Histoire philosophique et politique des établissemens et du commerce des Européens dans les deux Indes/Livre XVII/Chapitre 17

XVII. État actuel de la Nouvelle-Écoſſe.

Depuis l’émigration d’un peuple qui devoit ſon bonheur & fes vertus à ſon obfcurité, la Nouvelle-Écoſſe ne fit que languir. L’envie, qui avoit dépeuplé cette terre, ſembla l’avoir flétrie. Du moins la peine de l’injuſtice retomboit-elle ſur les auteurs de l’injuſtice. Les calamités ſi multipliées en Europe, y pouſſèrent à la fin quelques malheureux. On en comptoit vingt-ſix mille en 1769. La plupart étoient diſperfés. On ne les voyoit réunis en quelque nombre, qu’à Hallifax, à Annapolis & à Lunebourg. Cette dernière peuplade, formée par des Allemands, étoit la plus floriſſante. Elle devoit ſes progrès à cet amour du travail, à cette économie bien ordonnée, caractères diſtinctifs d’une nation ſage & belliqueufe, qui, contente de défendre ſon pays, n’en ſort guère que pour aller cultiver des contrées qu’elle n’eſt point jalouſe de conquérir.

Cette année, la colonie expédia quatorze navires & cent quarante-huit bateaux, qui formoient ſept mille trois-cens vingt-quatre tonneaux. Elle reçut vingt-deux navires & cent vingt bateaux, qui formoient ſept mille ſix tonneaux. Elle conſtruiſit trois chaloupes, qui ne paſſoient pas cent dix tonneaux.

Ses exportations pour la Grande-Bretagne & pour les autres parties du globe, ne paſſèrent pas 729 850 liv. 12 ſols 9 den.

Malgré les encouragemens que la métropole n’avoit ceſſé de prodiguer à cet établiſſement, pour accélérer les cultures, il avoit lui-même emprunté 450 000 l. dont il payoit un intérêt de ſix pour cent. Il n’avoit pas alors de papier-monnoie, & n’en a pas depuis imaginé.

Les troubles qui bouleverſent maintenant l’Amérique Septentrionale, ne ſont pas arrivés juſqu’à la Nouvelle-Écoſſe. Elle en a même tiré quelques avantages. Sa population a été portée à quarante mille âmes, par l’arrivée des citoyens circonſpects ou puſillanimes, qui fuyoient la guerre. La néceſſité de pourvoir aux beſoins des armées & des flottes Britanniques, a fait multiplier les ſubſiſtances. Un numéraire immenſe, jeté dans la circulation par les troupes, a tout animé, communiqué aux hommes & aux choſes un mouvement rapide.

Si les autres colonies ſe détachent enfin de leur métropole & que la Nouvelle-Écoſſe lui ſoit conſervée, cette province, qui n’étoit rien, deviendra très-importante. Aucun moyen de proſpérité ne lui manque. Ses pâturages ſont propres à l’éducation des troupeaux, & ſes champs à la multiplication des grains, ſur-tout à la culture du lin & du chanvre. On connoît peu de côtes auſſi favorables que les ſiennes aux grandes pêcheries ; & ſes bateaux peuvent faire aisément ſept voyages au grand banc de Terre-Neuve, lorſque ceux de la Nouvelle-Angleterre n’en font que cinq avec beaucoup de difficulté. Les iſles Angloiſes lui fourniront des débouchés sûrs, faciles & preſque excluſifs.

La crainte d’une invaſion ne tiendra pas les eſprits dans l’inquiétude. Hallifax, qui n’étoit autrefois défendu que par quelques batteries, bien ou mal diſposées, eſt maintenant entouré de bonnes fortifications, qu’on peut augmenter encore.