Histoire et romanDufey, Libraire (p. 329-369).


NOTES.


Othon était le confident des secrets de Néron et le compagnon de ses débauches.

Il contracta un mariage simulé avec Poppée, maîtresse de cet empereur, qu’on avait enlevée à son mari ; et, non content de s’en faire aimer, il devint jaloux de Néron même.

Son prétendu mariage fut cassé, et on l’exila en Lusitanie avec le titre de questeur. Il gouverna cette province avec modération et désintéressement.

La révolte de Galba, gouverneur de l’Espagne tarragonaise, lui offrit l’occasion de se venger. Il fut le premier à se déclarer pour lui, et conçut dès lors l’espérance de régner.

Il croyait que Galba l’adopterait ; mais Galba ayant fait choix de Pison, Othon, pressé par l’ambition, et plus encore par ses dettes, résolut d’employer la violence.

Suétone.

Galba, proclamé empereur en Espagne, se mit en marche avec l’habit guerrier, un poignard pendu au cou, et ne reprit la toge qu’après la mort de ceux qui lui disputaient l’empire, c’est-à-dire de Nymphidius, préfet du prétoire ; de Fonteius Capiton, lieutenant en Germanie, et de Claudius Macer, commandant en Afrique.

Sa réputation d’homme sévère jusqu’à la cruauté le précédait à Rome. Il confirma cette opinion. Voulant faire rentrer dans leur premier état les troupes maritimes, à qui Néron avait donné le rang de soldats légionnaires, il envoya de la cavalerie contre elles, et les décima, parce qu’elles refusaient d’obéir.

Trois hommes logés dans son palais, et qui ne le perdaient pas de vue, le gouvernaient : c’étaient Vinius, son lieutenant en Espagne, homme d’une cupidité effrénée ; Lacon, d’assesseur devenu préfet du prétoire, insupportable par son arrogance, et l’affranchi Icélus, déjà honoré de l’anneau d’or et qui briguait le titre de chevalier.

Idem.

Othon,


D’APRÈS TACITE.


Othon avait voulu l’empire ; il l’avait voulu tout de suite, non comme un pouvoir, mais comme un plaisir. Trop voluptueux pour régner, trop faible pour vivre, il se trouva assez fort pour mourir.
Chateaubruand.


Othon, sans espérance dans un empire bien réglé, ne rêvait que le trouble. Plus d’un aiguillon le pressait à la fois. Un faste onéreux même pour un empereur, une pauvreté à peine tolérable pour un simple citoyen, la haine contre Galba, l’envie contre Pison ; il allait jusqu’à se forger des craintes pour avoir droit d’étendre ses désirs. Déjà ne fut-il pas à charge à Néron ? Aurait-il de nouveau pour expectative la Lusitanie et l’honneur d’un second exil ? À celui qui règne le successeur que l’on désigne est toujours suspect et même odieux. Il en souffrit près d’un vieux prince, il en souffrira davantage près d’un jeune homme farouche par instinct, et qu’une longue proscription a rendu barbare. D’ailleurs, on peut l’assassiner ; il faut donc qu’il ose, qu’il agisse pendant que l’autorité de Galba est chancelante, que celle de Pison n’est pas encore affermie. Quand le pouvoir change de mains, l’occasion est bonne pour les coups de hardiesse. Quel besoin d’hésiter alors que l’inaction est plus dangereuse que l’audace ? La mort, égale pour tous d’après la nature, n’est différente aux yeux de la postérité que par la gloire ou par l’oubli. Puisque, innocent ou coupable, même sort le menace, il est plus d’un homme de cœur, s’il périt, de l’avoir mérité.


Les plus intimes de ses affranchis et de ses esclaves, d’une corruption qui surpassait tout ce qu’on voit dans les maisons privées, rappelant la cour de Néron, ses magnificences, ses adultères, ses mariages infâmes, et toutes ces débauches du rang suprême dont ils le savaient avide, les étalaient à ses yeux comme sa conquête s’il osait, et s’il restait oisif, les lui montraient avec reproche dans les mains d’un autre. Les astrologues l’excitaient aussi ; ils annonçaient, en consultant les astres, des révolutions nouvelles, et pour Othon une année pleine de prodiges. Race d’hommes funeste aux puissans qu’ils trahissent, aux ambitieux qu’ils trompent, et qui, toujours proscrite de Rome, saura toujours s’y maintenir. Plusieurs de ces astrologues avaient été pour Poppée et ses intrigues le plus détestable instrument de son mariage avec un empereur. L’un d’eux, Ptolémée, ayant accompagné Othon en Espagne, lui prédit qu’il survivrait à Néron. Ensuite, lorsque par l’événement il eut gagné sa confiance, s’appuyant sur les conjectures et les calculs de ceux qui pensaient à la vieillesse de Galba et à la jeunesse d’Othon, il lui avait persuadé qu’il arriverait à l’empire ; mais dans l’esprit d’Othon ces prophéties passaient pour le fruit d’une science profonde, et il les recevait comme un avertissement du destin ; tant l’amour du merveilleux rend les hommes crédules ! Ptolémée d’ailleurs le pressait de ses conseils et de sa présence ; il était l’instigateur d’un crime toujours facile quand on en caresse déjà le désir.


La pensée de ce crime fut-elle soudaine ? On l’ignore. Depuis long-temps, soit qu’il espérât succéder à l’empire, soit qu’il préparât son usurpation, il briguait la faveur de l’armée. Sur la route, au milieu des marches, dans les campemens, il appelait les plus vieux soldats par leur nom, et, en souvenir de Néron qu’ils escortèrent tant de fois ensemble, il les traitait de camarades. Empressé à reconnaître les uns, à s’informer des autres, à les aider tous de son crédit ou de son or : laissant échapper contre Galba des plaintes, des paroles ambiguës, il employait tout ce qui peut émouvoir la multitude. La fatigue des voyages, la disette des vivres, la dureté du commandement, il avait l’art de tout envenimer. Jadis des flottes avaient coutume de les porter sur les lacs de la Campanie ou vers les cités de la Grèce ; maintenant c’est à travers les Alpes, les Pyrénées, et dans des routes interminables qu’il leur faut avec effort se traîner sous leurs armes.


Les esprits étant déjà échauffés, Mevius Pudens, l’un des familiers de Tigellinus, vint accroître l’incendie ; il gagna tout soldat d’un caractère mobile, tous ceux que pressait le besoin d’argent, et ceux enfin toujours prêts à se jeter dans les entreprises téméraires ; il en vint au point, toutes les fois que Galba soupait chez Othon, de distribuer à la cohorte qui était de garde cent sesterces qui représentaient à chaque soldat sa part du festin[1]. Ces largesses, presque publiques, Othon les soutenait secrètement par des dons particuliers ; corrupteur si ardent qu’un simple spéculator, Coccéius Proculus, étant en querelle avec un voisin pour les limites d’un champ, Othon, de ses propres deniers, acheta le champ tout entier du voisin et en fit présent à Proculus. Et cela grâce à la stupidité d’un préfet à qui tout échappait, les choses connues aussi bien que les choses cachées.


Ce fut alors qu’Othon mit à la tête du crime qu’il méditait Onomastus, l’un de ses affranchis, qui lui amena Barbius Proculus et Veturius, l’un tesseraire, l’autre option des gardes. Lorsque, par divers entretiens, il les eut reconnus pleins de zèle et d’audace, il les combla de présens, de promesses, et leur compta de l’or pour acheter des complices. Deux soldats entreprirent de donner l’empire, et le donnèrent. Un petit nombre fut initié aux mystères du complot. Quant au reste, on employa mille artifices pour les agiter : les chefs, en les alarmant sur les bienfaits de Nymphidius qui les rendaient suspects ; les soldats, en exploitant leur dépit et leurs regrets d’être toujours frustrés des gratifications militaires tant de fois promises. Quelques uns s’enflammaient au souvenir de Néron, qui leur rappelait l’ancienne licence ; mais tous étaient travaillés par la crainte de voir la garde prétorienne frappée dans ses privilèges.


La contagion gagna les légions et les auxiliaires, émus déjà par la nouvelle que l’armée de Germanie chancelait dans sa fidélité. Le complot était si bien ourdi, si bien favorisé par ceux même qui n’y trempaient pas, que, la veille des ides[2], en revenant de souper, Othon aurait été enlevé sans la crainte des méprises nocturnes, sans les postes militaires épars dans toute la ville, et sans la difficulté de s’entendre à travers les vapeurs du vin. Ce ne fut point l’amour de la patrie qu’ils s’apprêtaient à souiller du meurtre de son chef qui les retint, mais la peur que, dans les ténèbres, quelque autre ne fût pris par les soldats de l’armée de Pannonie ou de Germanie pour Othon que la plupart ne connaissaient pas. La conspiration sortait pour ainsi dire par tous les pores de la république. Les indices ne manquaient pas, mais les conjurés les étouffèrent. Quelques bruits arrivèrent jusqu’à l’empereur, mais le préfet Lacon les discrédita. Mal informé de l’esprit du soldat, ennemi de tout bon conseil qu’il n’avait pas donné, il opposait aux lumières d’autrui une invincible opiniâtreté.


Le 18 des calendes de février[3], Galba, sacrifiant devant le temple d’Apollon, l’aruspice Umbricius, au triste aspect des entrailles, lui dénonça des embûches menaçantes et un ennemi à ses côtés. Othon était là. Frappé de ces paroles, il interpréta comme favorable à ses desseins ce présage funeste pour Galba. L’instant d’après, l’affranchi Onomastus vint lui annoncer que l’architecte et les entrepreneurs l’attendaient : c’était le signal convenu lorsque les conjurés seraient prêts et les soldats réunis. Interrogé sur son départ, Othon prétexta l’achat d’une maison dont la vétusté lui était suspecte et qu’il allait auparavant faire examiner. Alors, appuyé sur son affranchi, il se rend au Vélabre par le palais de Tibère, et ensuite vers le Milliaire d’or en face du temple de Saturne. Là, vingt-trois prétoriens le saluent empereur, et, tandis qu’effrayé de leur petit nombre, il hésite, les soldats, plus résolus, le jettent tout pâle dans une litière et l’enlèvent en agitant leurs glaives. À peu près autant de leurs camarades se joignent à eux sur la route ; les uns complices, la plupart étonnés et curieux : ceux-ci avec des cris de joie, ceux-là en silence. Ils attendaient conseil de l’événement.


Le tribun Martialis était de garde au camp. Soit que ce crime énorme et soudain l’eût frappé de stupeur, soit qu’il jugeât le mal plus profond et qu’il craignît de se perdre s’il résistait, sa conduite laissa croire qu’il était complice. Le reste des tribuns et des centurions préférèrent les chances certaines de la trahison aux chances douteuses de la fidélité. Telle fut enfin la disposition des esprits dans cette abominable entreprise, que, peu l’ayant conçue, quelques uns l’ayant approuvée, tous la souffrirent.


Galba ignorait tout. Attaché au sacrifice, il fatiguait de ses prières les dieux d’un empire qui déjà n’était plus à lui. Tout à coup le bruit se répand qu’on entraîne au camp un sénateur. On ne sait lequel ; bientôt son nom circule : c’est Othon qu’on enlève. En même temps accourent de tous les côtés de la ville ceux qui l’ont rencontré. Les uns augmentent l’effroi, les autres le diminuent, flattant encore jusque dans un pareil moment. On tint conseil. L’avis fut de faire sonder l’esprit de la cohorte qui était de garde au palais, mais par un autre que Galba dont on réservait toute l’autorité pour une occasion plus décisive. Les soldats ayant été rassemblés devant les degrés du palais, Pison leur parla en ces termes :


« Compagnons, six jours s’achèvent depuis qu’ignorant s’il fallait en désirer ou craindre le titre, je fus nommé César. Ce choix a mis dans vos mains le sort de ma maison et les destins de la république. Non que je redoute pour moi-même quelque sinistre événement ! J’ai connu l’adversité, et j’apprends qu’une haute fortune n’a pas de moindres dangers ; mais je plains mon père, le sénat et l’empire lui-même s’il nous faut périr aujourd’hui, ou, ce qui n’est pas moins douloureux pour des gens de bien, s’il nous faut donner la mort. La dernière révolution avait eu cet avantage que Rome était restée pure de sang, et que le pouvoir avait été transféré sans trouble. Mon adoption semblait avoir pourvu à ce que même, après Galba, la guerre n’eût aucun prétexte.

« Je ne vous vanterai ni ma naissance ni mes mœurs. Qu’est-il besoin d’étaler des vertus dans un parallèle avec Othon ? Ses vices, dont il fait sa seule gloire, ont déjà ruiné la république alors qu’il n’était que l’ami d’un empereur. Est-ce par son maintien et sa démarche ou par sa parure efféminée qu’il mériterait l’empire ? Ils se trompent ceux à qui son faste impose par une apparence de libéralité. Un tel homme saura dissiper ; donner, il ne le saura jamais. Maintenant il roule dans son esprit les débauches, les festins, un vil entourage de courtisanes ; ce sont là, à ses yeux, les privilèges du rang suprême. Les joies et la volupté seraient pour lui seul, la rougeur et la honte pour tous. Qui prend le pouvoir par un crime, régnera sans vertus. Galba, lui, fut proclamé par les suffrages du genre humain, et Galba m’a proclamé d’après vos suffrages.

« Compagnons, si la république, le sénat et le peuple ne sont plus qu’un vain nom, il est de votre gloire que des misérables ne fassent pas vos empereurs. Plus d’une fois la révolte des légions contre leurs chefs a retenti ; mais jusqu’à ce jour votre foi et votre renommée sont demeurées sans tache. Sous Néron même, l’abandon vint de lui et non de vous. Une trentaine au plus de transfuges et de déserteurs, à qui on ne laisserait même pas choisir leurs centurions ou leurs tribuns, disposeront-ils de l’empire ? Autoriserez-vous cet exemple, et votre inaction va-t-elle vous associer à leur attentat ? Eh bien ! l’anarchie passera dans les provinces, et si nous sommes victimes du forfait, vous le serez, vous, de la guerre. Du reste, on ne reçoit pas davantage pour égorger son prince que pour faire son devoir, et nous garantissons à la fidélité les largesses promises à la trahison. »


Les spéculators ayant seuls disparu, le reste de la cohorte écoute le discours en silence ; et, comme il arrive d’ordinaire dans les séditions, ce fut sans avoir encore aucun dessein qu’elle prit ses enseignes, plutôt que par feinte et par trahison, ainsi qu’on l’a cru depuis. Marius Celsus fut envoyé à un corps d’élite de l’armée d’Illyrie, campé sous le portique de Vipsanius ; ordre aux primipilaires Amulius Sérénus et Domitius Sabinus d’amener de l’atrium de la liberté les soldats de Germanie. On se défiait des soldats de la marine, aigris par le supplice de leurs camarades, qu’à sa première entrée dans Rome Galba avait fait sur-le-champ mettre à mort. On dirige vers le camp même des prétoriens les tribuns Cétrius Sévérus, Subrius Dexter, et Pompéius Longinus, pour voir si la sédition qui naissait à peine ne pourrait pas, avant de grandir, céder à de sages conseils. Les soldats, qui se bornent à accueillir Sévérus et Dexter par des menaces, saisissent Longinus et le désarment, parce que ce n’est pas à son rang de service, mais à l’amitié de Galba qu’il doit son grade, et que sa fidélité au prince le rendait d’autant plus suspect à ceux qui le trahissaient. La légion de la marine n’hésita pas à se joindre aux prétoriens. Le corps d’élite de l’armée d’Illyrie repousse Celsus à coups de javelots. Les soldats de Germanie balancèrent long-temps. Rappelés d’Alexandrie, où Néron les avait envoyés pour l’attendre, fatigués par cette longue navigation, ils étaient encore sans forces et languissans ; mais les soins paternels de Galba pour les rétablir avaient adouci leur esprit.


Déjà le peuple entier, mêlé aux esclaves, remplissait le palais, et tous ensemble, avec des cris confus, demandaient la mort d’Othon et le supplice des conjurés, comme au cirque, comme au théâtre, ils eussent demandé des jeux. Ce n’était chez eux ni raison ni préférence, car ce jour-là même ils mirent une égale fureur à exiger tout le contraire ; mais ils suivaient le stupide usage de flatter le prince quel qu’il soit par des acclamations effrénées et de vains empressemens. Cependant Galba flottait entre deux avis. Titius Vinius pensait qu’il fallait rester dans le palais, armer les esclaves, fortifier les avenues, et ne pas affronter cette première ardeur de colère. On donnerait par-là aux factieux le temps de se repentir, aux hommes dévoués celui de se concerter. Le crime a besoin d’aller vite, la lenteur sert une cause juste. Enfin, si les circonstances veulent qu’on se porte en avant, on en reste le maître. On ne le serait plus de revenir sur ses pas, s’il le fallait.

Selon les autres, on devait se hâter avant de laisser s’étendre cette conjuration encore si faible d’une poignée de révoltés. Othon même en tremblerait, lui, qui s’étant échappé furtivement, lui, qui porté vers des soldats qui ne le connaissent pas, profite du temps perdu dans ces lâches délais, pour s’essayer au rôle d’empereur. Veut-on attendre que, maître paisible du camp, il envahisse le Forum, et sous les yeux de Galba, il monte au Capitole, pendant que ce grand capitaine se retrancherait avec ses braves amis derrière les portes d’un palais sans doute pour y soutenir un siège ! Ô le merveilleux secours que celui des esclaves, si l’ardeur d’une immense multitude et le premier élan de son indignation, cet élan si puissant vient à languir ! Le parti le plus lâche est encore le moins sûr. Au surplus, dût-on périr, il faut aller au-devant du danger. Othon en sera plus odieux, Galba et ses amis en auront plus de gloire. Vinius, qui repoussait cet avis, est menacé par Lacon qu’excitait Icélus, et cet acharnement de haines privées tournait à la ruine publique.


Galba n’hésite plus, il se rend au parti le plus digne. Toutefois Pison le précèdera vers le camp. On se fiait au grand nom de ce jeune homme, à sa popularité toute nouvelle, à son état d’hostilité contre Vinius, soit que cette hostilité existât réellement, soit qu’elle fût un rêve de ceux qui la désiraient, car dans le doute, c’est toujours la haine que l’on soupçonne. Pison à peine sorti, une sourde et vague rumeur se répand qu’Othon vient d’être massacré. Bientôt, comme il arrive dans toutes les grandes impostures, plusieurs affirment qu’ils y étaient, qu’ils l’ont vu, et comme la joie accueille tout ce qui la flatte, on y croit. On a pensé que ce bruit, inventé et accrédité par les Othoniens déjà mêlés à la foule, avait eu pour objet d’attirer Galba hors du palais en lui donnant le faux appât d’une heureuse nouvelle.


Alors, ce ne sont pas seulement les citoyens et la multitude imbécile qui battent des mains et s’abandonnent à des transports immodérés, mais les chevaliers, les sénateurs eux-mêmes, passant de la crainte à l’imprudence, brisent les portes, se précipitent en aveugles dans le palais, et viennent effrontément se plaindre à Galba qu’on leur ait ravi l’honneur de le venger. Les plus lâches, ceux même, comme l’apprit l’événement, qui dans le péril devaient oser le moins, élèvent le plus la voix et parlent avec le plus d’arrogance. Tous attestent ce que personne ne sait. Enfin, dans l’impuissance de connaître la vérité, séduit lui-même par un mensonge qui était dans toutes les bouches, Galba revêt sa cuirasse ; mais n’étant ni de force ni d’âge à lutter contre la foule qui le presse, il monte dans une litière. Il n’avait pas franchi le seuil du palais qu’un speculator, Julius Atticus, arrive et s’écrie, en agitant son glaive ensanglanté, que c’est par lui qu’Othon a été tué. « Qui te l’a commandé, lui répondit Galba ? » tant il avait de présence d’esprit et de courage à réprimer la licence militaire, tout à la fois inébranlable aux menaces et inaccessible aux flatteries.


L’esprit du camp n’était pas douteux. Une ardeur si vive l’agitait, que, non contens de presser Othon de leur corps et de leurs armes, les soldats le placent sur le socle où peu auparavant était la statue d’or de Galba, et l’entourent de leurs enseignes et de leurs drapeaux ; ni centurions, ni tribuns, ne pouvaient approcher. Les soldats ordonnaient qu’on se défiât de leurs chefs ; tout retentissait de cris tumultueux et d’exhortations mutuelles, mais ce n’était point, comme chez le peuple, de ces cris confus d’une impuissante adulation ; dès qu’ils apercevaient quelques uns de leurs camarades qui accouraient de toutes parts, ils leur pressaient les mains, les embrassaient, les entraînaient vers Othon, leur dictaient le serment. Tantôt ils recommandaient l’empereur aux soldats et tantôt les soldats à l’empereur. Othon répondait à tant de zèle, il leur tendait les mains ; il se prosternait devant la multitude, lui jetait des baisers, et faisait, pour devenir maître, toutes les bassesses d’un esclave.


Lorsqu’il eut reçu le serment de toute la légion de la marine, ayant enfin confiance dans sa force, et voulant, après avoir excité chaque soldat, les enflammer en masse, il leur parla de la sorte à la tête du camp :

« Compagnons, je ne puis dire avec quel titre je me présente à vous. Je ne saurais me regarder comme simple citoyen, puisque vous m’avez fait empereur, ni comme empereur, un autre ayant l’empire. J’ignore même quel nom vous donner, aussi long-temps qu’on doutera si vous avez parmi vous le chef ou l’ennemi du peuple romain. Entendez-vous comme on demande à la fois mon châtiment et votre supplice, tant il est vrai que c’est forcément ensemble qu’il faut périr ou nous sauver. Ce Galba si clément nous a déjà promis la mort peut-être, lui qui, sans qu’une seule voix le lui demandât, fit massacrer tant de milliers de soldats tous innocens. L’horreur pénètre mon âme chaque fois que je me rappelle sa funeste entrée dans Rome, et cette victoire, la seule qu’il ait jamais remportée, alors qu’il donna l’ordre qu’à la face même du Capitole fussent décimés des supplians qui s’étaient livrés à sa foi. Arrivé dans nos murs sous de pareils auspices, de quelle gloire a-t-il enrichi l’empire, si ce n’est du meurtre de Sabinus et de Marcellus en Espagne, de Bétuus Chilon dans la Gaule, de Fontéius Capiton en Germanie, de Macer en Afrique, de Cingonius sur la voie publique, de Turpilianus dans la ville, et de Nymphidius au camp ? Quelles sont donc les provinces, quels sont les camps, qu’il n’ait souillés et ensanglantés, ou, comme il le dit lui-même, qu’il n’ait lavés et purifiés, car ce qui pour tout autre serait crime, pour lui c’est une rigueur salutaire. Dénaturant le sens des mots, il appelle la barbarie sévérité, l’avarice économie, et vos supplices et vos humiliations une sage discipline. Sept mois sont à peine passés depuis la mort de Néron, et déjà Icélus a dérobé plus d’or que les Polyclètes, les Vatinius et les Elius n’en amassèrent jamais. Vinius lui-même, s’il eût régné, aurait montré moins de cupidité et commis moins de brigandages, au lieu qu’il nous a opprimés comme si nous étions ses sujets et méprisés comme ceux d’un autre. Ses seules richesses suffiraient aux récompenses militaires que l’on ne vous donne jamais, que l’on vous reproche toujours ; et pour que toute espérance nous fût ravie jusque dans son successeur, voilà que Galba rappelle de l’exil celui qu’il juge, à son humeur sombre et à son avarice sordide, lui ressembler davantage. Vous avez vu, compagnons, dans une tempête mémorable, les dieux même se prononcer contre cette sinistre adoption. Une même indignation anime le peuple et le sénat ; ils ont les yeux sur votre vaillance ; en elle les grands desseins trouvent leur force ; sans elle sont impuissans les desseins les plus généreux. Je ne vous appelle ni au péril ni à la guerre. Tous les soldats armés sont à nous ; il ne reste à Galba qu’une seule cohorte en toge qui sert moins encore à le défendre qu’à le tenir captif. Dès qu’elle vous apercevra, dès qu’elle aura reçu de moi le signal, elle ne combattra que de zèle à mériter ma reconnaissance. Au surplus, il n’est pas question d’hésiter dans une entreprise qui sera louable seulement quand nous l’aurons achevée. »


Il fit ouvrir ensuite l’arsenal. Aussitôt on enlève les armes sans ordre, sans discipline, sans que le prétorien ou le légionnaire choisissent les enseignes qui les distinguent. En prenant au hasard des casques, des boucliers, ils se confondent avec les auxiliaires. Ni centurion, ni tribun ne les dirigent. Chacun est pour soi son conseil et son guide. Mais l’aiguillon le plus puissant pour ces pervers, c’est la consternation des gens de bien.


Déjà Pison, effrayé du frémissement de la sédition toujours croissante, et des clameurs qui retentissaient jusque dans la ville, avait rejoint Galba qui, sorti pendant ce temps, s’approchait du Forum. Marius Celsus avait apporté de sinistres nouvelles. Les uns étaient d’avis de retourner au palais, les autres de gagner le Capitole ; la plupart d’occuper les rostres. Plusieurs, pour toute opinion, contrariaient celle des autres. Enfin, comme il arrive toujours dans les circonstances désespérées, le parti qu’il n’était plus temps de suivre paraissait le meilleur. On dit que Lacon, à l’insu de Galba, projeta de tuer Vinius, soit qu’il espérât par cette mort apaiser la fureur du soldat, soit qu’il le crût complice d’Othon, peut-être aussi pour assouvir sa propre haine. Les conjonctures et le lieu le retinrent. Le carnage une fois commencé, il eût été difficile de l’arrêter. D’ailleurs, les nouvelles alarmantes des courriers et la dispersion du cortége troublèrent tous les conseils. La tiédeur éteignit le zèle de ceux-là même qui d’abord avaient fait un si grand étalage de bravoure et de fidélité.


Galba était poussé çà et là par les flots de la multitude qui le pressait. Du haut des basiliques et des temples inondés par la foule, on contemplait ce lugubre spectacle. Pas un cri ne s’échappe du milieu des citoyens et du peuple, mais la stupeur est sur tous les visages. Chacun prête l’oreille ; ce n’est ni du tumulte ni du calme : c’était le silence des grandes terreurs, des grandes colères. On vint dire pourtant à Othon que le peuple prenait les armes contre lui. Aussitôt il ordonne de se hâter afin de maîtriser le danger. Alors des soldats romains, comme s’il se fût agi de précipiter Vologès ou Pacorus du trône antique des Arsacides, et non d’aller égorger leur empereur, vieillard faible et désarmé, dispersent le peuple, foulent au pied le sénat, menacent de leurs glaives, hâtent la rapidité de leurs chevaux, et s’élancent dans le Forum. Ni l’aspect du Capitole, ni la sainteté des temples qui s’élèvent autour d’eux, ni le souvenir des anciens empereurs, ni la crainte des empereurs à venir, rien ne les effraie dans la consommation d’un crime dont le vengeur est toujours celui-là même qui en profite.


À peine eut-on vu de près la marche de cette troupe armée, que le porte-étendard de la cohorte qui accompagnait Galba, c’était, dit-on, Vergilio Attilius, arrache l’image de son empereur, et la jette contre terre ; à ce signal tous les soldats se déclarent hautement pour Othon. La fuite du peuple laisse le Forum désert ; le fer menace quiconque hésite encore. Dans leur fuite, ceux qui portaient Galba le précipitent de sa litière, près du lac Curtius, et le font rouler sur la poussière. Ses dernières paroles ont été diversement rapportées, selon qu’elles ont passé par la bouche de ses ennemis ou de ses partisans. D’après les uns, il demanda d’une voix suppliante quel mal il avait fait, et il implora quelques jours de grâce pour payer le don militaire. D’après les autres, il tendit son cou aux meurtriers en les excitant à frapper s’ils croyaient faire par-là le bien de la république. Peu importait à ceux-ci ce qu’il pouvait dire. On ne sait pas au juste qui l’a tué. Les uns nomment Térentius, un évocat ; d’autres Lécanius. Le bruit le plus répandu désigne Camurius, soldat de la 15e légion, qui tira son épée, et la lui plongea dans la gorge. Tous vinrent après déchirer cruellement ses jambes et ses bras, car la cuirasse défendait la poitrine. Par une brutale férocité, il reçut la plupart des blessures lorsque déjà la tête était séparée du tronc.


Ils se précipitèrent ensuite sur Titius Vinius, dont la mort laisse également quelques doutes. On ne sait si la peur étouffa sa voix, ou s’il s’écria qu’Othon ne pouvait avoir ordonné de le tuer. Est-ce la crainte qui lui dicta ce mensonge, ou bien était-ce l’aveu de sa complicité ? Sa vie et sa triste réputation portent plutôt à croire qu’il était dans le secret d’un crime dont il fut l’une des causes. Il tomba devant le temple de Jules César, frappé d’un premier coup aux jarrets, ensuite Jurius Garnis, un légionnaire, le perça de part en part.


Notre siècle vit ce jour-là une vertu bien mémorable dans Sempronius Densus. Centurion d’une cohorte prétorienne, chargé par Galba d’accompagner Pison, il se jette, armé d’un poignard, au-devant des soldats, leur reproche leur trahison, et tantôt du geste et tantôt de la voix, appelant sur lui seul leur furie, il donna à Pison, quoique blessé, le temps de fuir. Pison se réfugia dans le temple de Vesta, où l’accueillit la pitié d’un esclave qui le cacha sous son toit hospitalier. C’était moins la sainteté du lieu et des autels que l’obscurité de cette retraite qui retardait sa mort inévitable. Bientôt arrivèrent, par l’ordre d’Othon, avide avant tout du sang de cette victime, Sulpicius Florus, de la cohorte britannique, récemment fait citoyen par Galba, et Statius Murcus, spéculator : ils arrachèrent Pison du temple et le massacrèrent sur les degrés.


Nul autre meurtre ne causa un aussi vif plaisir à Othon. Sur aucune autre tête il ne promena si long-temps, dit-on, ses insatiables regards ; soit que son esprit, libre enfin de toutes craintes, commençât à s’ouvrir à la joie, soit que l’idée de la majesté dans Galba et de son amitié pour Vinius eussent troublé d’un sentiment douloureux son cœur tout impitoyable qu’il était, et qu’il crût plus légitime et plus permis de se réjouir de la mort de Pison, son rival et son ennemi. Les têtes attachées à des piques furent portées en triomphe au milieu des enseignes des cohortes près de l’aigle de la légion. C’était à qui ferait parade de ses mains sanglantes, à qui se vanterait d’avoir tué ou vu massacrer ; que cela fût ou non, tous s’en glorifiaient comme de grands et mémorables exploits. Vitellius trouva par la suite plus de cent vingt placets de gens qui réclamaient un salaire pour quelque notable coopération aux crimes de cette journée. Il les fit tous chercher et mettre à mort, non par honneur pour Galba, mais par une politique de tradition chez tous les princes. Ils se protègent dans le présent par l’image de la vengeance déjà prête dans l’avenir.


On eût cru voir alors un autre sénat, un autre peuple. Tous de se précipiter dans le camp, de vouloir dépasser les plus proches, de rivaliser avec les plus avancés, de vociférer contre Galba, d’applaudir au choix de l’armée, de baiser les mains d’Othon, et plus sont faux les témoignages de ce zèle, et plus ils les prodiguent. Othon de son côté ne rebutait personne, comprimant des yeux et de la voix l’exaspération du soldat avide et menaçant. Ils demandaient à grands cris le supplice de Marius Celsus, consul désigné et resté jusqu’au dernier moment fidèle ami de Galba. Ses talens et sa vertu sont comme autant de forfaits qui les irritent. Il était visible qu’ils voulaient un meurtre pour signal du pillage et de mort contre les gens de bien. Mais Othon, sans autorité pour empêcher le crime, en avait assez pour le commander. Il feint la colère, fait enchaîner Celsus, et par la promesse qu’il lui réservait un châtiment plus rigoureux, il le dérobe à une perte certaine. Tout se fit ensuite au gré des soldats.


Ils choisirent eux-mêmes les préfets du prétoire. À Plotius Firmus, autrefois simple soldat, maintenant chef des gardes de la nuit, et qui, du vivant même de Galba, s’était déjà rangé dans le parti d’Othon, ils associèrent Licinius Proculus, que son étroite familiarité avec Othon fit soupçonner d’avoir favorisé son entreprise. Favius Sabinus eut la préfecture de Rome : c’était faire revivre le choix de Néron sous lequel il avait rempli cette charge ; quelques uns se plaisaient à voir en lui Vespasien son frère. On demanda vivement ensuite la remise du droit qu’il était d’usage de payer aux centurions pour les congés, tribut annuel auquel le soldat était assujetti. Le quart de chaque compagnie pouvait se disperser ou bien errer dans le camp même, pourvu qu’on payât la taxe aux centurions. Personne ne songeait à tout ce qu’il y avait d’injuste et d’illégal dans ce mode d’impôt et dans ce genre de trafic. C’était ensuite à l’aide de vols, de brigandages et de travaux mercenaires que le soldat acquittait le prix de ses loisirs. Quand l’un d’eux possédait quelque peu d’or, on l’accablait de rigueur et de travail jusqu’à ce qu’il achetât son congé. Lorsqu’épuisé par cette dépense il s’était en outre amolli dans le repos, il rentrait pauvre et lâche dans son corps, de riche et brave qu’il était ; et c’est ainsi que tous, chacun à leur tour, corrompus par la même pauvreté et la même licence, se ruaient à travers la sédition, les discordes, et pour dernier excès dans les guerres civiles. Othon, pour que cette largesse, que le soldat se concédait, ne lui aliénât pas l’esprit des centurions, promit de faire acquitter tous les ans par son trésor particulier le prix des congés. Mesure utile et que depuis les princes sages perpétuèrent pour maintenir la discipline. Le préfet Lacon, que l’on feignit d’exiler dans une île, fut tué par un évocat qu’Othon avait envoyé d’avance, et qui le frappa de son épée. Icélus, n’étant qu’un affranchi, fut publiquement mis à mort.


La journée s’était passée dans le crime ; pour dernière misère, on la finit dans la joie. Le préteur de la ville convoque le sénat. Les autres magistrats rivalisent de basse flatterie. Les sénateurs accourent. On décerne à Othon la puissance tribunitienne, le nom d’Auguste, et tous les honneurs du principat ; c’est à qui fera oublier ses invectives et ses outrages confusément jetés à Othon, et dont personne du reste ne sut s’il en avait gardé le ressentiment, la brièveté de son règne ayant laissé dans le doute s’il avait dédaigné ou différé sa vengeance. À travers le Forum encore sanglant, au milieu des cadavres amoncelés, Othon, porté au Capitole et de là au palais, permit que l’on rendît les corps à la sépulture et aux honneurs du bûcher. Quant à Pison, ce furent Vérania sa femme et Scribonianus son frère ; quant à Vinius, c’est Crispina sa fille qui les ensevelirent, après avoir cherché et racheté leurs têtes que les meurtriers avaient gardées pour en faire trafic.


Pison achevait sa trente-unième année d’une vie plus honorable que fortunée. Ses frères Magnus et Crassus avaient péri victimes l’un de Claude, l’autre de Néron. Lui-même long-temps exilé, quatre jours César, il ne sembla, dans cette adoption précipitée, l’emporter sur son aîné que pour être égorgé le premier. Vinius vécut cinquante-sept ans avec des mœurs diverses. Son père était d’une famille prétorienne, son aïeul maternel fut proscrit. Il déshonora ses premières armes qu’il fit sous Calvisius Sabinus. La femme de ce lieutenant, poussée par une coupable curiosité à visiter l’intérieur d’un camp, s’y glissa la nuit sous l’habit d’un soldat. Après avoir avec la même indiscrétion affronté les gardes et porté sur tout le service des regards téméraires, elle osa se prostituer dans l’enceinte même des aigles, infamie dont Vinius était accusé d’être complice ; aussi, chargé de fers par ordre de Caïus, il fallut la révolution qui survint pour le rendre à la liberté. Il parcourut alors et sans reproches la carrière des honneurs. Après la préture il commanda une légion et se fit estimer. Mais ensuite il se souilla d’une bassesse indigne même d’un esclave. Il fut soupçonné d’avoir volé une coupe d’or à la table de Claude, et Claude le lendemain ordonna que Vinius seul parmi les convives serait servi dans des vases de terre. Toutefois, étant proconsul de la Gaule Narbonnaise, il la gouverna avec une sévère intégrité. Enfin l’amitié de Galba l’entraîna dans l’abîme : audacieux, rusé, actif, et toujours, selon qu’il tournait les ressorts de son âme, bon ou méchant avec la même énergie. Les immenses richesses de Vinius firent casser son testament ; la pauvreté protégea les dernières volontés de Pison.


Le corps de Galba, long-temps abandonné, fut recueilli, après avoir subi les outrages du soldat pendant les désordres de la nuit, par Argius, son intendant, son ancien esclave, qui lui donna une humble sépulture dans les jardins mêmes que ce prince possédait n’étant encore que citoyen. Sa tête, mutilée et attachée à une pique par des vivandiers et des valets de l’armée, fut retrouvée le lendemain devant le tombeau de Patrobe, affranchi de Néron que Galba avait fait périr, et les cendres en furent réunies à celles du corps déjà brûlé. Ainsi finit Servius-Sulpicius Galba, à soixante-treize ans, après avoir traversé cinq règnes avec une fortune toujours propice, et plus heureux sous l’empire d’un autre qu’étant lui-même empereur. Sa famille avait une ancienne illustration et de grandes richesses. Son esprit était médiocre, plutôt exempt de vices que vertueux. Sans dédaigner la renommée, il n’en chercha jamais le bruit ; point avide du bien d’autrui, sobre du sien, avare de celui de la république. D’une faiblesse extrême envers ses amis et ses affranchis ; on pouvait l’en excuser lorsqu’il rencontrait des gens de bien ; mais il devenait coupable lorsque, aveuglé par elle, il se livrait à des pervers. La grandeur de sa naissance et le malheur des temps décorèrent chez lui ce qui n’était qu’indolence d’un renom de sagesse. Dans la vigueur de l’âge, il se distingua en Germanie par ses talens militaires. Nommé proconsul, il régit l’Afrique avec modération. Déjà vieux, il apporta dans son gouvernement de l’Espagne le même esprit de justice. Il parut au-dessus de la condition privée tant qu’il fut simple citoyen, et de l’aveu général, digne de l’empire s’il n’eût été empereur.


  1. Dix-neuf livres de notre monnaie.
  2. 12 janvier.
  3. 15 janvier.