Chapitre III.
|
◄ | Histoire socialiste La Troisième République
|
► | Chapitre V.
|
CHAPITRE IV
La lutte contre Paris révolutionnaire, contre les villes de province insurgées, dont la résistance, du reste, avait été de brève durée, n’avait pu détourner l’Assemblée nationale de toutes les préoccupations qui la hantaient. Les intrigues qui s’y nouaient, dont le but était connu, dont les diverses phases n’étaient et ne pouvaient être un secret pour personne, n’avaient pu que contribuer à exaspérer Paris, à caractériser son attitude ; il en était ainsi résulté une vive inquiétude pour la minorité sincèrement républicaine qui, toutefois, n’avait pas hésité à faire bloc, avec la majorité conspiratrice, contre les vaillants défenseurs de la République ouvertement menacée.
La Révolution du 18 Mars avait posé des problèmes et il avait fallu les aborder ; entre autres le régime à organiser pour l’administration du département et de la commune. Et ç’avait été une situation vraiment paradoxale que celle du problème de centralisation ou décentralisation et se divisant en groupements fort disparates. Qu’avait, en réalité, réclamé Paris ? Son autonomie administrative ; la gestion de ses intérêts particuliers par une Assemblée librement élue, par une municipalité émanée de cette Assemblée et débarrassée de la tutelle étroite, oppressive, souvent onéreuse, fréquemment vexatoire du pouvoir central. À la Commune, le soin de ses intérêts propres ; au Conseil départemental, l’administration des intérêts départementaux ; à l’État, par l’intermédiaire des représentants du peuple, la gestion des intérêts généraux de la Nation. Briser le lien national, il n’en avait jamais été sérieusement question.
Or, durant l’Empire, le problème de la décentralisation avait été sérieusement agité, étudié de très près, dans la presse, dans des publications nombreuses. En 1863, s’était tenu, à Nancy, un Congrès spécial pour l’examiner. À ce Congrès avaient pris part des hommes appartenant aux partis les plus opposés quant aux principes politiques, mais tous appartenant à l’opposition, combattant le régime impérial, ayant par suite un grand intérêt à amoindrir l’action du pouvoir central et, de ce Congrès, où avaient siégé, côte à côte, des républicains, des orléanistes, des légitimistes, était sorti un programme n’énonçant que des principes généraux, vagues il est vrai, dégageant, toutefois, une orientation assez marquée. Il ne pouvait guère en être autrement ; à trop préciser, les divergences d’ordre politique eussent apparu, et l’accord n’eût pu se maintenir :
« 1o Fortifier la commune qui existe à peine, en rendant obligatoire, pour le pouvoir exécutif, le choix du maire dans la liste du Conseil municipal, et en enlevant à l’Administration la tutelle de la commune ;
« 2o Créer le canton qui n’existe pas administrativement ;
« 3o Supprimer l’arrondissement qui ne répond à rien ;
« 4o Émanciper le département. »
Mais, dès la tentative de mise en pratique, au mois d’avril, du programme de Nancy, fatalement le désaccord éclata et l’œuvre de décentralisation, qui avait rencontré de si nombreux partisans, se trouva, au moins en ce qui concernait la Commune, tellement complexe, tellement liée aux questions politiques les plus brûlantes qu’elle resta confinée dans la Commission spéciale ; elle y devait passer plusieurs années. Tout est encore à faire dans cet ordre d’idées et elle n’est pas près de surgir la solution conforme aux besoins de la démocratie républicaine-socialiste à qui elle permettrait de fécondes et démonstratives réalisations en matière économique et sociale.
Comme il était impossible de ne rien faire du tout, une loi avait été votée qui donnait à Paris l’organisation municipale dont il jouit et, à juste titre, se plaint encore aujourd’hui ; dont l’empreinte est si fortement centralisatrice. Au point de vue national, la loi avait organisé les municipalités sous deux régimes tout à fait distincts : tandis que dans les communes au-dessous de 6.000 habitants les conseils municipaux élisaient maires et adjoints, dans celles dont la population dépassait 6.000 habitants, la nomination des maires et adjoints était réservée au pouvoir central. C’était M. Thiers qui l’avait exigé, combattant la thèse décentralisatrice de l’amendement proposé par M. Lefèvre-Pontalis, un membre de la droite cependant, peu suspect de favoriser les « menées démagogiques ». Cet amendement portait que dans toutes les communes le Conseil municipal élirait le maire et les adjoints parmi ses membres, au scrutin secret et à la majorité absolue. Les maires ainsi nommés restaient révocables par décret et ne pouvaient être rééligibles avant une année.
Cet amendement, fortement appuyé, avait été adopté quand M. Thiers intervint et, sous menace de se retirer ― menace coutumière qui lui réussissait ― réclama pour le pouvoir exécutif la nomination des maires, au moins dans les grandes villes. L’Assemblée s’était laissée impressioner par cet ultimatum et, par 569 voix contre 39 ― les abstentions furent nombreuses ― elle avait adopté un complément à l’article, disant : « La nomination des maires aura lieu provisoirement par décret du gouvernement, dans les villes de plus mille habitants et dans les chefs-lieux de département et d’arrondissement, quelque soit le chiffre de la population. Les maires et adjoints seront pris dans le Conseil municipal »….. Le programme de Nancy avait fait naufrage.
Paris avait naturellement été l’objet d’une loi d’autant plus d’exception qu’elle avait été élaborée, votée durant la révolution communaliste. Il faut se hâter d’ajouter que, sauf de légères, très légères, pour ainsi dire insignifiantes retouches, l’organisation municipale de la capitale est resté celle dont la gratifia l’Assemblée la plus rétrograde, la plus haineuse qu’ait connue l’histoire parlementaire de notre pays. Ce ne sont cependant pas les revendications qui ont manqué.
Pas de mairie centrale, naturellement ; un Conseil municipal composé de quatre-vingts membres, un par quartier, élus au suffrage universel ; il fallait, avant la réforme de la loi électorale, avoir deux ans de domicile pour être électeur. Le Conseil municipal élisant son bureau sans pouvoirs effectifs ; le préfet de la Seine remplissant, sauf en ce qui concerne la police, le rôle de maire, tenant en tutelle étroite les élus du suffrage universel ; rôle contradictoire, source de permanents conflits.
Il était naturel, sinon légitime, que M. Thiers et les conservateurs de l’Assemblée nationale prissent toutes les précautions nécessaires vis-à-vis des communes, particulièrement de Paris, des grandes cités, des centres industriels, qu’ils limitassent autant que possible la sphère d’action de ces agglomérations où, le progrès et la propagande aidant, se pouvaient décider, expérimenter des réformes d’ordre social, d’ordre économique, capables de servir d’exemple et de créer ou d’activer de puissants courants d’opinion publique favorables à une rénovation politique et sociale. Voici, du reste, trente-deux ans que la République est sortie du provisoire pour entrer dans l’ordre légal et l’on peut, sans risque d’être contredit par des documents sérieux, affirmer que les réformes les plus importantes sont dues à l’initiative des communes les plus démocratiques. C’était donc une préoccupation de défense sociale qui dictait la loi municipale ; c’est encore elle qui dicte les résistances, même de ceux qui, après avoir revendiqué le plus ardemment les franchises municipales pour Paris, un allègement de l’étroite tutelle du pouvoir vis-à-vis des autres communes, restent sourds à leurs anciennes revendications depuis qu’ils ont conquis le pouvoir.
Le 23 juillet 1871 eurent lieu les élections municipales à Paris. Un mois à peine s’était écoulé depuis la rentrée furieuse des troupes régulières ; partout apparaissaient les traces poignantes de l’effroyable tragédie qui s’était déroulée. Le deuil, la terreur planaient. Les dénonciations poursuivaient leur œuvre de lâcheté et, chaque jour, des arrestations affirmaient que la soif de répression des vainqueurs n’était pas apaisée. Les professions de foi furent, en général, timides, la campagne électorale assez morne. Paris était affaissé, exsangue, après la farouche et large saignée, plus large que celle de juin 1848. Toutefois, les résultats furent moins mauvais qu’on aurait pu prévoir, avec les faubourgs ouvriers décimés et tenus sous la menace ouverte de la force publique ; sous la menace, moins apparente, mais plus impressionnante des légions policières enquêtant, espionnant, donnant quotidienne chasse aux survivants de la catastrophe de mai. De nombreux républicains, en majorité modérés, il est vrai, furent élus ; certains même d’opinions assez tranchées pour qu’à cette époque ils apparussent comme des « rouges » aux conservateurs, monarchistes ou républicains, encore sous l’impression de la peur éprouvée durant deux mois et demi : Jules Mottu, Ed. Lockroy, G. Clemenceau, Ranc, Jacques, etc…
Le chiffre des abstentions fut de près de 180.000 et combien d’électeurs n’avaient osé se faire inscrire ! Puis, dans les quartiers aristocratiques, nombreux étaient ceux qui n’avaient pas encore reparu, terré en province, attendant que Paris, complètement « pacifié », « épuré », leur offrit toutes garanties de tranquillité pour leur existence d’oisiveté et de plaisirs.
La tâche du nouveau conseil n’allait pas être aisée, puisque tout était à réorganiser ; particulièrement les finances mises à mal par l’haussmanisation sans contrôle de la cité, un gaspillage inouï, les frais de guerre, les indemnités nombreuses et la lourde contribution à régler. Dans ce Conseil, l’élément ouvrier n’était pas représenté ; ce n’est que plusieurs années après que, grâce à la propagande qui devait s’entreprendre, parmi des complications et des difficultés sans nombre, grâce à l’amnistie qui allait permettre aux militants proscrits de reprendre leur place de combat, le Parti Socialiste, enfin ressuscité, allait entamer la conquête du pouvoir politique, en commençant par la conquête de quelques sièges dans les assemblées communales.