Histoire socialiste/Thermidor et Directoire/19

Chapitre XVIII.

Histoire socialiste
Thermidor & Directoire (1794-1799)
Chapitre XIX.

Chapitre XX.


CHAPITRE XIX

EXPÉDITION D’ÉGYPTE. — DEUXIÈME COALITION.

(Floréal an VI à nivôse an VIII — Mai 1798 à décembre 1799).

§ 1er — Égypte et Syrie.

Nous avons déjà vu (chap. x) que Bonaparte ne se considérait pas comme Français. En 1798, au moment de quitter Paris pour se rendre en Égypte, il disait encore à Fabre (de l’Aude), un de ses intimes et un de ses admirateurs (Histoire secrète du Directoire, t. III, p. 374) : « La patrie ! où est-elle ?… Entre nous soit dit, la mienne est-elle ici ou dans la Corse ? » Arrivé à Toulon (chap. xvii, § 2) le 20 floréal an VI (9 mai 1798), ce Corse irrédentiste, si cher à nos nationalistes à qui il a appris à exploiter la patrie française, parla aux soldats, au début de la nouvelle expédition, le même langage qu’en l’an IV (1796) ; « Il y a deux ans, rappelait-il, que je vins vous commander… Je vous promis de faire cesser vos misères. Je vous conduisis en Italie ; là, tout vous fut accordé… Je promets à chaque soldat qu’au retour de cette expédition, il aura à sa disposition de quoi acheter six arpents de terre ». On a depuis contesté ce texte, et en particulier cette dernière phrase, dont l’authenticité résulte incontestablement des documents fournis par M. C. de La Jonquière (l’Expédition d’Égypte, t. Ier, p. 464). Il avait désigné à son gré officiers et soldats ; à des généraux qu’il avait commandés en Italie, il joignit deux des chefs les plus populaires, Kleber et Desaix ; il ne prit, nous dit son confident Fabre (de l’Aude), « que 36.000 hommes choisis, il est vrai, parmi l’élite de l’armée d’Italie » (Histoire secrète du Directoire, t. III, p. 384) ; ce qui ne l’avait pas empêché à un autre moment, je l’ai signalé (chap. xiv), de dénigrer cette armée pour se grandir. Il emmenait avec lui des savants tels que Étienne Geoffroy Saint-Hilaire, Berthollet, Monge, Fourier. La flotte entière, composée de 15 vaisseaux de ligne, 13 frégates, 27 bâtiments légers et environ 300 transports avec 16.000 marins ou canonniers, était sous les ordres du vice-amiral Brueys. Le départ de la partie principale eut lieu de Toulon le 30 floréal (19 mai) ; elle devait recueillir en route des convois de Corse, de Gênes, de Civita-Vecchia.

Les navires français se dirigèrent vers Malte, devant laquelle ils se trouvèrent tous réunis le 21 prairial (9 juin). L’île était alors sous la domination de l’ordre religieux et militaire des chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem, habituellement désignés sous le nom de chevaliers de Malte. L’importance de l’île dans le bassin de la Méditerranée avait, pendant son séjour en Italie, attiré l’attention de Bonaparte qui, depuis lors, rêvait de s’en rendre maître et s’était ménagé certaines intelligences dans la place. Les troupes descendirent le 22 (10 juin) à terre et parvinrent rapidement devant La Valette, capitale de l’île ; le 24 (12 juin), les représentants de l’ordre capitulaient et transféraient à la République la souveraineté sur les îles de Malte et de Gozzo. Laissant à Malte le général Vaubois avec une petite garnison, Bonaparte repartit le 1er messidor (19 juin). Le 13 messidor an VI (1er juillet 1798), dans la nuit, une partie de l’armée française débarqua près d’Alexandrie dont, le

Hôtel de Sens à Paris.
(D’après une estampe du Musée Carnavalet.)


lendemain, les habitants se soumirent après quelques velléités de résistance ; le soir même, Bonaparte adressait aux Égyptiens une longue proclamation publiée en arabe, où éclatent tout son charlatanisme et toute sa fourberie. Sous la souveraineté nominale de la Turquie, l’Égypte appartenait en fait à la caste militaire des Mameluks. C’était un corps de cavalerie se recrutant surtout au moyen d’esclaves achetés en particulier dans la Turquie d’Asie ; ils étaient environ 8.000, sous les ordres d’une vingtaine de beys, dont les deux principaux étaient à notre époque Mourad et Ibrahim. Bonaparte prétendait, sans porter préjudice à la puissance du sultan, arracher l’Égypte à la tyrannie des beys ; il disait : « nous sommes amis des vrais musulmans », et ajoutait : « gloire au sultan ! gloire à l’armée française son amie ! » Mais si les Coptes et les fellahs, descendants les uns et les autres de la race indigène, — les seconds devenus musulmans s’étant, il est vrai, plus modifiés par les croisements que les premiers restés chrétiens, — et les Arabes, descendants des envahisseurs, étaient victimes des Mameluks, ils n’étaient nullement disposés à se soulever en faveur de gens dont, malgré tout, ils suspectaient les intentions, et qui purent les intimider, non les séduire ; Bonaparte en fut pour ses frais d’éloquence hypocrite.

Kleber, qui avait été blessé au moment de l’escalade de la muraille, resta à Alexandrie avec 3.000 hommes, et Bonaparte, qu’avait précédé la division Desaix, marcha, le 19 messidor (7 juillet), sur le Caire par le désert de Damanhour, dans la traversée duquel les soldats eurent beaucoup à souffrir du manque d’ombre et d’eau. Ils atteignirent enfin Ramanieh, presque en face de Damanhour, sur le Nil de Rosette, où ils furent ravitaillés par une flottille qui, chargée de vivres et de munitions, avait remonté le fleuve et devait continuer à le remonter. Après deux combats sans importance contre les Mameluks, le 22 messidor (10 juillet) à Ramanieh et le 25 (13 juillet) un peu plus loin, à Chobrakhit ou Chebreis, ils continuèrent à remonter le Nil ; le 3 thermidor (21 juillet), ils arrivèrent, non sans avoir éprouvé de rudes fatigues, près du village d’Embabeh, non loin du Caire, où Mourad s’était établi ; au loin se dressaient les Pyramides de Gizeh dont on donna le nom à la bataille du 3 thermidor. Formés en carrés, nos soldats résistèrent aux opiniâtres attaques des cavaliers turcs qu’ils assaillirent à leur tour et décimèrent ; 1 500 à 2 000 Mameluks furent tués ou se noyèrent dans le Nil. Comme ils avaient de très belles armes et des pièces d’or dans les ceintures, les soldats firent un grand butin : « L’armée commença alors à se réconcilier avec l’Égypte » (général Gourgaud, Mémoires pour servir à l’histoire de France sous Napoléon, t. II, p. 242-243). Le 4 thermidor (22 juillet), dans la soirée, les troupes entraient au Caire. Mourad s’était enfui dans la Haute Égypte où Desaix allait bientôt le poursuivre. Ibrahim battit en retraite du côté de la Syrie et s’établit vers Belbeis, à une vingtaine de kilomètres au sud de Sagasig ; Bonaparte se porta au devant de lui, et c’est à plus de cinquante kilomètres au nord-est de cette dernière ville, au delà de Salihieh, où il le battit, qu’il le fit reculer (24 thermidor-11 août). L’Égypte paraissait conquise ; triomphant, Bonaparte, en route pour rentrer au Caire (26 thermidor-13 août), apprenait le désastre naval d’Aboukir.

L’Angleterre avait naturellement connu les armements de la France en vue d’une descente sur ses côtes ; aussi avait-elle tout d’abord rappelé ses vaisseaux dans l’Océan, n’immobilisant devant Brest et Cadix que les forces suffisantes pour bloquer la flotte française et la flotte espagnole ; les navires anglais avaient disparu de la Méditerranée ; l’île d’Elbe était évacuée depuis un an (18 mars 1797). Ignorant cependant le but immédiat des préparatifs faits à Toulon, l’amiral Jerwis détacha, de Cadix, le 2 mai, Nelson chargé, avec trois vaisseaux et quatre frégates, de surveiller l’escadre française. Éloigné des côtes de Provence le 19 mai par un coup de vent, Nelson, après avoir réparé ses avaries près des côtes de Sardaigne, apprit que l’escadre française avait quitté Toulon et reçut, le 7 juin, un renfort de dix vaisseaux : le gouvernement anglais avait sollicité, le 3 avril, le secours de la marine russe et, le 22, Paul Ier répondait favorablement, promettant dix vaisseaux et cinq frégates pour protéger les côtes de la Grande-Bretagne, ce qui avait permis d’augmenter les forces anglaises de la Méditerranée. À tout hasard, Nelson, informé par un brick rencontré sur sa route du départ des Français de Malte, se dirigea vers l’Égypte ; suivant le littoral africain, il arriva, le 28 juin, à Alexandrie d’où, n’ayant rien appris sur la flotte française, il repartit le jour même dans la direction du Levant, revint sur la Crète et sur la Sicile et entra dans le port de Syracuse le 20 juillet, sans avoir pu savoir où cette flotte était passée. Le gouvernement napolitain hésita en apparence et consentit en réalité à le laisser se ravitailler ; le Moniteur du 23 juillet 1806 (p. 936) a publié un codicille du testament de Nelson où il est dit : « nous entrâmes à Syracuse, nous y trouvâmes des provisions » sans lesquelles la flotte « n’aurait pu retourner une seconde fois en Égypte ». Le 25 juillet, il quitta Syracuse, se portant vers l’Archipel ; puis, sur un renseignement fourni par des navires marchands, il retourna en hâte à Alexandrie et, le 1er août, aperçut enfin la flotte française près de cette ville.

Les trois alternatives prévues par Bonaparte pour la flotte, — qu’il tenait à garder à sa disposition, désirant rentrer en France à l’automne (de La Jonquière, t. II, p. 89) — étaient, dans l’ordre de ses préférences, l’entrée dans le port d’Alexandrie, le mouillage à Aboukir, le départ pour Corfou. Par crainte des bas-fonds d’Alexandrie, la deuxième solution l’emporta, avec l’assentiment de Bonaparte, et l’escadre atteignit, le 19 messidor (7 juillet), la rade d’Aboukir où elle occupa une position défavorable en cas d’attaque. Le 1er août même (14 thermidor), dans la soirée, Nelson engagea la bataille. Le lendemain matin, la flotte française était ou détruite ou capturée ; si Nelson fut blessé, Brueys fut tué à son poste ; incendié, le vaisseau amiral, l’Orient, sauta avec son commandant Casabianca blessé et le fils de celui-ci, brave enfant de dix ans qui refusa d’abandonner son père ; deux vaisseaux et deux frégates de l’arrière-garde, sous les ordres du contre-amiral Villeneuve, purent seuls échapper et gagner Malte. Bonaparte a essayé depuis de rejeter la responsabilité de ce désastre sur Brueys « coupable d’avoir désobéi ». Ce reproche semble tout à fait injustifié (voir de La Jonquière, t. II, p. 86-92, 321-323, 422-432).

Après avoir réparé ses avaries, Nelson partit, le 19 août, pour Naples où il arriva le 22 septembre, il laissait seulement trois vaisseaux et trois frégates pour surveiller la mer et bloquer les ports d’Égypte. La France, elle, n’avait plus de flotte dans la Méditerranée ; Bonaparte se trouvait enfermé dans sa conquête au moment où, en annonçant son entrée au Caire, le Directoire se décidait à s’expliquer officiellement sur son expédition. D’après le message lu au Conseil des Cinq-Cents, le 28 fructidor an VI (14 septembre 1798), les causes de l’expédition auraient été les « exactions extraordinaires » des beys et, en particulier, de Mourad, « soudoyés par le cabinet de Saint-James », contre les négociants français. Après avoir allégué des faits qui, même exacts, n’en étaient pas moins, en la circonstance, des prétextes hypocrites, le Directoire essayait de défendre sa conduite : « Qu’on ne dise pas qu’aucune déclaration de guerre n’a précédé cette expédition. Et à qui donc eût-elle été faite ? à la Porte ottomane ? Nous étions loin de vouloir attaquer cette ancienne alliée de la France et de lui imputer une oppression dont elle était la première victime ; au gouvernement isolé des beys ? une telle autorité n’était et ne pouvait pas être reconnue. On châtie des brigands, on ne leur déclare pas la guerre. Et aussi, en attaquant les beys, n’était-ce donc pas l’Angleterre que nous allions réellement combattre ? « Tout cela était factice, jésuitique ; la preuve en est dans la lettre adressée par Talleyrand, le 16 thermidor (3 août) précédent, à notre chargé d’affaires à Constantinople (Herbette, Une ambassade turque sous le Directoire, p. 237), et dans laquelle notre ministre ne se faisait guère d’illusions sur les sentiments que pouvait éprouver la Porte dupée à notre égard. Mais le procédé a paru bon depuis aux gouvernants d’humeur conquérante, n’admettant que pour les autres le respect des règles constitutionnelles, engageant leur nation dans une guerre sans la consulter, soucieux seulement de rendre inévitable le conflit qu’ils recherchent sans oser l’avouer. Dans ces conditions, les « brigands », les « exactions », les incidents, ne font jamais défaut ; leur réalité, leur gravité importent peu, quand il y a volonté préconçue de conquête, ou d’impérialisme, suivant l’expression du jour.

Bonaparte avait caressé l’espoir d’amener le sultan à consentir à l’occupation de l’Égypte par la France, soit sous forme de protectorat, comme nous dirions aujourd’hui, soit même sous forme de cession ; et c’est par Talleyrand qu’il aurait voulu voir remplir cette mission à Constantinople, tandis que Kodrikas à Paris (début du chap. xvi) agirait sur l’envoyé du sultan. Malgré la défaite d’Aboukir, il mit du temps à renoncer à ce rêve et, en attendant les événements, s’appliqua à compléter l’organisation provisoire déjà entamée du pays.

Le 5 fructidor an VI (22 août 1798), il fondait l’Institut d’Égypte, composé de 48 membres divisés en quatre sections. Savants et artistes attachés à l’expédition étudiaient la contrée — qui, dans l’état actuel de nos connaissances des premiers âges de l’humanité, resterait le centre le plus ancien d’une réelle civilisation, alors même que sa culture serait d’origine asiatique, — explorant le pays, « dressant, comme l’a écrit M. Maspéro dans sa si intéressante petite Histoire de l’Orient (p. 68), la carte, levant le plan des ruines, copiant les bas-reliefs et les inscriptions ; le tout forma plus tard cette admirable Description de l’Égypte, qui n’a pas encore été surpassée ni même égalée ». En fructidor an VII (août 1799), un officier du génie, Bouchard, trouva près de Rosette un bloc de pierre, aujourd’hui au British Museum (Description de l’Égypte, mémoires, t. II, p. 143, et Atlas, t. V, planches 52, 53, 54, qui donnent la reproduction des trois parties en grandeur naturelle),

Bataille des Pyramides.
(Image d’Épinal de l’époque au Musée Carnavalet.)


portant un texte gravé en trois écritures, l’écriture hiéroglyphique, composée de signes représentant des hommes, des animaux, des objets matériels, — l’écriture démotique, écriture cursive, représentant d’une façon très abrégée les signes hiéroglyphiques, — et l’écriture grecque. On avait ainsi la traduction authentique en une langue connue, la langue grecque, d’un texte égyptien, malheureusement incomplet, sous deux formes dont on devait plus tard réussir, grâce à cette circonstance, à opérer le déchiffrement. On étudia le tracé de l’ancien canal qui avait indirectement uni la mer Rouge à la Méditerranée ; mais, par suite d’erreur dans les calculs, ce ne fut pas un canal direct entre les deux mers qu’on projeta, ce fut un canal allant de Suez au Caire, qui n’aurait pu servir de mer à mer que pendant les hautes eaux du Nil. Sur l’initiative de Larrey, chirurgien en chef, et de Desgenettes, médecin en chef, des mesures d’hygiène étaient prises ; un « bureau de santé et de salubrité », pour essayer d’arrêter la propagation des maladies contagieuses rapportées tous les ans de la Mecque, fut institué au Caire le 9 vendémiaire an VII (30 septembre 1798). Quelques jours avant, avait été fêté solennellement le premier jour de l’an républicain (1er vendémiaire an VII-22 septembre 1798), et, dans son n° 8, le Courrier de l’Égypte, journal créé par Bonaparte, nous apprend qu’à cette occasion, celui-ci porta un toast « à l’an 300 de la République française » !

Une escadre portugaise composée de six navires rejoignit devant Alexandrie, le 12 fructidor an VI (29 août 1798), l’escadre laissée par les Anglais pour bloquer cette ville ; mais elle reprit bientôt le large ; une tentative pour approcher d’Aboukir échoua le 14 (31 août). Certaines mesures administratives et financières de Bonaparte, les exactions des militaires (de La Jonquière, t. II, p. 559 et suiv.), les manœuvres des agents des Mameluks, et les nouvelles de Constantinople soulevèrent en différents endroits la population musulmane. La Turquie, nous le verrons tout à l’heure, avait officiellement déclaré la guerre à la France, le 9 septembre 1798 et, le 28 vendémiaire (19 octobre), deux frégates turques, renforcées le surlendemain par une quinzaine de navires, dont deux russes, apparurent devant Alexandrie ; mais les attaques tentées, le 3 brumaire (24 octobre) et les jours suivants, du côté d’Aboukir n’eurent pas de succès. La plus grave de ces insurrections éclata, le 30 vendémiaire an VII (21 octobre 1798), au Caire, dont le commandant militaire, le général Dupuy — l’ancien chef de la célèbre 32e demi-brigade — fut tué. Bonaparte eut vite raison de la révolte qu’il réprima rigoureusement ; 4 000 insurgés environ périrent.

Dans la partie orientale de la Basse Égypte, après la défaite d’Ibrahim à Salihieh, le général Dugua, qui commandait à Mansourah, avait mission d’établir une possibilité de communication entre Mansourah et Belbeis, Mansourah et Salihieh, de réprimer les tentatives de rébellion et de détruire les bandes arabes qui circulaient entre le Caire et Damiette, ce qui occasionna quelques petits combats en fructidor an VI et vendémiaire an VII (août, septembre et octobre 1798). Le 17 frimaire (7 décembre), Suez était occupé. Bonaparte partit du Caire le 4 nivôse (24 décembre), séjourna à Suez ou aux environs, du 6 au 10 (26 au 30 décembre), et c’est à ce moment que furent reconnues les traces de l’ancien canal ; le 17 nivôse an VII (6 janvier 1799), il rentrait au Caire. En somme, sauf quelques émeutes de villages et des opérations peu importantes, l’hiver se passa assez tranquillement dans la Basse Égypte.

Dans la Haute Égypte, Desaix, chargé de la poursuite de Mourad, quittait, le 8 fructidor an VI (25 août 1798), sa position en avant de Gizeh et remontait le Nil ; il était, le 29 (15 septembre), à Siout ou Assiout. Des pointes poussées à la recherche des Mameluks ayant été rendues inutiles par la mobilité de l’ennemi, Desaix reprit la direction du nord. Le 12 vendémiaire an VII (3 octobre 1798), il rencontra enfin les Mameluks ; de petites escarmouches préludèrent à la bataille du 16 (7 octobre) : Mourad fut complètement défait ce jour-là à Sediman, à 25 kilomètres environ au sud de Medinet el-Fayoum, chef-lieu de la province, où Desaix arrivait le 22 (13 octobre). Informé que les Mameluks comptaient se rassembler dans les parages de Siout, Desaix, parti de Medinet le 30 brumaire (20 novembre), était le surlendemain à Beni-Souef, où il commença à organiser une nouvelle expédition. Du 11 au 19 frimaire (1er au 9 décembre), il s’absentait pour aller au Caire hâter l’envoi de la cavalerie nécessaire et, le 26 (16 décembre), il se mettait en route. Le 9 nivôse (29 décembre), il se trouvait, sans avoir pu prendre contact avec les Mameluks, à Girgeh, où il dut attendre jusqu’au 30 (19 janvier 1799) l’arrivée de la flottille qui remontait le Nil. Il quitta Girgeh le 2 pluviôse (21 janvier) et, après un combat heureux, le lendemain, à une vingtaine de kilomètres au sud de cette ville, à Samhoud, il continua sa marche sur la rive gauche du fleuve. L’avant-garde parvint, le 13 pluviôse 1er février), à Assouan ou Syène ; les Mameluks en étaient sortis la veille. Desaix y laissa Belliard et redescendit le Nil jusqu’à Esneh.

Le 2 ventôse an VII (20 février 1799), Belliard se rendait dans l’île de Philae, en amont de la première cataracte ; mais, apprenant que Mourad se proposait de retourner par le désert vers Girgeh ou vers Siout, il évacua Assouan dans la nuit du 6 au 7 ventôse (24 au 25 février), et atteignit Esneh le 10 (28 février) ; il n’avait malheureusement pu aller aussi vite qu’il l’aurait voulu et les Mameluks le précédaient.

De retour à Esneh, Desaix avait pris des dispositions contre des bandes arabes qui s’étaient montrées aux environs de Keneh et une attaque de celles-ci était repoussée le 25 pluviôse (13 février) ; il s’établit ensuite à Kous, entre Louqsor et Keneh, d’où, se substituant à Belliard, chargé par lui de la surveillance de la région, il partit, le 12 ventôse (2 mars), à la poursuite des Mameluks en se dirigeant vers Siout, où il était, le 18 (8 mars) ; sur le point d’être atteint, Mourad se rejeta dans le désert et Desaix rentrait à Keneh le 7 germinal (27 mars).

La flottille que Desaix avait laissée en arrière en s’éloignant de Kous était, le 13 ventôse (3 mars), attaquée et détruite par les Arabes que, le 13 germinal (2 avril), Desaix battait à une douzaine de kilomètres au sud de Keneh ; et, comme ils se ravitaillaient par Kosseïr, port sur la mer Rouge, il invita Belliard à préparer une expédition de ce côté. Après avoir envoyé un détachement disperser au sud d’Assouan des Mameluks revenus sur ce point, celui-ci, parti de Keneh le 7 prairial (26 mai), entrait, le 10 (29 mai), à Kosséïr sans résistance ; il y installa le général Donzelot et, le 16 prairial (4 juin), il avait regagné Keneh. La conquête de la Haute Égypte était achevée.

Averti qu’une armée turque s’avançait vers l’Égypte par la Syrie, Bonaparte se disposa, à la fin de pluviôse an VII (premiers jours de février 1799), à aller au-devant d’elle avec 13 000 hommes formant quatre divisions d’infanterie sous les ordres de Kleber, Reynier, Bon et Lannes, et une de cavalerie commandée par Murat. Il rejoignait, le 29 (17 février), son avant-garde qui, commandée par Kleber, était, après une marche pénible à travers le désert, parvenue, le 24 (12 février), sur la frontière de Syrie, à El Arich dont, depuis deux jours, le général Reynier tenait la garnison bloquée dans la citadelle. Des troupes turques ayant essayé de la secourir furent mises en déroute le 27 (15 février), et le fort bombardé capitula le 3 ventôse (21 février). Bonaparte laissa la garnison en liberté sur le serment de ne plus servir contre les Français ; le 6 (24 février), il entrait en Palestine, prenait, le lendemain. Gaza après une faible résistance, occupait ensuite Ramleh (11 ventôse-1er mars) et trouvait dans ces deux villes d’énormes approvisionnements. Le 14 (4 mars), commençaient les préparatifs pour le siège de Jaffa ; le 17 (7 mars), la ville était emportée d’assaut et la population égorgée ; la tuerie fut horrible, 2 000 hommes périrent ; 3 000 autres environ (Revue d’histoire rédigée à l’état-major de l’armée, n° de novembre 1903, p. 312, d’après G. de La Jonquière) déposèrent les armes et, sur l’ordre formel de Bonaparte, eut lieu l’odieux massacre de 2 500 environ d’entre eux (Idem, p. 317) fusillés les 18, 19 et 20 ventôse (8, 9 et 10 mars) sous prétexte qu’il y avait en grand nombre dans leurs rangs des soldats d’El Arich qui avaient violé leur serment, en réalité pour se débarrasser de prisonniers trop nombreux : « Il ne pouvait y avoir plus de 400 à 500 soldats d’El Arich sur les 2 400 à 2 500 prisonniers qui furent passés par les armes » (Idem, p. 316, note). Après quelques jours de repos, on marcha (24 ventôse-14 mars) sur Saint-Jean-d’Acre ou Akka, l’ancienne Ptolémaïs, la place la plus importante de la Syrie, devant laquelle Bonaparte se trouvait le 28 (18 mars). Mais, le 24 (14 mars), le commandant de la garnison turque, Djezzar-Pacha, avait vu arriver, pour lui prêter un précieux appui, le commodore Sidney Smith — celui qui, le 18 décembre 1793, avait incendié l’arsenal et la flotte de Toulon — à la tête de deux vaisseaux de ligne et d’une frégate, avec lesquels il allait contribuer à ravitailler les assiégés en hommes et en munitions.

Sidney Smith, monté sur le Diamond, s’était, le 29 germinal an IV (18 avril 1796), en rade du Havre, emparé d’un navire français, le Vengeur ; mais le vent et la marée le poussèrent malgré lui en Seine où il fut pris avec le lieutenant anglais Wright et l’émigré français de Tromelin qu’il fit passer pour son domestique. Les trois prisonniers ayant été bientôt envoyés à Paris furent, après un court séjour à l’Abbaye, enfermés, le 15 messidor (3 juillet), au Temple. Tromelin, dont on finit par se méfier simplement comme serviteur pouvant favoriser l’évasion de son maître, fut expulsé et embarqué, le 4 thermidor an V (22 juillet 1797), pour l’Angleterre. Il en revint secrètement et, avec l’aide de certains royalistes, notamment Le Picard de Phelyppeaux, un complot fut organisé ; un faux ordre de transfert présenté par deux faux officiers leur livra, le 5 floréal an VI (24 avril 1798), les deux prisonniers anglais qui réussirent à gagner Londres. Phelyppeaux était un ancien condisciple de Bonaparte à l’École Militaire ; ayant patriotiquement accepté l’uniforme et les gros appointements de colonel du génie anglais, il avait accompagné devant Acre, avec son ami de Tromelin, le Commodore Sidney Smith ; et ces royalistes, ces catholiques, aussi bons serviteurs de la patrie française que leurs coreligionnaires, allaient diriger les travaux de la défense contre l’armée française au profit de l’Angleterre ; M. de Tromelin, d’ailleurs, dont le patriotisme et le royalisme s’adaptaient complaisamment à ses intérêts, devait plus tard, sur sa demande, être nommé par Bonaparte, devenu empereur, capitaine et puis général ; quant à Phelyppeaux, il mourut d’un coup de soleil, le 1er mai, avant la levée du siège d’Acre.

Les opérations du siège commençaient le 30 ventôse (20 mars) avec de petits canons, la grosse artillerie transportée de Damiette par mer ayant été capturée l’avant-veille par les Anglais. Un assaut tenté le 8 germinal (28 mars) échoua. On apprit, en outre, par le fils d’un cheik ami, l’approche de deux corps turcs venant l’un de la région de Naplouse et l’autre de Damas. Bonaparte expédia dans ces deux directions Murat et Junot à la tête chacun d’une petite colonne. Celle de Murat atteignit d’abord Safed, puis poussa jusqu’au pont d’Yakoub, sur le Jourdain, un peu au sud du lac de Houleh ; mais, l’ennemi restant très éloigné, elle revint sur ses pas et, le 15 germinal (4 avril), était de retour devant Saint-Jean-d’Acre. Celle de Junot, après avoir été bien accueillie à Nazareth et s’être avancée vers le lac de Tibériade (l’ancienne mer de Galilée), eut à lutter, le 19 germinal (8 avril), à Loubia, village à l’ouest du lac, contre des forces très supérieures en nombre ; elle parvint cependant à résister et à regagner Nazareth dont le nom allait être donné au combat qu’elle venait de soutenir : « Cette désignation quelque peu arbitraire paraît avoir été choisie par Bonaparte pour frapper les imaginations »(Revue d’histoire rédigée à l’état-major de l’armée, n° de janvier 1904, p. 64, note, étude de C. de La Jonquière).

Bonaparte ordonna le lendemain (20 germinal-9 avril) à Kleber de se porter au secours de Junot. L’avant-garde était le soir même à Nazareth, où Kleber arriva le lendemain. Le 22 (11 avril), il se porta au-devant de l’ennemi installé à Chagarah, position entre le lac de Tibériade et Gana qui est un village au nord-est peu éloigné de Nazareth ; il le repoussa vers le Jourdain et revint à Nazareth et à Safoureh, localité au nord-ouest de la première. Par charlatanisme comme tout à l’heure, « par un motif semblable à celui qui avait fait préférer Nazareth à Loubia, Bonaparte dénomma l’affaire du 11 avril : combat de Cana » (Idem, p. 73, note).

Informé à ce moment que la cavalerie ennemie avait passé le pont d’Yakoub et menaçait Safed, Bonaparte renvoya de ce côté Murat qui, parti de Saint-Jean-d’Acre dans la nuit du 24 au 25 germinal (13 au 14 avril), dégageait, le 26 (15 avril), Safed, rejetait l’ennemi au delà du Jourdain et entrait, le 28 (17 avril), à Tabariyeh ou Tibériade, vers le milieu de la rive occidentale du lac de ce nom, où il trouvait de grands approvisionnements. Pendant ce temps, des rassemblements ennemis se formant au sud de Nazareth, Kleber, qui avait reçu des renforts à Safoureh, résolut de les disperser et Bonaparte, prévenu de la grande supériorité numérique de l’ennemi, se décida, le 26 (15 avril), à aller lui-même l’appuyer. Le 27 (16 avril), en débouchant en vue de la plaine d’Esdraelon, à l’ouest du mont Tabor, il aperçut la division Kleber formée en deux carrés aux prises avec les Turcs ; il prit ses dispositions pour opérer un mouvement tournant à la suite duquel l’ennemi, abandonnant son camp, dut s’enfuir en désordre ayant éprouvé d’énormes pertes. Après cette victoire, dite du mont Tabor, Kleber fut laissé en observation sur le Jourdain et Bonaparte était de retour devant Saint-Jean-d’Acre dans la soirée du 28 germinal-17 avril (Idem, p. 101).

La veille (27 germinal-16 avril), avait eu lieu l’arrivée dans le port de Jaffa de la petite division du contre-amiral Perrée apportant d’Alexandrie un matériel de siège et des munitions devenus indispensables. Sans tarder, Perrée commença une croisière afin d’essayer de capturer des vaisseaux marchands anglais ; mais, bientôt réduit, pour échapper à Sidney Smith, à faire voile vers l’Europe, il devait être, le 30 prairial (18 juin), pris avec toute sa division par l’escadre anglaise de Keith, à une vingtaine de lieues de Toulon.

L’armée turque dispersée, ainsi que nous venons de l’indiquer, Bonaparte s’obstina à poursuivre le siège d’Acre ; contre toute évidence, par orgueil, il ne voulut pas renoncer à avoir raison d’un ennemi qui réparait aisément ses pertes, avec une armée que, sans espoir de renforts, il voyait diminuer tous les jours. Les assauts du 12 germinal (1er avril) et du 20 (9 avril) coûtèrent inutilement beaucoup de sang. Pendant le dernier, le général Caffarelli (du Falga), commandant du génie, eut dans la tranchée le coude gauche fracassé et, à la suite de l’amputation, il mourut le 8 floréal (27 avril). Il avait eu, environ quatre années avant, la jambe gauche emportée par un boulet. C’était un républicain à tendances socialistes qui, admirablement conscient du problème social, disait, dans une discussion sur le navire qui le transportait en Égypte : « Ne pourrait-on pas régler le droit de propriété, puisque propriété il y a, de manière à ce que tous les membres de la société fussent appelés à en jouir, je ne dis pas éventuellement, fortuitement, mais certainement, mais infailliblement » (Arnault, Souvenirs d’un sexagénaire, t. IV, p. 111).

Après deux nouveaux assauts (18 et 21 floréal-7 et 10 mai) infructueux malgré l’héroïsme des soldats qui, les deux fois, pénétrèrent dans la place, la nouvelle, d’une part, du prochain embarquement à Rhodes d’une armée turque de 18 000 hommes destinée à l’Égypte ; d’autre part, d’un soulèvement dans la Basse Égypte, triompha de son orgueilleuse et folle obstination ; il se résolut, le 28 (17 mai), à lever le siège. Plus tard, songeant à son rêve de domination orientale ou d’empire méditerranéen, il devait répéter souvent (voir notamment le Mémorial de Sainte-Hélène, à la date des 30 et 31 mars 1816) qu’il avait manqué sa fortune à Saint-Jean-d’Acre. Au même moment, Tippoo-Sahib sur le concours duquel il avait compté pour son œuvre chimérique, était vaincu et tué par les Anglais (4 mai 1799) à Seringapatam, à une quinzaine de kilomètres au nord de Maïsour.

Dans la nuit du 1er prairial (20 mai), Bonaparte reprit la route de Jaffa, où il arriva le 5 (24 mai). La peste qui avait débuté pendant le premier séjour à Jaffa — « les Pères de la Terre Sainte s’enfermèrent et ne voulurent plus communiquer avec les malades » (Désiré Lacroix, Bonaparte en Égypte, p. 278) — faisait de terribles ravages, le moral des troupes était très abattu. Desgenettes chercha, pour rassurer les soldats, à cacher la nature de la maladie et à en nier la contagion ; mais il ne s’inocula pas le mal, ainsi que le prétend une légende que, par la suite, il a laissé s’accréditer (Histoire médicale de l’armée d’Orient, p. 87) ; seulement, d’après Larrey (Dominique Larrey et les campagnes de la Révolution et de l’Empire, par M. Paul Triaire, p. 249, note), « il en a fait le simulacre en essuyant une lancette imprégnée de pus sur son bras ». Dans son Histoire que je viens de citer, Desgenettes raconte (p. 245) que, le 27 floréal (16 mai), Bonaparte le fit appeler et l’engagea à terminer les souffrances des pestiférés « en leur donnant de l’opium » ; il refusa et il ajoute (p. 246) qu’à sa connaissance ce n’est qu’au retour à Jaffa « que je puisse attester que l’on donna à des pestiférés, au nombre de 25 à 30, une forte dose de laudanum ». Larrey (Paul Triaire, Idem, p. 257) a sur ce point écrit : « Le récit de Desgenettes, confirmé par Napoléon, est exact. Bonaparte lui proposa réellement d’empoisonner les malades qu’il laisserait à Jaffa ».

L’armée quitta Jaffa le 9 prairial (28 mai), et l’arrière-garde avec Kleber le lendemain. Pendant la retraite, Bonaparte dévasta systématiquement le pays parcouru, afin d’entraver toute poursuite. Après de grandes fatigues on campa à El Arich le 14 (2 juin) et, le 26 (14 juin), Bonaparte rentrait au Caire. Aux petites révoltes de villages, s’était ajouté, pendant son absence, un soulèvement fomenté par un imposteur qui, en se donnant pour « madhi », c’est-à-dire pour un envoyé de Dieu, avait fanatisé quelques milliers d’Arabes et surpris Damanhour le 6 floréal (25 avril) ; mais cette ville avait été reprise le 21 (10 mai), et le madhi vaincu et mortellement blessé le 1er prairial (20 mai).

La flotte anglo-turque, portant l’armée organisée à Rhodes, fut aperçue dès le 23 messidor (11 juillet), et Marmont ne put empêcher le débarquement d’avoir lieu, le 26 (14 juillet), dans la presqu’île d’Aboukir ; le village, le 27 (15 juillet), et le fort, le 29 (17 juillet), tombèrent au pouvoir des Turcs ; ils s’y fortifièrent en attendant l’arrivée de Mourad qui, de l’intérieur, devait marcher à leur rencontre ; celui-ci s’était, vers le 22 (10 juillet), avancé jusqu’au lac Natron ; mais il se fit battre par Murat, ce qui empêcha cette jonction. Le 7 thermidor (25 juillet), Bonaparte, ayant réuni ses forces, attaqua les Turcs. Cette bataille d’Aboukir sur terre eut une issue plus heureuse que celle du même nom sur mer : l’armée turque fut écrasée et son général, Mustapha, fait prisonnier ; plus de 2 000 hommes, réfugiés dans le fort d’Aboukir, durent se rendre le 15 (2 août). C’est après sa si complète victoire du 7 thermidor (23 juillet 1799), après le 15 (2 août), précise l’ouvrage déjà cité du général Bertrand (t. II, p. 141), que Bonaparte, ayant envoyé un parlementaire à bord de la flotte anglaise pour traiter de l’échange de prisonniers, reçut de Sidney Smith un paquet de journaux anglais et francfortois allant jusqu’au 22 prairial (10 juin).

Ici se pose la question de savoir si Bonaparte, pendant son séjour en Égypte, fut suffisamment informé des affaires de France.

M. Boulay de la Meurthe, dans son ouvrage Le Directoire et l’expédition d’Égypte, a très consciencieusement cherché à établir la liste des courriers expédiés et parvenus à destination de part et d’autre. De son exposé, il ressort que Bonaparte a eu par le courrier Lesimple, arrivé au Caire le 23 fructidor an VI-9 septembre 1798 (p. 225), des nouvelles allant jusqu’au commencement de thermidor (fin de juillet) ; que les communications ont été possibles jusqu’au milieu de pluviôse an VII (fin de janvier 1799) par Tunis et Tripoli (p. 232) ; que, le 7 pluviôse (26 janvier), parvenait à Alexandrie un bateau ragusais ayant à son bord deux Français porteurs de journaux du 11 brumaire (1er novembre) pris en passant à Ancône ; ces deux Français, Hamelin et Livron, causèrent avec Bonaparte, le 20 pluviôse (8 février), avant son départ pour la Syrie (p. 229) ; que, le 5 germinal (25 mars), Bonaparte recevait devant Saint-Jean-d’Acre les nouvelles apportées par un nommé Mourveau parti de Paris le 10 nivôse (30 décembre) et qui, le 7 pluviôse (26 janvier), en s’embarquant à Gênes, avait reçu de notre consul Belleville des « instructions et plusieurs caisses de journaux » (p. 233). Bonaparte, dans les premiers jours de germinal an VII (fin de mars 1799), connaissait donc ce qui s’était passé en Europe jusque vers la fin de nivôse (milieu de janvier). Nous avons vu qu’au milieu de thermidor (début d’août), il avait été renseigné par les journaux de Sidney Smith jusqu’au 22 prairial (10 juin) ; enfin, le 19 thermidor an VII (6 août 1799), abordait à Alexandrie un autre bateau ragusais, le San Nicolo, et, dit M. Boulay de la Meurthe (p. 229) : « les nouvelles qu’il put donner étaient sans intérêt au prix des journaux remis quelques jours avant par S. Smith ».

Mameluk au combat.
D’après Carle Vernet (Bibliothèque Nationale).


C’est possible ; mais le contraire est possible également, dès l’instant qu’on ne peut pas préciser la nature de ces nouvelles.

En outre, dans le tome III de son ouvrage (p. 393), M. de La Jonquière signale, d’après le numéro 17 du Courrier de l’Égypte, daté du 30 brumaire an VII (20 novembre 1798), l’arrivée, dans les derniers jours de brumaire (milieu de novembre), de nouvelles d’Europe allant jusqu’au milieu de fructidor (fin d’août) : « M. Boulay de la Meurthe, dit-il, n’en fait pas mention dans son étude si complète ». L’importance de cette constatation est grande, à mon sens, non à cause de la réception même de ces nouvelles, mais parce que, le lendemain du jour où avait paru le numéro 17 du Courrier de l’Égypte qui ne permet pas de nier leur arrivée, Bonaparte écrivait (1er frimaire an VII-21 novembre 1798) au Directoire qu’il n’avait « aucune nouvelle de l’Europe depuis Lesimple, c’est-à-dire depuis le 18 messidor. Cela fait quatre à cinq mois » (Correspondance de Napoléon Ier, t. V, p. 195). Ce disant, Bonaparte mentait et, s’il mentait aussi effrontément, c’est que les nouvelles par lui communiquées en ce mois de brumaire (novembre) à son journal lui venaient d’une source ou par une voie qu’il ne tenait pas à faire connaître au Directoire. Or, ce qui s’est produit là une fois, d’une façon indéniable, a pu se reproduire sans qu’il nous soit possible aujourd’hui de le constater.

Alors que ce n’est qu’après le 7 thermidor, date de la bataille d’Aboukir, que Bonaparte eut les journaux de Sidney Smith, Jacques Miot, dans des Mémoires pour servir à l’histoire des expéditions en Égypte et en Syrie, publiés en l’an XII-1804, a écrit (p. 258) : « Le 6 thermidor… dans la nuit, Bonaparte fit appeler le général Murat ; ils s’entretinrent du combat qui devait se donner le lendemain et, dans cette conversation, Bonaparte s’écria : « Cette bataille va décider du sort du monde ». Le général Murat, étonné…, etc. » Et Miot ajoute un peu plus loin (p. 258-259) : « Il est évident, d’après cette anecdote, que le général en chef songeait déjà à son départ. Il avait sans doute reçu des lettres qui lui faisaient sentir la nécessité de son retour en France ». L’impossibilité de recevoir des lettres de France n’existait donc pas pour Miot.

Quoi qu’il en soit, aussitôt tout au moins après la lecture des journaux de Sidney Smith, Bonaparte qui avait, dès son départ de Syrie, résolu de rentrer le plus tôt possible en France — ce que confirment le Moniteur du 26 vendémiaire an VIII (18 octobre 1799) disant : « il en prit la résolution devant Acre », le général Bertrand (t. II, p. 103), et un « ordre secret » mentionné par M. Boulay de la Meurthe (p. 211) — mais qui tenait à y reparaître avec l’éclat de la victoire, manifesta sa volonté de partir en toute hâte à son chef d’état-major, Berthier, à son ancien condisciple, alors son secrétaire, Bourrienne, et à Ganteaume chargé d’apprêter rapidement et secrètement les navires nécessaires. Il écrivit le 5 fructidor (22 août) à Kleber de se trouver le 7 (24 août) à Rosette où il avait, disait-il, des communications urgentes à lui faire. Sans l’attendre, se bornant à laisser à celui qu’il chargeait du commandement de l’armée des instructions écrites, il s’embarquait en cachette et quittait l’Égypte, dans la matinée du 6 (23 août), amenant avec lui Berthier, Lannes, Murat, Marmont, Monge, Berthollet et quelques autres, décidé à se mettre « à la tête du gouvernement » (général Bertrand, t. II, p. 172).

Dans ses instructions à Kleber, il a écrit : « J’abandonne, avec le plus grand regret, l’Égypte. L’intérêt de la patrie, sa gloire, l’obéissance, les événements extraordinaires qui viennent de s’y passer, me décident seuls ». (Correspondance de Napoléon Ier, t. V, p. 738). Que signifierait ce mot « obéissance », si Bonaparte n’avait rien reçu en dehors des journaux de Sidney Smith ? Ce mot à lui seul me paraît prouver que Bonaparte eut connaissance, directement ou indirectement, par le San Nicolo ou par une autre voie, de la décision du Directoire de le rappeler en France, décision formulée par celui-ci dans une lettre du 7 prairial an VII (26 mai 1799) adressée à Bruix, et dont nous savons aujourd’hui que les frères de Bonaparte eurent vent à la fin de mai (Boulay de la Meurthe, p. 128). Ce qui confirme l’opinion que Bonaparte fut, avant son départ, particulièrement renseigné sur les affaires de France, c’est le mot dit par lui, en 1803, à Mme de Rémusat et rapporté par celle-ci dans ses Mémoires (t. I, p. 274) : « Je reçus des lettres de France ; je vis qu’il n’y avait pas un instant à perdre ». Et dans quel état laissait-il l’Égypte, c’est ce que va nous apprendre le rapport de Kleber adressé le 4 vendémiaire an VIII (26 septembre 1799) au Directoire, mais malheureusement saisi par les Anglais qui le gardèrent pendant quatre mois, afin de ne pas nuire à Bonaparte, parce qu’ils pensaient qu’il allait rétablir les Bourbons. Déçus dans cet espoir, ils livrèrent le rapport ; c’était alors trop tard pour qu’il eût un effet utile. L’armée, écrivait Kleber, « est réduite de moitié… Le dénûment d’armes, de poudre de guerre, de fer coulé et de plomb présente un tableau aussi alarmant… Les troupes sont nues… Bonaparte, à son départ, n’a pas laissé un sou en caisse, ni aucun objet équivalent. Il a laissé, au contraire, un arriéré de près de douze millions » (Mémoires de Bourrienne, édition D. Lacroix, t. II, p. 210).

§ 2. — Sur mer.

Nous avons dit (chap. xvi § 1er) que les Anglais réprimèrent avec cruauté les velléités d’indépendance de l’Irlande. Aussi une nouvelle insurrection fut complotée et on comptait sur le Directoire pour la soutenir ; mais ce fut après que Bonaparte eût fait renoncer à la descente projetée en Angleterre, au moment où la désorganisation de l’armée et de la flotte par l’expédition d’Égypte et le manque de fonds rendaient plus difficiles les préparatifs de la France, que la révolte provoquée, peut-on dire, par des rigueurs systématiques, éclata en Irlande (23 mai) sans cohésion suffisante ; elle y était facilement étouffée et les dernières bandes insurgées étaient anéanties le 14 juillet 1798. Pour répondre à l’appel, daté du 16 juin (Desbrière, Projets et tentatives de débarquement aux Îles britanniques, t. II, p. 40), des Irlandais insurgés, le Directoire se décida à organiser de petites expéditions à Brest, Rochefort, Dunkerque et au Texel. La première expédition prête, celle de Rochefort, ne partit que le 19 thermidor (6 août) avec 1 019 soldats montés sur trois frégates et commandés par le général Humbert. Cette poignée d’hommes débarquait, le 5 fructidor (22 août), dans la baie de Killala, au nord-ouest de l’Irlande, occupait le lendemain Ballina et, s’avançant témérairement dans un pays pacifié, faisait fuir 6 000 hommes des milices à Castlebar (10 fructidor-27 août) où Humbert proclamait la République irlandaise. Le 18 (4 septembre), il quittait Castlebar avec l’intention, pour dérouter l’ennemi, de marcher d’abord vers le nord dans la direction de Sligo et de se porter ensuite vers l’est du côté de Dublin ; il battit les miliciens non loin de Collooney le 19 (5 septembre) ; puis, après avoir pendant quelques heures continué sa route vers le nord-est, il tournait brusquement à droite, traversait, le 21 (7 septembre), le Shannon au sud du lac Allen et ne tardait pas à être attaqué par 15 000 hommes à l’est de ce lac, à Ballinamuck, bourg situé à une vingtaine de kilomètres au nord de Longford (22 fructidor-8 septembre). Obligé de capituler, il était conduit avec ses compagnons à Dublin ; ils furent bien traités et échangés bientôt après : Humbert rentra en France le 5 brumaire (26 octobre). L’expédition de Brest ne parvint à sortir que le 30 fructidor (16 septembre) ; mais, assaillie le 20 vendémiaire (11 octobre) dans la baie de Donegal par la flotte de Warren, le vaisseau le Hoche et six frégates sur huit furent capturés, certaines d’entre elles, comme la Loire du vaillant capitaine Segond, après avoir soutenu plusieurs combats ; les deux qui échappèrent eurent aussi à lutter ; c’est sur l’une d’elles que le général Ménage fut blessé à mort (29 vendémiaire-20 octobre). Parmi les prisonniers se trouvèrent le chef de division Bompart, le général Hardy, l’adjudant-général Smith, autrement dit l’Irlandais Wolf Tone qui, pour échapper à la pendaison, se coupa la gorge avec un petit canif le 12 novembre ; il mourut sept jours après. Ce désastre fit renoncer à une expédition plus importante qu’on préparait à Brest. Un brick quitta Dunkerque le 18 fructidor (4 septembre), aborda en Irlande le 30 (16 septembre) et, à la nouvelle de la capitulation d’Humbert, se réfugia en Norvège. Les trois frégates qui, sous les ordres de Savary, avaient transporté l’expédition d’Humbert, étaient rentrées en France le 23 fructidor (9 septembre) ; reparties de La Rochelle le 21 vendémiaire (12 octobre), elles purent, après avoir atterri à Killala le 6 brumaire (27 octobre), regagner la France. Les deux frégates sorties, le 3 brumaire an VII (24 octobre 1798), du Texel, se firent prendre presque aussitôt et ainsi se terminèrent les projets sur l’Irlande.

Les navires de l’Angleterre et ceux que la Russie avait, nous l’avons vu au début de ce chapitre, mis à sa disposition, étaient « en partie équipés par des individus étrangers » ; aussi le Directoire prit-il, le 7 brumaire an VII (28 octobre 1798), un arrêté déclarant pirate et ordonnant de traiter comme tel tout individu appartenant à un pays ami, allié ou neutre et faisant partie des équipages des bâtiments ennemis, « sans qu’il puisse, dans aucun cas, alléguer qu’il y a été forcé par violence, menaces ou autrement ». Ceci était exorbitant ; mais il faut ajouter qu’un nouvel arrêté du 24 brumaire (14 novembre 1798) annula implicitement le précédent en renvoyant l’époque de son exécution à « un arrêté subséquent » qui ne fut pas pris.

Le débarquement des Français en Égypte avait décidé le sultan Sélim III, déjà mécontent de leurs opérations dans les îles Ioniennes, à accepter contre eux les secours du tsar, et le désastre naval d’Aboukir (1er août 1798) ne pouvait que le pousser à la guerre ; le 20 août, il signait avec Paul Ier une convention en vertu de laquelle l’amiral russe Ouchakov entrait, le 5 septembre, dans le Bosphore à la tête de seize navires qui venaient se joindre à la flotte turque placée sous les ordres de Kadir-bey ; il déclarait officiellement la guerre à la France le 9 septembre (23 fructidor) ; dès le 2 septembre, il avait fait arrêter le personnel de l’ambassade, puis notre consul général à Smyrne, l’ancien conventionnel Jeanbon Saint-André. Nous n’avions à Constantinople (chap. xvi, § 1er) qu’un chargé d’affaires, Ruffin, et les événements allaient empêcher Descorches, désigné de nouveau (voir fin du chap. ix) comme ambassadeur le 16 fructidor an VI (2 septembre 1798), de rejoindre son poste. Une partie de la flotte russo-turque se présentait, le 16 vendémiaire an VII (7 octobre 1798), devant Cerigo ; après bombardement, une cinquantaine de Français commandés par le capitaine Michel obtinrent (21 vendémiaire-12 octobre), sur menace de se faire sauter, de garder leurs armes, d’être rapatriés aux frais des alliés et — souci qui les honore — la promesse qu’aucune vengeance ne serait exercée contre les habitants de l’île. L’autre partie de la flotte était, le 2 brumaire (23 octobre), devant Zante ; il y avait là 400 hommes, mais leur chef n’eut pas la superbe attitude de Michel et fut traité plus durement (4 brumaire-25 octobre). Les alliés passaient ensuite à Céphallénie, où la petite garnison se rendit ; à Thiaki, dont le détachement de 25 hommes, sous les ordres d’un capitaine, put, grâce aux habitants, s’embarquer et atteindre Corfou le 8 (29 octobre) ; à Sainte-Maure qui, après une résistance de quinze jours, capitula le 26 (16 novembre) ; à Corfou, devant laquelle toute la flotte se trouvait réunie le 30 (20 novembre). Quelques vaisseaux avaient entamé le blocus dès le 15 (5 novembre) ; mais la garnison allait résister héroïquement.

Chabot se battit sur terre ; la frégate le Généreux, que commandait le chef de division Le Joysle, se battit sur mer. Le 17 pluviôse (5 février 1799), les assiégés manquant de tout, cette frégate fut chargée d’aller chercher des secours et réussit, après combat, à traverser la flotte ennemie ; mais, quand elle fut prête à repartir d’Ancône (12 germinal-1er avril), tout était terminé : réduite à la dernière extrémité, la garnison avait capitulé, le 13 ventôse (3 mars), obtenant les honneurs de la guerre, son rapatriement sous promesse de ne pas servir pendant dix-huit mois, et l’amnistie pour les habitants de l’Île, remise provisoirement aux Turcs. Le Joysle voulant que les préparatifs faits servissent à quelque chose, se dirigea sur Brindisi, canonna le fort, et, après quelque résistance, la ville se rendit (20 germinal an VII-9 avril 1799) ; malheureusement un des derniers boulets tirés de celle-ci blessa mortellement Le Joysle, « véritable officier républicain », a dit M. Charles Rouvier (Histoire des marins français sous la République, p. 370), dont les « dernières paroles furent des vœux pour la République, des encouragements à son équipage » (Idem, p. 399). Au début des hostilités, Ali de Tebelen qui, en flattant Bonaparte, avait gagné sa confiance, s’était emparé de Prevesa, ville que nous détenions sur les côtes d’Albanie, et avait fait écraser, le 2 brumaire (23 octobre), à Nikopolis, 700 de nos soldats par 4 000 fantassins et 3 000 cavaliers ; la plupart des prisonniers furent martyrisés. En mai 1799, la flotte russo-turque proposition devant Ancône ; levé provisoirement le 20 prairial (8 juin), le blocus fut repris à la fin de juillet : le général Monnier, que les troupes autrichiennes cernaient sur terre, ne capitula qu’à bout de ressources (21 brumaire an viii-12 novembre 1799).

La Porte travaillait en même temps à soulever contre la France les États barbaresques. Si l’envoyé impérial ne réussit pas auprès de Mouley-Soliman, sultan du Maroc, plus indépendant que les trois régences, le dey d’Alger, Mustapha, faisait arrêter, le 29 frimaire an VII (19 décembre 1798), le consul français et lançait, le 8 nivôse (28 décembre), six corsaires algériens sur les côtes de France ; avec moins de passion, le bey de Tunis, Hamoudah, n’en ordonnait pas moins, le 15 nivôse (4 janvier 1799), l’arrestation de notre agent consulaire et la séquestration de quelques bateaux ; le pacha de Tripoli, Yousouf, agissait dans le même sens, le 10 pluviôse (29 janvier), mais avec encore plus de mollesse, malgré les manœuvres des Anglais. À son tour, le Directoire prenait contre les trois régences des mesures coercitives et, le 27 pluviôse an VII (15 février 1799), autorisait la course contre elles et la saisie de leurs marchandises même sous pavillon neutre. Il aurait été préférable de s’arranger avec elles, ce qu’on aurait pu faire assez vite si on avait eu de l’argent en caisse : des cadeaux et la restitution de sept millions que la France leur devait en vertu d’anciens comptes — le dey d’Alger, notamment, avait, le 11 messidor an IV (29 juin 1796), prêté pour deux ans 200 000 piastres fortes, soit un peu plus d’un million de francs (Archives nationales, AF iii, dossier 1940) — auraient sans doute assuré la sécurité de nos côtes et permis de ravitailler Malte.

Nelson, nous l’avons vu, s’était éloigné de l’Égypte, le 19 août 1798, pour se rendre dans la baie de Naples. Reçu en triomphateur par la cour, il devint l’amant, la chose, d’une aventurière, Emma Harte, femme de l’ambassadeur anglais à Naples, William Hamilton, et favorite, dans le sens le plus ignominieux, de la reine Marie-Caroline, qui associait sans effort les pratiques de la dévotion à celles de toutes les débauches. Les Maltais s’étant, un mois après Aboukir (16 fructidor-2 septembre), soulevés contre les Français, avaient été appuyés par des vaisseaux portugais, retour d’Égypte, et anglais. Nelson s’arracha des bras de lady Hamilton — parlant, dans une lettre à lord Spencer, de cette femme, de son mari et de lui-même, il disait : « à nous trois nous ne faisons qu’un » (Ernouf, Nouvelles études sur la Révolution française, année 1799, p. 45, note) — et rejoignit l’escadre combinée, le 3 brumaire (24 octobre), devant l’île de Gozzo, qui se rendit le 8 (29 octobre). Vaubois fut bientôt étroitement bloqué dans Malte, où il allait vaillamment tenir pendant vingt-deux mois. D’un autre côté, les Anglais, par la prise de Port-Mahon, dont le gouverneur espagnol capitula sans résistance sérieuse le 15 novembre 1798, devinrent maîtres de Minorque. Dans ces conditions, voulant aller au secours de l’armée d’Égypte, le Directoire fut naturellement conduit à renoncer à toute action dans le nord, afin de pouvoir concentrer toutes ses forces dans la Méditerranée qui, on le sait, lui échappait de plus en plus. Sur un rapport du vice-amiral Bruix, ministre de la marine, le Directoire décidait, le 29 frimaire an VII (19 décembre 1798), d’armer à Brest 24 vaisseaux de ligne. Bruix nommé, le 24 ventôse (14 mars 1799), « général en chef de l’armée navale de Brest », avec mission de pénétrer dans la Méditerranée, vint activer les préparatifs ; l’intérim du ministère de la marine fut confié d’abord à Lambrechts, puis à Talleyrand.

Profitant d’un brouillard épais qui avait obligé l’escadre anglaise de Bridport, chargée de surveiller Brest, à s’éloigner, Bruix put sortir, le 7 floréal (26 avril). Informé de cette sortie le lendemain, Bridport crut à une nouvelle expédition en Irlande et se lança vers le nord, tandis que Bruix, marchant vers le sud, arrivait, le 15 (4 mai), non loin de Cadix, où Keith maintenait le blocus de l’escadre espagnole. Au moment où les deux flottes anglaise et française s’apprêtaient à combattre, elles eurent à lutter contre une terrible tempête ; le lendemain matin, les vaisseaux anglais n’étaient plus là. Bruix franchissait le détroit de Gibraltar sans encombre et, le 25 (14 mai), il jetait l’ancre à Toulon. Keith, pendant ce temps, recevait l’ordre de se porter vers Minorque, où se concentraient les forces anglaises. Cet éloignement de l’escadre de blocus rendit sa liberté à la flotte espagnole enfermée depuis deux ans à Cadix. L’amiral Mazarredo, à la tête de 17 vaisseaux, se dirigea vers Port-Mahon ; mais, par suite d’avaries, il relâcha à Carthagène (20 mai).

Après avoir assuré l’entrée, dans le port de Gênes, d’un convoi de blé destiné à l’approvisionnement de l’armée d’Italie, Bruix mouillait, le 16 prairial (4 juin), dans la baie de Vado, près de Savone. Là il recevait, le 18 (6 juin), la lettre du Directoire du 7 prairial (26 mai), mentionnée plus haut à propos de Bonaparte et de son départ d’Égypte, lui prescrivant de joindre la flotte espagnole, de secourir Malte et d’aller chercher Bonaparte ; il apprenait presque en même temps que Keith approchait avec une flotte de 22 vaisseaux. Hâtant ses préparatifs de départ, Bruix sortait de Vado le 20 (8 juin), esquivait par une manœuvre habile la flotte anglaise et entrait, le 10 messidor (28 juin), dans le port de Carthagène. Ne pouvant entraîner Mazarredo vers Malte, et espérant avoir raison de sa résistance, il consentit à partir avec lui, le 11 (29 juin), pour Cadix, où les deux flottes se trouvaient le 22 (10 juillet). Bruix y reçut bientôt des lettres de Paris du 13 et du 16 (1er et 4 juillet) ; elles n’insistaient plus sur la mission qui lui avait été précédemment confiée, ne lui imposaient cependant pas un nouveau plan et paraissaient favorables à son retour dans l’Atlantique. Aussi Bruix levait l’ancre le 9 thermidor (27 juillet) ; il était un peu plus tard suivi par Mazarredo, qui avait été d’abord très irrésolu, et leurs 40 vaisseaux atteignaient Brest le 21 (8 août).

Keith ne s’était pas douté de la manœuvre de Bruix à la sortie de Vado ; il avait, durant plusieurs jours, croisé à sa recherche entre la Corse et les Baléares, et ce fut ainsi qu’il captura, le 30 prairial (18 juin), la division du contre-amiral Perrée qui, après être allée aux environs de Saint-Jean d’Acre, avait fait voile vers l’Europe. Ayant relâché à Port-Mahon, Keith apprenait la jonction des deux flottes espagnole et française et se jetait à leur poursuite ; à la tête de 31 vaisseaux, il passait le détroit de Gibraltar (30 juillet) et n’était plus très loin d’elles lorsqu’elles entrèrent à Brest où, étroitement bloquées, elles devaient rester jusqu’à la fin de la guerre. Parmi les quelques combats isolés qui eurent lieu sur mer vers cette époque, je signalerai celui du 24 frimaire an VII (14 décembre 1798), de la corvette la Bayonnaise, revenant de Cayenne et se rendant à Rochefort, contre la frégate anglaise Ambuscade, ancien navire français pris et remis en état par les Anglais ; après une lutte héroïque, la corvette s’empara de la frégate, mais fut si gravement atteinte qu’elle dut rentrer dans la rade de l’île d’Aix remorquée par sa prise.

À Saint-Domingue, nous étions en train d’être évincés par Toussaint Louverture. Le Directoire, autorisé par la loi du 5 pluviôse an IV (25 janvier 1796), à envoyer des agents dans les colonies, avait chargé les citoyens Roume, Raymond, Leblanc, Giraud et Sonthonax, désigné comme président de cette commission, de se rendre à Saint-Domingue. Sonthonax, qui avait vu, en effet, le 3 brumaire an IV (25 octobre 1795), sa mise en liberté provisoire (chap. ix) déclarée définitive et les accusations formulées contre lui par les propriétaires d’esclaves ou leurs amis réduites à néant, arrivait dans l’île le 22 floréal an IV (11 mai 1796). Quelque temps avant, le 30 ventôse (20 mars 1796), le gouverneur intérimaire Laveaux avait été pris et emprisonné par une bande de mulâtres ; bientôt relâché et réintégré dans ses fonctions, grâce à l’intervention de Toussaint, il avait, par reconnaissance, nommé celui-ci « lieutenant au gouvernement général de la colonie ». Un décret de la Convention du 5 thermidor an III (23 juillet 1795) — précédemment mentionné (§ 2 du chap. xi) à propos du régime colonial — l’avait déjà nommé général de brigade, ainsi que le mulâtre Rigaud, en même temps que Laveaux était fait général de division. Enfin ce dernier grade ayant été bientôt accordé à Toussaint par les agents du Directoire, lui était reconnu par celui-ci le 30 thermidor an IV (17 août 1796), et tout contribuait de la sorte à accroître son autorité.

Voulant éliminer Laveaux et Sonthonax, Toussaint usa de toute son influence pour faire élire, à la fin de fructidor an IV (septembre 1796), le premier au Conseil des Anciens et le second aux Cinq-Cents ; annulées par la loi

(D’après une estampe de la Bibliothèque Nationale.)


du 10 germinal an V (30 mars 1797), ces élections devaient être validées par celle du 2e jour complémentaire de l’an V (18 septembre 1797). Laveaux partit le 28 vendémiaire an V (19 octobre 1796), ce dont Toussaint lui sut toujours gré ; malgré son élection, Sonthonax resta. Cela ne faisait pas l’affaire de Toussaint qui, fatigué de sa présence, allait, après la ruse, employer la force, lorsque Sonthonax s’en alla secrètement le 7 fructidor an V (24 août 1797). À cette date, les Anglais ne tenaient plus dans l’île que Port-au-Prince, le Môle Saint-Nicolas et deux ou trois autres points sans grande importance ; la colonie était entre les mains de deux véritables proconsuls, le nègre Toussaint dans le nord et l’ouest, le mulâtre Rigaud dans le sud. Le Directoire approuva en apparence la conduite de Toussaint ; mais, se méfiant de ses intentions, il envoya le général Hédouville qui, parti de Brest le 30 pluviôse an VI (18 février 1798), arriva dans l’île le 18 germinal (7 avril). Toussaint affecta de traiter sans lui avec les Anglais qui signèrent, le 15 mai, la capitulation de Port-au-Prince et, le 31 août, une convention secrète en vertu de laquelle les quelques points encore occupés par eux et, en dernier lieu, le Môle Saint-Nicolas (1er octobre), furent évacués : il ne restait plus de soldats anglais à Saint-Domingue. Les dissentiments allèrent croissant entre Toussaint et Hédouville ; dans la nuit du 30 vendémiaire an VII (21 octobre 1798), le chef nègre, à la tête d’une douzaine de mille hommes, cernait inopinément la ville du Cap et s’emparait des forts. N’ayant pas assez de troupes à sa disposition, impuissant, Hédouville se rendit avec sa suite à bord des frégates et fit voile pour la France (1er brumaire-22 octobre) ; il entra en rade de Lorient le 27 frimaire (17 décembre 1798). Toussaint écoutait trop les prêtres : quelques jours avant cette algarade, le 19 vendémiaire (10 octobre), une de ses proclamations portait que « les chefs de corps sont chargés de faire dire aux troupes la prière, le matin ou le soir, selon que le service le permettra » (Moniteur du 7 nivôse an VII-27 décembre 1798). Le commissaire français Roume était resté dans la colonie, où il subissait l’influence de Toussaint, qu’il appelait dans un discours, le 16 pluviôse an VII (4 février 1799), le « vertueux général en chef Toussaint Louverture » (Moniteur du 25 prairial-13 juin), et qui devenait de plus en plus le maître, tout en écrivant, le 25 floréal (14 mai 1799), à son aide de camp à Paris, le citoyen Case (Moniteur du 25 thermidor-12 août), que c’était le calomnier que de lui supposer « le projet insensé d’indépendance » et qu’« un jour on reconnaîtra que la République n’a pas de plus zélé défenseur que lui ».

Le jour même de son départ, Hédouville avait écrit à Rigaud pour le dégager de toute obéissance à l’égard de Toussaint ; il eut par là une grande part de responsabilité dans la guerre qui ne tarda pas à éclater entre les deux chefs, après la publication de cette lettre par Rigaud le 15 juin 1799. D’atroces hostilités durèrent jusqu’au départ pour Paris, le 29 juillet 1800, de Rigaud vaincu.

§ 3. — Sur le continent. Premiers conflits.

Sur terre les choses n’allaient pas mieux que sur mer. Ce fut la cour de Naples qui recommença les hostilités ; elle s’était préparée en conséquence bien avant le désastre d’Aboukir : le 19 mai 1798, elle avait conclu avec l’Autriche à Vienne un traité d’alliance défensive suivi d’une augmentation de son armée ; le 11 juin, convention secrète avec l’Angleterre suivie d’une nouvelle augmentation. Le parti de la guerre immédiate, à la tête duquel étaient la reine et sa favorite Emma Hamilton, profita de la victoire navale d’Aboukir, puis de la présence du vainqueur à Naples avant et après la prise de l’île de Gozzo, pour triompher des dernières hésitations du roi, qu’avait rendu indécis la résolution de l’Autriche de ne pas encore entrer en campagne. Si la cour de Vienne se refusait pour l’instant à prendre l’offensive, elle voulut au moins contribuer à assurer le succès de l’armée napolitaine en mettant à la disposition de Ferdinand IV le général Mack. Avec les 60 000 hommes environ placés sous ses ordres, ce dernier prépara l’envahissement du territoire de la République romaine défendu effectivement par 19 000 Français. À la nouvelle des rassemblements que les Napolitains opéraient sur la frontière romaine, le Directoire, à la fin de vendémiaire (milieu d’octobre), sur le conseil de Joubert sous les ordres duquel il était à l’armée de Mayence, désigna pour le commandement de l’armée de Rome, reconstituée comme armée à part et qui allait devenir l’armée de Naples, Championnet, arrivé à Rome le 28 brumaire an VII (18 novembre 1798). Le 3 frimaire (23 novembre), l’État romain était envahi par les Napolitains qui, tout en déclarant n’en vouloir qu’aux sujets du pape insurgés contre leur souverain, ajoutaient que la résistance des Français serait considérée comme une déclaration de guerre. Macdonald, qui avait succédé à Rome à Gouvion Saint-Cyr (chap. xvi, § 2), avait appris avec mauvaise humeur la nomination de Championnet. On trouve dans la Revue d’histoire rédigée à l’état-major de l’armée la preuve de sa « susceptibilité jalouse », « des bruits calomnieux » lancés contre Championnet, de son « dépit » (février 1903, p. 336, 338, 354), de son « plan » pour le « supplanter » (Idem, avril 1903, p. 724) ; et dans « le procès pendant jusqu’aujourd’hui entre ces deux hommes » (Idem, p. 727), il me paraît que les torts ont été du côté de Macdonald. À l’actif de Championnet, je rappellerai son bel ordre du jour du 19 frimaire (9 décembre) : « Le général en chef… malgré les horreurs commises par les Napolitains envers nos prisonniers et nos blessés, arrête : art. 1er. — Tous les prisonniers napolitains seront traités avec toute l’humanité que l’on doit à un ennemi vaincu ou désarmé… » (Idem, p. 735).

Le 5 frimaire (25 novembre), ne laissant que 800 hommes dans le château Saint-Ange, il faisait évacuer Rome et se repliait sur Civita Castellana, petite place fortifiée au sud-est de Viterbe ; le 9 frimaire (29 novembre), Ferdinand IV entrait à Rome en triomphateur, les partisans de la République étaient outragés et emprisonnés, les restes de Duphot outragés et le pape invité à revenir « sur les ailes des chérubins » (Revue d’histoire rédigée à l’état-major de l’armée, février 1902, p. 320) ; mais la sainte horreur des pelles existait déjà et ce voyage sensationnel n’eut pas lieu. Les Napolitains avançaient sur cinq colonnes : celle de droite par Ascoli, Fermo, Macerata, Foligno ; celle de gauche par Fondi, Terracina, Velletri, Albano ; à côté de celle-ci, la colonne principale allait vers Rome par Frosinone ; entre cette dernière colonne et la colonne de droite, deux autres colonnes marchaient, l’une dans la direction d’Otricoli, situé sur la rive gauche du Tibre, un peu au-dessous du confluent de ce fleuve et de la Nera, l’autre vers Rieti et Terni. Le général Lemoine battait cette colonne à Terni le 7 frimaire (27 novembre). Le 8 (28 novembre), la colonne de droite était battue par les troupes du général Casabianca non loin de Fermo. Le 11 (1er décembre), c’était le tour de la colonne du centre, qui avait pris la direction d’Otricoli, et d’une brigade de la colonne de droite : Macdonald les délogeait de Magliano, position au sud d’Otricoli. Enfin, le 14 (4 décembre), Kellermann, près de Civita Castellana, au sud-ouest de Magliano, infligeait une défaite à une partie de la colonne de gauche et, le 19 (9 décembre), la brigade de la colonne de droite, que Macdonald avait battue le 11 (1er décembre), était obligée de se rendre. Cet échec décida Mack, qui projetait une attaque contre Terni avec la colonne principale, à rétrograder. Il commençait, le 22 (12 décembre), son mouvement de retraite et, le lendemain matin, il était à Albano ; le roi avait déjà filé furtivement de Rome et, d’une seule traite, il avait gagné Naples. Un détachement d’arrière-garde n’ayant atteint Rome que dans la nuit du 24 (14 décembre), dut se retirer vers Orbetello où, le 29 (19 décembre), après l’avoir battu, Kellermann lui permit de s’embarquer pour Naples ; son chef était le comte Roger de Damas, émigré français dont le patriotisme et le nationalisme consistaient à commander le feu contre des troupes françaises au profit d’un monarque étranger. De retour dans sa capitale, ce roi invita ses sujets à se battre pour lui, fit emballer pour plus de 60 millions de numéraire et d’objets précieux, s’installa, le 22 décembre, avec ses colis et sa cour sur les navires de Nelson et débarqua, le 26, à Palerme, laissant au prince Pignatelli le soin de le représenter à Naples.

Le 24 frimaire (14 décembre), les Français étaient rentrés à Rome et, allant bientôt de l’avant, ils obtenaient, le 11 nivôse (31 décembre 1798), la soumission de Gaëte. Mack avait concentré ses troupes sous les murs de Capoue ; Macdonald tenta maladroitement d’enlever cette ville, le 14 nivôse (3 janvier 1799), et échoua au moment où l’armée se trouvait par derrière, du côté, notamment, de Fondi, Itri et Sessa, en butte aux attaques des habitants des campagnes qui avaient entrepris une guerre de partisans sous l’action du fanatisme religieux et aussi, il faut le reconnaître, du sentiment louable de défense du sol natal contre des envahisseurs. Le développement de l’insurrection paysanne et l’inconvénient de n’avoir pu opérer sa liaison avec les troupes qui manœuvraient à l’est, où Pescara avait été occupée par elles le 4 nivôse (24 décembre), déterminèrent Championnet à accepter la proposition d’un armistice formulée, le 21 (10 janvier), au nom de Pignatelli ; cet armistice, signé le 22 (11 janvier), lui livra Capoue qu’il fit occuper le 25 (14 janvier), et lui promit le payement, dans le délai de quinze jours, d’une contribution de dix millions. À cette nouvelle, le 26 (15 janvier), les lazaroni, population paresseuse et mendiante de Naples, s’insurgèrent ; la ville fut pendant trois jours livrée à toutes leurs fantaisies, Pignatelli imita le roi et partit pour la Sicile, le général Mack se réfugia dans le camp français (27 nivôse-16 janvier) ; non seulement la petite fraction révolutionnaire, mais la bourgeoisie elle-même sollicita l’intervention de Championnet qui, dès le 1er pluviôse (20 janvier), avait fait avancer ses troupes sous les murs de la ville. Le lendemain l’attaque commençait et, après de furieux combats, se terminait le 4 (23 janvier). Maître de Naples, Championnet fit désarmer les lazaroni, abolit la royauté et institua la « République napolitaine » comme il fut dit à la séance des Cinq-Cents, le 19 pluviôse-7 février (Moniteur du 24-12 février), et dans le document officiel inséré dans le Moniteur du 4 ventôse (22 février), et que, depuis, publicistes et historiens ont, pour l’amour du grec, appelée « parthénopéenne » du premier nom de Naples, Parthénopé ; déjà le Moniteur du 9 germinal an VII (29 mars 1799) parle de « la nouvelle république napolitaine ou parthénopéenne ».

C’était dans la nuit du 15 au 16 frimaire an VII (5 au 6 décembre 1798) que le Directoire avait appris l’agression des Napolitains contre la République romaine et, dans son court message du 16 (6 décembre) aux Cinq-Cents et aux Anciens, après avoir signalé « l’insolente attaque » de la cour de Naples, passant au roi de Sardaigne contre lequel il agissait en dessous depuis assez longtemps, il ajoutait : « Le Directoire exécutif croit aussi devoir vous déclarer que la cour de Turin, également perfide, fait cause commune avec nos ennemis et couronne ainsi une longue suite de forfaits envers la République française ». Il proposait, en conséquence — proposition votée par les Cinq-Cents et approuvée par les Anciens le jour même — « de déclarer la guerre au roi de Naples et au roi de Sardaigne ». Celui-ci n’aurait certainement pas demandé mieux que d’être débarrassé des Français, vœu très compréhensible de sa part, étant données les exigences réitérées et les manœuvres aggravantes de leurs agents ou de ceux des Républiques ligurienne et cisalpine, qui ne furent pas étrangères à certaines révoltes, d’ailleurs cruellement réprimées. Contrairement à leurs instructions, d’après MM. Guyot et Muret (Revue d’histoire moderne et contemporaine, 15 février 1904, p. 320), notre ambassadeur à Turin, Ginguené, et le général Brune en arrivèrent à réclamer qu’une garnison française occupât la citadelle de Turin, et le roi avait fini par céder ; à la suite d’une convention signée le 10 messidor an VI (28 juin 1798), nos troupes avaient pris possession de cette citadelle le 15 (3 juillet). Sous l’influence croissante de l’élément militaire, c’était de la part de notre ambassadeur et du Directoire qui ratifia sa conduite après coup, la continuation de la politique d’envahissement, peu faite pour rassurer les puissances et pour consolider la paix : les ministres de Russie, de Portugal et d’Angleterre à Turin demandèrent leurs passeports ; et si le roi avait cru désarmer ainsi ses vainqueurs, il dut s’apercevoir bientôt qu’il s’était trompé. Les incidents fâcheux s’étaient multipliés de telle sorte que, lors de l’attaque du roi de Naples, on put craindre de voir Charles-Emmanuel IV imiter son exemple ; aussi profita-t-on de l’occasion pour se défaire de lui.

On n’avait pas de prétexte, on en créa un : on imagina de lui adresser de nouvelles demandes de nature, dans l’esprit du général Joubert, à provoquer un refus ou, tout au moins, une hésitation dont il ne manquerait pas de profiter. En conséquence, le 9 frimaire (29 novembre), on lui réclama d’approvisionner les places pour quatre mois, de fournir sur-le-champ le contingent de 9 000 hommes prévu par le traité du 16 germinal an V (5 avril 1797 (chap. xvi, § 2), et de laisser prendre les armes de l’arsenal de Turin ; cette dernière demande avait été ajoutée de son autorité privée par Joubert (Revue d’histoire rédigée à l’état-major de l’armée, février 1902, p. 324). Le roi accéda aux deux premières demandes, sous réserve du plus bref délai possible, il répondit négativement à la troisième. Aussitôt, le coup prémédité entrait dans la phase d’exécution. Joubert qui, depuis le 11 brumaire (1er novembre), commandait l’armée d’Italie, à la tête de laquelle il avait succédé à Brune — on le verra plus loin — donnait, le 13 frimaire (3 décembre), les derniers ordres et, le 16 (6 décembre), grâce à un subterfuge, les soldats français occupaient Chivasso, Alexandrie, Goni, Suse, Novare. Turin, dont on tenait la citadelle, se trouvait en quelque sorte cerné ; toute résistance était impossible : le 18 frimaire an VII (8 décembre 1798), le roi signait une renonciation à ses droits sur le Piémont, et partait dans la nuit du 9 au 10 décembre. Le jour même du départ, Joubert, démissionnaire, confiait le commandement de l’armée à Moreau (19 frimaire-9 décembre).

Après être resté quelque temps dans le grand-duché de Toscane, le roi s’embarqua à Livourne, le 14 février 1799, pour la Sardaigne. Un gouvernement provisoire fut constitué qui, entrant dans les vues du Directoire, prononça l’annexion — ratifiée ensuite par un vote — du Piémont à la France et cessa ses fonctions le 21 germinal (10 avril). Or, dans son message du 23 frimaire (13 décembre) au Corps législatif, aussi long que celui du 16 (6 décembre) était bref, le Directoire, tout en s’efforçant de dresser un acte d’accusation catégorique aussi bien contre le roi de Sardaigne que contre le roi de Naples, affirmait en terminant qu’« aucune vue ambitieuse ne se mêlera à la pureté des motifs qui lui ont fait reprendre les armes ».

Le Piémont n’avait pas été le seul pays d’Italie en butte à la politique hypocrite d’empiétements et d’exploitation.

Dans la République cisalpine on n’était pas plus favorisé. Le traité du 3 ventôse an VI-21 février 1798 (chap. xvi, § 2) par lequel, suivant l’expression de Talleyrand (Pallain, Le ministère de Talleyrand sous le Directoire, p. 324, note), on avait « bridé les Cisalpins », n’avait été que difficilement ratifié, les 12 et 20 mars, par les Conseils de la jeune République. Aussi, Brune, après avoir pris, le 14 germinal (3 avril), le commandement de l’armée d’Italie (chap. xvi, § 2), cherchait à briser la résistance que les débats relatifs à ce traité avaient révélée. Le 24 germinal (13 avril), conformément aux instructions du Directoire (Sciout, Le Directoire, t. III, p. 252), il exigeait l’exclusion de deux directeurs et de neuf députés. À ces abus d’autorité s’ajoutaient d’autres vexations. Dans une lettre du 8 germinal an VI (28 mars 1798) au Directoire, Scherer, ministre de la guerre, avouait que, à la date du 30 ventôse (20 mars), la Cisalpine payait 73 000 rations, alors que l’armée complète d’Italie ne comptait que 36 000 hommes (Idem, t. IV, p. 3, note). Ces procédés, ces charges et peut-être aussi le mécontentement de ne pouvoir, par suite du traité de Paris, satisfaire des velléités d’agrandissement, occasionnèrent des plaintes qui, venant en même temps que des rapports de quelques-uns de nos agents, par exemple Daunou et Faipoult alors commissaires près de la république romaine, où étaient dénoncés les abus de l’autorité militaire, et que certaines incitations de politiciens milanais cherchant à mettre le Directoire français au service de leur politique particulière, poussèrent celui-ci à vouloir réfréner l’autorité militaire et fortifier le pouvoir exécutif local. Trouvé nommé, le 15 pluviôse (3 février), ambassadeur à Milan où il n’arrivait que le 26 floréal (15 mai), eut mission d’opérer la réforme constitutionnelle en ce sens, mais, afin de ne pas éveiller les susceptibilités de l’Autriche déjà trop portée à suspecter la réalité de l’indépendance de la Cisalpine à l’égard de la France, en sauvegardant les apparences, de façon à ce que l’initiative semblât venir des Cisalpins ; il était accompagné de Faipoult chargé d’établir un plan de finances.

Les choses traînèrent d’abord en longueur, à cause de la résistance du général Brune qui eut un écho à la tribune des Cinq-Cents. À la séance du 3 fructidor an VI (20 août 1798), Lucien Bonaparte demanda la parole pour une motion d’ordre et stigmatisa le coup d’État projeté contre la Constitution cisalpine, calquée sur la Constitution de l’an III : « On vous écrit qu’une atteinte à la Constitution cisalpine ne serait qu’un essai sur la nôtre ; mais avant qu’une telle atteinte soit portée à notre pacte social, je le déclare et j’en jure, il faudra se résoudre à passer sur le corps de plus d’un représentant du peuple… C’est le système qui a fondé la tyrannie de César… Proclamons donc que la Constitution de l’an III est la volonté inébranlable du peuple, que la revision ne peut s’obtenir que par les moyens constitutionnels, que la préparer par d’autres moyens est un attentat ». Quatorze mois et demi plus tard (chap. xxii), il prouvait la sincérité de son amour pour la Constitution en contribuant à la briser. Le Conseil des Cinq-Cents passa à l’ordre du jour et, le 13 fructidor (30 août), le coup d’État fut opéré à Milan : les troupes françaises gardèrent les suites des conseils ; ne furent admis que les députés munis d’une lettre de convocation spéciale ; Trouvé prit la parole devant eux et, sous prétexte d’améliorer la situation financière, conseille, « au nom de la République française et par ordre de son gouvernement » (Moniteur du 25 fructidor-11 septembre) de supprimer la moitié du Corps législatif, soit au grand conseil 80 membres, aux Anciens 40, de subordonner l’exercice des droits de citoyen au payement de l’impôt et de laisser, toujours pour la première fois, au gouvernement français la nomination des directeurs, dont trois sur cinq furent conservés. Les députés présents approuvèrent tout, mais avec la remarque expresse qu’ils agissaient par ordre, tandis que Trouvé aurait dû dissimuler la nature de son intervention. Cette maladresse et le désaccord croissant entre Brune et Trouvé amenèrent le Directoire à remplacer ce dernier par Fouché (4 vendémiaire an VII-25 septembre 1798), Du coup, Brune crut pouvoir démolir l’œuvre de son adversaire et, dès que Trouvé eut quitté ses fonctions, dans la nuit du 27 au 28 vendémiaire an VII (18 au 19 octobre 1798), il changea certains directeurs, certains députés et certains fonctionnaires et convoqua les assemblées primaires pour se prononcer sur le retour à la Constitution de 1797 légèrement amendée. Bientôt (3 brumaire-24 octobre) une proclamation du Corps législatif cisalpin annonça que les transformations de Brune étaient adoptées ; le 30 vendémiaire (21 octobre), Fouché, qui était là depuis huit jours et qui n’avait pas encore bougé, présentait ses lettres de créance au nouveau directoire. Or, à la date du coup d’État de Brune, il y avait quatre jours (arrêté du Directoire du 23 vendémiaire-14 octobre) que ce général était remplacé à la tête de l’armée d’Italie par Joubert, qui avait Jourdan pour successeur à la tête de l’armée de Mayence. Brune allait succéder en Hollande à Hatry qui, à son tour, devait bientôt prendre le commandement de la division de réserve à l’armée d’Italie.

Un arrêté du Directoire de Paris, du 4 brumaire an VII (25 octobre 1798), connu à Milan le 16 (6 novembre), annula les décisions de Brune. Par un nouvel arrêté du 17 (7 novembre), il était ordonné à Fouché de cesser toutes relations avec le directoire cisalpin jusqu’à ce que les autorités eussent été reconstituées comme elles étaient avant le 28 vendémiaire (19 octobre) et de convoquer les assemblées primaires pour voter sur la constitution présentée par Trouvé. Mais Fouché qui avait laissé faire Brune et, d’accord avec Joubert arrivé à Milan le 12 brumaire (2 novembre), avait promis au directoire cisalpin installé par Brune de le maintenir, mit si peu d’empressement à exécuter ces arrêtés que le Directoire, le 4 frimaire (24 novembre), lui substitua Rivaud. Celui-ci, qui était à Milan le 16 frimaire (6 décembre), dut mettre Fouché sous le coup d’une menace d’arrestation pour lui faire quitter l’Italie. Le nouvel ambassadeur ayant réclamé à Joubert le concours de la force armée pour l’exécution des arrêtés du Directoire, le général se soumit ; mais, aussitôt que son œuvre fut terminée en Piémont, il envoya (19 frimaire-9 décembre) sa démission ; connue à Paris le 24 (14 décembre), elle devait être refusée. Le 18 frimaire (8 décembre), le troisième coup d’État était accompli par Rivaud pour annuler celui de Brune dont, cependant, il ratifia quelques nominations.

(D’après Bonneville, Bibliothèque nationale).


En Toscane, la conduite tenue à l’égard du grand-duc Ferdinand III, soit à propos du séjour du pape dans ses États, soit au sujet de réclamations financières, n’était pas de nature à augmenter sa sympathie fort restreinte pour la République, Pendant que l’armée de Naples envahissait la République romaine, l’escadre anglaise avait conduit et débarqué sur le territoire du grand-duc, à Livourne, avec menace de bombarder la ville dans le cas de résistance, 3 000 soldats napolitains (28 novembre 1798). Nouveau débarquement le 1er décembre, et le gouvernement toscan s’était borné, en la circonstance, à adresser une circulaire à tous les ministres étrangers à Florence pour dégager sa responsabilité et promettre qu’il n’y aurait aucun acte d’hostilité, sauf s’il était nécessaire de se défendre. En apprenant, le 19 frimaire an VII (9 décembre 1798), l’occupation de Livourne par les Napolitains, le Directoire écrivit d’abord à Joubert d’agir, à l’égard de la Toscane et aussi de la République de Lucques, comme il le jugerait utile (Revue d’histoire rédigée à l’état-major de l’armée, juin 1903, p. 1261), et celui-ci chargea Sérurier d’entrer en Toscane ; mais, dans la nuit du 10 au 11 nivôse (30 au 31 décembre), il recevait une lettre du 4 (24 décembre) par laquelle le Directoire lui prescrivait de suspendre seulement l’expédition contre la Toscane (Idem, p. 1265-1266). À ce même moment, il se plaignait, en effet, — nous le verrons tout à l’heure — de la marche d’une armée russe sur le territoire de l’Empire, et, ne se sentant pas suffisamment préparé à une reprise générale des hostilités, il craignait de donner barre sur lui en se prêtant, à son tour, à une violation de territoire. En conséquence, les troupes de Sérurier rétrogradèrent. Seule, la marche sur Lucques, qui avait été ordonnée en même temps que l’entrée en Toscane, continua. Sérurier était sans peine maître de Lucques le 15 nivôse an VII (4 janvier 1799). Le 6 pluviôse (25 janvier), une nouvelle constitution, calquée sur la Constitution de l’an III, était proclamée et les nouvelles autorités allaient entrer en fonction le 27 (15 février). Sur ces entrefaites, par une lettre du 21 nivôse (10 janvier), le Directoire rendait à Joubert toute liberté en Toscane ; mais, effrayé par la première entrée en campagne des Français, le grand-duc avait supplié le commandant des troupes napolitaines d’évacuer Livourne et leur embarquement avait eu lieu les 4 et 9 janvier. Toute excuse pour son expédition lui étant ainsi enlevée à l’heure où il lui était permis de l’entreprendre, Joubert réclama au grand-duc 2 millions afin d’indemniser la France des préparatifs qu’elle avait dû faire ; le 22 nivôse (11 janvier), le gouvernement toscan consentait à payer un million. Cela ne devait pas le sauver : après de nouvelles réclamations, sous prétexte cette fois d’indemniser les Français victimes de l’occupation de Livourne, on allait l’obliger à quitter ses États. Le 1er nivôse (21 décembre), Joubert avait connu le refus de sa démission par le Directoire et avait consenti à la retirer. Mais il tenait à garder son chef d’état-major Suchet qui, ancien chef d’état-major de Brune, avait été, par nos agents civils, rendu responsable des abus militaires. En apprenant qu’un arrêté du 7 nivôse (27 décembre) destituait Suchet, Joubert, le 16 nivôse (5 janvier), redonnait sa démission que le Directoire acceptait le 4 pluviôse (23 janvier) ; ayant reçu avis de cette acceptation le 12 (31 janvier), Joubert partait le lendemain en laissant le commandement provisoire au général Delmas, le plus ancien en grade.


L’échec des conférences de Seltz, suspendues le 18 messidor an VI-6 juillet 1798 (chap. xvii, § 2), ne devait pas, tout en indisposant définitivement l’Autriche désireuse de s’étendre en Italie, empêcher la continuation du Congrès de Rastatt. Nous avons vu (chap. xvi, § 2) que, le 15 germinal (4 avril), avait été admis le principe de la sécularisation des principautés ecclésiastiques. Mais l’Autriche, devant les résistances du Directoire à ses ambitions en Italie, commençait dès cette époque à se désintéresser des travaux du Congrès et poursuivait avec la Prusse et la Russie ses négociations particulières. Son principal délégué, Cobenzl, avait été rappelé, le 12 avril, à Vienne où Thugut, tout en conservant la haute direction des affaires, lui cédait le ministère des affaires étrangères. À la suite de l’incident de Bernadotte, il était reparti, le 8 mai, pour Rastatt et de là pour Seltz. Ce même incident fut cause — l’émotion qu’il souleva n’ayant pas besoin d’être accrue par des demandes excessives — que les plénipotentiaires français Treilhard et Bonnier ne communiquèrent que le 14 floréal (3 mai) au Congrès une note de Talleyrand du 23 germinal (12 avril), parvenue le 28 (17 avril), et réclamant certains points sur la rive droite, toutes les îles du Rhin, la démolition de la forteresse d’Ehrenbreitstein et le transfert aux États de la rive droite des dettes des pays cédés sur la rive gauche. Ces prétentions, et en particulier celle de s’installer sur la rive droite, dénotaient la plus coupable, la plus folle et aussi la plus dangereuse avidité ; le général Le Michaud d’Arçon cité par la Revue d’histoire rédigée à l’état-major de l’armée (août 1903, p. 340) a constaté qu’elle « n’est pas seulement contraire au but d’une politique prévoyante, mais, à ne la considérer que sous les rapports d’utilité militaire, on jugera qu’une attitude toujours menaçante et qui, par conséquent, tiendra l’ennemi dans une attente continuelle, nous priverait des avantages incalculables de nos soudaines irruptions ». Le 25 floréal (14 mai) une note allemande opposait un refus en termes modérés. Quelques jours après (fin du chap. xvii), Treilhard était élu directeur ; il quitta, le 30 floréal (19 mai), Rastatt où, nommé la veille à sa place, Jean De Bry arrivait le 24 prairial (12 juin). Le 8 (27 mai), le Directoire avait adjoint Roberjot à De Bry et à Bonnier. Pendant plus de six mois, le Congrès devait discuter sur les prétentions précédentes que le Directoire atténua cependant un peu. Enfin, le 19 frimaire an VII (9 décembre 1798) après un ultimatum remis le 16 (6 décembre) par les plénipotentiaires français ayant, encore seuls, connaissance de l’agression napolitaine (Idem, février 1902, p. 358) et menaçant de rompre les négociations si, dans les six jours, une réponse catégorique n’était pas donnée, le Congrès de nouveau cédait.

Le succès du Directoire était plus apparent que sérieux et durable. En effet, les négociations particulières engagées entre les gouvernements français et autrichien par la voie d’intermédiaires divers (ambassadeurs espagnol, toscan et cisalpin) devaient échouer. Pour l’Autriche, déjà en pourparlers en vue d’une nouvelle coalition, l’unique but de ces négociations — étant donné qu’elle savait désormais ne pouvoir tirer du Directoire l’agrandissement en Italie qu’elle tenait avant tout à acquérir — était, par la dissimulation de ses véritables projets, de gagner du temps pour obtenir, dans la coalition qu’elle préparait, les meilleures conditions possibles ; et, pendant que ces négociations traînaient, le cabinet de Vienne s’entendait avec le tsar contre la France. Paul Ier, dont les envahissements du Directoire à Rome, en Suisse et enfin à Malte avaient encore renforcé les mauvaises dispositions (chap. xvi, § 2), se décidait, le 24 juillet, à fournir aux Autrichiens une armée auxiliaire ; il ordonnait bientôt de grands préparatifs, et ce fut peu après que la flotte de l’amiral Ouchakov s’apprêta à aller agir de concert avec la flotte turque. Dès l’instant qu’il voulait la guerre, le tsar la voulait tout de suite ; l’Autriche, ne pensant qu’à ses intérêts propres et à arracher des subsides à l’Angleterre, montrait moins d’impatience et ne se jugeait pas encore suffisamment soutenue. Un corps russe était cependant en marche et pénétrait dans la Galicie en octobre, tandis que la flotte russo-turque opérait contre les îles Ioniennes. D’autre part, les Grisons refusant leur réunion à la République helvétique et ayant appelé l’Autriche à leur secours, une demi-brigade autrichienne était entrée, dans la nuit du 18 au 19 octobre, sur leur territoire ; un peu plus tôt, le 9 octobre, le général autrichien, Mack, avait pris le commandement de l’armée napolitaine.

Le Directoire n’avait pas attendu que tous ces événements fussent accomplis pour comprendre que la France était menacée de nouveaux périls. À la fin de l’an VI, il était évident que la guerre pouvait recommencer d’un moment à l’autre. En fructidor (septembre 1798) était constitué, auprès du Directoire, un « Bureau militaire » chargé de préparer les plans de campagne, et pour les détails duquel je renvoie aux Études sur la campagne de 1799, en cours de publication dans la Revue d’histoire rédigée à l’état-major de l’armée (décembre 1903, p. 484). Ce « Bureau » devait être supprimé moins d’un an après (Moniteur du 2 messidor an VII-20 juin 1799). Précédemment, une loi du 3 fructidor an VI (20 août 1798) avait décidé, pour l’an VII, le maintien de l’armée sur le pied de guerre. Mais nous n’avions plus, pour défendre nos frontières, que des squelettes d’armées. Sur le rapport de Jourdan, le Conseil des Cinq-Cents organisa la « conscription » que consacra une loi du 19 fructidor an VI-5 septembre 1798 (chap. xi, § 2). Une loi du 3 vendémiaire an VII (24 septembre 1798) mit aussitôt en activité de service 200 000 conscrits, et une autre — l’argent manquant encore plus que les hommes — du 26 vendémiaire (17 octobre) décida que les fonds nécessaires pour leur équipement et le service de la marine seraient obtenus par la vente aux enchères de 125 millions de biens nationaux. Cette levée d’hommes fut cause de troubles dans certains endroits et, par suite « de nombreuses et révoltantes exemptions » des jurys municipaux, disait le ministre de la guerre Scherer, en frimaire-décembre (Sciout, Le Directoire, t. IV, p. 36), par suite aussi de nombreuses désertions (circulaires de Scherer des 13, 15 et 19 nivôse an VII-2, 4 et 8 janvier 1799, dans le Moniteur des 26 et 28 nivôse-15 et 17 janvier), elle ne fournit pas le nombre décrété.

Pour essayer de contrebalancer le revirement du tsar, Sieyès avait été le 19 floréal an VI (8 mai 1798), en remplacement de Caillard, nommé ambassadeur à Berlin, où il était arrivé le 11 messidor (29 juin), avec l’intention et la prétention d’amener Frédéric-Guillaume III à, une alliance offensive et défensive (voir Guyot et Muret, Revue d’histoire moderne et contemporaine, janvier 1904, p. 253-254). Mais le choix de Sieyès, qui n’avait pas été agréable au roi, n’était pas fait pour faciliter la tâche. Sieyès était un de ces hommes politiques ayant avant tout la prétention d’être pratiques, mais n’estimant d’avance pratique que ce qui concorde avec leurs opinions, leurs intérêts ou leurs appétits, se laissant alors égarer avec une facilité déconcertante par de vieilles apparences, par l’absolu d’idées fixes, par la rage de convoitises personnelles, sur le véritable sens de la réalité. C’est peu de temps après son arrivée à Berlin, qu’il devait émettre l’idée de réduire l’Angleterre au moyen du blocus continental (voir de Barante (Histoire du Directoire de la République française, t. III, p. 244 et Sieyès d’Albéric Neton, p. 340). Il fallut vite renoncer à l’espoir caressé et s’estimer heureux de la neutralité du roi de Prusse qui se méfiait de la France et de l’Autriche, s’entendant au moins pour lui cacher les articles secrets du traité de Campo-Formio, et que l’Autriche et la Russie s’efforçaient aussi d’entraîner de leur côté. Dans la crainte, inspirée par la marche des Russes, d’une guerre immédiate, le Directoire, qui était alors loin d’être prêt, avait, le 11 brumaire an VII (1er novembre 179S), écrit directement à Vienne, à l’empereur, offrant l’évacuation et la neutralisation des Républiques romaine et helvétique s’il consentait à renvoyer aussitôt les troupes russes, et se déclarant disposé à entrer tout de suite en négociation avec l’Angleterre et la Porte en vue de la pacification générale. La lettre parvint le 10 novembre à Vienne et fut communiquée le lendemain à l’ambassadeur de la Grande-Bretagne. Thugut et lui étaient partisans de la guerre ; mais, toujours pour gagner du temps, on répondit, le 12, que la réponse définitive serait donnée lorsque le cabinet de Londres, avisé, aurait fait connaître sa décision (Mémoires tirés des papiers d’un homme d’État [Hardenberg], t. VI, p. 384 à 386) qui, en l’état des choses, n’était pas douteuse.

Les Russes, en effet, avançaient pendant qu’au Congrès de Rastatt on continuait à amonceler les paperasses diplomatiques et que les choses y prenaient en apparence une tournure satisfaisante ; le 16 décembre, ils étaient à Brünn. Aussi, au moment où les petits princes de l’Empire attendaient avec une avide impatience le règlement de la question des indemnités, le 13 nivôse an VII (2 janvier 1799), les plénipotentiaires français, conformément à une note de Talleyrand du 4 nivôse an VII (24 décembre 1798), signifiaient à leurs collègues que, si la diète de Ratisbonne ne s’opposait pas à la marche des Russes à travers l’Empire, le Directoire regarderait cette abstention comme une violation de neutralité équivalant à une déclaration de guerre. N’ayant pas reçu de réponse nette de l’Autriche, ils refusèrent toute note sur un point quelconque des négociations tant qu’il n’aurait pas été répondu à l’ultimatum du 2 janvier. Ils ajoutèrent, le 12 pluviôse (31 janvier), que si, dans un délai de quinze jours, l’empereur n’avait pas éloigné les troupes russes de l’Autriche et des autres États de l’Empire, il y aurait reprise des hostilités. C’était en fait la fin du Congrès que l’empereur cherchait depuis longtemps à acculer à l’impuissance, sans vouloir prendre l’initiative de le dissoudre officiellement. Le 27 pluviôse (15 février), n’ayant rien reçu de l’Autriche, le Directoire envoyait à ses armées l’ordre d’opérer un mouvement ; il y eut un retard de quelques jours dû à l’insuffisance des préparatifs et à la rigueur de la saison. Cependant, sur un nouvel ordre du Directoire du 2 ventôse (20 février), les opérations commencèrent avant que le Corps législatif eût été appelé à se prononcer ; ce ne fut que le 22 ventôse an VII (12 mars 1799) qu’il vota, sans opposition, la déclaration de guerre à l’Autriche et à la Toscane, des manœuvres hostiles de laquelle il venait seulement, disait-il, « d’acquérir la preuve ». Le Directoire semble avoir cru jusqu’au bout qu’au dernier moment l’Autriche finirait par céder. Le 4 pluviôse (23 janvier) avait été signée la capitulation du fort d’Ehrenbreitstein, sur la rive droite du Rhin, où tenaient seules les troupes de l’archevêque de Trêves, prince-électeur de l’Empire, depuis le départ des troupes autrichiennes, le 15 décembre 1797. Commencé presque aussitôt après (nivôse an VI) par les troupes françaises, le blocus avait continué avec des alternatives de rigueur et de relâchement. Deux bataillons français l’occupaient le 8 pluviôse an VII (27 janvier 1799).

Divers traités avaient consacré la deuxième coalition des puissances européennes contre la France : traité de Saint-Pétersbourg du 29 novembre 1798, entre le tsar et le roi de Naples, qui en concluait un autre à Naples, le 1er décembre, avec l’Angleterre, et un troisième, le 21 janvier 1799, à Constantinople, avec le sultan ; traité de Saint-Pétersbourg du 29 décembre 1798 et convention complémentaire du 14 janvier 1799 entre l’Angleterre et le tsar, auquel le gouvernement anglais payait son concours de 45 000 hommes opérant en Allemagne, par d’importants subsides : 225 000 livres sterling (5 625 000 fr.) tout de suite et 75 000 livres (1 875 000 fr.) par mois ; traités approuvés par le sultan à Constantinople, le 23 décembre avec la Russie, et le 5 janvier avec l’Angleterre.

Cette dernière puissance rêvait de coaliser contre la France la Russie, l’Autriche et la Prusse. Malgré le refroidissement de celle-ci pour la France, malgré les nombreuses tentatives faites auprès d’elle par la Russie et l’Angleterre et, en dernier lieu, par Panin, en janvier 1799, et par Thomas Grenville, fin février, tout ce qu’elle consentit finalement à accepter, ce fut une alliance défensive pour toucher les subsides offerts par l’Angleterre. Mais le cabinet anglais ne voulant payer qu’une alliance offensive, l’entente ne put aboutir ; en avril, à la suite d’une nouvelle démarche du tsar restée infructueuse, les négociations étaient définitivement rompues. La Prusse gardait la neutralité par crainte de l’infériorité qui pouvait résulter pour elle du triomphe de l’Autriche surtout et aussi de la Russie.

Paul Ier avait été irrité des lenteurs de l’Autriche traînant les choses en longueur pour se faire payer plus cher sa participation à une guerre qu’elle désirait ; il lui en avait voulu, en outre, de n’avoir pas secouru le roi de Naples et en était arrivé à la soupçonner de chercher sérieusement à s’entendre avec la France. Pour l’apaiser, le gouvernement autrichien se montra, à la fin de décembre, très aimable pour les troupes russes, des gratifications furent distribuées, l’empereur les passa en revue et écrivit, le 6 janvier 1799, une lettre de félicitations au tsar, à qui, un peu plus tard, le 31 janvier, il faisait demander, par flatterie, d’autoriser Souvorov à prendre le commandement supérieur de l’armée autrichienne sur l’Adige ; le tsar rassuré avait consenti, et Souvorov était parti pour Vienne le 1er mars.

Avant de nous occuper des détails de la campagne, voyons comment les choses se terminèrent à Rastatt. Malgré la déclaration de guerre, les envoyés français, allemands et autrichiens étaient restés dans cette ville. La peur des armées autrichiennes et russes pouvait seule contrebalancer chez les petits princes allemands leur ardeur à saisir la riche proie que devaient leur assurer la sécularisation et le partage des principautés ecclésiastiques ; mais, le 7 avril, l’envoyé autrichien Metternich annonçait son départ qui avait lieu le 13 ; or, d’après les règles en vigueur, il était l’intermédiaire obligé entre les envoyés du Directoire et la députation de l’Empire. Son départ équivalait véritablement, dès lors, à la dissolution du Congrès, ainsi que le constatèrent dans une dernière séance, le 23 avril, les quelques délégués encore présents. Tout en protestant le surlendemain contre cette solution, les plénipotentiaires français déclarèrent qu’ils partiraient le 9 floréal 28 avril). À cette époque, un corps d’armée autrichien, sous les ordres du feld-maréchal-lieutenant von Kospoth, couvrait, du côté de la Forêt-Noire, l’armée de l’archiduc Charles cantonnée dans les environs de Stockach ; l’avant-garde de ce corps, confiée au général-major von Merveldt, avait son aile droite autour de Rastatt ; celle-ci, commandée par le général von Görger, comprenait, en particulier, des hussards autrichiens, colonel von Barbaczy, et des hussards émigrés français, patriotiquement à la solde de l’Autriche, colonel von Egger. Ce même jour, 28 avril, le colonel Barbaczy ordonnait au capitaine Burkhard d’occuper Rastatt avec un détachement et de signifier aux trois envoyés du Directoire qu’en état de guerre leur présence ne pouvait être tolérée plus longtemps dans un pays où se trouvait l’armée autrichienne ; ils devaient quitter la ville dans les vingt-quatre heures. Après divers incidents qui n’indiquaient pas de bonnes intentions de la part des Autrichiens, les plénipotentiaires purent sortir de Rastatt, le 28 avril 1799 (9 floréal an VII), à dix heures du soir. Leurs voitures avaient à peine dépassé les portes de la ville qu’elles étaient arrêtées par des hussards qui, n’en voulant qu’aux ministres français, frappèrent successivement Jean De Bry, Bonnier et Roberjot à coups de sabre, sous les yeux de leurs femmes et de leurs enfants. Seul, De Bry ne fut pas atteint mortellement.

Parmi les réactionnaires de l’époque, il se trouva des gens pour accuser le Directoire et Jean De Bry de ces assassinats ; sans les approuver ouvertement, le clérical M. Sciout (Le Directoire, t. IV, p. 185), répète avec complaisance ces odieuses accusations et ce qui lui paraît de nature à les étayer ; un peu plus loin (p. 190), il s’évertue à démontrer en faveur des Autrichiens qu’« aucun homme de quelque importance n’a commandé ce crime, ni même donné des ordres mal interprétés ». Or d’une lettre confidentielle adressée, le 18 mai 1799, par l’archiduc Charles à son frère l’empereur (Rastatt — L’assassinat des ministres français, par le capitaine Oscar Criste, p. 180-181 de la traduction française), il résulte que des instructions avaient été données au commandant de l’avant-garde, Merveldt, par le lieutenant-colonel Mayer von Heldenfeld, chef d’état-major de Kospoth, à la suite d’une lettre que lui avait écrite le général-major von Schmidt, chef d’état-major général de l’archiduc ; Schmidt n’exprimait que « ses sentiments personnels », auxquels Mayer aurait eu le tort de donner « une signification particulière et, de cette manière, l’affaire s’est envenimée. Chacun des subalternes y ajoutant un peu du sien, il en est résulté fatalement ce malheureux événement. Le général Schmidt reconnaît avoir commis une grosse faute… Je considère la faute du général Schmidt comme une étourderie, comme la manifestation inopportune de sa haine violente pour les Français ». Et ce prince qui avait annoncé, le 2 mai, à Masséna que les coupables, s’ils étaient sous ses ordres, seraient punis, ne se préoccupait, dans sa lettre du 18, que d’assurer l’impunité au principal coupable dont il sollicitait « instamment » le pardon comme « une faveur » personnelle. À cette lettre, écrite par l’archiduc dix jours après que la commission d’enquête réunie pour se prononcer sur la culpabilité d’une trentaine de hussards autrichiens avait commencé ses travaux, il faut joindre une nouvelle lettre du 2 septembre adressée par l’archiduc à l’empereur au moment où, d’après le capitaine autrichien Criste (Idem, p. 397), l’enquête allait être close sans résultat. Il n’y avait, à son avis, que deux façons d’en finir avec cette affaire ; ou dire la vérité ou la cacher (Idem, p. 382-384).

« Si l’on adopte le premier moyen, il convient de considérer que l’on sera obligé de lui donner la sanction qu’il comporte. On ne saurait, en effet, punir les hussards qui n’ont fait qu’exécuter des ordres reçus. Il faudrait donc remonter jusqu’à ceux qui les ont donnés et atteindre la personne ou, pour mieux dire, les trois personnes entre les mains desquelles tout a passé, à savoir : le général Schmidt, le lieutenant-colonel Mayer, le général comte Merveldt et peut-être au besoin le général Görger. Or, je dois franchement faire connaître à Votre Majesté qu’en choisissant cette voie il me semble impossible d’éviter certaines communications de nature à compromettre la cour et le service de Votre Majesté… La majorité des Français a, dès le début,

(D’après une estampe de la Bibliothèque Nationale.)


accueilli la nouvelle du crime avec une assez grande indifférence et a soupçonné les détenteurs du pouvoir. Cette manière de voir commence à prendre actuellement racine en Allemagne… On perdrait d’un coup et bien inutilement tout le terrain qu’on a gagné dans l’opinion publique si l’on se décidait à représenter les choses absolument telles qu’elles se sont passées. Ceux qui détiennent actuellement le pouvoir en France ne manqueraient pas, dans les circonstances présentes, de tirer parti de cet aveu et, de toute façon, on se trouverait forcément compromis… Plus je réfléchis sur toute l’affaire, plus je suis intimement convaincu qu’il convient plus que jamais de lui donner la tournure et l’aspect le plus favorable, et de montrer que nos soldats ne sont pas les auteurs du crime… Il faut toutefois reconnaître que l’on n’y parviendra pas sans difficulté. Mais il est hors de doute que ; pour y arriver, il importe sans parler des efforts d’intelligence qu’il y aura lieu de faire, d’exiger de tous ceux qui savent quelque chose de l’affaire, qu’ils continuent à garder le silence qu’ils ont observé jusqu’ici. »

En présence de ces deux lettres dont l’authenticité est incontestable et incontestée, qui n’étaient destinées qu’à l’empereur, on est, sans avoir le moindre parti pris, fondé à faire retomber la responsabilité de l’assassinat sur des officiers autrichiens. Malgré notre ignorance des détails de l’affaire et des ordres mêmes donnés par les principaux coupables, les affirmations confidentielles de l’archiduc, d’un homme bien placé pour savoir la vérité, que ce qu’il se voit forcé de reconnaître affecte péniblement, qui, ne cherchant qu’à sauver Schmidt en transmettant ses aveux, est évidemment plus porté à atténuer la culpabilité qu’il signale qu’à l’aggraver, ses affirmations, dis-je, ne sauraient être infirmées que par des preuves décisives. Au lieu de ces preuves, le capitaine Criste apporte ses convictions intimes, c’est insuffisant. Il ne nie ni la lettre de Schmidt à Mayer, ni les instructions de Mayer à Merveldt, ni les dispositions prises en conséquence par Merveldt et le chef de son aile droite Görger, mais il interprète ces documents capitaux d’une manière favorable à sa thèse ; seulement, par un malheureux hasard, « il a été impossible de retrouver » les documents par lui interprétés sans les avoir vus (p. 48). Cet auteur si fécond en interprétations et en suppositions dépourvues de tout contrôle, reproche à l’archiduc de s’en être tenu à des « appréciations » (p. 183). Cependant, dans la lettre du 18 mai, l’archiduc renvoie à « l’annexe n° 1 » relative à l’« idée » émise par Schmidt ; or, avec une régularité vraiment fâcheuse pour ses interprétations, M. Criste nous apprend (note de la p. 180) qu’il a été impossible de retrouver cette annexe. Enfin, très difficile pour les autres et content de peu pour lui-même, M. Criste triomphe parce que, « en 1819, vingt ans après l’attentat », dans une histoire de sa campagne de 1799 destinée à être publiée, l’archiduc Charles a écrit : « On ignore jusqu’à ce jour quels ont été les auteurs de ce crime. Il appartient à la postérité de découvrir et de dévoiler ce secret » (p. 406). Je me bornerai à faire remarquer que cette attitude est tout à fait conforme à celle qui a prévalu et que l’archiduc conseillait, confidentiellement à l’empereur dans la lettre du 2 septembre, où il se montrait si préoccupé d’établir « aux yeux du monde l’honneur et la dignité du gouvernement impérial » (p. 384) ; cela prouve que l’archiduc avait de la suite dans les idées et pas autre chose. À l’occasion de ces assassinats, un rapport sur le mois de floréal an VII (avril-mai 1799), mentionné par M. Rocquain. (L’état de la France, au 18 brumaire, p. 379), signale « les démonstrations d’une joie, impie qu’ont fait paraître les royalistes de quelques départements (Cher, Rhône, Alpes-Maritimes, etc.) au récit de nos revers  ». Braves patriotes ! Dignes précurseurs du nationalisme ! Dans un sentiment opposé, l’administration municipale de Nancy, nous apprend le Moniteur du 13 prairial (1er juin 1799), avait cru devoir consigner au quartier les officiers et soldats autrichiens prisonniers de guerre ; ayant été instruit par elle de cette mesure, le ministre de la guerre lui avait répondu, le 5 prairial (24 mai), en l’invitant « à en user comme par le passé vis-à-vis de ces étrangers, c’est-à-dire à allier la plus stricte surveillance aux procédés que réclament le malheur et l’humanité ». Une telle lettre fait honneur à son signataire Milet-Mureau.

§ 4. — Terrible assaut des coalisés.

Quelles étaient, au début de la campagne, les positions occupées de part et d’autre ? Le Directoire avait six armées disséminées sur une ligne s’étendant du Helder au Vésuve. L’armée de Hollande, 11 177 hommes (Revue d’histoire rédigée à l’état-major de l’armée, décembre 1903, p. 584), était commandée par Brune depuis frimaire fin de novembre 1798). L’armée dite de Mayence, qui comprenait (chap. xvii, fin du § 1er) depuis le 9 pluviôse an VI (28 janvier 1798) toutes nos forces sur le Rhin, mise, le 23 vendémiaire an VII (14 octobre 1798), sous les ordres de Jourdan, fut bientôt divisée de nouveau en deux parties : l’une, dite armée d’observation, 28 304 hommes (Idem, p. 584), confiée le 12 pluviôse an VII (31 janvier 1799) à Bernadotte, l’autre, dite armée du Danube, comptant 39 347 hommes (Idem) sous l’action immédiate de Jourdan. Le commandement de la quatrième armée, celle d’Helvétie, 26 339 hommes (Idem), restait (chap. xvi, § 2) entre les mains de Masséna, (qu’un arrêté du 12 ventôse an VII (2 mars 1799) maintint, ainsi que Bernadotte, sous la subordination de Jourdan. Le 3 ventôse an VII (21 février 1799), Scherer, nommé général en chef des armées d’Italie et de Naples, quittait le ministère de la guerre, où Milet-Mureau lui succédait ; il devait, avec l’aide de Moreau en remplacement de Joubert démissionnaire, mener directement les opérations de l’armée d’Italie proprement dite, comprenant 60 901 hommes (Idem, p. 584), plus 37 641 immobilisés dans les garnisons du Piémont et des Républiques cisalpine et ligurienne (Idem, p. 584) ; les 25 870 hommes de l’armée de Naples (Idem) eurent à leur tête, à partir de ventôse an VII, (mars 1799), Macdonald substitué à Championnet, disgracié à la suite d’un différend avec le commissaire civil du Directoire Faipoult et traduit, par arrêté du 7 ventôse (25 février), devant un conseil de guerre.

Au milieu de mars, l’Autriche possédait trois armées bien organisées, l’une de 78 000 hommes, derrière le Lech, en Bavière, dirigée par l’archiduc Charles qui avait, en outre, sous ses ordres, un corps de 26 000 hommes commandé par Hotze et cantonné dans le Vorarlberg et sur la frontière des Grisons ; l’autre, dont le chef était Bellegarde, de 47 000 hommes, dans la vallée de l’Inn et le Tirol, y compris les 5 600 hommes d’Auffenberg détachés en partie à Coire ; la troisième, de 75 000 hommes, en Italie, entre le Tagliamento et l’Adige, sous le commandement provisoire de Kray (Idem, p. 543). Divers corps russes, en tout 30 000 hommes, étaient attendus. De plus, Russes et Anglais devaient agir de concert en Hollande et dans le royaume de Naples. Les coalisés prétendaient envahir le territoire même de la France et restaurer la monarchie. Contre ce terrible assaut, les troupes françaises avaient le double désavantage d’être inférieures en nombre à leurs adversaires et — par suite d’une fausse conception tactique encore en vogue — morcelées quand ils étaient concentrés. Les armées de Jourdan, de Bernadotte, de Masséna n’en reçurent pas moins du Directoire l’ordre de prendre l’offensive.

Jourdan devait, dès que son armée serait arrivée au Danube, occuper les sources de ce fleuve et du Neckar ; Masséna avait à se concerter avec lui pour envahir les Grisons, en même temps que Jourdan pénétrerait en Souabe ; l’armée d’observation, après s’être portée entre le Neckar et le Main, soutiendrait l’armée de Mayence, et les troupes de l’armée d’Italie stationnées dans la Valteline seconderaient l’armée d’Helvétie (Revue d’histoire rédigée à l’état-major de l’armée, décembre 1903, p. 537 et 583). Le 6 ventôse an VII (24 février 1799), l’armée de Mayence commençait à se concentrer en vue du passage du Rhin que Jourdan annonça à Masséna et à Bernadotte pour le 11 (1er mars). De son côté, l’archiduc Charles, suivant les prescriptions de l’empereur, en date du 23 février (Idem, p. 535), avait à couvrir la Souabe et la Franconie, et, en cas de victoire, à chasser les Français de la Suisse. Il avait reçu des renforts du 31 janvier au 19 février et décidait de franchir le Lech le 3 mars.

Dans la nuit du 11 au 12 ventôse (1er au 2 mars), Bernadotte passait le Rhin près de Spire ; une brigade se portait sur Mannheim dont elle s’emparait sans résistance ; un petit corps était laissé devant Philippsburg et le reste de l’armée s’avançait jusqu’à Heilbronn. Le 11 ventôse (1er mars) également, l’armée de Jourdan franchissait le Rhin à Bâle et à Kehl ; elle marchait vers Rottweil et Tuttlingen, et devenait l’armée du Danube. De son côté, l’armée de l’archiduc Charles traversait le Lech à Augsburg. Landsberg et Schongau, et se dirigeait vers Biberach et Ravensburg. Pendant que l’archiduc et Jourdan se rapprochaient lentement, les hostilités commençaient dans les Grisons : l’opération principale consistait à s’emparer du massif des Alpes centrales pour isoler les armées de l’archiduc et de Kray occupés de leur côté. Masséna, après avoir, le 15 (5 mars), rassemblé les troupes du centre de l’armée d’Helvétie, opérait, le lendemain, le passage du Rhin au-dessus et au-dessous de Coire, et obligeait Auffenberg, qui s’était replié sur les hauteurs de cette ville, à se rendre (17 ventôse-7 mars) avec 3 000 hommes. Au même moment, Oudinot, avec une brigade de l’aile gauche, passait le Rhin non loin de Vaduz et s’établissait sur la route de Feldkirch ; à la tête de la partie extrême de l’aile droite, Lecourbe quittait Bellinzona le 17 (7 mars). arrivait à Thusis d’où ses troupes, entrant dans l’Engadine, gagnaient, après la vallée de l’Inn, celle de l’Adige. Tandis que Lecourbe, infligeant de rudes pertes à un corps de l’armée de Bellegarde, atteignait la Reschen et poussait, au commencement de germinal (fin de mars), son avant-garde sur la route de Landeck, Loison, avec l’autre brigade de l’aile droite, dépassait Disentis, mais était contraint ensuite à reculer, et le général Dessoles, détaché avec 5 000 hommes de l’armée d’Italie dans la Valteline pour lier cette armée à l’armée d’Helvétie, parvenait à Bormio le 27 (17 mars) et, après un combat heureux, à Glurns dont il s’emparait. Dans une lettre de Masséna datée de Coire, 24 ventôse (14 mars), et publiée pour la première fois par M. Jean Servien dans le Petit Marseillais du 2 janvier 1904, on lit : « Au moment où je vous écris, le pays grison est entièrement occupé par nous et même une partie du territoire autrichien. Sans des considérations politiques, nous aurions ajouté à nos conquêtes. J’ai peine à maîtriser l’ardeur du soldat qui voudrait aller en avant ». Si, à la suite des manœuvres qui viennent d’être résumées, Bellegarde se trouvait séparé de Hotze, celui-ci était fortement installé à Feldkirch. Le 29 ventôse (19 mars), Masséna était invité par Jourdan à s’emparer de cette place et à marcher sur Bregenz où il comptait se porter. Mécontent de lui être subordonné, et peut-être est-ce à cela que la lettre que je viens de citer faisait allusion, Masséna envoyait sa démission et ne bougeait pas ; mais, le 2 germinal (22 mars), Oudinot était attaqué par la garnison de Feldkirch, qu’il repoussait.

À la nouvelle des premiers succès de Masséna dans les Grisons, Jourdan s’était porté en avant. Le 23 ventôse (13 mars), il franchissait le Danube et, continuant à avancer, il s’établissait le 27 (17 mars) de Mengen au lac de Constance, ayant son centre à Pfullendorf ; le 30 (20 mars), son avant-garde était à Ostrach. L’archiduc Charles avait marché à son tour et concentré, le 29 (19 mars), le gros de son armée entre Saulgau et Altshausen ; le 1er germinal (21 mars), à la pointe du jour, il attaquait et battait Jourdan qui dut évacuer Ostrach, rallier ses divisions malheureusement disséminées et se retirer, dans la nuit suivante, un peu en arrière de Stockach. Le 4 (24 mars), l’archiduc se dirigeait sur ce point, où Jourdan, qui avait atteint Engen, s’avançait et lui livrait bataille le lendemain. Les Autrichiens, d’abord repoussés, écrasèrent finalement l’armée française grâce à l’arrivée de leurs réserves. Sans être inquiété, Jourdan battit en retraite vers l’Alsace ; tout espoir de jonction de l’armée du Danube et de l’armée d’Helvétie était perdu. Le 14 (3 avril), ayant atteint les défilés de la Forêt-Noire, Jourdan rentrait à Paris sous prétexte de maladie. Il laissait le commandement à son chef d’état-major Ernouf qui ramenait l’armée sur la rive gauche du Rhin, une partie par Vieux-Brisach le 16 (5 avril) et le reste, le lendemain, par le pont de Kehl ; quant à Jourdan, il allait à Paris remettre sa démission. Cette retraite entraînait celle de l’armée d’observation qui abandonna le siège de Philippsburg et sauf une garnison laissée à Mannheim, repassa le Rhin ; déjà, le 1er germinal (21 mars), Bernadotte avait allégué des raisons de santé pour demander un congé. Masséna avait appris, le 2 germinal (22 mars), l’échec éprouvé la veille par Jourdan. Il se décida alors, à attaquer Feldkirch ; sa tentative n’aboutit pas (3 germinal-23 mars) ; averti de la retraite de Jourdain le 7 (27 mars), il retira sa démission et se résolut à rétrograder. Le 7 (27 mars), l’armée d’observation supprimée devenait une aile de l’armée du Danube et, le 23 germinal (12 avril), Masséna était nommé général en chef des armées du Danube et d’Helvétie.

On se rappelle que le Directoire avait déclaré la guerre non seulement à l’Autriche, mais encore à la Toscane. Pour effectuer la conquête bien inutile de ce dernier pays, la division Gauthier, forte de 6 000 hommes, fut distraite des 50 000 combattants dont Scherer pouvait avec peine disposer, sur la ligne du Mincio. Le 6 germinal (26 mars), nos troupes entraient dans Florence sans difficulté et, le surlendemain, le grand-duc Ferdinand III quittait la ville se rendant à Vienne. Une colonne marchait par Pise sur Livouroe qui était occupée le 28 (17 avril).

Après avoir passé le Mincio, Scherer tenant à prendre l’offensive avant l’arrivée des Russes avait, le 5 (25 mars), établi son camp en face des Autrichiens. Le 6 (26 mars), il les attaquait ; mais si sa gauche près du lac de Garde et son centre sous Vérone l’emportaient, sa droite était battue vers Legnago ; le lendemain, les Autrichiens rentraient dans Vérone où Kray concentrait ses troupes. Scherer, lui, perdit son temps à éparpiller les siennes dans des allées et venues indécises. Un échec d’une de ses divisions, le 10 (30 mars), non loin de Vérone, précéda son échec du 16 (5 avril) au sud de cette ville, à Magnano. Comme à Stockach, au début de la journée, la victoire pencha de notre côté, puis l’apparition subite de renforts considérables transforma la victoire entrevue en déroute. Sans même chercher à disputer la ligne du Mincio ou celle de l’Oglio, sans être poursuivi par Kray qui, ne commandant que par intérim, voulut laisser ce soin à son chef Mélas et l’attendit dans le camp de Villafranca où celui-ci arriva le 20 (9 avril), Scherer s’obstina dans une retraite peu glorieuse. Il ne s’arrêta que derrière l’Adda (2 floréal-21 avril), après avoir conseillé à Macdonald de préparer l’évacuation du royaume de Naples. En vertu d’un arrêté du Directoire du 2 floréal (21 avril) déchargeant Scherer, sur sa demande, du commandement des armées d’Italie et de Naples donné à Moreau, ce dernier prit ce commandement le 7 (26 avril). Le 25 germinal (14 avril), l’armée autrichienne, qui s’était bornée à investir Peschiera et Mantoue, avait été rejointe sur le Mincio par 20 000 Russes ; le commandement en chef était passé à Souvorov généralissime des forces coalisées.

Sur l’ordre du Directoire, Macdonald quitta Naples le 18 floréal (7 mai) et se dirigea vers le nord ; il eut le tort de vouloir renforcer les garnisons de certaines places et de diminuer ainsi son effectif. Son départ facilita la tâche des partisans du roi en insurrection contre la République napolitaine et contre les Français. À l’abri en Sicile, Ferdinand IV avait le 25 janvier, nommé « vicaire général du royaume », en lui délégant tous les pouvoirs, un certain cardinal Ruffo à qui, dit Jomini (t. XI, p. 327), « Pie VI avait donné le chapeau pour se débarrasser d’un trésorier infidèle ».

Le 8 février, Ruffo pénétrait en Calabre et bientôt les populations se soulevaient à son appel ; fin avril, il en était maître et entamait la Basilicate. Il avait réuni une vingtaine de mille hommes, parmi lesquels se, trouvaient certains moines, allant alternativement de l’escroquerie religieuse au brigandage de grande rente. D’un autre côté, en mai, le chevalier Antonio Micheroux, ayant obtenu d’Ouchakov l’appui de détachements russes, entrait à Bari le 14, à Barletta le 16, à Foggia le 21. Les bandes de Ruffo et de Micheroux approchaient bientôt de Naples, le 9 juin à Avellino le 11 à Nola, le 13 à Portici, et ce même jour les républicains éprouvaient une défaite, à la suite de laquelle, les 14, 15 et 16 juin, les émeutiers ; de la réaction catholique et royale commirent à Naples des atrocités. Après de longs pourparlers, une capitulation était signée le 4 messidor (22 juin), comportant l’évacuation des forts par les républicains, mais le maintien, au fort Saint-Elme, de quatre otages qui devaient être garants de l’exécution de la convention en vertu de laquelle les forts seraient livrés dès l’arrivée des transports chargés de conduire leurs garnisons à Toulon ; les soldats napolitains qui s’y trouvaient et qui préféreraient rester à Naples, ne devaient pas être inquiétés (Revue historique, t. LXXXIII, p. 256 à 260, La fin de la République napolitaine, par H. Hueffer).

Tout était entendu, l’exécution de la capitulation était commencée, quand, l’escadre anglaise, sous les ordres d’Emma Hamilton et de Nelson, aborda, dans la baie de Naples ; ce couple manifesta aussitôt (24 juin) l’intention, et bientôt, autorisé par l’ignoble reine (25 juin), ordonna de ne tenir aucun compte de ce qui avait été convenu (28 juin). Nelson prit l’initiative des crimes les plus odieux ; assassinats et incendies eurent raison des républicains napolitains. Cet homme, qui est encore en Angleterre l’objet d’une dévotion véritablement excessive et qu’un lion si grotesque pleure dans la cathédrale de Saint-Paul à Londres, a, d’après Jomini (t. X, p. 199), « terni sa gloire à Naples par des cruautés dégoûtantes ». Le commandant français du fort Saint-Elme, Méjean, eut le triste courage d’assister, sans risquer une protestation à ces ignominies ; il ne gêna en rien les préparatifs de siège faits autour de son fort et, à la première attaque, il signa une nouvelle capitulation livrant à leurs bourreaux les Napolitains réfugiés auprès de lui et restituant les otages. Capoue capitulait le 10 thermidor (28 juillet) et Gaëte le 11 (29 juillet). Le 7 vendémiaire an VIII (29 septembre 1799), les garnisons françaises du château Saint-Ange à Rome, de Civita-Vecchia et de Corneto, que bloquaient les Napolitains, les campagnards insurgés et les vaisseaux anglais, convinrent de rendre, huit jours après, Rome aux Napolitains et les deux autres places aux Anglais ; avec Ancône dont j’ai déjà parlé, c’étaient, en dehors de la région des Alpes, les seules villes d’Italie où les troupes françaises tinssent encore ; les alliés s’engagèrent à transporter, avec armes et bagages, les trois garnisons à Marseille, où elles débarquèrent, en effet, le 5 brumaire (27 octobre), et à ne pas inquiéter les républicains romains, mais ce dernier engagement fut scélératement violé.

Général en chef des armées du Danube et d’Helvétie, Masséna commandait à 100 000 hommes environ. La droite allait de l’Engadine au lac de Constance ; le centre tenait la rive gauche du Rhin, du lac de Constance à Rheinfelden ; la gauche, dont une partie était constituée par l’ancienne armée d’observation, montait de Bâle au delà de Mannheim en un mince cordon ressemblant, suivant le mot de Jomini (t. XI, p. 209), à « une ligne de douaniers ». Par un arrêté du 2 floréal (21 avril) supprimant l’armée d’Helvétie, toutes ces troupes ne formèrent plus qu’une armée dite du Danube.

Si, pendant le mois d’avril, l’armée de l’archiduc Charles resta dans ses cantonnements, immobilisée par les ordres de Vienne où on persistait à la maintenir en Allemagne en attendant les renforts russes, l’armée de Bellegarde marcha, dès le début de ce mois, contre Lecourbe et Dessoles, dont les succès étaient rendus inutiles par la retraite de Jourdan, et qui, n’ayant à compter sur aucun appui, rétrogradèrent devant des forces très supérieures. Ils se rejoignirent à Zernetz, sur la rive droite de l’Inn, à une quarantaine de kilomètres au sud-est de Coire, d’où Dessoles descendit à Tirano ; là, rappelé en Italie, il laissa le commandement de ses troupes au général Loison. Satisfait de ce double recul, Bellegarde employa tout le reste du mois d’avril à combiner avec Hotze une entreprise contre la droite de Masséna et ne se remit en mouvement que le 11 floréal (30 avril).

Lecourbe, tout en luttant avec succès, dut alors se replier sur les sommités de l’Albula, en laissant un fort détachement à Davos. Puis, afin d’arrêter les troupes envoyées par Souvorov pour s’emparer du Saint-Gothard, il se porta sur Bellinzona, tandis que Loison, ayant évacué Tirano le 16 (5 mai), arrivait au Splügen ; il atteignit, le 24 (13 mai), une brigade détachée par Souvorov à Lugano et dont l’avant-garde se trouvait déjà à une quinzaine de kilomètres au nord, au mont Cenere ; le chef de cette brigade était le prince de Rohan, émigré français que le sentiment nationaliste et patriotique, si développé chez les royalistes, avait irrésistiblement poussé à combattre la France à la solde de l’Autriche. Lecourbe le battit complètement, le rejeta au fond de la vallée d’Agno et vint prendre position au Saint-Gothard. Pendant ce temps, le 25 (14 mai), commençait une nouvelle manœuvre combinée de Hotze et de Bellegarde. Le premier, à qui l’archiduc Charles avait expédié un renfort d’une douzaine de mille hommes, s’emparait de Coire, le second de Davos, et les Grisons nous étaient enlevés.

L’archiduc qui, depuis les premiers jours de mai, avait multiplié les démonstrations sur le Rhin, afin d’empêcher Masséna de secourir sa droite,

Masséna.
D’après Bonneville (Bibliothèque Nationale).


pouvait maintenant se joindre à Hotze et à Bellegarde pour l’écraser. Aussi, modifiant sa ligne de défense, Masséna s’établit en arrière d’une façon plus solide ; ses adversaires lui rendaient le service de lui imposer la concentration de ses forces. Le 1er et le 2 prairial (20 et 21 mai), les bords du Rhin furent évacués jusqu’à l’embouchure de l’Aar ; la gauche garda le Rhin de Waldshut à Bâle ; le centre s’installa à l’ouest de Winterthur, entre la Töss et la Glatt — rivière allant, du lac Greifen, se jeter dans le Rhin au-dessus de Kaiserstuhl — et à l’est du lac de Zurich, à Utznach et à l’embouchure de la Linth ; Lecourbe, qui recevait l’ordre de quitter le Saint-Gothard et de se replier avec la droite par la vallée de la Reuss en se rapprochant du centre, arriva à Altdorf à la fin de mai. Au moment où Masséna s’attachait à couvrir principalement Zurich, il avait la chance que la cour de Vienne rassurée sur le sort du Tirol et du Vorarlberg par la reprise des Grisons, s’intéressant peu, dès lors, aux opérations de la Suisse et désireuse de frapper un coup décisif en Italie, ordonnât à Bellegarde de joindre son armée à celle de Souvorov en laissant 10 000 hommes pour s’emparer du Saint-Gothard et garder la Valteline. Le général autrichien se dirigea aussitôt par le Splügen sur Chiavenna, où il était le 2 prairial (21 mai), et de là sur Côme, où il réunissait ses forces le 9 (28 mai).

À la suite de la retraite de Masséna, Hotze, passant le Rhin, avait occupé Saint-Gall le 4 prairial (23 mai). Ce même jour, l’archiduc Charles qui tenait à pénétrer en Suisse faisait aussi passer le Rhin à son armée concentrée aux environs de Singen ; dès le 2 (21 mai), son avant-garde avait franchi le fleuve à Stein et poussé jusqu’à Frauenfeld. Si Masséna remporta, le 5 et le 6 (24 et 25 mai), à Frauenfeld et à Andelfingen des succès qui firent éprouver aux Autrichiens des pertes sensibles, il ne put empêcher la jonction des corps de Hotze et de l’archiduc, le 7 (26 mai), sur la rive droite de la Thur. Le 8 (27 mai), les Autrichiens arrivaient sur la Töss et s’emparaient de la ville de ce nom ; le lendemain, ils marchaient sur la Glatt, et Hotze enlevait le pont de Dübendorf ; les armées ennemies, groupées aux environs de Zurich, n’étaient plus séparées que par la Glatt. Le 16 (4 juin), après une journée meurtrière pour eux, les Autrichiens passaient sur la rive gauche de cette rivière et la gardaient. L’archiduc préparait pour le 18 (6 juin) une nouvelle attaque contre Masséna, lorsque celui-ci, dans la nuit du 17 au 18 (5 au 6 juin), évacua son camp retranché de Zurich, se retira sur la rive gauche de la Limmat et prit de nouvelles positions sur les hauteurs de l’Uetli-Berg. Il avait une bonne ligne de défense, communiquant à droite avec Lecourbe qui tenait Lucerne, à gauche avec les troupes qui défendaient le Rhin de Waldshut à Bâle, dans laquelle il se décida à attendre des renforts. Le 18 (6 juin), l’archiduc Charles entrait dans Zurich.

Nous avons laissé l’armée d’Italie derrière l’Adda. Quand Moreau en prit le commandement, affaiblie par les pertes subies et par les garnisons laissées dans certaines places, elle ne comptait plus que 28 000 hommes disséminés, par Scherer, de Lecco, où Sérurier était à la pointe orientale du lac de Côme, à Lodi, où se tenait Victor. Grenier commandait au centre, à Cassano, sur la rive gauche de l’Adda. L’armée austro-russe s’était avancée vers l’ouest ; si son avant-garde, sous les ordres de Bagration, avait vu, le 6 floréal (25 avril), une attaque du pont de Lecco repoussée par la division de Sérurier, l’armée elle-même parvenue, le 7 (26 avril), sur la rive gauche de l’Adda, franchissait cette rivière de telle façon que la ligne des Français se trouvait coupée en deux endroits, battait, le 8 (27 avril) à Cassano, Grenier qui eut, avec 11 000 hommes, à soutenir le choc de 25 000, et forçait Moreau à la retraite. Au lieu de se replier sur Plaisance, afin de rester en communication avec l’armée de Naples qu’il attendait, celui-ci se retira sur Milan, puis sur Turin ; à peine à Milan, en effet, il avait fait évacuer la ville en laissant dans le château 2 400 soldats ; ces derniers, de même que les 3 000 laissés un peu plus tard dans la citadelle de Turin, auraient pu être mieux employés. Le 9 (28 avril), Sérurier, cerné, était, malgré une vigoureuse résistance, contraint à capituler et, le même jour, Souvorov faisait à Milan une entrée aussi triomphale que l’avait été celle de Bonaparte. La République cisalpine était livrée aux alliés ; une insurrection avait éclaté en Lombardie, comme, du reste, dans les autres régions de l’Italie que les Français avaient occupées et pressurées.

Moreau, revenant sur ses pas, avait, le 18 (7 mai), établi Grenier entre le Pô et le Tanaro, non loin d’Alexandrie, Victor entre Alexandrie et les sources de la Bormida, et il avait chargé Pérignon, récemment arrivé à Gênes, de commander les troupes stationnées en Ligurie et de garder les débouchés sur cette ville. À cette même époque, les places que nous tenions encore dans la région du nord commençaient à tomber entre les mains de l’ennemi ; c’était le cas pour Peschiera, Pizzighettone, au confluent de l’Adda et du Serio, et la ville de Tortone (20 floréal-9 mai) dont la citadelle nous restait. Un corps russe étant passé, le 23 (12 mai), sur la rive droite du Pô, à Bassignano, localité au confluent du Pô et du Tanaro, Moreau le culbuta après un combat sanglant ; mais les alliés, le 26 (15 mai), étaient à Novi ; la route d’Alexandrie à Gênes se trouvait coupée ; Moreau échoua, le 27 (16 mai), dans une tentative du côté de Marengo et dut regagner la rive gauche de la Bormida. Voulant à tout prix rester en communication avec Gênes, le 28 (17 mai), il envoya, par Acqui et Dego, Victor qui, le 30 (19 mai), communiqua avec Pérignon installé un peu au nord de Gênes, au col de la Bocchetta, et lui-même, laissant 3 000 hommes à Alexandrie, se porta par Asti et Savigliano au-dessus de Savone. Souvorov, que le succès de Lecourbe sur le prince de Rohan, le 24 (13 mai), du côté de Lugano, avait inquiété, aurait volontiers envahi la Suisse ; mais un ordre de l’empereur l’immobilisait en Italie tant que Mantoue et les autres places bloquées ne se seraient pas rendues. Ayant appris la retraite de Moreau, il dirigea, le 2 prairial (21 mai), des forces par Chivasso sur Turin où, à l’exception de la citadelle, elles entraient le 7 (26 mai), tandis que d’autres investissaient le fort de Tortone et Alexandrie ; sauf la citadelle, cette dernière ville était en leur pouvoir le 10 (29 mai). Les Piémontais sont dans la joie. « Mais, les lampions éteints, ils s’aperçoivent vite que les charges sont aussi lourdes et emportent plus de brutalité, plus d’humiliation surtout, que du temps des Français. Les insurrections excitées par Souvorov tournent au brigandage ; des bandes, menées par des moines, parcourent les villages, arrachent les arbres de la liberté, les remplacent par des croix, vont faire leurs dévotions à l’église, envahissent les maisons des suspects, qui se trouvent toujours être les riches, pillent, tuent, violent, brûlent, et s’en vont. » (A. Sorel, L’Europe et la Révolution française, 5e partie, p. 411).

Partie, le 18 et le 19 floréal (7 et 8 mai), de Naples et ayant presque partout à lutter sur son passage contre des insurgés, l’armée de Macdonald arrivait le 27 et le 28 (16 et 17 mai) à Rome, le 6 prairial (25 mai) à Florence et le 10 (29 mai) à Lucques. C’est de là que le plan de jonction put être combiné avec Moreau.

Il fut convenu que Macdonald marcherait par Modène, Parme et Plaisance vers Tortone que Moreau atteindrait par Gavi et Novi. Ils n’avaient quelque chance de réussir qu’en faisant vite. Macdonald resta dix jours dans l’inaction en Toscane, alors qu’il ne fallait pas tout ce temps pour reposer ses troupes ; le 21 (9 juin) seulement, il se remettait en route et remportait, le 24 (12 juin), un succès à Modène. Victor venant de Pontremoli descendait en même temps à Borgo San-Donnino où l’avant-garde de Macdonald le rejoignait le 26 (14 juin). Continuant sa marche sur Plaisance où elle entrait le 28 (16 juin), l’armée refoulait un corps autrichien et s’établissait sur la rive gauche de la Trebbia.

Souvorov qui, à la nouvelle de la marche de Macdonald, avait à tout hasard rassemblé ses forces entre Alexandrie et Tortone, jugea que, pour empêcher la jonction avec Moreau, il lui fallait aller sans perdre de temps à la rencontre de Macdonald et, le 29 (17 juin), il arrivait à propos au secours des Autrichiens de nouveau assaillis par les troupes françaises et sur le point de céder. Attaqué le 30 (18 juin), Macdonald dut passer sur la rive droite de la Trebbia ; de part et d’autre, on lutta toute la journée et toute celle du lendemain avec un acharnement qui fut surtout extraordinaire entre les Polonais au service de la France et les Russes. Le soir du 1er messidor (19 juin), les armées ennemies se trouvèrent toujours séparées par le lit de la Trebbia ; ne recevant pas de renforts comme Souvorov, Macdonald ne voulut pas risquer avec des soldats épuisés une quatrième journée de combat et, dans la nuit du 1er au 2 (19 au 20 juin), il battit en retraite par le chemin qu’il avait suivi pour venir. Le 2 (20 juin), la division Victor fut écrasée sur la Nure, torrent coulant à l’est de la Trebbia, parallèlement à cette rivière. Souvorov, ayant éprouvé de grandes pertes et craignant l’arrivée de Moreau, ne fit pas poursuivre davantage Macdonald qui put réorganiser un peu ses troupes, le 4 (22 juin), à Reggio, et atteindre, le 29 (17 juillet), Gênes où elles parvinrent dans un état déplorable.

Le 28 prairial (16 juin), Moreau s’était dirigé vers Gavi d’où malheureusement il déboucha un peu tard ; le 1er messidor (19 juin), il se portait sur Tortone où le blocus du fort venait d’être levé, battait, le 2 (20 juin), près de Marengo, à Cassina Grossa, Bellegarde que nous avons vu arriver à la fin de mai à Côme, d’où il avait gagné les environs d’Alexandrie. À cette date, la bataille de la Trebbia était perdue, et ce fut là une victoire inutile. Au moment où Moreau allait marcher vers Plaisance, il apprenait la défaite de Macdonald et la reddition de la citadelle de Turin qui avait eu lieu le 2 (20 juin). Il ne pouvait plus songer à la jonction projetée ; aussi, prévenu de l’approche de Souvorov qui, parti le 5 (23 juin) de la rive droite de la Nure, prenait position, le 7 (25 juin), à Castelnuovo, il avait évacué la plaine de Tortone dont Souvorov faisait de nouveau bloquer le fort, réoccupé les hauteurs de Gavi, puis les postes où il était installé avant cette expédition ; ce fut du côté de Gênes que l’armée de Naples mutilée fut rejointe en messidor (juillet) par l’armée d’Italie.

À la suite des événements du 30 prairial (18 juin) dont il sera question dans le chapitre suivant, le Directoire modifié appelait, le 14 messidor (2 juillet), au ministère de la guerre, en remplacement de Milet-Mureau, Bernadotte et, en même temps qu’on prenait diverses mesures relatives à une prompte levée de conscrits et à leur rapide instruction, divers changements étaient opérés dans les armées. On décida la reconstitution d’une « armée des Alpes » à Chambéry et d’une « armée du Rhin » qui devait être la troisième de ce nom. L’armée des Alpes reçut, le 17 messidor (5 juillet), pour commandant direct placé sous les ordres du général en chef de l’armée d’Italie, Championnet, remis en activité par le nouveau Directoire dont un arrêté du 5 messidor (23 juin) avait rapporté celui du 7 ventôse (25 février) ; Macdonald dont les troupes rentraient dans l’armée d’Italie, était rappelé ; Joubert était nommé général en chef des armées d’Italie et des Alpes ; Moreau recevait le commandement en chef de l’armée du Rhin et de l’année du Danube laissée à Masséna. Celui-ci ayant alors offert sa démission, on la refusa ; on lui écrivit, le 30 thermidor (17 août), que l’arrêté qui l’avait motivée était rapporté en ce qui concernait la subordination de l’armée du Danube et de son chef à un autre général ; mais on persista à former l’armée du Rhin dont le commandement provisoire fut donné au général Muller.

Quand cela n’aurait été que dans le but de procurer à son armée les approvisionnements indispensables que les croisières des navires anglais dans la Méditerranée ne lui permettaient pas de recevoir par mer, Moreau aurait eu l’idée de reprendre l’offensive en Italie ; cependant, il préféra attendre pour cela son successeur. De son côté, Souvorov qui venait de recevoir un renfort de 8 000 Russes, aurait voulu profiter de sa supériorité pour écraser Moreau ; mais une lettre autographe de l’empereur, du 10 juillet, tout en le félicitant de sa victoire de la Trebbia, lui enjoignit de ne rien entreprendre ni en Suisse, ni en Ligurie, avant la prise de Mantoue et des citadelles d’Alexandrie et de Tortone. Furieux, Souvorov néanmoins obéit ; il augmenta l’effectif des troupes chargées de ces sièges et campa près de la Bormida.

La Russie et l’Angleterre estimaient, comme Souvorov, que l’Autriche se préoccupait trop exclusivement de ses intérêts particuliers ; elles n’étaient nullement disposées à réduire leur coalition au rôle d’instrument de la domination autrichienne en Italie. Aussi réglèrent-elles, le 22 juin, en dehors de l’Autriche, leur descente en Hollande.

De plus, sur l’initiative de l’Angleterre et avec le consentement du tsar, les ambassadeurs de Russie et d’Angleterre à Vienne arrêtèrent, en juillet, avec le cabinet autrichien un nouveau plan en vertu duquel l’Autriche agirait seule en Italie ; Souvorov et les divers corps russes se porteraient en Suisse que l’archiduc Charles abandonnerait, dès l’arrivée des troupes russes, pour se diriger sur le Rhin, vers Mayence et l’ancienne frontière de la Belgique, et soutenir les Anglo-Russes en Hollande, puis dans ce dernier pays. Les ordres furent expédiés le 31 juillet à l’archiduc et le lendemain à Souvorov.

Pendant que s’élaborait cette combinaison tendant à l’invasion de la France, la citadelle d’Alexandrie capitulait (3 thermidor-21 juillet) ; Mantoue, où le général Foissac-Latour aurait encore pu tenir, en faisait autant le 12 (30 juillet) et, du coup, Kray pouvait aller avec une vingtaine de mille hommes renforcer Souvorov sur la Bormida. D’autre part, le 17 (4 août), Joubert prenait possession de son commandement ; il était entendu que Moreau resterait quelques jours avec lui. Ignorant la reddition de Mantoue et pressé, pour plaire au gouvernement et, en particulier, à Sieyès, de remporter une victoire, Joubert se hâta d’entrer en campagne. Le 27 (14 août), après des escarmouches heureuses, l’armée française campait sur les hauteurs de Novi, en face des alliés concentrés par Souvorov au sud d’Alexandrie ; Joubert apprenait alors la capitulation de Mantoue et l’arrivée du corps de Kray, qui le mettaient dans une infériorité sur laquelle il n’avait pas compté. Le soir même, il réunissait un conseil de guerre, paraissait d’accord avec ses généraux, tous d’avis de regagner les anciennes positions ; mais, lorsqu’il aurait dû suivre cet avis sans tarder, il remettait la décision définitive au lendemain. Or, à la pointe du jour, le 28 (15 août), Souvorov engageait l’action. Le choc fut rude et déconcerta tout d’abord nos soldats ; Joubert se précipita bravement pour les encourager et fut tué un des premiers. Sa mort augmentait déjà la confusion, quand Moreau qui se trouvait là assuma la responsabilité du commandement et parvint à rallier les troupes. Si les premières tentatives des alliés furent repoussées, il fallut, devant la supériorité de leurs forces, après une douzaine d’heures d’une lutte acharnée, battre en retraite sur Gênes.

Comme complément de cette victoire qui affermissait la domination des alliés en Italie, le général autrichien Klenau voulut, le 4 fructidor (21 août) tenter un coup de main sur cette dernière ville. Il réussit à nous enlever Chiavari, sur la côte orientale du golfe de Gênes ; mais, le 9 (26 août), il en était chassé, sans avoir été soutenu par Souvorov, qui ne parut nullement tenir à ce que Gênes tombât entre les mains de l’Autriche ; quant à lui, le 3 (20 août), il avait campé à Asti, où il reçut officiellement connaissance, le 25 août du nouveau plan concerté entre les alliés et dont il a été parlé plus haut. Les colonnes de Championnet sur les Alpes eurent quelques petits succès ; celle de gauche emportait, le 23 thermidor (10 août), le poste retranché de la Thuile, près du col du Petit Saint-Bernard, celle du centre, le 14 fructidor (31 août), enlevait Pignerol, celle de droite, le 9 (26 août), poussait au delà du fort de Demonte, dans la direction de Coni, et arrivait sous les murs de cette place le 16 (2 septembre). Mais ces mouvements ne pouvaient être que très restreints, et Souvorov ne les jugea pas de nature à retarder son départ pour la Suisse, après la capitulation conditionnelle du fort de Tortone dont le commandant s’engagea, le 8 (25 août), à le rendre le 25 (11 septembre), s’il n’était pas secouru avant cette date. Souvorov remit le commandement de l’armée autrichienne à Mélas et, le 22 (8 septembre), se dirigea vers Casale. Averti en route que Moreau allait profiter de son départ pour tenter de secourir Tortone avant le 25 (11 septembre), il revint sur ses pas et, le 24 (10 septembre), son armée reparaissait dans les environs de Novi. Devant ce déploiement de forces ; Moreau renonça à son projet ; le lendemain, le fort de Tortone était livré aux alliés et Souvorov reprenait sa marche vers Lugano. Nous allons voir combien ce retard de trois jours eut pour nous d’heureuses conséquences.

Aussitôt après son entrée à Zurich (18 prairial-6 juin), l’archiduc Charles établissait le gros de son armée sur la chaîne de collines qui sépare la Glatt de la Limmat. Jusqu’au 27 (15 juin), il y eut de petits combats à la suite desquels les Français reprirent quelques postes qu’ils avaient perdus ; en revanche, Jellachich, envoyé contre Lecourbe, arriva à Utznach ; le 20 (8 juin), et occupa, sans rencontrer de résistance, Glaris et Schwyz. Puis commença une période pendant laquelle l’archiduc attendant l’arrivée du corps auxiliaire russe de Korsakov, et Masséna les renforts annoncés par le gouvernement, se bornèrent à s’observer. L’archiduc essaya d’attirer l’attention de Masséna vers l’Alsace en faisant, le 5 et le 7 messidor (21 et 25 juin), attaquer par le général Starray nos postes du Bas-Rhin. Ceux-ci durent se replier, abandonnant toutes leurs positions de la rive droite ; mais, le 18 (6 juillet), certaines d’entre elles étaient reprises, et Masséna, sans se laisser troubler par ces démonstrations, ne bougea pas de la Suisse. Ce fut après ces incidents que le gouvernement décida, ainsi qu’il a été dit tout à l’heure, la formation d’une « armée du Rhin » qui eut au début son quartier général à Türkheim, non loin de Colmar.

Pressé par le Directoire de prendre l’offensive, Masséna, avant d’engager une action générale, chargea Lecourbe d’opérer contre quatre corps autrichiens placés dans les montagnes et éloignés les uns des autres : les 27, 28 et 29 thermidor (14, 15 et 16 août), ils furent tous les quatre attaqués avec succès : le prince de Rohan, ce digne échantillon du patriotisme des royalistes français, au pied du Simplon, du côté de l’Italie, fut refoulé vers Domo d’Ossola ; Strauch, qui tenait le Grimsel, dut se retirer vers Bellinzona ; Simbschen, qui gardait dans la vallée de la Reuss la route du Gothard, fut réduit à se replier sur Ilanz et nous reprîmes le Saint-Gothard ; enfin Jellachich, entre le lac des Quatre-Cantons et celui de Zurich, fut repoussé derrière la Linth, et la ville de Schwyz fut prise. Ces mouvements des troupes françaises et l’arrivée des 30 000 Russes de Korsakov et de Derfelden poussèrent l’archiduc à tenter, le 30 (17 août), entre l’embouchure de la Limmat et le Rhin, le passage de l’Aar qu’il méditait depuis quelque temps, tandis que Hotze agirait contre notre division de droite, alors installée sur la rive gauche de la Linth. Finalement, ces deux tentatives échouèrent. L’archiduc avait reçu, conformément au plan arrêté entre les puissances alliées et à lui expédié le 31 juillet, l’ordre de quitter la Suisse aussitôt après l’arrivée des troupes russes. Désapprouvant cette mesure qui lui paraissait dangereuse, excusant, dès lors, jusqu’à un certain point, le mécontentement furibond de Korsakov à cette nouvelle, il résolut de lui laisser, en attendant Souvorov, les 20 000 hommes de Hotze. Informé qu’un corps d’armée français avait fait, le 9 fructidor (26 août), irruption sur le Rhin, il ne crut pas pouvoir rester personnellement plus longtemps en Suisse qu’il quitta le 15 (1er septembre).

Muller qui commandait sur le Rhin avait été, en effet, invité à opérer une diversion en faveur de l’armée du Danube. En conséquence, le 9 fructidor (26 août), il avait passé le Rhin à Mannheim avec une douzaine de mille hommes, marché sur Philippsburg, qui était investi le lendemain, et dirigé deux colonnes, l’une vers Karlsruhe, l’autre vers Heilbronn. Les Autrichiens s’étaient ralliés au sud de cette dernière ville, à Lauffen età Pforzheim. L’archiduc avait d’abord projeté d’attendre les événements à Donaueschingen ; mais, craignant que les Français ne fussent plus nombreux qu’ils ne l’étaient en réalité, il marcha lui-même, le 19 (5 septembre), à leur rencontre afin d’arrêter leurs succès. Muller, qui avait fait entamer, le 20 (6 septembre), le bombardement de Philippsburg, et qui était trop faible pour lutter contre les forces de l’archiduc, se replia, le 25 (11 septembre), sur cette place très éprouvée, en leva le siège et se retira sur Mannheim où il arriva le 28 (14 septembre). La petite armée du Rhin, dit Jomini, « avait rempli son objet au delà de toute espérance » (t. XII, p. 24) ; Muller n’eut qu’un tort, ce fut, lorsqu’il repassa le Rhin, le 29 (15 septembre), de maintenir à Mannheim des troupes que l’archiduc, le 2e jour complémentaire de l’an VII (18 septembre), écrasa. Pendant ce temps, Masséna prenait ses dispositions pour une attaque générale. La partie ne pouvait être gagnée qu’en concentrant le plus d’hommes

un malheureux rentier.
(D’après une estampe de la Bibliothèque Nationale.)


possible ; peu importait de découvrir pour cela certains endroits qui, même restant couverts, n’en devraient pas moins être abandonnés dans le cas d’une défaite ; peu importait que Souvorov réussît à déboucher du Saint-Gothard, si la déroute préalable de ses lieutenants le laissait seul en face de Masséna.

Il ne fallait pas que l’ennemi eût vent de ce qui se préparait ; « les ordres du général en chef, dit Jomini, furent suivis avec un secret et une précision que l’on ne saurait trop admirer » (Idem, p. 250). Dans la matinée du 3 vendémiaire an VIII (25 septembre 1799), la Limmat était franchie sur un pont de bateaux et, pendant que des démonstrations sur divers points occupaient certains corps de Korsakov, le gros de ses forces campé en avant de Zurich était obligé de se réfugier sous les remparts de cette place. Le 4 (26 septembre), sur le point d’être cerné, Korsakov attaqua avec impétuosité pour s’ouvrir un passage vers le nord. L’avant-garde passa, le reste éprouva des pertes considérables. Par Bülach, les débris de l’armée russe gagnèrent en désordre la rive droite du Rhin. En même temps que la bataille de Zurich nous rendait la ligne de la Limmat et Zurich, Soult attaquait Hotze sur la ligne de la Linth. Dès les premiers coups de feu, le 3 (25 septembre), Hotze était tué ; son armée, complètement battue, se retirait, après une tentative infructueuse, le 4 (26 septembre), d’abord derrière la Thur, dans sa partie supérieure, puis, par Saint-Gall, sur le Rhin, qu’elle traversait à Rheineck. Le corps de Jellachich était à son tour repoussé à Näfels sur la Linth, rétrogradait vers Walenstatt et continuait, le 6 (28 septembre), son mouvement de retraite par Sargans et Ragatz.

Retenu, nous le savons, jusqu’au 25 fructidor (11 septembre) en Italie, Souvorov atteignait Airolo le 1er vendémiaire an VIII (23 septembre), et Altdorf le 3 (25 septembre), après avoir dû arracher pied à pied le Gothard aux troupes de Lecourbe, que celui-ci rassembla sur la rive gauche de la Reuss ; là, il apprit qu’il était envoyé à l’armée du Rhin, en remplacement de Muller chargé d’un autre poste. D’Altdorf, où il reçut « la bénédiction du curé » (Moniteur du 20 et du 22 vendémiaire-12 et 14 octobre), Souvorov se porta, le 5 (27 septembre), vers Schwyz ; c’est durant cette marche, lorsqu’il comptait être rejoint par Jellachich, à qui il avait donné rendez-vous en ces lieux, et tomber avec lui sur l’armée de Masséna rejetée, suivant ses instructions, de son côté par Hotze et Korsakov, qu’il apprit le désastre de ses lieutenants. Arrivé trois ou quatre jours trop tard pour les soutenir, il avait à lutter non plus pour achever une victoire, mais pour échapper à l’anéantissement. Impossible de revenir sur ses pas ou de continuer sur Schwyz ; à sa droite, il n’y avait que la brigade Molitor ; aussi, le 8 (30 septembre), il marcha contre elle et l’obligea à reculer jusqu’à Näfels ; mais là, le 9 (1er octobre), malgré tous ses efforts, il ne put l’entamer ; ce même jour, son lieutenant Rosenberg remportait un succès sur Masséna. Néanmoins, le lendemain, en dépit de son orgueil démesuré, de sa rage folle, de ses ridicules invocations à la Providence et à « la Sainte Vierge » (Costa de Beauregard, Un homme d’autrefois, p. 454), et de son assortiment de bénédictions, l’horrible bourreau de Varsovie dut se résoudre à la retraite.

Le 15 (7 octobre), il arrivait à Coire, où une partie de ses troupes l’avait précédé et où le reste le rejoignit après avoir éprouvé des souffrances inouïes. Le 19 (11 octobre), son armée, réduite de moitié, s’établissait à Feldkirch. Masséna avait sauvé la France d’une invasion : le nationalisme et le patriotisme des cléricaux et des royalistes français tombèrent dans le marasme ; dans une dépêche du 12 octobre 1799, de Précy appelle la première victoire de Masséna « la malheureuse affaire du 25 », et d’André écrit à Louis XVIII que « tout est remis en question (Dubois-Crancé, par Iung, t. II, p. 313), quand, pour la France, cela se termine bien.

Au nord de la Suisse, Korsakov, ignorant encore le sort de son chef, fit une tentative pour lui porter secours. Il avait avec lui le corps d’émigrés de Condé, à la solde de la Russie. Le 15 vendémiaire (7 octobre), il déboucha de Busingen, près de Schaffhouse, culbuta d’abord les Français, mais fut bientôt repoussé. Le même jour, nos troupes enlevèrent la ville de Constance aux émigrés de Condé, qui frappèrent patriotiquement à coups de sabre le « petit soldat » de l’époque ; leurs descendants exploitent tout aussi patriotiquement celui d’aujourd’hui au cri de « vive l’armée ». À la nouvelle de la victoire de Masséna à Zurich, l’archiduc Charles était accouru à Donaueschingen, d’où il chercha à combiner avec Souvorov un nouveau plan d’attaque. Les deux généraux ne purent se mettre d’accord, les Russes étant plus disposés à récriminer contre les Autrichiens, qu’ils accusaient d’avoir tout compromis par leur hâte à évacuer la Suisse, qu’à se concerter avec eux. Souvorov écrivit, le 22 octobre, à l’archiduc que ses troupes prenaient leurs quartiers d’hiver et, le 30, l’armée russe s’installait eu Souabe, entre l’Iller et le Lech. C’était une rupture autorisée par le tsar, déjà très mécontent des prétentions de l’Autriche en Italie. Dans le sud, Loison, qui avait pris le commandement du corps de Lecourbe, chassa, le 18 vendémiaire (10 octobre), les Autrichiens sur la rive droite du Rhin, à l’exception de quelques postes qui furent enlevés en brumaire (début de novembre). La Suisse entière était délivrée. Le Rhin, dès lors, servit de démarcation comme à l’ouverture de la campagne.

Par le traité du 22 juin mentionné précédemment, l’Angleterre et la Russie avaient réglé les conditions de leur descente en Hollande ; l’Angleterre devait fournir 30 000 soldats et subvenir à la dépense des 17 000 hommes que la Russie consentait à leur adjoindre. Le but avoué était le rétablissement du stathoudérat et de la maison d’Orange. Le but secret de l’Angleterre était moins désintéressé : elle poursuivait, avec sa persistance habituelle, son plan de soustraire la Hollande et la Belgique dont l’invasion était projetée après la conquête de la première, à l’influence de la France. Des préparatifs immenses furent faits et, le 3 fructidor (20 août 1799), l’avant-garde de l’expédition était en vue des côtes ; mais, par suite d’une tempête, le débarquement ne put commencer que le 10 (27 août), près du Helder. Le 13 (30 août), l’escadre anglaise se portait au Texel où se trouvait ce qui restait de la flotte batave ; les équipages de celle-ci, travaillés depuis longtemps par les agents du stathouder, arborèrent ses couleurs et, le 14 (31 août), les Anglais prenaient possession de cette flotte : ce sera là pour eux, et il n’était pas à dédaigner, tout le bénéfice de leur expédition. Brune avait tout de suite ordonné la concentration de ses forces dans la province de Hollande-Nord et, le 18 (4 septembre), il arrivait à Alkmaar. Ayant essayé vainement, le 24 (10 septembre), de forcer le camp des Anglais, il comprenait qu’il lui fallait renoncer à l’idée de s’opposer au débarquement des autres divisions et se borner à les empêcher de pénétrer plus avant.

Du 25 au 29 (11 au 15 septembre), abordaient les flottes transportant le corps russe et la deuxième division anglaise, le duc d’York, commandant en chef des troupes alliées, débarquait le 26 (12 septembre) ; mais toutes les troupes ne furent en ligne que le 2e jour complémentaire de l’an VII (18 septembre). Le lendemain, Brune attaqué résistait victorieusement à Bergen, village à cinq kilomètres au nord d’Alkmaar. Le 10 vendémiaire an VIII (2 octobre), nouvelle attaque et, cette fois, à Egmond, à l’ouest d’Alkmaar, les alliés obtenaient un succès qui ne devait pas les mener bien loin ; Brune évacuait Alkmaar et s’établissait dans une forte position à Castricum, bourg situé à huit kilomètres au sud d’Alkmaar, d’où les alliés ne purent, le 14 (6 octobre), parvenir à le déloger. Cet échec, les pertes énormes qu’ils avaient éprouvées, l’épuisement de leurs ressources, peut-être aussi la nouvelle de la victoire de Masséna à Zurich, firent craindre au duc d’York d’en être réduit soit à déposer les armes, soit à se rembarquer sous le feu des Français. Il entra en négociation avec Brune pour l’évacuation de la Hollande et, le 26 (18 octobre), fut signée à Alkmaar une convention en vertu le laquelle les alliés devaient quitter la Hollande au plus tard le 9 frimaire (30 novembre), rétablir les ouvrages et l’artillerie du Helder tels qu’ils étaient avant leur invasion, renvoyer, sans échange, 8 000 prisonniers français ou bataves faits par l’Angleterre dans de précédentes campagnes, et libérer l’amiral de Winter, le vaincu de Camperdwin. Le duc d’York s’en alla à la fin d’octobre et les dernières troupes des alliés partirent le 28 brumaire (19 novembre). Ce même jour, les républicains rentraient au Helder.

À l’armée du Rhin, vers la fin d’octobre (vendémiaire-brumaire), Lecourbe, qui en avait pris le commandement le 17 vendémiaire (9 octobre), remporta quelques succès sans conséquences. Philippsburg fut plusieurs fois bloqué et débloqué ; après nous être avancés sur la rive droite du Rhin, nous dûmes revenir sur la rive gauche en frimaire an VIII (premiers jours de décembre 1799). Quant à l’armée du Danube, elle ne songea plus à pénétrer en Souabe et une partie se rapprocha de Bâle et de la Forêt-Noire ; de part et d’autre, on s’apprêta à entrer en quartiers d’hiver. Un arrêté du 3 frimaire (24 novembre) décida la réunion de l’armée du Rhin et de l’armée du Danube sous le nom d’armée du Rhin, avec Moreau comme général en chef. Lecourbe était mis sous ses ordres pour commander spécialement les troupes cantonnées en Suisse. Masséna était envoyé en Italie. Le général en chef qui avait succédé à Souvorov dans cette dernière région. Mélas, avait, le 30 fructidor (16 septembre), concentré les forces autrichiennes à Bra dans l’intention de bloquer étroitement Coni. Les troupes françaises, que Championnet avait rassemblées devant cette ville, furent repoussées le 1er jour complémentaire (17 septembre) et contraintes à abandonner Savigliano et Fossano. Championnet voulut revenir à la charge, mais il eut le tort d’opérer de plusieurs côtés par petites colonnes : le 1er vendémiaire (23 septembre) Saluces, le 2 (24 septembre) Pignerol, le 3 (25 septembre) Suse, nous étaient enlevés. Le 6e jour complémentaire (22 septembre), il avait pris le commandement des armées des Alpes et d’Italie fusionnées de nouveau sous le nom d’armée d’Italie, et Moreau partait pour Paris avant de se rendre à l’armée du Rhin où il ne devait arriver que le 23 frimaire (14 décembre).

Durant le mois de vendémiaire (octobre), eurent lieu plusieurs combats sans grande importance ; les deux partis attendaient une action décisive. Les Autrichiens, en ce moment en recul, étaient établis entre Fossano et Savigliano lorsqu’ils battirent finalement, les 13 et 14 brumaire (4 et 5 novembre), dans la série d’affaires meurtrières connues sous le nom de bataille de la Genola, les troupes françaises qui durent se replier. Elles perdirent, le 24 (15 novembre), le col de Tende ; le quartier général autrichien fut transféré à Borgo San-Dalmazzo, petite localité au sud de Coni, et, le 27 (18 novembre), l’investissement de cette dernière place était achevé ; elle se rendit le 13 frimaire (4 décembre). Du côté de Gênes, les Français furent rejetés, le 15 (6 décembre), sur le col de la Bocchetta ; le général Klenau s’avança, le 23 (14 décembre), vers Gênes, par le littoral ; mais il ne fut pas plus heureux que le 4 fructidor (21 août) et se fit repousser jusqu’à Sestri-Levante. À la fin de 1799, la gauche de l’armée d’Italie gardait le Petit Saint-Bernard, le Mont-Cenis et les débouchés des Alpes en France ; le centre occupait le littoral jusqu’à Savone ; la droite couvrait Savone, Gênes et la Ligurie à l’est. Les soldats souffrirent beaucoup en hiver ; manquant de tout, — Ouvrard était un des fournisseurs de l’armée — malades, ils finirent par déserter en masse. Championnet, qui avait donné sa démission — sous la date du 23 brumaire (14 novembre), le Moniteur du lendemain disait : « un courrier a apporté la démission donnée par Championnet du commandement de l’armée d’Italie. Le consulat a accepté cette démission. » — et qui attendait son successeur, mourut à Nice, le 19 nivôse an VIII (9 janvier 1800), âgé de 37 ans. Masséna, nommé général en chef de l’armée d’Italie, prit le commandement à Antibes le 26 nivôse (16 janvier). Malgré nos insuccès en Italie, la vérité est que, avant le retour de Bonaparte, la France avait échappé au terrible danger que lui avait fait courir la deuxième coalition.