérative, il était chargé « de faire aux officiers civils et militaires telles promesses qui seront nécessaires… sauf pour les emplois de cour » (p. 280, t. II, Dubois-Crancé, par Iung).

Peu à peu, sur les excitations des émigrés rentrés et des prêtres réfractaires, grâce aux formidables crédits de l’Angleterre, « l’ennemi héréditaire » et le caissier patriotiquement choyé, — d’après sa propre comptabilité, Louis de Frotté aurait reçu, de juillet 1799 à septembre, 1 494 livres sterling (37 350 fr.) ; et, de septembre 1799 au 1er août 1800, l’insurrection royaliste « aurait été subventionnée de 309 939 livres (7 748 475 fr.), dont 297 939 (7 448 475 fr.) dépensés » (Chassin, les Pacifications de l’Ouest, t. III, p. 358), — les bandes se multiplièrent et les divers rassemblements comptèrent un nombre de plus en plus grand de partisans. Cependant, ce qui faisait la gravité de la situation, c’était surtout l’insuffisance des forces qu’avait à sa disposition le remplaçant de Moulin qui fut, Kilmaine ne se rétablissant pas — il mourut le 20 frimaire an VIII (11 décembre 1799) — d’abord provisoirement Dembarrère, puis Michaud. Si, de la part des royalistes catholiques, les assassinats, les actes de dévastation et de brigandage, qui n’avaient jamais complètement cessé, étaient devenus plus étendus et plus fréquents, il n’y eut pas de faits de guerre véritable jusqu’au mois de septembre. Le 30 août, des « bases générales de conduite » (Idem) étaient arrêtées à Edimbourg, en présence du comte d’Artois, par les principaux chefs royalistes qui, à l’exception de Frotté, rentré seulement le 23 septembre, se concertèrent de nouveau en France, le 15 de ce mois, au château de la Jonchère, près de Pouancé (Maine-et-Loire), et résolurent de s’attaquer aux principales villes. Ils avaient spécialement à agir, Georges Cadoudal dans le Morbihan, d’Autichamp en Vendée, le comte de Châtillon dans l’Anjou, le comte de Bourmont dans le Maine, Louis de Frotté en Normandie.

Si ce dernier rentra plus tard que les autres, c’est qu’il avait compté sur la trahison pour susciter une insurrection en Belgique. Le général Jacques-Louis-François de Tilly, à qui était confiée la sécurité de ce territoire réuni à la France, avait consenti, sur la demande du comte de Semallé, envoyé par de Frotté, à fomenter une insurrection belge au moment où les Anglo-Russes descendraient en Hollande ; il avait seulement posé comme condition que le comte d’Artois débarquerait en Belgique. Notre vaillante altesse royale ne se pressa pas, malgré l’insistance du comte de Frotté, qui dut renoncer à son projet, Brune ayant, sur ces entrefaites, eu raison des envahisseurs (Idem p. 361-362).

Avant le soulèvement général de l’Ouest fixé, dans la réunion de la Jonchère, au 23 vendémiaire (15 octobre), il y eut quelques petites affaires qui furent les débuts de la troisième guerre des Chouans. La plupart du temps, les soldats républicains eurent l’avantage ; toutefois ils éprouvèrent des échecs, le deuxième jour complémentaire de l’an VII (18 septembre), dans la Manche, à Pontorson, et, le troisième jour complémentaire (19 septembre), dans la Loire-Inférieure, du côté d’Ancenis. Quelques jours avant, d’après un rapport du ministre de la police au Directoire sur le mois de fructidor (août-septembre)

La Liberté de la presse.
(D’après un document du Musée Carnavalet.)


(Aulard, L’état de la France en l’an VIII et en l’an IX, p. 3), les Chouans avaient « pillé le produit des manufactures de Cholet et brisé les métiers » ; ils avaient menacé, le 20 vendémiaire (12 octobre), une autre localité de l’Anjou, Chalonnes, et s’étaient fait battre. Dans le Maine, Bourmont occupa le Mans le 23 (15 octobre), à trois heures du matin ; ses hommes tuèrent, probablement par amour de l’état-major, le général Simon qui commandait dans cette ville, s’emparèrent des caisses, pillèrent un peu partout, mais renoncèrent à se maintenir dans la ville. Le 28 (20 octobre), les royalistes tentèrent de surprendre Nantes de la même façon ; mais ils durent s’enfuir sans avoir pu enlever ni armes ni argent. Dans, le Morbihan, Cadoudal chercha, le 4 brumaire (26 octobre), à prendre Vannes ; il fut repoussé. En revanche, le premier Mercier dit La Vendée — il nous était réservé de connaître le second — surprenait Saint-Brieuc le 5 (27 octobre) ; il avait déjà sous ses ordres les surnommés Justice, César et Pierrot (Chassin, les Pacifications de l’Ouest, t. III, p. 406) ; ils n’eurent pas le temps de vider les caisses, mais assassinèrent le commissaire du Directoire près l’administration municipale, Poulain-Corbion, qui refusa de crier : « vive le roi », le capitaine de gendarmerie, trois gendarmes, trois autres militaires ; on ne dit pas si ce fut au cri de : Vive l’armée ! Le 19 (10 novembre), dans l’Ille-et-Vilaine, Redon était pris et évacué après pillage. Dans le Calvados, Frotté échoua le 5 (27 octobre), à Vire. Dans les Deux-Sèvres, d’Autichamp fut mis en déroute, le 13 (4 novembre), aux Aubiers, village entre Châtillon et Argenton, à égale distance de ces deux villes. Malgré les développements de l’insurrection dans la Mayenne et en Normandie, et malgré les subsides reçus des Anglais du 1er au 5 novembre, les royalistes n’eurent pas de succès durable. Le général Hédouville, nommé le 30 vendémiaire an VII (22 octobre 1799), général en chef de l’armée d’Angleterre à la place de Michaud, entrait en fonction, le 12 brumaire (3 novembre), à Angers, sans se préoccuper de Michaud, qui était à Rennes et ne sut que le 20 (11 novembre) qu’il était remplacé (Revue historique, t. LXXVIII, p. 299 et 300). Hédouville, qui tenait du Directoire les pouvoirs qu’avait eus Hoche, venait d’entamer, non des opérations militaires, mais des négociations dans des conditions assez louches avec une royaliste, Mme Turpin de Crissé, et Frotté, Bourmont, Châtillon, d’Andigné, lorsque Bonaparte fit son coup d’État du 18 brumaire.