Histoire politique des États-Unis/Tome 2/Leçon 13

Charpentier (2p. 257-280).
TREIZIÈME LEÇON
le parlement en 1774. — lord chatham. — burke.

Le 26 octobre 1774, le Congrès de Philadelphie se sépara, en invitant les Américains à nommer un autre Congrès qui se réunirait au même endroit le 10 mai de l’année suivante.

Tandis qu’il siégeait encore, la lutte continuait dans le Massachusetts ; le peuple et le gouvernement se séparaient chaque jour davantage. Le gouverneur avait convoqué une nouvelle assemblée qui devait se réunir à Salem, au commencement d’octobre. Mais comme les conseillers qu’il avait nommés donnaient leur démission, et que le conseil n’était plus en nombre pour l’expédition des affaires, il changea d’avis, et fît une proclamation pour ajourner la réunion.

Cette proclamation fut dédaignée par les patriotes. Ils se réunirent à Salem, et de là se retirèrent à Concord, ville de l’intérieur qui était moins sous la main du gouverneur. Là ils se déclarèrent Congrès provincial, et commencèrent à administrer la colonie comme s’ils avaient été légalement convoqués. Ils déléguèrent leurs pouvoirs à une commission qu’ils appelèrent Comité de salut public, exemple suivi bientôt par les autres colonies, et qui nous a donné les comités de salut public en France, assemblées qui malheureusement n’ont eu de commun que le nom avec les comités américains. Mais, avant tout, les patriotes du Massachusetts préparèrent les moyens de résistance ; ils réunirent des provisions pour douze mille hommes de milice, et mirent à leur tête quelques citoyens qui s’étaient distingués dans la guerre du Canada ; ils enrôlèrent un grand nombre de miliciens dévoués, qui prirent le nom de minute-men, parce qu’ils s’engageaient à prendre les armes à la minute[1].

Une proclamation royale fut lancée d’Angleterre pour empêcher les exportations d’armes et de munitions aux colonies. L’annonce de cette proclamation ne fit qu’enflammer davantage les esprits. En Rhode-Island le peuple saisit un train d’artillerie qui appartenait à la Couronne ; dans le New-Hampshire le peuple surprit le petit fort de William et Mary, qui n’avait que cinq hommes de garnison. C’était la révolution qui s’essayait.

Tandis que chaque navire arrivant d’Amérique apportait en Angleterre des nouvelles toujours plus sombres pour les amis de la paix, le peuple anglais était tout occupé d’élections générales ; et ces élections, il faut le dire, se faisaient dans un esprit fort ennemi de l’Amérique. Le sentiment général en Angleterre, c’est qu’on avait été provoqué et bravé par le Massachusetts ; l’honneur national était engagé, il fallait à tout prix écraser la rébellion. Bristol, qui nomma Burke, fut presque la seule ville qui changea son représentant, au bénéfice de l’Amérique. Cette irritation et d’autres raisons plus grossières, mais non pas moins fortes[2], assurèrent à lord North et à sa politique une triomphante majorité.

Le nouveau Parlement se réunit le 29 novembre 1774. Dans la Chambre des lords, ce fut lord Hillsborough qui, en réponse aux menaces contenues dans le discours du trône, proposa l’adresse pour y exprimer toute l’horreur que les lords ressentaient pour les principes séditieux du Massachusetts. Il ne craignit pas de dire (c’était une allusion à Franklin et à Quincy) qu’il y avait en ce moment des gens qui se promenaient dans les rues de Londres, et qui devraient être à Newgate ou à Tyburn. Après une assez vive discussion l’adresse fut votée par une majorité considérable. Il y eut 13 voix d’opposition ; Rockingham, Shelburne, Cambden, Stanhope et cinq autres pairs protestèrent par écrit « contre une témérité inconsidérée qui pouvait précipiter le pays dans une guerre civile. » Je ne doute pas que, dans les journaux du temps, on n’en fît des séditieux. À la même époque, Garnier, agent français, écrivait à M. de Vergennes : « Le discours du roi achèvera d’aliéner les colonies. Chaque jour rend la conciliation plus difficile., chaque jour la rendra plus nécessaire[3]. » C’était voir les choses en homme d’État.

Dans la Chambre des communes, malgré l’éloquence de Fox et de Burke, l’opposition ne réunit que 73 voix ; elle n’avait pour elle ni le nombre ni l’opinion.

L’adresse votée, les affaires importantes furent, suivant l’usage, ajournées après les fêtes de Noël.

Lorsque les papiers américains furent soumis aux Chambres, Chatham sortit de sa retraite et de son silence. Son patriotisme, sa haine de la France, son amour de la liberté lui faisaient voir bien au delà de misérables querelles de vanité ; il voulait la paix et l’union avec l’Amérique ; et il voulait la paix, de la seule façon vraiment possible et féconde, en effaçant le passé, en agissant franchement, loyalement, en ne craignant pas que l’Angleterre avouât ses torts. Ce n’est pas que lord Chatham fût aveugle sur ce qui s’était passé au Massachusetts ; il y avait là des germes de révolution qui lui paraissaient coupables ; mais quand onze provinces se joignaient au Massachusetts, il voyait là un avertissement qu’il ne fallait point laisser perdre. L’heure de la raison avait sonné : on ne met pas en accusation un peuple entier.

Le 20 janvier 1775, Chatham parut à la Chambre des lords. Sans rien préciser, il avait annoncé seulement qu’il parlerait sur les affaires d’Amérique. Le banc était encombré d’Américains ; au premier rang était Franklin, placé là par Chatham, qui aimait à voir auprès de lui l’homme qui connaissait le mieux l’Amérique.

Chatham demanda qu’on fît une adresse au roi pour prier Sa Majesté de rappeler le plus tôt possible les troupes de Boston, afin d’ouvrir la voie à l’apaisement des animosités en Amérique.

« Mylords, dit-il, ces papiers qu’on vous soumet aujourd’hui pour la première fois sont, à ma connaissance, depuis cinq ou six semaines dans la poche du ministre. Et quoique les destinées du royaume dépendent de cette grande question, c’est aujourd’hui seulement qu’on nous appelle à l’examiner.

« Mylords, je n’ai nul désir de regarder ces papiers. Je sais déjà ce qu’ils contiennent. Il n’y a pas un membre de la Chambre qui n’en soit instruit. Entrons donc de suite en matière, abordons la question. Saisissons le premier moment pour ouvrir la porte de la réconciliation[4].

« … Bientôt il sera trop tard. Une heure perdue peut produire des années de malheur. Rappeler les troupes de Boston, c’est le premier moyen de rétablir la paix et de fonder votre prospérité.

« … L’esprit d’indépendance qui anime les peuples d’Amérique n’est pas chose nouvelle ; leur foi n’a jamais changé. À l’époque de l’acte du timbre, une personne respectable et sûre m’affirmait que les Américains étaient décidés à tout. Vous pouviez détruire leurs villes, leur enlever les superfluités et peut-être les commodités de la vie ; mais ils étaient prêts à mépriser votre pouvoir, et ne regretteraient rien tant qu’ils auraient — quoi, mylords ? — leurs biens et leur liberté.

« Si des violences ont été commises en Amérique, préparez la voie pour qu’on les reconnaisse et qu’on vous donne satisfaction : mais pour la faute de cinquante individus, n’opprimez pas trois millions d’hommes. Cette sévérité, cette injustice feront naître dans vos colonies une inguérissable rancune. — Vous marcherez de ville en ville, de province en province ? — Comment assurerez-vous l’obéissance du peuple que vous laisserez derrière vous, dans votre marche pour saisir six cents lieues de continent ?

« Il était facile de prévoir qu’on résisterait à vos taxes arbitraires ; il suffisait de connaître la nature des choses, le cœur humain, et surtout cet esprit whig qui fleurit en Amérique. Cet esprit de résistance qui, en Amérique, rejette vos taxes, c’est celui qui autrefois en Angleterre repoussait les emprunts, les dons gracieux, le ship money ; c’est ce même esprit qui, dans le bill des droits, vengea la Constitution anglaise ; c’est ce même esprit qui a établi cette maxime essentielle de nos libertés, que nul Anglais ne peut être taxé que de son consentement.

« Ce glorieux esprit de liberté anime trois millions d’hommes en Amérique ; j’espère qu’en Angleterre il y en a le double qui y applaudissent. L’Irlande s’y associe comme un seul homme. Établissez donc à jamais ce principe : L’impôt leur appartient, la loi du commerce est à nous.

« Les Américains disent que vous n’avez pas le droit de les taxer sans leur aveu ; ils ont raison. Je leur reconnais ce droit suprême sur leur propriété, ce droit inaliénable qu’ils peuvent justement défendre jusqu’à la dernière extrémité. Maintenez ce principe, c’est la cause commune des whigs des deux côtés de l’Océan, c’est la liberté unie à la liberté ; c’est l’alliance de Dieu et de la nature, alliance immuable, éternelle.

« À cette force unie, quelle force opposerez-vous ? Quelques régiments en Amérique, dix-huit mille hommes ici ! L’idée est trop ridicule pour y insister. Si vous ne révoquez pas ces mesures fatales, l’heure du danger arrivera avec toutes ses horreurs. Et alors, malgré toute leur assurance, ces ministres vaniteux seront forcés d’abandonner des principes qu’ils avouent, mais qu’ils ne peuvent pas défendre, des mesures qu’ils peuvent bien essayer de prendre, mais qui, ils le savent bien, ne réussiront pas.

« Pour ramener l’Amérique dans notre sein, il ne suffit pas de déchirer un morceau de parchemin ; apaisez ses craintes et ses ressentiments, et alors espérez en sa reconnaissance et en son amour. Tant qu’une force armée postée à Boston irrite et insulte les Américains, toute concession, si vous pouviez l’arracher, serait incertaine ; mais n’est-il pas évident qu’unis comme ils sont, vous ne pouvez pas les forcer à une honteuse soumission ?

« Que Vos Seigneuries lisent ces papiers américains, qu’elles en considèrent la convenance, la fermeté, la sagesse, elles ne pourront que respecter une pareille cause, et désirer se l’approprier. Pour moi, je l’avoue, dans toutes mes lectures (et j’ai lu Thucydide, et j’ai étudié et admiré les États qui ont été les maîtres du monde) je n’ai rien vu qui l’emportât pour la solidité de la raison, la force de la sagacité, la sagesse de la conclusion. Au milieu de circonstances si difficiles et si compliquées, je ne connais pas une nation, une assemblée que je mette au-dessus du Congrès de Philadelphie.

« Les histoires de Grèce et de Rome ne nous donnent rien d’aussi grand. Imposer la servitude à de pareils hommes, établir le despotisme sur ce puissant continent, c’est un effort insensé et qui sera fatal. Nous finirons par être forcés de nous rétracter ; rétractons-nous donc quand nous le pouvons faire librement ; n’attendons pas la nécessité. Vous serez obligés de révoquer ces actes violents ; vous les révoquerez, je vous l’affirme au prix de ma réputation ; vous les révoquerez. Évitez donc cette nécessité humiliante : avec la dignité qui convient à votre grande position, faites les premiers pas pour obtenir la paix, la concorde, la prospérité ; là est la vraie dignité. Ces concessions ont meilleure grâce quand elles viennent d’un pouvoir supérieur ; elles établissent une confiance solide sur le fondement de l’affection et de la reconnaissance. Soyez humains les premiers, jetez les armes que vous avez à la main.

« Justice, politique, dignité, prudence, tout vous crie d’apaiser l’Amérique en retirant vos troupes de Boston, en révoquant vos lois, en témoignant aux colonies des dispositions amicales. À persévérer dans vos mesures ruineuses, tous les dangers, tous les hasards vous menacent ; la guerre étrangère est suspendue sur vos têtes par un fil ; la France et l’Espagne surveillent votre conduite ; elles n’attendent que la maturité de vos erreurs.

« Si les ministres persévèrent à mal conseiller le roi et à l’égarer, je ne dirai pas que le roi est trahi, mais j’affirme que le royaume est perdu. Je ne dis pas que les ministres détruiront l’affection que les sujets portent à la Couronne, mais j’affirme que, quand ce diamant de l’Amérique n’y sera plus, la Couronne ne vaudra pas la peine de la porter[5]. »

Chatham fut soutenu par lord Cambden, l’ancien lord chancelier, l’homme de la justice et du droit.

« Mylords, dit-il, ce n’est pas comme politique, homme d’État ou philosophe que je vous parle, c’est comme simple légiste. Vous n’avez pas le droit de taxer l’Amérique ; les droits naturels de l’homme, les lois immuables de la nature sont avec ce peuple. Rois, lords, communes sont de beaux noms et qui sonnent bien, mais les rois, les lords et les communes peuvent devenir tyrans tout comme d’autres. Il est aussi légal de résister à la tyrannie de plusieurs qu’à la tyrannie d’un seul. On demanda un jour au grand Selden dans quel livre se trouvait le droit de résistance à la tyrannie, « Ce fut « toujours la coutume d’Angleterre, répondit Selden, et la « coutume d’Angleterre est la loi du pays. »

Dans ces simples et fortes paroles de Cambden, il y avait plus de raison que dans tous les in-folio des jurisconsultes, et plus de sagesse que dans tous les discours ministériels.

Avoir raison contre Chatham et Cambden était chose difficile ; mais leur répondre était aisé ; il y a des sophismes parlementaires toujours prêts pour toutes les questions, et quand une assemblée est ignorante, passionnée ou corrompue, ces sophismes réussissent d’autant mieux que les grandes et nobles réponses ne vont à l’adresse que des grands et nobles esprits.

Aussi vit-on défiler toute la bande ordinaire des sophismes politiques : l’appel à la force et à l’intérêt, le dédain, la colère, l’accusation de complicité.

« Mylords, dit lord Gower, avec hauteur, laissez les Américains parler de leurs droits naturels ou divins. Leurs droits comme homme et comme citoyen, ! leurs droits qu’ils tiennent de Dieu et de la nature ! Mon avis est d’employer la force. » Lyttleton reprocha à Chatham de répandre le feu de la sédition, et accusa les Américains de vouloir s’affranchir de l’acte de navigation. Rocheford déclara que Chatham n’était pas moins responsable que les Américains, et responsable en sa personne de tout ce qui suivrait[6].

Toutes ces criailleries ne pouvaient émouvoir l’homme d’État ; mais son éloquence n’eut pas plus d’effet que le sifflement du vent ; la motion fut rejetée par 68 voix contre 18. Parmi ces 18 voix se trouvait celle du duc de Cumberland, frère du roi. Il était tout à l’Amérique. On raconte qu’un jour, dans le pourtour de la chambre, il s’approcha du docteur Price, qui venait de publier un pamphlet des plus vifs en faveur de l’Amérique. « Je l’ai lu hier soir, dit-il, et si tard que votre livre m’a presque aveuglé. — Vraiment ! dit Dunning, l’ami de Burke ; cela m’étonne, il a fait l’effet contraire sur la plus grande partie de la nation, il lui a ouvert les yeux[7]. »

Le roi, qui entraînait lord North dans cette voie sans retour, s’applaudit de cette belle majorité ; suivant lui, rien n’était mieux calculé pour amener les Américains à se soumettre[8]. Erreur commune des politiques à courte vue ; réduire un peuple au désespoir, c’est le moyen sûr de le précipiter dans la guerre civile, Spoliatis arma supersunt. C’est ce que sentait Chatham. Sans s’inquiéter de son échec, il suivit sa pensée et tenta un nouvel effort pour empêcher la guerre civile, « Que la volonté de Dieu soit faite, disait-il, et que l’ancien et le nouveau monde nous jugent. »

Ce fut à Franklin qu’il s’adressa ; ce fut à lui qu’il soumit son projet de réconciliation : « Je veux régler mon jugement sur le vôtre, disait-il, comme on règle une montre sur un régulateur[9]. »

S’adresser à l’homme capable, à celui qui possède la question, c’est le cachet des grands politiques ; ils cherchent des maîtres, eux qui n’en ont pas besoin ; les autres cherchent des flatteurs et des valets. Ce sont des aveugles à qui il faut des aveugles pour les conduire.

Le 1er février 1775, Chatham présenta son projet de vraie réconciliation et d’accord national. C’étaient les propositions du Congrès de Philadelphie que Chatham acceptait en substance. Le Parlement révoquait les statuts dont l’Amérique se plaignait, et renonçait au droit de taxation ; de son côté, l’Amérique devait reconnaître à l’Angleterre le droit de régler le commerce de tout l’empire. En outre, et par un don volontaire, les assemblées devaient fournir aux dépenses du gouvernement.

Enfin et comme marque de confiance, c’était le Congrès qui allait se réunir à Philadelphie au 10 mai 1775 que Chatham chargeait : 1° de reconnaître la suprême autorité législative du Parlement ; 2° de faire un don volontaire au roi, en fixant un certain revenu perpétuel pour alléger la dette ; « non pas comme condition imposée pour obtenir justice, mais comme un juste témoignage d’affection. » Ainsi l’Angleterre ouvrait la voie par une déclaration de principe, et l’Amérique venait au-devant de la métropole par la déclaration du Congrès et par une concession d’argent[10].

L’accord était honorable ; Franklin était convaincu que Chatham voulait satisfaire les Américains ; Jefferson, en lisant le bill, espérait qu’il amènerait la réconciliation ; Samuel Adams, toujours méfiant, s’inquiétait pour l’avenir de cette reconnaissance conditionnelle de l’autorité suprême du Parlement. « Prenons garde, disait-il, qu’au lieu d’avoir une épine dans le pied, nous n’ayons un poignard dans le cœur[11]. »

Quand Chatham eut fini sa lecture, le bon lord Darmouth parla de la grandeur de la question, et demanda que le bill fût mis sur table, c’est-à-dire qu’on l’examinât. Chatham répondit aussitôt qu’il ne demandait rien de plus. Lord Sandwich, un des membres ardents du cabinet, prit alors la parole pour blâmer la faiblesse de son collègue. « Cette mesure qu’on nous propose, dit-il, ne mérite que le mépris ; il faut la rejeter immédiatement. Jamais je ne croirai que ce soit là l’œuvre d’un pair d’Angleterre. » — Et se tournant vers Franklin qui était appuyé à la barre : « Je suppose, continua-t-il, que c’est là une œuvre américaine ; et j’imagine que j’ai devant moi la personne qui l’a esquissée, un des ennemis les plus âpres et les plus dangereux que ce pays ait jamais eus. »

Tous les yeux se tournèrent vers Franklin, Chatham répondit : « Ce plan est entièrement mon œuvre ; mais si j’étais premier ministre, et si j’avais la charge de terminer cette importante affaire, je ne rougirais pas d’appeler publiquement à mon aide un homme aussi parfaitement instruit des choses américaines, un homme que toute l’Europe place auprès de nos Boyle et de nos Newton, comme faisant honneur non-seulement à la nation anglaise, mais à l’humanité[12]. »

Lord Darmouth, effrayé de la vivacité de son collègue et surtout des compliments de l’opposition, qui l’avait félicité de sa suprême honnêteté, fut pris de sa faiblesse ordinaire ; il déclara qu’il ne pouvait accepter de tels éloges et qu’il avait changé d’avis. Le ministère demanda le rejet immédiat de la proposition. Contre tant de violence et de faiblesse, Chatham éclata.

« Rejetez ce bill, dit-il, il n’en fera pas moins son chemin dans le public, dans la nation, dans les plus lointaines solitudes de l’Amérique. Quels que soient ses défauts, il montrera du moins quel zèle j’ai mis à détourner les orages qui menacent de fondre sur mon pays. Je ne m’étonne pas que des hommes qui haïssent la liberté détestent ceux qui l’aiment ; je ne m’étonne pas que des gens sans vertu détestent ceux qui en ont. Toute votre politique n’a été qu’une suite continuelle de faiblesse et de témérité, de despotisme et de servilité, d’incapacité et de corruption. Je vous reconnais cependant un mérite : c’est une jalouse attention pour votre intérêt personnel. À ce point de vue, qui peut s’étonner de votre résistance à toute mesure qui peut vous faire perdre votre place et vous réduire à l’insignifiance pour laquelle Dieu et la nature vous ont faits[13] ? »

Tout ce qu’obtint l’éloquence de Chatham fut de grossir la minorité en faveur de la conciliation. Il eut 32 voix, le ministre en eut 61.

Toutefois l’opinion s’était émue ; lord North, pour la ramener, proposa des mesures violentes et faites pour terrifier les Américains. On déclarait le Massachusetts en état de révolte, on gênait les pêcheries américaines pour prendre la Nouvelle-Angleterre par la famine, et répondre ainsi aux actes de non-importation par une loi de talion ; on parlait de déchaîner les sauvages en arrière des colonies, et même de susciter une insurrection servile. Au fond, tout cela cachait une certaine peur de la guerre ; lord North, tout en secouant les foudres de la Grande-Bretagne, faisait sonder Franklin par l’amiral lord Howe, qui devait avoir bientôt le suprême commandement en Amérique ; le ministre cherchait des moyens d’accommodement[14]. Il était trop tard. Au fond, lord North n’était ni cruel, ni vindicatif, il commençait à s’effrayer de la responsabilité qu’entraînait sa faiblesse pour le roi et pour quelques-uns de ses collègues. C’était la guerre qui allait éclater, et la guerre civile ; on s’imaginait qu’on viendrait aisément à bout des Américains, mais enfin c’était une crise déplorable, et qui ne pouvait réjouir que les ennemis de l’Angleterre.

Lord North présenta aux Communes une résolution qui fut adoptée le 27 février[15] et qui décidait que, lorsqu’une colonie[16] proposerait d’établir un fonds, une provision pour subvenir à la défense commune (provision dont le chiffre répondrait à la situation de la colonie, et qui serait levée sans l’autorité de l’assemblée, et mise à disposition du Parlement), quand en outre cette colonie ferait une provision suffisante pour le soutien du gouvernement civil et l’administration de la justice, alors, et si cette proposition était approuvée par Sa Majesté et les deux Chambres du Parlement, le gouvernement anglais s’abstiendrait de lever aucun impôt sur la colonie, sauf les droits imposés pour le règlement du commerce, droits qui, du reste, profitaient à la colonie.

Cette proposition, qu’on nomma la branche d’olivier de lord North, était à double face ; c’était une concession de fait aux colonies, une réserve de droit au Parlement. Et la concession de fait était plus apparente que réelle ; c’était pour chaque colonie le droit de se taxer au gré du Parlement.

Lord North prétendit qu’il ne cédait rien, il avait raison. « Si les Américains, dit-il, n’ont d’autre prétention que de se taxer eux-mêmes, ils accepteront notre proposition ; s’ils ont d’autres intentions et des intentions criminelles, leur refus mettra au jour leur duplicité. »

Il ajouta, c’était là le secret de sa politique, qu’il ne s’attendait pas à ce que cette proposition fût partout acceptée, mais que c’était un moyen de diviser la rébellion. Qu’une seule province acceptât, cette confédération, qui donnait seule quelque force à l’Amérique, était à l’instant brisée. Cette belle raison fit voter la loi. Les petits esprits ne comprennent que les petits moyens, et leurs basses intrigues les perdent tôt ou tard. La politique de lord North, c’était la ruse qui ne trompe personne ; celle de Chatham, c’était la franchise et la noblesse. L’une était un expédient, l’autre était une solution.

En même temps, pour ramener l’opinion ébranlée, le ministère demanda un pamphlet à Samuel Johnson. C’est une des figures les plus originales du dix-huitième siècle. Misérable dans son enfance, réduit par pauvreté à écrire Rasselas afin d’avoir un peu d’argent pour enterrer sa mère, c’est dans sa vieillesse seulement que Johnson avait trouvé non pas l’aisance, mais un abri. Cet abri, il le partageait avec les pauvres qu’il aimait ; il avait dans sa maison un vrai nid de boiteux, d’aveugles, d’incurables. On le recherchait pour sa conversation et son originalité ; il était tory fanatique, partisan du passé, champion du roi, de l’Église et de l’aristocratie, et de plus éloquent, solennel, paradoxal. Son dictionnaire lui avait donné une grande célébrité, ses définitions avaient manqué de lui valoir plus d’un procès ; entre autres définitions, on a retenu celle du mot Pension : Solde donnée à un bravo politique pour trahir son pays.

À l’âge de soixante-six ans, il accepta cette position d’écrivain et de bravo ministériel ; et il publia un pamphlet intitulé : Taxation no Tyranny, qui charma tous les ennemis de l’Amérique, car il était violent, insolent ; et, en pareil cas, la foule prend la brutalité pour du talent. Johnson avait pris ce ton de cynisme qui est odieux quand on est le plus fort.

« Les gens de Boston, disait-il, nous menacent de quitter leur ville opulente et de s’exiler dans les déserts ? — Tant mieux, ces héros laisseront la place à des hommes plus sages qu’eux. — Ils se plaignent qu’on veut les transporter au delà des mers pour les juger. — Qu’ils se tiennent tranquilles. — On les a condamnés sans les entendre ? — À quoi bon des procédures ? Ce qu’on a vu suffit. »

« Si l’obstination continue sans hostilité, ajoutait-il, on pourra peut-être la mollifier, en installant des soldats chez les habitants, en leur interdisant, bien entendu, les sévices et les injures. On pourrait aussi mettre les esclaves en liberté ; c’est là un acte que ces amants de la liberté ne peuvent qu’approuver. Donnez aux nègres des fusils pour leur défense, des ustensiles pour leur ménage et une forme de gouvernement des plus simples, ils seront plus reconnaissants et plus honnêtes que leurs maîtres. »

Il y avait enfin cette phrase significative : « Les colons, disent-ils, n’ont point été taxés dans les premiers temps ; qu’est-ce que cela prouve ? Nous ne mettons pas le veau à la charrue ; nous attendons qu’il soit bœuf. » — Cette phrase fut retranchée ; « les ministres n’en ont pas voulu, disait Johnson ; comme critiques ils l’ont trouvée trop facétieuse, comme politiques ils l’ont trouvée un peu vive. »

Les ministres n’étaient cependant pas difficiles, car ils laissaient passer les menaces suivantes :

« Les Américains se vantent de multiplier avec la fécondité de leurs serpents à sonnettes ; raison de plus pour que ceux qui se sentent les maîtres réduisent l’obstination avant qu’elle soit envieillie. Quand l’Amérique sera plus peuplée que l’Europe, dans un siècle et quart, il sera temps pour les princes de la terre de trembler dans leurs palais[17]. »

On peut juger de l’aménité du docteur par un détail que nous a conservé son biographe Boswell.

« Je peux, disait-il, aimer tous les hommes excepté les Américains. Et à ces mots, il s’écriait : « Drôles, voleurs, pirates, je voudrais vous brûler tous. » Miss Seward, le regardant avec étonnement, lui dit avec autant de douceur que de fermeté : « Ceci, monsieur, est une preuve que nous ne pardonnons pas nos offenses à ceux que nous avons offensés. » Ce reproche délicat et poignant nous valut un tonnerre de malédictions qu’on eût entendu de l’autre côté de l’Atlantique. »

C’est à ce moment que Franklin quitta l’Angleterre ; les gens habiles, tels que Hutchinson, auraient voulu le retenir ; c’était, disait-on, un homme dangereux et perfide ; cependant on le laissa partir. Il s’embarqua sans espoir de voir jamais revenir le temps heureux et regretté par lui, où un amour maternel et filial unissait l’Angleterre et l’Amérique.

Le 22 mars 1775, Burke, son ami, essaya une dernière fois de parler de conciliation. Burke n’avait ni le génie, ni l’influence de lord Chatham, mais il n’avait peut-être pas moins d’éloquence. Son plan beaucoup plus timide, et moins satisfaisant, déclarait en termes généraux qu’il était bon de rappeler certaines lois récentes, et de laisser aux assemblées coloniales le droit de taxation.

Mais si, pour réussir, Burke laissait dans l’ombre les parties les plus vives du projet de Chatham, son langage n’était pas moins ferme ; il voulait la paix, franche et sincère, il la demandait avec une ardeur patriotique. Ce n’est pas la forte et souveraine parole de Chatham, mais on y sent la grandeur morale ; Burke est un philosophe, Chatham un politique ; Burke a moins vieilli.

« Ma proposition, dit-il, c’est la paix ; non point la paix cherchée au moyen de la guerre, ou poursuivie au travers d’un labyrinthe de négociations embrouillées et sans fin, la paix surgissant de la discorde universelle fomentée tout exprès dans tout l’empire ; ce n’est point davantage une paix qui dépend du jugement de questions difficiles ou de la détermination exacte des limites obscures d’un gouvernement compliqué ; c’est la paix pure et simple, la paix cherchée dans un esprit pacifique, la paix établie sur des principes pacifiques. Ce que je propose, c’est d’écarter la cause de la dispute, c’est de rétablir l’ancienne confiance des Colonies dans la métropole, c’est de donner à la nation une satisfaction durable ; c’est, au lieu de régner par la discorde, de réconcilier les deux partis par le même acte, et de les réunir par le lien d’un commun intérêt.

« Voilà mon idée, et rien de plus. La politique raffinée a toujours engendré la confusion ; il en sera ainsi tant que durera le monde. Des intentions franches et loyales aussi aisément découvertes à première vue que la fraude l’est sûrement à la fin, ce n’est point là un faible moyen dans le gouvernement des hommes. La simplicité, la franchise, sont un principe de cohésion et d’union.

« Un plan aussi simple désappointera sans doute plus d’un de ceux qui l’écoutent. Il n’y a rien qui le recommande à l’inquiétude des oreilles curieuses. Rien de nouveau, rien qui séduise. Rien de la splendeur de ce projet qui vous a été présenté par le noble lord au ruban bleu[18]. Il n’y a point là cette magnifique adjudication financière, où des provinces captives viennent à rançon et renchérissent l’une sur l’autre, jusqu’à ce qu’enfin vous déterminiez cette proportion de payement que toutes les puissances de l’algèbre ne sauraient définir. « Mon plan n’a qu’un objet, la conciliation et la paix. »

Après une peinture magnifique de l’esprit de liberté chez les Américains fils de la libre Angleterre[19], Burke faisait une vive critique du projet de lord North ; il montrait tout à la fois l’injustice des prétentions ministérielles et leur impuissance ; il déclarait qu’il n’y avait qu’un seul moyen de pacifier l’Amérique, c’était la justice ; il fallait que le Parlement reconnût le droit qui appartient à tout Anglais de se taxer lui-même. Tout autre moyen était puéril ; on ne fait pas le procès à trois millions d’hommes, on ne les réduit pas par la force, à la distance et dans la situation où étaient les Américains.

Burke terminait par une péroraison où la politique la plus noble et la plus pure parle le langage le plus élevé :

« L’Amérique peut nous servir, disait-il, et surtout en guerre. Mais pour ce service, comme pour tout autre service de revenu, de commerce, d’impôts, je me confie à l’intérêt que les colonies ont dans notre constitution. Je tiens les colonies par cette affection étroite qui sort d’un même nom, d’un même sang, des mêmes lois, de la même protection. Ce sont là des nœuds aussi légers que l’air, aussi forts que des liens de fer. Laissez les colonies garder toujours cette idée, que leurs droits civils tiennent à votre gouvernement, elles s’attacheront, elles s’accrocheront à vous, il n’est point de force sous le ciel qui soit capable de les arracher de leur obéissance. Mais que les colonies s’aperçoivent un jour que votre gouvernement peut être une chose et leurs droits une autre, le ciment est tombé, la cohésion n’existe plus ; tout marche à la décadence et à la dissolution.

« Aussi longtemps que vous aurez la sagesse de faire du Parlement le sanctuaire de la liberté, le temple sacré de notre foi commune, peu importe la terre où la race choisie, où les fils de l’Angleterre adoreront la liberté ; c’est toujours vers vous qu’ils tourneront les yeux. Plus ils multiplieront, plus vous aurez d’amis ; plus leur amour de la liberté sera ardent, plus leur obéissance sera parfaite.

« La servitude, ils peuvent l’avoir partout ; c’est une plante qui pousse en tout pays. Ils peuvent l’avoir de l’Espagne, ils peuvent l’avoir de la Prusse ; mais jusqu’à ce que vous ayez perdu tout sentiment de votre véritable intérêt, de votre dignité naturelle, c’est de vous et de vous seuls qu’ils peuvent avoir la liberté. C’est la chose dont vous avez le monopole ; c’est le véritable Acte de navigation qui vous assure le commerce des colonies, et par elles vous donne la richesse du monde. Refusez aux colonies leur part de liberté, vous romprez le seul lien qui dans l’origine a fait l’unité de l’empire, le seul qui aujourd’hui puisse conserver cette unité.

« N’ayez point cette idée misérable et superficielle que ce qui fait la sécurité de votre commerce, ce sont vos registres, vos papiers, vos affidavit, vos licences, vos acquits-à-caution, vos quittances.

« Ne vous imaginez point que ce soient vos circulaires, vos instructions, vos clauses suspensives qui maintiennent cette grande charpente, cet ensemble mystérieux. Ce n’est point là ce qui constitue votre gouvernement. Tout cela, ce sont des outils inertes, une lettre morte. Ce qui leur donne la vie, c’est l’esprit anglais. C’est l’esprit de la Constitution qui, infus dans cette masse puissante, pénètre, nourrit, unit, fortifie, anime toutes les branches de l’empire, jusqu’au moindre rameau.

« Ici, en Angleterre, n’est-ce pas la même force qui fait tout pour nous ? Vous imaginez-vous que ce soit la loi d’impôt qui vous donne un revenu ? que ce soit le vote annuel d’un comité qui vous fasse une armée ? Est-ce le Code militaire qui inspire à vos soldats la bravoure et la discipline ? Non, mille fois non ! L’amour de la nation, son attachement au gouvernement, la part qu’elle se sent dans nos glorieuses institutions, voilà ce qui vous donne votre armée et votre marine, voilà ce qui inspire à vos soldats cette libre et volontaire obéissance, sans laquelle votre armée ne serait qu’un tas de misérables, et votre flotte un amas de bois pourri.

« Tout cela, je le sais, paraîtra étrange et chimérique au profane troupeau de ces politiques vulgaires et matériels qui n’ont point de place parmi nous, sorte de gens pour qui rien n’existe que ce qui est épais et lourd, et qui par conséquent, loin d’être qualifiés pour diriger le grand mouvement de l’empire, ne sont pas même faits pour tourner une roue de la machine.

« Mais pour des hommes d’État, pour ceux qui ont la juste connaissance des choses, ces principes directeurs, ces maîtres principes, qui dans l’opinion du vulgaire n’ont point d’existence réelle, ces principes sont partout, ils sont tout.

« En politique, la magnanimité est souvent la véritable sagesse ; un grand empire et de petits esprits ne vont pas bien ensemble.

« Si nous avions la conscience de notre situation, si nous brûlions du désir de remplir notre rôle comme il convient à notre position et à nous-mêmes, il nous faudrait commencer toutes nos discussions par le vieil avertissement de l’Église : Sursum corda.

« Élevons notre esprit à la hauteur des fonctions auxquelles l’ordre de la Providence nous appelle.

« C’est en considérant la dignité de cette haute vocation que nos ancêtres ont changé le désert en un glorieux empire, qu’ils ont fait les conquêtes les plus grandes et les seules honorables, non point en détruisant, mais en multipliant la richesse, le nombre et le bonheur de la race humaine.

« Conquérons un revenu américain comme nous avons conquis un empire américain. Ce sont les libertés de l’Angleterre qui ont fait l’Amérique ce qu’elle est ; ces libertés seules la feront ce qu’elle doit être.

« C’est avec une foi entière dans cette inaltérable vérité que je pose aujourd’hui la première pierre du temple de la Paix[20]. »

La proposition de Burke fut écartée par la question préalable à la majorité de 270 voix contre 78. Son éloquence n’eut pas plus de succès que celle de Chatham. La passion aveuglait l’Angleterre ; elle allait tête baissée à l’abîme, regardant comme un ennemi quiconque essayait de la retenir.

De pareils exemples ne sont pas rares dans l’histoire ; presque toujours c’est la passion qui règne, et qui tient la médiocrité et le nombre à son service. La raison, la justice, la liberté sont injuriées, poursuivies, méconnues. Comment se fait-il qu’il leur reste des amis ? Elle ont contre elles le pouvoir, la fortune, l’opinion, la popularité ; et cependant elles durent, et elles ont toujours des adorateurs.

C’est qu’il y a quelque chose de plus doux que la fortune, de plus puissant que le pouvoir, de plus flatteur que la popularité, c’est la voix de la conscience, c’est l’amour de la justice, c’est l’amour de la liberté.

La justice, la liberté sont des divinités pures, des figures sereines qu’on aime dès qu’on les a vues, et qu’on ne quitte plus. Qui n’aime la liberté que pour en profiter ne l’aime pas, et pliera au premier orage ; qui l’aime pour elle-même ne détachera jamais ni son cœur ni ses yeux de cette céleste beauté.

Ni la pauvreté, ni l’abandon, ni l’oubli, ni la persécution même n’arrachent à l’amour de la science un Galilée ; la justice est-elle moins belle, la liberté est-elle moins séduisante ? Non, c’est l’honneur de tous les grands siècles, qu’il y a toujours eu quelques hommes fidèles à ce culte qui ne périt jamais. Demosthènes, Cicéron, dans l’antiquité ; Chatham, Burke, Washington, Hamilton, La Fayette, tous ces grands hommes n’ont jamais varié ; tantôt admirés, tantôt ridicules suivant que le flot de l’opinion s’approchait d’eux ou s’en éloignait.

Mais en défendant la liberté n’y a-t-il que l’âpre volupté du devoir rempli, et du devoir rempli sans espoir ? Non, il y a quelque chose de plus. Il y a le sentiment qu’on sert l’avenir, qu’on enrichit l’humanité. L’avenir nous venge ? Ce serait là peu de chose. Non, l’avenir hérite de nous. Cette richesse que nos contemporains dédaignent, l’avenir s’en empare ; pauvres nous-mêmes, nous lui laissons la fortune de nos idées, la seule qui ne craigne ni les voleurs ni la rouille.

Où sont les habiletés de lord North, les injures et les violences des tories ? le vent de l’oubli les a emportées. Mais l’Angleterre a gardé les paroles de Chatham et de Burke ; elle est imbue de leur esprit ; c’est cet esprit qui gouverne les relations coloniales, c’est lui qui a enseigné aux Anglais que la justice est la vraie politique. Chatham et Burke sont l’âme de cette Constitution qu’ils ont défendue envers et contre tous.

Messieurs, la fortune ne donne pas à tous un si grand rôle ; elle nous condamne souvent à la modestie ; mais tous cependant nous pouvons défendre la vérité, la justice, la liberté ; tous nous pouvons concourir à cette construction immense qui s’élève avec tant de peine ; c’est là notre œuvre ; la gloire est aux architectes, le labeur à l’ouvrier ; mais c’est quelque chose que de pouvoir dire, dans le magnifique langage de Burke, qu’on n’a point passé inutile sur la terre, et que soi aussi on a apporté sa pierre au temple de la Liberté.


  1. Lord Mahon, VI, 18.
  2. Si l’Amérique, disait Franklin, voulait économiser durant trois ou quatre ans l’argent qu’elle emploie en modes, en luxe, en nouveautés venues d’Angleterre, elle pourrait acheter le Parlement, le ministère et le reste. Bancroft, Amer. Rev., IV, 175.
  3. Bancroft, Amer. Rev., IV, 178.
  4. Pitkin, I, 307.
  5. Bancroft, Amer. Rev., IV, 200.
  6. Bancroft, Amer. Rev., IV, 203.
  7. Lord Mahon, VI, 24.
  8. Bancroft, Amer. Rev., IV, 203.
  9. Lord Mahon, VI, 26.
  10. Lord Mahon, VI, 27.
  11. Bancroft, Amer. Rev., IV, 220.
  12. Bancroft, Amer. Rev., IV, 221.
  13. Bancroft, Amer. Rev., IV, 221.
  14. Lord Mahon, VI, 32.
  15. Burke, Works, I, 454.
  16. C’est-à-dire l’assemblée d’accord avec le conseil et le gouverneur.
  17. Bancroft, Amer. Rev., IV, 259.
  18. Lord North.
  19. Voyez ce passage traduit dans l’Histoire des Colonies, p. 460 et suiv.
  20. Burke, I, 508.