Histoire socialiste/La Troisième République/20

Chapitre XIX.

Histoire socialiste
La Troisième République

Chapitre XXI.



CHAPITRE XX


Coup d’œil sur la situation internationale. — L’Italie unifiée. — La République, le socialisme et l’insurrection carliste en Espagne. — L’Autriche-Hongrie. — L’Angleterre et la classe ouvrière. — La Russie. — Les progrès du socialisme en Allemagne. — Le 18 Mars date adoptée par le prolétariat universel.


L’Europe n’a pas été sans subir la forte répercussion des événements qui viennent de se produire, depuis la déclaration de guerre de la France à l’Allemagne, déclaration amenée par la politique cauteleuse de M. de Bismarck, déterminée par les intérêts dynastiques de Napoléon III. Cette répercussion a été plus particulièrement intense depuis la conclusion de la paix qui révèle, enfin, mais un peu tard, aux puissances aveuglées, imprévoyantes, la profonde transformation qui s’est produite, dont l’effet va être si intense sur la politique internationale, sur la politique intérieure elle-même de la plupart des nations.

Une puissance formidable s’est constituée ; sa politique hardie, autoritaire et insidieuse à la fois, fait naître des hésitations, des appréhensions : elle s’impose déjà. N’a-t-elle pas à sa disposition un outillage de guerre perfectionné dont est prête à se servir une armée nombreuse, bien instruite, supérieurement commandée, auréolée du prestige de retentissantes victoires sur une nation à tort ou à raison considérée, jusqu’aux premiers revers, comme l’arbitre militaire de l’Europe ?

Puis, chaque nation est en crise de transformation. L’Autriche-Hongrie, encore mal rétablie de sa cruelle aventure de 1866, réorganise son armée et reconstitue son matériel de guerre ; son gouvernement a de la peine à maintenir dans le calme une unité bien factice, tant l’Empire est formé d’éléments disparates dont certains menacent de reprendre leur autonomie dès qu’une occasion favorable se présentera, — la mort de l’Empereur, par exemple. L’élément allemand, que gagne le mouvement pangermaniste, s’agite pour conquérir la plus grande part d’influence et les regards des diplomates autrichiens se tournent vers l’Orient, avec l’espoir, la volonté bien arrêtée d’y chercher des compensations à la perte de la Lombardie et de la Vénétie.

L’Italie, brusquement passée au rang de grande puissance, se réorganise économiquement et elle s’y emploie avec ténacité, habileté. Elle a fort à faire dans les régions méridionales qu’il a fallu arracher à leur torpeur ; qui sont plongées dans l’ignorance, la misère et où se dessine un fort courant d’émigration. L’unité politique est réalisée depuis l’occupation des États pontificaux et la proclamation de Rome comme capitale du nouveau Royaume. La question du pouvoir temporel du Pape, sans être inquiétante, ne laisse pas moins subsister quelques problèmes délicats ; l’Autriche, très catholique, ne s’y est pas encore résignée ; l’Espagne, encore plus catholique, très ultramontaine, s’en est irritée et, en France, d’où deux fois est partie une armée pour défendre les prérogatives du Pape, les partis conservateurs et le parti clérical ont tenté de créer une agitation, de faire intervenir le gouvernement, risquant ainsi de créer les complications les plus dangereuses pour la paix à peine rétablie. La France conserve un ambassadeur au Vatican ; dans les eaux italiennes stationne un navire de guerre l’Orénoque, source d’irritation parmi les Italiens qui, au-dessus de leur attachement à l’Église, de leur fanatisme religieux, placent rattachement à la patrie ressuscitée, unifiée.

Tandis qu’elle s’organise au point de vue économique et financier, ce développement sera rapide et intéressant, elle réorganise aussi ses forces militaires ; elles en ont grand besoin, pour lui permettre de jouer en Europe le rôle auquel aspirent pour elle ses hommes d’État.

La première étape de son unité, elle n’a pu l’accomplir qu’avec l’aide de la France, en 1859 ; la seconde étape que grâce à la Prusse qui, durant la campagne de Bohème, retient vers le Nord la majeure partie des forces austro-hongroises et contraint l’Autriche, malgré les victoires remportées sur les Italiens, sur terre à Custozza, sur mer à Lissa, à céder à la vaincue la Vénétie. À cette réorganisation, l’Italie consacrera de grands efforts et des centaines de millions, affrontant une crise financière très grave ; elle y trouvera une armée nombreuse, instruite et une marine remarquable.

L’activité qu’elle déploie parmi une fièvre de patriotisme extraordinaire ne t’empêchera pas de connaître de grandes agitations d’un caractère plus social que politique. Parmi les régions de misère agricole où, dans les vastes latifundia aristocratiques et bourgeois, la population productrice, écrasée d’impôts, est vouée aux pires détresses, des soulèvements désordonnés ne cessent de se produire. Dans les régions du Nord et du Centre, où l’activité industrielle, commerciale, agricole, se manifeste par une organisation méthodique, c’est le socialisme qui apparaît groupant un peu partout, particulièrement dans les grands centres, de nombreux partisans ; et, sous l’influence de Bakounine, de ses disciples, dont certains sont des hommes de valeur, des propagandistes hardis et inlassables, les doctrines anarchistes se répandent avec une rapidité extraordinaire.

Le mouvement anticlérical ne chôme pas non plus ; il est lié au mouvement républicain, mais devant les progrès du socialisme, devant quelques concessions de la maison de Savoie, une fraction du parti républicain, non la moins nombreuse, va modifier son orientation pour entrer dans la voie constitutionnelle, pour même participer au pouvoir, faire simplement de l’opposition dynastique.

L’Italie sera bientôt naturellement entraînée vers la politique coloniale : ses yeux se tourneront vers l’Afrique, vers la Tunisie, la Tripolitaine, plus tard vers la côte des Somalis. Cette politique lui sera une source de difficultés intérieures et extérieures et elle contribuera à tendre ses relations avec la France.

Enfin, au point de vue européen proprement dit, peu à peu l’Italie va se trouver entraînée dans l’orbite de la politique allemande ; elle va se rapprocher de l’Autriche, pour elle l’ennemie héréditaire, d’où recrudescence du mouvement irrédentiste et augmentation ruineuse de charges militaires et navales.

L’Espagne, depuis le pronunciamiento de Cadix, en septembre 1868, dont la répercussion oblique devait provoquer la guerre franco-allemande avec la question Hohenzollern, avait traversé les crises les plus tumultueuses, les plus graves. Sous l’influence pernicieuse, déprimante, d’un clergé tout puissant, ce malheureux pays, digne d’une plus douce destinée, avait vu les politiques, les factions militaires s’entre-déchirer, pour aboutir à l’élection d’un roi étranger, Amédée de Savoie qui, après deux années d’un règne difficile, avait compris que le seul parti honorable et prudent qui lui restait était de renoncer à la couronne. Il avait abdiqué et la république avait été proclamée. À l’enthousiasme des premières journées avaient bientôt succédé les intrigues et les discordes. L’insurrection cantonaliste avait éclaté, sa place forte était Carthagène ; à l’opposé de ce mouvement révolutionnaire très complexe, pour ainsi dire inanalysable, éclatait, dans les provinces du Nord, l’insurrection carliste qui, durant plus de trois années, devait désoler l’Espagne et tenir en échec les troupes du gouvernement régulier, de la République d’abord puis de la monarchie restaurée par un coup d’état militaire, et la question de Cuba luttant pour son indépendance, pour son autonomie, contre des capitaines-généraux pillards, n’était pas pour amoindrir les difficultés.

Le parti royaliste et des agents du gouvernement français, eux-mêmes, favorisaient ouvertement don Carlos et ses partisans dont des chefs tels que le curé Santa Cruz, conquéraient une funèbre célébrité par leurs vols à main année et leurs assassinats nombreux.

Parmi ces agitations, dont quelques unes avaient un caractère et un aspect dignes des périodes les plus sombres du Moyen-Age, se dessinait toutefois le mouvement socialiste, méthodique, coordonné, avec la note doctrinale collectiviste ou communiste dans les centres industriels, tels que la Catalogne, où réside la principale force économique et commerciale de l’Espagne ; avec l’empreinte anarchiste dans les régions du Sud, plus particulièrement agricoles, plus malheureuses, plus impatientes, aussi, faut-il le dire, plus ignorantes. L’Association Internationale des Travailleurs avait fait de nombreux adhérents et de nombreuses sections s’étaient formées. Parmi leurs délégués au Congrès de La Haye, les deux tendances s’étaient manifestées et une hostilité très vive avait fini par provoquer une scission ; une fraction, la plus faible, restant fidèle au Conseil général, l’autre se rattachant au programme du Congrès antiautoritaire tenu à Saint-Imier, c’est-à-dire au programme collectiviste-anarchiste.

En somme, l’Espagne paraissait désemparée à tous les points de vue : politique, économique, financier, et elle se trouvait hors d’état de faire figure dans le concert des puissances.

L’Angleterre, solidement encadrée dans ses traditions nationales, réglée dans son évolution politique par son loyalisme vis-à-vis de son gouvernement monarchiste libéral, observant avec une attention intelligente tout ce qui se produisait dans le monde, en vue d’y cueillir de nouveaux avantages, affirmait de plus en plus sa politique coloniale où déjà se manifestait l’impérialisme. Sa flotte que sans cesse elle développait, sa puissance financière obligeaient tous les gouvernements à compter avec elle. Se confinant dans un habile isolement, elle voyait solliciter son concours éventuel ; elle ne se refusait pas mais se livrait encore moins, déjà préoccupée de la situation que peu à peu mais sûrement se créait l’Allemagne sur les marchés économiques du monde entier. Elle portait plus particulièrement son attention sur le bassin de la Méditerranée, visant déjà l’Égypte, clé de la route des Indes et de l’Afrique centrale et se préoccupait de l’aspect nouveau pris par la question d’Orient depuis que, la France immobilisée pour plusieurs années, la Russie portait ses vues sur Constantinople et montrait une grande activité dans les provinces Balkaniques.

Sa politique intérieure oscillait entre le parti libéral et le parti conservateur, se succédant tour à tour au pouvoir, assez prudents tous doux pour faire à la classe ouvrière des concessions qu’ils considéraient comme autant de soupapes de sûreté destinées à prévenir des explosions de mécontentement ou de revendication. Sans se laisser émouvoir ou toucher par les cris des répresseurs de Mai, les démarches diplomatiques du ministre Jules Favre, elle avait donné asile à la majeure partie de ceux qui avaient échappé à la bataille des rues, aux arrestations en masse, aux conseils de guerre. Elle ne les considérait pas comme un danger, car elle estimait, non sans raison, que sa classe ouvrière, exclusivement attachée au développement progressif de ses associations corporatives, de ses trades unions, ne risquait pas d’être contaminée par l’idée socialiste et révolutionnaire. Néanmoins, l’Idée commençait à se manifester presque imperceptible et, en quelques années, elle allait réaliser de sensibles progrès. L’ouvrier anglais, entrant peu à peu dans le mouvement international, allait prendre sa place de bataille dans les rangs du prolétariat conscient qui plus haut et plus loin qu’une question de salaires, de condition matérielles et morales du travail, vise son affranchissement intégral par la transformation du régime propriétaire.

Malgré une situation forte, l’Angleterre a une constante source d’inquiétudes causées par l’Irlande qui revendique son autonomie.

En Russie où, à cette époque, règne un véritable moyen-âge d’ignorance, d’oppression et de terreur, l’autocratie du tzar reste souveraine maitresse, lassant même une partie de la noblesse, de la bourgeoisie instruite et de la jeunesse qui cherche, parmi d’épaisses ténèbres, un débouché à toutes ses activités, à ses pensées généreuses, à ses impatiences légitimes. Pas de liberté de la presse ; les journaux ou ouvrages publiés à l’étranger ne passent pas librement la frontière ou, s’ils la franchissent, ce n’est que mutilés de leurs passages essentiels. C’est le mutisme pour tous ; la prison, la déportation, l’exil, parfois la potence répriment les écarts de plume, de parole, de propagande. C’est l’arbitraire dans tout ce qu’il peut avoir d’odieux, de douloureux. La population des villes et des centres industriels est surveillée par une police active, habile, inlassable : quant à la population des campagnes, elle croupit dans l’ignorance la plus profonde, la détresse la plus désolante. Malgré tout et pour tant qu’il soit affaibli, un écho vient de l’étranger, de ce qui s’y passe, des progrès qui s’y accomplissent : des journaux et des brochures entrent en fraude et lentement va naître un parti fort mélangé, mais actif, qui, avec un rare courage, un stoïque mépris du danger, va entreprendre une propagande qui rencontre de vives hostilités, mais finit par trouver le chemin des cœurs et des cerveaux.

La Russie officielle a cessé de « se recueillir ». Longue à se remettre de sa défaite en Crimée, elle s’est libérée du traité de Paris ; elle porte son effort vers la mer Noire, vers Constantinople, réveillant cette question d’Orient qui a fait couler tant de sang et va donner de nouveau des insomnies aux diplomates de carrière. Elle poursuit sa pénétration en Asie vers l’Afghanistan, vers la Chine, sans se douter qu’à l’Extrême-Orient, une nation endormie dans sa civilisation séculaire, le Japon, vient de s’éveiller, s’adapte peu à peu à la civilisation occidentale et va se révéler comme un rival dangereux.

Les puissances de second ordre, incapables d’agir par elles-mêmes ou condamnées à une heureuse neutralité, Suède, Norvège, Danemark, Hollande, Belgique, Suisse n’ont pas assisté, sans être fortement troublées dans leur quiétude, dans leur sécurité, par l’issue du conflit franco-allemand et la perspective des crises qui peuvent se produire en Europe. Parmi presque toutes on constate un actif mouvement socialiste qui ne fera qu’affirmer les progrès, au fur et à mesure que l’évolution économique dénoncera la concentration de plus en plus grande, en les mains d’une féodalité capitaliste, de tous les moyens de produire.

Depuis la défaite de la révolution parisienne, l’histoire de l’Allemagne a été si étroitement mêlée à celle de notre pays qu’il a fallu fréquemment en noter les phases essentielles. Il convient cependant d’y revenir et d’y insister, car c’est là une nation dont l’influence sur la politique mondiale devient prépondérante, tandis que son développement intérieur prête aux observations les plus intéressantes.

À larges traits, comme il nous était permis, nous avons indiqué comment son unité longuement préparée depuis 1806, depuis le lendemain du désastre militaire d’Iéna, était déjà accomplie au point de vue économique, avant de se réaliser par la force des armes, au point de vue national. La solution de problèmes communs d’intérêt matériel avait puissamment aidé à apaiser des questions délicates, sources de permanents conflits, telles que celles touchant au particularisme traditionnel, aux divergences confessionnelles. Il n’y a plus qu’une Allemagne, toujours prête à combattre l’Erbfeind, l’ennemi héréditaire, mais soucieuse du repos et de la paix. Le désir, l’impérieux besoin de vivre ont amené la convergence, l’assemblage en un grand organisme d’éléments d’apparence disparates, antagoniques. Malgré des résistances qui s’accusent alors que la cellule centrale, la Prusse, devient trop absorbante, cet organisme désormais fonctionne normalement. Sans doute, de même qu’il a ressenti des crises inévitables de croissance, ressentira-t-il des crises d’évolution : les unes ne seront que passagères, les autres seront durables, permanentes, car elles tiennent à des causes économiques et sociales.

Le méthodique, prodigieux effort qui a porté l’Allemagne au premier plan économique, a eu pour objet l’industrie et le commerce qui s’y rapportent. C’est vers l’industrie et le commerce que se sont orientés les capitaux du pays et ceux de l’étranger, alléchés par les profits qu’ils comptent y rencontrer. De cette orientation est résulté un véritable drainage de la majeure partie des capitaux, au détriment de l’agriculture, encore placée sous le régime féodal, et c’est une lutte active, incessante, âpre, qui s’engage entre les détenteurs de la propriété foncière et le monde industriel. Un parti politico-agrarien, jouant son rôle d’appoint au Reichstag, tout en restant fermement attaché aux vieilles traditions monarchiques et féodales, dressera — sans en tirer, naturellement, les mêmes conclusions — contre la féodalité industrielle, commerciale et financière, des réquisitoires aussi violents que ceux des socialistes.

Malgré les deuils que lui ont valus la guerre — les lauriers de la victoire masquent mal de cruelles épines — la nation allemande est enivrée de ses succès militaires ; le souvenir d’Iéna est effacé ; elle traverse une période d’incontestable prospérité. C’est un épanouissement inespéré. Tout un peuple, éduqué dans ce but, s’est levé pour la défense de la patrie menacée ; l’enthousiasme des premières heures n’a pas été sans de poignantes angoisses. Pouvait-on prévoir un ennemi aussi peu préparé, aussi lamentablement organisé ? Toutefois, malgré leur supériorité numérique, leur artillerie redoutable, leur grand état-major merveilleux, les forces allemandes solidement organisées, instruites, entraînées, ont rencontré des résistances énergiques, un instant redoutables, dans les premières rencontres, à Wœrth-Frœschwiller, par exemple ?

Dans sa joie, dans sa prospérité, l’Allemagne conserve sa qualité dominante, la discipline ; elle est dans son génie, ses traditions ; elle sert à ses maîtres pour la gouverner ; elle va servir à son prolétariat pour travailler à l’œuvre de son affranchissement matériel et moral. La discipline et l’autorité, comme la langue, peuvent être les pires ou les meilleures des choses, suivant l’objet auquel on les applique. Elles constituent la force des races du Nord : leur absence est une des causes de faiblesse des races latines, aussi une des causes de leur développement moral. Avec une grande diversité de moyens, chaque groupe humain collabore au progrès général.

L’Allemagne est devenue une vaste caserne, c’est vrai ; elle est aussi devenue un formidable laboratoire ; parallèlement à l’effort matériel se poursuit l’effort intellectuel, scientifique, philosophique, littéraire, artistique, sociologique. La notion de discipline vis-à-vis de l’État fait naître la notion des devoirs de l’État : la vieille doctrine économique de l’École anglaise, d’aspect libéral, s’écroule pour faire place à la doctrine interventionniste ; c’est elle qui s’expose dans les chaires officielles et fait naître toute une série de mesures législatives en faveur des travailleurs, diminuant bien de leurs risques, sans toutefois entamer les privilèges des classes possédantes ; sans, du reste, retarder d’un jour le développement du parti socialiste, dont les représentants élèvent la voix à la tribune du Reichstatg et bravent les fureurs du Chancelier de fer.

Chaque période électorale affirmera les progrès de la démocratie-socialiste guidée par la pensée de Karl Marx, conduite par des hommes de tête et d’énergie tels que Liebknecht et Bebel, aidés par des collaborateurs dévoués, instruits, infatigables. La fusion de l’élément Lassallien lui donne son unité sous le programme communiste de l’Internationale. La démocratie socialiste ne s’engagera pas dans la voie d’une politique violente, révolutionnaire, qui n’est ni dans le tempérament ni dans les traditions du prolétariat allemand. Puis, l’heure n’a pas sonné. Ses groupes s’attacheront à la lente, difficile mais sûre conquête des cerveaux ouvriers, des petits fabricants, des petits commerçants ; elle trouvera de précieuses recrues dans la jeunesse des écoles ; avant peu elle sera un sujet de graves soucis pour M. de Bismarck tout puissant et pour le gouvernement impérial. La discipline lui aura servi à constituer une armée puissante, d’aspect peut-être passif, mais près de s’éveiller et d’agir.

Les États-Unis d’Amérique ont réparé rapidement les maux qu’avait entraînés la longue et onéreuse guerre de sécession. Tandis que les États qui ont lutté pour l’abolition de l’esclavage, moins poussés par des sentiments humanitaires que par des intérêts économiques opposés à ceux des États esclavagistes, affirment de plus en plus leur prodigieux développement économique,
LES CONGRÈS OUVRIERS DE SAINT-ÉTIENNE ET DE ROANNE.
D’après l’Illustration.

que les villes naissent et grandissent dans des conditions véritablement stupéfiantes, que l’agriculture prend une grande extension dans les territoires de l’Ouest, les États qu’a momentanément mis dans une situation difficile la disparition des esclaves, ont dû se préoccuper de la solution du problème de la main-d’œuvre. Grâce à leurs richesses naturelles, elles se sont peu à peu relevées et, chez elles, comme dans le Nord la prospérité économique se marque. Aux États-Unis, plus que partout ailleurs, se manifestent les plus audacieuses spéculations : elles embrassent tout et la concentration de tous les moyens économiques entre quelques groupes est un phénomène qui chaque jour s’accomplit ; le mal ne pourra que s’aggraver. Mais, par répercussion, le stimulant des exigences patronales, la classe ouvrière s’organise et se laisse pénétrer par le sentiment d’union pour la défense des intérêts de métiers et par la propagande socialiste que favorisent les intrigues politiciennes les plus audacieuses et les plus corruptrices. Le Conseil général de l’Internationale a été transféré à New-York après le congrès de la Haye. Peu à peu, des organisations variées à tendances voisines, naîtra un parti puissant qui un jour fera son apparition sur la scène politique. L’Amérique latine, elle, est en travail d’agitation d’organisation intérieure ; ce n’est que lentement que les différentes républiques qui la composent acquerront une certaine stabilité. Une seule monarchie d’aspect impérial y figure, au Brésil : déjà un parti républicain s’y organise qui lutte pour l’affranchissement des noirs et pour l’abolition du pouvoir personnel.

Dans le monde entier, partout où se sont groupés les travailleurs pour étudier les causes de leur misère, pour préparer leur émancipation, une date est commémorée avec enthousiasme, celle du 18 Mars. Tous ceux qui gémissent sous le joug capitaliste ont compris que cette révolution avait un caractère socialiste ; s’ils portent le deuil de sa défaite, ils en célèbrent la victoire passagère qui leur donne les plus grandes espérances.