Histoire du chevalier Grandisson/Lettre 92

Nouvelles lettres angloises, ou Histoire du chevalier Grandisson
Traduction par Abbé Prévost.
(tome VIIp. 32-33).

LETTRE XCII.

Madame Reves à Miss Byron.

5 Septembre.

Ô chere Cousine ! c’est à présent que je suis sûre de vous voir la plus heureuse des Femmes. Le Chevalier Grandisson nous fit hier une visite : avec quelle joie nous l’avons reçu, M. Reves & moi ! Il n’y avoit pas une heure que nous étions informés de son retour par un billet de Mylady G… Il nous dit qu’il étoit obligé, par des affaires pressantes qui le forçoient d’aller à Windsham & dans Hampshire, mais qu’il ne pouvoit partir sans nous avoir vus, & sans apprendre de nous l’état de votre santé, dont on lui avoit fait une fâcheuse peinture. Nous lui répondîmes qu’elle n’étoit pas réguliérement bonne, mais que nous n’avons rien qui pût nous faire craindre du danger. Il parla de vous avec tant de respect & de tendresse ! ô chere Henriette ! je suis sûre, & M. Reves ne l’est pas moins, qu’il vous aime chérement. Cependant nous fûmes surpris tous deux, qu’il n’ait marqué aucun dessein de vous aller voir. Peut-être que ses affaires… mais, s’il vous aime, en peut-il avoir qui demandent la préférence ? & je suis sûre qu’il vous aime. Je n’aurois pas su comment lui cacher ma joie, s’il s’étoit déclaré votre Amant. Vous me connoissez ; vous savez qu’à l’exception de M. Reves, je n’aime rien tant que vous.

J’ai cru devoir vous informer de cette agréable visite. À présent, ma chere, portez-vous bien. Tout va tourner heureusement, j’en suis sûre. C’est la plus grande grace que je demande au Ciel. Il vous ira voir en Northampton-Shire, n’en doutez pas : & s’il y va, quel peut être son motif ? Ce n’est pas civilité simple. Sir Charles est un caractere solide. Adieu, ma chere Henriette, les délices de mon cœur !