Histoire du chevalier Grandisson/Lettre 125

Nouvelles lettres angloises, ou Histoire du chevalier Grandisson
Traduction par Abbé Prévost.
(tome VIIIp. 62-63).

LETTRE CXXV.

Le Seigneur Jeronimo au Chevalier Grandisson.

À Douvres, Lundi au soir, 12 Mars.

Nous arrivons, cher Ami. La santé de mon Pere & de ma Mere est si douteuse, que nous prendrons quelques jours pour attendre ici vos informations. Ma Mere s’est trouvée si mal, qu’elle a pris le parti de relâcher à Antibes. Nous sommes venus à petites journées jusqu’à Paris, & de-là droit à Calais, où nous avons loué un Vaisseau pour nous rendre ici. Mon Frere & le Pere Marescotti sont indisposés. Camille n’est pas mieux. Madame Bémont, à qui nous avons des obligations infinies, nous ranime tous par ses soins & son affection.

Avez-vous appris quelque chose de la chere Fugitive, qui nous cause tant d’alarmes, & dans la saison où nous sommes, une si mortelle fatigue ? Fasse le Ciel qu’elle se trouve sous votre protection, avec une tête tranquille ! Dans l’état que je lui souhaite, elle n’auroit jamais formé le dessein d’une fuite si honteuse & si peu sensée. Le cœur du Comte de Belvedere est déchiré par l’impatience. Il suivra bientôt le Courrier que nous dépêchons avec cette Lettre. Notre Cousin Sebaste veut l’accompagner. Jules ne nous quittera point. La fatigue passoit un peu les forces de votre Jéronimo ; mais il se réjouit d’être en Angleterre, le Pays où son cher Grandisson est né, & de l’espérance d’embrasser M. Lowther, le Dieu de sa vie & de sa santé. Que le Ciel nous accorde une heureuse entrevue ! & qu’il ne permette pas que votre bonheur conjugal soit troublé par l’extravagance d’une jeune Créature, dont la conduite ne peut être expliquée que par le malheureux désordre de son esprit ! Adieu, adieu, très-cher Chevalier.