Histoire philosophique et politique des établissemens et du commerce des Européens dans les deux Indes/Livre XVII/Chapitre 18

XVIII. Fondation de la Nouvelle-Angleterre.

La Nouvelle-Angleterre s’eſt ſignalée, comme l’ancienne, par des fureurs ſanglantes. La fille ſe reſſentit de l’eſprit de vertige qui tourmentoit la mère. Elle dut ſa naiſſance à des tems orageux ; & les convulſions les plus horribles, affligèrent ſon enfance. Découverte au commencement du ſiècle dernier, ſous le nom de Virginie ſeptentrionale, elle ne reçut des Européens qu’en 1608. Cette première peuplade, foible & mal dirigée, ſe perdit dans ſes fondemens. On y vit enſuite arriver par intervalles quelques aventuriers, qui, plantant des cabanes durant l’été, pour faire un commerce d’échange avec les ſauvages, diſparoiſſoient comme ceux-ci le reſte de l’année. Le fanatiſme, qui avoit dépeuplé l’Amérique au Midi, devoit la repeupler au Nord. Les preſbytériens Anglois, que la persécution avoit raſſemblés en Hollande, ce port univerſel de la paix & de la liberté, laſſés de n’être rien dans le monde, après avoir été martyres dans leur patrie, réſolurent d’aller fonder une égliſe pour leur ſecte, dans un nouvel hémiſphère. Ils achetèrent donc, en 1621, les droits de la compagnie Angloiſe de la Virginie ſeptentrionale : car ils n’étoient pas aſſez pauvres pour attendre leur prospérité de leur patience & de leurs vertus.

Le 6 Septembre 1621, ils s’embarquèrent à Plimouth, au nombre de cent vingt personnes, sous les drapeaux de l’enthousiasme, qui, fondé sur l’erreur ou sur la vérité, fait toujours de grandes choses. Elles arrivèrent au commencement d’un hiver qui fut très-rigoureux. Le pays, entièrement couvert de bois, n’offroit aucune ressource à des hommes épuisés par la fatigue du voyage qu’ils venoient de faire. Il en périt près de la moitié de froid, de scorbut & de misère. Le reste se soutint par cette vigueur de caractère, que la persécution religieuse excitoit dans des victimes échappées au glaive spirituel de l’épiscopat. Mais ce courage commençoit à s’affoiblir, lorsque la visite de soixante guerriers sauvages, qui vinrent au printems avec un chef à leur tête, ranima toutes les espérances. La liberté s’applaudit d’avoir rapproché des extrémités du monde, ces deux peuplades si différentes. Elles se lièrent par des promesses solemnelles de service & d’amitié. Les anciens habitans cédèrent aux nouveaux, à perpétuité, toutes les terres voisines de l’établiſſement que ceux-ci venoient de former ſous le nom de Nouvelle-Plimouth. Un ſauvage, qui ſavoit un peu la langue Angloiſe, reſta chez les Européens, pour leur enſeigner la culture du maïs, & la manière de pêcher ſur la côte qu’ils habitoient.

Cette humanité mit les premiers colons en état d’attendre des compagnons, des animaux domeſtiques, des graines, tous les ſecours qui devoient leur venir d’Europe. Ces moyens d’établiſſement, arrivèrent d’abord lentement, puiſqu’au commencement de 1629, on ne comptoit encore que trois cens perſonnes : mais la persécution contre les Puritains, qui augmentoit chaque jour en Angleterre, hâta leur accroiſſement en Amérique.

L’année ſuivante, il en arriva un ſi grand nombre, que ce fut une néceſſité de les diſperſer. Les peuplades qu’ils établirent, formèrent la province de Maſſachuſet. Bientôt ſortirent de ſon ſein les colonies du nouvel Hampſhire, de Connecticut & de Rode-Iſland, qui furent autant d’états séparés, & qui obtinrent chacune une charte particulière de la Cour de Londres.

Le ſang des martyres fut, dans tous les lieux & dans tous les tems, une ſemence de prosélytiſme. On n’avoit vu d’abord paſſer en Amérique, que quelques eccléſiaſtiques, privés de leurs bénéfices pour leurs opinions ; que des ſectaires obſcurs, que les dogmes nouveaux s’attachent en foule parmi le peuple. Les émigrations devinrent peu-à-peu communes dans d’autres claſſes de citoyens. Avec le tems même, les plus grands ſeigneurs que l’ambition, l’humeur ou la conſcience avoient entraînés dans le puritaniſme, imaginèrent de ſe ménager d’avance un aſyle dans ces climats éloignés. Ils y firent bâtir des maiſons, défricher des terres, avec le deſſein de s’y retirer, s’ils échouoient dans le projet d’établir la liberté civile, ſous l’abri de la réformation. Le fanatiſme, qui répandoit l’anarchie dans la métropole, introduiſoit la ſubordination dans la colonie ; ou plutôt des mœurs auſtères tenoient lieu de loi, dans un pays ſauvage.