Histoire du Canada et des Canadiens sous la domination anglaise, Vol 3, 1878./Livre sixième

La compagnie d'impressions et de publication Novell (3p. 103-277).


LITRE SIXIÈME.

Contenant ce qui s’est passé de plus remarquable, depuis
le printems de 1832, jusqu’à l’été de 1835.


Comme nous avons eu occasion de le remarquer, la rédaction de la Minerve s’améliora, vers le commencement de mars, 1832, mais ce ne fut que pour un instant.

Un acte récent de la législature permettait aux membres de l’assemblée de donner leur démission. Au commencement d’avril, M. John Fisher, membre pour le quartier-ouest de Montréal, annonça à ses commettans qu’il leur remettait leur mandat. Il fallut songer à lui donner un successeur, et dans la Minerve du 9, entre plusieurs citoyens plus ou moins recommandables, fut mentionné « le véhément rédacteur du Vindicator », comme ayant « des droits aux suffrages des électeurs, et le plus propre à représenter le quartier-ouest. » Cette recommandation, ou cette suggestion, qui dut d’abord surprendre tout le monde, et qui indigna la population anglaise et une partie des Canadiens, gagna peu à peu de la popularité chez quelques membre de l’assemblée, et chez un nombre de jeunes gens. C’était, de la part de ceux qui faisaient cette recommandation, une nargue faite au conseil législatif, une espèce d’affront offert à la classe élevée et influente de la population, et une injustice envers celle des marchands. Mais ceux qui regardaient comme un malheur, ou comme une honte, que la partie la plus populeuse et la plus opulente de la cité fût représentée par un fougueux « partisan » politique, par un homme né hors du pays, et n’y ayant ni propriétés ni biens de famille, firent la faute de ne lui pas opposer un homme assez connu des deux populations, et assez populaire chez l’une et l’autre, pour emporter l’élection d’emblée, ou pour être assuré d’une grande majorité de votes. Il est vrai qu’on supposa d’abord, que M. Tracey n’ôserait pas se présenter : il l’ôsa, et eut pour antagoniste M. Stanley Bagg, qui paraissait pour la première fois sur le théâtre politique, et était mal vu de ceux des Irlandais et des Américains qui ne voyaient de véritable mérite que dans des idées exagérées de liberté, et dans une systématique et violente opposition au gouvernement[1].

Les deux candidats étant vus de mauvais œil, celui-ci par une partie de la population, et celui-là par l’autre, on dut s’attendre que la lutte serait, non-seulement opiniâtre, mais violente ; d’autant plus qu’on avait donné à entendre aux émigrés Irlandais, qu’il était temps qu’ils eussent un représentant de leur nation, et qu’il était très probable que ceux mêmes d’entre eux qui n’avaient pas le droit de voter, et pour qui la liberté des suffrages n’était pas ce qu’il fallait, se mêleraient activement de l’élection.

Effectivement, dès le premier jour, il y eût des querelles et rixes, comme il y en avait eu déjà, aux élections contestées, et dans ce même quartier, en 1827 ; mais bientôt, la populace irlandaise prit le dessus, devint intimidatrice, et il fallut changer le lieu de la votation, puis avoir des constables spéciaux, pour maintenir la paix. Mais la violence du candidat irlandais et de quelques-uns de ses partisans, la timidité et le défaut d’énergie de l’officier-rapporteur[2], rendirent, ou parurent rendre ces moyens insuffisants. Le 21 mai, la foule des partisans de M. Tracey fût, dès le matin, plus considérable qu’à l’ordinaire, et alla toujours croissante ; vers deux heures, il y eût, sur la place d’Armes, des assauts sur des constables, et un tumulte approchant d’une émeute. Les magistrats sous la charge desquels étaient les constables, voyant, ou croyant la force civile insuffisante pour rétablir et préserver la tranquillité, demandèrent le secours du militaire. La vue des troupes, qui furent tenues à quelque distance, loin d’appaiser la multitude, sembla la rendre plus déterminée à la violence, l’acte d’émeute, ou contre la sédition, fût lu par un juge de paix, mais à peu près inutilement, et l’élection fût continuée au milieu du tumulte. Après la clôture de la séance, les fauteurs de M. Tracey firent retentir l’air de cris assourdissants et prolongés, et bientôt, on les vit se ruer sur les partisans de l’autre candidat, et les poursuivre avec des pierres et des bâtons, vers la troupe, et jusque dans les maisons où ils se réfugiaient. Les cris, « la populace assassine les citoyens », se firent entendre ; la troupe eût ordre d’avancer : les assaillans[3], retraitèrent, mais ayant été joints par ceux qui étaient parti d’abord avec le Dr. Tracey, ils firent volte-face, revinrent sur leurs pas, et firent pleuvoir une grêle de pierres sur le militaire et sur les magistrats et les constables qui l’accompagnaient. Cette aggression continuant, malgré remontrance réitérée, et paraissant devenir de plus en plus furieuse et dangereuse[4], le commandant, à l’instance d’un ou plusieurs magistrats présents, ordonna à une partie de ses hommes de tirer, et malheureusement, trois individus furent tués, et un ou deux autres blessés.

On imagine mieux qu’on ne le décrirait l’état moral ou mental de la population de Montréal, après un événement presque ordinaire en Angleterre, et surtout en Irlande, mais jusqu’alors inoui en Canada ; chez les uns l’anxiété devint alarme, chez les autres, l’exaltation parut se changer en frénésie. Les magistrats, que cette élection « toute de feu » avait tenus pendant un mois sur le qui-vive, eurent à prendre de nouvelles mesures de précaution pour rassurer les citoyens paisibles, mais ils oublièrent de se protéger eux-mêmes, ou de se mettre en garde contre les attaques d’une presse qui, de licencieuse, devint incendiaire, et se laissèrent accuser, au lieu de se porter accusateurs, et il en résulta une agitation autrement violente et d’un tout autre caractère que celle de 1827 ; car quoique les accusations de la Minerve fussent aussi absurdes qu’elles étaient atroces[5] quelques habitans de la campagne purent croire qu’elles étaient fondées, et qu’il n’y avait pas eu d’émeute, puisqu’il n’y avait ni recherche ni poursuite, de la part des autorités, et cette croyance dut se changer chez eux en entière certitude, quand ils virent ceux qui, peut-être auraient dû être mis sur la défensive, prendre hardiment l’offensive. Le lendemain de l’émeute, le Dr. Tracey se rendit au lieu des suffrages pour recevoir des votes ; M. Bagg n’y alla que pour protester[6].

Déclaré élu, Daniel Tracey s’adressa à ceux qui étaient présents, et parla des meurtres de la veille. Les trois ou quatre jeunes gens, qui s’étaient montrés ses plus chauds partisans, parlèrent des « scènes dont cette ville venait d’être le théâtre », et invitèrent le public à assister aux funérailles des victimes, afin de témoigner l’horreur qu’on devait ressentir de cette boucherie, et à donner à l’enquête du coroner, (qui se faisait ou allait se faire), tous les renseignemens possibles, insinuant qu’on « pourrait s’adresser à eux », ou à d’autres pour cet effet.

Un de nos compatriotes, « avocat », s’écrie : « Peut-on se rappeler le mois de mai, 1832, sans être vivement affligé ? La licence de la presse ne fût-elle pas, en partie, la cause du tragique dénouement de cette élection, qui, pendant cinq semaines, fût toute de feu ? Oui, ce sont vos… doctrines qui ont fait fusiller ces trois victimes… quand on vous entend parler vertu et principes sur leurs cadavres, on recule d’effroi, et Meternich, dans Vienne, ne semble pas avoir assez de despotisme pour se mettre à l’abri de votre liberté. » C’est s’exprimer un peu fortement, et, sans doute, passer les bornes de la modération et du sang-froid, mais il n’en est pas moins vrai que, quand règne l’intimidation, la coercition morale, et l’esprit de parti jusqu’à l’aveuglement, il n’y a plus de liberté pour personne, peut-être point pour les acteurs eux-mêmes[7], et tout cela régna, à un degré incroyable, pendant et après cette malheureuse élection. Mais, pire que tout cela, fût la tentative de démoraliser le peuple, de désorganiser la société, un incendiarisme jusqu’alors inconnu au pays. « Un volume suffirait à peine pour répéter en détail, les faussetés, les mensonges, les calomnies propagés chez la classe crédule ou peu instruite de nos compatriotes, au moyen de la seule gazette publiée en langue française », ” (à Montréal[8]). Le numéro de la Minerve du 24 mai surpasse peut-être tout ce qui a jamais été écrit de plus inflammatoire, de plus atroce, pour ne pas dire, de plus sanguinaire[9].

Il était juste que ceux qui avaient amené, directement ou indirectement, au lieu où se donnaient les suffrages les trois hommes du peuple qui y avaient malheureusement trouvé la mort, les fissent inhumer à leurs propres frais ; mais ils parurent dépasser de beaucoup les bornes du devoir et de la convenance, et purent faire croire à une arrière-pensée, à un but ultérieur et sinistre, en leur faisant « chanter un service de première classe, aux quatre cloches », avec des accompagnemens qui ne se rencontrent pas toujours aux obsèques des premiers d’entre les citoyens[10], et les ridicules exagérations de la Minerve ne contribuèrent pas peu à faire penser que, chez quelques-uns au moins, il y avait quelques motifs bien moins louables que celui du regret et de la sympathie, le désir et le plaisir de pouvoir faire de la triste catastrophe un engin d’agitation, de haine, de dissention, et, peut-être, de guerre civile.

Pendant que la Minerve parcourait impunément la carrière de l’incendiairisme, les journaux anglais parcouraient au moins celle de la violence, des grosses personnalités, particulièrement contre l’orateur de la chambre d’assemblée et contre quelques-uns de ceux qui s’étaient montrés les plus actifs partisans du Dr. Tracey, et notre état de société devenait déplorable. Il devint alarmant pour tous les amis de la tranquillité et du bonheur du peuple, quand on vit reproduites dans une harangue et des résolutions de quelques habitans d’une paroisse éloignée de dix ou onze lieues de Montréal, toutes les matières inflammatoires de la Minerve du 24, et qu’on put prévoir que cet exemple serait imité par beaucoup d’autres paroisses du district[11].

En effet cette assemblée, ou semblance d’assemblée, ne tarda pas à être suivie d’une autre, où la harangue et les résolutions furent couchées en termes encore plus incendiaires, et approchant de la trahison, du moins suivant la Gazette et les autres journaux anglais.

Pour en venir à l’enquête du coroner, il était bien difficile, pour ne pas dire impossible, qu’elle ne fût pas partiale, vû la hauteur où l’exaspération et l’esprit de parti étaient montés, et le choix qui fût fait de jurés, presque tous lecteurs de la Minerve, et de cette gazette seule, aussi, après avoir entendu treize témoins à charge, et dix à décharge, neuf d’entre lesquels paraissaient n’avoir voulu s’en rapporter qu’aux témoins à charge, (qui, la plupart, s’étaient contentés de dire qu’ils avaient vu les soldats tirer sur le peuple), déclarèrent que les trois défunts avaient été tués par une décharge de fusils, tirés à balles, sur le peuple, qui se dispersait, après l’ajournement du poll. Les trois autres, tenant compte des dépositions à décharge, qui entraient dans le détail, rapportèrent que trois individus avaient été tués pendant une émeute, ou à la suite d’une émeute.

L’orateur de l’assemblée avait été constamment présent à l’enquête, « sans avoir, suivant les journaux anglais, le droit de s’en mêler, ou d’y exercer la moindre autorité », et suivant les mêmes journaux, dans la vue d’intimider, ou d’influencer les témoins, les jurés et le coroner même.

« Le Herald, dit la Minerve, fait une tirade ordurière et très virulente contre M. Papineau, parcequ’il assiste régulièrement à l’enquête du coronaire. » La Gazette de Québec, au contraire, après avoir semblé donner à entendre, dans son numéro du 24 mai, que Languedoc, Billet et Chauvin étaient des électeurs, et qu’on avait tiré sur eux pour les empêcher de donner leur suffrage au Dr. Tracey, « au moment où ils remplissaient le premier et le plus précieux de leurs droits », blâme, dans un article amphigourique du 31, les journaux anglais, de blâmer M. Papineau : « Pour le parti qu’il a cru devoir prendre dans l’enquête du coronaire, etc. », « en paraissant vouloir faire oublier que M. Papineau est avocat de profession, et qu’il a pu agir en cette qualité ».

« Intimidé » ou non par M. Papineau, le coroner n’ayant vu, ou voulu voir, comme la majorité de son jury, que le fait de mort d’hommes, fit arrêter le colonel McIntosh et le capitaine Temple, commandans du détachement envoyé au lieu de l’élection, pour meurtres volontaires. Malgré cette détermination, louée par la Minerve et blâmée par les journaux anglais, qui réprouvaient aussi la manière dont l’enquête avait été conduite, il devait être difficile à des hommes non prévenus ni passionnés, et particulièrement à des gens de loi et à des juges, de croire que le colonel McIntosh et le capitaine Temple avaient été assez intensément insensés ou effrontément scélérats, pour faire tirer en plein jour et devant mille témoins, sur des hommes, ou même sur une foule d’hommes, qui se dispersaient ou se retiraient paisiblement ; et déjà, les magistrats, le gouvernement et les juges avaient par devers eux des renseignemens qui leur ôtaient la possibilité de tout doute sur la nature de l’affaire ; aussi les prisonniers du coroner n’eurent-il aucune peine à obtenir de demeurer libres, moyennant un cautionnement modique.

Cependant, la licence de la presse, à Québec et à Montréal, ne perdait rien de son absurdité ni de sa malignité, en autant qu’à un aveugle esprit de parti se joignait, chez un nombre d’individus, un implacable esprit de vengeance. Cet esprit de vengeance allait parfois jusqu’à se mêler aux cérémonies du culte catholique, et il fallut un grand fléau physique pour rendre moins intense un grand désordre moral. Mais si le choléra asiatique, importé par l’émigration d’Irlande, rendit moins fréquentes, ou moins nombreuses, les assemblées provoquées dans les campagnes, par quelques patriotes de Montréal, ou par leurs affidés, il n’en rendit ni moins atroce ni moins délirant le style de leurs « résolutions ».

Le 11 juin, il y avait eu, à Longueuil, une assemblée dite du comté de Chambly. Ce comté était un de ceux qui avaient établi ce qu’on appelait des « comités de surveillance et correspondance ». Non content d’avoir voulu restreindre la liberté des représentans de ce comté, on voulut, dans l’assemblée dont nous parlons, ôter virtuellement aux franc-tenanciers leur franchise élective, pour la transmettre au comité de surveillance, car il y fût « Résolu : Que, pour éviter les inconvéniens et les malheurs des élections contestées, le comité de surveillance et de correspondance soit tenu de s’assembler dans les quatre semaines qui précéderont toutes telles élections, afin de faire choix d’individus pour représenter le comté, dont les sentimens et la politique soient en harmonie avec les sentimens, la politique et l’intérêt général du comté ».

Le mal n’aurait peut-être pas été extrême, s’il avait été restreint au point de vue politique ; si dans ces assemblées, on s’en était tenu à d’incongrus projets d’innovation ; mais souvent les bâses de la société étaient ébranlées jusque dans leurs fondemens ; la civilisation était attaquée à sa source, la morale publique était renversée de fond en comble, par « un débordement de démagogie irritée, par un effroyable système de diffamation et d’intimidation ».

Parmi les « résolutions » qui inspirent, ou le dégoût par leur incongruité, ou l’horreur par leur atrocité, figurent, en première ligne, celles de la semblance d’assemblée, tenue à Chambly, le 1er juillet, au sujet « des meurtres commis le 21 mai, par la faction ennemie du pays ». Il y fût résolu :

« Que les individus formant cette assemblée ont appris avec horreur les machinations et les violences exercées à Montréal, par les ennemis du pays, contre les électeurs du quartier-ouest qui soutenaient D. Tracey, écuyer ; qu’ils n’ont pu entendre sans frémir le récit du carnage de la rue du Sang, excité et conduit par ces mêmes hommes qui nous ont toujours haïs, et qui finiront par nous assassiner ; qu’un service de première classe soit chanté pour les victimes du 21 mai, honteusement sacrifiées à la haine de nos ennemis ; que les magistrats de Montréal, par leur conduite infâme, et par l’effusion du sang innocent, ont perdu toute la confiance du citoyen ; que l’officier-rapporteur, les magistrats et les officiers McIntosh et Temple, par leur conduite coupable ont tendu à aliéner les sujets de sa Majesté de la fidélité qu’ils ont toujours témoignée envers son gouvernement ; que depuis la session du Canada, le gouvernement anglais, trompé par des hommes qui sont nos ennemis acharnés, a tenu à notre égard, une ligne de conduite tendant évidemment à notre destruction et à notre asservissement ; qu’il nous prépare le sort des Acadiens ; que, bien que cette assemblée soit persuadée qu’un peuple ne peut commander à un autre peuple sans son consentement, et que d’ailleurs, l’oubli de nos droits et le déni fréquent de justice, de la part de l’Angleterre, ont tendu à rompre le contrat qui existe entre elle et nous, notre attachement à la constitution doit nous porter à attendre[12] », &c.

Il était aisé de voir par le style et par les expressions empruntées aux déclamations de 1831, ainsi qu’aux articles anciens et aux récits nouveaux de la Minerve, que ces résolutions étaient le fruit d’une inconcevable exaltation causée par un effroyable « débordement démagogique », et cependant, rien n’était fait, ni ne paraissait devoir être fait par les autorités constituées, pour mettre un frein, opposer une digue, à ce débordement, qui menaçait de noyer dans la démence toute notre population.

Parmi les résolutions de ces assemblées, il y en avait ordinairement une contre l’agiotage, ou la vente des terres incultes à des particuliers, ou contre la surabondance de l’émigration ; mais, loin de tendre à prévenir les maux dont on se plaignait, le ton des harangues et la teneur des résolutions semblaient de nature à les produire, ou à leur donner plus d’extention.

Le 10 juillet, dans un comté du nord, on s’efforça d’atteindre, sinon de surpasser l’outrecuidance de quelque-unes des résolutions de Chambly.

Cette agitation, « non de raison, mais de démence[13] », se serait propagée, probablement, de comte en comté, de paroisse en paroisse, sans l’apparition du choléra dans les campagnes, comme dans les villes, et, peut-être aussi, sans l’existence d’un nouveau journal en langue française « l’Ami du peuple », de l’ordre et des lois », qui s’attacha à faire comprendre combien elle était inconvenante, ridicule, et qui pis est, disturbatrice de la paix publique et désorganisatrice de la société.

MM. Louis Guy, George Moffatt, Peter McGill, John Molson, Pierre de Rocheblave, F. Quirouet, R. U. Harwood, P. de Salles-Laterrière, Jean Dessaulles, B. Joliette, Xavier Malhiot, et Roch de Saint-Ours, ayant été appelés au conseil législatif, et les cinq derniers ayant été tirés de la chambre d’assemblée, il fallut leur donner des remplaçans aux comtés de Richelieu et de Verchères, le choix des électeurs tomba sur des citoyens marquants de ces endroits, M. J. Poulin, et M. J. T. Drolet. Ailleurs, des jeunes gens de Montréal n’eurent qu’à se présenter, pour être recommandés et élus d’emblée. Des électeurs d’Angleterre, ou de France, auraient parié, après avoir entendu leurs harangues, qu’ils n’obtiendraient pas un seul vote ; quelle n’aurait pas été leur surprise, en apprenant qu’ils avaient été élus unanimement.

Le 27 août, des actes d’accusations pour meurtre volontaire contre Wm. Robertson, Pierre Lukin, Alexander McIntosh, et Henry Temple, furent soumis aux grand-jurés, et le 1er septembre, ces messieurs rapportèrent à la cour le verdict spécial et motivé qui suit :

« Les grands-jurés représentent humblement à la cour, que, dans leur enquête concernant l’occurence sur laquelle étaient fondés les actes d’accusation pour meurtre contre Wm. Robertson, P. Lukin, A. F. McIntosh et H. Temple, ils ont examiné pleinement et avec impartialité toutes les circonstances de l’affaire, et le résultat de leurs procédés, est qu’il n’existe aucune raison fondée d’accusation ou poursuite criminelle contre ces individus. Dans un cas comme le présent, et quand une agitation violente a bouleverssé la société, les grands-jurés sont induits par le sentiment du devoir, à aller audelà du simple rejet dos actes d’accusation, et à s’efforcer d’arrêter l’irritation par l’exposé des connaissances auxquelles ils sont parvenues, après une stricte enquête sur la transaction.

« Les faits révélés aux grands-jurés sont en peu de mots, les suivants : Que, durant les derniers jours de l’élection, il existait beaucoup d’irritation, qui occasionnellement se terminait par des infractions de la paix publique ; que le 21 mai, les magistrats, voyant une disposition à la violence dans la multitude assemblée au lieu où se donnaient les votes, ou dans ses environs, y avait fait venir, à la réquisition de l’officier-rapporteur, un nombre de constables spéciaux, et craignant, d’après ce qui était déjà arrivé, que ce pouvoir ne fut pas suffisant pour réprimer un tumulte, se déterminèrent à faire venir une force militaire, en cas de besoin ; qu’en conséquence, il fût fait au capitaine Temple, pour un envoi de troupes, une réquisition signée par Wm. Robertson et P. Lukin, écuyers, juges de paix pour le district de Montréal, et qu’entre deux heures et trois heures de l’après-midi de ce jour, un corps de troupes fût porté dans le lieu où le poll se tenait ; que peu après, une disposition plus prononcée à la sédition s’étant manifestée, les magistrats s’efforcèrent de rétablir l’ordre, en lisant l’acte d’émeute ; que le rassemblement ne s’étant pas dispersé, il s’éleva, à la clôture du poll, une rixe où il fût commis plusieurs actes de violence : qu’un corps de séditieux ayant assailli avec des pierres, ou autrement, une maison occupée par M. Henderson, dans le dessein évident de maltraiter des individus qui s’y étaient réfugiés, et le pouvoir civil étant insuffisant pour protéger les personnes et les propriétés des sujets de sa Majesté, contre le danger imminent dont ils étaient menacés, l’intervention de la force militaire devint nécessaire ; que pour réprimer la sédition, les troupes furent obligées d’avancer ; qu’éprouvant de la résistance, et étant assaillies, dans ce moment, elles reçurent l’ordre de faire feu, et en conséquence de l’exécution de cet ordre, trois individus furent tués.

« Quelque sincèrement que les grands jurés déplorent les conséquences fatales qui sont résultées de l’emploi d’une force armée, en cette occasion, ils sont persuadés qu’il était justifié par la conjoncture, et dans leur opinion, son intervention opportune a détourné les calamités qui devaient s’en suivre, s’il eût été libre aux séditieux de persévérer dans leur conduite impétueuse et destructive. En envisageant l’affaire sous ce point de vue, les grands-jurés ne peuvent s’empêcher d’énoncer publiquement cette opinion, que la conduite tenue pendant ces occurences, tant par les magistrats que par le militaire, mérite l’approbation de ceux qui aiment la paix et respectent les lois, en même temps que les habitans de la ville de Montréal, en particulier, sont grandement redevables du rétablissement d’un état de sécurité et de la préservation de leurs vies et de leur propriétés à la fermeté avec laquelle ces messieurs se sont acquittés de leurs devoirs respectifs. »

Le colonel McIntosh et le capitaine Temple furent en conséquence, déchargés de leur cautionnement ; le 3 septembre, le gouverneur fit tenir aux magistrats de Montréal l’adresse suivante :

« Le gouverneur en chef n’a pas manqué d’être vivement affecté de la perte de vies dont a été suivie la suppression d’une émeute, à Montréal, le 21 de mai dernier… Son Excellence attendait avec confiance, qu’après une enquête, on serait convaincu que les mesures prises par les magistrats avaient été dictées par la nécessité. Les dépositions que l’on a prises à l’enquête qui a eu lieu devant le coroner ont pleinement justifié cette attente… Son Excellence s’est sentie disposée à exprimer à ces messieurs son approbation de leurs procédés. Considérant néanmoins qu’il y avait une enquête commencée, et que cette enquête aurait pu se terminer de manière à représenter le sujet sous un autre point de vue, et nécessiter d’autres mesures, son Excellence a cru prudent de suspendre son jugement, et, dans un cas de cette nature, d’attendre en silence le résultat de tous les procédés qu’exigeaient les circonstances.

« Le gouverneur en chef, nourrissait l’espoir que cette réserve qu’il s’était imposée à lui-même pourrait servir d’exemple à d’autres, et que l’on permettrait à la loi de prendre son cours, sans s’efforcer de préjuger l’esprit public sur une enquête qui entraînait des circonstances graves, pour les parties qui y étaient concernées. Ce n’a donc pas été sans le sentiment du plus profond regret, inspiré par le désir ardent de voir les lois mises à exécution, et suivies en toutes occasions d’une manière juste et impartiale, que le gouverneur a reçu des informations, de la vérité desquelles il n’avait nulle raison de douter, qu’il s’était tenu des assemblées, dans un petit nombre d’endroits de la province, et que, dans ces assemblées, au mépris de tout principe de justice, dans un temps même où la vie de ces individus était dans le plus grand danger, d’après l’enquête judiciaire qui était commencée, les magistrats et le militaire employés sous leurs ordres, le 21 mai dernier, avaient été témérairement jugés coupables du crime odieux de meurtre. Les procédés qui ont eu lieu dans ces assemblées font naître des réflexions bien sérieuses, dans un pays où les procès pour la vie ou la mort mettent le sort des accusés entre les mains d’un corps de jurés pris indistinctement parmi le peuple.

« L’enquête désirée est maintenant terminée. Le grand-jury a absout, même de blâme, les parties accusées. Le résultat de l’enquête ayant été tel, le gouverneur en chef considère que c’est maintenant le temps d’adresser ses remercimens aux magistrats de Montréal, pour la fermeté, le jugement et la modération qu’ils ont montrés durant les troubles qui ont agité cette ville, en mai dernier, et qui menaçaient du renouvellement des scènes de désastres, qui, à une époque récente encore, ont eu lieu dans une des villes les plus florissantes de l’empire britannique… Avec cet exemple devant les yeux, il ne serait peut-être pas déraisonnable de présumer que le plus grand nombre des citoyens paisibles de Montréal sont redevables de leur vie et de la conservation de leurs biens à la fermeté des magistrats, et à l’intervention des troupes agissant sous leurs ordres. »

Une communication de la même teneur fût faite, le même jour, au lieutenant-colonel McIntosh et au capitaine Temple.

Cette adresse du gouverneur, accueillie avec plaisir et reconnaissance par tous les amis de la paix publique et de l’ordre légal, parut augmenter le mécontentement de ceux que le verdict spécial et motivé du grand-jury avait irrités ; mais ce qui pourra paraître singulier, c’est qu’à cette occasion, le Canadien de Québec surpassa la Minerve de Montréal, et devint, ou feignit de devenir frénétique, au point de ne savoir plus de quels termes se servir pour exprimer son étonnement et son indignation, et d’en venir à se servir d’un langage qui nous a semblé en dehors de la société civilisée, sinon de la société humaine[14].

Renversant, dans son aveuglement et son implacabilité, la maxime, qu’il vaut mieux laisser échapper cent coupables que de punir un innocent, l’esprit de parti et de vengeance voulut donner un démenti formel au grand-jury et au gouverneur, en induisant quelques-uns des témoins à charge du jury du coroner, ou d’autres individus, à déposer de nouveau contre le colonel McIntosh et le capitaine Temple, devant un juge de paix, et ce magistrat crut qu’il était de son devoir, ou qu’il avait le pouvoir d’émaner contre eux un ordre ou mandat d’amener. Ces officiers ne parurent pas devant le juge de paix, mais se rendirent à la cour où, vu l’étrangeté, ou la nouveauté du procédé, il y eût de nouvelles discussions, qui se terminèrent par la déclaration que le mandat était illégal, parce que entre autres raisons une autorité inférieure n’avait pas le droit de défaire ce qu’avait fait une autorité supérieure.

Cette nouvelle décision, ou cette confirmation du verdict du grand-jury ne rendit pas moins acrimonieuse la rédaction de la Minerve et du Canadien, et le Herald, et la Gazette combattaient par la violence la violence de ces journaux, employant contre ce qu’ils appelaient la faction révolutionnaire les termes les plus énergiques et les plus injurieux que leur pouvait fournir la langue anglaise. La Gazette de Québec ne les combattait pas encore, mais à son défaut, il y avait l’Ami du Peuple[15], qui par ses rédacteurs ou ses correspondans, les prenait à partie sérieusement, ou les tournaient en ridicule. Notre horizon politique devenait de plus en plus sombre, et pour rembrunir encore la perspective, une partie considérable du district de Gaspé, indignée de l’acharnement de la majorité de la chambre d’assemblée contre le représentant de son choix, demandait à être détachée du Bas-Canada et réunie au Nouveau-Brunswick, et une partie des Haut-Canadiens crurent que l’occasion était devenue favorable pour demander et obtenir l’annexion à leur province de l’Île de Montréal, &c. Si l’on dut être surpris de voir le procureur-général et le solliciteur-général du Haut-Canada tremper ouvertement dans ce projet de spoliation, on dut l’être encore davantage, en le voyant bien accueilli par la Gazette de Montréal.

Au commencement de novembre, on vit réunis pour le même but, des hommes qui s’étaient montrés diamétralement opposés les uns aux autres, en 1822, et encore, en partie, en 1827 et 28. L’assemblée dite constitutionnelle, tenue à Montréal, le 3 novembre, fût nombreuse et imposante par le nombre des Anglais et des Canadiens marquants qui y figurèrent, en proposant, ou secondant, les résolutions qui y furent adoptées[16]. On y résolut :

« Que la constitution de cette province est, à tous égard, propre à avancer la prospérité du pays, et à assurer le bonheur de toutes les classes des sujets canadiens de sa Majesté ;

« Que cette assemblée, voyant les conséquences dangereuses des procédés tendant à égarer les loyaux habitans de cette province, qui ont eu lieu dernièrement[17] regarde comme une obligation pour elle d’employer tous les moyens en son pouvoir pour contre-carrer les desseins de gens mal-intentionnés, et pour conserver le gouvernement et les institutions dont nous jouissons ;

« Que le conseil législatif, tel que constitué, en vertu de l’acte du parlement impérial, est une branche essentielle de la législature, et que tout changement dans le mode de création des membres de cette chambre, loin d’être nécessaire, est inconvenant, et mettrait en danger la paix et le bien-être du pays ;

« Que la détermination de rendre électif le conseil législatif de cette province, manifestée dans certaines assemblées de particuliers, tenues dernièrement, dans les campagnes de ce district, est regardée avec appréhension et regret par cette assemblée, comme une tentative d’hommes factieux et mal-intentionnés, tendant à renverser la constitution et le gouvernement de cette province, tandis que cette assemblée est persuadée que les habitans bien disposés de la province ne désirent aucun changement dans la constitution de leur législature, et ont une pleine confiance dans l’administration des lois ;

« Que l’effervescence politique que des particuliers mal disposés envers le gouvernement s’efforcent de propager dans tous le pays, tend à produire un manque de confiance dans la sûreté des propriétés, à embarrasser le commerce », etc.

Le parlement provincial fut réuni le 15 novembre. Le même jour, le représentant de Gaspé fut ré-expulsé principalement à l’instance, ou l’insistance de MM. Bourdages, Neilson[18], Morin, Lafontaine et Vanfelson. Un procédé non pas plus injuste, mais plus inconvenant eût lieu, dans la séance du 19. Les derniers paragraphes du discours de clôture de la session précédente avaient déplu à M. Bourdages, d’abord, et il ne put les oublier ensuite : aussi se hâta-t-il de proposer à la chambre de prendre en considération cette partie du discours du gouverneur, en accompagnant sa proposition d’un discours que nous nous dispenserons de qualifier[19].

Le lendemain, M. Papineau appuya la proposition de M. Bourdages par un discours tout plein d’injures contre le gouverneur, et son Excellence fût censurée par une majorité de la chambre.

La réponse à cette censure était toute prête, et fût donnée, le lendemain, dans un message, où, après avoir annoncé à la chambre, que le dernier bill de subsides avait été sanctionné, mais qu’il avait reçu ordre de ne pas donner la sanction royale, à l’avenir, à un bill semblablement conçu, le gouverneur «  remarque que ce n’est que par le bill de la dernière session, qu’on peut constater la décision de la chambre sur les propositions qui lui furent faites, dans ses messages du 5 décembre et du 20 janvier dernier, et que la chambre n’ayant pas cru devoir donner à ces communications une réponse expliquant les raisons qu’elle avait pour se refuser aux demandes que sa Majesté adressait à sa libéralité, sa Majesté ne peut qu’inférer de là que ces demandes n’ont été jugées dignes d’aucune autre considération que celle que comporte un refus péremptoire et sec. Dans ces circonstances, sa Majesté ne fera pas revivre la discussion de la liste civile, mais Elle subviendra à ses dépenses, au moyen des fonds que la loi a mis à sa disposition, étant persuadée que par là Elle agira d’une manière plus conforme à sa dignité et maintiendra plus efficacement la bonne intelligence dans laquelle Elle désire toujours être avec la chambre d’assemblée du Bas-Canada. »

Dans une autre dépêche, communiquée le même jour, à l’assemblée, lord Goderich feint, ou semble feindre de ne pouvoir croire fondées les résolutions adoptées à des assemblées publiques, tenues par les habitans du comté de Gaspé, au sujet de l’expulsion réitérée de leur représentant. Sa Seigneurie ne pouvait croire que ce monsieur eût été puni plusieurs fois, pour une simple infraction de priviléges, encore moins qu’il eût été puni par une chambre contre laquelle il n’avait pu pécher ; mais Elle était persuadée que si les choses étaient telles qu’elles lui avait été représentées, la chambre se ferait un devoir de rescinder le vote par lequel le membre pour Gaspé avait été privé de son siége[20].

Le gouverneur n’attendit pas plus tard que le 25, pour communiquer à l’assemblée une censure directe de la manière dont elle avait procédé à l’égard du juge Kerr, quoiqu’il eût lui-même sa part de la censure.

Le vicomte Goderich avait écrit à lord Aylmer, à la date du 12 avril :

« Quant à la requête de l’assemblée, demandant la suspension de M. le juge Kerr, j’approuve entièrement le refus que vous avez fait d’acquiescer à cette demande ; mais je ne puis pas accorder cette approbation aux raisons que vous avez données pour ce refus, dans votre message à la chambre d’assemblée : vous y dites que vous seriez prêt à suspendre le juge de l’exercice de ses fonctions… sur une adresse du conseil législatif et de la chambre d’assemblée conjointement.

« D’après les expressions précédentes et une série de résolutions adoptées par l’assemblée, je conclus que les accusations de cette chambre contre M. le juge Kerr, quoique précédées d’une enquête pour la satisfaction des membres, ne furent précédées d’aucune citation ou audition de la partie accusée. D’après la même source de renseignements, je conclus que votre seigneurie était disposée à agir, dans le cas, de M. le juge Kerr, sur le même principe que celui qui fût appliqué au cas de M. Stuart, c’est-à-dire que la condamnation d’un officier public par un corps législatif rend la suspension de cet officier par le gouvernement une matière de devoir et de nécessité, et non de choix, bien que, dans le cas du juge Kerr, on exigeât que les deux chambres concourussent dans la demande… Si mes conclusions sont bien fondées, je dois protester positivement et solennellement contre le principe qui a guidé votre Excellence dans sa décision. Je ne puis que considérer que l’autorité royale est soumise à une grande indignité, quand le représentant du roi est ainsi invité et consent à agir comme le simple agent de l’une ou de l’autre chambre de l’assemblée générale ; en donnant effet aux résolutions contre les officiers de sa Majesté, et adoptées sans que les formes ordinaires et établies dans les procédés de la justice, aient été observées. Le roi, comme gardien de la réputation et des intérêts des personnes employées à son service, a droit d’exiger que les corps législatifs du Bas-Canada restreignent l’exercice de leurs pouvoirs dans les bornes que le parlement impérial, en conformité aux règles immuables de la justice, s’est prescrites, dans des cas semblables. »

Dans la session précédente, les deux chambres avaient passé un bill qui aurait dû être intitulé : « Acte pour rendre les juges dépendants de la chambre d’assemblée », &c. Le gouverneur leur communiqua le 26, les remarques de lord Goderich sur ce bill. Nous en extrayons ce qui suit :

« Le bill statue que les salaires et pensions de retraite des juges seront pris et payés sur le produit des revenus casuels et territoriaux maintenant appropriés par des actes de la législature provinciale, pour payer les dépenses de l’administration civile, et sur tout autre revenu public de la province, qui peut être et venir entre les mains du receveur-général. »

« Passant, pour le moment, sur la question du droit qu’a la chambre d’assemblée de disposer des fonds dont il est fait une mention spéciale dans ce passage, je remarquerai que la disposition elle-même n’est rien autre chose de plus qu’une déclaration que les juges seront payés au moyen des fonds collectifs que la chambre d’assemblée a, ou prétend avoir, le droit d’approprier. Une telle disposition ne préviendra pas la nécessité d’un vote annuel de la chambre pour sanctionner le paiement des salaires des juges, ni n’autorisera le gouverneur à émaner son ordre pour le paiement de ces sommes, dans le cas où un tel vote serait refusé. La branche populaire de la législature retiendrait donc le pouvoir de diminuer les revenus officiels des juges, ou d’en arrêter entièrement le paiement, et elle exercerait ainsi sur le banc une influence subversive de ce sentiment d’indépendance de toutes les parties de l’état, si nécessaire chez les membres d’un corps dont le haut office est de maintenir et de protéger les droits de tous avec une stricte impartialité. Le parlement britannique s’est dépouillé avec soin de tout moyen semblable sur la liberté des juges… Si l’entière exemption de toute dépendance de la chambre des communes est une garantie nécessaire pour l’exécution impartiale des devoirs des juges, en Angleterre, une semblable garantie n’est assurément pas moins nécessaire dans le Bas-Canada. »

« Le bill sous considération comporte qu’il appartient aux deux chambres de la législature provinciale d’approprier, à leur discrétion, tous les revenus casuels et territoriaux, et tous les fonds qui ont été accordés précédemment à sa Majesté par des actes provinciaux. Quels que soient les fondemens sur lesquels repose cette prétention, on doit admettre au moins qu’elle est maintenant avancée distinctement pour la première fois sous la forme d’un acte législatif précis, et il n’est guère possible de nier qu’elle embrasse des conséquences de la plus haute importance. Sa Majesté avait au moins le droit de s’attendre qu’on essaierait d’introduire cette innovation sous une toute autre forme que celle d’une mesure distincte et formelle. Il est également contraire aux usages parlementaires et au respect dû à sa Majesté, d’incorporer ainsi des demandes d’une nature financière dans un acte dont toute la fin et tout l’objet sont entièrement étrangers à toute question de finance. C’est une maxime depuis longtems établie dans le parlement impérial, que les communes n’ont pas le droit d’attacher (to tack) à un bill qui renferme un octroi d’argent, une disposition étrangère à sa fin et son objet avoué… Il ne convient pas que le roi soit réduit au dilemme ou de rejeter une loi embrassant un objet qu’on aura recommandé, et auquel le public attache avec raison la plus grande importance, ou de l’accepter à des conditions qui n’ont aucune liaison avec son but général, et auxquelles on pourrait faire les objections les plus raisonnables.

« J’avais, non sans grande raison apparente, conçu l’espoir que les communications que j’ai eu l’honneur de transmettre à la législature provinciale, auraient été reçues par elle comme une preuve satisfaisante du vif désir de sa Majesté de gratifier, autant que possible, les vœux de ses sujets canadiens, et que des propositions faites dans cet esprit de conciliation sans réserve, auraient été reçues dans la même disposition. C’est avec regret que je les vois accueillies par de nouvelles prétentions, avancées dans une forme que je ne puis concilier ni avec les usages parlementaires, ni avec le respect dû à sa Majesté par les autres branches de la législature coloniale. Tout en reconnaissant volontiers les droits des deux chambres de l’assemblée générale, le roi n’en est pas moins tenu de maintenir les siens, surtout, lorsqu’on tente de les envahir sous une forme et d’une manière dérogatoire à la dignité de son poste élevé. »

Ce n’était pas la première fois que le conseil législatif avait, par inadvertance, pour ne pas dire par ignorance des usages parlementaires, concouru à un bill de l’assemblée inacceptable, ou sujet à objection, la chose lui était arrivée, lors même qu’il y avait encore des juges dans son sein.

Pour retourner un peu en arrière, M. D. Mondelet, un des représentans du comté de Montréal, venait d’être nommé conseiller exécutif honoraire, ou sans appointemens, comme l’avait été M. Phil. Panet, l’année précédente, et c’était lui qui avait présenté les messages relatifs au bill de subsides et à M. Christie. M. Bourdages, qui venait d’obtenir que le gouverneur fût censuré par la chambre, et à qui revenait une bonne partie de la censure, ou désapprobation contenue dans ces messages, n’espérant pas, apparemment, faire censurer le roi ou son ministre, sembla vouloir s’en venger sur le messager même ; car la lecture ne fût pas plutôt terminée, qu’il proposa de résoudre, « que les entrées des journaux du 15 février, 1832, contenant des résolutions touchant les membres qui acceptent des emplois sous le gouvernement et qui deviennent comptables des deniers publics, soient maintenant lues. Il voyait qu’on voulait violer les droits de la chambre, la nomination de M. Mondelet menaçait, selon lui, la liberté de ses membres ; il fallait arrêter le mal à son origine. »

Malgré une explication par laquelle M. Mondelet prouva qu’il ne devait pas recevoir d’émolumens comme conseiller exécutif, et qu’il n’était pas devenu comptable des deniers publics, la lecture fut accordée, et le siége de M. Mondelet déclaré vacant.

Quelque chose de plus odieux, ou de plus grave, que l’expulsion d’un membre, en vertu de simples résolutions qui même ne l’atteignaient pas[21], devait occuper oiseusement et dispendieusement une grande partie de la session. Il avait été présenté à la chambre d’assemblée une pétition de « certains habitans de Montréal », dans laquelle l’acte constitutionnel généralement, et le conseil législatif, particulièrement, étaient traités et jugés d’après les déclamations révolutionnaires de la session de 1831 et les écrits inflammatoires de la fin de cette année et du commencement de la suivante[22]. Il était aussi parlé, en général, de la dernière élection du quartier-ouest, et en particulier de la conduite, des vues et des intentions des magistrats, de Montréal, avant et après la malheureuse affaire du 21 mai, à peu près comme la Minerve s’était permis d’en parler, depuis cette époque[23]. Cette pétition avait tout l’air d’être le fruit de la maxime, que tout est permis en politique, ou d’un esprit de parti aveugle et aveuglant, ou enfin, d’un patriotisme exalté au point de ne laisser plus la faculté de distinguer le vrai du faux, le juste de l’injuste. &c.[24]

« Nous concevons, disent les pétitionnaires, que la proposition de rendre le gouvernement électif dans tous les départemens... serait le moyen assuré de procurer à la province, en liaison et sous la protection de la Grande-Bretagne, un long avenir de prospérité, de paix et de contentement, ce changement ne pouvant s’opérer facilement qu’avec le concours et le consentement de la métropole, vos pétitionnaires prient votre honorable chambre de faire les plus fortes et les plus justes représentations pour solliciter cet avantage, et croient devoir suggérer que le moyen le plus prudent de l’opérer ne serait pas de solliciter que le parlement de la Grande-Bretagne modifiât lui-même l’acte constitutionnel, mais qu’il autorisât la convocation d’une convention toute élective, à laquelle serait conféré le pouvoir de proposer au dit acte les amendemens qui lui paraîtraient les plus propres à faire naître et procurer le bon gouvernement de la province. » &c.

La pétition contenait d’autres demandes, d’autres suggestions qui n’étaient guères plus raisonnables ; mais ce qu’elle disait de l’émigration, et par suite de l’introduction du choléra et d’autres maladies contagieuses, n’était pas aussi ridicule que quelques journalistes anglais le voulaient donner à entendre. Une émigration sur un plan aussi étendu que le fût celle de 1832, qui, dans des temps ordinaires aurait pu être avantageuse à la province supérieure, ne pouvait pas être telle pour l’inférieure, forcée, de recevoir, de loger, de nourrir et de soigner, à ses propres frais, une multitude prodigieuse d’indigens et de malades[25].

Cette pétition ayant été rendue publique, au moyen de l’impression, il semble que tous ceux qui avaient à cœur le bien du pays eussent dû s’empresser d’adresser une pétition au conseil législatif, et une contre-pétition à l’assemblée, pour exposer à ces corps la vérité, réfuter les assertions dénuées de fondement, et aller à la source de tout le mal moral dont on était témoin. On n’en avait rien fait ; soit qu’on s’en fût rapporté aux nombreux documens qui étaient entre les mains des autorités et du public ; soit qu’on n’eût pas cru pouvoir compter sur l’impartialité de la chambre d’assemblée, toute la teneur de la pétition cadrant avec les vues et les idées bien connues de son orateur et d’une partie de ses membres influents.

L’enquête sur l’affaire du 21 mai fut commencée sous de tristes auspices, avec, semblant de croire, et le but apparent de faire croire bien fondés, les allégués de la pétition de « certains habitans de Montréal ».

« Le 3 décembre, M. Leslie, secondé par M. Bourdages, fit motion que la chambre se formât en comité le 10, sur « l’affaire du 21 mai », et que la partie de la requête des citoyens de Montréal qui avait rapport à cette affaire, fût renvoyée au dit comité, ainsi que les documens y relatifs transmis par le gouverneur. » Etc.

Jusque-là, point de réclamations, la requête ayant été reçue par la chambre, nonobstant sa teneur et son style, il s’en suivait qu’elle voulait s’en occuper ; mais M. Leslie, toujours secondé par M. Bourdages, ayant fait motion que cinq individus, parmi lesquels étaient un parent de M. Papineau et le magistrat qui avait émané l’ordre d’amener contre le colonel McIntosh et le capitaine Temple, paraissent, le 10, devant le comité, il s’en suivit de fortes réclamations et des débats animés, dans lesquels les uns qualifièrent la conduite de M. Leslie comme étrange, partiale et imparlementaire, et les autres comme étant conforme à la procédure ordinaire de la chambre, ou convenable à l’occasion.

Le 10, M. Leslie, secondé par M. Turgeon, fit motion que MM. J. M. Mondelet, (le coroner), C. S. Cherrier, A. Jobin et J. F. Trudeau comparussent devant le comité général, le 17. Point de discussion, ce jour-là, mais le lendemain, les débats furent longs et plus animés qu’ils ne l’avaient été le 3, M, Stuart ayant demandé à M. Leslie quelles étaient ses vues, ses intentions, s’il voulait inculper le coroner, les jurés, etc, et ce dernier lui ayant répondu « que le but de l’enquête était de découvrir la vérité sur les événemens du 21 mai, et d’examiner les plaintes contenues dans la pétition, pour, si elles étaient fondées, prévenir la répétition des scènes qui s’étaient passées. » M. Stuart ne trouva pas cette explication suffisante. « Les lois, dit-il, pourvoient à la punition des offenses. La chambre va-t-elle remplacer les tribunaux ?… c’est s’arroger une autorité illégale, subversive de la loi… Les lois ne donnent point le pouvoir qu’on veut faire usurper à la chambre. Quand une pétition serait signée de 30, 40, 50,000 personnes, que pourrait-elle signifier ? c’est la loi seule qu’il faut écouter. Une enquête tracassière comme celle-ci tend à renverser la loi du pays, le gouvernement et la justice. »…

Cette résistance inattendue, cette opposition, (de raison, cette fois,) à l’enquête qu’on voulait faire sur « les causes des événemens désastreux qu’on avait à déplorer », fournit à M. Papineau l’occasion d’un long discours, « prononcé avec chaleur », qu’il fût « impossible de rapporter en entier », mais qui fût rapporté assez au long pour y faire voir ou soupçonner un but bien moins louable et tout autre que celui de connaître eu de faire connaître la vérité. Ayant dit, en finissant, qu’il était sûr de la coopération de ceux qui étaient vraiment canadiens, comme de l’antipathie de ceux qui ne l’étaient pas, M. Stuart reprend la parole : « L’orateur, dit-il, veut créer des distinctions nationales ; si l’on doit éprouver des alarmes, c’est lorsqu’il parle de la sympathie des Canadiens et de l’antipathie des Anglais. L’orateur ne doit pas agiter ainsi les esprits ; c’est lui qui cause de l’effroi, quand il devrait donner l’exemple de la modération. La position qu’il prend ne convient pas à sa dignité. »…

La sortie de M. Stuart contre l’orateur ; son opposition à l’enquête, déplaisent fort à M. Elzéard Bedard, nouveau membre, qui juge que « les documens fournis à la chambre doivent couvrir de honte les autorités », et qui veut voir si le gouverneur a engagé les officiers de la couronne à sacrifier leur devoir ; si son Excellence a donné instruction au solliciteur-général de sauver les militaires et les magistrats, en contrôlant les procédés, qu’on pourrait adopter contre eux. »

M. Leslie ayant répondu à une question de M. Young, « qu’il ne cherchait ni à inculper ni à disculper, mais seulement à découvrir la vérité », M. Power en prit occasion de dire, remarquablement : « Il est étonnant d’entendre des membres demander ce dont il s’agit : qu’ils jettent les yeux sur la pétition, et ils le sauront. Le sang a été répandu ; le pays demande une enquête à cette chambre, et s’adresse au Ciel pour obtenir vengeance… Il faut qu’il y ait une enquête[26]. Lorsqu’on a appelé les troupes près du lieu où se tenait le poll, il n’y avait eu aucun édifice de détruit. »…

Quelquefois, la chaleur des débats sur cette question dégénérait en altercations bruyantes, pour ne pas dire, en querelles personnelles. Ce même jour, 11, décembre, le solliciteur-général Ogden se laissa aller à un emportement violent, et s’oublia au point de traiter de félon un de ses collègues, (M. Lafontaine), et de se mettre dans la nécessité de demander excuse à la chambre, et même de faire bon gré mal gré, l’éloge du membre qu’il avait injurié.

Le 17, « il y eût d’autres discussions, ou conversations animées sur la manière de procéder », qui paraissait à quelques-uns irrégulière, à d’autres étrange, ou étrangement partiale.

Mais voyons encore la chambre d’assemblée en rapport avec le pouvoir exécutif. Le 21 décembre, sur motion de M. Bourdages, il fut présenté au gouverneur une adresse, dans laquelle son Excellence était priée de vouloir bien faire connaître à la chambre d’assemblée « s’il lui a plu, depuis la dernière session du parlement et à quelle époque, recommander une augmentation du nombre des membres du conseil législatif, quelles personnes il a recommandées au gouvernement de sa Majesté pour cette nomination, et s’il est probable que, d’après cette recommandation, les dites personnes seront bientôt appelées au dit conseil. »

Lord Aylmer fit au porteur de cette adresse la réponse suivante :

« Les journaux de la chambre d’assemblée prouvent amplement combien je suis disposé à me rendre aux désirs de cette chambre. En cette occasion pourtant, je crois nécessaire d’exprimer le désir que la chambre soit informée qu’il est de mon devoir de maintenir la dignité de la charge élevée qu’il a gracieusement plu à sa Majesté de me confier dans cette colonie, et que, considérant que je ne pourrais, sans manquer à ce devoir, me rendre à la demande contenue dans l’adresse, qui vient d’être présentée, je ne puis consentir à informer la chambre, si, » &c.

Une adresse non moins inconvenante est celle qui fut votée sur motion de M. Neilson, pour demander au gouverneur toute communication reçue d’Angleterre, au sujet de l’occupation continue du collége des Jésuites, ou toute autre information qui pourra mettre en état de former une opinion sur la durée probable de cette occupation.

Le gouverneur répondit qu’il n’avait reçu sur le sujet aucune communication autre que celle qu’il avait mise devant la chambre, dans la session précédente. Il y avait ou paraissait y avoir, parfois, dans les adresses de la chambre au gouverneur, quelque chose de plus qu’une indiscrète ou inconvenante curiosité. Lord Aylmer eût à faire à une de ses adresses la réponse suivante :

« J’ai à exprimer le regret que je ressens de ce que des considérations de convenance m’empêchent de me rendre à la demande que m’a faite la chambre d’assemblée, de lui faire tenir toutes les communications à moi faites par le bureau de santé, à l’égard de la conduite de l’officier de santé, à Québec, et tous les documens reçus du dit officier, en réponse ou explication, et tout autre renseignement ayant rapport à la destitution du Dr. Tessier, &c.

« La constitution a revêtu les diverses branches de la législature de certaines prérogatives dont le libre exercice est essentiel pour mettre chacune d’elles en état de remplir ses fonctions particulières. La chambre d’assemblée a reconnu pour elle même ce principe et a agi en conséquence, en plus d’une occasion, et sans expliquer d’avantage un sujet d’une aussi grande délicatesse constitutionnelle, il suffira peut-être de remarquer que l’intervention des diverses branches de la législature l’une à l’égard de l’autre, dans des matières liées avec leurs prérogatives et leur priviléges respectifs, doit tendre évidemment, si l’on y persévère, à troubler l’harmonie qui devrait régner entre elles, et qui est si essentielle au bien public. Ça été dans la prérogative indubitable de la couronne, que le Dr. Tessier a été destitué d’office.”

La curiosité déplacée de la chambre d’assemblée induisit une fois lord Aylmer à lui mettre sous les yeux ce que, par un sentiment de délicatesse, il n’avait pas d’abord, jugé à propos de lui communiquer, comme lui étant plus qu’inutile, la dernière partie d’une lettre du lieutenant-colonel McIntosh au secrétaire militaire[27].

Dans le cours d’un débat, M. Papineau donna à entendre qu’après l’affaire du 21 mai, il avait écrit au gouverneur une lettre d’une certaine teneur, à laquelle son Excellence n’avait pas fait toute l’attention que, selon lui, elle méritait. Il prit envie à la chambre de voir cette lettre, et elle en demanda une copie au gouverneur, par une adresse dans laquelle elle demandait aussi à son Excellence des informations dont on connaîtra la teneur par la réponse suivante ;

« En réponse à la dernière partie de l’adresse de la chambre demandant qu’on lui fournisse des copies de tout rapport, si tel il y a, du solliciteur-général, dans lequel il aurait pu suggérer la convenance de mesures additionnelles de précaution, ou de tout autre rapport, renseignement, ou correspondance, suggérant des mesures particulières de précaution, de la part, soit des autorités civiles soit des autorités militaires, qui ont induit son Excellence à augmenter la garnison de Montréal », le gouverneur-général croit qu’il suffit d’informer la chambre, que la mesure de précaution ci-dessus mentionnée d’augmenter la garnison de Montréal, a pris naissance dans la suggession de son ardent désir d’appaiser les alarmes des habitans paisibles de Montréal, et de pourvoir à la sûreté de leurs personnes et de leurs biens. »

À l’égard de la lettre de M. Papineau, « au sujet des troubles qui avaient eu lieu récemment à Montréal, et contenant des suggessions, quant à la conduite que le gouverneur devait tenir, en cette occasion, son Excellence informait la chambre que : « comme l’auteur de cette lettre, (quoique sa situation d’orateur de la chambre d’assemblée lui donnât droit à toute l’attention que prescrivent les règles de la civilité), n’était revêtu d’aucun caractère public ou officiel, de nature à justifier le gouverneur-général à entrer en correspondance avec lui sur un sujet d’une importance aussi grave, embrassant la responsabilité du gouverneur dans l’exercice des fonctions de son office élevé, la dite lettre avait été traitée comme une communication privée, et n’avait pas été, en conséquence, placée parmi les documens officiels dans le bureau du secrétaire civil, mais qu’il avait cependant beaucoup de satisfaction à informer la chambre qu’il avait réussi à la trouver parmi ses papiers privés, et que comme la chambre paraissait y attacher quelque intérêt, une copie en ayant été demandée dans son adresse, il la transmettait en original. »

Le gouverneur ayant été prié par adresse sur motion de M. Bourdages, de vouloir bien communiquer à la chambre les circonstances et les raisons qui avaient retardé l’exécution d’un warrant et l’émanation d’un writ pour l’élection d’un représentant pour le comté de Montréal, son Excellence répondit par message, comme il apparaîtra par une dépêche du ministre des Colonies sur le sujet.

En même temps que la majorité de l’assemblée voulait faire élire un membre pour le comté de Montréal, en remplacement de M. Mondelet, inconstitutionnellement privé de son siége, elle refusait pour des raisons à elle connues de faire remplir le siége vacant du quartier-ouest de Montréal[28].

La chambre ayant demandé au gouverneur s’il avait reçu quelque avis d’Angleterre, au sujet du bill intitulé : « Acte pour incorporer certaine personnes, sous le nom de Banque de la Cité », et son Excellence ayant fait tenir un extrait d’une dépêche de Lord Goderich, contenant les raisons pour lesquelles ce bill n’avait pas été sanctionné par le roi, il fût sur motion de M. De Witt, voté une adresse au gouverneur, « le priant d’informer la chambre quand il a reçu la dépêche ayant rapport au bill de la Banque de la Cité, et quelle est la date de cette dépêche[29] ».

Lord Aylmer répondit (en substance), qu’il devait refuser de faire savoir à la chambre en quel temps il avait reçu la dépêche en question, et quelle en était la date.

Sur motion de M. Leslie, il fût voté une adresse multiforme, etc., dont le contenu apparaîtra par le message suivant :

« En réponse à l’adresse dans laquelle la chambre d’assemblée demande à être informée, si en conséquence de l’information contenue dans l’affidavit du lieut.-colonel McIntosh, en date du 1er juin, les mots duquel affidavit sont cités dans le premier paragraphe de la dite adresse, il a plu au gouverneur d’instituer une enquête pour constater la vérité de ce qui est rapporté, le gouverneur informe la chambre qu’aucune telle enquête n’a été instituée par un ordre, sur les circonstance ainsi rapportées, et de plus, qu’il ne considère pas que le magistrat dont le nom se rencontre dans l’affidavit du lieut.-colonel McIntosh ait été coupable d’un acte de légèreté, ni de dessein malicieux, pour irriter ou égarer cet officier, et le gouverneur pense qu’il est nécessaire, en outre, d’informer la chambre, qu’il ignore qu’il y ait aucunement lieu de supposer que le lieut.-colonel McIntosh ait été irrité ou égaré par un individu quelconque, en cette occasion, mais qu’il est assuré que le lieut.-colonel McIntosh, en se conformant à la demande ou aux directions des magistrats, a agi, sous tous les rapports, comme il lui convenait de le faire, et a fidèlement rempli son devoir, comme un officier militaire et un bon sujet du roi[30].

« En réponse au second paragraphe de l’adresse de la chambre, demandant à être informée », &c., le gouverneur en chef informe la chambre que, dans le cas où l’intervention du pouvoir exécutif pourra devenir nécessaire pour donner effet aux lois de la province, le gouverneur sera toujours prêt à agir, d’après les circonstances, à son meilleur jugement.

« En réponse au troisième paragraphe de l’adresse, le gouverneur informe la chambre d’assemblée que s’il était amené à sa connaissance quelque circonstance qui pourra rendre expédient d’émaner une proclamation royale, il prendrait la chose en considération.

« En réponse au quatrième paragraphe de l’adresse le gouverneur assure la chambre d’assemblée, que le gouvernement de sa Majesté est en pleine possession de tous les documens, qui, en différens temps, dans le cours de la présente session, ont été communiqués à la chambre par le gouverneur-général.

« En réponse au cinquième paragraphe de l’adresse le gouverneur informe la chambre que, désirant lui procurer tous les renseignemens en son pouvoir, il a demandé aux officiers en loi de la couronne leur opinion pour savoir si le statut de la 1ère Geo. I, chap. 5, est ou n’est pas en force dans cette province, et que ces officiers publics concourent à l’avis que le dit statut est en force dans cette province, et forme partie du droit criminel du pays, introduit en cette province par l’acte de la 14e. Geo. III, chap. 87, section 11. »

Parmi les adresses dont le gouverneur était accablé, plusieurs semblaient n’avoir d’autre but que de fatiguer, vexer, irriter son Excellence, par le sarcasme, la censure indirecte ou l’importunité. L’esprit de haine ou de vengeance parut donner naissance à une adresse d’un autre genre. M. G. H. Ryland, greffier assistant du conseil législatif, et fils de l’honorable H. W. Ryland, avait commis, par un motif, sinon louable du moins excusable, ce qu’on pouvait appeler un acte d’indiscrétion, ou d’irréflexion[31] ; mais qui fut qualifié de crime par M. Morin, et regardé comme un mépris de la chambre et une haute infraction de ses priviléges par M. Bourdages, qui parvint à faire résoudre ainsi qu’il apparaîtra par le message suivant :

« La chambre d’assemblée ayant déclaré que l’acte imputé à M. Ryland constitue un mépris de la chambre et une haute infraction de ses priviléges, il était assurément en son pouvoir de venger sa dignité, en infligeant à tel infracteur la punition qu’elle peut légitimement faire subir en pareille occasion. Dans le cas présent, néanmoins, la chambre parait s’être abstenue de recourir à la voie de punition contre la partie impliquée, et pour des raisons que le gouverneur ignore, elle juge à propos de s’adresser au gouverneur pour lui demander d’imposer l’extrême punition qu’il a le pouvoir d’infliger, par la destitution immédiate de M. Ryland, de tout office de profit et d’honneur qu’il peut tenir maintenant sous le gouvernement de sa Majesté. On demande par là au gouverneur d’interposer son autorité, et d’infliger une punition pour une offense commise contre la chambre d’assemblée, qui a le pouvoir de punir, (à ce qu’on doit supposer,) d’une manière proportionnée à l’offense. Pour cette raison principalement, le gouverneur refuse d’exercer l’autorité dont il est revêtu… Le gouverneur pense qu’il est nécessaire de remarquer que le document qui accompagne l’adresse de la chambre, est exclusivement criminatoire, et en l’absence de toute preuve, ou de toute pièce de la part de la partie accusée, on peut croire, (quoique le gouverneur ne puisse supposer que tel est le cas), qu’elle n’a pas été entendue. Cette circonstance aurait pu empêcher le gouverneur d’infliger à M. Ryland la punition extrême que la chambre demande[32]

Cependant, M. Bourdages, battu dans la session précédente, était revenu à la charge, le 10 janvier, contre le conseil législatif, et le 15, la chambre adopta, à la majorité de 34[33] contre 26[34], les propositions suivantes.

« Du moment, où, d’après les capitulations, les habitans du Canada devinrent sujets britanniques, ils eurent droit de jouir du système représentatif[35], et des droits politiques des sujets anglais.

« La disposition de l’acte de la 31e Geo. III, chap. 31 qui revêt sa Majesté du pouvoir insolite, contraire aux principes de la constitution britannique, de composer à son gré, une branche entière de la législature provinciale[36] est incompatible avec les principes d’un gouvernement libre.

« L’expérience de plus de quarante années a démontré que la constitution et la composition du conseil législatif de cette province n’ont pas été, et ne sont pas propres à procurer à cette province le contentement et le bon gouvernement d’icelle, ni dès lors à favoriser le développement de ses ressources et de son industrie.

« Il est urgent que cette chambre s’adresse au parlement impérial pour solliciter la passation d’un acte autorisant la convocation d’une convention toute élective, choisie par les électeurs actuels des comtés, cités et bourgs, envoyant des délégués en nombre égal à celui des représentans qu’ils envoient au parlement provincial, avec pouvoir et autorité de proposer au dit acte de la 31e Geo. III, chap. 31, tels amendemens qui leur paraîtront les plus propres à faire naître et procurer la paix, le contentement et le bon gouvernement de la province, sous la protection et l’autorité de la métropole, et par là même assurer et perpétuer la reconnaissance et la durée de l’attachement de la colonie pour la mère-patrie, qui lui aurait conféré un aussi inestimable bienfait. »

M. Leslie avait fait motion, en amendement, de retrancher tous les mots après « passation d’un acte », et d’y substituer les suivants : « pour amender l’acte de la 31e Geo. III, en statuant que personne ne sera membre du conseil législatif du Bas-Canada, sans avoir résidé au moins quinze ans dans la province, et sans avoir un revenu net de £500 par an, au moins, provenant de biens-fonds situés dans la province. « Négativé, pour 2, (MM. Leslie et Hamilton) ; contre, 58. »

Le « rapport du comité nommé pour s’enquérir des changemens à faire dans la constitution du conseil législatif du Bas-Canada », est une des œuvres les plus chétives qui se trouvent couchées sur les journaux de la chambre d’assemblée, mais si l’impéritie, l’inexpérience politique et législative sont ce qu’il y a de plus apparent dans ce rapport, on voit quelque chose de pis dans le cinquième rapport du comité des priviléges et élections, dont M. Bourdages était le président. Ce rapport fût, par sa teneur et sa diction, dérogatoire au corps qui l’adopta : on y traita « sans cérémonie », le gouverneur d’ignorant ; on l’y accusa d’avoir violé la constitution et les lois de la province, et enfreint les priviléges de l’assemblée, en empêchant pendant longtems et jusqu’à ce jour, la représentation du comté de Montréal, et l’on y dit, en dernier lieu :

« Dans ces circonstances, qui doivent détruire tout sentiment de confiance entre le gouverneur et la chambre d’assemblée, elle devrait peut-être suspendre tout procédé ultérieur et toute communication avec son Excellence jusqu’à ce qu’il lui ait fait une réparation pour cette infraction de ses droits et priviléges. La seule circonstance qui puisse l’empêcher de communiquer ces résolutions au gouverneur en chef, est l’indispensable nécessité où elle se trouve de passer un bill en vue de prévenir le retour du choléra morbus, ou d’en diminuer les ravages. »

Mais il faut retourner un peu en arrière, pour suivre la chambre dans ses débats et ses autres procédés historiques ou anecdotiques.

L’importante découverte faite en 1832, au sujet de l’acte constitutionnel en général, et du conseil législatif en particulier, l’enquête sur le 21 mai, le bill de l’indépendance des juges et celui des subsides, furent les sources les plus fécondes des dits et faits qu’il nous reste à rapporter en substance.

M. Bourdages avait découvert en 1831, et il rappela en 1833, « l’arrogance » d’une branche de la législature « qui s’arrogeait » le droit d’en constituer une autre, laissant à d’autre à trouver le terme propre à qualifier le dessein manifesté par la chambre basse de notre législature de détruire la chambre haute. M. Papineau répéta avec amplification, en 1833, ses divagantes et virulentes déclamations de 1831, contre le gouvernement et le conseil législatif, et fût combattu principalement par M. Stuart. « Il ne s’agit pas », dit ce dernier, en réponse à ces déclamations, « de savoir si la constitution se compose de bien sans mélange, mais s’il serait remédié à ses défauts par le remède proposé. On n’améliorerait pas le conseil législatif en le rendant électif. Que serait-ce, sinon diviser en deux le corps représentatif. Il est manifeste que ce serait compliquer la machine sans la perfectionner. L’honorable orateur dit que le pays demande unanimement le changement. en est la preuve ? S’il est venu des pétitions de Québec, de Montréal et d’autres parties du pays, elles n’expriment que le vœu de ceux qui les ont dressées[37]. En lisant les papiers publics, nous trouvons qu’une opinion aussi unanime ne régnait pas, en une occasion précédente, mais qu’au contraire, l’unanimité était de l’autre côté de la question… On ne trouvait à redire qu’à la composition du conseil législatif, à ce qu’il y avait trop de fonctionnaires publics. On ne peut nier que cette composition n’ait éprouvé une grande amélioration ; et cependant l’orateur dit que le conseil législatif est pire que jamais. Tant qu’il ne s’y trouva que huit ou neuf membres, presque tous dépendants du pouvoir exécutif, c’était l’âge d’or : si ces messieurs voulaient avoir une volonté à eux, ils avaient un mandat et ils acquiesçaient à une mesure qu’ils avaient rejetée d’abord. Cet heureux temps est passé, maintenant qu’une grande partie des conseillers législatifs sont des hommes indépendants. Si toute l’affaire du conseil devait se borner à enrégistrer nos actes, on y parviendrait aisément, en le rendant électif, mais il a des fonctions plus hautes et plus importantes à remplir[38]

M. Neilson ayant demandé l’ajournement, M. Papineau dit que la question était agitée depuis longtems, et que chacun devait avoir formé son opinion. M. Neilson lui répond qu’il est un disciple de l’ancienne école, où il a appris à faire les choses avec délibération et maturité de jugement… que les constitutions ne se changent pas en un jour, ni en deux, ni en trois.

« Il est beau sans doute », dit un auteur moderne, « guidé par des vues philanthropiques, de chercher dans des spéculations nouvelles, à perfectionner l’ordre social ; mais il faut toujours que ces spéculations soient peu hasardées, parce qu’on ne peut mettre au hasard le sort des peuples et il faut toujours que l’on soit prêt à abandonner tout système, toute prétendue théorie que l’expérience signale comme fausse, dangereuse ou impraticable. »

Nous ne parlerons pas du débat chaleureux occasionné par l’apparition du nommé Beneche dit Lavictoire, comme témoin dans l’affaire du 21 mai, non plus que de l’altercation entre M. Leslie et M. Young, qui pensa coûter à ce dernier la peine de l’expulsion[39] ; mais nous dirons que M. Benjamin Delisle fut envoyé en prison pour le reste de la session, en vertu d’une résolution « foudroyante » et superlativement hyperbolique[40], et qu’on parla de faire subir la même peine au colonel Eden, député adjudant-général, pour avoir dit qu’il ne pouvait remettre sans la permission du gouverneur, ou commandant des forces, un papier qu’on lui demandait[41]. La permission qui lui fût finalement donnée par le gouverneur, de remettre le papier en question empêcha seule, peut-être, que les choses ne fusent poussées aux extrémités, d’après les exemples de la Jamaïque, en 1808, et du Haut-Canada, en 1828[42]. Le détail de ce qui se passa et se dit, en cette occasion avait tout l’air d’avoir été emprunté aux pages d’un extravagant romancier, qui aurait pris son sujet dans le moyen-âge, ou chez un peuple à peine civilisé.

Quelques jours avant ce brouhaha, une altercation très vive et des inculpations réciproques entre M. Papineau et M. Cuvillier, amenées encore par l’enquête sur l’affaire du 21 mai, avaient paru menacer de conséquences sérieuses, et plus tard, M. Ralph Taylor, membre pour le comté de Missiskoui, subit un emprisonnement de 24 heures, pour avoir voulu repousser injurieusement dans une gazette, les injures proférées par « M. l’orateur Papineau », dans la chambre, contre ses constituans.

Dans le nouveau bill de l’indépendance des juges, etc., présenté par M. Quesnel, dans le cours de janvier, « on avait retranché les clauses qui avaient été regardées comme étrangères au sujet par le ministre des colonies, et l’on avait fait un bill séparé pour l’institution d’un tribunal pour juger les accusations publiques !

Cette explication, donnée par M. Quesnel, loin de satisfaire M. Papineau, provoqua de sa part une diatribe, dans laquelle les assertions notoirement fausses, les accusations, particulièrement contre les juges, sont comme entassées, sans parler d’une espèce de nota béné, par lequel M. Quesnel est menacé indirectement de la perte de son siége.

En défendant son bill, M. Quesnel se contenta de faire voir « le peu de fond et de consistance qu’il y avait dans les argumens de M. Papineau, combien ses raisonnemens étaient peu logiques, comme il se mettait en contradiction avec lui-même », et de rire de sa menace, qui pourtant devait avoir son effet, mais M. Neilson, après avoir fait remarquer cette contradiction et cette inconséquence, réprouva fortement la manie de M. Papineau d’accuser tout le monde, ou de vouloir mettre tout le monde en jugement, sans donner à personne les moyens de se défendre.

La discussion ayant recommencé, quelques jours plus tard, M. Neilson eût encore à combattre une longue et divagante diatribe de M. Papineau, par un discours raisonné et animé, qui nous a paru mériter d’être rapporté en substance.

« M. l’orateur nous conseille de rejeter les offres qui nous sont faites par le ministère anglais, conformément aux vœux que nous avons si souvent, si longtems et si ardemment exprimés. La teneur de ce que M. l’orateur a dit est, que tout est mauvais dans ce pays ; que tout le monde y est malhonnête et sans honneur, M. l’orateur excepté. Les juges, le gouverneur, le conseil législatif, les membres même de cette chambre, tombent sous sa férule. Il est vrai qu’il avoue que les juges canadiens que nous avons sont d’honnêtes gens ; mais il n’y a qu’eux. Il dénonce en gros tout ce que nous avons appris à regarder comme honorable, juste et raisonnable, et qui en dépit de ses dénonciations continue à être regardé comme tel par notre postérité. Il va au point de désirer le renversement de la constitution, et il ne voit pas la folie de s’attendre que le gouvernement d’Angleterre consentira à des changemens qui convertiraient ce pays en une république anarchique, romperaient notre liaison avec la métropole, et nous jetteraient dans les bras des États-Unis. La folie et la perversité de ces plans extravagants deviendront de jour en jour plus apparents. Nous pouvons lasser la patience du gouvernement britannique, et perdre les avantages qui nous ont tant coûté à acquérir… Il y a des défauts dans toutes les constitutions, dans tous les gouvernemens… Il y a des défauts même dans cette chambre, et l’un d’eux est de faire de longues déclamations, attaquant, tantôt le gouverneur, tantôt le conseil législatif, tantôt les ministres et le gouvernement d’Angleterre. Tous sont flagellés, tous doivent avoir leur tour, à tort ou à droit. L’honorable orateur se flatte qu’une grand révolution va avoir lieu en Angleterre, et que les conséquences s’en étendront en Canada ; j’ai l’honneur de connaître la nation anglaise, de connaître un nombre de ses plus gens de bien, de ses hommes d’état et de ses patriotes, et je connais leur attachement et leur vénération pour les anciennes institutions de leurs pays. M. l’orateur peut être assuré que réforme en Angleterre ne signifie pas révolution. »

Jusqu’à cette session, presque jusqu’à cette époque de la session de 1833, M. Neilson avait toujours marché de compagnie avec M. Papineau ; il avait semblé voir de l’œil de l’indifférence, sinon de la complaisance, ses plus grands écarts ; il avait entendu, sans presque jamais rien dire, ses plus violentes déclamations. M. Cuvillier avait toujours été un des premiers à proposer M. Papineau pour orateur ; et dans la session à déclamations irrationnelles de 1831, il s’était montré un de ses plus zélés co-adjuteurs. Ces membres influents ne cessèrent, malheureusement, de lui faire cortége et de lui prêter aide que quand ils s’aperçurent qu’il les conduisait par une voie qui aboutissait à un précipice.

Il n’en était pas ainsi de M. Stuart ; depuis de longues années, il se maintenait ferme et inébranlable dans la position constitutionnelle et patriotique qu’il avait prise d’abord, s’opposant à tout ce qui lui paraissait s’écarter de la légalité et de la convenance parlementaire, de quelque côté que vînt le tort. On l’a déjà entendu plusieurs fois, dans cette session ; peut-être ne sera-t-on pas fâché de l’entendre encore une fois, caractérisant l’enquête sur le 21 mai, 1832, et l’éloquence de M. Papineau :

« Je saisirai cette occasion pour dire que, depuis le commencement jusqu’à la fin, j’ai cru que cette enquête n’était pas digne de ma présence, en voyant que des hommes téméraires et dangereux s’y étaient immiscés, et se laissaient emporter, comme on l’a vu souvent, aux passions haineuses et à l’esprit de parti. Je ne suivrai pas l’orateur dans ses longs discours, qui contiennent tant de déclamations et d’écarts, qu’il faudrait un fil pour le suivre, comme pour sortir du labyrinthe. Je ne suivrai pas cette enquête, parce que je l’ai vu conduite avec un degré de passion qui est… Je ne prononcerai pas le mot qui pend sur mes lèvres, pour la qualifier ; mais je dirai que c’est poluer la fontaine de la justice que d’essayer d’influer sur l’esprit des membres, en déclarant ouvertement que des gens sont coupables de meurtre volontaire, et cela, sans que ces gens subissent leur procès et aient l’occasion de se défendre. J’ai entendu faire l’éloge des talents oratoires de M. l’orateur, mais, à voir la manière dont ces talents sont pervertis, Dieu me garde de pareilles éloges. Je suis surpris de voir un homme, comme M. l’orateur, s’abandonner à des sentimens violents et passionnés. Je ne me plains pas de l’enquête ; je la désire même ; mais je me plains de la violence et de la partialité qui la souillent et la déshonorent. Bien loin que cette enquête puisse conduire aux fins de la justice, elle renverse toutes les bornes de la justice et de la convenance. Les membres assis de l’autre côté me paraissent être des inquisiteurs, siégeant, non dans la vue de s’enquérir, mais dans la vue de condamner.

« Pour revenir à la pollution de la justice, dont je viens de parler ; qu’est-ce autre chose que le langage violent de l’orateur, qui nous noie ici dans des torrens de déclamations d’écolier, de ruisseaux de sang coulant dans les rues, de massacres et de meurtres. Est-il un homme, qui, la main sur la conscience, oserait accuser le colonel McIntosh de meurtre volontaire ? Toute la session a été employée à cette enquête, et l’honorable orateur et son honorable coadjuteur en répondront au pays. »

Les affaires de finance devenaient plus embrouillées, plus difficiles à traiter que jamais, depuis que la chambre d’assemblée avait refusé d’octroyer une liste civile de £5,900, en retour de toutes les concessions qui lui avaient été faites, ou offertes. Le roi ayant déclaré qu’en conséquence de ce refus « péremptoire et sec », il ne ferait plus revivre la question d’une liste civile, mais qu’il y pourvoirait au moyen des fonds que la loi avait mis à sa disposition, les salaires ou appointemens auxquels cette liste civile devait subvenir n’avaient pas été inclus dans l’estimation des dépenses de l’année. La chambre aurait voulu savoir précisément « quels étaient les fonds que le gouvernement de sa Majesté prétendait être à la disposition de la couronne, en cette province ; au moyen de quels fonds le gouvernement de sa Majesté entendait défrayer les salaires mentionnés dans le projet de liste civile, qu’elle avait rejeté sèchement, prétendant encore que malgré ce rejet « sec et péremptoire » tout le revenu de la province devait être et était de droit sous son contrôle, convertissant ainsi tout le revenu provincial en aides, ou subsides, refusables, à sa volonté, et s’arrogeant, conséquemment, un pouvoir que n’a pas la chambre des communes d’Angleterre, celui d’arrêter d’un coup la marche du gouvernement et l’administration de la justice.

Malgré les diminutions, restrictions et conditions avec lesquelles les subsides devaient être offerts, dans un bill de forme nouvelle et coercitive, l’orateur, et quelques autres membres furent d’avis de les refuser entièrement, apparemment pour faire voir à l’Angleterre quel usage ils prétendaient faire du surcroit de pouvoir et d’influence qu’ils lui demandaient, et quelle reconnaissance ils auraient de cet « inestimable bienfait ». ”

Après des débats animés et de virulentes déclamations, M. Papineau parvint à entraîner un peu plus de la troisième partie des membres présents, 27[43], 68 ayant voté pour le refus absolu. C’était une marque, qu’il y avait eu progrès en son sens dans la chambre, ou que l’esprit de parti était passé à l’esprit de révolution.

Mais quelle était la teneur de l’octroi pour lequel votèrent la majorité des membres, la plupart, sans doute, pour, entre les deux écueils, se jetter sur celui qui leur paraissait le moins dangereux ? Une offre dérisoire, sous la forme d’un bill de subsides pire que tous ceux qui, jusqu’alors, avaient été repoussés par le conseil législatif. Il retranchait arbitrairement un nombre de salaires, en diminuait d’autres considérablement, et mettait à d’autres des conditions qui, non-seulement les rendaient inacceptables, mais pouvaient être regardées comme des reproches ou une censure indirecte. Il était tel, enfin, que la chambre elle-même ne pouvait pas s’être attendue que le conseil législatif voulût s’en occuper ; aussi avait-elle eu, cette fois, le besoin de pourvoir à la paix de ses membres par un bill séparé.

En refusant directement ou indirectement, ou diminuant des appointemens nécessaires, la chambre ne songea nullement à diminuer l’énorme salaire de son orateur : pour avoir le prétexte de le lui conserver entier, elle vota illusoirement, ou dérisoirement £1000 au président du conseil législatif, (juge en chef de la province), pourvu qu’il n’eût pas d’autre emploi sous le gouvernement ; et loin de vouloir diminuer le salaire de son agent en Angleterre, à qui, sans le concours des autres branches de la législature, elle avait alloué £1000, la première année et £1,500, la seconde, elle voulut lui allouer, cette année, £1,700. Le conseil législatif avait réclamé et protesté, d’abord, contre l’octroi, dans cette session ; M. Stuart ôsa s’élever et contre l’octroi, et contre la mission même[44].

M. Bourdages ayant proposé que M. Viger fût continué encore une année, comme agent de l’assemblée en Angleterre, et qu’il lui fût alloué £1,700, M. Stuart, en se portant pour opposé à la mesure, dit qu’il se bornait à deux points. « En premier lieu, dit-il, je nie que la chambre ait droit d’appliquer à ses dépenses contingentes des sommes qui sont absolument étrangères à ces dépenses ; et en second lieu, je ne puis approuver la manière secrète et mystérieuse dont cette mission est conduite, où sont les instructions données et les communications faites à l’honorable monsieur ? Pendant deux années, nous avons été informés par les gazettes, et par les gazettes seules, de ce qu’il faisait ou avait à faire, il est vrai qu’on a donné communication de quelques-unes de ses lettres ; mais il n’en est pas moins nécessaire qu’on connaisse les communications qui lui ont été faites ; qu’on sache par qui et pourquoi. Je demanderai quelles communications lui ont été envoyées d’ici concernant la compagnie des terres et concernant les événemens du 21 mai, dont il paraît que l’honorable monsieur s’est aussi occupé. Nous devrions savoir quelles étaient la teneur et la tendance de ces communications. Tel ou tel membre pourra-t-il prendre sur lui de correspondre avec l’agent sans en informer la chambre ? Un membre pourra-t-il, non-seulement agir sans autorisation, mais entretenir une correspondance qui ne sera pas publiée ? Je n’entre pas dans le mérite ou le démérite de l’honorable monsieur qui est à Londres, mais j’insiste sur deux objections : premièrement, il ne peut pas prétendre au droit d’être payé sur les dépenses contingentes de la chambre, secondement, il est dangereux de continuer un agent sans être mis au fait de ses transactions. »

Si, en voulant faire envisager comme il le fit en Angletere, l’affaire du 21 mai, 1832, M. Viger n’agissait que d’après les suggestions et suivant les vues de l’orateur de l’assemblée, comme M. Stuart semblait le donner à entendre ; dans le cas du procureur-général, il agit d’après les instructions, ou suivant l’intention de cette chambre, et il parvint finalement, ou contribua à faire confirmer un acte pour lequel lord Aylmer avait été blâmé, et sans lequel la destitution n’aurait probablement pas eu lieu.

Le 20 novembre, lord Goderich avait écrit à lord Aylmer : « Qu’ayant pleinement et mûrement considéré les différentes pièces qui lui avaient été transmises par sa Seigneurie et par M. Viger, il avait trouvé qu’il était de son devoir d’aviser sa Majesté de Confirmer la suspension de M. Stuart, et dans une lettre du 7 décembre, le ministre exposait au gouverneur les raisons qui l’avaient induit à aviser le roi comme il l’avait fait. Ces raisons étaient le renouvellement des commissions, moyennant honoraires, pour les notaires ; la multiplicité des accusations portées devant la cour du banc du roi, quelques-uns des procédés, à l’élection de Sorel, ou conséquents à cette élection. Quant au reste, lord Goderich ne voit aucune raison de penser que dans les poursuites pour libelles, le ci-devant procureur-général n’ait pas suivi la marche qui lui a semblé de bonne foi la meilleure pour le service public, ou qu’il se soit formé une opinion erronnée sur le sujet ; et il doit dire que « l’imputation de motifs déshonorables, faite contre M. Stuart, dans le rapport du comité de la chambre d’assemblée, quoiqu’elle ne se trouve pas dans ses résolutions, n’est appuyée d’aucune preuve quelconque[45]. »

Les procédés du conseil législatif ne furent remarquables qu’en deux ou trois occasions différentes.

Dans la tentative d’introduire dans la réponse au discours d’ouverture des matières étrangères à ce discours, M. Debartzch ne fût appuyé que par MM. Dessaules et Malhiot, et il fût, et dut être seul de son avis, lorsque plus tard, il dit qu’il espérait que le conseil législatif serait entièrement aboli, et que la législature ne se composerait que du gouverneur et de la chambre d’assemblée ; qu’alors, et non avant, les intérêts du peuple seraient efficacement protégés ; qu’alors la chambre d’assemblée ferait connaître les besoins du peuple par ses bills ; que si le gouverneur rejetait les bills de l’assemblée, il serait déplacé, et qu’un autre les sanctionnerait[46].

Les débats les plus intéressants, ou les plus animés, eurent lieu à l’occasion du rapport d’un comité spécial, recommandant une réduction des dépenses contingentes du conseil législatif, et d’une série de résolutions, dont la première était, que la somme de £500 par an était une rémunération suffisante pour le président du conseil.

Lorsque la question fût discutée en comité général, « M. Ryland se leva très animé, et s’écria qu’il n’avait jamais entendu faire dans cette chambre une proposition aussi révolutionnaire,… qu’il était vraiment incroyable qu’un comité de conseillers législatifs eût eu la hardiesse de faire un pareil rapport, que c’était une injustice criante et sans antécédent. »

« M. Moffatt, (premier moteur de la mesure,) censura l’hon. membre, pour l’extravagance de son discours. »

« L’hon. M. Stewart remarqua qu’il avait toujours regardé, et regardait encore comme trop fort le salaire du président. »

Le président fit un long discours, où il dit, en substance, « qu’il avait droit à cette charge, qu’il la regardait comme sa propriété, que ce serait une espèce de fraude et de vol de vouloir lui enlever une partie de son salaire, que la couronne avait contracté avec lui, une espèce d’engagement, vu qu’il avait fait un grand sacrifice, en acceptant la charge de juge-en-chef, dont les devoirs sont responsables et laborieux, mais peu rémunérés ; que le gouvernement lui avait dit qu’on ne pouvait pas augmenter ses appointemens, comme juge-en-chef, mais que, par compensation, on lui avait accordé £1,000 par an, comme président du conseil législatif, que le conseil, en accédant à la recommandation du comité se ferait regarder comme un corps composé de radicaux et de révolutionnaires pires que la chambre d’assemblée… »

Sir John Caldwell partageait généralement les opinions du président sur cette question.

M. McGill regrette que le président ait fait de cette question une affaire personnelle.

M. Molson appuie les propositions du comité.

La première proposition, mise aux voix, fut rejetée. MM. Moffatt, McGill et Molson composant la minorité.

À la fin de mars, après avoir discuté certaines propositions, comme base d’une adresse au roi sur l’état de la province, le conseil arrêta en comité général :

« Que la constitution du gouvernement établi, etc., a été octroyée sur l’humble pétition des habitans de la province de Québec, et est le seul fondement de tout pouvoir législatif dans cette province, et que l’administration juste et impartiale du dit gouvernement est tout ce qui est nécessaire pour établir et maintenir leur tranquillité et leurs justes droits et priviléges ;

« Que l’acte qui a accordé à cette province une forme de gouvernement modelé, autant que les circonstances le permettaient, sur celui de la mère-patrie, par quelques-uns de ses plus grands et de ses plus sages hommes d’état[47], avait pour but le bien-être des habitans de la province… ; et le bonheur et la prospérité dont les habitans du Canada ont joui depuis leur soumission paisible aux lois et la bonne volonté avec laquelle, en toutes occasions, ils sont venus en avant pour défendre la province contre les attaques de l’étranger, attestent hautement la sagesse, l’efficacité, et l’avantage de la mesure ;

« Que malgré un état aussi prospère, la chambre d’assemblée, depuis 1831, a fait des tentatives pour obtenir des changemens dans la forme de gouvernement établi dans cette province, particulièrement dans la présente session du parlement provincial, par une adresse au roi, priant sa Majesté de recommander à son parlement une mesure qui tendrait directement à renverser la constitution, et à rompre les liens qui unissent cette colonie à la métropole.

« Que les procédés de la chambre d’assemblée, ci-dessus mentionnés, sont en contradiction avec les sentimens antérieurement exprimés par cette chambre, contraires aux déclarations uniformes du conseil législatif, et d’une grande proportion des habitans de cette province ;

« Qu’il est expédient de présenter une adresse au roi, &c[48]. »

L’adresse fut une amplification démesurée des résolutions, et les outrepassa de beaucoup en quelques points, tant par le fonds que par la forme. On peut regretter d’y voir jointes à un exposé étendu, énergique et vrai de l’état de la province, quelques assertions hasardées, des expressions sentant l’exagération ou la prédilection d’origine ou de parti, des prévisions prématurées, et l’idée de repousser non-seulement le contenu des résolutions et adresses de la chambre d’assemblée, mais encore les vagues et violentes déclamations de son orateur, sinon les aggressions vulgaires du dehors ; défectuosités attribuables en tout ou en partie, à l’absence déplorable de presque tous les membres d’origine française.

« Ayant pris sous notre sérieuse considération », disent les conseillers, les procédés dangereux et inconstitutionnels adoptés par l’assemblée, nous sommes forcés d’approcher humblement du trône de votre Majesté, pour représenter la situation alarmante des affaires de cette province, et solliciter avec instance un remède immédiat et efficace. De l’état heureux de paix et de prospérité auquel nous étions parvenus, sous la constitution qui nous a été octroyée par le roi, père de votre Majesté, et par le parlement impérial ; nous passons à un état approchant de l’anarchie,… il se fait des tentatives pour détruire la confiance qui a régné jusqu’à présent entre les sujets de votre Majesté d’origine et de langue différentes : les intérêts de l’agriculture et du commerce et les besoins du peuple sont négligés, pour l’avancement de cabales de partis. Le représentant de votre Majesté est faussement accusé de partialité et d’injustice dans l’exercice des pouvoirs qui lui sont confiés ; les officiers de votre Majesté, tant civils que militaires, sont délibérément calomniés comme une faction combinée, portée par l’intérêt seul, à lutter pour le soutien d’un gouvernement corrompu, ennemi des droits et opposé aux vœux du peuple ; et ces injures, non méritées, ont été aussi fréquentes, depuis deux années, dans l’assemblée que hors de l’assemblée, et il n’y a pas à douter que ce système n’ait été adopté et suivi infatigablement dans le dessein pervers d’avilir les autorités aux yeux du peuple et de les rendre par là finalement impuissantes et inefficaces pour le soutien du gouvernement. Tout indique la continuation, sinon l’accroissement des maux que nous venons d’énumérer ; car, tandis que les officiers de votre Majesté, et particulièrement les juges, sont accusés et diffamés, on leur refuse dans la colonie un tribunal où ils puissent être jugés et vengés… et dans la vue de compléter l’exécution de ses desseins, l’assemblée a ôsé recourir à la démarche audacieuse de s’adresser à votre Majesté, pour rendre le conseil législatif électif… L’assemblée fait, depuis plusieurs années, des efforts dans le but évident d’acquérir du pouvoir et de l’influence aux dépens de la couronne, et en violation directe des droits et priviléges du conseil législatif. Pour preuve de cette assertion, nous ferons allusion aux efforts constants de cette chambre pour obtenir l’entier contrôle et la disposition de tout le revenu provincial, refusant en même temps, de faire aucune appropriation permanente et suffisante pour les dépenses du gouvernement civil, et de pourvoir à l’indépendance des juges ; aux conditions et restrictions annexées aux votes de certaines sommes contenues dans le bill de subsides envoyé au conseil durant la présente session ; à la prétention avancée par l’assemblée de préserver une partie importante et étendue des domaines de votre Majesté, pour être habitée exclusivement par des Canadiens d’origine française[49] ; et finalement, à la tentative d’induire votre Majesté à adopter une mesure qui détruirait l’équilibre de la constitution… Relativement à cette dernière prétention, nous appelons humblement l’attention de votre Majesté sur le fait incontestable, qu’à proportion qu’il a gracieusement plu à votre Majesté d’augmenter le poids et l’efficacité constitutionnelle du conseil législatif, par l’addition de membres sans liaison avec l’administration locale, et pris en grande partie dans l’assemblée même, les efforts de cette chambre pour son abolition sont devenus plus violents et plus audacieux… On a tout lieu d’être étonné qu’un parti turbulent et violent dans cette chambre ait été capable de porter une majorité de ses membres à la tentative de détruire une forme de gouvernement sous laquelle les sujets canadiens de votre Majesté ont joui d’un état de paix, de sécurité et de contentement à peine surpassé dans une partie quelconque du monde …Le conseil législatif est loin de croire que la grande masse du peuple participe aux vues et aux vœux de la majorité de l’assemblée, mais dans une société où l’instruction a fait peu de progrès, les personnes, même bien disposées, heureuses et contentes, sont sujettes à être induites on erreur par des hommes factieux et mal intentionnés… C’est dans les circonstances exposées ci-dessus, que l’assemblée a proposé à votre Majesté d’abolir cette chambre, et de mettre à sa place un conseil éligible par les propriétaires de biens-fonds de la valeur annuelle de dix livres, mesure bien conçue pour parvenir au but désiré d’obtenir un corps législatif qui serait sous tous les rapports, le pendant de l’assemblée… Quant aux conséquences fatales qu’on pourrait s’attendre à voir résulter d’un tel changement, ses effets immédiats seraient de rendre toutes les charges électives dans la colonie, de jeter de l’incertitude dans l’esprit des sujets de sa Majesté, d’origine britannique, d’empêcher leur accroissement ultérieur, au moyen de l’émigration, et de rompre les liens qui unissent cette colonie à la métropole, tandis que son résultat final serait de mettre en collision les habitans du Haut-Canada et ceux du Bas-Canada ; et d’innonder le pays de sang : car nous sommes pleinement convaincus que les habitans du Haut-Canada ne souffriraient pas tranquillement l’interposition d’une république française[50] entre eux et l’océan.

L’avant dernier paragraphe est une plainte contre M. Viger, « membre de cette chambre, que les ' meneurs de l’assemblée trouvèrent moyen d’induire, en 1831, à se rendre en Angleterre, dans le seul dessein avoué d’y soutenir les pétitions de l’assemblée, « sans le consentement du conseil », et qui s’est rendu coupable d’une violation flagrante des priviléges de cette chambre, en acceptant un fort salaire annuel de l’assemblée, sachant qu’il était accordé sans la sanction d’une loi », etc.

L’adresse du conseil législatif eût probablement été un peu différente, et n’eût pas vu prématurément le pays inondé de sang, non plus qu’une république française, entre le Haut-Canada et l’océan, si tous les membres d’origine française n’eussent pas été absent, à l’exception d’un ou deux. Malheureusement, une grande partie des conseillers canadiens, particulièrement de ceux qui avaient été membres de l’assemblée, étaient si peu soigneux de se rendre et de demeurer à leur poste, qu’on crut, ou put croire qu’ils en agissaient ainsi systématiquement, par déférence pour l’opinion, ou la parole de l’orateur de cette chambre, qui avait dit qu’en les appelant de la chambre basse à la haute, on les avait fait descendre, etc. Cette absence, systématique ou non, des conseillers canadiens, parut inexplicable, à une époque où le maintien de l’état et le salut du peuple étaient en question, et pour ainsi dire mis en jeu.

La prorogation eût lieu le 3 avril. Parmi les trente-trois projets de loi sanctionnés par le gouverneur fût celui « pour faire allouance aux membres de l’assemblée », mais non celui de la quarantaine, qui était revenu amendé du conseil législatif, après que la chambre eût cessé d’être en nombre. Après avoir dit à l’assemblée : « Ce sujet (de la quarantaine,) n’ayant été pris en considération qu’à une époque avancée de la session, je dois supposer que d’autres affaires, que vous avez jugées être d’un plus grand intérêt et d’une importance plus pressante, ont obtenu la préférence », le gouverneur termine ainsi : « La session qui est sur le point de finir a été remarquable par sa durée extraordinaire… le résultat de ses travaux sera-t-il avantageux au pays à proportion de sa durée ? c’est ce que le temps seul pourra décider[51]. »

Le jugement que le gouverneur ne voulut pas porter sur les procédés extraordinaires et le résultat probable de la session de 1833, la Gazette de Québec, qui venait de rentrer rationnellement dans la carrière constitutionnelle, le porta avec gravité et justesse.

« La clôture de la session a laissé les affaires du pays dans un état pire qu’elles ne l’ont jamais été à aucune époque, depuis que la chambre d’assemblée a été chargée de voter les subsides pour le soutien du gouvernement. En moins de cinq ans après le rapport du comité du Canada,… et en moins de deux ans après la lettre du secrétaire d’état pour les colonies, acquiesçant à toutes les demandes de l’assemblée, les espérances qu’entretenaient dans leurs cœurs les amis de la prospérité publique et du gouvernement constitutionnel, se sont complètement évanouies. Nous n’avons jamais douté un instant de la sincérité du gouvernement anglais, dans les déclarations qui ont causé tant de satisfaction au pays et à ses représentans… Nous ne doutons point non plus de la sincérité de l’opinion publique sur la tournure favorable qu’avaient prises les affaires du pays ; maintenant, tous les partis s’accordent à dire que notre situation ne présente rien de favorable. Qui a amené ce changement ? La cause qui a empêché l’accomplissement d’engagemens implicites ou formels faits sincèrement, pourra devenir le sujet d’une enquête, à l’avenir. Pour le présent, nous dirons seulement que, depuis que la chambre s’est départie des pétitions du peuple en 1828, et du rapport du comité du Canada, pour attaquer les anciennes institutions du pays, la constitution établie, et même l’existence d’une autre branche de la législature, tout a reculé, jusqu’à ce que nous soyons arrivés où nous en sommes, savoir : une rupture ouverte entre le gouverneur, le représentant du roi, le conseil législatif, et l’assemblée ; la constitution établie et les engagemens les plus sacrés méprisés ; les bills les plus importans perdus ; le gouvernement laissé sans les moyens pécuniaires qui sont nécessaires à son support, et le feu de la discorde jeté parmi les préjugés les plus inflammables d’un peuple paisible, libre, et heureux. »

La tournure que les affaires avaient prise, dès le commencement de la session, augmentait le malaise et l’inquiétude qui avaient commencé à régner presque partout dans la province. Dès la fin de l’automne 1832, il y avait eu des assemblées publiques au soutien de la constitution et de l’ordre de choses établi.

Les résolutions « adoptées à une assemblée respectable et nombreuse des habitans des seigneuries de Foucault, Noyan et Sabrevois », comportent :

« Qu’ils sont mus par un profond sentiment de reconnaissance envers le gouvernement impérial de la Grande-Bretagne, pour la sagesse et la libéralité qu’il a montrées, en accordant à cette province une législature qui est une miniature de la sienne, et une constitution libérale, juste et équitable… sous laquelle ils ont joui au plus haut degré de la liberté et du bonheur, et ils sont sincèrement opposés comme au plus grand mal qui pourrait arriver leur pays, à tout changement dans la forme du gouvernement établi.

« Que le conseil législatif constitue une branche coordonnée de la législature, et est essentiel à la préservation des prérogatives de la couronne et des libertés du peuple, et que toute tentative pour changer la constitution de cet honorable corps doit être vue avec une appréhension et une désapprobation décidées ;

« Qu’ils déplorent sincèrement l’existence d’un esprit désorganisateur et révolutionnaire qui s’est manifesté dans diverses assemblées politiques, où des hommes de rang et d’influence dans la société ont exprimé des sentimens qui ne peuvent tendre qu’à égarer les gens ignorants, à enflammer les gens paisibles, et à rendre les loyaux sujets de sa Majesté mal affectionnés envers son gouvernement. »…

À une assemblée des habitans du district de Saint-François, tenue à Sherbrooke, le 23 avril, 1833, il fût résolu :

« Qu’à la dernière élection générale… il était entendu que les habitans de cette province continuaient à désirer que leur constitution demeurât intacte et inviolable…

« Qu’à la dite dernière élection générale… il n’était pas connu des électeurs,… qu’un changement dans la constitution de cette province dut être pris en considération ou recommandé par la chambre d’assemblée ;

« Que depuis la dernière élection générale, les habitans de cette province n’ont pas manifesté d’une manière suffisante et satisfaisante que c’était leur vœu et leur plaisir que la constitution de cette province fût changée ;

« Qu’il y a tout lieu de croire que la majorité des membres de l’assemblée, en recommandant un changement dans la constitution de cette province, ont pris leurs constituans par surprise, et ont outrepassé le pouvoir qui leur avait été délégué ;

« Que le conseil législatif devrait être indépendant des deux autres branches de la législature ;

« Que le juste poids et l’influence raisonnable de la chambre d’assemblée ont été grandement affaiblis par la conduite inconséquente et tergiversante de la majorité de ses membres, dans les dernières sessions. »

Si d’un côté, l’on était rassuré par la manifestation du désir de maintenir la constitution, d’assurer le règne de l’ordre et des lois, on était, de l’autre, inquiété, ou peiné, par des efforts constans et variés pour entretenir les haines et les animosités, fomenter les dissentions civiles, aiguillonner l’esprit de parti et de vengeance. Comme si l’on eût craint à Montréal, que cet esprit ne fût pas suffisamment entretenu par la licence habituelle de la presse, on crut devoir appeler encore une fois à son aide un service anniversaire de première classe, pour les trois individus tués dans l’émeute, ou manifestation populaire du 21 mai 1832[52].

Cependant, il faut voir ce qui s’était passé, et se passait alors dans le Haut-Canada. Quelques journalistes de cette province avaient mis au nombre des avantages dont elle avait à se féliciter, l’absence de démagogues. En effet, depuis le départ de W. L. Mackenzie pour l’Angleterre, le Haut-Canada avait joui d’une tranquillité remarquable. Arrivé à Londres avec sa kyrielle de griefs, le sieur Mackenzie fût d’abord assez mal reçu pour ne pas dire éconduit, par lord Goderich ; mais, à force de sollicitations, d’allées et venues, d’intrigues et d’importunités, il parvint, d’abord, à se procurer la sympathie du radical Joseph Hume, puis à faire recevoir, lire et considérer minutieusement « sa pétition au roi », à pouvoir publier que lord Goderich, lord Howick, M. B. J. Balfour et M. Charles Douglas, s’étaient faits, ou dits, « les très humbles et très obéissants serviteurs de W. L. Mackenzie, écuyer, etc., etc., avec des complimens et mêmes des excuses, et finalement à obtenir une dépêche datée du 8 novembre, 1832, et adressée à Sir John Colborne.

Communiquée, à la fin de février 1833, au parlement provincial, la dépêche de lord Goderich, dupé une seconde fois par la feinte loyauté, ou effrayé par les menaces du sieur Mackenzie, causa dans la chambre d’assemblée une surprise et une agitation extrêmes ; elle indigna un grand nombre des membres de la majorité, entre autres le procureur-général et le solliciteur-général de la province qui semblèrent oublier qu’étant officiers de la couronne, ils devaient respect et obéissance à ses ordres, quels qu’ils fussent. Il était sans doute permis à des représentans du peuple de s’indigner, en voyant l’accueil fait à leur détracteur ; il pouvait leur être permis de voir dans la dépêche qu’il avait obtenue une insulte indirecte faite à la représentation, et parmi quelques abus à corriger, des principes à établir et des changemens à opérer, capables, sinon de renverser immédiatement le gouvernement, au moins de jeter tout dans le désordre et la confusion, en encourageant les démagogues à persévérer dans leur système de déception, de vexation et de désorganisation. MM. Boulton et Hagerman pouvaient, mieux que le ministre des colonies, prévoir le funeste résultat de quelques-unes de ses imprudentes concessions ; mais ils avaient eu le tort impardonnable de ne se pas démettre de leurs charges, avant de donner un libre cours à leur dépit, et de le manifester au point de vouloir empêcher que la dépêche ne fût couchée sur les journaux de la chambre, et de parler de la faire remettre au lieutenant-gouverneur, pour être par lui renvoyée au ministre[53].

Le procureur-général et le solliciteur-général devaient encore se garder, même comme représentans du peuple, de l’esprit de parti et de faction, user d’assez de prudence, comme serviteurs du gouvernement, pour n’avoir pas l’air de compromettre, et c’est ce qu’ils n’avaient pas fait, à l’occasion d’une question passée de la presse périodique dans la chambre d’assemblée.

Fatigués de leurs difficultés continuelles avec le Bas-Canada, touchant le partage du revenu perçu au port de Québec, les Haut-Canadiens, ou une partie d’entre eux, parlaient, depuis quelque temps, de demander à la Grande-Bretagne un port d’entrée, où il pussent percevoir eux-mêmes leurs propres revenus. Mais bientôt ils poussèrent plus loin leurs prétentions et parlèrent de l’annexion de l’île de Montréal et du comté de Vaudreuil à leur province, comme d’une chose désirable et obtenable. Dans la discussion qui eût lieu en chambre, sur cette question, le 22 décembre 1832, MM. Boulton et Hagerman se montrèrent les plus ardents fauteurs de ce projet de spoliation, et parlèrent à la façon des hommes factieux ou de parti de tous les pays et de tous les temps, en s’adressant aux passions bien plus qu’à la raison, et cherchant à emporter tout d’emblée. « Il vaut mieux », dit M. Boulton, « voir d’un coup quels sont les membres qui sont amis du Haut-Canada, et ceux qui ne le sont pas… Je n’aime pas ces demi-amis, qui sont tantôt d’un côté, et tantôt de l’autre. M. Hagerman dit, qu’en entendant l’orateur (M. McLean), le membre pour Kent (M. Berczy), on ne croirait pas qu’ils sont citoyens du Haut-Canada. On a beaucoup parlé d’injustice, envers le Bas-Canada ; mais s’il y a de l’injustice, c’est l’acte propre de cette province ; s’ils avaient agi avec équité envers le Haut-Canada, je serais le dernier à supporter une proposition de cette nature ; mais après qu’ils ont embarrassé notre commerce et nous ont opprimés de diverses manières, je désire voir Montréal hors de leurs mains[54]. »

La substance des discours de ceux des membres qui se montrèrent opposés à cet inique projet nous a paru mériter d’être conservée.

M. Morris : « On propose d’annexer une partie du Bas-Canada à cette province… Je pense que la mesure en question éprouverait des obstacles insurmontables… Montréal approvisionne de marchandises une partie considérable du Bas-Canada ; si Montréal était annexé au Haut-Canada, la totalité des droits perçus à ce port serait versée dans la trésorerie de cette province… Ce serait une injustice criante envers le Bas-Canada. »

M. Bidwell : « Nous pourrions nous embarrasser dans des difficultés sérieuses, en demandant une chose qu’il serait déraisonnable que nous obtinssions. Si nous demandions à l’Angleterre Montréal, etc., elle pourrait nous dire que ce serait une injustice envers le Bas-Canada… »

M. McLean (orateur) : « Je connais les difficultés qui existent ; elles ont occupé le gouvernement d’Angleterre On peut m’appeler un « demi-ami » du Haut-Canada, mais je veux agir d’après des principes de droits et d’équité, et je ne me laisserai pas aveugler par mon zèle pour ma province. Il est tout-à-fait déraisonnable de demander au Bas-Canada une partie considérable de son territoire, contenant une nombreuse population. Je suis intimement convaincu qu’en tentant de nous emparer de Montréal, nous nous ferions beaucoup plus de tort que de bien. »

M. Berczy : « Plus j’envisage le sujet, plus je suis convaincu que nous ferions une injustice palpable au Bas-Canada. On nous demande de montrer notre patriotisme, en soutenant cette mesure : quant à moi, je ne crois pas que le patriotisme consiste à dépouiller ses voisins. Je regarde le projet comme monstrueux. »

Pour revenir à la dépêche de lord Goderich, elle ne fut couchée sur les journaux des deux chambres, qu’accompagnée de protestations énergiques contre sa teneur et sa tendance.

Après avoir remercié le lieutenant-gouverneur de leur avoir communiqué la dépêche du ministre des colonies, concernant certains documens dont « le but était de prouver que les habitans de cette colonie heureuse et prospère étaient opprimés et accablés de maux, et qu’ils étaient devenus si mécontents, qu’une révolte sanglante était à craindre, si ces prétendus griefs ne disparaissaient pas », les représentans ajoutaient : « Nous ne pouvons nous empêcher d’exprimer combien nous regrettons qu’il ne soit pas venu en pensée à sa Seigneurie que des allégués qui affectent d’une manière désavantageuse la réputation des sujets de sa Majesté n’étaient pas appuyés d’un meilleur témoignage que celui d’un individu qui avait été expulsé deux fois de cette chambre, et qui pour avoir fabriqué, à plusieurs reprises, des libelles de la nature la plus grossière, avait été déclaré incapable et indigne de siéger dans l’assemblée, durant le présent parlement. Si sa Seigneurie s’était rappelé ce fait, il est raisonnable de supposer qu’elle ne se serait pas crue libre de recommander l’auteur de cette nouvelle calomnie comme agent », etc.

Le conseil législatif dit à Sir John Colborne, qu’il est très peu curieux d’examiner en détail les allégués du sieur Mackenzie, en autant que le commentaire du ministre des colonies lui donne assez à connaître qu’ils n’ont été faits qu’au mépris flagrant de la vérité, et dans un esprit de haine gratuite et invétérée contre les autorités exécutives et législatives ; que la manière condescendante et respectueuse dont ces allégués ont été accueillis, bien qu’il fût évident qu’ils insultaient toutes les autorités constituées du pays, et même le peuple, en lui attribuant des vues et des sentimens dont il n’a jamais été imbu, peut être agréable à certains individus de la province, mais que des pièces comme celles qui composent la volumineuse correspondance de M. Mackenzie avec le secrétaire d’état, ne peuvent être envisagées qu’avec le plus profond mépris par le conseil législatif, ainsi que par quiconque est ami de la vérité, et comme absolument indigne d’occuper son attention[55].

Le projet d’annexer Montréal à la province supérieure avait fourni aux deux chambres de notre législature le sujet d’une adresse, ou représentation conjointe au gouvernement d’Angleterre, et, joint à la manière indigne dont la dépêche du 8 novembre 1832, avait été traitée par MM. Boulton et Hagerman, il fournit au sieur Mackenzie un nouveau moyen inculpation, dont il sut user aussi adroitement qu’opportunément[56].

Le 29 avril, il fut communiqué au procureur-général une copie d’une dépêche du 6 mars, dans laquelle il était enjoint au lieutenant-gouverneur de l’informer ainsi que le solliciteur-général (alors absent de la province), que « sa Majesté regrettait de ne pouvoir profiter plus longtems de leurs services ». Etc.[57]

Le procureur-général ayant demandé au lieutenant-gouverneur, par l’entremise de son secrétaire privé de vouloir l’informer pour quelle infraction de devoir public sa Majesté l’avait destitué, il reçut pour réponse, que son Excellence comprenait que la partie de ses démarches politiques à laquelle la dépêche faisait particulièrement allusion, était qu’il avait, ainsi que le solliciteur-général, appuyé l’expulsion réitérée d’un membre de l’assemblée, nonobstant », etc[58].

Cette réponse, presque ridicule, n’empêcha pas M. Boulton de voter contre l’admission du sieur Mackenzie, le 2 novembre lendemain de l’ouverture du parlement provincial[59].

La chambre d’assemblée avait décidé, mais M. Mackenzie n’était pas homme à en passer tranquillement par sa décision : il eût recours au lieutenant-gouverneur, et obtint de sa condescendance une recommandation à la chambre de passer un acte déclaratoire, permettant ans francs-tenanciers du comté d’York d’élire un second représentant. L’acte est passé à la majorité d’une voix, W. L. Mackenzie est élu sans opposition, et conduit triomphalement à la chambre, mais il est arrêté à la barre ; l’orateur refuse de lui administrer le serment, et il est de nouveau rejeté. Le lieutenant-gouverneur est de nouveau importuné, mais ne pouvant convenablement casser la chambre, il conseille au sieur Mackenzie de lui faire la réparation qu’elle semble attendre de lui. Il aime mieux insulter de nouveau la chambre, et qui plus est Sir John Colborne, et finalement, voyant, d’un côté, une opposition insurmontable et de l’autre, une protection insuffisante, il demande au peuple s’il est disposé à endurer tous ces outrages, c’est-à dire, apparemment, s’il s’abstiendra de s’insurger, ou de se ruer sur la chambre pour l’amour de lui.

Pendant que la capitale du Haut-Canada était ainsi troublée par l’incessante turbulence de M. W. L. Mackenzie, le Bas-Canada continuait à être agité, contristé et scandalisé par la licence effrénée de la presse, particulièrement dans le Herald, le Settler, le Vindicator, La Minerve, et l’Écho du Pays, tous mus plus ou moins par l’esprit de parti, et le fanatisme politique dégénérant parfois en démence ; et comme nous l’avons déjà dit, le gouvernement s’était mis dans une impossibilité morale de remédier à ce désordre public[60].

Ce fut sous ce sombre horizon que s’ouvrit le parlement provincial, le 7 janvier 1834. Dans sa harangue, le gouverneur dit aux deux chambres :

« Une partie considérable de la session sera probablement employée à la considération des communications qu’il sera de mon devoir de vous faire sur des sujets de haute importance, en conformité aux instructions que j’ai reçues du gouvernement de sa Majesté. »

Il dit en particulier à la chambre d’assemblée : « Le bill de subsides pour le service de l’année financière qui s’est terminée dans le mois d’octobre dernier, ayant manqué, il a dû nécessairement en résulter des inconvéniens très graves dans le maintien du service public ; et quoique ces inconvéniens aient été mitigés par l’application de certains fonds à la disposition de la couronne, à payer, en partie, les fonctionnaires publics, et à pourvoir aux autres branches du service public qui paraissaient devoir souffrir le plus d’un délai de paiement, la balance qui reste encore à payer sur l’estimation de cette année-là, est si considérable qu’elle rend nécessaire un appel à votre générosité pour remplir le déficit.

« Il sera de mon devoir de vous faire une communication spéciale, relativement à cet important sujet, aussitôt que les formes parlementaires d’usage le permettront, et en attendant, je crois devoir vous prévenir que mes instructions, m’enjoignent de faire rapport sans délai au secrétaire d’état, du résultat de cette communication, quel qu’il puisse être, afin de mettre le gouvernement de sa Majesté en état de se décider sur la marche qu’il serait nécessaire de suivre, à l’égard des difficultés financières de la province. »

Le discours n’eût pas plutôt été lu dans la chambre, que M. Bourdages se leva, et fit motion, secondé par M. Rodier, que la chambre prit en considération l’état de la province, et s’attendant que sa motion serait agréée sans difficulté, il dit que la chambre pourrait siéger en comité général incessamment ou le lendemain.

M. Vanfelson dit qu’il est prêt à discuter la question incessamment. M. Gugy parle du danger d’une pareille proposition, qui remettrait tout entre les mains du pouvoir exécutif. M. Stuart s’y dit opposé. M. Neilson remarque qu’on ne pourrait avoir aucun renseignement sur l’état de la province ; que le but de cette motion était de n’avoir point de session ; et il proposa d’introduire le bill de l’éducation, qui avait échoué dans la session précédente. M. Bourdages dit qu’il n’est pas nécessaire d’avoir des documens, que le rapport sur les privilèges de la chambre suffisait. MM. Lafontaine et de Bleury parlèrent pour la motion principale, (de M. Bourdages), et MM. Stuart, Quesnel, Vanfelson, Duval et Kimber, pour la motion en amendement, (de M. Neilson) ; la chambre se divisa, et la motion en amendement tut agréée, à la majorité de 35 contre 17.

Le projet de n’avoir pas de session était manqué ; mais peut-être un résultat différent eût-il été désirable ; peut-être eût-il été désirable que le gouvernement d’Angleterre fût mis dès lors dans la nécessité de suspendre une constitution dont la majorité de la chambre d’assemblée abusait de plus en plus, au détriment du peuple. « L’horreur des 92 résolutions » aurait été épargnée au pays, et… mais n’anticipons pas sur l’époque.

Le 10, M. Neilson ayant proposé de nommer un comité de cinq membres, pour entretenir une bonne correspondance avec le conseil législatif, M. Bourdages qui, dans les sessions précédentes avait été le premier à faire la même proposition, s’y montra contraire, dans celle-ci ; et il s’en suivit des débats où se distinguèrent surtout quelques-uns des jeunes membres[61].

La veille, M. Rodier ayant proposé la nomination d’un comité spécial pour rédiger un projet de réponse au discours du gouverneur, et une motion en amendement, faite par M. Lafontaine, de discuter cette réponse en comité général, ayant été pour le premier moteur comme un coup de lumière, il s’en suivit des débats au moins curieux[62] ; mais l’amendement fût rejeté, à la majorité de 42 contre 14 ; et la réponse, rédigée par le comité spécial, et adoptée par la chambre, fût à peu près conforme au discours du trône. Cette réponse fut présentée au gouverneur le 13, et le même jour, la chambre reçut de son Excellence les deux messages suivants :

« Vers la fin de la dernière session, la chambre d’assemblée présenta au gouverneur en chef une adresse, le priant de vouloir bien communiquer à la chambre les circonstances et les raisons qui avaient fait retarder l’émanation d’un warrant pour l’émanation d’un writ pour l’élection d’un membre pour le comté de Montréal, etc.

« En réponse à cette adresse, le gouverneur communiqua à la chambre, qu’il avait, en effet, refusé d’apposer sa signature au dit writ, exposant, en même temps, quelques-uns des motifs qui l’avaient porté à ce refus, et qui étaient le résultat des procédés de la chambre elle-même, et le gouverneur informa la chambre qu’il avait référé le sujet de son adresse au gouvernement de sa Majesté.

« Le gouverneur informe maintenant la chambre, qu’en réponse à sa référence, il a reçu du secrétaire d’état une dépêche dont il donne l’extrait suivant relatif à l’affaire de M. Mondelet.

« Je dois d’abord exprimer mon entière approbation de la conduite de votre Seigneurie, en refusant d’apposer votre nom au nouveau writ… Si j’étais disposé à attenuer l’effet de cette approbation, ce serait d’exprimer mon regret, qu’appuyé des opinions et des conseils de ceux que vous aviez consultés, vous n’ayez pas pris immédiatement sur vous d’annoncer la décision que la connaissance que vous avez de la constitution anglaise vous avait mis à même de former avec autant d’exactitude.

« Il ne m’est pas nécessaire de m’appesantir sur le ton, et de commenter les termes employés par la chambre d’assemblée, qui prétend dicter au représentant du roi dans quelles circomstances et en quel temps il doit, suivant elle, exercer la prérogative royale pour dissoudre la chambre, et qui menace de cesser toute communication avec lui, jusqu’à ce qu’il ait fait réparation, pour avoir violé ses droits et priviléges. Mon objet présentement est d’exprimer les sentimens du gouvernement du roi, relativement à l’envahissement par la chambre de « droits et priviléges » qui répugnent entièrement à la pratique et aux principes parlementaires, et qui sont incompatibles avec l’existence de la constitution britannique. Je n’hésite pas à dire que la prétention de l’assemblée de déclarer vacant le siége de M. Mondelet, en conformité à l’interprétation forcée d’une résolution adoptée par la chambre elle-même, est une usurpation de pouvoir, nonobstant la surprise qu’elle a exprimée de ce que votre Seigneurie ne connaissait pas que sa signature à un ordre d’élection n’était purement et simplement « qu’un acte ministériel »… La prudence de la chambre des communes, et la connaissance qu’elle a de la constitution, et de ce qui est dû aux autres branches de la législature, l’a préservée de l’erreur fatale de s’arroger le droit monstrueux de donner force de loi à ses résolutions. La chambre des communes ne possède pas, et n’a jamais prétendu posséder aucun pouvoir, sans le consentement de la couronne et de la chambre des pairs, de faire des lois relatives soit à la qualification, soit à la non-qualification des électeurs et des candidats, ou plutôt d’effectuer son objet par de simples résolutions. On ne peut présumer qu’un corps tel que la chambre des communes, également instruit de ses propres droits et de ceux des autres, puisse s’arroger un dégré de pouvoir aussi extravagant. »…

Dans le second message, après un préambule qui est une amplification de ce qu’il avait dit dans sa harangue, au sujet des difficultés financières de la province, lord Aylmer ajoute :

« Le gouverneur en chef informe la chambre d’assemblée, qu’ayant transmis au secrétaire d’état une copie du bill de subsides, tel qu’il a été adopté par la chambre et ensuite rejeté par le conseil, il a reçu ordre de signaler les objections constitutionnelles auxquelles ce bill donne bien.

« Les différentes conditions qui exigent que certains officiers ne soient pas membres du conseil exécutif ou du conseil législatif, doivent être considérées, dans le langage parlementaire, comme des « attachés » (tacks) dont l’effet est d’introduire des changemens dans la loi par la décision d’une seule branche de la législature. Attacher (to tack), à un bill de subsides réclamé par les exigences et les besoins de l’état, une clause ou disposition qui n’y est pas liée (ainsi qu’elle devrait l’être), afin de contraindre la couronne ou la chambre haute à choisir entre la perte du bill avec tous les maux qui en sont la suite, ou l’adoption d’une mesure qu’elles désapprouvent, est un usage qui, quoiqu’on ait tenté de s’en prévaloir dans la métropole, a été abandonné depuis longtems, comme tendant, d’une manière directe, à enlever au roi et aux pairs la part qu’ils doivent avoir dans la législation du parlement. C’est pourquoi, si le conseil législatif se fût laissé engager à donner son assentiment au bill de l’année dernière… par la considération des inconvéniens très graves qui seraient résultés de sa perte, il a été donné à entendre au gouverneur, que sa Majesté n’aurait pas été avisée de le sanctionner. »

Le lendemain, 14, la chambre d’assemblée reçut un autre message, contenant l’extrait suivant :

« J’ai aussi présenté au roi l’adresse de la chambre d’assemblée. Je ne puis m’empêcher de faire sur ce document quelques observations. L’object que l’on a en vue, dans cette adresse, est de prier sa Majesté de vouloir autoriser une convention nationale[63] du peuple du Bas-Canada, à l’effet de mettre de côté les autorités législatives, et de prendre en considération lequel de deux modes sera adopté pour détruire entièrement la constitution du Bas-Canada, soit que ce doive être par l’introduction du principe électif, ou par l’entière abolition du conseil législatif. Sa Majesté veut bien ne voir dans le mode projetté que le résultat d’une extrême légèreté ; mais sa Majesté ne pourra jamais être avisée de donner son assentiment à ce projet, parcequ’elle doit considérer une semblable mesure comme incompatible avec l’existence même des institutions monarchiques… J’ignore encore si les sujets canadiens de sa Majesté désirent imiter, sous un gouvernement monarchique, toutes les institutions d’une république, ou posséder le simulacre d’une administration exécutive dont l’existence dépendrait absolument d’un corps populaire qui s’arrogerait toute l’autorité de l’état. Je ne suis pas prêt à aviser sa Majesté de recommander au parlement une démarche aussi sérieuse que le serait celle de révoquer l’acte de 1791, de cet acte qui a conféré aux provinces du Bas-Canada et du Haut-Canada les institutions qui y existent… mais si les événemens venaient malheureusement à forcer le parlement à exercer son autorité pour appaiser les dissentions intérieures des colonies, mon objet, ainsi que mon devoir, serait de soumettre au parlement telles modifications à la charte des provinces du Canada qui pourraient tendre, non pas à y introduire des institutions qui sont incompatibles avec l’existence d’un gouvernement monarchique, mais dont l’effet serait de maintenir et de cimenter l’union avec la mère-patrie, en adhérant strictement à l’esprit de la constitution britannique, et en maintenant les droits et les priviléges mutuels de toutes les classes des sujets de sa Majesté. »

Le même jour, le conseil législatif reçut, par message, un extrait d’une dépêche du ministre des colonies, dans lequel il était loué de sa loyauté et de son attachement à la constitution, mais aussi blâmé de ne s’être pas abstenu, en parlant de l’autre branche de la législature, d’un langage moins modéré qu’il ne convenait à sa dignité.

Les trois messages envoyés à l’assemblée y causèrent d’abord un grand étonnement, et un extrême embarras, comme il paraît par les débats qu’il y eût, le 14.

M. Bourdages : « Maintenant que les dépêches nous ont été soumises, qu’en voulant avoir une session, on nous a exposés à les recevoir telles qu’elles sont, et que de cette manière on nous a jetés dans le plus pénible embarras, je désirerais savoir quels moyens on prétend nous proposer pour nous en tirer. C’est ce que j’attends de ceux qui ont fait attendre ces dépêches. »

M. Cuvillier : « Je suis surpris de ce langage de l’honorable membre : ne doit-il pas s’apercevoir que ces dépêches ne sont que le fruit des travaux de l’année dernière ? Il en est lui-même la cause, en quelque sorte ; il les a provoquées. S’il en est ainsi, ne doit-il pas être prêt à les rencontrer ? »

M. Bourdages : « On m’impute ici le fait de la majorité ; n’est-ce pas elle qui a décidé sur ce qui a été fait, l’année dernière ? » ”

M. Lafontaine, qui, ce jour-là, paraît avoir occupé l’extrême rang de l’extrême gauche, rejette tout le blâme sur le gouvernement et le ministre des colonies, et termine ainsi : « Ce n’est point à nous, qui ne voulions point de session (et conséquemment point de réponse à leur demande de l’année précédente), à prendre l’initiative, mais bien à ceux qui ont voulu siéger. C’est à eux qu’il convient de faire aujourd’hui leur devoir, comme nous voulions faire le nôtre, le premier jour de la session. »

M. Cuvillier : « Par rapport au message sur l’élection de Montréal, n’est-ce pas la chambre qui, en expulsant injustement un de ses membres, l’a provoqué ? Si M. Mondelet n’eût pas été expulsé, s’en serait-il suivi une enquête injurieuse pour le gouverneur, et par contre-coup, cette dépêche si défavorable ?… Quant aux subsides, les refuser, c’est faire un plus grand tort au peuple en général qu’aux fonctionnaires publics. Il est bien vrai que c’est le droit de la chambre de voter les subsides ; mais est-ce à ceux qui ont provoqué ce message, en attachant à leur vote des subsides des conditions imparlementaires, de s’en plaindre ?

M. Bedard : « Ces dépêches sont les coups les plus violents qui aient jamais été portés à notre constitution*, nos droits, nos priviléges les plus sacrés sont attaqués. La chambre seule a le droit de juger ses membres et de les expulser. Si on laisse ce droit, (d’expulser les membres ?) au ministre des colonies, c’en est fait de nous, parcequ’il pourra empêcher, à son gré, le retour de tel membre qu’il voudra. »

M. Neilson : « Ce qu’il y a de mieux à faire, c’est d’étudier et de considérer les dépêches qu’on nous a envoyées. »

M. Kimber : « Je m’attendais à recevoir de l’honorable moteur de l’amendement du premier jour, quelque chose qui aurait pu nous guider dans la circonstance… Il serait peut-être bon de faire un appel nominal pour nous déterminer dans cette affaire ; mais j’attends de l’hon. membre pour le comté de Québec, des mesures propres à guider nos pas dans cette démarche. »

M. Neilson : « Je ne vois pas pourquoi on voudrait que je dictasse sans délai la mesure à suivre. »

L’enquête que la chambre avait commencée dans la précédente session, et qu’elle continuait, ou voulait continuer, dans la présente, avait occasionné d’énormes dépenses : le 14, sur motion de M. Huot, elle fit demander au gouverneur £7,000 à compte de ses dépenses contingentes. Lord Aylmer lui fit savoir qu’il communiquerait sa réponse par message.

Lisez « pour la défense de la constitution ». Il faut croire qu’il y a eu erreur dans le rapport des débats, au dire du langage du président du comité qui avait fait rapport sur « les changemens à faire dans la constitution du conseil législatif », que c’est un tissu de contre-vérités et de non-sens, un pur galimatias.

Le même jour, sur motion de M. Bedard, la chambre vota une adresse au gouverneur, lui demandant communication des opinions et des avis des personnes que son Excellence dit avoir consultées sur l’affaire de M. Mondelet, et le même jour, sur motion du même, la chambre résolut de « prendre en considération l’état de la province », le 15 février, et il fût ordonné un appel nominal pour le même jour.

La communication des opinions et avis fût refusée, comme de raison.

Le message concernant la demande de £7,000 fût reçu le 18. Il se termine ainsi : « Le bill des subsides de l’année dernière ayant échoué, le gouverneur demeure nécessairement responsable pour les avances faites aux deux chambres, pendant la session, (déduction faite du montant du fonds créé par l’acte de la 33e Geo. III, chap. 8), circonstance bien propre à jeter un degré d’anxiété dans son esprit, car arrivant que la présente session, probablement la dernière de ce parlement, finisse sans qu’il soit pourvu à l’estimation de l’année dernière, (dans laquelle se trouvent comprises les dépenses contingentes des deux chambres), il devra continuer à être responsable, et il pourrait arriver que le prochain parlement ne satisferait pas aux engagemens pris par le précédent, dans ses adresses.

« Le gouverneur informe donc la chambre d’assemblée, que jusqu’à ce qu’il ait été déchargé par un acte de la législature, de la responsabilité qui pèse sur lui, il doit refuser de prendre en considération la convenance d’encourir une responsabilité ultérieure, sous le même rapport. »…

Quelque raisonné et raisonnable que fût ce message, quelques membres y trouvèrent fort à redire, et M. Huot ayant proposé de le référer à un comité spécial, M. Bourdages, qui, loin de trouver comme autrefois, trop longues, ou trop fréquentes, les déclamations de « M. l’orateur », semblait y avoir pris un goût extrême, proposa qu’il fût discuté en comité général. Mais, après des débats diversifiés par la raison et le bon sens, d’un côté, la déraison et l’injure, de l’autre, il fût référé à un comité spécial, à une grande majorité[64].

« M. Bourdages, qui se faisait un mérite de parler sans cérémonie », voulait aussi agir sans gêne, et le 20, il proposa, en comité général, de rescinder la règle parlementaire qui exige la permission du gouverneur pour l’introduction des octrois d’argent, et cette fois, il eût le plaisir, non seulement de parler lui même « sans cérémonie », mais encore d’entendre « M. l’orateur » discourir de la manière qu’il trouvait toujours « admirable », mais que d’autres purent trouver triviale, rude, et arrogante, à un étonnant degré, et qui plus est d’atteindre son but.

M. Bourdages : « C’est une formalité vaine, inutile, incommode. »

M. Cuvillier : « C’est une règle du commencement de la constitution, et qui est en vigueur en Angleterre. »

M. Neilson : « Je suis un de ceux qui ont trouvé cette règle incommode ; mais je ne suis pas pour cela disposé à la changer ;… elle est passée en principe constitutionnel. »

M. Papineau : « Cette règle a été passée par une chambre encore sans expérience. »

M. Bourdages : « Cet usage n’ajoute rien aux prérogatives du gouverneur, et pour la chambre, c’est un acte servile que d’être obligé de lui faire la courbette pour chaque pétition que l’on introduit. »

M. Cuvillier : « Si M. Mondelet n’eût pas été expulsé, on ne se plaindrait pas aujourd’hui d’être obligé de faire la courbette au gouverneur. »

M. Papineau : « Quel membre ! le portier, le messager, chargé de faire ici une procession pour dire que le gouverneur nous permet de faire ce qu’il ne peut empêcher. Qu’était-ce que ce conseiller… Un être mitoyen, amphibie… On cite comme un avantage un moyen de corruption… On nous trouve une extrême présomption d’avoir ôsé mettre un frein à la corruption, tandis qu’en Angleterre on ôse dire au roi : « Vous garderez ce ministre, ou vous perdrez votre couronne. » Dans cet état de choses, si c’est le bien de nos constituans, n’avons-nous pas le droit de demander une dissolution ? Nous avons même le droit de demander la punition capitale d’un gouverneur à l’Angleterre, qui doit répondre des actes de son agent. »

La motion en amendement, faite par M. Rodier, de nommer M. Martin Chinic auditeur des comptes publics à la place de M. Joseph Cary, proposé par M. Cuvillier, occasionna des énonciations, que les mots curiosité, ou singularité ne qualifieraient pas suffisamment.

Le 29, M. Bourdages ayant proposé de remplir le premier blanc du bill, pour nommer un agent en Angleterre, par le nom de l’hon. D. B. Viger, M. Stuart dit, entre autres choses : « En vertu de quel bill veut-on nommer cet agent ? C’est un bill de l’année dernière qui n’a pu passer au conseil, qu’on nous appelle à discuter, sans plus ample considération. »

M. Bourdages : « J’espère que la chambre persistera dans son vote de l’année dernière. Qu’on voie le journal ; 47 contre 1. »

M. Stuart : « La majorité a été la ruine du pays. Ce n’est ni par la majorité ni par la minorité qu’il faut juger ; c’est par la raison. Je les plains, oui, je les plains de tout mon cœur, ceux qui se servent de pareils argumens. Ce n’est point à des hommes faits qu’il faut donner de telles raisons ; des nations entières marchent dans l’erreur. Il ne s’agit pas de compter les noms ; il s’agit de peser les raisons. »

Ce début fournit à M. Papineau l’occasion d’une nouvelle philippique, dans laquelle, après avoir fait « passer tout le monde sous sa férule », en commençant par le secrétaire d’état pour les colonies, il applique à l’éditeur de la Gazette de Québec les épithètes les plus injurieuses[65], et traite d’ordurières les gazettes anglaises, peut-être pour rendre le change à ceux qui disaient de celles qu’il affectionnait, qu’elles « se jettaient dans le règne honteux du sans-culotisme. »

Le rapport du comité spécial auquel avait été référé le message concernant les dépenses contingentes, et la motion faite par M. Huot, qu’il serait expédient de mettre à la disposition du gouverneur, par un acte, la somme de £7,000, etc., attirèrent à son Excellence, de la part de M. Papineau, la diatribe la plus furieuse qui eût encore été prononcée contre un gouverneur quelconque, et à la majorité des membres du comité des épithètes et des apostrophes inqualifiables. Quant à lord Aylmer, d’abord, il veut, (suivant les débats,) qu’on lui fasse voir « les mains de ces témoins encore teintes du sang canadien ; qu’on lui rappelle qu’il a applaudi à ces actes de violence ; il l’accuse de lâcheté, de payer lui-même les juges qu’il corrompt, et dont il achète la conscience, d’avoir joué la chambre, de s’être joué des lois les plus sacrées, de s’être joué lui-même, etc. Et puis, il n’y a jamais eu d’occasion où il se soit trouvé des hommes assez complaisants, assez faibles, assez aveuglés sur sa conduite, pour tenter d’excuser ses erreurs, de pallier ses fautes, de sacrifier leurs droits et leur honneur, etc.

Quoique les membres de la majorité du comité, et particulièrement M. Bedard, sussent défendre leur rapport, sur les principes de la convenance, de la justice et du bien public, le seul M. Gugy parut se sentir gravement insulté, et sut repousser l’injure avec énergie. « Si j’avais à reculer, dit-il, ce ne serait pas en ce moment, qu’on s’est servi d’expressions insultantes et injustes contre le comité de cette chambre. Dans ses violentes discussions, l’honorable orateur tombe sur tous, amis et ennemis… Depuis quand les lois se font-elles par nous seuls ? Depuis quand le respect dû aux autorités n’est-il plus rien ? Sommes-nous la seule autorité ? Faut-il que tout le monde nous obéisse ? et pouvons-nous traiter de traîtres et de renégats ceux qui ne sont pas de notre opinion ?[66] On nous accuse de lâcheté, il y a peut-être plus de lâcheté à l’orateur d’accuser des personnes absentes… Sept personnes ont été souillées de toutes espèces d’injures, sans que, dans un discours de deux heures, on ait rien prouvé contre elles. En sommes-nous donc réduits à ce que M. l’orateur puisse nous dire : « Suivez-moi ; faites, comme moi. » Je réclame, comme contre une chose honteuse, qu’à tout ce qu’il dit, en toute circonstance ; il ne faille que nous soumettre sans mot dire, et ployer sous le joug qu’il impose[67].

Enfin arriva le grand jour de la majorité de la chambre, celui où elle devait considérer l’état de la province. Le 15 février, après l’appel nominal, M. Bedard, un des plus jeunes membres, se lève, et demande que l’ordre du jour soit remis au surlendemain, exposant, (au grand ébahissement de ceux qui n’étaient pas dans le secret), qu’il a à soumettre une longue série de propositions sur l’état de la province.

Le 17, M. Bedard présente le commencement de cette série, qui doit atteindre le nombre de 92, fruit incohérent, pour ne pas dire monstrueux, d’un travail, où l’on put reconnaître évidemment la manière de penser, de parler et d’écrire de M. Papineau, n’étant en quelques endroits, que le résumé, et en d’autres, l’amplification de ses déclamations en chambre, dans les trois ou quatre dernières sessions. La longueur démesurée de cette œuvre incongrue du délire politique nous oblige à n’en donner que la substance.

Dans le style de la chambre d’assemblée, ces 92 propositions complexes, ou paragraphes séparés, ont porté le nom de résolutions, même avant leur adoption.

La première résolution donc renferme une proposition que plusieurs de celles qui suivent inculqueraient n’avoir été vraie que dans le temps passé.

La 2ème fait suivre une assertion vraie d’une assertion fausse et calomniatrice.

La 3ème fait du peuple de cette province un éloge mérité.

Par la 4ème et la 5ème, la chambre fait d’elle-même un éloge qu’elle a pu mériter, à certaines époques, et dans certaines circonstances.

La 6ème contient une exagération historique suivie d’une assertion fausse.

La 7ème est une continuation de l’histoire commencée dans la précédente.

La 8ème était l’inverse de la vérité, ou n’aurait été vraie, en partie, que par la faute de la chambre d’assemblée.

La 9ème, qui est une répétition amplifiée des résolutions de M. Bourdages, contre le conseil législatif, se compose presqu’entièrement d’exagérations, d’assertions fausses et d’expressions indirectement injurieuses au roi et au parlement impérial.

La 10ème contient contre le gouvernement de la métropole et celui de la colonie, des accusations non susceptibles de preuves, et évidemment calomniatrices.

Dans la 11ème et la 12ème, la majorité de la chambre veut donner comme péremptoirement décisives les opinions, conclusions et prévisions qu’elle attribue à M. John Neilson, quoiqu’elle ne les approuve qu’en partie.

Dans la 13ème, la chambre affirmait ce que ses résolutions, etc., prouvaient qu’elle aurait dû nier, savoir : que c’était très heureusement et très sagement, que la propriété foncière n’était pas attachée à l’éligibilité à la chambre d’assemblée.

La 14ème contient la condamnation « sèche et péremptoire » des allégués et des opinions monarchiques du secrétaire d’état pour les colonies, et l’éloge emphatique de la confédération morale, etc., etc., des États-Unis.

La 15ème semble ne rapporter ce que M. Stanley dit en 1834, de la composition actuelle du conseil législatif, que pour dire que cette composition a été justement censurée en 1828.

Dans la 16ème, la chambre paraît avouer que le gouvernement de sa Majesté a eu intention de faire son devoir ; mais dans la 17ème, elle déplore un malheur qui lui a procuré le bonheur d’être confirmée dans son opinion révolutionnaire.

La 18ème affirme que le conseil législatif, fortifié d’une majorité ennemie des droits de la chambre, est plus puissant pour le mal que ci-devant.

Dans la 19ème, la chambre affirme que le conseil législatif a prétendu n’avoir pour mission que de donner de la sécurité à une classe particulière des sujets de sa Majesté, et par la 20ème, que cette prétention, etc., a fait perdre au peuple ce qui lui restait d’espoir, etc.

La 21ème affirme, avise et suggère faussement, et la 22ème attribue ces affirmations, avis et suggestions au très honorable E. G. Stanley.

Par la 23ème, on veut faire croire l’incroyable, autrement, faire croire que le conseil législatif est moins lié aux intérêts du pays qu’il ne l’a été à aucune époque précédente.

Dans la 24ème, la chambre s’apitoie sur le sort des nouveaux conseillers pris dans sa majorité, entre dans le fonds de leurs pensées, se pénètre de leurs sentimens, ou suggère quels sentimens ils doivent manifester, et établit un contraste frappant entre eux et des hommes qui ont perdu sans retour la confiance publique, pour les raisons multiples qu’elle détaille.

Dans la 25ème, on invective particulièrement contre les honorables Horatio Gates et James Baxter, en faveur desquels on prétend que le gouverneur a manifestement violé la constitution.

Dans la 26ème et la 27ème, on déplore pathétiquement que lord Aylmer n’ait pas fait un meilleur usage de son pouvoir, etc., et l’on revient au système électif comme ayant été recommandé par plusieurs membres du comité du Canada.

La 28ème donne à entendre que, quand même le gouverneur aurait fait de meilleurs choix, la chambre n’aurait pas été satisfaite.

Dans la 29ème, on affirme que les accusations portées par le conseil législatif contre la chambre seraient séditieuses et criminelles, si leur nature même n’en détruisait le danger, et dans la 30ème, que celles de la chambre n’ont jamais été calomnieuses, mais sont vraies et fondées, ou en d’autres termes, « innocentes et même louables ».

Dans la 31ème, les résolutionnaires aiment à croire que le gouvernement de sa Majesté n’a pas eu en vue de nourrir systématiquement les discordes civiles dans la colonie, mais ils veulent bien l’avertir de l’affaiblissement des sentimens de confiance et d’attachement qu’ils ont eus pour lui, et lui parlent sans cérémonie du dégoût que leur inspire la majorité des fonctionnaires, combinés en faction, et portés par l’intérêt seul, à lutter pour le soutien d’un gouvernement corrompu, ennemi des droits, et contraire aux vœux du peuple.

Dans la 32ème, en conséquence de ce que le conseil législatif a rejeté, ou amendé un nombre des bills de la chambre, on se donne le plaisir de narguer le ministre des colonies, en rappelant au « chef de l’exécutif », qu’il devenait de son devoir d’en appeler au peuple, etc.

Par la 33ème, on affirme du conseil législatif et du gouvernement colonial, ce qu’on aurait pu affirmer plus vraisemblablement de la chambre d’assemblée.

La 34ème nomme et qualifie désavantageusement les treize membres du conseil qui ont voté l’adresse méchante et calomnieuse.

Dans la 35ème, on oublie la maxime, qu’il ne faut, rien avancer, ou affirmer, qu’on ne puisse prouver.

La 36ème représente les membres du conseil qui avaient appartenu à l’assemblée comme approuvant la démarche constitutionnelle et salutaire, et non « audacieuse », de s’adresser à sa Majesté pour rendre le conseil législatif électif, et les loue de ce qu’ils se retirent des sessions du dit conseil.

Par la 37ème, on veut bien apprendre au roi et au parlement d’Angleterre, que le « monde politique est agité par deux grands partis, en Europe, sous les noms de Serviles, Royalistes, Torys, Conservateurs, etc., d’une part, et de Libéraux, Constitutionnels, Républicains, Whigs, Réformateurs, Radicaux, etc., de l’autre, et leur donner à entendre que le conseil législatif ne sera bon à rien, tant qu’il ne se composera pas en majorité d’hommes compris dans la seconde catégorie.

La 38ème résolution n’est qu’un corollaire de la précédente.

Dans la 39ème, la chambre affirme que le conseil législatif, tel qu’elle vient de le représenter, « n’est pas une autorité compétente à demander des changemens dans l’acte constitutionnel », mais qu’elle l’est bien elle, et elle seule.

Dans la 40ème, on attend de la justice du parlement britannique, qu’il se gardera des « fausses représentations du conseil législatif et des membres et suppôts de l’administration coloniale, tous intéressés à perpétuer les abus ».”

Par la 41ème, on fait « solennellement et délibérément vouloir au peuple de ce pays, en 1828, des changemens aux institutions de la province, des institutions extrêmement populaires, et de plus en plus ressemblantes à celles des États-Unis ».

Dans les 42ème, 43ème, 44ème, 45ème et 46ème, la chambre narre, argue et conclut, « sur sa propre responsabilité », ne se croire responsable à qui, ni de quoi que ce soit.

Dans la 50ème, les gens qui « ne voulaient ni ne prétendaient menacer », menacent l’Angleterre explicitement de la puissance croissante des États-Unis, et implicitement de la révolte de ses colonies d’Amérique.

La 51ème, est évidemment fausse dans sa première partie, quoiqu’elle puisse être vraie dans la dernière.

La 52ème, eût été plus de mise en 1822, ou avant, et l’on peut dire des choses qu’elle dit, non erat his locus.

La 53ème, n’est remarquable que par son oiseuseté, et par l’exagération ridicule de ses dernières expressions.

Les 54ème 55ème, 56ème, 57ème, 58ème, 59ème et 60ème, contiennent des réclamations et protestations contre de certains actes du parlement impérial, et particulièrement contre l’acte des tenures.

Dans la 61ème, on attribue aux administrations coloniales ce qu’on devait savoir ne pouvoir pas leur être attribué.

La 62ème, est un corollaire de la 60ème.

Dans les résolutions qui suivent, jusqu’à la 71ème, la chambre parle des difficultés qu’elle a élevées, des embarras qu’elle a causés, au sujet des finances, et s’efforce d’en rejeter la faute, encore plus sur le gouvernement de la colonie que sur celui de la métropole, et dans les trois suivantes, elle fait connaître la source où elle a puisé ses maximes politiques, fait entrevoir les modèles qu’elle se propose d’imiter, et annonce un propos délibéré de conduite future, ou une détermination qui aurait dû amener celle de la réduire immédiatement au silence et à l’inaction. « La pratique adoptée par cette chambre », lui fait-on dire, d’attacher certaines conditions à certains votes est sage et constitutionnelle et a été souvent adoptée par la chambre des communes dans des circonstances analogues. Ça été la pratique ancienne de la chambre des communes de retenir les subsides, jusqu’à ce que les griefs fussent redressés, et en suivant cet exemple, dans la conjoncture actuelle, nous sommes appuyés dans nos procédés, tant par les antécédens les plus approuvés, que par l’esprit de la constitution même… Si dans la suite, après la réparation des griefs et abus, cette chambre trouvait bon et convenable d’accorder des subsides…

La 75ème, fait le recensement des habitans du Bas-Canada, dont elle porte le nombre à 600,000, dont 525,000, d’origine française, et 75,000 d’origine britannique, ou étrangère.

La 76ème, est dans son commencement, une suite de la précédente, et dans sa fin, un préambule aux deux suivantes, qui contiennent une déclamation contre les juges, les officiers de la couronne, et les procédures judiciaires en matières criminelles.

Par la 79ème, notre chambre d’assemblée s’arroge tous les pouvoirs, priviléges et immunités de la chambre des communes d’Angleterre.

Les 80ème, 81ème, 82ème, et 83ème, offrent le développement de ces pouvoirs, etc., accompagné de plaintes et d’accusations diverses.

La 84ème, est un nouvel acte d’accusation, comprenant seize chefs ou articles distincts.

1. La composition du conseil exécutif, dont les membres sont en même temps juges de la cour d’appel.

2. Les honoraires exhorbitants dans divers bureaux de l’administration et du département judiciaire…

3. Les juges illégalement appelés à donner secrètement leur opinion… devenus partisans politiques…

4. Le conseil des emplois dans des vues d’intérêt et d’esprit de parti.

5. L’immiscement de conseillers législatifs dans les élections, pour les violenter et les maîtriser, et les choix d’officiers-rapporteurs, souvent faits dans des vues particulières et corrompues.

6. L’intervention de la force militaire aux élections, par où trois citoyens paisibles[68], étrangers à l’agitation de l’élection, ont été tués et fusillés[69], dans la rue ; les applaudissemens donnés par le gouverneur en chef aux auteurs de cette sanglante exécution militaire. »…

7. Les divers systèmes fautifs, d’après lesquels on a disposé, depuis le commencement de la constitution des terres vacantes.

8. L’accroissement des dépenses du gouvernement.

9. Le manque de recours dans les tribunaux à ceux qui ont des réclamations justes et légales contre le gouvernement.

10. La réserve trop fréquente de bills pour la sanction royale.

11. La négligence du bureau colonial à répondre aux adresses de l’assemblée.

12. La détention injuste du collége de Québec.

13. Les injustes obstacles opposés par un « Exécutif », ami des abus et de l’ignorance, à la fondation de colléges, etc.

14. Le refus du gouverneur de faire droit sur les accusations portées, au nom du peuple, par cette chambre contre des juges, etc.

15. Le refus des gouverneurs, et surtout du gouverneur en chef actuel, de communiquer à cette chambre un grand nombre de documens demandés, et qu’elle a droit d’avoir.

16. Le refus du gouvernement de sa Majesté de rembourser à la province le montant de la défalcation du ci-devant receveur-général…

« L’exposé ci-dessus », est-il dit, dans la 85ème résolution, démontre qu’à aucune époque les lois et les institutions de la province n’ont été administrées d’une manière plus contraire aux intérêts du gouvernement de sa Majesté que sous la présente administration… et nécessité de la part de cette chambre la mise en accusation de son Excellence, M. W. Aylmer, gouverneur en chef de cette province, pour avoir, dans l’exercice des devoirs de sa charge, en contravention au désir du parlement impérial, et aux directions qu’il a dû recevoir, à l’honneur et à la dignité de la couronne ; aux droits et priviléges de cette chambre,… recomposé le conseil législatif, de manière à augmenter les dissentions qui détruisent la colonie ; mis des entraves sérieuses aux travaux de cette chambre, comme grande enquête du pays ; disposé du revenu public, de la province, contre le consentement du peuple, en contravention à la loi et la constitution, maintenu des abus existans et en avoir fait naître de nouveaux ; refusé de signer un writ d’élection ; etc[70], et cette chambre attend de l’honneur, du patriotisme et de la justice du parlement réformé du Royaume-Uni, que les communes du parlement porteront des accusations parlementaires et les appuieront devant la chambre des lords, contre le dit Matthew lord Aylmer, par suite et à raison de son administration illégale, injuste et inconstitutionnelle du gouvernement de cette province, etc.

La 86ème est comme suit : « Cette chambre espère et croit que les membres indépendants des deux chambres du parlement du Royaume-Uni seront disposés, autant par inclination que par devoir, à soutenir les accusations portées par cette chambre, et à veiller à la conservation de ses droits et piriviléges, souvent et violemment attaqués, surtout par l’administration actuelle, et à faire en sorte qu’on ne puisse pas, en opprimant le peuple de cette colonie, lui faire regretter sa dépendance de l’empire britannique, et chercher ailleurs un remède à ses maux. »

Dans la 87ème, reconnaissance, louange et recours à Daniel O’Connell, etc.

Dans la 88ème, même confiance en Joseph Hume qu’en D. O’Connell, et méfiance du secrétaire colonial…

Dans la 89ème, invitation aux membres de la minorité du conseil législatif aux membres de la chambre d’assemblée, jusqu’aux prochaines élections, et ensuite à tous les membres élus, et à telles autres personnes qu’ils s’associeront, à former des comités de correspondance, pour correspondre avec l’hon. D. B. Viger, agent de cette province, et avec les dits Joseph Hume et Daniel O’Connell, et autres.

Par la 90ème résolution, l’hon. D. B. Viger est prié de demeurer au siége du gouvernement de sa Majesté sans se laisser décourager par les exceptions de forme de ceux qui ne veulent pas entendre les plaintes du pays[71].

« 91ème. Résolu. Que les dépenses justes et raisonnables des dits comités de correspondance, en exécution des pouvoirs que leur confie cette chambre, sont une dette qu’elle contracte avec eux, et que les représentans du peuple sont liés d’honneur à employer tous les moyens constitutionnels, pour les rembourser, à cet égard, ainsi que ceux qui leur feront des avances pour les fins énumérées ci-dessus. »

« 92ème. Résolu. Que le message de son Excellence, le gouverneur en chef, reçu le 13 janvier dernier, relatif au writ pour le comté de Montréal, avec l’extrait d’une dépêche qui l’accompagne, le message du même, reçu le même jour, avec l’extrait d’une dépêche qui l’accompagne, soient biffés des journaux de cette chambre.

Tel est le résumé d’une œuvre dont on n’aurait pu trouver nulle part le pendant, l’eût-on cherché dans les annales de la plus grande démence révolutionnaire[72]. La présenter à la chambre, c’était lui demander de sanctionner tout ce qui était sorti de la bouche de son orateur, depuis le commencement de la session de 1831. Les plus aveugles partisans ou admirateurs de M. Papineau ne pouvaient s’être attendu que ces propositions deviendraient résolutions de la chambre, avant d’avoir subi de nombreuses et importantes modifications ; peu d’hommes pouvaient croire qu’il fût décent, ou prudent, de dénaturer les faits, d’invectiver, d’insulter et de menacer d’une manière si folle et si furieuse ; tous devaient voir dans cet incongru verbiage, les efforts pénibles faits pour trouver les termes les plus injurieux, et leur donner la tournure la plus offensante : les passions concentrées de l’orgueil, de l’amour-propre blessé, de la haine invétérée et de l’aveugle esprit de vengeance, ne trouvant pas assez d’espace pour se déborder, d’issues assez larges pour s’exhaler ; l’effervescence cérébrale, enfin, le délire politique parvenir à son plus haut paroxysme. On verra ce qui en advint, contre toute attente raisonnable quand on aura vu quelque chose des débats qui eurent lieu avant l’adoptation finale.

Il faut d’abord remarquer que M. Bedard, qui s’est chargé d’introduire ces propositions dans la chambre, et qui avait bien voulu « en prendre sur lui la responsabilité », ne les présenta que par parties détachées, et de plus, qu’il put à peine dire quelque chose à leur soutien, n’ayant parlé un peu longuement qu’en une seule occasion ; que MM. de Bleury, Vanfelson et Lafontaine firent d’assez longs discours pour les faire trouver bonnes et convenables ; que M. Bourdages les appuya, comme il appuyait, soit par pure complaisance, soit par une identité singulière de sentimens et de vues, tout ce qui plaisait à M. l’orateur, et qu’il n’y eût que M. Papineau qui en parût connaître le fond, l’intention secrète, le mérite intrinsèque et caché, et qui les défendit, comme on ferait d’une œuvre chérie, chaleureusement, passionnément, et quelquefois impérieusement, à la façon d’un fameux président de la convention nationale de France. Pourtant, son très long discours ne fut guère que la répétition de ses déclamations précédentes, ou la copie même des résolutions, avec de légères variantes, dénotant que les accès démagogiques, ont été plus ou moins longs, plus ou moins grands, en différentes occasions ou sous différentes phrases allant parfois jusqu’à lui faire vouloir, à l’exemple des indépendans du temps de Charles I, l’abolition complète de la monarchie et de l’aristocratie, et par conséquent, la démocratie pure ou l’anarchie.

Les discours de MM. Neilson, Stuart et Quesnel contre ces résolutions, furent ceux d’hommes sages et réfléchis, mais parlant peut-être trop bas, au milieu de la tempête, ou pour l’occasion. Le seul M. Gugy parut animé, nous dirions peut-être mieux impatienté par les longues, divagantes, mordantes, et souvent éloquentes diatribes de M. Papineau. Ce que ces différents orateurs dirent de mieux alors ne doit pas être perdu pour la postérité.

M. Neilson. « Si je suis prêt à résister à toute attaque contre cette chambre, je suis prêt à en faire autant pour le gouverneur. Comment faire le bien commun en attaquant le représentant du roi ? N’est-ce pas nous mettre en inimitié avec les autorités sons lesquelles nous siégeons, et déclarer qu’il n’y en a pas d’autre que la nôtre ? Il est de même contraire à mes principes d’arrêter la marche du gouvernement, en refusant les subsides… Je serai le dernier à consentir qu’on s’emporte en injures et en insultes contre celui qui nous communique les ordres de sa Majesté dans cette province. Dire que nous voulons rompre toute communication avec lui, que nous jetons sous la table les dépêches de M. Stanley, sont des idées que comportent les résolutions, qui jamais n’obtiendront mon assentiment. C’est nous qui avons mis des entraves à la « réforme des abus ».

M. Stuart : « Loin de moi toutes ces distinctions nationales, ces expressions exagérées et injurieuses que s’est permises l’orateur de cette chambre. Ces expressions sont extrêmement inconsidérées. Dans ce pays, il est impossible d’empêcher les inconvéniens qui résultent du mélange de la population ; mais est-ce à nous à semer des dissentions et à augmenter l’irritation ? J’ai cru apercevoir dans la discussion plus de personnalités que de raisonnemens… Nous sommes dans un moment de crise ; nous convient-il d’adopter des mesures propres à augmenter l’embarras et à exciter l’irritation ? Est-il conforme aux règles de la raison et de la prudence de tourner contre nous toutes les autorités… Ce n’est pas le peuple qui est mécontent, ce sont ceux qui se mêlent des affaires. Où sont dans ce pays les esclaves dont on parle dans les résolutions ? Peut-être y en aura-t-il un jour, si elles sont adoptées. Ceux qui vantaient tant leur amour pour la liberté, qu’ont-ils fait pour le pays ? Ils ont suscité des mécontentemens, ils ont su exciter les passions… Il est de fait qu’autrefois il y a eu des abus… mais aujourd’hui, quelle nécessité y a-t-il de mettre la chambre en collision avec les autorités locales et extérieures ? Il n’y a pas un homme sensé qui ne convienne qu’une pareille lutte nous serait funeste à tous. De bonne foi se persuade-t-on que ces résolutions sont de nature à consolider l’état du pays ? Pour moi, j’y vois son malheur, sa ruine et l’esclavage. »

M. Quesnel : « Le gant est jeté ; la majorité a défié tous ses ennemis ; elle a fait une déclaration de guerre… Irons-nous en Angleterre, lorsque nous sommes en guerre avec toutes les autorités de la province ? Contre les règles de la saine politique, nous entreprenons plusieurs guerres à la fois. Nous déclarons la guerre au gouverneur, lorsque nous savons qu’il sera soutenu par les ministres, qui ont déjà approuvé sa conduite. Nous déclarons une autre guerre au conseil législatif, qui, avec beaucoup de raison, se sent appuyé par l’acte qui le constitue. Nous déclarons la guerre à l’administration de la justice, sans songer que c’est la faute de la législature, si le système vicieux sous lequel elle gémit n’a pas été amélioré. Nous attaquons aussi les juges ; s’ils ne sont pas aussi indépendants qu’on le voudrait, à qui la faute ? C’est nous-mêmes qui avons refusé de passer un bill pour assurer leur indépendance. Non contents d’avoir déclaré la guerre aux autorités du pays, nous passons de l’autre côté de la mer, et nous attaquons le ministre colonial lui-même… Je demanderai si nous ne devons pas tout appréhender du résultat de nos démarches. Eh ! qui sont donc nos alliés dans une aussi grande entreprise ?… M. Daniel O’Connell ?… M. Joseph Hume ?… J’ignore où ces résolutions peuvent nous conduire : s’il n’en résulte point de trop grands troubles, il en résultera au moins une bien grande réaction. »

M. Gugy : « Une foule d’accusations vagues et hasardées, une multitude d’expressions peu mesurées et injurieuses, l’exagération dans les sentimens, les erreurs dans les faits, qui se trouvent dans le discours de M. l’orateur, me forcent à élever la voix pour lui répondre. Je n’entreprendrai pas de le suivre dans toute cette longue chaîne d’argumentations soignées et travaillées depuis longtems, renfermant une foule immense de considérations, dont les unes, pour lui rendre justice, sont vraies et lumineuses, et les autres pernicieuses et désorganisatrices. Je ne les ai pas encore toutes lues, ces résolutions, mais il y en a une ou deux que je dois signaler. Elles contiennent des doctrines nouvelles pour ce pays, et qui lui devront être fatales. Je me doutais que les résolutions seraient violentes, emportées, mais je ne croyais pas qu’elles le seraient jusqu’à l’exaspération et la démence. Dans les 49ème et 50ème résolutions, il est clairement énoncé que si l’on ne fait pas comme il est demandé, ou veut la guerre, et on en appelle aux États-Unis. Il est dangereux de déclarer la guerre et d’en appeler aux Américains… La passion domine quelquefois les hommes publics, c’est cette passion qui leur fait dire : « Ôte-toi de là que je m’y mette »… Je veux occuper la place de cette misérable « faction anglaise »… Voilà les sentiments de l’orateur, quand il parle d’hommes qui sont morts et qu’on ne connaît pas ; et ce sont encore ses expressions, quand il parle de griefs. Pour exciter les passions et nous précipiter dans ces écarts, il s’en vient nous parler du peu d’humanité de gens morts il y a cent ans. Mais qu’est-ce que cela a à faire ici ? Nous coupe-t-on les oreilles aujourd’hui ? Nous jette-t-on dans des vaisseaux pourris ? Nous donne-t-on la bastonnade ? Y a-t-il une preuve plus convaincante de notre liberté que les termes envenimés et insultants dont il se sert contre ce qu’il appelle une faction, quand elle met un frein à ses projets d’aggrandissement ? Il y a un fait que tout le monde connaît, un fait qui nous a tous affligés ; je veux parler du 21 mai : je le demande à ceux qui viennent d’entendre cette philippique inflammatoire, si M. Papineau est aussi violent à Montréal qu’il l’est ici, est-il bien difficile de s’expliquer le 21 mai ? Je dirai que les passions d’un homme qui croit que tout est fait pour lui sont dangereuses et funestes. On nous parle de la confusion mise dans nos lois, et pour cela on veut tout bouleverser. On crie contre les menaces et le ton du secrétaire colonial, et qu’est cela auprès des discours de M. Papineau, et de résolutions qui comportent la menace de se joindre aux États-Unis ?… Ces résolutions qu’on nous présente comme le fruit de tant de recherches, sont un chef-d’œuvre de démence. Les Canadiens sont vertueux et loyaux, mais que deviendront leur vertu et leur loyauté, si de telles mesures proposées par des têtes chaudes[73], précipitent le pays dans une lutte avec l’Angleterre ? Les bienfaits de la mère-patrie envers eux sont écrits en gros caractères. Elle leur a conservé leur religion, quand les Washington et les Franklin lui reprochaient de favoriser dans ses colonies un culte impie et blasphématoire. Depuis ce temps, nous avons eu tous les avantages de sujets britanniques, constitution, presse libre, procès par jury, etc. On nous dit que la minorité du conseil n’y veut pas siéger : eh bien, c’est à ceux qui, pouvant s’y trouver, se sont absentés, que nous devons attribuer l’adresse du conseil de l’année dernière… L’orateur de la chambre a un avantage sur Don Quichotte, c’est que celui-ci se battait avec des moulins qu’il trouvait tout faits, au lieu que le premier les fait et les combat. Ces moulins de l’honorable orateur, c’est le conseil législatif, recomposé tel qu’il est aujourd’hui, des actes duquel il forme une foule immense de maux, qu’il attribue toujours à ceux qui ne sont pas de son opinion. Les Canadiens ne sont pas les seuls dans le pays, si l’on restreint ce nom à ceux qui sont d’origine française. C’est une idée de distinction qui n’entre pas même dans la tête des habitans de nos paisibles campagnes. C’est une idée de trouble et de dissention, qui n’est née que dans cette chambre ; et les conséquences funestes qui en résulteront, nous vivrons assez pour les attribuer à l’orateur. Quant à la constitution, je conviens qu’il faut une réforme, mais sans précipitation, sans l’étourderie de la jeunesse, avec réflexion et prudence ; mais la suite de ces résolutions incendiaires sera qu’on en aura pas du tout. Nous avons entre les mains une dépêche que j’ai prédite, au sujet des résolutions de l’année dernière. Cette dépêche, nous dit-on, contient de dures menaces : qu’avons-nous fait, de notre côté, nous qui avons refusé ce que nous offrait le roi par la dépêche de lord Goderich ?… Dans un pays où l’on voit l’orateur d’une des branches en appeler si souvent aux passions, et où se trouve une majorité d’habitans d’origine française, si le conseil législatif était électif, qui est-ce qui représenterait nos co-sujets qui viennent d’Angleterre, et qui ont les mêmes droits que nous ? On aurait un conseil et une chambre qui seraient mus par les mêmes sentimens, par des sentimens comme ceux qui ont déjà été énoncés. Quelle confiance pourrait avoir une partie considérable de la population dans deux corps ainsi constitués[74] ?… Je ne vois pas dans le conseil législatif un corps qui soit un opprobre, mais qui a servi et servira d’échec à l’effervescence des passions qui règnent quelquefois dans cette chambre-ci. Si les rois ont leurs flatteurs, les peuples ont aussi les leurs. N’est-ce pas une flatterie faite au peuple que de chercher à lui donner des institutions plus démocratiques que celles que nous avons ? Ces flatteurs du peuple veulent lui faire croire qu’il est malheureux quand il est heureux. Ce sont ces flatteurs de mauvaise foi qui le perdent. Les Canadiens sont heureux, contents, paisibles. Comment le peuple, dont les neuf-dixièmes sont agricoles, souffrirait-il des petites injustices et des cabales que font la chambre et le conseil. J’appellerai encore l’attention des membres à la 50ème résolution, qui va à dire, faites ce que nous demandons, ou attendez-vous à nous voir nous ruer contre vous, et imiter l’exemple des États-Unis. N’est-ce pas là une déclaration de guerre ? De quelles autres expressions se servaient les Américains, quand ils se sont révoltés, eux qui étaient si bien gouvernés ? Nous, qui sommes plus mal gouvernés qu’eux, nous avons sans doute de plus fortes raisons d’adopter leur démarche. En bonne foi, est-il prudent d’adresser un pareil langage à la mère-patrie ? Quelles sont les ressources du pays ? Et quand même on ne voudrait pas recourir à ces moyens extrêmes, il n’en est pas moins vrai que ces résolutions devront exciter des soupçons contre la loyauté des Canadiens. Je nie pourtant qu’on y ait exprimé leurs vœux et leurs sentimens. Il n’y a que de fréquents appels aux passions, des intrigues et des menées qui puissent leur faire désirer des événemens qui devront être funestes… Que veut dire cette allusion qu’on fait aux forces et à la révolution de l’Amérique ?… L’idée si ridicule d’un système républicain en Canada n’existe que dans la tête de ceux qui auraient espoir d’en tirer parti. Je n’approuverai jamais qu’on fasse des menaces et qu’on adresse des expressions injurieuses à celui qui est le représentant du roi ; je regarderai toujours comme une mesure impolitique de nous adresser à MM. O’Connell, et Hume pour soutenir nos représentations. Je ne puis m’empêcher de croire que ces comités, ces clubs, que l’on prétend former ici, ne seront que des boute-feux de sédition. On va plus loin, on va jusqu’à offrir les deniers publics pour maintenir ces associations. Tout cela, vraiment, sent la révolution française, tout cela sent la force brute. Réveillez l’énergie des masses, et elles s’entrechoqueront : elles briseront aujourd’hui leur idole d’hier. Elles auront commencé par le règne de la liberté et de la fraternité, elles finiront par celui de la terreur et de l’anarchie. »

Les résolutions ayant été présentées pour le concours de la chambre par M. Bédard, qui ne s’en attribuait pas tout le mérite, mais qui consentait à en prendre sur lui toute la responsabilité, et motion ayant été faite par le même, secondé par M. Morin, que la première série fût adoptée[75].

M. Neilson proposa, en amendement, secondé par M. Duval, « Que le rapport fût renvoyé à un comité général, avec instruction de savoir si la chambre ne devrait pas substituer aux résolutions rapportées une autre série de propositions, dont la première et la deuxième étaient comme suit :

« L’état de cette province a été pleinement considéré par cette chambre, et représenté à sa Majesté et aux deux chambres du parlement, dans ses humbles adresses du 16 mars 1831, et les réponses qu’y a faite le principal secrétaire d’état de sa Majesté pour le département colonial, en date du 7 juillet suivant, mises devant cette chambre le 8 novembre de la même année, contient une promesse solennelle, de la part du gouvernement de sa Majesté, de son consentement et de sa coopération à obvier ou remédier aux principaux griefs et abus dont se plaignent les dites adresses, et il est du devoir de cette chambre de procéder dans l’esprit de la dite dépêche, de coopérer à avancer la paix, le bien-être et le bon gouvernement de la province, conformément à l’acte du gouvernement britannique qui le constitue.

« L’extrait d’une dépêche du principal secrétaire d’état de sa Majesté pour le département colonial, communiqué à cette chambre, par message de son Excellence, sous la date du 28 juillet 1828, adopté après un examen des requêtes de toutes les classes des sujets de sa Majesté de cette province, et en cela, cette chambre a un motif de plus pour procéder instamment, diligemment et avec persévérance, en autant que la chose dépendra d’elle, à assurer à ses constituans les avantages qu’offrent les dites recommandations, cultivant en même temps l’harmonie entre tous les habitans de la province et le bien-être général. »

La chambre se divisa sur l’amendement ; il fût rejeté à la majorité de 56[76] contre 24, et les 92 propositions devinrent résolutions de la chambre. M. Neilson se retira alors avec les membres de la minorité.

Si un résultat aussi étrange que déplorable dut étonner d’abord, il put aussi s’expliquer par la composition de la chambre, autant que par le système de déclamations passionnées suivi par son orateur, surtout depuis 1831. Un nombre considérable de membres semblaient, suivant l’ancien système anglais d’acquiescence ou d’opposition irrationnelle ou systématique, avoir juré de ne voter jamais que dans le sens de M. Papineau et de M. Bourdages, de l’orateur et du doyen de la chambre. Sur ceux-là les considérations les plus justes ou les plus sérieuses, les raisonnemens les plus logiques, les argumens les plus concluants n’avaient pas la moindre prise, et ce ne fut pas sans raison que M. Bourdages dit, au moins une fois, à ses adversaires, qu’il leur était inutile de raisonner, parcequ’il avait pour lui le nombre ou la force des voix. La paie des membres, jointe au manque de restriction à l’éligibilité, du côté de la propriété foncière et de l’âge, avaient beaucoup augmenté, depuis quelques années, le nombre de ces voteurs systématiques, et de ceux aussi auxquels on n’a peut-être à reprocher que de s’être lancés prématurément dans la carrière de la politique.

Les procédés et les débats offrent des indices nombreux que plusieurs de ces derniers étaient entrés dans la chambre avec des intentions droites, des idées saines de convenance et d’équité, malgré l’effet préalable de la licence de la presse, mais l’enthousiasme, la soif même de la justice, jointe à l’effervescence de la jeunesse, ne les rendirent que plus sujets à être exaltés et comme électrisés par des harangues passionnées et inflammatoires ; pour eux M. Papineau n’était pas seulement l’orateur ou le président de la chambre, mais encore un oracle infaillible.

Ces procédés, dont le gouverneur aurait pu rire, s’il n’eût été un homme grave, et voulant la tranquillité et le bonheur du peuple canadien, n’empêchèrent pas son Excellence de communiquer encore officiellement avec la chambre d’assemblée ; cette chambre put, à l’instance de son orateur, tenter de flétrir par bill trois honorables citoyens[77] ; M. Papineau put dire, entre mille autres choses curieuses, que les subsides étaient refusés pour paralyser un gouvernement devenu onéreux, et inculper, ou réprimander, tantôt un membre, tantôt un autre, et M. Stuart s’indigner de cet étrange comportement[78].

Pendant que le tonnerre de la tempête excitée par la considération de l’état de la province semblait menacer tout le monde, un autre orage tombait sur les têtes de deux particuliers, M. James Baxter, membre de l’assemblée pour le comté de Stanstead, ayant été appelé au conseil législatif, il fallut lui donner un remplaçant. Il y eût deux candidats, M. W. Chamberlin, constitutionnel, ou conservateur, et M. Marcus Child, révolutionnaire, ou radical. M. Ritchie, l’officier-rapporteur, ayant accepté, d’abord, comme votans tous ceux qui se présentaient, M. Child parut avoir le plus grand nombre de votes quelconques ; mais après examen ou recherches, il se trouva que M. Chamberlin avait le plus grand nombre de votes légaux ; une grande partie de ceux qui avaient voté pour M. Child n’étant que des squatters, ou gens établis sans titres sur les terres de la couronne. M. Ritchie ne sachant lequel des deux candidats il devait rapporter comme élu, s’adressa au gouverneur, pour avoir une opinion légale, d’après laquelle il pût se régler. Le procureur-général étant absent, le gouverneur renvoya l’affaire à M. R. A. Hamel, avocat-général. L’avis de M. Hamel fut que l’officier-rapporteur aurait dû déclarer élu celui qui avait eu le plus grand nombre de votes légaux, et en conséquence, M. Chamberlin prit son siége comme membre ; et M. Child de s’adresser à la chambre pour que la déclaration de l’officier-rapporteur soit désavouée, et M. Chamberlin, pour qu’elle soit confirmée. Les pétitions sont référées au comité des priviléges et élections, et ce comité rapporte, (en substance) à la majorité de 3[79] contre 1[80], que M. Child aurait dû être déclaré élu, et qu’il doit prendre son siége dans la chambre, que M. Chamberlin ne peut continuer à y siéger, et que s’il faut procéder sur la dernière partie de sa requête, cela ne peut empêcher M. Child de siéger maintenant ; que M. Ritchie s’était écarté de son devoir, en consultant l’Exécutif, sur un sujet lié à la liberté d’élection ; qu’il aurait dû agir sur sa propre responsabilité, ou consulter un avocat indépendant et désintéressé, et que l’intervention du gouverneur en chef et de l’avocat-général était inconstitutionnelle et subversive des droits et priviléges de la chambre. »

Ce rapport, déjà assez offensant pour le gouverneur, lui attira, de la part de M. Papineau les injures les plus vulgaires, dans le débat qui s’en suivit[81], et à M. Hamel, ainsi qu’à M. Ritchie, une sévère, sinon grave admonition. Vainement M. Gugy soutient-il en chambre que les procédés de l’officier-rapporteur ont été conformes à la loi, et que l’avis de l’avocat-général doit être regardé comme aussi bon que celui qu’aurait pu donner un avocat de Montréal, ou des Trois-Rivières, la majorité pense, ou veut juger autrement, et sur motion de M. Bourdages, elle résout, ou décide, que M. Ritchie et M. Hamel ont enfreint les priviléges de la chambre, et ordonne qu’ils soient amenés à la barre, sous la garde du sergent-d’armes, pour y être admonestés par M. l’orateur.

Nous ignorons ce que M. Ritchie put penser, en recevant sa réprimande, mais nous croyons que M. Hamel aurait pu, et peut-être dû dire, que « son devoir et les convenances ne lui avaient pas permis d’insulter le gouverneur », quand M. l’orateur lui dit : « Les notions du droit public devaient vous engager à répondre à l’Exécutif de ne pas empiéter sur les priviléges de cette chambre[82]. »

Quoiqu’il en soit, les avocats de Québec, de Montréal et des Trois-Rivières ne virent pas sans indignation cet affront fait à un membre distingué de leur corps. Ils s’assemblèrent, dans ces trois villes, et réprouvèrent par d’énergiques résolutions l’arrestation et la censure de M. Hamel, comme étant un exercice indu d’un pouvoir usurpé. Ceux de Montréal regardèrent « comme un sujet de regret pour le barreau, que M. Hamel se fût silencieusement soumis à l’indignité qui avait été offerte à la profession en sa personne. »

Pour revenir à l’état de la province, ou plutôt de la chambre d’assemblée, que le gouverneur aurait peut-être dû considérer à temps, pour se convaincre de la nécessité de la renvoyer, (ainsi que son orateur s’y était attendu[83]), comme atteinte d’une maladie mentale dont rien ne pouvait la guérir alors, si ce n’était un coup d’état, ou « de gouvernement », comme celui auquel le général Craig avait eu recours, dans des circonstances beaucoup moins graves ; le 1er mars, M. Bedard présenta une adresse basée sur les 92 résolutions, et ce monstrum horrendum informé, ingens fût adopté à la majorité de 33, et sur motion du même, il fût résolu :

« Qu’il est expédient de nommer quelque personne en qui cette chambre repose confiance, pour porter en Angleterre, et livrer à l’honorable D. B. Viger, agent de cette province[84], les pétitions de cette chambre aux deux chambres du parlement du Royaume-Uni sur l’état de la province, et pour les appuyer conjointement avec le dit D. B. Viger, et ordonné que A. N. Morin, écuyer, membre de cette chambre, soit chargé de cette mission. »

Quant à l’adresse au roi, le gouverneur s’était condamné à se l’entendre lire par l’orateur, accompagné de la majorité de la chambre. En entendant la lecture des accusations portées contre lui, lord Aylmer eût probablement à faire plus d’efforts pour s’empêcher de rire que pour contenir son indignation.

Le conseil législatif avait aussi pris en considération l’état de la province. Les honorables Felton, Joliette et Moffatt avaient présenté, chacun, une série de propositions, et le 8 mars, il fut résolu :

« Que les efforts faits par la chambre d’assemblée, dans la dernière session, pour obtenir un changement dans la forme de gouvernement établie dans cette province, ont éprouvé une opposition efficace, de la part du conseil législatif ;

« Que la dépêche du secrétaire d’état, communiquée au conseil législatif le 14 de janvier dernier, lui donne l’assurance la plus satisfaisante de la détermination de sa Majesté de conserver à ses fidèles sujets de cette province les bienfaits de la constitution et de la forme de gouvernement dont ils jouissent maintenant ;

« Qu’après l’assurance qui a été ainsi formellement communiquée, de conserver la constitution telle qu’établie par la loi, le conseil législatif est obligé d’envisager les résolutions de l’assemblée et ses adresses transmises à la chambre des lords et à la chambre des communes du Royaume-Uni, comme une atteinte à la justice et à l’impartialité de sa Majesté, et le conseil législatif, regardant l’appel de la décision de sa Majesté aux deux chambres du parlement impérial, comme le renouvellement et la continuation des attaques contre le gouvernement et les institutions du pays, se croit obligé, tant par devoir que par inclination, de résister de nouveau et de s’opposer à des prétentions qui, telles que dévoilées dans les résolutions, sont dangereuses pour la stabilité du gouvernement de sa Majesté, et tendent à détruire la paix et le bonheur de ses loyaux sujets de cette province ;

« Qu’une humble adresse soit présentée à sa Majesté, pour renouveler les expressions de l’attachement continuel de cette chambre à la présente constitution de gouvernement ; pour assurer sa Majesté que le conseil législatif met une confiance sans bornes dans la sagesse de son gouvernement ; pour prier que sa Majesté ne soit pas induite à accéder à la demande d’un changement dans une constitution chérie de ses fidèles sujets canadiens, et pour assurer de plus sa Majesté que les résolutions et les adresses qui appuient une pareille demande par des menaces dont les conséquences sont peu douteuses, adoptées par une majorité de l’assemblée, présentent un exposé faux des opinions, et ne sont pas conformes aux sentimens de loyauté et d’attachement que la grande masse des sujets de sa Majesté de cette province a toujours eu pour son gouvernement[85]. »

Comparées aux 92 résolutions de l’assemblée, celles du conseil législatif sont un modèle de modération ; tel fût aussi le langage du gouverneur, dans son discours de clôture.

« Messieurs de la chambre d’assemblée : Vos procédés récents me dispensent de vous rien dire, en cette occasion, au sujet de la communication, qu’en obéissance aux ordres de sa Majesté, j’ai dû vous faire, à l’ouverture de la session, concernant les difficultés financières du gouvernement local, occasionnées par la perte du bill de subsides de l’année dernière. Ce sujet, ainsi que d’autres, ayant rapport aux affaires de la province, a été ôté des mains du gouvernement de sa Majesté par votre appel au parlement impérial. Aux décisions de cette autorité suprême toutes les parties intéressées doivent une obéissance implicite.

« Mais, en attendant, je ne puis m’empêcher de faire quelques observations sur le langage des 92 résolutions sur lesquelles est fondé votre appel au parlement impérial, car il s’éloigne tellement de la modération et de l’urbanité, si bien connues du caractère canadien, que ceux qui ne connaîtraient point l’état réel de la province, auraient de la peine à se persuader que ce langage ne doive pas être attribué à une fermentation extraordinaire et générale dans l’esprit du peuple. Je profite donc de cette occasion pour énoncer distinctement, et je dois appeler votre attention particulière sur ce fait, que quels que soient les sentimens qui ont prévalu dans l’enceinte de la chambre d’assemblée, lorsque vos 92 résolutions ont été adoptées, tout le peuple, hors de cette enceinte, jouissait, dans ce moment même, de la tranquillité la plus profonde, et je compte avec trop d’assurance sur son bon sens, pour croire qu’il souffrira que sa tranquillité soit troublée par les manœuvres qui vont évidemment être mises en jeu à cet effet. Ce sera, je crois, une tâche un peu difficile que de persuader tout un peuple de l’existence de maux qu’aucun individu de la société ne ressent en ce qui le concerne personnellement.

« Vous rendriez un service bien utile à vos constituans, en leur communiquant, à votre retour parmi eux, les paroles que je viens de vous adresser. »

Son Excellence dit aux deux chambres. « Je désire sincèrement que la diffusion générale de l’instruction puisse avoir l’effet d’avancer le bonheur du peuple, qui est, en dernière analyse, le but de toutes les institutions publiques. Il en résultera du moins ce grand bienfait, qu’elle mettra le peuple plus en état qu’il ne l’est actuellement, d’apprécier les avantages politiques dont il jouit, comparativement à d’autres peuples, en diverses parties du monde, et le rendra capable d’estimer à leur juste valeur les argumens de ceux qui s’efforcent de le rendre mécontent de sa condition, et à qui leur éducation donne la facilité de revêtir d’un langage spécieux les inspirations d’un esprit faible ou déréglé. »

Ce discours, où respire surtout une bienveillante sollicitude pour la perpétuité du bonheur de la population canadienne, était bien fait pour soulager comme d’un pesant fardeau l’âme accablée, amèrement contristée par les 92 résolutions de la chambre d’assemblée : c’était une espèce d’antidote, et jusqu’à un certain point, un préservatif contre les maux dont nous nous sentions menacés ; on devrait y voir avec reconnaissance le dessein louable d’empêcher que le peuple ne fût compromis avec ceux qui avaient prétendu exprimer ses sentimens et ses vœux. Il n’en paraissait pas moins à regretter que les soi-disant représentans du peuple n’eussent pas été arrêtés dans la carrière ténébreuse ou ils s’étaient précipités à la suite de leur chef de file, et que le gouverneur ne se fût pas montré moins patient, et moins tolérant vis-à-vis d’hommes qui, d’abord, avaient travaillé à faire manquer là session, et qui, ensuite, avaient semblé vouloir se venger à outrance d’avoir été retenus malgré eux au parlement. Plusieurs, sans doute, avaient pensé comme M. Papineau, qu’on ne leur permettrait pas d’achever une besogne qui n’avait peut-être été commencée si bruyamment que dans le dessein d’amener une prorogation soudaine, ou une dissolution. Peut-être, enfin, lord Aylmer en agit-il comme il fit par le motif dont le loue, ou le remercie, une assemblée du comité de Rouville[86].

À l’époque où nous en sommes, passer de la province inférieure à la supérieure, c’est sortir du règne de l’inquiétude et du désordre politique et moral, pour entrer dans celui de l’ordre légal, de la régularité des procédés et du progrès des améliorations, nonobstant quelques ébullitions violentes, mais passagères de l’esprit de parti, et quelques tentatives abortives de troubler la tranquillité publique. Le lieutenant-gouverneur n’eût qu’à se louer de la conduite des deux chambres, et particulièrement de la chambre d’assemblée, comme le prouvent les extraits de son discours de clôture, prononcé le 6 mars :

« C’est avec beaucoup de satisfaction que j’observe le nombre de mesures avantageuses auxquelles vous avez concouru, et je suis persuadé qu’elles contribueront à avancer les meilleurs intérêts de la province.

« Les bills passés pour établir l’indépendance de l’office de juge, conformément aux propositions qui vous ont été transmises par ordre de sa Majesté, et pour amender la loi concernant la propriété foncière, assurent à la population des avantages essentiels.

« Messieurs de la chambre d’assemblée : Je vous remercie, au nom de sa Majesté, des subsides que vous avez accordés pour le service de l’année, et des allocations que vous avez faites pour continuer les travaux et améliorations publiques.

« Honorables messieurs et messieurs : l’attention que vous avez constamment donnée à l’amélioration des moyens de communication, dans la province a réveillé l’industrie dans chacun de ses districts ; mais nulle mesure ne paraît plus capable d’exercer immédiatement une influence salutaire sur la prospérité du Canada ; que celle que vous venez de sanctionner pour effectuer une navigation sûre et continue, depuis le lac Huron jusqu’à la province inférieure. Les circonstances dans lesquelles ce grand ouvrage sera entrepris sont favorables sous tous les rapports.

« En huit ans, la population de la province a doublé ; la quantité de terres mises en culture, dans le même espace de temps, correspond à cet accroissement rapide. Les importations par le Saint-Laurent augmentent sur le pied d’un tiers annuellement ; et le capital employé à la construction de canaux, de ports, de levées, donne déjà, en plusieurs cas, un remboursement direct. »

Pour revenir au Bas-Canada, ce que le gouverneur avait prévu ne tarda pas à arriver : À peine les membres de l’assemblée furent-ils de retour dans leurs villes, ou leurs comtés, qu’ils y provoquèrent directement ou indirectement des assemblées pour approuver en total les procédés de la majorité de la chambre, et particulièrement les 92 résolutions[87]. On imagine quelles harangues furent prononcées, quelles résolutions furent adoptées, à ces assemblées, ou simulacres d’assemblées publiques.

Mais si presque toutes les villes et presque tous les comtés eurent leurs assemblées révolutionnaires, ou agitatrices, et Montréal, son « comité central et permanent », la plupart eurent aussi leurs assemblées constitutionnelles, nommément les cités de Québec et de Montréal, les villes des Trois-Rivières et de Sorel, les comtés de Rouville, Laprairie, Beauharnois, Deux-Montagnes, Terrebonne, Missisquoi, Sherbrooke, Nicolet, etc.

La plupart des signatures apposées aux adresses approuvant les derniers procédés de la chambre d’assemblée, ne furent obtenues que par l’intrigue, la ruse et la déception, comme le prouvèrent, entre autres faits, un grand nombre de rétractations motivées et la répugnance à les signer, dans les endroits où ces moyens indus ne purent être mis en usage sur un grand plan[88].

Si, dans quelques-unes des résolutions des assemblées loyales, il se rencontre des expressions trop fortes, ou sentant trop l’indignation, pour ne pas dire l’emportement, dans la plupart, nos compatriotes y expriment des sentimens qui témoignent, non-seulement de leur loyauté, mais encore de leur bon esprit et de leur bon cœur. Les idées saines, le bon sens politique, le bon propos des officiers du premier bataillon de la milice du comté de Nicolet, (tous d’origine française, à l’exception du lieutenant-colonel), méritent au moins une mention honorable.

La crainte du choléra avait eu cela de bon, en 1833, suivant la Gazette de Québec, qu’elle avait empêché la chambre d’assemblée de rompre brusquement avec le gouverneur-général ; de l’apparition de ce terrible fléau, à la suite de l’émigration européenne, résulta au moins, en 1834, suivant M. Perrault, « l’avantage de faire cesser les disputes diplomatiques ». C’est une coïncidence assez singulière, un fait digne de remarque, qu’à ces deux époques le choléra asiatique envahit le Canada au moment d’une grande effervescence politique, d’une effrénée licence de la presse et d’une bruyante et menaçante agitation populaire, et qu’en causant un grand désastre physique, il mit un frein à un grand désordre moral.

Longtems avant l’apparition du choléra dans le Haut-Canada, cette province avait été partiellement agitée par et pour W. L. Mackenzie. Vers la mi-mars, l’Advocate avait publié « les procédés d’une convention tenue à Toronto, (ci-devant York), à laquelle avaient assisté cinquante-cinq délégués, élus par les francs-tenanciers du district métropolitain du Haut-Canada ». Le but principal de cette convention avait été de soutenir M. Mackenzie, à la prochaine élection, de nommer un comité pour rédiger et faire circuler une adresse aux électeurs, au soutien des candidats approuvés par elle, etc.

Les propositions de refuser les subsides, si le gouvernement n’abandonnait pas à l’assemblée le contrôle absolu des revenus ; de rendre le conseil exécutif responsable de ses actes aux représentans du peuple, et de faire du conseil législatif un corps électif, devinrent résolutions aussi facilement que d’autres, plus ou moins raisonnables ou déraisonnables, l’une desquelles fût :

« Que les remercimens sincères et unanimes de la convention soient communiqués à L. J. Papineau, écuyer, etc., à Louis Bourdages, écuyer, et aux honorables membres avec lesquels il ont agi dans l’assemblée, aussi à l’honorable D. B. Viger, membre du conseil législatif, et aux honorables membres avec lesquels il a agi dans cette chambre, pour leurs efforts prudents[89], zélés et patriotiques dans la cause de la réforme, contre un système colonial vicieux, regardé comme insupportable dans les colonies de l’Amérique du Nord[90]. »

Jusque-là, pourtant, l’agitation factieuse et révolutionnaire n’était encore que dans l’expectative ; mais les trois branches de la législature venaient de passer imprudemment un acte d’incorporation qui donnait au peuple de Toronto beaucoup plus de pouvoirs qu’il n’en aurait dû posséder, dans les circonstances[91]. Les élections se firent dans un sens si préjudiciable à la tranquillité et à la dignité de la ville, qu’il se trouva une majorité de conseillers pour élire le sieur Mackenzie pour leur chef, sous le nom de maire. Si cette dignité nouvelle et, sans doute inattendue, le tranquillisa un peu, elle ne le rendit ni moins indiscret ni moins vaniteux. Il venait de recevoir de son ami et protecteur, Joseph Hume, une lettre qui, dans d’autres temps, ou d’autres circonstances, eût pu assujétir son auteur à une poursuite criminelle. Il ne put résister à la tentation de la publier, et elle parut dans son Advocate, au grand scandale de toute la population loyale[92], et au grand regret de ceux qui, sous le nom de réformistes, ne voulaient que la réforme des abus, et non une révolution[93].

Le conseil de ville s’assembla, et M. Gurnett, secondé par M. Dennison, fit motion : « Qu’attendu qu’il a été publié une certaine lettre signée Joseph Hume, exprimant l’opinion qu’une crise approche rapidement dans les affaires du Canada, et qu’elle se terminera par l’indépendance et la liberté de ce pays, qui secouera la pernicieuse domination de la métropole, il soit résolu, etc., de désavouer, de la manière la plus décidée, les sentimens exprimés dans la susdite lettre, » etc.

Le Dr. Morrison, secondé par M. Leslie, fit motion en amendement, « que cette proposition soit entièrement mise de côté, et qu’il lui en soit substitué une autre, portant (en substance) « que des interprétations forcées et blâmables ont été données à la lettre de M. Hume », etc.

L’amendement fût adopté à la majorité de 12 contre 6, mais les membres de la minorité, appuyés des principaux citoyens, n’en demeurèrent pas là ; ils s’assemblèrent, et rédigèrent une adresse au roi, condamnant les démarches du maire et de la majorité du conseil de ville, et désavouant toute participation à leurs résolutions[94].

Les adresses de notre chambre d’assemblée au roi et aux deux chambres du parlement britannique arrivèrent durant la session, et le 15 avril, on voit un jeune avocat, à peine connu dans ce pays, ou du moins, dont on n’avait pas encore fait sonner le nom aux oreilles du peuple, M. John Arthur Roebuck, faire motion, dans la chambre des communes, « qu’il soit nommé un comité spécial, pour s’enquérir de l’état politique du Canada ». Qui avait induit ce jeune membre à se charger d’une tâche si au-dessus de ses forces, c’est ce qu’on ne tarda pas à deviner. Il paraît qu’il lui avait été remis une copie des 92 résolutions, qu’il les avait étudiées, et qu’il en avait compris la teneur ; car, il débuta par dire : « Je m’efforcerai de prouver que les deux provinces sont actuellement dans un état approchant d’une rébellion ouverte, et que le Bas-Canada en particulier est, dans toute la force du terme, en état de révolution. » Ce début, où le Bas-Canada était mis à la place de la majorité de la chambre d’assemblée, et qui faisait de tous les Canadiens des hommes aussi insensés que coupables, était, ou l’effet d’une étourderie ou d’un manque de jugement inconcevable, ou l’expression commandée de l’idée folle de faire peur à l’Angleterre par des menaces de révolte et de recours à l’étranger, avec cette différence pourtant, que l’auteur des 92 résolutions accordait à la métropole une trêve ou un sursis de vingt ans, au lieu que M. J. A. Roebuck l’attaquait comme à l’improviste, et ne lui donnait point de répit. La suite du discours répond au préambule, et est également remarquable par l’indiscrétion, le manque de jugement, la mauvaise foi, ou une puérile crédulité. Les contradictions s’y multiplient ; les faits y sont dénaturés au point d’exciter parfois le rire, et parfois l’indignation : les idées absurdes, les vœux coupables d’un ou de quelques particuliers, y sont attribués à la masse entière de la population ; enfin, ce sont les 92 résolutions empilées, mises sous les yeux de la chambre des communes.

Le discours de M. Stanley fût ce qu’il devait être, mais non ce qu’il aurait pu être, en sortant du sang rassi. Sans suivre M. Roebuck dans toutes ses divagations ; sans s’arrêter même à toutes ses folles inculpations, l’honorable secrétaire se contente de donner l’exposé de ce que le gouvernement a fait, à l’égard du Canada, et de ce qui s’était passé dans cette colonie, réfutant en même temps, les plus saillantes assertions de son téméraire antagoniste. « Il n’y a plus qu’une question, dit-il, en finissant, à laquelle je demande l’attention de la chambre : l’acte de 1831 a mis sous le contrôle de l’assemblée certains revenus, sous la garantie que la chambre octroierait permanemment des sommes pour le paiement des juges, etc. L’infraction de cette condition me force à recourir à la chambre, pour retirer les juges, etc., de la dépendance où les placent les votes annuels d’un corps populaire… Je ne demande que la suspension de l’acte de 1831, pour faire revivre l’acte de la 14e Geo. III, en attendant que la liste civile soit octroyée : aussitôt cela fait, les revenus de ce dernier acte retomberont sous le contrôle de la législature provinciale. L’état de la province n’est pas un état de rebellion, mais celui d’une révolte, ou d’une guerre de mots d’une partie de la chambre d’assemblée, et il exige que nous venions à l’aide de la justice contre le ton virulent de cette chambre. Je ne m’arrêterai pas à la violence des résolutions, non plus qu’aux complimens qu’elles font à d’honorables membres, qui, sans doute, seront fiers de cette confiance. Je ne m’arrêterai pas à l’invitation de correspondre avec les autres colonies, et de se réunir en convention, ni à la profession d’attachement aux institutions britanniques, suivie du désir d’adopter celles des États-Unis. Je ne m’arrêterai pas non plus à d’autres parties des résolutions, que je ne veux pas signaler, de peur de perdre mon sang-froid. »

M. Roebuck veut répliquer, et il parle encore aussi erronément, aussi illusoirement que dans son discours principal. « Les juges, dit-il, sont encore dépendants de la couronne ; le gouvernement n’a donc pas rempli sa promesse. Le conseil législatif, dit-il encore, en copiant M. Papineau, est précisément ce qu’il était, avant qu’on prétendit y faire des changemens. »

M. Roebuck ayant retiré la motion, le ministre proposa qu’il fût nommé « un comité spécial pour s’enquérir et rapporter à cette chambre jusqu’à quel point les griefs dont se plaignaient, en 1828, certains habitans du Bas-Canada, ont été redressés, et jusqu’à quel point les recommandations du comité de cette chambre qui s’en est occupé, ont été suivies, et pour s’enquérir de certains autres griefs, qui n’avaient pas été soumis à la considération de cette chambre, et qui sont maintenant détaillés dans les résolutions adoptées par la chambre d’assemblée du Bas-Canada, dans la dernière session, et faire rapport de son opinion sur iceux à la chambre ».

« Les noms que j’ai choisis pour former ce comité, ajoute le ministre, sont ceux des messieurs, maintenant membres de cette chambre, qui étaient membres du comité de 1828.

Il aurait sûrement dépendu de M. Stanley de faire traiter d’une toute autre manière les 92 résolutions de notre chambre, et elles ne durent qu’à sa grande libéralité l’honneur d’être prises en considération.

Le comité spécial fit, le 3 juillet, le rapport suivant :

« Votre comité a examiné mûrement les sujets qui lui ont été soumis, relativement aux affaires du Canada. Il a interrogé plusieurs témoins sur ces questions. Il a considéré attentivement les dépêches et les notes qui ont été échangées entre le bureau colonial et le gouverneur de la province, depuis 1828, correspondance qui lui a été communiquée sans réserve quelconque.

« Votre comité a cru de son devoir de déclarer comme son opinion que la plus vive anxiété a existé, de la part du gouvernement de la mère-patrie de mettre à exécution les suggestions du comité spécial de 1828, et que ses efforts pour atteindre ce but ont été constants, et qu’il a été guidé, dans tous les cas, par le désir d’avancer les intérêts de la colonie, et votre comité a remarqué avec beaucoup de satisfaction, que quant à plusieurs objets importants, ces efforts ont réussi. C’est, néanmoins, avec un profond regret que votre comité a vu que, dans d’autres, ces efforts n’ont pas été accompagnés du succès auquel on aurait pu s’attendre, des aigreurs et des animosités s’étant malheureusement élevées, et des différens continuant à prévaloir entre les branches de la législature coloniale, ainsi qu’entre la chambre d’assemblée et le gouvernement de sa Majesté. Ces malheureuses difficultés paraissent, à votre comité, n’être pas moins propres à paralyser les progrès des améliorations dans une de nos plus importantes possessions coloniales qu’à affecter, d’une manière trop préjudiciable, l’intérêt de l’empire britannique.

« Votre comité pense qu’il remplira mieux son devoir en s’abstenant de se prononcer sur les difficultés qui continuent à exister ; il lui a semblé qu’il y a eu, de part et d’autre, des malentendus, et lorsque votre comité considère l’importance extrême qu’il y a qu’un ajustement parfait de ces différens ait lieu, il exprime son ardent espoir que, quand ces malentendus auront disparu, la plupart des difficultés actuelles n’existeront plus, ou seront arrangées à l’amiable.

« Votre comité est ainsi induit à adopter cette démarche dans la persuasion où il est qu’il conviendra mieux d’abandonner les mesures pratiques pour le gouvernement futur du Bas-Canada à la considération réfléchie du gouvernement, qui est responsable de leur adoption et de leur exécution.

« Votre comité est d’opinion qu’il ne serait pas expédient de demander à être autorisé à mettre devant la chambre les témoignages qu’il a obtenus, ou les documens qui lui ont été « soumis »[95].

Ce rapport déclare mal fondées les accusations de notre chambre d’assemblée contre le gouvernement de la métropole, et conséquemment, contre celui de la colonie, mais quant au reste, il se composait, en grande partie de phrases oiseuses ou à peu près insignifiantes, en conséquence, sans doute, du nombre disproportionné de membres radicaux que M. Stanley avait fait entrer dans son comité, et de ce que ce ministre donna sa démission et fût remplacé par un autre, avant que l’examen des papiers et l’audition des témoins fussent terminés. Sans ces malheureuses circonstances, il est probable qu’à la place de « malentendus de part et d’autre, on eût vu l’esprit de révolution en progrès, et la nécessité de l’arrêter dans sa marche, pour la tranquillité et le salut du peuple, et que la rébellion dont M. Roebuck menaçait l’Angleterre n’eût été qu’une guerre en paroles promptement terminée et suivie d’une paix solide. Mais, quoiqu’insignifiant que fût ce rapport, il eût l’effet de rassurer ceux des Canadiens à qui la teneur des 92 résolutions avait fait appréhender un résultat préjudiciable à notre état social[96].

Nous sommes ramenés dans notre pays par une lettre de M. Roebuck au « Comité central et permanent » de Montréal ; lettre qui, par une ridicule vanterie, et par le mélange de bons et de mauvais conseils peut servir à caractériser l’homme à qui les agens de la chambre d’assemblée s’étaient adressé, par erreur de jugement, ou faute de trouver mieux[97]. Cette lettre fût prise en considération par le comité central et permanent, dans sa séance du 4 septembre. Ce que ce comité considéra ensuite, savoir : un discours de lord Aylmer, la compagnie des terres, la nomination de M. Gale à l’office de juge[98], ne peut, quelle qu’en soit l’étrangeté, entrer dans une histoire générale.

Enfin, arriva l’époque vue avec indifférence par la masse du peuple, attendue avec impatience par les partisans de mesures extrêmes, et redoutée par tous les hommes modérés qui avaient suivi la marche des événemens et observé le progrès des idées nouvelles. Malgré la confiance réelle ou feinte de quelques journalistes, nul homme tant soit peu clairvoyant ne pouvait bien augurer des élections qui allaient se faire. Si, depuis 1827, il y avait eu quelque changement dans la manière dont elles se faisaient hors des villes, ç’avait été pour le pis. On avait parlé, dans les deux provinces, du mode inconsciencieux, sinon immoral, des garanties, ou engagemens préalables[99], et dans quelques endroits, on avait projeté de retirer virtuellement des mains du peuple la franchise élective, pour la remettre à un petit nombre d’individus, et les comités et sous-comités de correspondance établis presque partout, donnaient aux fauteurs des 92 résolutions une chance de succès presque certaine. Aussi vit-on les anciens membres de la minorité, ou être rejetés, ou même ne se pas présenter, soit qu’il prévissent qu’ils n’obtiendraient pas la majorité des votes, soit qu’il leur répugnât d’être noyés, pour ainsi dire, dans une majorité d’hommes nouveaux et de jeunes gens[100].

Presque partout, dans le district de Montréal, les candidats populaires furent élus d’emblée : dans quelques comtés, il suffit d’une ou deux lettres de recommandation, ou de la présence d’un ou deux fauteurs de la majorité de l’assemblée, pour faire élire des hommes sans propriétés, étrangers et inconnus aux électeurs. Au comté des Deux-Montagnes, pourtant, et au bourg de Sorel, il y eût des luttes longues et acharnées : ainsi en fût-il dans les villes de Québec et de Montréal. Dans cette dernière, au quartier-ouest, où MM. W. Walker et John Donnellan étaient opposés à MM. Papineau et Robert Nelson, il y eût, d’abord, des chamaillis et des rixes entre les électeurs, ou fauteurs des deux partis opposés, puis des luttes, ou plutôt des assauts et batteries, entre plusieurs centaines d’hommes du guet, armés par la corporation, et la population irlandaise des faubourgs ; et cette dernière, armée de pierres et de bâtons, parut parfois comme maîtresse de la ville. Dans cet état de choses, l’officier-rapporteur ne pouvant, ou prétendant ne pouvoir continuer l’élection sans risques pour sa vie, prit sur lui de déclarer élus ceux des candidats qui alors avaient le plus grand nombre de votes, c’est-à-dire, MM. Papineau et Neilson. MM. Walker et Donnellan protestèrent, et s’adressèrent, mais en vain, au gouverneur, pour faire annuler le rapport, et une douzaine de jours plus tard, M. Papineau put lancer triomphalement dans le public, contre une infinité de choses et de personnes, à commencer par le gouverneur, et dans un langage qui justifiait de reste les expressions de son Excellence, en une occasion précédente[101], la philippique la plus furieuse qui ait jamais étonné des lecteurs canadiens, ou indigné des journalistes anglais, même radicaux, ou niveleurs, et conséquemment accoutumés à dire eux-mêmes de très gros mots[102] ; malheureux modèle offert aux jeunes rédacteurs, ou correspondans de gazettes, qui, dans l’impuissance d’accumuler assez de termes injurieux pour exprimer toute la haine qui leur avait été inspirée contre le gouverneur et le gouvernement, appelaient quelquefois à l’aide du langage des symboles ou signes hiéroglyphiques d’une facile interprétation[103].

Le résultat général fût que la fraction agitatrice de la population accapara toute la représentation ; que les amis de la constitution et de la tranquillité publique, c’est-à-dire les neuf-dixièmes de la population canadienne n’eurent pas de représentans, et que la population britannique ne fût représentée que dans quelques townships[104].

Cet état de choses donna à cette dernière l’idée de chercher en elle-même quelque protection, et, de là, naquit une union politique qui prit le nom d’association constitutionnelle. Elle prit naissance à Montréal, après les élections, et s’éleva en deux branches principales, l’une dans cette ville et l’autre à Québec, avec des rameaux, nommés comités subordonnés, dans différentes parties de la province. Ce fût une espèce de contrepoids au comité central et permanent et à toutes ses ramifications, bien qu’elle dut souffrir du désavantage de ne pouvoir pas employer un langage comme celui dont se servait son antagoniste, dans ses résolutions, ses adresses, ses rapports, etc., qui était parfois celui de la fureur ou de la démence.

Les associations constitutionnelles de Québec et de Montréal députèrent en Angleterre, la première, M. John Neilson, la dernière, M. W. Walker.

Dans le Haut-Canada, les nouvelles élections donnèrent une chambre pire que celle qui avait troublé les dernières années de l’administration de Sir P. Maitland, et la première, de celle de Sir John Colborne, résultat de la bienveillante, mais très impolitique acquiescence aux fausses représentations de M. W. L. Mackenzie[105].

Le parlement provincial fût convoqué pour le 23 février (1835) ; mais « la majorité des membres élus pour servir dans le parlement du Bas-Canada » joints à « la minorité du conseil législatif », ne crurent pas devoir attendre cette époque pour exhaler les sentimens dont ils étaient oppressés, et, réunis en convention, à Montréal, ils adressèrent à la chambre des communes d’Angleterre une « humble pétition », où, après avoir parlé des « principes vicieux qui servent de base à leurs institutions politiques, ils exposent comme addenda aux 92 résolutions », que de nouveaux abus sont venus peser sur le peuple de cette province, lesquels, s’il ne disparaissent promptement, tendront à accroître, à un degré alarmant, les mécontemens qui ont si longtems régné, et aliéneront finalement les sentimens du peuple du gouvernement d’Angleterre lui-même ; qu’au nom des griefs additionnels dont le peuple de cette province a à se plaindre,… son Excellence Matthew lord Aylmer, a été continué jusqu’à présent à la tête du gouvernement de cette province, après avoir été accusé formellement de conduite illégale, injuste et inconstitutionnelle, après qu’il a agi envers les représentans du peuple, d’une manière insultante et propre à détruire le respect qui devrait être dû au représentant de sa Majesté… que la conduite vindicative et les sentimens haineux de son Excellence, ont créé un sentiment universel de mécontentement contre son administration ; qu’on voit rarement des habitans d’origine canadienne-française parvenir jusqu’aux places, et que ceux d’entre eux qui y sont parvenus, ne le sont qu’après s’être aliéné les sentimens d’affection du peuple, et alliés à la minorité factieuse, opposée aux vues et aux intérêts du pays, et que même le caractère sacré de la justice a de nouveau été souillé dans sa source, par l’appel à la haute fonction de juge d’un partisan violent et passionné de l’administration du comte de Dalhousie, et d’un ennemi déclaré des lois qu’il a juré d’administrer, et par la nomination d’un nombre de commissaires choisis avec intention, à la veille d’une élection générale d’entre les partisans notoires de l’administration actuelle ; qu’un autre sujet de plainte est l’indifférence coupable manifestée par le gouverneur en chef, au sujet des tristes ravages du choléra asiatique, durant l’été dernier ; que la violation de l’acte déclaratoire (de 1778), a conduit à la juste et heureuse résistance des ci-devant colonies anglaises, (en 1776 et avant), et au démembrement de l’empire britannique ; que les dilapidations continuelles des revenus de la province sont une autre source d’alarmes pour les sujets canadiens de sa Majesté[106], et que, tout récemment, les priviléges indubitables de l’assemblée ont été de nouveau violés par le paiement des serviteurs publics ; que le peuple des anciennes colonies, quelque maltraité qu'il fût par des tentatives de taxes inconstitutionnelles, avait bien moins à se plaindre, en fait d’usurpations par l’exécutif, l’assemblée ayant, à plusieurs reprises, déclaré sa ferme détermination de ne pas sanctionner ce qu’elle doit toujours regarder comme une violation tyrannique de ses droits, et que le peuple de cette province regarde comme une dissolution virtuelle de la constitution, des conséquences de laquelle vos pétitionnaires ne peuvent répondre ; que la chambre peut et doit de suite connaître qui sont ceux qui ont autorisé une usurpation de pouvoir aussi criminelle, afin de les amener à un châtiment mérité[107].

Vient ensuite le renouvellement de la demande que le conseil législatif, tel qu’à présent constitué, soit aboli, et que le peuple soit mis en état d’élire une seconde branche de la législature, comme seul moyen de produire l’harmonie ; et puis les dernières élections données comme prouvant que le peuple de cette province partage entièrement les opinions de la majorité de l’assemblée.

On serait tenté de croire que la minorité du conseil et la majorité de l’assemblée s’impatientaient de la longanimité de la métropole, et qu’elles voulaient mettre enfin sa patience à bout, en lui adressant un manifeste aussi ridiculement menaçant que gratuitement injurieux, fruit évident du plus intense accès de délire, dans lequel des hommes puissent être jetés par l’accumulation et la concentration de toutes les passions envieuses, haineuses et vindicatives, enfantées par la politique.

On était généralement persuadé qu’il n’y aurait pas de session, ou que, s’il y en avait une, elle serait de très courte durée, et qu’il en résulterait plus de mal que de bien. Il y avait certainement, parmi les nouveaux membres, des hommes rassis et de mérite, qui, dans d’autres circonstances, auraient pu se faire honneur à eux-mêmes, et se rendre utiles à leur pays ; mais ils avaient presque tous pris l’engagement de parler et d’agir dans un sens déterminé ; et si, selon La Minerve, le Herald fanatisait ses lecteurs ; à leur tour, La Minerve, le Vindicator, le Canadien et l’Écho du Pays fanatisaient au moins la partie ignorante et juvénile des leurs, et il y avait, dans la nouvelle chambre, un plus grand nombre d’hommes ignorans et de jeunes gens que dans la précédente.

Il n’y avait pas de doute quant à l’homme que la chambre choisirait pour orateur ; mais on était en peine de savoir si le gouverneur se croirait obligé de se désapprouver lui-même en quelque sorte, de blâmer virtuellement le gouvernement de son souverain et le sien, en confirmant le choix de la chambre[108]. Ce qu’aucun de ses prédécesseurs, à sa place, n’aurait fait probablement, lord Aylmer le fit, sans doute conformément aux instructions du nouveau ministre des colonies, ou en sacrifiant toute considération personnelle à sa manière de comprendre son devoir, ou l’utilité publique, bien que l’idée de la convenance et de la dignité semble suggérer qu’il eût dû renoncer à son haut emploi, plutôt que de faire un tel acte d’abnégation de lui-même.

Dans son discours d’ouverture, le gouverneur apprend aux chambres, qu’en conséquence des changemens qu’il y avait eu dans les conseils de sa Majesté, (M. Stanley ayant été remplacé par M. Spring Rice[109], et ce dernier par le comte d’Aberdeen, il n’avait pas encore reçu toutes les communications et instructions qu’il attendait ; mais que, comme il n’avait pas été accordé de subsides dans la dernière session, le gouvernement de sa Majesté avait jugé expédient d’ordonner que la somme de £31,000 fût prise de la caisse militaire, pour payer une partie des salaires des juges et autres officiers publics, « qui éprouvaient depuis longtems une détresse extrême et de grands inconvéniens, le gouvernement de sa Majesté étant persuadé que cette somme serait promptement remboursée, au moyen des subsides, qu’il se flattait que les chambres voteraient, et son Excellence recommande à sa Majesté de pourvoir au remboursement de cette somme, qui avait été appliquée à des services absolument nécessaires pour continuer l’administration de la justice et d’autres opérations indispensables du gouvernement. »

L’expédient auquel M. Spring Rice avait eu recours ferait croire qu’il était persuadé que c’était réellement en conséquence d’un malentendu, et non par calcul, que la chambre d’assemblée avait mis le gouvernement colonial dans l’embarras et ses employés dans la détresse, et qu’il n’avait compris ni la teneur, ni l’esprit des 92 résolutions.

Quoiqu’il en soit, le soin de rédiger la réponse au discours du gouverneur fût d’abord confié à MM. Morin, Lafontaine, Caron, Bédard, Girouard, Leslie et O’Callaghan ; mais il y avait pour la majorité des membres des choses plus pressées, et dès le premier jour de la session, on eût la preuve qu’ils étaient venus au parlement dans un état d’exaltation et d’exaspération extraordinaire.

À peine les membres furent-ils descendus de la salle du conseil législatif que M. Morin proposa que la chambre se formât en comité sur l’état de la province. Cette proposition n’éprouva pas d’opposition, d’abord, mais M. Morin ayant proposé comme résolution préliminaire, que la chambre adoptât la requête de la convention de Montréal, déjà expédiée pour l’Angleterre, il s’en suivit des débats où il fût encore dit des choses étranges[110].

Le discours de M. Papineau contenait une suggestion dont M. Morin parut se prévaloir, pour proposer que la chambre se formât en comité sur le discours prononcé par le gouverneur, à la clôture de la dernière session. Les résolutions qui s’en suivirent, et dont la dernière était que ce discours fût biffé des journaux de la chambre fournirent au « véhément » rédacteur du Vindicator, qui avait été fourré « sans cérémonie » au comté d’Yamaska, l’occasion de l’emporter sur tous les autres orateurs par la quantité et la qualité des injures dont le gouvernement fût accablé, en même temps que la minorité de la chambre, et à M. Gugy celle de lui dire de dures vérités[111], et de forcer M. Papineau à faire des aveux significatifs, quant aux prétendus vœux et volonté du peuple[112].

Dans cette première séance furent introduits, par M. Morin, un bill « pour nommer un agent au Royaume-Uni » et par M. Leslie, un bill « pour limiter le nombre des passagers dans les bâtimens qui viennent d’Europe en cette province, etc., et il fût ordonné, sur motion du même membre, que le collecteur des douanes mette devant cette chambre un retour (une liste, ou un état), de tous les vaisseaux, etc.

Le lendemain, 24, la chambre s’étant formée en comité sur le bill de l’agent, M. Morin dit qu’il proposait de nommer un « monsieur qui avait déjà rendu des services signalés à cette province, et que tous les partis respectaient, J. A. Roebuck, écuyer, membre de la chambre des communes ».

M. Clapham ayant demandé « s’il ne serait pas plus à propos de nommer un des membres jouissant de la confiance du peuple, et qu’on pourrait rendre plus responsable à la chambre », M. Papineau dit qu’il croyait la nomination de M. Roebuck un acte de reconnaissance pour les services éminents rendus à nos compatriotes, etc., sur quoi M. Clapham remarqua : « Il est vrai que M. Roebuck a défendu avec zèle la cause qu’on lui a mise entre les mains, tant qu’il a eu près de lui un agent responsable, mais je voudrais une garantie pour sa future utilité… M. Roebuck n’est pas sans tache, et peut-être n’est-il pas incorruptible. Il est même probable que sa conduite passée a été stimulée par la promesse ou l’espérance d’une rémunération future. »… La proposition de M. Morin fût agréée.

Ce même jour, fût reprise la considération de l’état de la province, ou plutôt la discussion de l’adresse de la convention de Montréal, et l’on entendit encore M. Gugy répondre énergiquement et logiquement à ce que M. Papineau avait dit à l’appui de cette pièce.

Dans les débats qui eurent lieu le 28 sur la même question et sur les dépenses contingentes de la chambre, fût avouée et proclamée, comme officiellement, la cause des torrens d’injures déversés sur le gouverneur, depuis le printems de 1832 ; de la proposition et de l’adoption des 92 résolutions, et de l’agitation extraordinaire qui s’ensuivit[113].

M. Jessop, Collecteur au port de Québec, avait écrit qu’il regrettait de dire qu’il ne se sentait pas autorisé à produire l’état demandé sans un ordre du gouverneur, et sur motion de M. Leslie, il avait été résolu : que le refus contenu dans la lettre de M. Jessop était une infraction des priviléges de la chambre, et ordonné qu’il fût pris sous la garde du sergent d’armes, et le 28, cet officier fût, non amené à la barre de la chambre, mais envoyé en prison. Dans la session précédente, M. Jessop n’aurait peut-être pas été traité plus rudement que le colonel Heyden, mais l’assemblée était en progrès, et elle en donna une autre preuve, en déclarant M. Heney destitué de la charge de greffier en loi, ou de rédacteur des projets de loi de la chambre d’assemblée. M. Heney devait sa nomination au gouverneur-général, mais, suivant M. Lafontaine, « il était temps que la chambre nommât ses propres officiers[114] ».

Ce même jour, un projet de réponse au discours du gouverneur fût rapporté par M. Morin. M. Vanfelson le trouva très violent et contre les formes parlementaires. « Il n’est pas d’usage, dit-il d’introduire un sujet étranger dans une réponse à un discours du trône, à l’ouverture d’une session. Le dernier paragraphe fait allusion aux griefs dont la chambre s’est plainte, l’année dernière, ce qui me justifie à dire que l’adresse n’est pas parlementaire. »

M. Papineau trouve futiles les raisons de M. Vanfelson, et défend, aussi chaudement que si elle eût été sienne, cette adresse où l’on devait voir un « grand dessein, » « un désir scrupuleux, » etc.

M. Bedard proposa un amendement, mais il fût rejeté, et l’adresse de M. Morin fût adoptée, à la majorité de 48 contre 26.

On ne sera pas étonné de l’objection de M. Vanfelson et autres à la teneur de cette adresse, quand on saura qu’elle disait, en dernier lieu : L’année dernière, cette chambre bâsa ses procédés sur l’ancien usage du parlement, d’après l’esprit de la constitution même[115], et d’après d’autres considérations connues de cette chambre, pour l’avantage des sujets de sa Majesté, et de son gouvernement dans cette province. Nous regrettons que le gouvernement de sa Majesté, pour subvenir à la dépense du gouvernement civil et de l’administration de la justice ait eu recours à l’emploi de deniers prélevés dans cette province, qui sont de droit, et devraient être de fait sous le contrôle de cette chambre. Nous regretterions aussi que l’on eût employé aucun autre fonds pour le même objet, sans un vote de cette chambre ; paralysant par là l’influence salutaire et constitutionelle, que le peuple devrait avoir, par la voie de ses représentans, sur toutes les branches du gouvernement exécutif. »…

Lorsque cette adresse eût été présentée et lue au gouverneur, son Excellence répondit : « Il a été d’usage avec moi, de même qu’avec, je crois, tous mes prédécesseurs en office, de transmettre au secrétaire d’état pour le département colonial, une copie de l’adresse de la chambre d’assemblée en réponse à la harangue du gouverneur, à l’ouverture de chaque session, et cela sera pareillement fait dans ce cas-ci. »

Le même jour, 28, il fût résolu que, dans le cas où le bill nommant J. A. Roebuck, écuyer, agent pour cette province ne deviendrait pas loi, le dit J. A. Roebuck soit prié d’agir comme agent de cette chambre, etc., et que le greffier de cette chambre paie au dit J. A. Roebuck, sur les deniers appropriés pour les dépenses contingentes de cette chambre £600 sterling, pour l’indemniser, etc., et £500 sterling pour fournir à ses déboursés. »

Si nous passons au 2 mars, nous voyons la chambre amendant le bill de M. Leslie qui devait avoir force de loi dans la Grande-Bretagne et l’Irlande, et passant le bill du même, « pour éloigner les troupes des villes pendant les élections ». On pouvait ne voir dans le premier qu’un avis donné à la métropole, quoique d’une manière assez singulière, ou nouvelle ; on avait pu ne voir dans le second, lors de son introduction, dans les deux sessions précédentes, qu’un but de parti, celui, par exemple, de faire croire en Angleterre, qu’à l’élection de mai 1832, les troupes avaient gêné, terrifié les électeurs, dans l’exercice de leurs droits : que pouvait-il signifier en 1835, après l’élection du quartier-ouest de Montréal ? on nous dispensera de l’exprimer.

Le même jour, M. Huot ayant proposé une « adresse à son Excellence, demandant £18,000, à compte des dépenses contingentes de la chambre », M. Gugy proposa, en amendement, que la chambre se formât en comité, afin de considérer s’il ne serait pas expédient de payer par bill le déficit annoncé par son Excellence, l’année dernière… Cet amendement fût négativé, à la majorité de 51 voix, et l’adresse fût agréée et présentée au gouverneur.

En répondant, le 6 mars, le gouverneur rappela à l’assemblée son message du 18 janvier 1833, et dit que s’il avançait présentement £18,000, il deviendrait responsable de près de £26,000. Il remarque dans le tableau des comptes contingens de la chambre des items qu’il croit ne pouvoir être strictement parlant, classés sous le titre de contingens, nommément, les allocations à l’hon. D. B. Viger, et le salaire du bibliothécaire nommé par la chambre[116].

Quant à l’allocation de M. Viger, le gouverneur rappelle à l’assemblée la protestation du conseil législatif, et lui dit qu’il y a en outre une lettre de M. Hay, en date du 14 mai, 1833, par laquelle M. Viger est informé que le « secrétaire colonial regarderait l’admission d’un agent permanent député par une seule branche de la législature d’une colonie comme une innovation inconvenante et dangereuse ; et par une lettre subséquente, M. Viger est informé de nouveau, que le secrétaire d’état ne peut consentir à le recevoir dans sa qualité officielle. Le gouverneur ne peut se constituer partie dans un acte que le conseil législatif déclare être une violation flagrante de ses droits constitutionnels, et qui donnerait la sanction de l’autorité du roi à une nomination qui a été distinctement rejetée par son gouvernement ; mais le gouverneur est prêt à faire de nouvelles avances, moyennant une loi le déchargeant, en omettant les salaires de M. Viger et du bibliothécaire. »

« Dans la vue, dit pertinemment son Excellence, en finissant, d’obvier à de nouvelles difficultés, à l’avenir, le gouverneur recommande à la chambre d’assemblée de prendre en considération l’expédience d’ordonner à l’officier à qui il appartient, de transmettre à l’inspecteur-général des comptes, avant le commencement des sessions, un état détaillé des divers articles de l’estimation des dépenses contingentes de l’assemblée, qui jusqu’à présent, n’ont été que simplement mentionnées en bloc. D’après la pratique suivie jusqu’à présent, au sujet des estimations, il paraît que, quoique le conseil législatif et la chambre d’assemblée aient exercé un contrôle strict et vigilant sur les dépenses de la branche exécutive de la législature, et exigé des tableaux détaillés de chaque article de ses dépenses, le pouvoir exécutif et la chambre d’assemblée n’ont exercé aucun contrôle sur les dépenses du conseil législatif, ni le pouvoir exécutif et le conseil législatif sur celles de la chambre d’assemblée. On a ainsi perdu de vue, dans ce cas-ci, le principe de frein et de contrepoids, qui fait un des traits les plus admirables de la constitution britannique, modèle de la constitution du Bas-Canada.

La chambre avait devant elle deux voies, celle de la convenance et de la raison, et celle de la violence irrationnelle, et elle se jeta, tête baissée, dans la dernière, à la persuasion de son orateur, nonobstant tout ce que put dire M. Gugy pour lui faire prendre l’autre, et malgré que M. Power s’efforçât de l’y engager, par des raisons qui nous parurent alors, et qui nous paraissent encore bonnes, mais que M. Lafontaine qualifia de frivoles. M. Morin lui présenta ; M. Papineau voulut violemment lui faire adopter brusquement[117], et elle adopta aveuglément, après d’inutiles réclamations, de la part de la minorité, une série de résolutions, dont la dernière était :

« Que cette chambre, n’attendant des autres branches de la législature nulle coopération dans les travaux d’une session propre à promouvoir le bien du pays, ne peut, avant d’interrompre ses travaux, qu’elle est dans l’impossibilité de continuer, se dispenser de protester hautement contre un acte du gouvernement exécutif, qui élude la lettre de la constitution et en viole l’esprit[118], et qu’en attendant que le peuple de cette province puisse être protégé avec efficacité par les travaux de sa législature, cette chambre persiste à demander la mise en accusation de son excellence, le gouverneur de cette province, et persévère dans ses déclarations et demandes, contenues dans ses adresses et pétitions au roi, et aux deux chambres du parlement du Royaume-Uni, et ses résolutions sur lesquelles les dites adresses et pétitions étaient bâsées. »

Après cette détermination, la chambre dédaigna de prendre en considération un message contenant une estimation des dépenses probables de l’année courante, et s’ajourna, et ainsi fit-elle jusqu’au dernier jour de la session, dont nous n’avons plus rien à dire, sinon, qu’à cette époque, le moindre signe de modération, d’une intention d’agir dans la vue du bien public, nous semble devenir digne d’éloge, et ce signe nous l’appercevons parfois chez des membres de la majorité habituelle, mais tel était l’esprit du temps, ou plutôt la maladie des esprits était telle, qu’après la session, un des nouveaux membres se crut obligé d’exposer les raisons qui l’avaient empêché de voter sur une question vitale, avec la majorité, quoiqu’il pût s’appuyer de l’opinion de vingt-cinq collègues. Les débats ne furent presque qu’une suite de querelles injurieuses, de diatribes contre le gouverneur, que M. Papineau ou un membre quelconque, put outrager, sans être rappelé à l’ordre. Les nouveaux membres parlèrent peu, à l’exception de l’Irlandais « élu par des Canadiens qui ne l’avaient ni vu ni connu », et qui débuta par une violente et dégoûtante philippique contre le gouverneur. M. Rodier s’efforça d’imiter son modèle admiré, mais il n’insulta pas lord Aylmer, non plus qu’un jeune avocat canadien, nommé à un emploi honorable, impunément ou sans exciter l’indignation de M. Gugy[119]. Mais à l’occasion d’une dépêche du comte d’Aberdeen, et à l’exemple de M. Papineau, M. Morin put dire, omnibus silentibus, ant forsan stupentibus, au même, ou du même M. Gugy : « Croit-il aussi que la chambre s’oppose à l’éducation, au moment qu’elle est traitée, dans les dépêches du comte d’Aberdeen qui viennent d’être lues, avec toutes les prétentions la brutalité, l’ignorance et l’absurdité d’un tory[120].

La clôture du parlement eût lieu le 18 mars. Le ton de la harangue du gouverneur contraste singulièrement avec celui de tous les procédés de l’assemblée à son égard. On put croire, d’abord, que cette harangue n’était pas adaptée à l’occasion ; mais si la modération, la longanimité de lord Aylmer n’avait pas été due au plan de conduite qu’il s’était tracé, dès le commencement de son administration, elle aurait été expliquée par le passage suivant d’une dépêche de M. Spring Rice :

« Comme il est essentiel, pour que nos efforts soient couronné du succès, d’éviter tous les sujets qui pourraient augmenter l’irritation ou aggraver le refroidissement, j’appelle l’attention de votre Seigneurie sur le principe d’après lequel le comité spécial se propose de se conduire, savoir de disculper entièrement le gouvernement, et les témoignages qu’il a devant lui, autorisent cette disculpation ; mais, en même temps, d’éviter toute inculpation d’autres parties. »

Il ne résulta aucun acte législatif de cette cession, qui fût particulièrement caractérisée par « l’empressement que montrèrent quelques membres de la chambre, de faire confirmer la requête de la convention de Montréal aux communes d’Angleterre ; de faire nommer M. Roebuck agent, de biffer le discours du gouverneur, lors de la clôture de la dernière session du parlement, et par les discours violents auxquels ces mesures donnèrent occasion, et qui ne pronostiquaient rien de bon pour l’avenir », et cette première session du parlement provincial « se termina honteusement, et laissa la province dans une situation déplorable, sans subsides, ni dispositions des établissemens de charité. » — (M. Perrault).

Une dépêche du comte d’Aberdeen, reçue après la clôture, fût expédiée, dans le cours d’avril, aux membres du conseil législatif et de la chambre d’assemblée, on y lisait :

« En l’année 1828, il fut nommé un comité de la chambre des communes pour s’enquérir de l’état du gouvernement civil du Canada, lequel, après un examen long et prolongé, incorpora dans son rapport différentes suggestions, propres, comme il le croyait, à améliorer l’administration des affaires de la province. La chambre d’assemblée déclara que ce rapport était un monument impérissable de la justice et de la sagesse profonde du comité, et qu’il indiquait le moyen certain de faire disparaître les maux dont s’était plaint le peuple du Canada. Je me flatte de pouvoir faire voir incontestablement, que les recommandations du comité ont été entièrement mises à exécution. Pour le présent, je me bornerai à remarquer que, nonobstant l’enthousiasme avec lequel le rapport fût accueilli par l’assemblée, un esprit de mécontentement, dont je ne rechercherai pas la cause, a continué à croître graduellement parmi les membres de ce corps, jusqu’à ce qu’il ait éclaté, l’année dernière, avec une véhémence absolument sans exemple. Cet esprit s’est manifesté, d’une manière remarquable, dans les 92 résolutions adoptées par la chambre d’assemblée. Ces résolutions furent référées à un comité de la chambre des communes, et occupèrent son attention durant un temps considérable, et il termina les travaux par un rapport, dans lequel il rend une entière justice au vif désir qu’avait montré le gouvernement de la métropole de mettre à exécution les recommandations du comité de 1828, et déclara que les efforts du gouvernement, à cet égard, avaient été continuels, et guidés, dans tous les cas, par le désir d’avancer les intérêts de la colonie.

« La situation pénible où votre Seigneurie se trouve placée, depuis longtems, et les rapports personnels qu’on vous a fait conserver avec l’assemblée, n’ajoutent pas peu aux embarras qui s’opposent à la solution satisfaisante de la question en débat. L’on doit dire cependant, en justice à votre Seigneurie, que mes prédécesseurs en office, dans le département auquel je préside maintenant, ont exprimé leur approbation générale de la conduite que vous avez tenue dans l’administration du Bas-Canada. J’ajoute avec satisfaction que, d’après un examen de la correspondance officielle de votre Seigneurie, je ne puis voir aucun motif de refuser mon assentiment à la justesse de ces opinions. Mais il doit être évident que les sentimens d’exaspération qui dominent à un si haut degré dans l’assemblée, et le mésaccord entre cette chambre de la législature et le gouvernement ont rendu la position de votre Seigneurie si extrêmement difficile, qu’il ne reste pas même l’espoir que vous puissiez employer avec succès des paroles de conciliation et de paix. Le gouvernement de sa Majesté est donc d’opinion que l’urgence du cas demande quelque mode de procéder plus décisif et plus expéditif que ne comporte celui d’une correspondance ordinaire et régulière. Votre Seigneurie a plus d’une fois exprimé ses sentimens dans ce sens. Le roi a été, en conséquence, avisé de choisir un individu possédant l’entière confiance de sa Majesté qui ait l’avantage d’être étranger à la politique passée du Canada, et qui ait eu occasion dans le cours de ses communications personnelles et récentes avec des membres du gouvernement, de connaître leurs vues et leurs intentions plus amplement et avec moins de réserve que par le moyen de documens écrits. Cet individu, en sa qualité de commissaire royal, ira au Bas-Canada, muni d’instructions suffisantes pour examiner, et s’il est possible, terminer les divers points en discussion, dans l’espoir d’ajuster tous ces différens qui agitent la province depuis si longtems. La mission du commissaire extraordinaire n’aura pas tant en vue de promulguer de nouveaux principes de gouvernement, que de mettre à exécution ce système de libéralité et de justice envers les habitans du Canada adopté depuis longtems par sa Majesté. Quoique le résultat de nos efforts jusqu’à présent puisse rendre moins vif notre espoir pour l’avenir, le roi n’en conserve pas moins le désir de satisfaire à toutes les réclamations et attentes raisonnables de ses sujets canadiens. Sa Majesté est prête à faire tous les sacrifices qui seront compatibles avec les principes fondamentaux de la constitution, et la continuation de la province comme possession de la couronne d’Angleterre. »

Nos journaux publièrent, dans le même mois d’avril les débats qui avaient eu lieu, dans le parlement britannique, au commencement du mois précédent.

Le 9 mars, M. J. A. Roebuck avait osé présenter à la chambre des communes la pétition de la convention de Montréal, et la soutenir par un discours violent et extravagant, dont le résumé était, « que si l’on n’accordait pas à la majorité de la chambre d’assemblée ce qu’elle demandait, elle recourrait à des moyens violents ou en d’autres termes, qu’elle ferait révolter le peuple ». Cette pétition, dit-il, est d’une grande importance, et je ne cacherai ni à la chambre ni au gouvernement le fait que les pétitionnaires pensent à adopter des mesures violentes pour obtenir justice, s’il n’est pas promptement donné attention à leur appel… Le Canada n’est pas, comme l’Irlande, entouré par la mer, et ne peut être cerné facilement par une force navale : au contraire, il a près de lui treize millions de républicains pleins d’enthousiasme… Quant à moi, j’ôserai dire que si l’on tente de persister à mettre en force un système vicieux, plus tôt le Canada secouera le joug, mieux ce sera[121]. M. Roebuck avait été divagant, extravagant, injurieux et follement menaçant : M. Spring Rice, qui lui répondit le premier, fût au moins diffus, en défendant son administration et celle de son prédécesseur : peut-être eût-il dû se borner à ce qui suit :

« Convient-il à un membre du parlement d’avancer que les canadiens seraient justifiables de se révolter, si quelques-unes de leurs demandes étaient rejetées ? Est-il décent d’en appeler à la crainte des communes, quand on sait qu’un appel à leur sympathie ne serait pas infructueux ? J’admets que les canadiens ont des griefs dont ils peuvent demander le redressement ; mais ce redressement ne doit pas être demandé dans un langage de blâme, de censure et de menace, comme celui qui a été employé par le membre pour Bath.

Lord Stanley : « Après les explications de M. Spring Rice, il m’est inutile de défendre mon administration. Quant aux attaques personnelles, je les méprise, et quant aux faits, les voici : Deux messieurs furent envoyés par la chambre d’assemblée avec 92 griefs, ou actes d’accusation. Ces messieurs furent examinés et entendus patiemment sur chacune de leurs 92 accusations, et il est à remarquer qu’ils ne purent pas réussir à en prouver une seule. Le résultat de l’enquête, fût la conviction que les plaintes n’étaient pas fondées. »

M. Robinson : « J’espère qu’à l’avenir, les canadiens choisiront un avocat plus modéré et moins emporté que M. Roebuck. Jamais discours aussi inconvenant, aussi extravagant et aussi repréhensible n’a été prononcé dans l’enceinte du parlement. C’est un appel aux passions et aux craintes de la chambre, au lieu d’un recours à sa raison et à son jugement. La chambre ne devrait pas permettre l’usage d’un langage aussi injurieux et aussi inflammatoire. »

Sir Robert Peel : « Nous n’avons pas intention de mépriser les pétitions des habitans du Canada ; mais nous voulons en appeler à leurs sentimens de raison, et de justice… Je dois dire clairement aussi que nous ne prétendons introduire aucun principe nouveau de gouvernement dans les colonies… Si nous trouvons que leurs plaintes ne sont pas fondées en justice, nous nous efforcerons de mettre un terme à l’agitation actuelle. Si nous les trouvons fondées en justice, nous nous appliquerons, sans égard aux épithètes injurieuses dont on nous a accablés d’avance, à faire disparaître entièrement et pour toujours, tout sujet de plainte.

« Le membre pour Bath a jugé à propos de nous menacer que si tout ce que les canadiens demandent ne leur est pas accordé, ils sont déterminés à se révolter. Il a aussi entrepris de nous prouver que treize millions d’habitans des États-Unis, les États-Unis entiers, si une révolte survient en Canada, sont prêts à se joindre aux canadiens révoltés. Je ne ferai pas aux États-Unis l’injustice de croire qu’ils ont autorisé M. Roebuck à faire une semblable déclaration dans l’enceinte de cette chambre. Quant à la déclaration des sentimens des canadiens, j’ai aussi un mot à dire : Je me flatte que ce monsieur n’est nullement autorisé à dire que si les canadiens n’obtiennent pas tout ce qu’ils désirent, ils se révolteront : Quelque dure que soit l’alternative, j’aime mieux croire que, pour le moment, la sagesse et la prudence, pour lesquelles l’honorable membre est si renommé, l’ont abandonné, que de supposer qu’il nous a donné une idée juste de ceux qu’il s’est plu à nommer ses constituans… S’il était vrai que les canadiens, ou une partie des canadiens, eussent chargé l’honorable membre d’agir ici comme leur ministre de la guerre, moi, comme ministre du gouvernement britannique, j’irai à leur rencontre, non avec une déclaration semblable d’hostilité, mais en leur tendant une main amie et pacifique, je leur dirai : quoique nous tirions de vos menaces une nouvelle source de force,… malgré que, par vos accusations injustes, qui, à la fin, retomberont sur vous,… vous nous donniez une nouvelle preuve de votre injustice et de votre immodération, nous sommes déterminés à ne point nous écarter de la route que nous nous sommes tracée ; nous sommes déterminés à faire disparaître tout sujet de plainte. »

Quelques autres membres parlèrent dans l’un ou dans l’autre sens : l’agent de la chambre d’assemblée répliqua, en prenant un ton un peu plus modéré, mais toujours dans un langage rempli de menaces indirectes, ou de tentatives d’intimidation[122].

Lord Brougham, le seul membre radical qu’il y eût dans la chambre haute, en l’absence de lord Durham ? eût le rare courage de présenter la même pétition à ses nobles collègues, après en avoir « supprimé à dessein un passage, où l’on faisait usage d’un langage très ferme », et fit un discours dans le genre de MM. Roebuck, Hume et O’Connell, c’est-à-dire, censurant à tort et à travers, en un langage « très ferme », le gouvernement de la métropole et celui de la colonie.

Le discours de lord Brougham surprit particulièrement le comte Ripon, (ci-devant lord Goderich), et le comte d’Aberdeen. « Cette pétition, dit le premier, incorpore, à ce que je présume, l’assortiment des 92 résolutions, apporté ici, dans le cours de l’année dernière. Rien de plus violent, de plus injuste, de plus contraire à la vérité n’a jamais été affirmé par aucun corps délibératif que ce soit… Toute la difficulté à arranger les différens qui étaient survenus, est provenue de la conduite injuste du corps dont le noble et savant lord vient de présenter la pétition, et auquel il semble donner son approbation… Je ne puis entrer dans les détails de cette pétition, mais je puis affirmer sans crainte qu’il n’y a rien de plus injuste que les accusations qu’elle contient. »

Le comte d’Abèrdeen dit… que le noble lord (Brougham) a pris la voie la plus extraordinaire ; que la pétition qu’il a présentée ne fait pas la moindre allusion à la plupart des sujets sur lesquels il a appelé l’attention de leurs Seigneuries ; que c’est lui (lord Brougham) et ses collègues, que les pétitionnaires accusent, tout ce dont ils se plaignent ayant eu lieu tendant qu’il siégeait sur le sac de laine.

Dans le même temps que les pétitions ou adresses menaçantes de notre chambre d’assemblée occasionnaient des discussions qui ne se terminaient pas en faveur des pétitionnaires, elles nous attiraient, avec l’aide de celles de nos gazettes qui parlaient dans le même sens, des reproches amers, et quelquefois des injures, de la part de presque tous les journalistes de Londres, torys, whigs, et même radicaux, témoin le Morning Advertiser[123]. On avait pourtant pris ici les moyens de n’être plus dans le cas de dire pathétiquement avec « M. Papineau, que l’on n’y pouvait pas, même à prix d’argent, trouver à faire publier quoique ce soit en faveur du Canada », et l’on aura bientôt l’occasion de voir des articles du True Sun, du Spectator, écrits, non pas précisément en faveur du Canada, mais bien du radicalisme, ou du révolutionisme en Canada.

Pour revenir au ministre des colonies, le comte d’Aberdeen avait dit à lord Aylmer, dans sa dépêche du 13 février : « Je ne manquerai pas d’informer, à temps votre Seigneurie, de l’époque probable où arrivera le commissaire de sa Majesté, afin que vous puissiez convoquer l’assemblée avec le moins d’inconvénient possible pour ses membres. »

Ceci signifiait que lord Aylmer demeurerait gouverneur, en présence du haut commissaire. Les ministres ne tardèrent pas à voir des inconvéniens graves dans Cet arrangement, et le comte d’Aberdeen écrivit à lord Aylmer, sous la date du 3 avril :

« J’ai l’honneur de transmettre à votre Seigneurie, copie d’une dépêche que j’ai aujourd’hui adressée au lord Amherst, annonçant la nomination de sa Seigneurie, comme gouverneur-général du Haut-Canada et du Bas-Canada, et comme haut commissaire de sa Majesté. Mon objet, en transmettant à votre Seigneurie, la copie incluse, sera suffisamment compris par votre Seigneurie, lorsqu’Elle aura lu ce document. Il expliquera les motifs qui ont fait adopter une mesure qui, à première vue, pourrait donner une idée peu favorable de la conduite de votre Seigneurie dans l’administration des affaires de la province, et il pourra vous donner les moyens d’obvier à une telle mauvaise interprétation. »

Il était dit, dans la communication adressée à lord Amherst :

« Il est distinctement entendu que sa Majesté n’exigera pas la continuation de vos services, après que les objets spéciaux de votre mission auront été remplis. La commission de gouverneur a été ajoutée à celle de haut commissaire, principalement, ou exclusivement, pour éviter toute question ou difficulté qui, autrement, aurait pu s’élever, quant à l’étendue et à la légalité de votre autorité dans la province, et c’est seulement pour cette fin que sa Majesté a été conseillée de révoquer la commission tenue par lord Aylmer. Il est, dû au lord Aylmer que ce fait soit explicitement établi et généralement connu. Les censures auxquelles sa Seigneurie a été exposée par sa conduite publique, pourraient, autrement, être données ou représentées très erronément, comme ayant occasionné ou influencé cette décision. Il ne saurait être trop clairement compris que le roi n’a adopté aucune opinion touchant la conduite de lord Aylmer, comme administrateur du gouvernement du Bas-Canada, qui puisse déroger aux droits de sa Seigneurie à la confiance et à l’approbation de sa Majesté. »

Dans le cours du même mois d’avril, il y eût encore changement de ministère en Angleterre, et M. Charles Grant remplaça le comte d’Aberdeen au département des colonies. Après une première dépêche, datée du 22 avril, et annonçant la détermination de suivre le plan d’envoyer un commissaire royal dans le Bas-Canada, M. Grant, devenu lord Glenleg, écrivit à lord Aylmer, sous la date du 6 mai.

« En me référant aux dépêches adressées à votre Seigneurie par le comte d’Aberdeen, sur la nomination du comte Amherst comme gouverneur du Bas-Canada et haut commissaire dans cette province, je dois conclure que mon prédécesseur en office n’a pas prévu la continuation de votre Seigneurie en Canada, après l’arrivée de lord Amherst dans ce pays ; mais, d’un autre côté, j’observe que lord Aberdeen a évité avec soin l’usage d’expressions qui puissent être entendues comme vous ôtant l’espoir d’être réinstallé dans le gouvernement, lorsque les devoirs du haut commissaire auraient été remplis. Depuis que j’ai eu l’honneur d’adresser à votre Seigneurie ma dépêche du 22 du mois dernier, j’ai usé de toutes les ressources en mon pouvoir pour me mettre au fait de l’état de l’esprit public dans le Bas-Canada, et de la position dans laquelle des circonstances d’une difficulté particulière ont placé votre Seigneurie, relativement à la chambre d assemblée. Le résultat m’a convaincu qu’il me vaut mieux consulter l’intérêt public, en informant votre Seigneurie que votre administration des affaires du Bas-Canada doit être considérée comme terminée. Il n’est pas nécessaire d’assurer votre Seigneurie de la répugnance avec laquelle je lui fais cette communication, le regret en tout temps inséparable de l’acomplissement d’un tel devoir, est augmenté, dans le cas présent, par la crainte que j’ai qu’il n’en soit déduit de fausses conclusions. Je désire donc exprimer dans les termes les plus explicites, qu’il n’existe aucune intention de censurer, par cette décision, une partie quelconque de votre conduite publique, ou d’admettre comme fondées les accusations auxquelles vous avez été exposé. »

Le rappel de lord Aylmer, regardé par le plus grand nombre, comme un acte de convenance, et même de nécessité, puisque les ministres voulaient tenter encore une fois la voie de la conciliation, fût vu avec joie par un des partis extrêmes, et avec regret par l’autre. L’association constitutionnelle de Québec témoigna, par une série de résolutions énergiques, le déplaisir que lui causait ce « sacrifice offert à la clameur d’un parti qu’elle qualifiait en un langage très ferme, comme s’exprimait lord Brougham ».[124]

À l’adresse bâsée sur ces résolutions, lord Aylmer répondit, entre autres choses :

« Comme fidèle serviteur et dévoué sujet du roi, et comme sincère et constant ami du peuple du Bas-Canada, de toute origine, je souhaite cordialement que les mesures que sa Majesté a été conseillée d’adopter, pour régler les affaires compliquées de cette province, puissent établir l’autorité du gouvernement de sa Majesté sur une bâse solide et durable ; car ce n’est que par ce moyen que les intérêts publics seront consultés. Lorsque je pris les rênes du gouvernement du Bas-Canada, je n’ignorais pas les difficultés qui y existaient, mais je ne désespérais pas de les pouvoir surmonter, en usant de la politique la plus strictement impartiale… Il ne me reste plus qu’à espérer, qu’à mon retour, au siége du gouvernement impérial, ayant cessé d’être officiellement lié au Bas-Canada, j’aurai le bonheur de faire plus pour son avantage qu’il n’a été en mon pouvoir de faire pendant mon administration… Les témoignages d’estime et la bonne opinion de l’association constitutionnelle de Québec, ne pourraient que m’être agréable en tout temps et sous toutes circonstances ; combien plus dois-je les apprécier, lorsque je considère les efforts qui ont été faits avec tant de persévérance pour noircir et diffamer mon caractère, du moment où je suis arrivé en Canada à venir au moment actuel, et que, pendant cet espace de temps, toutes mes actions ont été en butte à de virulentes invectives et à de basses calomnies. »

Ce dernier paragraphe était de la vérité la plus notoire et personne ne pourra douter de la sincérité du premier. Comme le comte de Dalhousie, lord Aylmer arriva à Québec mû par les meilleures intentions et avec l’idée fixe d’agir équitablement et impartialement envers toutes les classes de la population, et d’avancer, autant qu’il était en lui les intérêts de la province. Malheureusement, il ne connut pas assez tôt à quels hommes (politiques), il avait affaire, et il leur parla parfois un langage qu’ils ne voulurent pas comprendre, ou qu’ils prirent pour celui de la pusillanimité. La suspension du procureur-général, accordée timidement à leur demande, jointe au libre cours laissé à la licence effrénée de la presse, put les confirmer dans cette idée, cette faute, ou cette erreur, de ne pas s’opposer, dans le principe, à un mal qui menaçait d’aller toujours croissant, fût due, sans doute, à la croyance erronée qu’il se guérirait de lui-même, ou serait détruit par ses propres excès, comme il arrive dans les pays où les populations peuvent voir les deux côtés des questions, ou le pour et le contre ; car il n’est pas permis de supposer que lord Aylmer ignorât qu’il est du devoir d’un gouvernement quelconque d’empêcher, autant que la chose dépend de lui, la démoralisation du peuple et la désorganisation de la société.

« Les journaux, dit un de nos écrivains, sont l’arme offensive de la démocratie, muni d’un pareil glaive, le peuple s’empare bien vite du pouvoir, si l’administration ne se hâte de réprimer les excès de ceux qui le manient. L’on voit, dans ce pays, les journaux de la majorité de la chambre d’assemblée attaquer avec violence, tandis que les défenseurs de l’administration soutiennent le combat avec le désavantage que, dans cette guerre comme dans toute autre, une défense passive a contre une aggression opiniâtre et continuellement répétée… La Gazette de Québec, dont on a vanté les succès et apprécié le mérite, la gazette de Neilson a pâli devant le Canadien ; tant, aux yeux du vulgaire, une défense calme et raisonnée paraît faible et décolorée auprès d’une attaque audacieuse qui ne respecte rien. » Lord Aylmer eût au moins une fois l’occasion de s’opposer efficacement à un mal si progressif et si contagieux : ce fût au commencement de 1832 ; plus tard, la répression légale parut être devenue impossible.

    conduite des membres, parceque l’on devenait important en devenant chef de parti. Le gouverneur avant désobéi aux ordres de l’orateur, la guerre s’est allumée. Il ne convient point aux membres de prendre fait et cause pour les querelles de l’orateur. »

    M. Papineau : « On attribue toutes les difficultés du pays aux querelles particulières de l’orateur et de l’Exécutif. Il n’existe point de pareilles querelles… Si l’on veut faire allusion à une lettre respectueuse et polie, au moment où le sang des citoyens coulait dans les rues de Montréal, quand j’ignorais qu’il fût indifférent à ces meurtres, et qu’il était disposé à protéger les meurtriers,… je dirai, qu’en effet, depuis ce moment, j’ai reconnu que cet homme était bien au-dessous de sa charge, faible, partial et corrompu. »

    « Les torts imaginaires de lord Aylmer envers M. Papineau n’excusent pas l’opposition qu’il fait, lui et ses partisans, aux mesures du gouvernement, quand ces mesures ont reçu la sanction des ministres, et d’ailleurs, il n’est jamais permis de faire une opposition publique de ses sentimens personnels. — Traité de la politique coloniale (1835).

    « Ce n’est point une offense personnelle, c’est un déni de justice qui me porte à l’accuser et à me plaindre de son administration. » — M. Papineau.

  1. « Tracey, sans doute, était un homme violent, autant que doué de grands talens ; mais sans l’opposition d’un homme tel que Bagg, citoyen des États-Unis, affilié à tout ce qui était opposé aux intérêts de la majorité du peuple, je ne crois pas que les adversaires les plus prononcés de la bureaucratie eussent pensés à l’envoyer au parlement. » — Amury Girod, Notes diverses sur le Bas-Canada.

    « M. J. F*** dit qu’il ne considérait pas le Dr. Tracey comme l’homme qu’il fallait, que son objection n’était pas fondée sur ce qu’il était Irlandais ; mais parce qu’il était un étranger, qu’on ne connaissait que par le journal dont il passait pour être le rédacteur ; que si on le pouvait juger d’après ses publications, c’était un homme trop violent, un homme dangereux ; qu’au lieu d’être indépendant, il était l’instrument d’une faction. »

    « M. J. F***, dit qu’il voudrait user de tous ses efforts pour voir un membre convenable représenter le quartier-ouest ; que le Dr. Tracy n’était pas cette personne ; que c’était un boutefeu ; qu’il ferait tort au pays, et qu’on se repentirait de l’avoir nommé, &c. »

    « M. J. D***, dit qu’il connaissait les principes politiques de M. Bagg, et qu’il pouvait assurer qu’il ne l’avait jamais vu qu’opposé a la masse des Canadiens… qu’il n’avait jamais rien fait pour mériter la confiance publique, qu’il n’était qu’un spéculateur avide ; qui ne pouvait avoir les intérêts publics en vue, en briguant la charge honorable de représentant du peuple. »

  2. « Montréal, 20 Mai 1832. Hier, n’ayant pas voulu soumettre une interprétation de la loi à la volonté de M. Tracey, et de ses partisans, il s’en est suivi du tumulte, et j’ai été bien près d’être assailli. M. Tracey lui-même m’a insulté comme officier public, m’a menacé de m’obliger par la force à faire sa volonté, ainsi qu’un irlandais qui a sauté dans la bâtisse où se tient le poll. Des motifs de prudence m’ont fait remettre à un autre tribunal la justice qui m’est due, comme officier public. »

    (Signé,) H. St. George Dupré, Officier-Rapporteur.

  3. « Qui étaient presque tous de la plus basse classe d’Irlandais. » Affidavit du Dr. Arnoldi.
  4. Les troupes que j’accompagnais s’avançaient d’un pas ferme, passant devant la banque, où nous fîmes halte ; et après que nous fûmes arrêtés, on lança sur nous des pierres en grande quantité, Le colonel (McIntosh) s’adressa plusieurs fois à ceux qui lançaient des pierres sur les troupes, leur disant : « Ne jettez plus de pierres, car nous ferons feu sur vous. » L’ordre fût alors donné aux troupes, malgré qu’on lançât toujours des pierres sur elles, de continuer leur marche le long de la rue Saint-Jacques, donnant par là occasion à tout le monde, excepté les personnes mal intentionnées, de se retirer, et dans ce but, quoique toujours assaillies par des pierres, l’ordre fût encore donné aux troupes de s’arrêter, la foule alors, en avant, paraissant s’être accrue considérablement, et assaillant les troupes avec des pierres beaucoup plus violemment qu’auparavant. Je vis plusieurs soldats frappés par des pierres, dont quelques-unes tombèrent sur le colonel, et j’en fus moi-même atteint. Dans ces circonstances, où la violence croissait à vue d’œil, le colonel s’avança de nouveau en avant, et cria à plusieurs reprises : « Je vais commander de faire feu, si vous ne cessez. » Le capitaine Temple leur dit aussi qu’on allait tirer sur eux, s’ils ne cessaient pas ; mais au lieu de cesser, ils nous assaillirent, avec un redoublement de violence ; ils se formèrent en un corps, et agirent avec beaucoup d’ordre, en entretenant une grêle de pierres contre nous, les individus qui étaient en avant se plaçant assez près des troupes pour leur faire beaucoup de mal, et lorsqu’ils se retiraient, ils passaient les uns à travers les autres, comme des troupes légères qui escarmouchent. Moins d’une décharge de la première division, composée de seize hommes, fût tirée en conséquence, et fût suivi d’effet. En peu d’instans, la foule se dispersa et disparut entièrement… Je n’ai jamais vu la populace assaillir le militaire avec autant d’audace, de persévérance et de violence qu’en cette occasion. » — Déposition du lieutenant Q. M., T. W. Dawson.
  5. « Aussitôt que les soldats eurent tiré, on les fit revenir sur leurs pas jusqu’au lieu où se tenait le poll. On les y fit rester une bonne partie de la nuit. On eut même la hardiesse de faire venir sur la place d’Armes plusieurs pièces de campagne avec une troupe d’artilleurs. Des sentinelles parcoururent le soir et la nuit les rues de cette ville, et pour récompenser les soldats de leur courage à massacrer des victimes paisibles et sans armes, et leur faire oublier leur crime, on leur donna du rhum en abondance. »
  6. « Vu que durant la dite élection, divers moyens illégaux ont été mis en œuvre, de la part de Daniel Tracey, en amenant en avant des individus qui n’étaient nullement qualifiés… et qu’il a particulièrement, à différentes fois, à l’aide de plusieurs de ses partisans employé des moyens propres à intimider les électeurs du dit Stanley Bagg, et à leur faire craindre d’aller au lieu des suffrages… qu’une telle intimidation a été exercée à différentes fois, et à un degré alarmant, tendant à détruire la paix et le bon ordre de la ville », &c.
  7. « Ceux qui se sont une fois engagés dans cette voie sont entrainés plus loin qu’ils ne voudraient, et qu’ils n’avaient crû, en se plaçant ainsi dans une situation violente, dont il leur tarde à eux-mêmes de sortir. » — L’opposition dans le gouvernement, et la licence de la presse.
  8. Quelques réflexions sur la dernière élection du Quartier-Ouest, &c.
  9. « Il est difficile de n’être pas convaincu qu’on avait le désir de faire un massacre général. Il est clairement prouvé que la faction ennemie des Canadiens se préparait à cette atrocité depuis longtems… Il y a 30 ans, le parti que nous combattons aujourd’hui voulait déjà nous fusiller… On aurait voulu aussi faire tuer M. Tracey. Les balles l’ont respecté, ainsi que ses amis, quoiqu’on les eût désignés du doigt pour les faire massacrer… Les meurtriers ouvrirent les yeux, ou plutôt leur rage se trouva assouvie. Des partisans de M. Bagg s’approchèrent des cadavres en riant, et regardèrent avec une joie féroce le sang canadien qui ruisselait dans la rue. On les a vus se donner la main, se féliciter, et regretter que le nombre des morts ne fût pas plus grand… N’oublions jamais le massacre de nos frères… Que les noms des pervers, qui ont tramé, conseillé, exécuté cet attentat soient inscrits dans nos annales, voués à l’infamie et à l’exécration… »
  10. « Messieurs les amateurs ont accompagné l’orgue de leur chant. On estime à plus de cinq mille le nombre de ceux qui étaient présents à cette triste cérémonie. Les sanglots des assistans, le deuil peint sur tous les visages, le recueillement religieux des assistans, l’église tendue de noir, les magasins de presque tous les Canadiens fermés, ainsi que beaucoup d’Irlandais, d’Américains et d’autres, sont plus éloquents que tout ce que nous pourrions dire. Après le service, les restes de MM., Languedoc, Billet et Chauvin ont été accompagnés jusqu’au champ du repos par plus de deux mille personnes. On a vu au convoi funèbre, les plus respectables de nos concitoyens, entre autres l’honorable orateur de la chambre d'assemblée qui suivait immédiatement les corps. »
  11. À cette assemblée, « convoquée pour prendre en considération les horreurs du 21 mai », le harangueur dit, entre autres choses : « D’après les gazettes, vous n’avez pu entendre le récit de ces actes d’atrocité, commis par l’ordre de certains magistrats audacieux et d’un militaire coupable… De quelle douleur ne doit pas être navré le cœur de tout vrai Canadien, en voyant périr sous les coups meurtriers d’une soldatesque effrénée trois citoyens paisibles… Pourrait-on d’un œil insensible considérer leurs membres palpitants et ensanglantés… et sans en sentir s’élever dans son âme la plus violente indignation contre les auteurs coupables de ces assassinats depuis longtems concertés contre nos concitoyens ! Oui, n’en doutez pas, le carnage, le meurtre étaient déjà résolus dans le cœur des ennemis du nom canadien… Lorsque les bureaucrates ont levé le masque, et ont juré de laver la honte de leur défaite dans le sang canadien… » Puis viennent cinq ou six résolutions en harmonie avec la harangue… Sans doute, en lisant ces horreurs et ces atrocités, un étranger aurait pû demander si le Bas-Canada était habité par des Malais ou des Pandaris, ou s’il n’y avait pas de loi pour réprimer un incendiarisme aussi affreux.
  12. « D’après d’autres résolutions de cette assemblée « les honorables D. B. Viger et L. J. Papineau avaient véritablement bien mérité du pays ; le peuple était animé de la plus vive reconnaissance pour MM. Tracey et Duvernay, Neilson et Parent, (rédacteur du Canadien) ; on devait aussi s’empresser de souscrire pour un journal intitulé l’Écho, qui devait paraître sous la direction de l’honorable P. D. Debartzch ; mais on devait se tenir en garde contre les papiers dont les éditeurs se montraient les ennemis acharnés, tout en se disant les Amis du Peuple. »
  13. Paroles de M. de Lamartine.
  14. « …Ce n’était pas assez de renvoyer absous des individus qui s’étaient baignés dans le sang des fidèles et loyaux sujets canadiens, exerçant le droit le plus sacré et le plus cher que leur donne la constitution*. Ce n’était pas assez d’avoir insulté à un peuple généreux, il fallait encore que le représentant de notre Souverain confirmât l’assassinat des sujets qui lui ont été confiés par son auguste maître et qu’il en complimentât les meurtriers du ton le plus outrageant et le plus dérisoire pour le peuple canadien. »

    * Le 24 mai, la Gazette de Québec pouvait avoir été trompée par les récits de la Minerve, mais au commencement de septembre, le Canadien trompait, en voulant faire croire que les trois individus tués au milieu de la foule ameutée, exerçaient alors, ou allaient exercer le droit de voter. Quant à ses noires calomnies, il paraît qu’elles ne furent punies que par le mépris le plus profond.

  15. Rédigé par les MM. Rambeau et Bibaud. — (Éd.)
  16. MM. Jules Quesnel, Joseph Masson, Félix Souligny, P. C. Dubois, Alexis Bourret, Hypolite Guy, D. B. Rollin, P. Bibaud, Auguste Perrault.
  17. Il y avait eu encore une assemblée agitatrice à Saint-Charles, comté de Richelieu, le 18 septembre.
  18. « Il a voulu influencer les membres de cette chambre. » Si c’était là un délit, les membres influents de la chambre d’assemblée étaient des délinquants ; car ils ne cessaient de s’efforcer d’influer sur les autres membres, pour les faire voter dans leur sens.
  19. « Le gouverneur nous a censurés dans un endroit où nous n’avions rien à dire, il nous a censurés dans nos droits les plus sacrés… Il est du devoir de la chambre de répondre à une harangue destructive de ses droits et de ses priviléges… participerons-nous à un empiètement dangereux ?… Souffrirons-nous que cette chambre soit opprimée ? Sommes-nous sous la férule d’un gouverneur ?… Il a agi l’an dernier, comme un chef militaire censurant ses troupes ? Nous devons aviser au moyen de nous en débarrasser ; nous ne devons pas nous laisser censurer par un militaire qui n’a aucune connaissance des lois civiles. Il n’est pas extraordinaire que nous ayons rejeté la liste civile qui nous était demandée, nous en avions le droit. Le chef de l’exécutif nous traite comme des écoliers… Je parle sans cérémonie… Je sais que nous échangeons une censure contre une censure ; mais il faut qu’il l’endure puisqu’il l’a provoquée… C’est à nous qu’appartient de donner de l’argent il ne faut pas tant de cérémonie ; s’il ne lui plaît pas qu’il le laisse.
  20. La persuasion de sa Seigneurie était illusoire. La chambre répondit à sa communication, en résolvant despotiquement en quatrième et cinquième lieu :

    « Que les résolutions transmises avec le message de son Excellence, et données comme étant des propositions adoptées dans différentes assemblées de propriétaires et d’électeurs du comté de Gaspé, sont des libelles faux, scandaleux et méchants contre cette chambre, et contre le gouvernement de cette province et qu’elles n’offrent aucun motif pour induire à considérer de nouveau l’expulsion de M. Christie, pour mépris de cette chambre ; et que la lettre du dit R. Christie, et les résolutions que l’on prétend avoir été adoptées par certains électeurs du comté de Gaspé, transmises, comme susdit, soient biffées des journaux de cette chambre. »

  21. D’après même M. Neilson, qui le premier avait mis en avant ces résolutions.
  22. Dans le temps où la chambre d’assemblée examinait solennellement s’il fallait abolir le conseil législatif ou le rendre électif il était naturel que la presse discutât les mêmes questions. La Minerve et le Vindicator le firent avec liberté, mais non d’une manière offensante… Ce corps néanmoins résolut de punir pour infraction de ses priviléges, et comme libelles, des écrits qui n’avaient nullement ce caractère.
  23. Le lendemain, des électeurs, pères de familles, citoyens respectables, et propriétaires aisés,… se virent forcés de résister à la violence de ceux qui les avaient maltraités la veille, et de les disperser, à leur tour, pour assurer un libre accès au poll, et préserver leurs droits d’électeurs.

    « Le premier jour, il y eut des querelles, des batteries : les partisans de M. Tracey en rejetant particulièrement la faute sur les partisans de Bagg… Le second jour, les partisans de M. Tracey se sont emparés des environs immédiats du poll; ils se sont portés, à plusieurs reprises, à des actes de violence, à des voies de fait. Ceux qui les approuvaient, et à plus forte raison, ceux qui les excitaient, disaient que c’était par représailles… Il faut convenir qu’elles ont passé les bornes ordinaires, car elles ont duré plus de vingt jours. » — Quelques réflexions, etc.

  24. À peine pourrait-on prêter à un ramassis de foux furieux ou de scélérats fieffés les procédés irréguliers, les idées absurdes, les intentions perverses, les projets criminels que la pétition attribue à la magistrature de Montréal, se composant alors de MM. T. Pothier, C. W. Grant, John Forsyth, S. de Beaujeu, P. de Rocheblave, John Mckenzie, Jules Quesnel, A. Cuvillier, A. L. McNider, J. Masson, W. Hall, John Fisher, B. Holmes, J. Shuter, P. Lukin, Th. Roy, A. Jobin. (Les trois derniers étaient exceptés de l’exécration, quoique le premier eût été accusé de meurtre volontaire.)
  25. Cette pétition disait aussi avec vérité des Canadiens d’origine française, que « bien que les vastes domaines de l’empire leur fussent nominalement ouverts, ce pays était, en effet, leur seule patrie, dont ils ne pouvaient sortir sans s’exposer à des incapacités légales, et sans renoncer à tout ce qui leur était cher, comme individus ».
  26. Il y en avait déjà eu deux.
  27. Après s’être plaint de « la partialité » du coroner et de l’esprit de parti de ceux qui sont opposés au gouvernement, le lieutenant-colonel ajoutait : « En terminant, je prends la liberté d’exposer, et je ne crois pas en cela manquer à la confiance particulière, que M. F***, D. C. G., est venu me trouver pour m’informer qu’il avait reçu une visite de M. J. V***, dans laquelle ce monsieur avait suggéré à M. F***, sachant qu’il était mon ami et me voulait du bien, de proposer que je donnasse le nom du magistrat, ou des magistrats qui avaient ordonné de tirer, attendu que par là les procédés contre moi-même et le militaire sous mon commandement seraient arrêtés. M. F*** semblait comprendre clairement que cette proposition venait de M. Papineau, et indiquait qu’il regardait le gouverneur comme prêt en tout temps à adopter ses suggestions comme règle de sa conduite. »
  28. « M. Stuart, secondé par M. Bureau, ayant proposé que l’orateur émane son warrant pour l’élection d’un membre au quartier-ouest de Montréal », M. Bourdages se prononça contre la proposition, croyant, qu’il était prudent d’en différer la considération.

    M. Stuart : « La chambre n’a pas de discrétion à exercer… Il ne faut pas substituer la prudence de l’homme à une loi positive. »

    M. Bourdages : « Je ne vois pas qu’il soit défendu d’user de discrétion… J’agis avec franchise, avec la prudence que les circonstances demandent… Allons nous remettre les deux partis aux prises ? »

    M. Bedard  : « On peut craindre, ou compter, les mêmes inconvéniens. »

    M. Bourdages : « L’Exécutif n’a pas de discrétion à exercer. »

    M. Bedard  : « Ni nous, non plus. »

    M. Bourdages  : « La chambre est maîtresse ; elle peut exercer sa discrétion, si elle le juge à propos. Je maintiens que nous pouvons exercer notre discrétion, mais non pas l’Exécutif. »

    « Par quelle raison étrange on a différé de faire sortir le warrant pour l’élection du quartier-ouest de Montréal, dans la crainte d’une émeute. »… — Gazette de Québec.

  29. …La banque à l’avantage de laquelle ce bill a été passé, et par l’agence de laquelle des clauses en ont été, en apparence, dressées, a introduit quelques dispositions, qui, je suis disposé à le croire, doivent avoir échappé à la connaissance des Messieurs du conseil et de l’assemblée, il paraît très improbable que de telles dispositions aient été adoptées avec réflexion.

    « C’est d’abord un grand inconvénient que d’établir un Code criminel particulier pour la protection d’une seule société de commerce. Ce corps n’a pas plus de droit que ses rivaux à être protégé par des dispositions de cette nature. On ne pourrait raisonnablement refuser aux autres ce qu’on aurait fait pour celui-là. Mais si on laissait ainsi les opinions ou les intérêts variables des auteurs successifs de semblables projets, déterminer les conséquences pénales des actes humains, la loi deviendrait bientôt une masse confuse de dispositions contradictoires. Elle cesserait d’être uniforme en principe, et on ne pourrait la connaître que par la comparaison de tous les actes passés en faveur de compagnies distinctes. Quoique ce bill fasse un crime capital de contrefaire une gravure ou même d’avoir un tel instrument en sa possession, je ne suis pas prêt à dire que la sévérité seule de ces dispositions aurait été une objection insurmontable à leur confirmation ; mais quand je vois, » &c.

  30. Le roi porta, il paraît, le même jugement que son lieutenant, sur la conduite du lieutenant-colonel McIntosh.

    « Nous apprenons qu’il a été reçu hier, du commandant en chef, Lord Hill, une dépêche, approuvant la conduite du militaire, à Montréal, le 21 mai. » — Mercury du 8 janvier.

    « Nous voyons par les journaux de Brighton, du 14 novembre, que lord Fitzroy Somerset et le lieutenant-colonel McIntosh du 15e régiment (récemment arrivé à Montréal) ont eu des audiences du roi… Le lieutenant-colonel McIntosh a dîné au palais avec une compagnie distinguée, se composant de la famille royale et d’un nombre de seigneurs et de messieurs. » — Montreal Gazette.

  31. Il avait effacé, avec de la gomme arabique, dans un des bureaux de la chambre une note* écrite à la marge d’un livre appartenant à son père dont la chambre n’avait plus de besoin, mais qui était encore entre les mains de son greffier. Témoignant son regret de ce qui était arrivé, M. Ryland, père, avait offert de rétablir ce que son fils avait effacé imparfaitement, mais le greffier n’avait pas voulu le lui permettre, et avait fait rapport de la chose à M. Bourdages, président du comité des priviléges.

    * Son père était menacé d’une poursuite, en conséquence de cette note.

  32. Dans un dernier paragraphe, lord Aylmer promet de ne pas laisser passer inapperçue la conduite de M. Ryland, et de prendre, après avoir examiné l’affaire, sous tous ses rapports, les mesures que l’intérêt du service de sa Majesté paraîtra demander. M. Ryland fut, quelque temps après, suspendu de l’exercice de son emploi pour l’espace de six mois.
  33. MM. Amiot, Archambault, E. Bedard, Bertrand, Bourdages, Bureau, de Bleury, Deligny, Deschamps, De Witt, J. Dorion, P. A. Dorion, Fortin, Guillot, Hamilton, Huot, Kimber, Leslie, Lemay, Letourneau, Masson, Méthot, Morin, Poulin, Proulx, Raymond, Rivard, Rochon, Rodier, Simon, Thibaudeau, Trudel, Valois, Viger.
  34. MM. Anderson, Badeaux, Baker, Berthelet, Caldwell, Casgrain, Courteau, Cuvillier, Davis, Goodhue, Gugy, Heriot, Hoyle, Neilson, Power, Quesnel, Quirouet, Scott, Stuart, A. C. Taschereau, Taylor, Vanfelson, Wood, Wright, Wurtele, Young.
  35. Cette proposition n’est pas seulement très contestable ; elle est encore tout-à-fait dénuée de fondement, d’après la pratique de l’Angleterre vis-à-vis de ses propres colonies naissantes, et même croissantes.
  36. « Un lecteur inattentif conclurait de la lecture des résolutions adoptées par la chambre, le 15 de ce mois, que le roi a le pouvoir extraordinaire et insolite de composer à plaisir une branche entière de la législature, sinon à chaque session, du moins à chaque parlement, tandis que, dans le fait, il ne convoque que ceux qui, comme les lords, ont été créés par les rois ses prédécesseurs, ou par lui-même, à des époques antérieures. »
  37. « Quelques individus ont eu la faculté, après s’être formé une théorie favorite, d’abord de concevoir que tout le monde devait être de la même opinion, et ensuite de croire que tout le monde était en effet, de la même opinion. »
  38. « Horresco referens ! Ils ne passeront plus nos bills sur l’ordre du gouvernement, sans les avoir bien examinés et discutés… La question n’est pas de savoir d’où ils viennent, ni même qui ils sont, mais si ce sont des hommes indépendants, incapables de se soumettre servilement au pouvoir exécutif non plus qu’à un parti. »
  39. « Le Mercury présente la division qui a eu lieu dans la chambre d’assemblée, sur la proposition pour rendre vacant le siége de M. Young et dans laquelle M. Papineau et M. Bourdages se sont trouvés dans la minorité, comme un symptôme de décadence pour l’influence de ces Messieurs. » — Le Canadien.
  40. « Résolu : Que Benjamin Delisle, dans son examen devant ce comité, ayant donné volontairement et malicieusement faux témoignage, s’est rendu coupable d’un grand forfait, et d’une infraction des priviléges de cette chambre. »
  41. « Le papier en question n’est autre chose qu’un rapport du colonel McDougall, sur un incendie, à Montréal, en novembre et dans lequel il dit que les troupes doivent avoir un magistrat avec elles, lorsqu’elles vont aux incendies. » — Gazette de Québec.
  42. L’assemblée avait été plus loin, en 1815, sinon par paroles, du moins par action, en décrétant de prise de corps un conseiller législatif, non pas comme tel, à la vérité, mais comme clerc ou greffier de la couronne en chancellerie, d’où il résulta que la « discorde éclata entre les deux branches de la législature ». Un écrivain, correspondant de la Minerve en 1836, qui paraît regretter que la discorde n’ait pas éclaté aussi entre la chambre d’assemblée et le gouverneur, raconte ainsi la chose :

    « La chambre demanda que le clerc de la couronne en chancellerie lui soumit son retour relativement à l’élection de Gaspé, et celui-ci ayant été nommé membre du conseil législatif, refusa de se présenter à la barre de l’assemblée avant d’en avoir obtenu la permission du corps auquel il appartenait… M. Ryland, en conséquence de son mépris de l’assemblée, doit être arrêté. Mais le conseil ne faisant aucune différence entre sa qualité d’officier qui devait une obéissance implicite à ce corps, et celle d’un de ses membres, résolut qu’il ne pouvait plus procéder à l’exercice de ses fonctions, d’une manière consistante avec ses justes droits et priviléges. L’assemblée s’adressa au gouverneur pour mettre fin à ces difficultés. Celui-ci promit de recourir à telles mesures qui lui paraîtraient les plus efficaces pour le bien public, et l’assemblée eut l’irrévocable faiblesse de biffer de ses journaux les résolutions contre le clerc de la couronne en chancellerie, pour appaiser le conseil. »

  43. MM. Bedard, Blanchard, Bourdages, Bureau, Cazeau, Desfossés, de Bleury, L. Dorion, Drolet, Fortin, Girouard, Huot, Lafontaine, Letourneau, Morin, Mousseau, Papineau, Poulin, Proulx, Rivard, Roebuck, Rochon, Rodier, Simon, Valois, Vanfelson, Viger.
  44. Quelques-uns des membres, et particulièrement M. Bourdages, ont beaucoup parlé, dans cette session, du pouvoir discrétionnaire c’est-à-dire, arbitraire et despotique de l’assemblée, mais nous n’aurions jamais cru sans preuves positives qu’elle portât sa prétention jusqu’à s’imaginer qu’elle pouvait disposer, à son gré et sans contrôle, d’une partie, ou de la totalité du revenu annuel de la province, car là où il n’y a pas de règle fixe, il n’y a rien de défini ou de déterminé. Si la chambre peut convertir £1,000, £2,000 en dépenses contingentes, qui l’empêchera d’en convertir de même £10,000, £20,000, &c. ? — L’Ami du Peuple.
  45. Si lord Goderich trouvait que Stuart avait agi honorablement, pourquoi donc approuvait-il la suspension ?
  46. L’Hon. M. Ryland, s’adressant à M. Debartzch, répéta en substance les paroles ci-dessus, et demanda s’il avait bien compris M. Debartzsch, et s’il s’était exprimé ainsi. M. Debartzch répondit : « Oui, oui, oui, vous avez bien compris. » — Traduit du Mercury.
  47. Expressions des résolutions et pétitions de 1822 contre l’union des deux provinces du Canada.
  48. L’honorable P. McGill avait proposé de résoudre, qu’il était clairement démontré que l’assemblée n’était pas présentement composée de manière à assurer aux habitans de cette province la continuation des droits politiques et les avantages dont ils ont joui, jusqu’à présent ; que la composition défectueuse de la chambre d’assemblée devait être attribuée principalement au manque de qualification en propriétés foncières, en autant qu’elle permettait d’élire comme membres de cette chambre des individus qui n’ont aucun intérêt fixe dans le pays, et que quelque disposition ultérieure à cet égard était devenue nécessaire et serait parfaitement en harmonie avec le principe établi dans la métropole, et dans les provinces voisines du Haut-Canada, de la Nouvelle-Écosse, &c.
  49. Cette phrase nous a semblé sentir trop exclusivement l’origine anglaise, et de plus n’être pas conforme à l’exacte vérité, n’ayant vu nulle part que la chambre d’assemblée ait explicitement mis en avant une pareille prétention.
  50. Ce mot, qui ne se trouve pas dans les résolutions, et qui pouvait être remplacé si convenablement par celui d’anarchique, était très inconvenant dans la bouche d’hommes graves, comme le devraient être des conseillers législatifs. En effet une république française pourrait valoir une république quelconque, et nous n’hésitons pas à dire que la république française sous le directoire exécutif valut au moins ce qu’avait valu la république anglaise sous Cromwell.
  51. « On ne peut s’empêcher de remarquer que cette session a été une des moins productives et (des moins) avantageuses au bien de la province ; qu’elle a perdu un temps considérable à faire une enquête dispendieuse au sujet des événemens du 21 mai 1832. » — M. Perraut.

    « Nous ôsons dire que la partie du public qui a jusqu’à présent prêté quelqu’attention aux affaires publiques y a toujours reconnu l’influence de l’élection de Montréal du 21 mai, lorsqu’il s’est agi de quelque sujet d’une nature politique, durant cette session. » — Gazette de Québec.

  52. « De grandes et puissantes considérations publiques doivent inviter nos concitoyens à prendre part à cette solennité nationale ; et à y assister en masse. Leur concours et leur présence démontreront qu’ils ne sont pas insensibles aux outrages et à l’oppression étrangère. — La Minerve.

    Dans le même temps qu’on faisait célébrer le pieux sacrifice pour les trois défunts, l’Écho du Pays publiait, et la Minerve reproduisait un ode élégiaque, où se lisaient les vers suivants :

     « C’est en te défendant qu’ils ont perdu la vie…
    Ils sont morts combattant pour notre liberté
    Entendez cette voix qui vous répète à tous :
    Pour maintenir vos droits déployez du courage.
    Vengez notre trépas, achevez notre ouvrage.
    Ou périssez ainsi que nous. »

  53. La politique imprudente et imprévoyante de lord Goderich devait être excusée jusqu’à un certain point par la bonne intention ; et puis, il y avait dans la dépêche une espèce de compensation : il y était dit, entre autres choses, que le mécontentement et l’état d’effervescence des esprits, mentionnés par les pétitionnaires, fournissaient un motif de plus de ne point déférer à leur jugement ; que sa Majesté ne croyait pas devoir déférer aux demandes de ces pétitionnaires, même sur des sujets d’intérêt public, en opposition à la chambre d’assemblée ; que quelque-unes des plaintes du sieur Mackenzie étaient, non-seulement triviales, mais encore impertinentes. Et puis, le ministre n’avait pu s’empêcher de censurer ouvertement le ton des communications de M. Mackenzie, tout en se disant l’ami de la liberté des discussions et de la presse.
  54. N’est-il pas risible d’entendre les Haut-Canadiens se plaindre d’être oppressés par le Bas-Canada ?
  55. « Sur plusieurs des questions discutées minutieusement dans cette dépêche, il ne règne et n’a jamais régné ni mécontentement, ni difficulté : nul habitant de cette province n’a connaissance qu’on en ait jamais parlé, ou qu’on s’en soit occupé comme de griefs ; et bien loin que les esprits en soient inquiétés, il est probable qu’on pourrait voyager d’un bout à l’autre de la province sans en entendre souffler un mot. »
  56. Resté à Londres, après l’envoi de la dépêche, le sieur Mackenzie devint familier et comme habitué au bureau colonial, où on lui permettait complaisamment de lire des dépêches avant qu’elles fussent envoyés. Il se vante d’avoir reçu la note suivante, à l’occasion de la détermination prise, à ce bureau, d’après ses dénonciations, de destituer MM. Boulton et Hagerman :

    « Lord Howich présente ses complimens à M. Mackenzie, et sera charmé de le voir, s’il a la bonté de venir au bureau, lundi, à midi. »

    « Bureau Colonial, 7 mars 1833. »

  57. « Par les rapports que j’ai dernièrement reçu des procédés de la législature du Haut-Canada, j’ai appris que le procureur-général et le solliciteur-général ont, à leurs places, dans l’assemblée, pris un parti directement opposé à la politique du gouvernement de sa Majesté. Comme membre du parlement provincial, M. Boulton et M. Hagerman sont tenus d’agir d’après leurs propres vues, en ce qui leur paraît être le mieux dans l’intérêt de leurs constituants, et dans ceux de la colonie en général. Mais si sur des questions de haute importance politique, ils ont le malheur de différer d’opinion avec le gouvernement de sa Majesté, il est évident qu’ils ne peuvent continuer à remplir des places de confiance à son service, sans trahir leur devoir, comme membres de la législature, ou bien susciter des doutes sur la sincérité du gouvernement, par leur opposition à la conduite politique que sa Majesté a été avisée de suivre. Sa Majesté ne peut désirer de voir MM. Boulton et Hagerman adopter la première de ces alternatives ; d’un autre côté, Elle ne peut permette que les mesures de son gouvernement soient entravées par l’opinion des officiers en loi de la couronne. »…
  58. « Les vues du ministre nous paraissent bien rapetissées dans la lettre du colonel Rowan. La seule réponse du secrétaire civil à la lettre de M. Boulton aurait dû être que son Excellence comprenait, que la destitution avait eu lieu pour les raisons mentionnées dans la dépêche. » — La Minerve.
  59. M. Wilson s’étant levé pour dire qu’il se proposait d’introduire un bill pour permettre aux électeurs du comté d’York d’élire un membre à la place de celui qui a été disqualifié.

    M. Bidwell se leva, « le sang lui bouillonnant dans les veines », et dit… « Cette chambre ne peut expulser un membre deux fois pour la même offense… vous ne pouvez légalement le disqualifier, n’étant qu’une simple branche de la législature : il n’y a que le roi et son parlement qui puissent le faire. »…

    M. McNabb : « Nous avons purgé notre chambre de l’homme qui faisait métier d’employer à notre égard les épithètes les plus outrageantes, nous traitant de bande de voleurs, &c. Nous avons déclaré qu’un membre si indigne ne devait point siéger avec nous… Nous devons protéger la dignité de notre chambre. »…

  60. « Si pour avoir rempli mes devoirs publics d’une manière habile, honnête et fidèle, je me trouve dans la position qui fait le sujet de cette lettre, quel autre officier public peut être assuré d’être exempt de la même position. Si, en remplissant des devoirs publics fidèlement et d’une manière indépendante, on encourt l’hostilité d’un ou de plusieurs chefs de parti, ou d’un parti politique dans une assemblée coloniale, on pourra, en tout temps, se trouver dans une semblable position, sous un gouvernement qui n’a ni le pouvoir ni la volonté de protéger ses serviteurs, et qui ne répugne pas à en faire un sacrifice de propitiation à l’influence populaire… Mon expérience personnelle quelque nuisible qu’elle me soit, peut être de quelque utilité à d’autres, qui pourront y apprendre à ne pas hasarder leur réputation et leur fortune dans un service, où, en tout temps, ils pourront être brisés, faute de protection légale, par un gouvernement qui n’a aucun égard à la justice due à ses serviteurs, et disposé à les sacrifier volontiers, toutes les fois que la chose paraîtra demandée ou indiquée par une politique tortueuse et à vue courte, par une convenance temporaire, ou par toute autre influence sinistre. » — Lettre de l’hon. J. Stuart à Lord Goderich.
  61. M. Bourdages : « Est-ce parce qu’on nous déclare la guerre, et qu’on nous dit des injures, qu’on veut lier une bonne correspondance ? Voyez dans leur adresse un échantillon de cette bonne correspondance. »

    M. Neilson : « L’adresse dont on parle n’était qu’une réponse à l’attaque de la chambre. »

    M. Kimber : … « Au reste, ce serait au conseil à faire le premier pas. »

    M. De Bleury : « Peut-on correspondre avec un corps qui entrave sans cesse nos affaires, et sape notre liberté ? ce serait se combler de déshonneur. Je n’oserais me montrer à mes constituans, après avoir ainsi manqué à mon honneur. » ”

    M. Power : «  Pour l’avantage du bien public, il est urgent qu’il existe une bonne correspondance entre cette chambre et le conseil législatif. »

    M. Lafontaine : « Qu’on démontre d’abord que cette correspondance serait bonne, qu’elle produirait quelque utilité. »

    M. Cuvillier : « J’ai entendu dire mille fois plus d’injures dans cette chambre contre le conseil législatif que n’en contient cette adresse. »

    M. Rodier  : « On vient de nous faire une belle apologie du conseil législatif et on nous accuse de l’avoir surpassé en insultes. Si c’est le cas, ce n’a été que dans des discours animés, qui s’oublient bientôt. »

  62. M. Rodier : « Je suis prêt à abandonner ma motion principale pour l’amendement de M. Lafontaine… Hier, j’étais disposé à dire que l’étiquette et la courtoisie n’étaient bonnes que pour les salons mais qu’elles ne sont pas de mise dans un corps délibératif. »

    M. Vanfelson : « Je voudrais qu’on nous dit sur quelle raison on s’appuie pour proposer cette innovation… C’est avoir une bien triste idée de la chambre que de croire que dans un comité général, elle reviendra à ce qu’elle a refusé la veille. Quant au décorum et aux convenances, je déclare qu’ils sont toujours nécessaires. »

    M. Duval : « M. Rodier ayant pris 48 heures pour se décider, s’en vient dire qu’il n’aime pas l’étiquette et les courtoisies ; moi aussi, je n’aime pas fort les courtisans ; mais je sais qu’il y a des convenances de nécessité absolue. »

    M. Bourdages : « S’il y a une circonstance où l’on doive dévier de la routine, c’est surtout celle-ci… Pour avoir été vaincu hier, je ne désespère pas de ma cause… J’attends tout de la réflexion. Que la majorité ne croie pas non plus intimider la minorité. »

    M. Quesnel:« M. Rodier, en faisant sa motion, avait sans doute un but auquel il avait réfléchi ; et voilà qu’il abandonne son client… Cette conduite me paraît suspecte. »

    M. Rodier : « On peut reconnaître le mérite d’un amendement. »

    M. Gugy : « M. Rodier fait une motion, et se décide lui-même à la combattre hautement… Quant aux règles de la décence et du décorum elles sont bonnes partout : s’en départir, c’est dire qu’on veut se jeter dans le règne honteux du sans-culotisme. »

  63. Toute élective.
  64. M. Bourdages : « C’est dans un comité général que ce message doit être discuté ; qu’on en doit voir toute l’erreur et l’inconséquence. »

    M. Gugy : « Nous demandons au gouverneur un octroi d’argent, et de son côté, il nous demande de tenir envers lui la parole que nous lui avons donnée. »

    M. Rodier : « Sa conduite est un manque de confiance en cette chambre… S’il en agit ainsi, c’est dans le but de combler la coupe d’outrages dont il a abreuvé cette chambre. La question est de savoir si nous renverrons à un comité spécial un message inusité, imparlementaire, irréfléchi contre le caractère de cette chambre… »

    M. Duval : « On se contente de faire des réflexions, des remarques sur la conduite du gouvernement, de vouloir toujours quereller et faire la guerre. N’est-ce pas le droit du gouverneur de nous répondre par message ?… Dira-t-on que le gouverneur, dans ce pays, ne doit être qu’une marionnette, lorsqu’il s’agit d’user des hautes et vénérables prérogatives royales, dont l’exercice n’a pas été donné à la couronne comme le pensent et le veulent faire croire certains politiques maladroits et malveillants, pour contrecarrer sans cesse les intérêts du peuple, mais pour assurer la conservation de ses droits et de sa liberté. »

  65. « Si l’on en croit aux débats, M. l’Orateur de la chambre d’assemblée s’est permis des attaques réitérées contre l’éditeur de ce journal. Si l’hon. orateur n’était pas protégé par les priviléges de la chambre, l’éditeur saurait bien lui prouver qu’il n’est « ni dégénéré », ni « abâtardi ». Au reste le public n'aura pas de peine à faire justice de celui qui se met ainsi à l’abri pour injurier et insulter qui que ce soit. – Gazette de Québec. »
  66. « La vraie conviction n’est jamais passionnée. Quiconque insulte à ceux qu’il ne peut amener à son opinion est affecté d’autre chose que d’un intérêt de raison. » — Auteur français.
  67. « Le gouverneur, nous dit-on, montre de la méfiance. Je ne vois rien de la sorte… Au reste, ne serait-elle pas bien fondée, bien naturelle, après les expressions dont on s’est servi ? Si nous nous offensons de cette méfiance, n’aura-t-on pas aussi le droit de s’offenser de notre ton ? Que ne pourra-t-on pas dire, lorsqu’en lisant les discours, on verra les épithètes dont on se sert envers la métropole, le gouverneur et le gouvernement ? Ces expressions sortent des bornes de la décence, sont propres à aigrir l’esprit des populations, et les porteront, peut-être un jour, à des égorgemens terribles dans ce pays. »…
  68. « C’est en te défendant qu’ils ont perdu la vie :
    Ils sont morts combattant pour notre liberté. »

  69. Loin de nous de vouloir plaisanter, à l’occasion d’un événement triste et regrettable ; mais évidemment l’écrivain n’avait pas sa tête à lui, quand, en s’efforçant d’être énergique il donnait à entendre que ces trois individus furent tués avant qu’on eût tiré sur la foule, ou qu’ils furent fusillés après leur mort.
  70. « Ce qui a valu à lord Aylmer la désapprobation de messieurs les patriotes, c’est de n’avoir pas émané une commission nouvelle des magistrats, après le 21 mai ; c’est de n’avoir pas traduit à une cour martiale un brave soldat, obligé d’obéir à l’officier municipal, sous peine de perdre son épée, c’est d’avoir refusé sa sanction à tous les troubles qui accompagnèrent cette funeste élection. La terrible accusation n’a cependant pas osé parler de ce dernier grief crainte de démasquer aux yeux des citoyens loyaux des intentions qu’il était prudent de tenir secrètes, et cette accusation qui, dans la bouche du coriphée patriote, parle de tout, excepté de ses véritables motifs, cette accusation, si hautement, si solennellement commencée, si misérablement, si honteusement continuée, cette montagne en travail, qui aboutira à un enfantement ridicule, n’a été, et ne sera qu’une mystification pour le public, et peut-être, pour l’honorable accusateur lui-même. » — Réflexions sur l’état actuel du pays.
  71. M. Viger était mis là dans ce que les Anglais appellent an awkward predicament, aussi parut-on douter qu’il ôsât se montrer au bureau colonial ou ailleurs, après la réception de la requête bâsée sur les 92 résolutions, en envoyant M. Morin en Angleterre pour les soutenir.
  72. Les centum gravamina présentés à la diète de Worms, par une partie du peuple d’Allemagne, succombant sous le poids, et le nombre de ses griefs, ne leur sont pas comparables, du moins quant au délire et à la furie du style.

    Un ancien membre de la chambre d’assemblée, qui avait « signé de tout son cœur les 92 résolutions, en 1834, et qui aurait été prêt à les signer encore, en 1836 », si les circonstances avaient été les mêmes, nous demanda, en souriant, la dernière fois que nous eûmes le plaisir de le rencontrer, ce que nous dirions des 92 résolutions, et d’après la réponse que nous lui fîmes, il répliqua : « Que voulez-vous, quand l’esprit est malade ? »

    « Les résolutions sur l’état de la province renferment beaucoup de vérités et d’erreurs, avec beaucoup d’extravagance et de folies, mais à notre avis, ce qui les distingue le plus, c’est le ridicule… On autorise des conventions, et ce qui est plus étonnant, on menace du secours de l’étranger, et par ce fait, on appelle l’étranger contre l’état. Le mot « légèreté » du secrétaire colonial n’est plus le mot convenable. — Gazette de Québec.

  73. « Les Canadiens de la nouvelle école sont vifs, cherchant l’instruction, un peu têtes chaudes. » — Amury Girod.
  74. « Dire que la minorité » doit être en tout et partout soumise à la volonté de la majorité, c’est un principe qu’on pourrait tourner contre nous, si l’union des provinces avait lieu, ou si, par l’émigration des Îles Britanniques, ou des États-Unis, la population de langue anglaise devenait la plus nombreuse. » — L’Ami du Peuple.
  75. « Troubles en Canada. Il n’y a pas que notre ci-devant heureux pays qui soit affligé des maux de la turbulence politique. Le furieux esprit de parti a dépassé le 45e degré, et exerce ses ravages avec un surcroît de violence dans les provinces canadiennes. Il avait été introduit une série de propositions parmi lesquelles nous transcrivons les deux suivantes (37ème et 38ème), qui indiquent une forte tendance révolutionnaire.

    « Il parait que la déclaration de M. l’orateur Papineau n’était pas une vaine menace… Dans les résolutions supplémentaires, le gouverneur est accusé directement et formellement, des conventions du peuple sont provoquées, et les dépêches de M. le secrétaire Stanley sont biffées des journaux. » — Commercial Advertiser de New York.

  76. MM. Amiot, Archambault, Bedard, Berthelot, Bertrand, Besserer, Blanchard, Boissonnault, Bouffard, Bourdages, Burreau, Carreau, Cazeau, Courteau, DeBleury, Deligny, Deschamps, de Tonnancour, De Witt, Dionne, J. Dorion, P. A. Dorion, Drolet, Fortin, Girouard, Guillet, Godbout, Huot, Kimber, Lafontaine, Larue, Leslie, Letourneux, Masson, Méthot, Morin, Mousseau, Noël, Poulain, Proulx, Raymond, Rivard, Rocburne, Rochon, Rodier, Scott, Simon, A. C. Taschereau, P. E. Taschereau, Tessier, Toomy, Trudel, Turgeon, Valois, Vanfelson, Viger.

    MM. Anderson, Baker, Berthelet, Caldwell, Casgrain, Cuvillier, Davis, Duval, Goodhue, Gugy, Hoyle, Knowlton, Languedoc, Le Bouthillier, Lemay, Neilson, Power, Quesnel, Stuart, Taylor, Wood, Wright, Wurtele, Young.

  77. L’hon. G. Moffatt, Jules Quesnel, écr., et le capitaine Piper, commissaires pour l’amélioration du hâvre de Montréal.
  78. « Je suis ou ne peut plus surpris du langage de l’orateur de cette chambre, je n’imagine pas quelle leçon nous avons à recevoir de lui plus que de qui que ce soit. Il s’est érigé en un pédagogue impérieux, qui donne la réprimande à ses jeunes écoliers trop tardifs à arriver en classe. Le ton, le langage, l’expression, le geste, la figure, tout dans l’orateur est offensant et injurieux pour les membres. De quel droit se porte-t-il pour notre maître ? L’indépendance de chacun des membres n’est-elle pas pleine et entière ? Comment se fait-il que le gardien de nos règles et du décorum dans cette chambre, y manque si souvent ? »
  79. MM. Bourdages, Lafontaine et Rodier.
  80. M. Stuart.
  81. « L’officier-rapporteur s’adresse au gouverneur, qu’il regarde comme très habile. Il demande à cet honnête soldat ce qu’il doit faire. Il aurait dû consulter d’autres personnes, sans partialité. Jamais on ne vit un exemple d’une si grossière ignorance. Le gouverneur a compromis l’officier-rapporteur, sa conduite prouve qu’il est entièrement ignorant de la constitution anglaise, et il se précipite d’écarts en écarts. Il écrit à un avocat-général de sa création, qui lui donne un chef-d’œuvre d’ignorance. Au lieu de dire au gouverneur que l’intervention de l’Exécutif dans les élections est intolérable et doit être regardée comme odieuse, l’avocat-général ôse assumer une autorité qui n’appartient qu’à la chambre… Ce trio a donné une preuve complète de son ignorance. »
  82. « Jamais dans un corps délibératif représentant un peuple civilisé, rien de semblable ne s’était passé. M. Hamel, avocat-général, a été traduit à la barre de la chambre, et sévèrement réprimandé par l’orateur, pour avoir, dit-on, enfreint les priviléges de ce corps. Et de quelle manière le lecteur pense-t-il qu’il avait violé ces droits ? Avait-il tenté de corrompre quelqu’un des membres ? Avait-il terrassé l’orateur ou épouvanté le greffier ? Avait-il publié quelque libelle contre ce corps honorable ? Rien de tout cela. M. Hamel n’avait commis aucune offense contre la personne sacrée des législateurs… Mais il avait donné un avis légal, lorsqu’il était de son devoir de le faire, en étant requis, etc. Cet avis s’étant trouvé contraire à celui de la majorité de la chambre, cette majorité résolut de le traiter de violation de ses priviléges… La chambre le fit paraître en sa présence, et là, M. l’orateur Papineau le tança vertement. Ceci est, à notre avis, le nec plus ultra du pouvoir arbitraire. Jamais rien de pareil ne s’est vu depuis que la reine Elizabeth demanda compte à son parlement d’avoir ôsé agir contre ses désirs et priviléges royaux. » — Traduit du Courier and Enquirer de New-York.
  83. « Le gouverneur les a vues et les a lues, ces résolutions : il a eu deux jours pour délibérer : il a été le maître de nous dire qu’il ne donnait son consentement à ce qu’on les discutât, en nous prorogeant ; hier et aujourd’hui, il a pu nous renvoyer encore, et il ne l’a pas fait ; il est vrai pourtant qu’on ne pouvait pas supposer qu’il nous permettrait de discuter ses torts et ses injustices. Le temps est passé, à présent. »
  84. C’était la deuxième ou la troisième fois qu’on faisait dire à la chambre d’assemblée cette insigne et notoire fausseté.
  85. Tandis que le conseil législatif rassurait ainsi le gouvernement de la métropole sur la loyauté des Canadiens, rendu très problématique par les procédés de l’assemblée, la presse licencieuse ôsait dire que ses résolutions contenaient la demande de ce que les 92 résolutions avaient tout l’air d’appeler, un renfort de bayonnettes. Ainsi s’exprimait alors cette presse nauséabonde à l’exemple de l’orateur de la chambre :

    « C’est un corps déjà mort dans l’opinion publique, et les gens de bien, la minorité du conseil, craignent de se corrompre et n’ôsent approcher de ce cadavre hideux et infect, dont nous voyons aujourd’hui les spasmes et les convulsions, à l’aspect de l’opinion qui produit sur lui les mêmes effets que le galvanisme sur le corps animal privé de vie. » — La Minerve.

    « Il peut y avoir dans ces résolutions quelques parties qui méritent attention. Mais les neuf-dixièmes sont hazardées et absurdes. Deux régimens d’infanterie et un escadron de cavalerie, devraient être la seule réponse à ces résolutions. » — Journal de Londres.

  86. « Résolu. - que les remercimens de cette assemblée et de tous les fidèles sujets de sa Majesté de cette province, sont dus à son Excellence, lord Aylmer, pour le mépris silencieux avec lequel il a souffert les insultes de ses vils calomniateurs, comme ayant tenu en cela la conduite la plus convenable à la dignité de son caractère et à l’indépendance de l’administration coloniale. »
  87. « À peine la session du parlement était-elle close, que l’on commença à colporter l’adresse au parlement impérial, à former des assemblées, à organiser des comités pour la faire signer et obtenir l’approbation des procédés de la chambre d’assemblée. Si l’on en croit les rapports publics, on employa tous les moyens possibles dans ce but ; les mensonges, les déclamations, les subterfuges ne furent point épargnés ; on prétend même qu’on parcourut les écoles pour obtenir les signatures des enfants. Le peuple travailla par différens partis, signe de droite et de gauche le pour et le contre… Or, je demande quelle confiance on peut mettre dans de pareilles signatures, après de semblables manœuvres ? » — M. Perrault.
  88. « Le Vindicator demande ce que font les comtés de Dorchester, de Lotbinière et de Bellechasse, et si les gens de l’île d’Orléans sont morts. Nous pouvons répondre à cela que nous avons lieu de croire que l’île d’Orléans signe et enverra une assez bonne liste. Quant aux autres comtés, on signe aussi, par endroit, mais pas avec autant de vigueur qu’on aurait pu l’espérer. Le statu quo y fait du tapage. Malgré cela nous attendons encore beaucoup du zèle de plusieurs bons Canadiens qui résident dans ces comtés. » — Le Canadien.
  89. On aurait pu parier que ces résolutionnaires parlaient ironiquement, ou qu’ils ignoraient la signification des termes qu’ils employaient.
  90. Cette résolution doit être grossoyée sur du papier velin, signée par le président et le secrétaire, et il en sera présenté une copie à ces trois messieurs, placée dans un beau cadre doré. — La Minerve.
  91. « Nous avons lu avec attention cet acte d’incorporation, il donne au conseil de ville de Toronto une foule de pouvoirs que n’ont point nos corporations… Si, comme on a raison de le croire, le parti populaire s’empare des pouvoirs accordés par cet acte, on pourra dire aux ministériels : Sic vos non vobis. » — La Minerve.
  92. « Sa Seigneurie, le maire, ayant pleinement exposé les desseins de sa faction, en publiant les parties de la lettre de M. Hume que le sens commun aurait conseillé à tout autre individu de tenir secrètes, à cet état peu avancé de la conspiration, les misérables conspirateurs se trouvent dépouillés de tout prétexte couvert pour l’agitation, et avouent ouvertement leur intention de délivrer le Canada de ce qu’il leur plaît d’appeler la pernicieuse domination de la métropole. Ceux qui, jusqu’à présent avaient admiré Mackenzie… ont été jetés dans le plus grand étonnement… Qu’on le dise à leur honneur, ils n’ont pas tardé un moment à manifester leur horreur des traîtres qui les ont trompés. » — Toronto Patriot.
  93. Si une séparation est le désir de M. Hume, ou de quelques individus d’entre nous, nous pouvons assurer M. Hume et ces individus qu’un vœu de cette sorte n’existe point dans les esprits des réformistes du Haut-Canada. — Cobourg Reformer.
  94. Telle était, dit-on, l’indignation publique, qu’en moins de six heures de temps, l’adresse fut signé par les deux-tiers de la population mâle et adulte de Toronto.
  95. Les témoignages rendus à l’appui des 92 résolutions, furent en harmonie avec l’esprit qui les avaient dictées. Le témoignage de M. Morin fût publié plus tard dans La Minerve. Nous en extrayons ce qui suit, comme échantillon :

    « Considérez-vous que le tribunal d’accusation (de jugement) pour délits politiques, devrait être également indépendant de la couronne et de la faveur du peuple ? — Oui, également.

    « Considérez-vous que l’indépendance de la faveur du peuple serait beaucoup augmentée si le conseil législatif était rendu électif, et un tel changement aurait-il l’effet de rendre ce conseil un tribunal plus propre pour décider sur les délits politiques ? — Je le pense.

    « Voulez-vous dire quelles sont les raisons sur lesquelles vous fondez votre opinion, pour dire qu’un conseil électif serait plus propre à décider sur des affaires politiques, dont l’accusation serait portée par un autre corps électif du même pays, qu’un tribunal nommé à vie, et entièrement indépendant de la couronne et du peuple ? — L’expérience a montré qu’un corps à la nomination de la couronne ne peut pas être indépendant. Je considère qu’un tel corps, quoiqu’élu par le peuple, serait indépendant, et je ne crois pas qu’aucune des raisons mentionnées dans la question qui m’est posée, aurait aucune influence sur ce corps, quand il serait appelé à remplir les hautes fonctions de décider sur des accusations portées contre les fonctionnaires publics.

    « Vous considérez la chambre d’assemblée comme représentant fidèlement les sentimens et les opinions de la masse du peuple du Canada. — Oui.

    « Dans l’accomplissement de ses devoirs, ne devient-il pas quelquefois nécessaire à un juge ou à un fonctionnaire public de faire des démarches qui peuvent le rendre extrêmement impopulaire vis-à-vis de la masse du peuple ? — Je crois que tout juge équitable est toujours respecté de tous les partis.

    « Supposez qu’un grand mécontentement s’élevât contre un juge à l’occasion de l’accomplissement d’un devoir impopulaire, et qu’une accusation fût portée contre lui par une assemblée élective exprimant fidèlement les sentimens du peuple, croyez-vous qu’il serait à désirer que ce juge eût à répondre devant un autre corps élu par le peuple, et qui devrait être renouvelé de temps à autre, et qu’ainsi soumis à ce tribunal, les juges seraient indépendans dans la province ? — Je crois qu’ils le seraient.

    « Seriez-vous d’avis que le jugement du conseil législatif (électif) fût en dernier ressort ? — Je crois que le jugement devrait être final.

    « Sans appel à aucun autre tribunal ? — Absolument sans appel. »

  96. « Le rapport du comité des communes n’a pas eu l’honneur de nous tirer entièrement de notre stupeur : il a été comme une réponse de la sybille, interprétée par les deux partis dans le sens de leurs passions, quoique regardé comme bien sage par les gens sensés. » M. Perrault.
  97. « Pour devenir un peuple libre, il vous faudrait résister au parlement britannique. Ne croyez vous pas sage de détourner ce mal, et de tenter au moins une autre chance d’un arrangement paisible. Il vaut mieux, j’en conviens, combattre que de perdre toute espérance de se gouverner soi-même. Mais certainement nous devons tenter tous les moyens avant de prendre la résolution d’avoir recours aux armes… Afin de donner au ministre actuel l’occasion de remédier à vos griefs, il m’a paru nécessaire de mettre fin, pour le présent, à nos procédés hostiles. La chambre pourrait passer un bill temporaire de subsides, sous protêt… Si j’étais à votre place, je ne renoncerais à aucune de mes tentatives pour réveiller le peuple et lui faire sentir les injustices qu’il éprouve… Vous ne pouvez avoir un bon gouvernement avant de vous gouverner vous même, et vous, n’y pourrez point parvenir, tant que le conseil législatif existera*. Vous devez persister fermement dans vos demandes « sur ce point ».

    * Grande raison donc pour l’Angleterre de maintenir et même de renforcer ce corps.

  98. «  La nomination de M. Gale au banc de Montréal nous paraît une mesure très malavisée, violant des rapports de comités en Canada, ainsi que les promesses du bureau colonial, et nous paraît propre à faire durer ces animosités et ces malentendus mutuels, que la mère-patrie dernièrement et de nouveau s’est montrée empressé de faire disparaître. » — Gazette de Québec.

    M. Gale avait été nommé juge par Lord Aylmer, d’après l’avis et la recommandation du juge en chef de Montréal.

  99. It is of infinite importance that they should not be suffered te imagine that their will, any more than that of kings, is the standard of right and wrong ; and that, therefore, they are not te exact in those who officiate in the State an abject subsmission te their occasional will, extinguishing thereby in all those who serve them all moral principle, all sense of dignity, all use of judgment, and all consistency of character.” — M. Edmund Burke.
  100. À une assemblée tenue à Saint-Athanase, le 10 mars, sous la présidence du Dr. Bardy, il avait été résolu : « Que cette assemblée ôse désapprouver la conduite parlementaire de MM. Neilson, Duval, Lemay, Quesnel et autres, qui ont rougi de servir la cause de leur pays, et trahi les intérêts de leurs constituans. »
  101. « Mon caractère, ma conduite publique ont été affaiblis de toutes parts, et avec toutes les variétés de l’insulte que le langage peut comporter, depuis la basse et vulgaire impertinence jusqu’à l’invective la plus grossière et la plus virulente. »
  102. Particulièrement le London Morning Advertiser.
  103. Voir, par exemple, le pamphlet dont il ordonna la circulation par la province.

    Lord Aylmer étant venu à Montréal, dans l’été de 1834, le Vindicator et La Minerve parurent tout barrés de lignes noires.

    « Nous ne dénonçâmes point le Vindicator et La Minerve, quand ils exprimèrent leur détestation de lord Aylmer en revêtissant (pour revêtant, sans doute) leurs feuilles de deuil, quand son Excellence visita notre ville. » — La Minerve traduisant le Daily Advertiser, journal qui naquit neutre, quant à la politique, en 1833, et qui mourut, à l’âge d’environ un an, radical, ou niveleur renforcé.

  104. MM. Stuart, Neilson, Cuvillier, Quesnel, Badeaux, Casgrain, Duval, Languedoc, Lemay, Berthelet, Young, ne furent point membres de la nouvelle chambre.
  105. Par suite du découragement, dans lequel la dépêche du 8 novembre 1832 avait jeté les amis de la constitution et du gouvernement, et de l’espoir qu’elle avait donné aux niveleurs, il se trouva dans la nouvelle chambre douze ou treize Américains, dont on pouvait dire avec le poëte latin : Cœlum, non animum, mutant, qui transfreta currunt.
  106. On verra plus tard quels étaient ceux qui avaient réellement dilapidé une partie considérable des revenus de la province.
  107. Ce n’étaient pas des personnages moindres que les ministres du roi, sinon le roi lui-même, que la convention de Montréal, voulait ainsi traduire à sa barre, ou à celle de la future chambre d’assemblée, pour être châtiés par elle d’une manière exemplaire, ou condigne.
  108. M. Bedard, secondé par M. Lafontaine, proposa que L. J. Papineau, écuier, fût élu orateur. Après que le greffier eût lu la motion, M. Gugy se leva, et secondé par M. Bowman, proposa, en amendement, que L. H. Lafontaine, écuier, fût élu orateur.

    « M. Lafontaine se leva, et protesta avec chaleur contre l’amendement de M. Gugy, dont, dit-il, il n’avait eu, avant, aucune expectative ou connaissance, et conclut ses remarques par déclarer que, s’il était élevé à cette dignité, il résignerait son siége. »

    « M. Gugy répliqua dans un discours d’une grande longueur. Dans le cours de ses observations, il introduisit le célèbre manifeste de M. Papineau, le commenta, et déclara qu’il s’opposait à l’élection de Papineau, sur des raisons nullement personnelles, mais politiques. »

    « M. Papineau se leva, et répliqua à M. Gugy avec cette force et cette lucidité qui lui sont si familières. Il accorda les plus amples félicitations à. M. Lafontaine, entre lequel, dit-il et lui-même, il existait le plus parfait accord sur les questions publiques. »

    « Le résultat des votes sur la motion de M. Bedard fût pour, 70 ; contre, 6. MM. Bowman, Clapham, Gugy, Moore, Power, Wells.

  109. M. Spring Rice prouva pendant sa courte administration, qu’il n’était nullement l’homme qu’il fallait dans les circonstances. Il voulut réparer un tort léger, si c'en fût un, par une faute grave, en refusant de confirmer une nomination faite par lord Aylmer, et il eût à regretter de s’être imprudemment enfermé seul avec MM. Viger, Morin et Roebuck, pour conférer avec eux sur les affaires du Canada. Mais s’il était faible sur la politique, et manquait de prévoyance, il pouvait parler convenablement, comme le prouve le dialogue suivant :

    M. Hume (présentant une pétition de Québec, au soutien des 92 résolutions) : « Je suis convaincu que, tant que les Canadiens ne pourront pas régler eux-mêmes leurs affaires, ils ne seront pas satisfaits. »

    M. Spring Rice. « J’ai déjà manifesté le désir de concilier tous les partis en Canada, mais je dois réclamer contre les moyens qu’a employés un membre de la chambre, en faisant publier des choses propres à enflammer des esprits remuants… La lettre écrite par l’honorable membre est de nature à exciter le Canada contre la mère-patrie… Je ne sais trop si de tels propos sortis de la bouche d’un colon ne l’aurait pas rendu coupable de trahison et sujet à être poursuivi criminellement. Nul membre de la chambre ne peut

    tenir une pareille conduite sans mettre en danger les intérêts de l’Angleterre et du Canada. »

    M. Hume : Je me crois assez justifié d’avoir écrit cette lettre puisqu’on n’a fait aucun effort pour mettre à exécution les recommandations du comité de 1828. (Voir Rapport du comité de 1834). Si l’on ne redresse pas les griefs, la résistance sera permise. Je suis persuadé que si le gouvernement refuse de faire cesser les plaintes, il y aura bientôt une séparation.

    M. Spring Rice : « Il est extrêmement inconvenant à un homme qui parle en sûreté dans cette chambre, de mettre au jour des idées qui peuvent en jeter d’autres dans de si grands dangers. L’homme qui paisiblement et sûrement assis dans son cabinet, se sert d’un pareil langage entend et pratique mal la doctrine de résistance. Si la résistance est assez recommandée et assez soutenue pour enfreindre les lois, il y a lieu d’espérer que les lois triompheront finalement. M. Hume peut, en sûreté, jouer le rôle de trompette, en exprimant de telles idées, comme membre de cette chambre ; mais s’il croit en sa propre doctrine, qu’il parte et entreprenne lui-même de la défendre et qu’il s’expose aux dangers dans lesquels ses opinions peuvent en entrainer d’autres*.

    * Simul ipse qui suadet consideratus est, adjiciat ne consilio periculum suum. Tacit. Histor, lib. II.

  110. M. Gugy : « Il me paraît bien extraordinaire qu’on demande un comité sur l’état de la province, le premier jour de la session…

    M. Papineau (après avoir dit du gouvernement, qu’il a refusé de rendre justice contre une bande de meurtriers armés) : Je n’aime pas les gens qui viennent ici s’arrogeant un pouvoir arbitraire… qui veulent une aristocratie héréditaire, projets des plus ridicules que les bayonnettes seules pourraient soutenir. »…

  111. « J’ai gardé le silence sur les deux premières propositions, mais je proteste contre la troisième. M. Morin paraît ne pas vouloir se charger de cette résolution, il l’a mise entre les mains d’un nouveau membre qui peut faire usage des termes employés dans le journal que rédige M. O’Callaghan. Cet individu s’est servi envers le gouverneur de termes qu’il n’aurait pas osé adresser à ses égaux hors de cette chambre. « Insultant » et « insolent » ne peuvent jamais être dits par cet individu, du chef du gouvernement, si infiniment élevé au dessus de lui. Il parle aussi de la minorité « factieuse », eh bien il a appartenu longtemps à cette même minorité, et l’oiseau qui salit son propre nid est des plus sales… Ce personnage a signalé l’élection des Deux-Montagnes, de Sorel, etc. Je désirerais connaître la cause des troubles, s’il y en a eu ; si j’en connais quelque chose, ce même Dr. O’Callaghan a beaucoup contribué à causer ces troubles. Les 92 résolutions, qui promettaient une distribution des deniers publics, avant la dernière élection générale, à des gens de la trempe du docteur, sont une des causes de ces troubles, et ce même docteur a été élu par des gens qui ne l’avaient ni vu ni connu, aux ordres talismanigues de certains meneurs… Les paroles du gouverneur ont été vérifiées par les événements ; car nulles manœuvres, nuls artifices n’ont été épargnés par la majorité. »
  112. « Dans un pays nouveau comme le Canada, où le peuple n’est pas encore accoutumé à l’exercice de ses droits politiques, les représentans, aussitôt sortis de l’enceinte de l’assemblée, étant plus au courant des affaires publiques, ont le droit de conseiller leurs constituans dans leurs procédés publics. »
  113. M. Gugy : Faut-il que cette chambre ne soit qu’un bureau d’enrégistrement de la convention de Montréal ; dont l’orateur est membre, et d’où partent les illuminations de doctrines révolutionnaires ? Les haines et les inimitiés de certains membres mettent obstacle à tout… Une certaine lettre de l’orateur, qui contenait (comme) un ordre au gouverneur de se rendre à Montréal, après l’affaire du 21 mai, n’ayant pas été écoutée, l’orateur, accoutumé à toujours commander, se trouva offensé et piqué. Depuis lors, la haine et les querelles personnelles ont été le fondement de la
  114. Non-seulement la chambre s’était déjà nommé un bibliothécaire dans la personne du rédacteur du Canadien, mais elle lui avait alloué, de sa seule autorité, £200 par an. Quant à M. Heney il avait été nommé conseiller exécutif : il ne pouvait plus être, conséquemment, à la hauteur des idées de la majorité ; et puis, il avait publié un « Commentaire » ou des « Observations sur l’acte Constitutionnel du Haut et du Bas-Canada », et il l’avait « respectueusement dédié à la chambre d’assemblée du Bas-Canada ». Cette chambre pût regarder la chose comme une leçon à elle faite, pour la détourner de l’idée fixe de détruire cette constitution.
  115. L’esprit d’une constitution ne peut pas vouloir sa destruction ou prévoir une révolution.
  116. « La chambre d’assemblée a agréé une adresse au gouverneur, demandant la petite somme de £18,000 pour ses dépenses contingentes. Cela n’inclut pas environ £4,000 (année commune), pour la paie de ses membres, ni £1,000 pour l’hon. M. l’orateur Papineau, et probablement quelques autres et cetera. Selon nous, non-seulement les avances demandées doivent être refusées, mais à l’avenir, toutes les dépenses contingentes des deux chambres doivent être octroyées par des lois et sujettes à un examen le plus strict. » — Gazette de Québec.
  117. M. Taché : « C’est à moi que faisait allusion M. l’orateur, je suppose, lorsqu’il a dit que des membres, dans la conversation, se disaient réformateurs, et avaient toujours en chambre quelques objections à faire à des mesures de réforme (« pas plus à vous qu’à d’autres, à plusieurs ».) Je suis ami d’une réforme raisonnable et bien fondée, mais je ne voudrais pas qu’on y allât à pas de charge. Depuis le commencement de la session, toutes les mesures ont été précipitées ; il a presque fallu les voter sans les avoir lues. »

    M. Dubord : « Je n’ai jamais dit que je serais opposé aux résolutions, et je ne crois pas l’honorable orateur en droit de dire que nous avons manqué à nos promesses, et changé de langage. J’ai dit et je répète que je ne suis pas prêt à voter sur ces résolutions, et que dans, l’intérêt de mes constituans, je dois désirer de les lire. Voilà pourquoi j’en ai demandé l’impression. »

    « Il était déplorable de voir l’orateur, lorsqu’on demande l’ajournement, afin de faire imprimer les résolutions, se lever et lancer les plus violentes invectives contre le gouverneur, le gouvernement, le conseil législatif, et le ministère britannique. Il est déplorable de l’entendre continuellement parler des difficultés créées par M. Stanley, M. Spring Rice et le comte d’Aberdeen, avec la brutalité d’un tory. Je vois malheureusement que la chambre se suicide. La chambre ne peut disposer des deniers publics sans le consentement des autres branches de la législature. Si la disposition des fonds publics était laissée à la chambre seule, elle aurait en mains un des plus puissants moyens de corruption. La chambre n’a le droit d’employer de l’argent que pour ses dépenses les plus nécessaires et les plus indispensables. Les dépenses contingentes de la chambre sont limitées par une loi. » — M. Gugy.

  118. On aurait dit que la majorité de l’assemblée s’était fait une loi de ne parler plus que contradictoirement à la vérité même évidente.
  119. M. Rodier : « Mais quels étaient enfin les titres de ce jeune homme auprès de son Excellence ? Apostat de la cause du peuple et renégat politique, son mérite était d’avoir trahi ses concitoyens. »

    M. Gugy : « Quel droit a M. Rodier d’appeler apostat et renégat le jeune avocat récemment nommé greffier de la couronne en chancellerie ? La liberté tant vantée de M. Rodier consiste-t-elle pour lui à appeler apostat et renégat un homme dont les opinions ne s’accordent pas avec les siennes ? »

  120. N’est-il pas au moins étrange d’attribuer au toryisme du comte d’Aberdeen l’étrange prévention ou erreur de jugement qu’il montre dans le paragraphe suivant :

    « La discussion de cette question en faveur du séminaire de Saint-Sulpice, entraîna des conséquences que tout Canadien, quelle que soit son origine nationale ou sa croyance religieuse, aurait également raison de réprouver… telles que la nécessité de recruter continuellement d’étrangers venant de France les membres d’une corporation qui devrait avoir au plus haut degré possible, les intérêts et les sentimens, non pas d’habitans français venant d’un pays étranger, mais du peuple canadien*. »

    * Le comte d’Aberdeen dut revenir de ses préventions et de son erreur, en lisant, un ou deux ans plus tard, le Vindicator ou La Minerve.

  121. Le paragraphe anecdotique suivant nous a paru mériter d’être transcrit : « On sait que cette pièce a été confiée au Dr. Nelson ;… qui voulut bien se charger de cette mission délicate… et devait en conférer avec M. Roebuck. M. Roebuck était particulièrement lié avec l’honorable D. B. Viger, et ce vétéran de la patrie, pendant sa résidence en Angleterre, l’avait particulièrement initié dans notre politique. Il lui avait dépeint avec chaleur et cette logique qu’on lui connaît, le mal qui croissait chaque jour dans notre pays, et le bien qu’on pourrait y produire en accédant de bonne foi à des demandes qui étaient bâsées sur la justice, l’équité et la prospérité commune. M. Viger avait, pour ainsi dire, fait passer dans l’âme de M. Roebuck les convictions dont la sienne était le foyer, et c’est à ces précédens qu’on doit la manière ferme, précise et persuasive, avec laquelle la pétition fut présentée. — La Minerve, 16 avril 1835.
  122. Il dit « qu’il espérait que ses avis ne seraient pas inutiles pour prévenir les malheurs qui menaçaient l’Angleterre ; que les renseignemens qu’il possédait venaient d’une source plus sûre que celle où le gouvernement avait puisé ; qu’il connaissait maints faits qui avaient toujours été ignorés au bureau colonial ; qu’il désirait sincèrement que les évènemens ne justifiassent pas ses prédictions, mais qu’il ne pouvait se dissimuler qu’elles touchaient presque à leur accomplissement. »
  123. « Depuis quelque temps, nos journaux de toutes les couleurs contiennent les articles les plus fulminants contre votre pays, contre les prétentions si justes de vos concitoyens et surtout contre les hommes influents de votre province, qui ont si vigoureusement soutenu les droits du peuple. Cette unanimité que vous trouverez singulière, n'en soyez ni affligés ni découragés. » — Correspondance du Vindicator traduite par la Minerve.
  124. Résolu, sur motion de Thos. C. Aylwin, écuyer, secondé par John McLeod écuyer : Que cette association envisage avec alarme et regret le sacrifice de la prérogative royale offert ainsi pour la première fois à la clameur d’un parti qui met ouvertement en question la juste subordination de la colonie à la métropole, et inculque ouvertement la résistance à son autorité. »