Histoire philosophique et politique des établissemens et du commerce des Européens dans les deux Indes/Livre XII/Chapitre 3

III. De Cubagua & de ſes perles.

Cette petite iſle, éloignée de quatre lieues ſeulement du continent, fut découverte & méprisée, en 1498, par Colomb. Avertis, dans la ſuite, que ſes rivages renfermoient de grands tréſors, les Eſpagnols s’y portèrent en foule en 1509, & lui donnèrent le nom d’iſle aux perles.

La perle eſt un corps dur, luiſant, plus ou moins blanc, d’une forme communément arrondie, & que l’on trouve dans quelques coquillages, mais plus ordinairement dans celui qui eſt connu ſous le nom de nacre de perles. Cette riche production de la nature eſt le plus ſouvent attachée aux parois internes de la coquille, mais elle eſt plus parfaite dans l’animal même qui l’habite.

Les anciens s’égarèrent ſur l’origine de la perle, ainſi que ſur beaucoup d’autres phénomènes, que nous avons mieux obſervés, mieux connus & plus heureuſement expliqués. Ne les en mépriſons pas davantage & n’en ſoyons pas plus vains. Leurs erreurs montrent quelquefois de la ſagacité, & ne nous ont pas été tout-à-fait inutiles. Elles ont été les premiers pas de la ſcience, qu’il étoit réſervé au tems, aux efforts des hommes de génie, & à des haſards heureux de perfectionner. On a tenté de déchirer le voile de la nature avant que de le lever.

Les Grecs & les Romains diſoient que le coquillage s’élevoit tous les matins ſur la ſurface des eaux, & recevoit la rosée qui s’y changeoit en perle. Cette idée agréable a eu le ſort de tant d’autres fables, lorſque l’eſprit d’obſervation a fait connoître que le coquillage reſtoit toujours au fond de la mer ou attaché aux rochers où il s’étoit formé ; & que la ſaine phyſique a démontré qu’il étoit impoſſible que ce fut autrement.

On a imaginé depuis que les perles devoient, être les œufs ou le frai des animaux renfermés dans la coquille. Cette opinion eſt tombée, lorſqu’on a été pleinement inſtruit que les perles ſe trouvoient dans toutes les parties de l’animal ; lorſqu’après les recherches les plus ſuivies, l’anatomie n’a pu découvrir des organes propres à la reproduction dans cet animal, qui ſemble augmenter d’un individu la claſſe des hermaphrodites.

Enfin, après bien des ſyſtêmes légèrement conçus & ſucceſſivement abandonnés, on a ſoupçonné que les perles étoient la ſuite d’un déſordre dans l’animal ; qu’elles étoient formées par une liqueur extravasée de quelques vaiſſeaux, & retenue entre les membranes ou écoulées le long de l’écaille. Cette conjecture a acquis plus de force aux yeux des bons obſervateurs, à meſure qu’on s’eſt aſſuré que toutes les perles ne renfermoient pas cette richeſſe, que celles qui la poſſédoient avoient un plus mauvais goût que les autres, & que les côtes où ſe faiſoit cette riche pêche étoient généralement malſaines.

On mépriſe par-tout les perles noires, celles qui tirent ſur le noir, ou qui ont la couleur de plomb. En Arabie & dans quelques autres contrées de l’Orient, on fait cas des jaunes. Mais les blanches ſont préférées par l’Europe & par la plus grande partie du globe. On regrette ſeulement qu’elles commencent à jaunir après un demi-ſiècle.

Quoiqu’on eut découvert des perles dans les mers des Indes Orientales & dans celles de l’Amérique, leur prix ſe ſoutint aſſez, pour qu’on cherchât à les contrefaire. L’imitation fut d’abord groſſière. C’étoit du verre, couvert de mercure. Les eſſais ſe ſont multipliés ; & avec le tems on eſt parvenu à copier aſſez bien la nature, pour qu’il fût facile de s’y méprendre. Les perles artificielles, faites aujourd’hui avec de la cire & de la colle de poiſſon, ont ſur les autres quelques avantages. Elles ſont à bon marché ; & on leur donne le volume, la forme qui conviennent le mieux aux femmes qui veulent les faire ſervir à leur parure.

Cette invention étoit ignorée, lorſque les Eſpagnols s’établirent à Cubagua. Ils arrivèrent avec quelques ſauvages des Lucayes qui ne s’étoient pas trouvés propres au travail des mines ; mais qui avoient une grande facilité à demeurer long-tems ſous l’eau. Ce talent valut à leurs oppreſſeurs une grande quantité de perles. On ne les gâta pas, comme avoient fait juſqu’alors les Américains, qui ne connoiſſoient que le moyen du feu, pour ouvrir la coquille qui les renfermoit. Elles furent conſervées dans toute leur beauté, & trouvèrent un débit avantageux. Mais ce fut le ſuccès d’un moment. Le banc de perles fut bientôt épuisé ; & la colonie fut tranſférée, en 1524, à la Marguerite, où ſe trouvoient les richeſſes qu’on regrettoit, & d’où elles diſparurent preſque auſſi vite.