Histoire socialiste/La Restauration/16

Chapitre XV.

Histoire socialiste
La Restauration

Chapitre XVII.




CHAPITRE XVI


LE MINISTÈRE DE M. DE MARTIGNAC


La situation des partis. — Élection du président. — Le roi choisit Royer-Collard. — Tactique de M. de Martignac. — Création du ministère de l’Instruction publique. — La Société de Jésus frappée. — Protestation des évêques. — Intervention du pape. — Intrigues de la Cour avec M. de Polignac. — Les libéraux s’allient aux ultras. — Les lois, sur les communes et les départements. — Double échec du ministre. — Fin de la session. — Le roi congédie M. de Martignac — Responsabilité des libéraux et du ministère.


Nous, l’avons dit un peu plus haut : ce qui rendait plus difficile la tâche du ministère Martignac, c’est qu’il ne trouvait en face de lui qu’une poussière où s’étaient dissociés les éléments si fermes encore d’une opposition farouche. Le ministère de Villèle avait été abattu sous les coups d’une coalition et non par le méthodique effet d’une opposition homogène. Aux élections, quiconque arborait une opinion hostile à sa politique avait été soutenu par toutes les fractions, et nous avons vu La Fayette et M. de la Bourdonnaye confondus dans la même sympathie. Mais maintenant que l’ennemi était à terre, que pour panser insuffisamment les blessures de son amour-propre on l’avait nommé pair de France, en même temps que MM. Corbière et de Peyronnet (et sans doute aussi pour que leur présence à la Chambre élective ne fût pas un élément de trouble et une cause d’intrigue), maintenant que la cible vivante qui disciplinait, en les appelant sur elle, tous les coups, avait disparu, où ces coups allaient-ils porter et sur qui ?

L’ultra-royalisme revenait à ses fureurs premières et M. de la Bourdonnaye, qui semble bien, à considérer la correspondance de Chateaubriand et de de Villèle, avoir cédé à une rancune personnelle, redevenait, sous une forme plus parlementaire, le personnage intransigeant d’autrefois. Les libéraux aussi retournaient à leur programme. En deux parties égales la Chambre était divisée. Restait entre ces fractions une trentaine de membres qui obéissaient à la direction politique de M. Agier. Ils n’étaient pas ultra-royalistes, ils n’étaient pas libéraux. Ils avaient le désir de concilier la Charte avec le libéralisme et, pour mieux dire, de rendre le libéralisme monarchique et la royauté libérale. Dans une période aussi troublée, cette fraction devait être souveraine, et selon qu’elle apporterait ses votes à l’une des parties de l’Assemblée, déterminer une politique de recul ou de progrès. Cela ne manqua pas.

Le premier effet se manifesta dans l’élection du président. Au premier tour de scrutin, le parti ultra l’emportait sur le nom de M. de la Bourdonnaye, tandis que Royer-Collard et Casimir Périer arrivaient les derniers sur cinq. Il fallut un second tour, et la fraction de M. Agier, froissée de l’attitude de la droite, vota pour les candidats libéraux, si bien que M. Delalot, un ami de M. Agier, fut désigné le premier. En haine de cette fraction qui venait de lui infliger une défaite, l’ultra-royalisme insista auprès du roi qui choisit comme président l’illustre Royer-Collard. La guerre était ainsi déclarée à cette minuscule et souveraine fraction et l’ultra-royalisme intransigeant et brutal en avait perdu l’appui.

Cette première indication ne fut pas négligée par M. de Martignac. Orateur habile, élégant, fleuri, moins rude que Villèle, mais clairvoyant, agréable et doux, séduisant autant qu’était souvent rebutant son prédécesseur, Martignac sentait qu’il avait devant lui une grande tâche, et ni sa conscience, ni son courage ne s’en émurent. Mais, il ne voulait pas se livrer dans l’état d’indécision où étaient encore les partis. Il attendait. Il avait, dès le premier jour, manifesté cependant une intention virile : en constituant son cabinet, il avait résolument détaché du département des Affaires ecclésiastiques le ministère de l’Instruction publique qui y était englobé. C’était une grande réforme et courageuse, car c’est d’elle que date la séparation de l’Université d’avec l’Église. Il avait mis, il est vrai, à la tête de ce département nouveau et qui allait se suffire à lui-même, il avait mis M. de Vatimesnil, qui avait donné tant de gages à la congrégation. Le choix de la personne rendit moins âpres les protestations de la droite contre cette création. On comptait sur M. de Vatimesnil pour ne faire de ce ministère de l’Instruction publique qu’une annexe de la congrégation. Mais M. de Vatimesnil trompa ses anciens amis et sa première mesure pour recommander à l’Université de se tenir loin des jésuites fut la manifestation heureuse et imprévue d’un état d’esprit tout nouveau.

En même temps qu’ils prenaient cette mesure de laïcité, courageux pour le temps où ils vivaient, et qui consistait à remettre le ministère de l’Instruction publique hors du département ministériel des Affaires ecclésiastiques, les ministres nommaient une commission chargée d’examiner l’application des lois du royaume. C’était, par une périphrase incolore, désigner l’existence illégale de la société de Jésus et appeler sur son cas les méditations des juristes. Cette commission méditait encore quand le Gouvernement proposa une loi nouvelle sur la presse : elle supprimait la censure, elle supprimait l’autorisation préalable, mais elle exigeait, pour chaque journal, un cautionnement égal à 10 000 francs de rente ! C’était la liberté menacée par la fortune et la pensée mise à la merci de l’argent. C’était l’influence remise aux riches et la conscience des pauvres chargée, avant de prendre son essor, d’un poids trop lourd. Habile, trop habile balancement d’une politique trop souple ! On retirait d’une main ce que l’autre main avait donné. En séance, et en dépit des efforts des libéraux, le cautionnement fut maintenu, quoique abaissé à 6 000 francs de rente !

Cependant les passions étaient loin d’être calmées, et ce ministère, venu avec de droites intentions d’apaisement, était enveloppé de toutes les colères des partis. Fort heureusement, le ministère lui-même n’était pas encore la cible visée par toutes ces colères. Si ardente avait été la lutte sous l’autre gouvernement, si profonde était la blessure faite par lui aux consciences que, non satisfaits par sa définitive retraite, les partis recherchaient encore M. de Villèle. Retiré à la Chambre des pairs, celui-ci n’avait même pas trouvé dans la dépossession dont il avait été frappé la contrepartie d’un loisir d’esprit ou d’un repos physique. Presque aussi souvent que quand il gouvernait, et avec la même amertume, les critiques virulentes cherchaient, pour blesser ce cadavre politique, le chemin de la conscience en lui toujours vivante. Et après bien des rumeurs, préface ordinaire des grandes initiatives parlementaires, la mise en accusation du ministère précédent fut apportée par M. Lubey de Pompières, s’exprimant au nom des libéraux. Après un court et violent débat provoqué par l’impropriété ou l’imprudence des termes, cette proposition fut renvoyée à une commission dont M. Girod (de l’Ain) fut le rapporteur. Cruel embarras ! Dans les recherches auxquelles elle se livrait, cette commission se heurtait au silence combiné partout pour faire échouer sa tâche, aux résistances les moins dissimulées : c’était de corruption, c’était de trahison que le dernier gouvernement était accusé. Et on ne l’avait pu meurtrir de ce solennel affront qu’en ayant bien soin d’isoler de ses ministres le roi, dont la personne sainte était sacrée. La trahison de M. de Villèle consistait précisément à avoir intercepté tous les souffles de sympathie qui du peuple montaient vers le roi. Mais le roi, irrité en sentant déprécier et accuser les longs services dont il avait toujours approuvé la loyauté, avait réclamé de M. de Martignac qu’il s’opposât à ce que des mesures fussent prises contre M. de Villèle. M. de Martignac avait promis et, enchaîné par sa promesse, la voulait tenir. D’où, sous ses ordres discrets, mais directs, cette résistance passive des fonctionnaires et même des ministres, qui répondaient aux commissaires : « Je n’ai de comptes à rendre qu’au roi, mon maître. »

C’était une dérision pour ce Parlement qui se croyait maître de ses votes, et un démenti donné à son désir. La commission, ballottée d’un ministère à l’autre, impuissante devant les serrures fermées qui mettaient à l’abri de son regard les archives, établit cependant quelques griefs. La dissipation de la fortune publique, à propos de la guerre d’Espagne, des concessions faites à des ordres religieux et qui avaient entamé les droits de l’État, des séquestrations arbitraires, des spoliations, des fraudes formaient le faisceau, sinon de ses preuves, du moins de ses affirmations. Mais, comment conclure et démontrer, après avoir affirmé ? La commission ne le savait.

Or, pendant qu’elle cherchait le moyen de résoudre ce problème, un scandale sans précédent éclatait. On a vu un peu plus haut que le Gouvernement avait installé une commission chargée d’examiner la situation juridique des Jésuites qui persistaient, en dépit d’édits et d’ordonnances d’expulsion, à couvrir le sol de la France. C’était déjà une défaillance du pouvoir que de paraître douter de l’illégalité d’une congrégation brisée par tant d’actes et d’arrêts. Et, sans doute, cette défaillance était volontaire de la part de M. de Martignac qui, en créant une commission, se dispensait de donner, dès l’avènement de son cabinet, une opinion compromettante. Mais il n’est pas de solution ajournée qui ne s’impose à moins que la rare faveur des événements n’en débarrasse les hommes d’État. Donc cette commission avait réfléchi, travaillé, discuté, et voici le résultat auquel, à une voix de majorité, elle aboutissait : la société de Jésus n’avait rien de contraire aux lois du royaume !

Ainsi, d’un seul coup, étaient rayés de l’histoire et des annales judiciaires les édits et les arrêts qui avaient proscrit, comme mettant en péril par ses intrigues tenaces et souples la sûreté de l’État, cette congrégation. C’était un défi à l’opinion, au Parlement, à la cour de Paris. Et les libéraux s’agitaient sur les bancs du Parlement. Ils se demandaient si cette commission n’avait pas obéi à des influences du Gouvernement et si une connivence perfide avec la cour n’était pas la cause de ce scandaleux avis. M. de Martignac était à vrai dire, par de pareils propos, injustement soupçonné. Il avait, en entrant au ministère, un très ferme dessein, avoué au roi, et qui était de mettre obstacle à l’invasion religieuse. Seulement il avait peut-être compté, pour faciliter sa tâche, sur cette commission, ce qui était une faute de principe, un gouvernement ne devant jamais dissimuler derrière un paravent factice ses responsabilités. Sous les menaces libérales, il prit un parti, celui de frapper les Jésuites. Le roi céda, puis résista. Mais M. de Martignac avait en mains un moyen de pression dont il ne dédaigna pas d’user : c’était de livrer M. de Villèle aux fureurs parlementaires. L’ancien ministre devenait ainsi la rançon des Jésuites. Le roi, sur une menace de démission, céda enfin, et parurent ces ordonnances du 16 juin 1828 qui attirèrent sur la tête de M. de Martignac toutes les invectives sacrées, quoique, à la vérité, elles ne méritassent pas ce déchaînement de colères par leur timidité.

En effet, les ministres empêchaient les Jésuites de diriger et d’enseigner, mais non de vivre en France. C’était un recul sur la législation antérieure et comme un désaveu des arrêts rendus. Le clergé tout entier, par ses hauts dignitaires, surtout par la voix hautaine de M. de Clermont-Tonnerre, protestait. Pour réduire ces insolences que le Concordat n’éteignait pas, le ministère s’adressa à Rome, et Rome, grâce à l’intermédiaire de Chateaubriand, donna au clergé l’ordre de se calmer. Il le fit, et de suite ; Mais l’obéissance passive dont, vis-à-vis du pape, le clergé venait de faire preuve était tout extérieure. La discipline sacrée descendait sur les faits et non dans les consciences. Si l’agitation cessa, si les ministres du culte, intimidés à la fois par l’attitude pontificale et par des mesures de suspension de traitements s’interdirent toute action bruyante, une vaste et silencieuse intrigue se noua qui avait pour but d’arracher le pouvoir aux mains qui, d’après l’ultra-royalisme, trahissaient les intérêts dynastiques.

De ce jour, le cabinet Martignac était condamné à mort. L’échéance seule était incertaine, mais non le résultat. M. de Martignac, dont le souple esprit entrevoyait les difficultés, sembla en avoir le pressentiment. Il se rapprocha visiblement de la gauche avec le désir d’appeler comme collaborateurs de sa politique M. Casimir Périer ou le général Sébastiani, le désir de confier d’autres fonctions moins hautes, mais positives, à d’autres membres du parti libéral. Précisément la place de M. de la Ferronays allait devenir vacante. Ministre des Affaires étrangères, un peu étranger aux coutumes parlementaires, effrayé des hardiesses de M. de Martignac, M. de la Ferronays désirait s’évader de responsabilités haïes. On pensait, par des mutations dans le ministère même, donner le ministère de la Guerre au général Sébastiani et celui du commerce à M. Casimir Périer… Mais le plan ne put tenir.

Le roi, en effet, commençait à agir contre son propre ministère. Dès que M. de Villèle eut été parti, il était tombé sous l’influence de Martignac dont la grâce expansive et séductrice avaient captivé un moment son esprit. Mais veillait près de lui, avec les regards jaloux d’un favori éconduit, le prince Jules de Polignac. De Villèle avait écarté ce rival en discréditant son intelligence et en faisant état de la légèreté de ses conceptions, et sa parole avait pu, un temps, effacer, même dans l’esprit du roi, le souvenir des services rendus à la cause, l’émigration, la conspiration Cadoudal, la condamnation, dix années d’internement subies par ce prince. Ambassadeur à Londres, sur un message secret du roi il revenait, en apparence pour les besoins de sa fonction, en réalité pour rentrer dans le ministère. Mais aux premiers mots insinuants du roi, tout le cabinet se leva pour parler. C’était lui donner, par la présence de cet émigré intraitable, partisan des plus folles mesures de réaction, une couleur que n’auraient pu tolérer ses membres. Le roi comprit, Polignac aussi, et il repartit après avoir prononcé en faveur de la Charte et du parlementarisme un discours où une conversion hypocrite à de nouvelles idées apparaissait, satisfaisante seulement pour les naïfs.

Personne ne crut au repentir politique du prince intraitable ni que cette intransigeance hautaine avait pu abdiquer les théories du droit divin lui pour se commettre au soutien de la Charte. Mais s’il ne laissa pas derrière lui des convictions, le prince laissa derrière lui un plan : réunion sur le terrain royaliste de toutes les fractions royalistes qu’une stupide et stérilisante division avait affaiblies, et, par l’union reconquise, la chute du ministère était certaine.

On put croire un moment à l’échec définitif de ce plan quand on vit le résultat de l’élection présidentielle dans la session de 1829. Royer-Collard fut élu le premier et les royalistes ultras ne purent grouper sur le nom de M. de la Bourdonnaye que quatre-vingt-dix voix, mais cette assurance donnée à la droite de sa faiblesse numérique lui fut plus un encouragement qu’une déception. Seulement, puisque par le seul nombre elle ne pouvait pas triompher, elle allait, par la ruse et la diplomatie parlementaire, essayer de presser les événements.

Le parti libéral était reconnaissant à M. de Martignac de son attitude. Aux gages par lui fournis, le parti répondit par un gage identique : il ne soutint pas, il retira au contraire, en séance, la proposition de mise en accusation dirigée par un de ses membres, Lubey de Pompières contre M. de Villèle. Ainsi, il permettait à M. de Martignac de tenir, vis-à-vis du roi, la promesse faite et qui, on le sait, consistait à épargner toute amertume ou tout affront à ses prédécesseurs, et M. de Martignac s’imaginait que tous ces procédés aimables et utiles en même temps lui permettraient de conquérir définitivement sur le roi une influence que leur récent voyage triomphal en Alsace, et où l’émotion du roi s’était manifestée par des larmes, lui permettait de croire acquise.

Cette émotion, si elle n’avait pas été factice, avait été fugitive. Dès qu’il avait quitté des yeux les paysages sévères de l’Alsace, égayés pour lui de mille fleurs et de mille lumières, le roi était retombé aux mains de la congrégation tenace. Des intrigues dont elle était le bras, dont il était le pivot, entouraient le ministère et au loin Polignac veillait. Dans des manifestations successives, la droite de ce Parlement démontrait son visible intérêt qui était de reprendre à ces mains trop libérales le fardeau du pouvoir.

M. de Martignac avait déposé, le 10 février 1829, un projet de loi sur l’organisation des communes, un autre projet sur l’organisation départementale. Ce double projet avait pour but d’affirmer, en ce qui concernait la gestion de la commune, le principe de l’élection ; en ce qui concernait le

(D’après une estampe de la Bibliothèque Nationale).


département, d’épurer un peu les sphères administratives où figuraient, artisans de toutes les fraudes du passé, nombre de préfets. Les plus imposés de la commune formaient un corps de notables, extrêmement réduit d’ailleurs, et qui nommait le conseil municipal dont, jusqu’ici, le choix appartenait au préfet. Ce corps ne pouvait pas s’élever à un nombre de membres supérieur à trente, plus deux électeurs sur cent habitants. Les plus imposés du canton, auxquels se joignait un électeur sur cent, nommaient le conseil d’arrondissement et les plus imposés de l’arrondissement, avec le surcroît d’un électeur sur mille, nommaient les conseillers du département. La commission chargée d’examiner différents projets, les aggrava dans le sens libéral, et demanda l’inéligibilité des ministres du culte avec la suppression du mot « notables. »

Mais quel projet viendrait le premier en discussion ? Sur cette simple question de procédure, le gouvernement, à sa stupéfaction, fut battu. La gauche réclamait la discussion immédiate du projet touchant l’organisation départementale, désireuse qu’elle était de constituer tout de suite un corps de contrôle sur les préfets. Le gouvernement s’en tenait au projet communal le premier déposé ; au scrutin, les libéraux et les ultras se levèrent ensemble et firent contre le gouvernement une majorité.

C’était une surprise. Il semble même qu’elle eût été salutaire, si les libéraux et le gouvernement, avertis par elle, comprenant que les ultras profiteraient de leur désaccord, s’étaient rassemblés. Au lieu de cela, la dispersion des efforts fut la loi communément observée. Quand vint le projet sur le fond, le rapporteur, le général Sébastiani, un libéral, apporta les exigences intransigeantes de ses amis. Sur la suppression des conseillers d’arrondissement, les libéraux votèrent, la droite s’abstint, et l’amendement hostile au gouvernement fut voté.

En vain M. de Martignac avait développé, pendant ce débat, toute la souplesse brillante de son esprit, ramené les uns, critiqué sans amertume les autres, offert le spectacle d’un homme admirablement doué par toutes les forces de séduction et de logique qu’il détenait en lui. Il était battu. Il se retira avec Portalis, et revint avec un décret royal opérant le retrait du projet.

C’était la rupture violente et définitive avec la gauche. Désormais le ministère va vivre au jour le jour, sans majorité, sans lendemain, exposé aux rencontres hasardeuses, mais décisives, des libéraux et des ultras. Le vote du budget de 1830 occupa l’Assemblée, dont toutes les attentions se détachaient des questions pécuniaires pour se reporter sur la situation politique[1].

La Chambre se sépara au mois de juin 1829. C’était le moment attendu pour agir. Le prince de Polignac, mandé une fois encore par message secret, quitta son ambassade de Londres et revint à Paris. Des rumeurs, des bruits, des propos divers, annonçaient la fin du ministère Martignac. Ce ministère cependant demeurait incrédule au milieu de ces nouvelles. Il fallut, pour l’éclairer, l’insistance avec laquelle, au début du mois d’août, le prince de Polignac demanda au ministre des finances Roy s’il consentirait à faire partie de sa combinaison. Peu après, le roi annonçait au ministère qu’il le remplaçait par un ministère nouveau : M. de Polignac devenait ministre des affaires étrangères ; M. de la Bourdonnaye, ministre de l’intérieur ; Courvoisier, de la justice ; et le général de Bourmont, l’homme de Waterloo, ministre de la guerre.

L’annonce de cette nouvelle fit tomber du sommet de ses illusions un peu puériles M. de Martignac. Ce dernier avait toujours eu dans le roi une confiance sans limite. Il prenait la courtoisie, la cordialité, l’affabilité des manières pour des traductions sincères d’un sentiment plus profond. Surtout depuis le retrait des lois d’organisation municipale, M. de Martignac avait cru retrouver la faveur royale, et la posséder sans partage. On a peine à comprendre que ce parlementaire affiné, que cet esprit souple et vivant ait manqué de la plus élémentaire clairvoyance et que, notamment, la double arrivée du prince de Polignac, les propositions à peine voilées faites par le roi qui tentait de faire pénétrer dans le conseil son favori, on a peine à comprendre que cet ensemble de faits n’ait pas davantage frappé ses yeux.

Sous son masque tranquille et bon, le roi astucieux préparait à son premier ministre une chute lamentable, et il ne l’avait conservé près de lui que pour atteindre sans heurt la fin de la session. Celle-ci venue, M. de Martignac n’avait pas attendu bien longtemps les effets de la faveur capricieuse. Il pouvait se rappeler, avec une stupéfaction un peu ingénue, les paroles larmoyantes du roi qui, en Alsace, au milieu des acclamations, lui disait : « Quelle nation, monsieur de Martignac ! et que ne ferait-on pas pour elle ! » Ce qu’il allait faire, on allait le voir, Pour le moment, il préparait le plan.

Il faut dire que Charles X avait sur les lèvres, au moment où il congédiait ses ministres, sinon une raison, du moins un habile et convaincant prétexte. C’était l’absence de majorité à la Chambre, l’insécurité ministérielle qui en était l’effet. La majorité vacillante et bigarrée, faite du libéralisme naïf et de l’ultracisme calculateur, en effet, n’offrait aucun lendemain à ce ministère et, par elle, toute conception réfléchie était frappée de stérilité. À proposer des lois rétrogrades M. de Martignac n’aurait pas gagné les hommes de réaction qui, pour leur besogne, n’avaient pas besoin d’autres mains que les leurs.

À proposer des réformes libérales, il aurait pu se sauver. Mais voici précisément où M. de Martignac et les libéraux commirent des fautes de tactique qui témoignaient d’une ignorance complète et des intentions du roi et de l’avenir.

Les libéraux furent trop ardents dans la revendication même juste de certaines modifications, notamment à propos des lois sur l’organisation municipale. Sûrs des intentions libérales ou demi-libérales du gouvernement, ils auraient dû, avec lui, concerter leur tactique. Il eût été nécessaire de combiner les interventions, de régler sur la scène parlementaire les effets, de discipliner l’action. Au lieu de cela, à la voix du général Sébastiani, ancien général de parade du premier Empire, dont les fanfaronnades, en 1808, en Espagne, avaient égayé l’armée, à sa voix rude et âpre, les libéraux, sans ménagements, marchèrent. Habilement, les ultras, se servant de ces instruments d’opposition, laissèrent faire, et on sait ce qui advint. Il n’était pas défendu de penser que l’ambition, la convoitise, l’intérêt menaient les chefs du libéralisme, que les conseils vertueux de M. Guizot, désabusé parce que non employé, ne furent pas étrangers à cette tactique : les libéraux portent le poids de la chute du ministère Martignac, lui-même coupable de trop de confiance aveugle envers un roi hypocrite… Ce fardeau, il est vrai, parait léger à qui sait ce qui suivit, et que la fosse éternelle où glissait jour par jour la monarchie légitime était par elle-même creusée. De l’initiative insensée du roi Charles X, de ce ministère nouveau et dernier, comme de l’épuisement du mal, le bien va enfin sortir, et dans des journées saccadées où la vaillance civique se dressera, va se décider le sort du dernier des Bourbons régnants.


  1. Cependant cette indifférence ne permit pas à M. de Peyronnet d’échapper à un vote provoqué par Dupin aîné et mettant en demeure le gouvernement de poursuivre devant les tribunaux l’ancien ministre du cabinet Villèle pour mauvaise gestion des deniers de l’État.