Chapitre II.
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CHAPITRE III
Tandis que se déroulait le second siège de Paris, cette fois établi par une armée française, que se réprimaient les mouvements révolutionnaires des villes de province solidarisées avec la Capitale, que se combattait l’insurrection indigène en Algérie, l’Assemblée nationale, autoritairement orientée, guidée par M. Thiers, entreprenait le considérable travail de réorganisation du pays, suivant ses vues nettement conservatrices. N’était-il pas naturel qu’elle s’attachât à préparer une France telle que la monarchie dût apparaître comme la conclusion, le couronnement logique de sa réorganisation ? Institutions politiques, administratives destinées à assurer le pouvoir aux classes dirigeantes et à protéger la « société » contre toute entreprise de ceux qui estimaient que leur sort devait être amélioré et ne pouvait l’être qu’au détriment des privilèges consacrant leur oppression économique.
Pour cette tâche rétrograde, l’Assemblée se trouvait fort embarrassée ; seuls les imprudents dans la majorité réactionnaire, où l’élément légitimiste formait le plus sérieux appoint, osaient proclamer leurs rêves, leurs projets, leurs espérances. Les autres, plus prudents, plus avisés ou plus timides, masquaient leurs manœuvres, s’attachant par leur attitude à rallier cette masse flottante de l’opinion qui ne sait se conduire elle-même et qu’émeut la moindre agitation. Ceux-ci mettaient en lumière deux directrices principales habilement choisies : l’ordre à l’intérieur avec une suffisante liberté ; le relèvement militaire destiné à reconquérir à la France sa situation en Europe. Du monde du travail, le plus nombreux, toujours vivant dans les pires conditions, il n’était question que pour lui enlever toute espérance et le troubler soit par la menace, soit par les plus perfides insinuations.
A de rares exceptions près, jusque dans les colonnes de la majorité des journaux à étiquette républicaine, pour la mise à exécution de la dernière partie de leur plan, les différents groupes de la conservation sociale rencontraient de précieuses collaborations.
Sans doute, dès les premières heures, pouvait-on avoir quelque espoir dans les rangs du parti républicain, puisque à tout moment, en de nombreuses circonstances, un réveil se manifestait, une entente se scellait entre les diverses fractions, malgré d’inévitables et accusées divergences, malgré des heurts parfois violents, tandis que l’incohérence, des rancunes, des haines, des chocs d’ambitions effrénées paralysaient et vouaient à l’avortement les conspirations successivement ourdies contre la République, dont les premières eussent sans doute abouti à une restauration monarchique, si la Commune socialiste et républicaine n’eût surgi.
Ce réveil républicain ne devait pas tarder à se traduire par des actes et, dès lors, malgré les tentatives les plus subtiles ou les plus audacieuses rien ne devait l’arrêter. En même temps, dans les grandes villes et dans certains centres industriels où, plus particulièrement et plus directement, se font sentir l’oppression et la cupidité patronales, devait s’opérer le réveil progressif de la conscience prolétarienne prête à recevoir la semence socialiste. Le parti de la conservation sociale avait démêlé la véritable signification du mouvement du 18 mars et tous ses efforts après la victoire allaient tendre à le dénaturer, pour faire du socialisme un objet de réprobation et d’épouvante. Après l’avoir qualifié de crime de lèse-patrie, parce qu’il s’était produit l’ennemi occupant encore le sol, alors qu’une des causes de l’explosion avait été l’indignation contre l’inertie des gouvernants et l’incapacité des grands chefs militaires ; après l’avoir qualifié de mouvement anti-républicain, parce que, affirmait-on, il pouvait compromettre la République encore incertaine, on lui donnait un caractère socialiste, mais en le dénaturant, en forgeant de sinistres légendes bien faites pour terroriser la bourgeoisie française facile à impressionner et pour ébranler les sympathies instinctives des masses populaires encore mal informées. Aussi bien fallait-il justifier l’hécatombe effroyable de Mai et préparer l’opinion aux jugements des Conseils de guerre, aux déportations lointaines et aux prochaines exécutions. C’était faire d’une pierre deux coups : justifier la répression et retarder de fatales explications, de fatales revendications.
Malgré toutes leurs habiletés, leurs perfidies, les partis conservateurs aveuglés commettent des maladresses. Ils en commirent plus d’une, dès qu’ils se sentirent à l’abri de tout retour offensif des vaincus. De même qu’après les journées de juin 1848, ils avaient fait du « Communisme » le bouc émissaire de l’insurrection, ils firent de l’Internationale le bouc émissaire de la Révolution du 18 mars. C’était sous son influence que l’explosion s’était produite ; c’était sous son influence qu’au cours de son tragique déroulement s’étaient produites ses idées dominantes en matière ouvrière et sociale : c’était l’Internationale qui devenait la grande responsable de tout ce qui s’était passé depuis l’exécution des généraux Clément-Thomas et Lecomte jusqu’aux incendies qui, durant les derniers jours de Mai, avaient enveloppé Paris.
La lecture des journaux de cette époque, notamment ceux de province, édifie sur la manœuvre, sur le rôle d’épouvantail donné à l’Association dont l’origine remontait à l’Exposition universelle de Londres, en 1862. Et, cependant, son intervention, son rôle avaient été très effacés, pour ainsi dire nuls durant la Commune, malgré le nombre de ses adhérents : peut-être cette abstention fut-elle une erreur. Sans doute, les idées fondamentales de son programme furent-elles mises en lumière, discutées à l’Hôtel-de-Ville et dans les clubs, inspirant certaines mesures de second plan ; mais il n’y eût pas d’intervention officielle proprement dite. Au reste, les pensées étaient-elles surtout sollicitées par l’impérieuse nécessité de faire face aux exigences militaires qui dominaient la situation.
Le nombre des groupes de l’Association fondés à Paris et en province, leur fonctionnement régulier, la présence de délégués français aux congrès internationaux démontraient qu’elle avait trouvé un accueil sympathique. Son rapide développement avait inquiété les esprits, le pouvoir et, durant les dernières années de l’Empire, de retentissants procès avaient singulièrement servi la propagande dont la répercussion aurait été vive, féconde, sur la classe ouvrière, si la guerre franco-allemande n’était venue perturber les esprits.
Si la manœuvre conservatrice devait produire ses effets parmi la société bourgeoise, il en devait être autrement parmi la classe ouvrière. En effet, pendant la guerre, les seules sympathies manifestées à la France républicaine durant ses douloureuses épreuves, lui étaient venues des travailleurs conscients du monde entier qui, malgré ses défaillances, son oubli de soi même pendant les dix-huit années de despotisme impérial, malgré sa défaite, avaient encore foi en son génie révolutionnaire et ne pouvaient oublier les immenses services rendus par ses hardies initiatives à la démocratie universelle. N’en trouvait-on pas un témoignage éclatant dans les courageuses, officielles manifestations de la démocratie-socialiste allemande qui, par la voie de ses représentants, protestait après le 4 septembre, contre la continuation de la guerre entreprise par le gouvernement impérial ; puis, plus tard, à la tribune du Reichstag, contre l’annexion brutale de l’Alsace et de la Lorraine ? Enfin, cette guerre funeste n’était-elle pas pour démontrer, une fois de plus, combien est préférable la paix générale à ces sanglants conflits, semeurs de deuils et de ruines, auxquels participe surtout la grande masse de chaque peuple, de chair à travail subitement transformée en chair à canon ?Aussi, la campagne entreprise contre le socialisme symbolisé par l’Association internationale des travailleurs allait-elle produire des effets bien contraires à ceux qu’en attendaient ses protagonistes. Le Congrès annuel international qui n’avait pu se tenir à Paris, par suite des événements, allait être remplacée Londres par une Conférence qui, réunie à Londres du 17 au 23 septembre, aurait pour mission de fixer la date, le lieu du prochain Congrès et d’en régler l’organisation. À ce Congrès, la France ne devait pas être la dernière à se faire représenter.