Histoire du chevalier Grandisson/Lettre 93

Nouvelles lettres angloises, ou Histoire du chevalier Grandisson
Traduction par Abbé Prévost.
(tome VIIp. 33-35).

LETTRE XCIII.

Miss Byron à Madame Reves.

Au Château de Selby, 8 Septembre.

Votre tendre Lettre, ma chere Cousine, m’a causé tout à la fois du plaisir & du chagrin. Je me réjouis, sans doute, que l’estime d’un des meilleurs des hommes se déclare ouvertement pour moi ; mais je m’afflige un peu que par pitié apparemment pour ma foiblesse, lui donnerai-je ce nom ? pour une foiblesse si mal cachée, vous m’excitiez à la joie, sur ce qu’il peut arriver [car ce n’est qu’une conjecture] qu’après avoir fini ses affaires, & n’ayant plus rien qui l’occupe, cet excellent homme me rende une visite en Northampton-Shire. Ô chere Cousine ! croyez-vous donc que son absence & la crainte de le voir Mari d’une autre femme ayent été la cause de mon indisposition ? Et seroit-ce dans cette idée, qu’à l’occasion du changement imprévu de ses affaires d’Italie, vous me recommandez tout d’un coup de me porter mieux ? Sir Charles Grandisson, ma chere Cousine, peut nous honorer de sa visite, ou s’en dispenser, suivant son gout : mais quand il se déclareroit mon Amant, comme vous le dites, je n’en ressentirois pas autant de satisfaction que vous semblez vous y attendre, si le sort de l’excellente Clémentine n’est pas heureux. Qu’importe que le refus vienne d’elle ? N’est-ce pas le plus grand sacrifice qu’une femme ait jamais fait à sa Religion ? Ne reconnoît-elle pas qu’elle l’aime encore ? & n’est-il pas obligé, forcé, de l’aimer toute sa vie ? Mon orgueil demande ici d’être considéré pour quelque chose. Votre Henriette n’a-t-elle donc qu’à s’asseoir, & se croire heureuse d’une seconde place ? Cependant je vous avouerai, ma chere Cousine, que Sir Charles est ce que j’ai de plus cher au monde ; & si Clémentine pouvoit ne pas être malheureuse, ce que je ne crois point qu’elle puisse n’être pas sans lui, je dirois, toute affectation à part, dans la supposition qu’il se déclarât mon Amant ; je veux me fier à mon cœur & à ma conduite, pour obtenir une part qui me suffise à son affection. Mais le tems éclaircira bientôt ma destinée, & j’attendrai sans impatience. Je suis persuadée que Sir Charles ne fait rien, sans de très-bonnes raisons. Que le Ciel, ma chere Cousine, vous accorde la continuation de tous vos plaisirs ; car je sais que vous ne les aimez qu’innocens. Je suis, &c.