Histoire du Canada et des Canadiens sous la domination anglaise, Vol 3, 1878./Livre cinquième

La compagnie d'impressions et de publication Novell (3p. 5-102).

HISTOIRE DU CANADA
et des
CANADIENS,
sous la
DOMINATION ANGLAISE.
Séparateur


LIVRE CINQUIÈME.

Comprenant ce qui s’est passé depuis l’arrivée de Lord
Aylmer, dans l’automne de 1830, jusqu’au printems
de 1832.

Le lieutenant-général Matthew lord Aylmer de Balrath, donné pour successeur à Sir James Kempt, ou au comte de Dalhousie, comme gouverneur-général, arriva à Québec avec sa famille, le 14 octobre 1830.

Dans le cours des deux mois suivants, la société canadienne fut un peu troublée par la tentative de renouveller les commissions royales, moyennant honoraires, en conséquence de la mort de Georges iv ; tentative à laquelle se soumirent silencieusement les fonctionnaires, ou officiers rétribués, mais à laquelle résistèrent avec quelque éclat, et avec succès, les gens de profession, particulièrement les avocats et les notaires.

En conséquence d’une grave indisposition du gouverneur, le parlement provincial, convoqué pour le 24 janvier, 1831, ne fut ouvert que le 27 au château Saint-Louis[1]. Dans la harangue d’ouverture, lue par le président du conseil législatif, lord Aylmer dit, entre autres choses, aux deux chambres :

« Je m’étais flatté d’être en état de soumettre, de la part du gouvernement de sa Majesté, quelque communication relative à la question des finances, qui a si fort occupé l’attention de la législature de cette province… Il n’est pas encore en mon pouvoir de le faire, mais ce sera peut-être pour vous une satisfaction d’apprendre que le gouvernement de sa Majesté est pleinement convaincu de la nécessité d’un arrangement immédiat et satisfaisant de cette question importante, et j’ai tout lieu de croire que les instructions que je m’attends à recevoir prochainement, seront de nature à prévenir toute mésintelligence future sur le sujet.

« Je me flatte que, dans de pareilles circonstances, vous verrez la nécessité de faire quelque arrangement provisoire, pour subvenir aux dépenses du gouvernement, assurés, comme vous pouvez l’être, que sa Majesté n’a rien tant à cœur que de voir les affaires de finances de la province mises, sans délai, sur un pied qui soit également compatible avec les besoins du service public, et en harmonie avec les sentimens et les vœux de ses fidèles sujets canadiens. Sa Majesté ne leur demandera d’autres subsides que ceux qui, après mûre considération, seront jugés absolument nécessaires, n’ayant aucun objet plus à cœur que la prospérité, le bien-être et le contentement d’un peuple qui lui est cher à plus d’un titre.

« Il n’est pas hors de propos d’observer, que votre réunion actuelle est remarquable par les circonstances particulières qui l’accompagnent. Vous êtes pour la première fois convoqués sous l’autorité de sa présente Majesté, Guillaume IV, et la branche populaire de la législature s’assemble pour la première fois, considérablement augmentée, quant au nombre de ses membres… Ces circonstances constituent le commencement d’une ère nouvelle dans votre histoire parlementaire, et une époque qui, comme je m’en flatte, sera distinguée par l’harmonie et cette bonne intelligence entre les différentes branches de la législature, qui sont si essentielles pour donner un plein et entier effet aux avantages de la constitution que vous avez le bonheur de posséder, et pour la préservation de laquelle il est, à n’en pas douter, de l’intérêt de tous les sujets canadiens de sa Majesté d’adresser au ciel de ferventes prières. »

Ce discours de lord Aylmer, le plus conciliant, peut-être, qui eût encore été prononcé par un gouverneur anglais du Canada, fit dire à un correspondant de la Minerve, le seul journal publié alors en langue française, à Montréal :

« Je remarquerai que la harangue n’est qu’une longue série d’excuses, depuis le commencement jusqu’à la fin : quand le gouvernement en est réduit à venir en suppliant devant le peuple, et à faire des excuses, de cette manière, il faut que sa cause soit bien mauvaise… »

Cet écrivain, qui, un peu plus haut, s’était montré comme hors de lui-même, s’exagérait outre mesure le sens des paroles de lord Aylmer, quoiqu’on y pût voir le désir bien marqué de concilier un corps dont une partie des membres se montrèrent, dans cette session même, plus qu’inconciliables [2].

Le lendemain de l’ouverture, le premier sujet introduit dans l’assemblée fut une tentative sans exemple dans les annales de la chambre des communes d’Angleterre, celle de faire expulser par une chambre nouvelle, et composée en très grande partie de membres nouveaux, un membre de cette chambre, pour une infraction de priviléges prétendue commise contre la chambre précédente. Le 28 janvier, M. Thibaudeau, nouveau membre pour le nouveau comté de Bonaventure, « fait motion que les entrées dans les journaux de la chambre, du 14 février 1829, et du 22 janvier 1830, relativement à l’expulsion de la chambre, de Robert Christie, écuyer, soient maintenant lues ».

Quoique M. Bourdages s’empresse de se dire satisfait de voir un nouveau membre s’occuper d’une mesure aussi importante, et le loue d’en agir ainsi, la motion ne laisse pas que d’exciter de la surprise et des réclamations, particulièrement de la part de MM. Leslie, Lee, Stuart, Cuvillier, Fisher, Duval, de Montenach, et autres[3].

Enfin, M. Bedard propose de remettre au 31 la lecture demandée, et cette proposition, secondée par M, Neilson, fut agréée à l’unanimité.

Le 31 janvier, (pour omettre une infructueuse tentative d’innovation de la part de M. Neilson, quant à la nomination des comités permanents[4],) M. Thibaudeau dit que le but de sa motion du 28 est l’expulsion de M. R. Christie… et qu’il renouvelle sa proposition, que « les entrées des journaux soient maintenant lues ».

M. Lee combattit cette motion par un discours raisonné et savant, mais inutilement, car M. Bourdages ayant dit que « les résolutions qui expulsent M. Christie, avaient pour base la conviction d’un grand crime, et proposé que la question fût référée au comité de toute la chambre, cette proposition fut adoptée à une majorité de 45 contre 22.

M. Thibaudeau fait alors motion que « R. Christie, élu pour le comté de Gaspé, est le même M. Christie expulsé par les résolutions ».

M. Cuvillier combat longuement, savamment et éloquemment la proposition de réexpulser M. R. Christie.

M. Morin est pour la réexpulsion, parce que les résolutions adoptées contre M. Christie sont d’une telle nature qu’elles le disqualifient pour toujours, et que les résolutions d’une chambre lient les suivantes[5].

M. Bedard et M. Duval se prononcent énergiquement et rationnellement contre la réexpulsion, ce qui n’empêche pas que la seconde proposition ne soit adoptée, et M. Thibaudeau ne propose de résoudre, que « R. Christie ne peut ni siéger ni voter en cette chambre ».

M. Stuart combat fortement et habilement cette proposition : M. Lagueux lui répond par des exagérations et des paradoxes plus qu’étranges : selon lui, M. Christie a mis l’existence de la chambre en question. On a dit qu’une même peine ne pouvait pas être infligée plusieurs fois pour la même offense ; ce n’est pas une peine, c’est une censure : on a fait mention de récision et d’absolution ; l’une et l’autre sont impossibles. Le corps de délit demeure ; pour en être convaincu, on n’a pas besoin de voir toutes les pièces du procès… » Suivant M. Quesnel, c’était un délit unique qui devait être puni comme tel.

M. Lee se lève au milieu des cris de : « la question, la question ! » et résumant ce qu’il avait dit précédemment, il s’écrie : « On foule aux pieds la liberté et les grands principes qu’ont soutenus les Burke, les Fox et Sir Francis Burdett. » M. Cuvillier parla encore avec chaleur ; les cris de « la question » se firent entendre de nouveau, et la dernière proposition fut adoptée à la majorité de 41 contre 28.

Le même jour, le 31 janvier, la chambre répondit au discours du gouverneur : le paragraphe suivant termine sa réponse :

« Nous assurons très respectueusement votre Excellence que, nous efforçant de remplir fidèlement les devoirs dont nous avons été chargés par nos constituants, nous n’aurons rien de plus à cœur que de voir régner l’harmonie entre les diverses branches de la législature, afin qu’il soit donné un plein et entier effet à la constitution, et qu’elle soit soumise intacte à notre postérité. »

Les instructions auxquelles le gouverneur avait fait allusion, dans son discours d’ouverture, arrivèrent à Québec vers le milieu de février, et le 23 du même mois, son Excellence fit tenir à l’assemblée le message suivant :

« Le gouverneur général a reçu ordre de sa Majesté de faire à la chambre d’assemblée la communication suivante, dans la vue de régler, d’une manière définitive, la question des finances…

« Sa Majesté, prenant en considération le mode le plus propre à contribuer à la prospérité et au contentement de ses fidèles sujets du Bas-Canada, met à la disposition de la législature tous les droits que sa Majesté a dans les taxes qui sont maintenant prélevées dans la province, en vertu de divers actes du parlement britannique, et qui sont appropriées par la trésorerie, en vertu des ordres de sa Majesté, avec les amendements et confiscations prélevées sous l’autorité de ces actes. Sa Majesté, se reposant sur la libéralité et la justice de la législature du Bas-Canada, l’invite à prendre en considération la convenance qu’il y aurait à adopter quelques dispositions fixes pour ces parties des dépenses du gouvernement civil de la province, qui, après mûr examen, paraîtront devoir exiger un arrangement d’une nature plus permanente que les aides qu’il appartient à la législature de déterminer par un vote annuel.

« Sa Majesté a donné ordre de préparer et de soumettre à la chambre d’assemblée une estimation des sommes d’argent nécessaires pour cette fin ; et en ordonnant cette estimation, sa Majesté a été guidée par un sentiment que son cœur a toujours éprouvé, celui de ne demander à ses fidèles sujets d’autres aides que celles qui pourraient paraître nécessaires pour la due exécution des services qu’on se propose de porter sur la liste civile.

« Sa Majesté concède la disposition de ces revenus avec cordialité et de bon cœur, ne doutant nullement que cette concession ne soit accueillie avec des sentiments réciproques par les représentans d’un peuple loyal et affectionné.

« Les revenus que l’on propose d’abandonner s’élèvent, d’après un terme moyen, pour les deux dernières années, à la somme de £38,125, et le montant de la liste civile, d’après l’estimation ci-jointe, s’élève à £19,500. Il ne devient pas nécessaire de demander à la législature d’accorder la somme entière de £19,500, d’autant que par l’acte provincial de la 35e de Geo. III, la somme de £5,000 est accordée d’une manière permanente pour le soutien du gouvernement civil. La somme modique de £14,500 est tout ce qui est jugé nécessaire pour le complément de l’arrangement proposé.

« L’on propose que la liste civile soit accordée pour la vie du roi.

« On a l’espoir que les arrangemens dont on vient de donner le détail seront reçus avec le même esprit qui les a dictés, un esprit de conciliation et de confiance.

« Sa Majesté est prête à abandonner un revenu considérable et croissant ; elle demande en retour une liste civile fixée et modique, beaucoup moins élevée que le revenu dont elle fait l’abandon, et le réglement de cette question, depuis si longtemps agitée, sera considéré par sa Majesté comme un des plus heureux événemens de son règne… »

Liste civile proposée
Classe No 1
Appointements du gouverneur £4,500
Secrétaire civil 500
Contingens 300
-----
Total 5,300
Classe No 2
Le juge en chef de la province 1,500
Le juge en chef de Montréal 1,200
Six juges puisnés, à £900 chacun 5,400
Le juge résident des Trois-Rivières 900
Deux juges provinciaux, à £500 1,000
Le juge de la cour de Vice-Amirauté 200
Le procureur-général 300
Le solliciteur-général 200
Allocations aux juges pour tournées 275
Contingens 475
-----
£11,450
Classe No 3
Pensions 1,000
Dépenses diverses 1,750
-----
£2,750
------
£19,500

Droits de douane pour l’autorité du statut impérial de la 14e Geo. III, chap. 88 £31,742
Licences sous ditto 2,200
Droits de douane sous l’autorité de l’acte provincial de la 41e Geo. III 3,735
Licences sous ditto 62
Amendes et confiscations 386
------
£38,125

Cette communication, où le désir de concilier et de satisfaire semble se montrer encore plus marqué que dans la harangue d’ouverture, fut reçue par le public canadien avec une satisfaction mêlée de surprise ; on ne s’était pas attendu généralement à une concession aussi ample, et le ministère britannique parut à quelques-uns mériter d’être accusé d’une grande et grave imprévoyance, si l’abandon qu’il faisait d’un revenu considérable pour une liste civile qui leur paraissait insuffisante, était absolu, et non explicitement conditionnel. Le message suivant du 25, qui, en bonne politique, aurait peut-être dû être amalgamé avec le premier, vint rassurer les uns, et mécontenter les autres :

« Le gouverneur en chef ayant, dans son message du 23, communiqué à la chambre d’assemblée les injonctions de sa Majesté… concernant la question des finances…, croit qu’il est nécessaire d’énumérer en détail les diverses branches de revenu qu’il est cru expédient d’excepter de l’opération de l’arrangement proposé.

« Cette communication ultérieure paraît à son Excellence d’autant plus désirable, qu’elle ôtera lieu à toute discussion future, quand l’arrangement de la question principale aura été effectué, et qu’elle mettra la chambre en état d’entrer dans la considération de cet important sujet avec une pleine connaissance des vues du gouvernement de sa Majesté…

« Les revenus auxquels le gouverneur fait allusion sont les revenus casuels et territoriaux de la couronne, et sont classés sous les chefs suivants, savoir : 1. Rentes des biens des Jésuites ; 2. Rentes des postes du Roi ; 3. Forges de Saint-Maurice ; 4. Rente du Quai du Roi ; 5. Droit de Quint ; 6. Lots ès-ventes ; 7. Fonds des terres ; 8. Fonds des Bois de construction. »

Le même jour, sur motion de M. Cuvillier, il fut voté une adresse au gouverneur, le priant de faire mettre devant la chambre des copies des dépêches et des instructions mentionnées dans le précédent message et dans celui du 23, et cette adresse ayant été présentée le lendemain, 26, son Excellence y fit la réponse suivante :

« Messieurs : Je ne puis hésiter un moment concernant la réponse qu’il me convient de faire à cette adresse. Les dépêches et les instructions que j’ai reçues du gouvernement de sa Majesté, et auxquelles il est fait allusion dans mes messages du 23 et du 25 à la chambre d’assemblée, sont destinées pour mon information et ma règle de conduite, comme gouverneur de cette colonie, et me sont adressées dans l’attente confiante, de la part du gouvernement de sa Majesté, que les ordres du roi, que ces dépêches et ces instructions me font parvenir, seront exécutés par moi avec cette fidélité qui doit appartenir au caractère d’un officier public à qui a été confié l’accomplissement de hauts et importants devoirs, et qui a été honoré de la confiance de son souverain. J’ai donc à vous prier de vouloir bien faire savoir à la chambre d’assemblée que je regrette sincèrement qu’il ne me soit pas possible, compatiblement avec le sentiment que j’ai du devoir et de la convenance, en cette occasion, de faire mettre devant elle des copies des dépêches ou des instructions que je peux avoir reçues du gouvernement de sa Majesté concernant les affaires financières de cette province. » …

Il n’était nullement probable que lord Aylmer eût empiré pour la province, ou mal interprété ses instructions, et il n’y avait, dans son dernier message, rien que de conforme aux recommandations du comité du Canada de 1828, qui exceptait les revenus héréditaires, casuels et territoriaux des fonds à mettre convenablement sous le contrôle de la législature provinciale ; le rapport de ce comité avait été qualifié, dans la chambre d’assemblée, de monument impérissable de justice et de sagesse, et imprimé en entier et à grands frais par l’ordre de cette chambre, avec tous les documens sur lesquels il était basé[6] ; mais depuis 1828, il y avait eu progrès dans les idées, les prétentions et les exigeances populaires, et ce second message ne mécontenta pas peu ceux des membres de l’assemblée qui ne voulaient rien laisser au roi dans la province, pas même son quai, ses postes de commerce, son droit de quint et les lods ès-ventes ; et en particulier M. Neilson, qui, ce jour même, après avoir énuméré, en prenant la voie de l’exagération, les griefs qu’il croyait voir dans le pays, proposa de prendre en considération l’état de la province, et, chose assez étrange, cette proposition fut agréée à l’unanimité, pour le 8 mars.

Le 28 février, les adresses suivantes au gouverneur furent proposées et agréées :

2. Pour un état détaillé de l’application proposée des items contenus dans l’estimation de la liste civile, du Bas-Canada, sous les titres de contingens, dans les classes Nos. 1 et 2, et sous les titres de pensions et items divers, dans la classe No. 3.

3. Pour un état du montant annuel en gros des rentes des biens des Jésuites ; un détail des salaires payés annuellement, et le montant annuel, en gros des autres frais de direction et de collection, avec un état du montant annuel de tous les autres paiements faits au moyen du dit fonds.

4. Pour des états du revenu annuel en gros du fonds des terres et du fonds des bois ; un détail des salaires payés, et du montant annuel, en gros de tous les autres frais de direction et de collection, avec un état du montant annuel de tous les autres paiements faits, au moyen des dits fonds, depuis l’année 1818, inclusivement.

5. Pour un état détaillé de l’application future proposée du revenu provenant des rentes des Jésuites, du fonds des terres et du fonds des bois et des autres chefs de revenu classés dans le message du 25, comme appartenant au revenu casuel et territorial.

6. Pour être informé si le juge de la cour de vice-amirauté avait fait choix de son salaire, au taux de £200 st. par année, tel que voté par cette chambre, ou des honoraires, que, sous le présent tarif, il était dans l’habitude de recevoir.

À cette série d’adresses le gouverneur répondit, qu’il n’était pas en son pouvoir de fournir un état détaillé de l’emploi des items contenus dans l’évaluation de la liste civile proposée,… sous les chapitres de dépenses contingentes, dans les classes Nos. 1 et 2 ; n’étant pas en possession des renseignements nécessaires pour le mettre en état de le faire, et que la même observation devait s’appliquer à l’article des diverses dépenses, dans la classe No. 3 ; 2o. que, quant à l’article des pensions,… il devait informer la chambre qu’il ne pouvait être fait aucune affectation définitive pour ce chapitre de dépenses, qu’après une communication sur le sujet avec le gouvernement de sa Majesté ; 3o. qu’après s’être adressé à l’officier à qui il appartenait, il avait constaté que les renseignemens demandés dans l’adresse No. 4 avaient été jusqu’à présent refusés, conformément, comme il le devait supposer, à des instructions du gouvernement de sa Majesté ; 4o. qu’il ne pouvait faire à l’adresse No. 5 que la même réponse qu’il avait faite à la précédente ; 5o. qu’il ne pouvait prendre sur lui de dire quelles pourraient être les instructions de sa Majesté à l’avenir, quant à l’affectation des branches de revenu regardées comme propriété de la couronne, et qui étaient conséquemment sujettes, dans leur distribution, à tels changemens qu’il plaira à sa Majesté d’ordonner ; qu’il pouvait seulement dire généralement que l’intention du gouvernement de sa Majesté était de les employer à des objets étroitement liés avec les intérêts publics de la province, et qu’il avait raison de croire que ces revenus seraient applicables aux fins ci-dessous : 1o. l’avancement de l’éducation, 2o. le paiement du clergé de l’église établie ; 3o. le paiement de £1,000 par an à l’évêque catholique de Québec ; 4o. une allocation annuelle aux ministres presbytériens ; — qu’il ne pouvait pas dire si le juge de la cour de vice-amirauté avait, ou n’avait pas fait choix entre son salaire et ses émolumens, mais qu’ayant appris qu’il continuait à recevoir, ou persistait à maintenir son droit de recevoir des honoraires, il avait refusé de lui faire payer son salaire pour l’année 1830.

Cependant, la presse périodique devenait de plus en plus licencieuse dans quelques-unes de nos gazettes : Sir James Kempt avait été traité de renard des plus fins ; le discours d’ouverture venait d’être commenté dans le style et sur le ton des plus exaltés patriotes français de 1792 et 1793, et les messages du 23 et du 25 de février donnèrent lieu à un article, où, parmi des plaintes amères, des prévisions sinistres et de folles menaces, l’écrivain s’écrie : point de liste civile pour la vie du roi, et ôse dire : « Rien de plus beau en principe que le gouvernement de la mère-patrie ; rien de plus monstrueux en pratique. » Malheureusement, cette licence effrénée de la presse ne fut réprimée, au commencement, ni par le gouvernement, ni par le public qu’elle insultait indirectement. Nous disons malheureusement, car quelle qu’en pût être la grossièreté, l’absurdité ou la sottise, elle ne laissait pas que d’influer déplorablement sur un grand nombre de lecteurs, particulièrement sur les jeunes gens, et, qui pis est, sur une partie des membres de la chambre d’assemblée. Endè mali labes.

Le 7 mars, le comité des finances fit ce qu’il appella « Rapport en partie ».

Après avoir regretté de n’avoir pu obtenir aucun rapport détaillé de l’emploi qu’on se proposait de faire des petites sommes demandées pour dépenses contingentes, et avoir, peut-être avec raison, trouvé à redire à l’application du revenu des biens des Jésuites, le comité s’exprime ainsi :

« Tandis que votre comité n’a pu réussir à se procurer des renseignemens suffisans pour mettre la chambre en état de se prononcer avec connaissance de cause sur la nécessité de plusieurs des articles de la liste civile proposée ; tandis qu’on essaie de ravir au contrôle du corps représentatif une si grande portion des revenus publics, qui vont croissant, votre comité ne peut, sans de vifs sentiments d’appréhension, jetter les yeux sur la prétention avancée de nouveau par le gouvernement de sa Majesté que les revenus perçus en cette province, en vertu de l’acte de 1774, seront sujets à être appliqués par les lords de la trésorerie de sa Majesté, dans le cas où l’arrangement proposé ne rencontrerait pas l’assentiment de la chambre.

« Cette « prétention » a déjà depuis longtemps et vivement agité la province, et a été fatale à la paix et à la prospérité du pays. Elle a éprouvé une opposition constante de la part de l’assemblée de la province, appuyée de presque toute la population. »

Sous l’administration du ci-devant gouverneur en chef, le comte de Dalhousie, elle fournit un prétexte à des applications illégales et considérables de l’argent public, et servit à maintenir au pouvoir une administration qui s’était rendue odieuse par des actes arbitraires et illégaux. Le renouvellement de cette « prétention » est maintenant, comme elle l’était alors, d’autant plus inexcusable que, quand il y aurait eu dans l’origine, quoique raison de l’avancer, en violation du droit naturel ! et des dispositions positives et déclarations du parlement britannique[7], et de toutes les autorités législatives de la colonie, dans l’acte passé par sa Majesté en parlement provincial, (39e Geo. III, chap. 9,) et antérieurement sanctionné par le roi en conseil dans la Grande Bretagne. (Voir extrait du discours de son Excellence Robert Prescott, écuyer, du 28 mars 1799[8]). Les revenus levés alors, en vertu de l’acte de 1774, ne montaient qu’à £4,644 0 8, courant, annuellement, et cette somme fut accordée à sa Majesté par le même acte provincial, au lieu des droits levés en vertu de l’acte britannique, sans limitation de durée, tandis que £5,555 11 1, courant, accordées en 1795, et que sans doute, on entendait donner comme compensation pour les revenus casuels et territoriaux, en conséquence de la déclaration gracieuse de sa Majesté, en 1794, furent aussi accordées de nouveau, sans limitation, pour l’administration de la justice, et pour les dépenses du gouvernement civil. Ç’a été entièrement la faute du gouvernement britannique, s’il n’a pas tenu sa promesse de soumettre au parlement la révocation de l’acte des revenus de 1774.

« Dans de telles circonstances, il serait doublement déplorable de voir les revenus casuels et territoriaux et les revenus de l’acte de 1774, augmentés comme les derniers l’ont été, par suite de deux actes du parlement passés en 1822, de £13,879 15 7 à £38,864 9 10, maintenant réclamés comme étant à la disposition exclusive du gouvernement. »

Après avoir rappelé quelques-uns des procédés de la session de 1829, au sujet des finances, le comité termine ainsi :

« Votre comité, persuadé que les recommandations les plus importantes du comité du Canada n’ont pas été mises à effet, quoiqu’il se soit maintenant écoulé deux années depuis la date du rapport, et que les demandes maintenant faites ne correspondent pas avec la recommandation de ce comité, au sujet des difficultés financières, ni même avec la cédule annexée à un bill introduit dans la dernière session du parlement par le ministre actuel des colonies, et dont on se proposait de laisser l’application à la législature coloniale, est d’avis :

« Qu’il est expédient de ne faire aucune allocation ultérieure pour les dépenses du gouvernement. »

Ce rapport, tout plein d’assertions fausses, ou très contestables, de fausses représentations et de termes offensants, et où l’on revient aussi odieusement qu’oiseusement sur le passé, qui n’était, « en partie » qu’une pure chicanerie, était à peu près l’inverse de ce qu’il aurait dû être dans les conjonctures, et bien fait pour rabattre de la joie causée et de l’espérance donnée par le message du 23 février, et même pour inspirer quelque crainte à ceux qui ne connaissaient pas encore l’extrême bonté, ou condescendance, de lord Goderich, et la longanimité du gouverneur qu’il nous avait donné.

Les propositions suivantes purent donner à entendre qu’à mesure que les abus se corrigeaient, le nombre en augmentait dans le pays.

Le 8 mars, jour ou l’état de la province devait être pris en considération dans l’assemblée, c’est-à-dire, où cette chambre devait prendre l’attitude du mécontentement et de l’hostilité, M. Neilson proposa de résoudre, et cela, sur un ton et dans un style qui dut paraître tout autre que celui qu’on lui connaissait :

1o. Que nonobstant les progrès que le peuple a faits, du côté de l’éducation, au moyen de l’encouragement accordé par les actes récents de la législature, l’effet des obstacles opposés à sa diffusion générale, résultant de ce que les revenus des biens des Jésuites ont été détournés de l’objet auquel ils étaient originairement destinés[9], de la non-exécution de la promesse faite en 1801, de terres pour les écoles, et du rejet, par le conseil législatif, de plusieurs bills en faveur de l’éducation, est encore péniblement senti dans toute la province.

2o. Que la régie des terres incultes a été abusive et imprévoyante, et qu’elle met encore des obstacles aux établissemens, par les délais, les dépenses et les entraves, qui empêchent qu’elles ne soient occupées avec facilité et sûreté, par toutes les personnes sans distinction, disposées à s’y établir, &c[10].

3o. Que le pouvoir de régler le commerce de la province, réservé au parlement impérial, a occasionné des incertitudes préjudiciables aux transactions mercantiles, et des fluctuations désavantageuses dans la valeur des propriétés, &c.

4o. Que les habitans des différentes villes, paroisses, &c., souffrent du défaut de lois suffisantes pour les mettre en état de régler et administrer leurs diverses affaires locales, &c.

5o. Que l’on a introduit l’incertitude et la confusion dans les lois concernant la propriété, par le mélange de différens codes de lois, et de différentes règles de procédure dans les cours de justice, dont l’administration est devenue insuffisante et inutilement coûteuse.

6o. Que cette incertitude et cette confusion ont été beaucoup augmentées par des lois passées dans le parlement impérial, depuis l’établissement d’une législature provinciale, &c[11].

7o. Que plusieurs des juges de cette province se sont, depuis longtems immiscés, et même ont publiquement pris parti dans les affaires et les difficultés politiques de la province, tandis qu’ils tenaient des places durant bon plaisir, et souvent incompatibles avec la due exécution de leurs devoirs judiciaires, &c.

8o. Que depuis un grand nombre d’années, les places des départemens exécutif et judiciaire ont été presque exclusivement l’apanage d’une classe particulière de sujets, dans la province, &c.

9o. Que plusieurs de ces personnes possédant des places du gouvernement, intimement liées à sa juste administration, et ayant perdu la confiance du pays, emploient l’influence qu’elles tirent de leurs places à empêcher l’accord et l’harmonie qui devraient constitutionnellement exister entre le gouvernement et la chambre d’assemblée, et à les brouiller ensemble, tandis qu’elles négligent, dans leurs situations respectives l’avancement des affaires publiques [12].

10o. Qu’il n’y a pas de responsabilité suffisante à l’égard de ceux qui occupent des places, ni comptabilité convenable pour ceux qui ont le maniment des deniers publics, &c[13].

11o. Que les maux résultant de cet état de choses ont été considérablement agravés par les lois passées dans le parlement impérial,… qui ont rendu permanentes des taxes imposées temporairement par la législature provinciale[14].

12o. Que le choix des conseillers législatifs a été presque entièrement limité à une classe semblable des habitans du pays, ou à des officiers publics jouissant de places durant plaisir et de gros salaires, et qui réunissant dans les mêmes personnes toutes les fonctions législatives, exécutives, et judiciaires, maintiennent et perpétuent les abus, et rendent tout remède législatif, par le parlement provincial presque impraticable.

13o. Que, quoique le peuple de cette province souffre de cet état de choses, et s’offre de le faire changer, il n’en est pas moins reconnaissant de l’avantage dont il jouit, sous le gouvernement de sa Majesté, et surtout de la politique plus libérale adoptée à l’égard de cette colonie, depuis deux ans : il éprouve, néanmoins, un sentiment bien pénible, lorsqu’il voit que les espérances dont on l’avait flatté après un long cours de souffrances et d’outrages, ont été considérablement diminuées par les délais que l’on a apportés à redresser un grand nombre de sujets de plainte contenus dans son humble requête au roi et au parlement impérial, en 1828, &c.

Ces propositions, dont une partie, au moins, étaient bien plutôt oiseusement accusatrices du passé qu’utilement réformatrices du présent, donnèrent lieu à l’énonciation d’idées, de vues et de sentimens dont aucun des membres de l’assemblée n’avait été jusqu’alors soupçonné, si ce n’est par l’honorable John Richardson. On vit, pour la première fois, le gouvernement de la Grande-Bretagne, sa législation, son système colonial, le gouvernement de la province, la chambre haute de sa législature, les fonctionnaires publics, en un mot, toutes les autorités constituées du pays, attaqués, dénoncés, vilipendés, à outrance et satiété, dans des débats où figurent particulièrement MM. Bourdages, Papineau, Cuvillier et Lee, et dont une partie, au moins, nous a paru historique et mériter de passer à la postérité.

Après que la chambre se fut formée en comité général sur l’état de la province, M. Bourdages dit qu’il avait à soumettre une série de propositions qui embrasserait la plupart des objets qu’on avait à prendre en considération, laquelle était que le comité eût instruction de considérer s’il ne serait pas expédient de n’accorder aucun subside, jusqu’à ce que les principaux griefs dont, depuis plusieurs années, cette province s’était plainte au gouvernement impérial, fussent redressés, c’est-à-dire ; 1o. jusqu’à ce que cette partie de l’acte de la 14e Geo. III, chap. 88, qui impose certains droits recevables dans la ci-devant province de Québec, ait été révoquée ; 2o. jusqu’à ce que les juges aient été exclus des conseils législatif et exécutif, et rendus indépendants durant bonne conduite ; 3o. jusqu’à ce qu’il ait été effectué une entière réforme dans la composition des conseils exécutif et législatif de cette province ; 4o. jusqu’à ce que les revenus casuels et territoriaux de la couronne aient été appliqués pour défrayer les dépenses du gouvernement civil et de l’administration de la justice, sous le contrôle de l’assemblée de cette province ; 5o. jusqu’à ce que les fonds provenant des biens du ci-devant ordre des Jésuites aient été appliqués aux fins auxquelles ils avaient été destinés dans l’origine ; 6o. jusqu’à ce que les terres de la couronne soient concédées en franc-aleu roturier, pour être régies par les lois françaises maintenant en force dans cette province.

« Il y a trois ans, continue M. Bourdages, que nous nous attendons à voir mettre à effet les recommandations du comité de la chambre des communes, pour le redressement de nos griefs, et cependant rien n’a été fait. Il est donc devenu absolument nécessaire que nous employions les moyens qui sont en notre pouvoir pour amener ce résultat désiré. Les deux principaux moyens constitutionnels qui se présentent sont, premièrement, de demander au parlement impérial l’entière abolition du conseil législatif (dont tout à l’heure il ne voulait que l’entière réformation,) et, secondement, de n’accorder aucun subside, tant que nous n’aurons pas obtenu le redressement de tous nos griefs. »

Quoique M. Bourdages outrepassât de beaucoup les recommandations du comité de 1828, que, dans son projet de coercer[15] l’Angleterre, il voulût le renversement de la constitution, une révolution à peu près complète dans la province, M. Cuvillier trouve qu’il ne va pas, ou qu’on ne va pas assez loin dans les propositions soumises à la chambre, et en effet, il va bientôt plus loin lui-même, et s’écrie : « Pourquoi ne pas demander la révocation de notre glorieux acte constitutionnel, comme on l’a appelé, mais qui n’était rien moins qu’un octroi de priviléges pour nous : il revêt du pouvoir, en dernier ressort, le roi et son conseil privé : il est humiliant pour nous », &c.

Après quelques mots de M. Neilson, qui trouve prématurée, ou présentée inoportunément, la proposition de M. Bourdages, ce dernier répète qu’il croit que le principal remède aux maux du pays est l’entière extinction du conseil législatif ; mais sa proposition est négativée, à la majorité de 50 contre 19.

En soumettant ses propositions, l’une après l’autre, au comité général, M. Neilson parle peu, mais fournit à d’autres l’occasion de discourir, de déclamer et d’invectiver ab hoc et ab hac.

En secondant la première proposition de M. Neilson, M. Cuvillier dit que le gouvernement provincial s’était opposé à la diffusion des lumières ; qu’il reprochait au peuple d’être ignorant, et qu’il lui ôtait en même temps les moyens de s’instruire. « Le gouvernement français, continue-t-il, nous a fait des dons d’une munificence royale, qui pouvaient répondre suffisamment aux besoins croissants de la population, et qui ont été employés très avantageusement pour l’éducation de la jeunesse canadienne. Nous avons été témoins de ses heureux résultats pour le pays [16] ; et quel sentiment doit réveiller en nous la vue de ce bâtiment (la maison des Jésuites) où l’on cultivait autrefois les sciences avec tant de succès, et qui est aujourd’hui converti à l’usage d’un millier de militaires ? Ne semble-t on pas avoir rejeté tout sentiment d’humanité, pour ajouter l’insulte à l’injure ? »

M. Papineau s’efforce de renchérir sur les expressions sentimentales ou énergiques de M. Cuvillier. « Les justes observations de l’honorable membre, dit-il, ont dû toucher la sensibilité, déchirer le cœur de quiconque est père ou époux, et songe que la perversité d’un petit nombre d’hommes nous dépouille de biens qui nous sont destinés, dilapident des revenus qui doivent être employés à une noble et utile fin, pour les salarier, eux, les ennemis du pays, pour ajouter l’insulte à l’injure ; d’une poignée d’individus, envoyés ici pour occuper des emplois, pour retarder la prospérité du pays. Le gouvernement anglais a voulu que les biens des Jésuites fussent réservés pour leur destination primitive… Nous sommes victimes de la cupidité de quelques employés publics ; nous sommes privés d’avantages incalculables pour enrichir une lâche faction. L’Angleterre, informée de ces abus, n’a pas encore ordonné la punition de ces sangsues du peuple… Si des bayonnettes nous défendent l’entrée de nos colléges, nous serons forcés d’envoyer nos enfants dans un pays libre pour y recevoir l’instruction. Le même système inique que nous voyons adopté ici a raccourci la période où les anciennes colonies devaient cesser de faire partie de l’empire britannique. Qu’on se rappelle qu’à cette époque, parce qu’on avait cessé d’être juste, le vaste territoire des États-Unis, qui n’était couvert que de deux millions d’habitans, ne fut plus sous la domination anglaise, et dans vingt ans, les colonies britanniques de l’Amérique Septentrionale contiendront aussi 2,000,000 d’hommes ; et si l’on pouvait supposer qu’on voulût sciemment continuer le même système oppressif et tyrannique, on devrait craindre que les mêmes causes ne produisissent les mêmes effets, sous des circonstances plus favorables, parceque, 30,000,000 d’hommes, qui voient d’un œil jaloux le pouvoir de la Grande-Bretagne, seraient les alliés naturels des opprimés, et seraient prêts à les soutenir pour la défense de leurs droits. La métropole peut faire durer notre liaison avec elle par sa libéralité et sa justice, et non en dépensant des millions en fortifications que nous ne demandons pas, lorsqu’elle a la mesquinerie de ne pas faire une dépense modique et nécessaire pour bâtir des casernes, et nous rendre nos colléges. »

La sixième proposition, ayant rapport au système judiciaire du pays, donna lieu à des débats où se distinguèrent particulièrement MM. Neilson. Duval, Peck, Quesnel, Cuvillier et Bedard, et fournit à M. Papineau l’occasion d’une nouvelle censure, aussi virulente que la première. « Le tableau que l’on a déroulé de nos malheurs, dit-il, est le fruit de l’ignorance et de la malveillance dans le choix de ceux qui ont été appelés à administrer la justice. L’on peut demander quels motifs, quelles raisons peuvent alléguer des hommes déclarés indignes de la confiance publique par les représentants de six cent mille habitans. Où est-il dit que le roi pourra appeler des juges, des hommes dont les fonctions répugnent avec celle de législateurs, au conseil législatif[17]. »

Parlant de l’établissement de la Gazette de Québec publiée par autorité, M. Papineau s’exprime ainsi, suivant la Minerve, etc. : « C’est pendant que le père du propriétaire du journal qui porte ce titre s’oppose à la passation d’un bill qui rendait plus mauvaise, notre très-mauvaise constitution[18], que le comte de Dalhousie enlevait les titres littéraires d’un papier, pour le transporter à des satellites qu’il s’attachait, et qui devaient défendre ses injustices et ses violences… Ceux qui ont été victimes d’une conduite aussi arbitraire, ont été forcés de souffrir l’insulte, le vol, le dépouillement de leur propriété, sans possibilité de faire entendre leurs réclamations[19]. Chaque publication de cette gazette est un acte immoral et une violation de la loi[20]. Dirons-nous ici avec Horace, Risum teneatis ? ou avec Ciceron, voces sunt contumeliosœ, temerè ab irato accusatore emissœ ?

Le défaut de responsabilité suffisante et de comptabilité convenable ne fut pas une source moins féconde de divagations, et parfois aussi de déclamations. Ce défaut, réel ou prétendu, fournit à M. Neilson l’occasion de dire que, sous prétexte d’arranger nos différens avec le Haut-Canada, on a rendu permanens des actes que la législature provinciale avait faits temporaires, de manière qu’il ne restait pas à l’assemblée un contrôle suffisant sur ceux qui avaient en garde les deniers publics. M. Neilson n’explique pas comment la permanence de ces actes produisait un effet que n’aurait pas produit leur temporanéité.

M. Bourdages fait remarquer combien a été grande la libéralité de la chambre d’assemblée, pour subvenir aux frais de la guerre de 1812, et empêcher que le Canada ne passât sous le gouvernement américain. « La mère-patrie, continue-t-il, en faisant revivre, par l’acte du Commerce du Canada, des actes passés dans un moment de nécessité, a oublié tous les sacrifices que nous avons faits. »

« Nous sentons tous les jours, dit M. Cuvillier, les effets destructeurs de semblables dispositions, parceque, si l’on peut statuer pour nous, nous cessons d’avoir le droit de prélever et de retenir les subsides. Les lois que le parlement impérial a injustement faites pour nous, nous mettent dans un état contre nature : nous voyons nos coffres pleins, et nous sommes obligés de chercher à les vider, pour empêcher que des mains moins pures ne le fassent. Le résultat est la corruption dans la chambre, et par suite dans la société, parce que nous sommes forcés de devenir les dilapidateurs du trésor public pour une foule d’objets qui ne sont pas d’une urgente nécessité. Si nous ne votons pas les subsides, on se rira de nous ; avec £44,000 que l’on prétend appartenir de droit à la couronne, et 12 ou 13,000 l., à la prérogative royale, nous sommes réduits à faire des lois pour des ponts. Il n’y a pas, selon moi, de loi plus inique que l’acte du Commerce du Canada : il anéantit tous les droits des sujets britanniques, et si l’on suivait mon avis, la chambre ne ferait pas un pas de plus avant que cet acte ne fût abrogé. »

Ce fut la douzième proposition qui occasionna les débats les plus extraordinaires, les discours les plus étranges, les déclamations les plus opposées à la convenance, à la prudence et à la loyauté.

M. Lee paraît avoir parlé le premier après M. Neilson. « Qui ne comprendra, dit-il, que le parlement impérial n’ait accablé cette province de maux dans ses dispositions législatives ? L’acte constitutionnel si vanté n’est pas digne d’un peuple qui a droit à de plus grandes libertés. Fox, loin d’apercevoir dans cet état de choses le prototype[21] de la constitution britannique, n’y entrevit que les élémens de la tyrannie. M. Burke sentit que le pays n’aurait pas l’influence qu’il devait avoir ; il prédit même alors, que le conseil législatif ne serait qu’une créature du gouvernement. En 1688, même en Angleterre, l’aristocratie était devenue nulle ; et peut-on se flatter de trouver dans ce pays ce qui peut composer une aristocratie ? L’acte de la 31e Geo. III, ne tend qu’à démoraliser le peuple, et je regrette qu’à l’époque où une nation venait d’acquérir l’indépendance, il n’y ait pas eu assez d’éducation dans le pays, pour avoir fait sentir l’urgence de ne pas refuser la main que lui tendait la liberté. La grande cause du mal parmi nous, c’est notre acte constitutionnel… Ce n’est pas aux vieillards, c’est à la jeunesse éclairée du pays que je m’adresse, parce que les lumières de l’éducation lui ont surtout donné l’énergie et la constance, dont malheureusement nos pères n’avaient pas hérité. » M. Lee demande, « d’après Fox », que le conseil législatif soit soumis à des élections fréquentes et répétées

Si l’on dut être étonné d’entendre M. Lee, que son âge aurait dû, ce semble, rendre au moins plus prudent et plus réservé, s’exprimer comme aurait pu faire un jeune homme dépourvu d’expérience et de sagesse, on ne dut pas l’être moins, en entendant un vieillard presque septuagénaire, et membre de l’assemblée depuis plus de vingt ans, M. Bourdages, dire qu’il préfère l’entière abolition du conseil législatif, parce que ce remède sera obtenu plus facilement que le premier, et que l’on a l’exemple des colonies, qui prospèrent, parce qu’elles n’ont pas de conseil législatif.

M. Bedard, répondant à M. Lee, se montre indigné du langage qu’il a tenu. « Il en a appelé aux jeunes gens, dit-il, mais il n’a pas exprimé leurs sentimens, lorsqu’il a déploré le malheur qu’avaient eu nos ancêtres de ne pas se séparer de la Grande-Bretagne. Nos ayeux ont agi sagement, en ne se rendant pas à l’invitation de ses ennemis. C’est de la métropole que cette province tire toute sa force ; et qui osera révoquer en doute sa libéralité à notre égard ? Quelle libéralité, en effet, de nous avoir donné un gouvernement semblable au sien ? Que l’on jette les yeux sur l’Europe, que l’on envisage les maux qui accablent les peuples de l’ancien continent, et l’on pourra demander s’il y a un pays plus heureux que le nôtre. Le langage qui vient d’être tenu n’est propre qu’à corroborer celui que l’on tenait en 1810, qu’à faire regarder comme fondées les accusations que l’on débitait sur la loyauté des Canadiens ; et si l’honorable membre croit avoir exprimé les sentimens de la jeune génération, quant à moi, je suis loin de les partager. »

Si la loyauté de M. Bedard semble déplaire à M. Papineau, sa logique, ou son bon sens politique, ne lui plaît pas davantage. Il se montre d’abord étonné que M. Bedard trouve notre constitution bonne, modelée sur celle de l’Angleterre, sans craindre d’étonner lui-même tout le monde, en la voulant faire passer pour mauvaise et très mauvaise, après l’avoir proclamée heureuse et excellente deux fois au moins solennellement, et cela du ton le plus enthousiaste et le plus tranchant. « Cette constitution, continue-t-il, peut être bonne pour un état indépendant, mais non pour une colonie. L’idée d’avoir voulu créer une aristocratie au milieu des forêts[22] ; de pressurer une population pauvre pour faire nager dans le luxe quelques hommes[23] dans un pays nouveau[24], dont les ressources sont si peu développées, est une idée bizarre… Ici, où le conseil législatif dépend des faveurs de la couronne, est composé d’une aristocratie mendiante, c’est un fatal essai en législation, que l’on n’a fait que pour les deux Canadas… On ne s’est pas avisé de donner un corps législatif, nommé à vie par l’Exécutif[25], au Nouveau-Brunswick et à la Nouvelle-Écosse[26], parce que l’on a senti la contradiction de nommer une seconde branche qui ne pouvait que se livrer aux mêmes excès que ceux qui avaient le pouvoir de les nommer, de les acheter… Notre constitution a été fabriquée par un ministre tory, agité par les frayeurs de la révolution française… Fox avait bien prévu et prédit que notre conseil législatif serait couvert du ridicule dont il est aujourd’hui abreuvé. »

M. Papineau, qui a goûté la proposition de M. Bourdagcs, se prononce contre celle de M. Lee, c’est-à-dire contre un conseil législatif électif, et essaie de se tirer de la contradiction où il s’est mis avec lui-même : mais comme il y a loin de la réticence, ou d’un simple témoignage de satisfaction, ou de reconnaissance à un éloge emphatique et outré, au lieu de dire que le peuple avait été bien conseillé, il aurait dû dire que le peuple avait été trompé par le langage de ceux qui l’avaient conseillé, qui n’aurait été que celui de la dissimulation.

Après avoir dit que l’administration et ses vils suppôts étaient trop puissants en Angleterre, pour que nous puissions nous flatter que notre voix serait entendue, si nous avions parlé d’innover, M. Papineau se montre encore plus confiant et plus crédule que M. Bourdages, par la raison qu’il voit sous des couleurs plus noires le corps qui l’offusque ; et qu’il prend l’opinion de quelques niveleurs anglais pour celle de la nation entière. Il croit que nos conseils sont une nuisance et un fardeau pour la colonie, et que si nous ne les voyons pas encore anéantis, c’est que nous avons eu la bonhommie de ne pas demander qu’on nous en délivrât : il croit que nous avons une déclaration suffisante que l’on est prêt à nous en débarrasser, quand nous le voudrons : il croit enfin que nous pouvons nous flatter de n’être pas mal accueillis de l’Angleterre, en lui demandant de faire disparaître une branche de la législature qui était si contraire à la paix et à la prospérité du pays, et que nous pourrions déclarer à la Grande-Bretagne que la constitution qu’elle nous a donnée est un essai malheureux[27].

M. Cuvillier ne veut pas que nous ayons obligation à l’Angleterre de nous avoir offert une constitution : selon lui, notre qualité de sujets anglais nous donnait le droit d’en avoir une avant l’époque à laquelle l’acte de la 31e Geo. III a été passé[28]. Il regarde tous les actes du parlement impérial depuis la capitulation, comme des infractions plus ou moins grandes de nos droits.

M. Quesnel ayant interpellé M. Neilson d’exposer le but qu’il se proposait, ce dernier répondit qu’il ne s’était chargé que de faire déclarer à la chambre la situation malheureuse où se trouvait le pays, en détaillant les maux qu’il souffrait.

M. Bourdages croit que, puisque M. Neilson s’est chargé de la direction du vaisseau, il doit le conduire à un port quelconque). « Il y a assez de temps, s’écrie-t-il, que l’assemblée fait entendre ses lamentations, ce n’est plus le temps des jérémiades. » Il s’étend sur la nécessité de s’éveiller, et d’exprimer de fortes, d’énergiques résolutions, et dans ce qui suit, fournit un échantillon de sa manière de penser et de parler. « Le temps est passé où l’on pouvait soupçonner la loyauté des Canadiens, et s’il est un crime à faire à la mère-patrie, c’est d’avoir oublié leur attachement et les services signalés qu’ils ont rendus. Qui a conservé le Canada à l’Angleterre, dans deux occasions différentes ? Qui a versé son sang pour résister à une domination étrangère ? Le peuple de ce pays seul, et ces infâmes calomniateurs ont été les premiers à vouloir détruire les liens qui l’attachent à la métropole, à les solliciter même à une séparation dont ils repoussaient l’idée. Qu’on se rappelle que c’est dans cette enceinte même, dans le moment où l’ennemi paraissait sur nos côtes, que les commerçans anglais assemblés voulaient à l’unanimité, livrer les clefs de la ville aux assiégeans ! Et qui s’opposa au projet de ces lâches, de ces traîtres ? Qui en arrêta l’exécution ? Qu’il soit dit à l’honneur de mon pays, un canadien, un homme de cette nation qui a volé en masse sur la frontière, en 1812, pour s’opposer à un ennemi qui lui promettait la liberté. Les journées mémorables qui ont couvert d’honneur les enfans du sol, et de honte et d’opprobre ceux d’une terre étrangère, sont un témoignage que la calomnie et l’envie n’ont pu détruire, de la fidélité des Canadiens, qui semble malheureusement avoir été oubliée de la Grande-Bretagne[29]. »

Les dernières proposition de M. Neilson ayant été adoptées, (le 10 mars), M. Bourdages soumit les deux propositions suivantes, qui étaient comme le résumé des déclarations de M. Papineau, et dont la considération fut remise au lendemain.

« 1o. La cause principale de ces abus résulte surtout de cette disposition de l’acte de la 31e Geo. III, chap. 31, qui constitue un conseil législatif, qui serait composé de membres nommés à vie par le pouvoir exécutif, en vue d’en former une partie constituante de la législature coloniale. Cette disposition a été un essai malheureux, introduit pour la première fois dans le régime colonial britannique, pour les deux Canadas seulement, par l’acte susdit, fatal au repos et à la prospérité de cette province

« 2o. Cette disposition a produit des résultats funestes en garantissant à l’exécutif provincial l’impunité dans ses plus grands écarts et n’a pu être introduite que dans la supposition erronée que l’on pouvait trouver en Amérique les élémens propres à y former une aristocratie assez nombreuse, indépendante et respectée. »

Combattant les propositions révolutionnaires et niveleuses de M. Bourdages, et répondant principalement aux diatribes de M. Papineau, le docteur Labrie fit un discours que, à cause de la modération qui y règne et du bon sens politique qui y abonde, nous regrettons de ne pouvoir pas donner en entier.

« L’honorable membre, dit M. Labrie, qui s’est attaché à nous développer les principes du gouvernement et qui l’a fait avec son éloquence ordinaire, s’est efforcé de démontrer que l’acte constitutionnel n’est rien moins que parfait, rien moins que bon et à l’entendre, cette loi ne nous a été donnée que pour faire notre malheur, et ceux qui nous l’ont donnée n’ont été que des tyrans, qui n’avaient à l’égard de cette colonie que des sentimens de malveillance. Voilà ce qu’on pourrait appeler une exagération réelle. Mais l’honorable orateur a-t-il oublié, et ceux qui ont fait écho à ces développemens ne se rappellent-ils déjà plus, qu’il n’y a que peu d’années encore, tout le pays en masse a déclaré son attachement à cet acte constitutionnel ; que dans des requêtes que signèrent 87,000 habitans, il était dit que ces habitans étaient satisfaits de cette loi et qu’ils n’y voulaient absolument aucun changement quelconque… il est vrai, et je l’avoue avec l’honorable membre, que le pays était alors sur la défensive… mais je ne saurais concourir entièrement avec lui, que ceux qui nous l’ont donné eussent d’avance calculé d’en faire pour nous un instrument de tyrannie, d’oppression et d’esclavage… Il est impossible que depuis trois ans les habitans du pays aient entièrement changé d’opinion sur un sujet de cette importance[30], et en votant avec la moindre précipitation sur cette mesure, je craindrais de forfaire à mon devoir, et d’encourir le désaveu de mes constituans[31]. Ne devons-nous pas appréhender qu’il ne résulte beaucoup de maux de l’innovation proposée ? Quelqu’un ôserait-il soutenir qu’un corps intermédiaire n’est pas nécessaire pour arrêter, d’un côté, la fougue populaire et de l’autre, mettre un frein aux empiètemens du pouvoir exécutif ? Dans l’état actuel des choses, nous n’avons raison de nous plaindre que parceque nous n’avons pas réellement ces trois branches, en ce sens, que la dépendance dans laquelle est placé le conseil législatif le rattache à l’exécutif, et n’en fait guère qu’un seul corps[32]. Mais la mesure proposée, celle de l’extinction du conseil législatif, remédierait-elle à cet inconvénient ? L’assemblée ne se trouverait-elle pas encore dans la même position ?… Au lieu de nous quereller avec le conseil joint au gouverneur, nous nous trouverions en collision directe avec ce dernier, soutenu de plusieurs de ces mêmes hommes, agrégés au conseil exécutif. On ne peut qu’être surpris d’entendre proposer l’abolition du conseil par le même honorable orateur, qui, à l’origine de cette discussion a fait reproche à nos agens de n’avoir pas, lorsqu’ils étaient en Angleterre, répondu à la question qu’on leur fit, pour savoir si un conseil législatif électif ne conviendrait pas mieux au pays que celui que nous avons… Après cette conduite, on devait peu s’attendre à le voir vilipender toute espèce de conseil… C’est assurément aller trop loin ; c’est excéder toutes les bornes de la prudence, c’est outrepasser les pouvoirs que nous ont confiés ceux qui nous ont délégués. S’il nous faut absolument demander des changemens… tâchons d’éviter les extrêmes ; ou plutôt, entre les extrêmes, choisissons, saisissons un milieu pardessus toutes choses, conservons un conseil quelconque… Je n’hésite pas à dire qu’en fait de législation, un corps intermédiaire offre une multitude de résultats utiles, parmi lesquels, je compte ceux d’apporter dans la passation des lois, moins de précipitation, et de mettre plus de solennité dans les formes législatives. »

Nous croyons qu’il est beaucoup à regretter que M. Labrie, homme influent dans l’assemblée et hors de l’assemblée, ait paru accueillir la proposition d’un conseil électif, comme convenable et acceptable, au lieu d’en repousser l’idée, comme irréalisable, incompatible avec la constitution britannique, et grosse d’arbitraire, de partialité, d’injustice et d’oppression dans une population mixte, ou pour mieux dire, dans deux populations, numériquement inégales, et différant entre elle par l’origine, l’éducation, les prédilections, la langue et la religion, mais il ne pouvait pas prévoir les maux qu’amènerait sur son pays, et particulièrement sur ses compatriotes cette idée déterminément fixée plus tard dans des têtes que la politique de parti semblait avoir fait tourner.

Après des remarques sensées contre la proposition de demander l’abolition du conseil législatif, et celle de le rendre électif[33], M. Quesnel soumit les propositions suivantes, comme amendement à celles de M. Bourdages :

« 1o. Que tous les mots « après législature coloniale », soient retranchés, et les suivants substitués : « sans y avoir attaché en même temps les qualifications, et y avoir apposé les restrictions nécessaires à son indépendance, de manière à le rendre capable de servir de contre-poids suffisant au pouvoir des autres branches de la législature.

« 2o. Que tous les mots après « que », (dans la seconde proposition), soient retranchés, et les suivants substitués : « l’exclusion des dits conseils, des juges de toutes les cours de justice de la province, ainsi que de tous autres individus ayant des places de profit sous bon plaisir dans la province, aurait l’effet de contribuer et d’ajouter à l’indépendance constitutionnelle du dit conseil législatif.

Quoique ces nouvelles propositions allassent au-delà des recommandations du comité du Canada[34], elles n’en fournissent pas moins à M. Papineau l’occasion de faire encore un long discours, où la vérité, l’erreur, l’exagération, l’injure gratuite, se trouvent comme à l’ordinaire, confondues et pêle-mêle.

Après avoir débuté contre les membres qui n’avaient pas accueilli favorablement les propositions de M. Bourdages, qu’il soutient aussi chaleureusement que si elle eussent été les siennes propres, M. Papineau dit de ces messieurs ce qu’ils auraient pu dire de lui avec autant, ou plus de vérité. « Les honorables membres oublient quel est leur rôle ; ils pensent avoir laissé l’évêché de Québec, pour s’installer dans la chapelle de St. Stephens ; ils se sont saisis du pouvoir souverain, et tous le manient sans crainte, mais d’un œil incertain, puisqu’ils ne coïncident pas dans une seule de leurs vues. On ne sait qu’admirer davantage, ou de leur empressement à faire ce qu’ils n’ont pas le droit de faire, ou de leur timidité à ne pas dire ce qu’ils ont droit de dire. » Ce droit, dont ils ne faisaient pas usage, c’était, selon M. Papineau, de parler ainsi au parlement impérial : « Par une constitution vicieuse dans une de ses parties principales, vous qui êtes les auteurs de nos maux, faites les cesser. »

« C’est cette constitution de 1791, dit-il encore, que quelques personnes, par habitude de répéter des mots au hasard, veulent regarder comme la meilleure qui ait été donnée aux colonies », reprochant ainsi indirectement aux personnes dont il parle, d’avoir eu la bonhommie (pour ne pas dire la « sottise »), de l’en croire, lorsqu’il avait dit emphatiquement, en 1818, quand aucune crainte ne pouvait l’engager à « dissimuler », que notre constitution était « la meilleure, la plus analogue à celle de la Grande-Bretagne, que la nation anglaise, dans sa libéralité, avait accordée à aucune de ses colonies ».

Peu content d’injurier la mémoire de nos pères qui suivant lui-même, accueillirent comme un bienfait inestimable une constitution qu’il dit être anti-britannique, anti-sociale, M. Papineau se permet d’attaquer particulièrement et de la manière la plus outrageante, la classe la plus respectable, et jusqu’alors la plus respectée de notre société, si c’est de l’ancienne noblesse canadienne qu’il parle, ou un corps politique, ou social, respectable par sa position, si c’est du conseil législatif. « C’est sans scrupule, ose-t-il dire, (si ses paroles ont été rapportées fidèlement,) que ceux qui souffrent aujourd’hui, peuvent verser sur le front flétri de cette noblesse dégénérée jusqu’à la lie, la coupe de l’humiliation. Comme corps politique, il n’ont rien fait qui ne doive provoquer une haine et un mépris sans bornes. »

« La bonne vieille politique de l’Angleterre, dit-il plus loin, de ne pas consacrer le principe aristocratique dans ses autres colonies, a donc été sage, et celle de l’introduire ici[35], une œuvre, ou de folie, ou de méchanceté, ou d’imitation servile et irréfléchie de ce qu’elle voyait exister chez elle, et dont elle ne pouvait pas nous donner la réalité, mais seulement un hideux simulacre. Pouvait-on imaginer qu’au 19e (18e) siècle, et dans les forêts de l’Amérique, il était possible de faire goûter à une population toute propriétaire et qui vit dans l’abondance[36], sans avoir besoin de la protection de personne, qui ne s’agenouille que devant son créateur, des constitutions qu’elle ne put trouver que folles et bizarres : des institutions lucratives, au milieu d’hommes pauvres ne peuvent qu’être des sinécures. »

Après un éloge pompeux et admiratif des institutions des États-Unis, M. Papineau continue : « Y a-t-il jamais eu d’autres colonies auxquelles des ministres aient commis l’ineptie de demander une liste civile pour la vie du roi[37] ? C’est un des fruits amers de notre prétendue bonne constitution que cette exhorbitante prétention. Si des calculateurs corrompus n’avaient pas jusqu’à satiété répété que nous avions la constitution anglaise ; si des dupes n’avaient pas sans réflexion dit et redit que nous l’avions[38], le pays n’aurait jamais été troublé, comme il le sera aussi longtemps que cette imagination obscurcira le jugement public. »

L’éloquence de M. Papineau, quelle qu’elle fût, ne persuada ni M. Neilson[39], ni M. Quesnel, ni M. Labrie, ni M. de Saint-Ours, qui ne voulait pas être en contradiction avec lui-même, avec les vœux qu’il avait exprimés avec 85,000 habitans du pays, en 1827, dans une requête adressée aux trois branches de la législature impériale, et commençant par déclarer la plus grande reconnaissance pour l’inestimable présent que l’Angleterre a fait aux Canadiens, en leur donnant une constitution. « Le conseil législatif, remarque-t-il, à l’exception de quatre ou cinq membres, qui assurément ne le rendent pas pire, était, à cette époque, ce qu’il est à présent ; s’il faut y demander des changemens, c’est dans sa composition, et non dans sa constitution. »

En répétant ce qu’il avait dit précédemment à l’appui de la proposition de l’abolition du conseil législatif, M. Cuvillier ajoute que nous devrions nous en tenir aux droits acquis dans la tranchée, qu’il était temps que nous fissions valoir ce qui nous était garanti par l’acte de la capitulation[40]… que dans les anciennes colonies, avant la révolution, le gouverneur était choisi par élection[41] et que ce pourrait être un des moyens les plus efficaces de remédier aux désordres qui régnaient parmi nous. »

M. Peck a « appris à avoir le plus grand respect pour la constitution, en entendant les membres qui aujourd’hui soutiennent qu’elle est vicieuse, en faire les plus grands éloges, et qualifier de « monument impérissable » le rapport du comité des communes, qui confirmait les demandes des habitans du pays, qui s’étaient déclarés attachées à l’acte constitutionnel ».

M. Panet ne voit pas d’inconséquence chez « ceux qui ont signé les requêtes de 1827, et qui, aujourd’hui voient des vices dans l’acte constitutionnel ». En Angleterre, continue-t-il, on s’est aperçu que le conseil législatif, tel que constitué, ne pouvait plus aller. Il faut attribuer nos malheurs à sa constitution, et non à sa composition, et l’état actuel des choses ne peut pas se soutenir davantage. »

Contre l’attente du public raisonnable, les amendemens de M. Quesnel furent rejetés, et les propositions de M. Bourdages adoptées, et devinrent résolution de la chambre, à la majorité de 33 contre 29, et de 32 contre 30.

À la demande de transmettre en Angleterre la très longue, et assez étrange requête basée sur les résolutions de M. Neilson[42], le gouverneur fit une réponse où se trouve ce qui suit :

…Je crois qu’il est nécessaire, en la présente occasion, de faire quelques remarques, auxquelles je sollicite votre sérieuse attention, en autant que je puis avoir quelque chose de plus à apprendre, quant aux vues ultérieures de la chambre d’assemblée… Je puis déclarer consciencieusement que la présente communication m’est agréable ; mais je ne puis cacher à la chambre, qu’elle me l’aurait été bien davantage, si j’avais pu être assuré que tous ses sujets de plainte étaient contenus dans cette pétition ; messieurs, je dois aller plus loin, et vous avouer que je ne puis dépouiller mon esprit d’anxiété sur ce sujet. C’est dans la vue d’être délivré de cet état d’anxiété, que je viens en avant pour vous prier de me mettre dans votre confidence, et de m’informer si je dois attendre d’autres, et quelles autres communications, au sujet des plaintes et des griefs ? Je pense que j’ai au moins un titre à la confiance que je vous demande maintenant. Dois-je comprendre que la pétition que je viens d’entendre lire contient tout ce dont la chambre d’assemblée a à se plaindre jusqu’à présent ? Dois-je entendre qu’il reste quelque chose en arrière, quelque grief, non encore mûri, ou quelque plainte qu’on se propose de mettre en avant ci-après, lorsqu’il aura été disposé de celles qui sont exposées maintenant ? C’est le renseignement que je vous demande, que je vous prie même de me fournir, au nom du roi, notre souverain, qui est la sincérité même, et au nom du brave et honnête peuple canadien, qui est si digne qu’on agisse partout avec franchise. Et maintenant, s’il y a quelque grief, si petit qu’il soit en lui-même, qui puisse avoir été omis, quand cette pétition a été adoptée par la chambre, je vous prie de la remporter afin qu’il puisse être suppléé au défaut, et qu’ainsi le roi et le peuple puissent être en état de voir d’un coup toute l’étendue de ce dont vous vous plaignez, et de ce que vous demandez. Que cet appel vous fasse faire quelque nouvelle déclaration, disant que votre pétition contient toutes vos plaintes et vos griefs, ou que vous gardiez le silence, je croirai également que j’ai acquis une connaissance entière et distincte de toutes vos plaintes et de vos griefs, jusqu’à l’époque actuelle, et votre pétition sera accompagnée d’une communication à cet effet ; et mon plus ardent désir est qu’elle produise des mesures capables de rétablir une harmonie parfaite dans ce pays favorisé, où je crois fermement qu’on trouve plus de bonheur et de prospérité que chez aucun peuple du monde.

Le gouverneur ne pouvait mieux finir qu’en contredisant solennellement les idées sinistres, les noires visions de maux affreux, d’abus intolérables, pesant sur le peuple de ce pays, et d’autant plus opportunément, que c’était à peu-près dans les termes dont, peu auparavant, s’était servi M. Neilson, l’auteur ostensible des résolutions qui faisaient le fonds de la requête.

La majorité de l’assemblée continuait à paraître animée d’un sentiment de haine et de vengeance contre le procureur-général, M. James Stuart ; dans la session précédente, il avait été institué une enquête, qui n’avait pu être amenée à maturité. Cette enquête fut reprise, dans la présente, et le 19 mars, la chambre agréa neuf résolutions, rapportées par son comité des griefs, par les six premières desquelles M. Stuart était accusé :

1o. D’avoir persisté à traduire devant les tribunaux supérieurs des personnes prévenues d’offenses légères, etc. ;

2o. De s’être rendu coupable de partialité et de persécution, en instituant contre divers individus des poursuites pour libelles, injustes et malfondées ;

3o. D’avoir fait preuve de son mépris pour les libertés électives, etc. ;

4o. D’avoir été mû par des motifs de vengeance personnelle, et oublié ses devoirs, en poursuivant pour parjure certains électeurs, etc. ;

5o. De s’être rendu coupable de subornation de parjure ;

6o. D’avoir attiré sur la justice criminelle de ce pays le déshonneur et le mépris.

Et par les trois dernières desquelles il était conclu :

1o. Qu’il est expédient et nécessaire, que James Stuart, écuyer, soit aussitôt destitué de la charge de procureur-général de cette province ;

2o. Qu’une humble adresse soit présentée à sa Majesté, priant qu’il lui plaise de destituer le dit James Stuart ;

3o. Qu’une humble adresse soit présentée au gouverneur en chef, le priant de suspendre le dit James Stuart de l’exercice de sa charge, etc.

Le gouverneur termine ainsi sa réponse à cette dernière adresse, qui lui fut présentée le 23 mars :

« Je suis persuadé que la chambre d’assemblée sera d’avis avec moi, que suspendre de ses fonctions un des premiers officiers en loi de la couronne est une démarche qu’on ne doit pas adopter avec précipitation, et je dois, en conséquence, prier la chambre d’assemblée de m’accorder un jour ou deux pour que je puisse donner une réponse définitive. »

Malgré un langage si humble, et si peu convenable en apparence, au gouverneur-général de l’Amérique Britannique, on ne s’attendait guère à ce qu’on apprit bientôt par la réponse définitive de lord Aylmer à la chambre d’assemblée, laquelle était, qu’à sa demande, il s’était décidé à suspendre le procureur-général de ses fonctions. Sans doute, la chambre d’assemblée elle-même n’avait pas compté sur autant de condescendance, mais en se rappelant le 3 mars 1814, M. Stuart dut rappeler aussi à sa mémoire l’antique précepte : Alteri ne feceris quod tibi fieri non vis.

La chambre d’assemblée s’était aussi occupée des plaintes portées contre le juge Fletcher, de Saint-François, dans la session précédente, et elle adopta, le 23 mars, dix résolutions ou conclusions, à la charge du dit juge par la dernière desquelles le gouverneur devait être prié de prendre en sa sérieuse considération les plaintes portées contre le dit John Fletcher, écuyer, par MM. F. H. Dickenson, P. J. Cressé, E. Peck (membre de la chambre) et autres. Des procédés commencés contre le juge Kerr, de Québec, à l’instance de M. B. C. A. Gugy, avocat, (membre de la chambre), furent remis, faute de temps, à la session suivante.

Mais il est temps d’aborder la question principale, celle des subsides.

Le 19 mars, M. Young proposa que les subsides fussent accordés, en commençant par le salaire du gouvernement, et M. Bedard seconda la proposition.

M. Bourdages proposa en amendement : « Que tant que les griefs et abus énumérés dans les résolutions de la chambre ne seront pas redressés[43] l’assemblée n’accordera aucun subside », et cette proposition, ou motion fut secondée par M. Lafontaine.

Cette dernière proposition, qui paraît réjouir le cœur de M. Papineau, lui fournit encore le sujet d’une sortie non moins injurieuse que paradoxale contre le gouvernement de la métropole, celui de la colonie et tous les fonctionnaires publics. « Voter les subsides aujourd’hui, dit-il, c’est déclarer que nous sommes moins accablés sous le poids des souffrances que l’an dernier[44]. L’administration est-elle moins coupable qu’à l’époque des violences du comte de Dalhousie ? avoua-t-elle jamais alors, prétendit-elle avoir des revenus à sa disposition. Le refus des subsides est un moyen constitutionnel, qui doit être exercé comme contrepoids aux abus du pouvoir, qui sont aujourd’hui en plus grand nombre qu’ils n’étaient antérieurement. On a parlé d’une liste civile, et sur quoi fonder en Canada une semblable prétention ? C’est un terme plein d’absurdité, lorsqu’il est appliqué à des colonies.

M. Labrie reconnaît la réalité du tableau de nos maux mais il doute que nous soyons dans des circonstances favorables pour refuser les subsides.

M. Quesnel… « Il me semble que la chambre, qui vient de s’adresser au parlement impérial, devrait attendre une réponse à sa requête, avant d’adopter aucune mesure de rigueur. Ce serait agraver le mal, et faire un faux pas, que d’arrêter la marche du gouvernement. »

M. de Saint-Ours : « Vous avons fait entendre nos réclamations auprès du parlement impérial ; il faut attendre une réponse avant de se servir de moyens aussi violents que ceux qui sont proposés. »

M. Bourdages… « C’est pour faire sentir que l’excès du mal est tel, que nous sommes forcés de recourir aux dernières ressources. Toute autre conduite serait abusive et illusoire, et ne tendrait qu’à faire dire des Canadiens : « Quelles bonnes gens que ces hommes-là ! »

M. Lee entre dans le détail des maux que l’administration a fait souffrir au pays, des prétensions qu’elle a formées, depuis quatorze ans. Il soutient que les ministres n’ont fait que multiplier les difficultés par leurs instructions, au lieu de les diminuer. Ne pouvant empêcher la perception des droits, parceque les actes qui les imposent ne sont pas temporaires, si la chambre ne veut pas accorder les subsides, les coffres n’en seront pas moins pleins, et comme sous le comte Dalhousie, on pourra se servir impunément des deniers publics[45]. Il pense qu’on aurait dû accuser lord Dalhousie et faire un exemple pour ses successeurs. Il croit pourtant qu’il serait prudent d’attendre encore une année pour adopter ce que l’on proposait.

M. Young, répondant à M. Lee, se contente à peu près de dire, qu’il est à sa connaissance que lord Aylmer ne voulait pas toucher aux deniers publics, sans y être autorisé par des dispositions législatives.

M. Papineau ne peut s’empêcher de parler encore abusivement pour le refus des subsides.

M. Wilson est d’opinion qu’on doit voter les subsides.

M. Bourdages : « Refuser de voter les salaires des fonctionnaires qui ont perpétré le mal, ce n’est pas arrêter la marche du gouvernement, c’est faire sentir la réalité de nos griefs… »

M. Young, compare la proposition de M. Bourdages à celle d’un homme, qui, sur un grand chemin, demande le pistolet à la main, la bourse ou la vie à un autre. « On veut, continue-t-il, forcer le roi à agir, le mettre sur la défensive, non plus demander, mais exiger, et avec le pouvoir que prétend avoir le gouvernement, il est à appréhender qu’il ne rende nos espérances illusoires. On pourrait revenir au projet de l’union, et nous réunir de gré ou de force à l’assemblée[46] du Haut-Canada, qui se conforme aux désirs du gouvernement. Nous pouvons craindre de voir renaître les mêmes disputes que sous le comte de Dalhousie, le trouble et la discorde succéder à la paix, et détruire tout espoir de conciliation. »

M. Papineau, que rien n’étonne, ne s’étonne pas que l’on se serve d’aussi faibles argumens, pour soutenir une mauvaise cause… Des craintes aussi puériles ne peuvent guider que des hommes pusillanimes… Le gouvernement est si désorganisateur ici, qu’à peine il a pu trouver dans l’assemblée quelqu’un qui voulût se charger de faire ses demandes. »

Sans s’arrêter aux réflexions injurieuses de M. Papineau, M. Young, reprend, qu’il est chargé de demander le vote des subsides, tel que celui de 1829 et de 1830, qui assure à la chambre le contrôle, non-seulement sur les revenus casuels et territoriaux, mais encore sur ceux de la 14e de Geo. III.

M. Lagueux n’a pas les mêmes appréhensions que M. Young, mais il ne partage pas les sentimens de M. Papineau, sur le refus des subsides… Ce n’est pas par pusillanimité qu’on doit rejeter la proposition de refuser les subsides, mais parce qu’il y a de solides raisons de différer de recourir à un moyen aussi rigoureux. »

M. Labrie se déclare en faveur de l’octroi ; le contrôle exercé, depuis trois ans, par l’assemblée sur les revenus de la 14e année de Geo. III est, selon lui, une raison bien puissante pour ne pas engager la chambre à perdre l’occasion de continuer à exercer ce droit.

M. Ogden, votera contre l’amendement de M. Bourdages, parce que par là on veut punir le gouvernement provincial qui ne peut de lui-même remédier à ce dont on se plaint ; parce qu’il ne faut pas entraver la marche du gouvernement, et par là faire souffrir le peuple plus que tout autre ; parce que ce serait ajouter un grief réel à ceux qu’il ne croit pas exister comme on l’a énoncé. Il dénie au roi ou à un gouverneur le droit d’abandonner le revenu de la 14e Geo. III, qui ne peut être approprié que par les lords de la trésorerie jusqu’à ce que cet acte ait été abrogé par le même pouvoir qui l’a passé ; personne ne peut substituer sa volonté à celle de la loi : c’est pourquoi il regarde comme illégal le message de novembre 1829, auquel on a fait allusion.

M. Neilson croit qu’on ne doit pas oublier que l’argent public ne peut pas être approprié sans le consentement du peuple[47]… « Mais, continue-t-il, nous avons, depuis deux ans, le contrôle sur tous les revenus, et il serait fâcheux de recourir à des révolutions violentes, et d’abandonner l’exercice d’un droit dont nous ne devons pas nous départir ; autrement, nous nous trouverions dans une situation pire que celle où nous nous sommes trouvés précédemment. L’occasion est arrivée où nous devons faire preuve de prudence, et montrer que nous savons user de nos droits. »

M. Young, répondant à M. Ogden, dit qu’il a suivi la marche ordinaire, et que, quant au message de 1829, Sir James Kempt, a été approuvé en Angleterre. Le roi peut confier à l’assemblée le droit d’approprier le revenu[48]. « Les solides raisons » l’emportèrent, cette fois, sur les vagues et injurieuses déclamations ; la chambre s’étant divisée sur l’amendement de M. Bourdages, les votes furent, 11 pour[49], 41 contre.

Dans presque toutes les sessions, depuis 1807, un bill pour ce qu’on appelait l’indemnité ou la paie des membres, avait été introduit et rejeté. Le même bill passa, cette année, dans l’assemblée, mais fut rejeté dans le conseil[50]. Indigné de ce rejet, M. Bourdages proposa d’inclure dans le bill des subsides, (voté malgré lui,) « que la somme de £2,000 soit accordée à sa Majesté, (qui ne la demandait pas,) pour indemniser les membres de l’assemblée ».

M. Neilson se prononce pour la motion, ainsi que M. Lee, qui cite l’exemple de la Nouvelle-Écosse, où l’on vote l’indemnité des membres dans le bill des subsides[51]. Cet expédient coercitif plut tellement à M. Papineau, qu’il ne craignit pas plus que M. Bourdages, de se mettre en contradiction avec lui-même, en appuyant cette proposition, qui fut combattue par MM. Lagueux, Duval, Quesnel et Young, mais qui néanmoins fut agréée, à la majorité de 29 contre 20.

M. Young dit qu’une proposition étrangère, (la paie des membres), ayant été soumise et adoptée, il renonce à conduire la mesure, M. Bedard prend sa place, et propose le salaire du juge-en-chef.

M. Joliette, dit qu’il n’est pas opposé au salaire du juge-en-chef, mais qu’il désirerait qu’on y attachât une condition, savoir : « pourvu que le dit juge-en-chef ne siége ni dans l’un ni dans l’autre conseil ». Cette condition, ou tentative de coercition, fut rejetée à la majorité de 32 contre 8[52]. La même condition fut répétée, à l’égard des salaires des autres juges, et rejetée à la même majorité.

Le conseil législatif, se mettant en contradiction avec lui-même, sans doute par complaisance pour l’administration, concourut au bill des subsides de l’assemblée, avec la substance du bill de l’indemnité (qu’il venait de rejeter,) à la majorité de 8 contre 4.

Dans l’attente bien fondée, qu’un bill nommant l’honorable D. B. Viger agent de la province, serait rejeté par le conseil, il avait été, le 28 mars, par M. Neilson, proposé et par l’assemblée, résolu :

« 1o. Que dans l’état actuel des affaires de la province, il est indispensablement nécessaire que quelque personne jouissant de la confiance de cette chambre, se rende incessamment en Angleterre pour représenter au gouvernement de sa Majesté les intérêts et les sentimens des habitans de la province, &c. ;

« 2o. Que dans le cas où le bill envoyé par cette chambre au conseil législatif ne recevrait pas la concurrence de ce corps, dans la session actuelle, l’honorable D. B. Viger soit invité à se rendre en Angleterre sans délai, pour les fins mentionnées dans la résolution précédente ;

« 3o. Qu’il est expédient que les déboursés nécessaires et indispensables du dit D. B. Viger, pour les fins susdites, jusqu’à une somme n’excédant pas £1,000, courant, lui soit payée et avancée par le greffier de cette chambre à même les fonds des contigens d’icelle, &c. » Le conseil législatif n’attendit pas plus tard que le lendemain, 29, pour résoudre ;

« 1o. Que l’octroi d’une aide quelconque ne peut légalement être appliqué qu’au paiement des salaires et des dépenses contingentes du gouvernement de sa Majesté pour lesquels telle aide a été demandée par le gouvernement ;

« 2o. Que l’octroi d’une aide quelconque à sa Majesté par bill ou autrement, excédant le montant de la somme demandée par sa Majesté, est inparlementaire et inconstitutionnelle, et que, conséquemment, tel octroi pour la différence entre la somme demandée et la somme octroyée, est nul et de nul effet ;

« 3o. Que l’application par une personne ou des personnes quelconques d’aucune somme d’argent public non approprié (autre que le paiement des dépenses contingentes ordinaires de l’une ou de l’autre chambre du parlement), sans le consentement du conseil législatif, distinctement exprimé par bill ou autrement, serait un mépris des priviléges de cette chambre, une subversion de la constitution de cette province, et une violation manifeste du statut de la 31e Geo. III, chap. 31 ;

« 4o. Que l’application… d’une somme d’argent public non approprié, pour quelque fin que ce soit, (autre, &c.), en conséquence, ou sous prétexte d’aucun vote, ou d’aucune résolution ou adresse de l’assemblée, ou d’une autorité prétendue émanée de tel vote, &c., auquel le consentement du conseil législatif n’a pas été donné distinctement en écrit, par bill ou autrement, serait un mépris des priviléges de cette chambre… et une violation manifeste du statut impérial de la 31e Geo. III, chap. 21, et de la 36e Geo. III, chap. 12 ;

« 5o. Qu’une copie de ces résolutions soit mise devant son Excellence, &c. »

Il y avait eu dans le conseil législatif, des débats longs, animés et intéressants, particulièrement sur le bill de l’exclusion des juges, sur le bill de l’argent, et sur l’état de la province, que cette chambre avait aussi pris en considération, dans lesquels MM. Richardson, Caldwell, Ryland, Felton, Cuthbert, Pothier, Viger et Moffat avaient manié plus ou moins longuement, plus ou moins habilement l’art de la parole, et où le juge-en-chef avait fait preuve d’un grand savoir politique, diplomatique et légal. Du 8 au 14 mai, il avait été présenté au conseil, sur l’état de la province, cinq séries de propositions, par les honorables Richardson[53], Ryland, Cuthbert, Pothier, et Viger[54], se montant à 75. La première fut adoptée le 18, et les 74 autres furent référées à un comité spécial, composé de MM. Coffin, Stewart, De Léry, Hatt, et Moffatt. Le 26, ce comité fit rapport d’une sixième série de 20 propositions. Le 30 et le 31, ces propositions furent prises en considération dans un comité de toute la chambre, analysées, modifiées et réduites aux 18 qui suivent :

« 1o. Que le véto donné par la constitution au gouverneur est insuffisant pour garder la prérogative de la couronne contre le pouvoir croissant de la branche populaire, à moins que les intérêts de la couronne, ne soient protégés dans la passation des bills ;

« 2o. Qu’une telle protection ne peut être fournie que par une branche législative non immédiatement liée au peuple, quoique participant à ses intérêts, nommée à vie par la couronne, comme l’est le conseil législatif et choisie d’entre les personnes de la province que leur éducation, leur caractère et leur rang dans la société indiquent comme qualifiées pour composer un corps législatif ayant également à cœur la prérogative de la couronne et les intérêts du peuple.

« 3o. Qu’un conseil législatif ainsi constitué est la sauvegarde la plus sûre contre les maux qui, autrement, naîtraient dans un gouvernement où les membres de la branche populaire sont élus par un suffrage presque universel, à des intervalles rapprochés, et sans qu’il soit requis aucune qualification des représentans du peuple[55].

« 4o. Que si le gouvernement acquérait malheureusement une influence temporaire sur les membres de la branche populaire, de manière à les induire à oublier les intérêts de leur constituans, un corps législatif, indépendant et intermédiaire, nommé à vie, deviendrait la plus sûre protection des libertés du peuple[56] ;

« 5o. Que pour donner aux sujets de sa Majesté, de naissance ou d’origine britannique, une confiance raisonnable dans la permanence de son gouvernement et de ses institutions, et dans l’existence d’un état de choses conforme à leurs habitudes et à leurs sentimens, la justice et la saine politique exigent que le conseil législatif soit composé de manière à former une barrière efficace contre toutes les tentatives d’innovation qui pourraient être faites par une branche, où, à cause des circonstances locales, ils n’ont pas de représentation correspondante ;…

« 6o. Que cette chambre apprécie l’ardent désir que le gouvernement de sa Majesté a manifesté de nouveau de régler les difficultés financières qui existent malheureusement depuis si longtems dans cette province ;

« 7o. Que le conseil législatif est cordialement disposé à faire une allocation fixe pour telle partie des dépenses du gouvernement qui pourra paraître requérir un arrangement d’une nature plus permanente que les subsides qu’il appartient à la législature de déterminer par des votes annuels ;

« 8o. Que le conseil législatif conviendra de la même manière que la durée d’une telle appropriation sera pour la vie du souverain régnant, ou pour un espace de temps plus défini, si la chose est trouvée plus expédiente ;

« 9o. Que lorsqu’une appropriation suffisante sera ainsi faite, il sera expédient que les revenus casuels et territoriaux de la couronne soient mis à la disposition de la législature provinciale, pour autant de temps que l’arrangement pour ladite appropriation demeurera en force ;

« 10o. Que ce serait une grande satisfaction pour tous les sujets canadiens de sa Majesté, s’il plaisait gracieusement à sa Majesté d’ordonner que le revenu provenant de cette partie des biens des Jésuites qui a été destinée, dans l’origine, aux fins de l’éducation, fût appliquée aux mêmes fins ;

« 11o. Que la résidence à Londres, d’un agent, ou d’agens autorisés par la législature provinciale, pour représenter les intérêts et indiquer les vœux des habitans de cette province, mettrait le gouvernement de sa Majesté en état de réaliser efficacement les vues bienveillantes dont il est indubitablement animé envers ce pays ;

« 12o. Qu’il est expédient que les juges de la province soient mis, autant que les circonstances le permettent, dans une situation analogue à celle des juges de sa Majesté, en Angleterre ;

« 13o. Que pour assurer plus parfaitement l’indépendance des juges, il est expédient que les juges de la cour du banc du roi, tiennent leur commission durant bonne conduite ;

« 14o. Qu’afin de s’assurer que les juges pourront s’acquitter de leurs importants devoirs avec intégrité et indépendance, il est expédient que leurs salaires soient établis d’une manière permanente, et qu’il leur soit permis de se retirer avec une pension, &c. ;

« 15o. Que c’est le droit indubitable du roi d’appeler qui il lui plaît au conseil législatif de cette province ;

« 16o. Qu’il serait désirable que tous les juges de la cour du banc du roi eussent voix consultative, comme assistans, dans le conseil législatif sur les questions de droit, et que le juge-en-chef de cette province soit membre de cette chambre, et y ait voix délibérative et consultative ;

« 17o. Qu’il est expédient que le conseil législatif soit établi comme cour judiciaire, &c. ;

« 18o. Que la réforme de la cour pour les procès en appel est extrêmement désirable et nécessaire. »

Si ces résolutions n’étaient pas « l’œuvre du génie », comme l’était notre acte constitutionnel, au dire de M. Papineau, en 1822, elles étaient au moins celles du talent diplomatique et du bon sens politique, aussi n’y eut-il que M. Viger, qui trouvât matière à protêt contre quelques unes d’entre elles, et particulièrement contre la cinquième.

Le 31 mars, après avoir sanctionné cinquante bills, et en avoir réservé sept à la sanction royale, loué les deux branches de la législature de « l’attention sans relâche qu’elles avaient donnée aux affaires publiques du pays », et remercié la chambre d’assemblée « des subsides qu’elle avait accordés », en aide des fonds déjà appropriés par la loi », le gouverneur se contente d’ajouter : « La mesure de mes remercimens aurait été comblée, si les circonstances m’eussent permis d’assurer le gouvernement de sa Majesté que les propositions qui vous ont été soumises dernièrement, au nom du roi, concernant les finances, avaient été accueillies favorablement. »

Après les choses étranges qu’on vient de lire, on sera peut être porté à se demander si le gouverneur devait borner là son regret, s’il ne devait pas quelque chose de plus au peuple, dans l’intérêt de sa moralité, de sa tranquillité et de sa félicité présente et future ? Avait-il pu voir sans émotion quelconque la chambre haute de la législature, non-seulement vilipendée, mais vouée à la haine et au mépris du peuple, dans la chambre basse ?[57] être l’auditeur, ou le lecteur indifférent de déclamations comme celles dont nous n’avons pu donner qu’une esquisse légère, mais suffisante pour qu’on y pût voir l’exécration des mesures, le dédain des bienfaits de la métropole, donnés, non-seulement comme un droit dont on pouvait faire usage consciencieusement, mais comme un devoir qu’il y avait obligation de remplir ; les Canadiens virtuellement, ou implicitement déliés de leur serment d’allégeance, enfin une guerre à mort déclarée à l’administration du gouvernement et de la justice, à toutes les autorités constituées, enfin à tout l’ordre établi. La réponse est, que deux raisons puissantes obligeaient lord Aylmer à garder un silence, en apparence, préjudiciable ; la teneur de ces instructions, et la fiction légale, ou constitutionnelle, par laquelle il était sensé ignorer ce qui ne lui avait pas été communiqué officiellement. Sir J. H. Craig, moins timoré, ou moins gêné par ses instructions, et pris comme à l’improviste, avait cru pouvoir en agir autrement, quoique son regret, ou son mécontentement ne provînt que de débats oiseux, d’altercations bruyantes, et de la violente exclusion d’un juge, accompagnée de protestations solennelles de loyauté, et même de reconnaissance ; mais les circonstances n’étaient plus les mêmes ; quoique cette colonie fût encore dans l’enfance, suivant M. Papineau, les enfans de 1810 avaient grandi, et il fallait les traiter au moins comme de grands enfans ; leur père même n’aurait pu trouver sujet de leur faire la réprimande, si c’était à huit-clos et à son insçu qu’ils avaient projeté de s’émanciper, et résolu de faire la leçon et la loi à leur mère.

Quoiqu’il en soit de ces formes ou convenances parlementaires, le plus grand mal qui pouvait et devait nécessairement résulter de ce système de diffamation générale, mis pour la première fois en opération sur un grand plan, dans la chambre d’assemblée, ne consistait peut être pas tant dans les récriminations, les animosités, les haines et les méfiances réciproques auxquelles il pouvait donner lieu alors[58], que dans l’exemple, l’encouragement fourni à la jeunesse, et particulièrement aux jeunes ou injudicieux rédacteurs de journaux politiques, de prendre le ton, non de la discussion logique, de la critique rationnelle, de la censure motivée et exprimée avec décence, discernement et discrétion, mais de l’insulte gratuite et grossière, du libelle diffamatoire, de l’appel aux passions, de la malignité ou de l’ignorance.

Les résolutions violemment accusatrices, ou amèrement complaignantes de la chambre d’assemblée ; les déclamations pétulantes et acerbes de quelques-uns de ses membres, et particulièrement de son orateur, ne firent pas croire à lord Aylmer que le peuple canadien était, ou avait été récemment, en butte à d’indignes outrages, accablé sous le poids de souffrances intolérables, encore moins qu’il fût devenu mécontent de son sort et déloyal ; mais elles purent avec l’ordre qu’il avait reçu et le désir qu’il montra de concilier, presque à tout prix, le majorité de cette chambre, contribuer à donner au commencement de son administration un air de timidité, ou de débonnaireté, qui devint par la suite préjudiciable aux affaires publiques et au pays[59]. Quand, plus tard, il voulut prendre un autre ton, le temps était passé d’en imposer, ou de faire respecter même l’autorité royale.

En dehors, les gazettes publiées en langue française avaient été les approbatrices des procédés les plus extraordinaires de la chambre d’assemblée, ou du moins, ne les avaient pas désapprouvés explicitement, en même temps qu’elles s’étudiaient à faire paraître sous un jour odieux presque tout ce qui se faisait dans le conseil législatif. L’Observateur[60], seul avait osé élever fortement la voix contre les propositions révolutionnaires de M. Bourdages et de M. Lee, combattre les discours prononcés à leur appui et blâmer indirectement quelques autres procédés de la chambre.

Pour ne pas perdre de vue la province supérieure, nous dirons que pendant que notre chambre d’assemblée, loin d’accueillir avec joie et empressement les concessions de la métropole, se plaignait amèrement, et d’une manière offensante, de sa conduite présente et passée, la législature du Haut-Canada avait le bon esprit de se prévaloir, pour son avantage et celui de la province, de ces offres généreuses.

Le 10 mars il fut résolu ou arrêté, dans la chambre d’assemblée, à la majorité de 24 contre 16 :

1o. Que les revenus provenant de l’acte de la 14e Geo. III, avec la somme de £2,500, accordée permanemment par la législature provinciale, se montent à £18,500 et davantage ;

2o. Qu’aussitôt que les revenus provenant du susdit acte de 1774, auront été par un acte du parlement impérial, ou autrement, mis sous le contrôle de la législature provinciale, il sera expédient de révoquer l’acte de la dite législature qui accorde la somme de £2,500, et d’accorder à sa Majesté, &c., annuellement la somme de £6,500, pour subvenir aux dépenses de l’administration civile de cette province, comme suit :

Au lieutenant-gouverneur £2,000
Aux juges de la Cour du Banc du Roi 3,300
Au procureur-général 300
Au solliciteur-général 200
Au greffier du conseil exécutif 200
À cinq conseillers exécutifs 500

Un projet de loi ayant été introduit, à cet effet le 11, après qu’il eut été lu pour la seconde fois, M. Bidwell, secondé par M. Perry, fit motion que la clause suivante y fût ajoutée : « Et qu’il soit de plus statué, que les salaires accordés par le présent acte au juge-en-chef et aux autres juges de la cour du banc du roi, ne seront pas payés avant qu’ils aient été nommés pour exercer leurs fonctions durant bonne conduite, sujets néanmoins à être destitués d’après une adresse du conseil législatif et de la chambre d’assemblée, et qu’à compter du temps où les dits salaires leur seront payés, le dit juge-en-chef et les dits juges seront inhabiles à siéger dans le conseil législatif, le conseil exécutif et l’assemblée de cette province. » — Pour, 17 ; contre, 25.

M. Mackenzie, secondé par M. Shaver, fait motion que la disposition suivante soit ajoutée à la seconde clause du bill : « Pourvu néanmoins qu’aucun prêtre, ministre ou ecclésiastique ne soit habile à exercer la charge de conseiller exécutif dans cette province[61]. » Pour, 16 ; contre, 24.

En terminant la session, le lieutenant-gouverneur dit aux deux chambres : « Les dépenses du gouvernement civil, auxquelles il a été subvenu jusqu’à l’année 1827, par les octrois généreux de la mère-patrie, peuvent maintenant être payés entièrement, au moyen des droits perçus en vertu du statut de l’acte de la 14e Geo. III, et la remise de ce revenu à la disposition de la législature, non-seulement vous a mis en état de faire pour les principaux officiers du gouvernement et les juges, une appropriation permanente qui assure leur indépendance constitutionnelle, mais a considérablement accru les fonds dont les subsides annuels sont tirés. »

L’honorable D. B. Viger, qui quoique conseiller législatif avait consenti de grand cœur[62] à passer en Angleterre comme agent de la chambre d’assemblée, partit de Montréal, le 9 mai, pour s’embarquer le 16, à New-York.

Une institution pour l’instruction des sourds-muets fut ouverte à Québec, le 15 juin, sous la direction de M. Ronald McDonald, qui, au moyen d’une aide, ou appropriation de la législature, avait fait aux États-Unis[63], les études nécessaires à cet enseignement.

« On apprit, au commencement de septembre, que la sanction royale avait été donnée par proclamation, au bill par le conseil législatif et la chambre d’assemblée de cette province, concernant la tenure des terres en franc et commun soccage. »

Sans ces incidens, nous aurions été forcés de dire, comme dit souvent M. Perrault, qu’il ne se passa rien de remarquable pendant les vacations, ou la levée du parlement.

L’ouverture du parlement provincial eut lieu le 15 de novembre. Après avoir dit à la chambre d’assemblée qu’il serait de son devoir de lui faire part, sans perte de temps, d’une dépêche du vicomte Goderich, ayant rapport à la pétition de l’assemblée, le gouverneur dit aux deux chambres :

« Quoique l’état florissant de la province soit de notoriété publique, je ne puis laisser passer l’occasion qui se présente de le faire remarquer, sans vous en offrir mes félicitations. Cet état de prospérité en ce qui regarde l’objet de votre réunion actuelle, ne pourra manquer d’ajouter à l’énergie de vos efforts pour l’avancement du pays. Quant à moi, soyez persuadés que je ferai toute la diligence nécessaire pour donner effet aux mesures que votre sagesse et votre expérience vous porteront à adopter.

« Lorsque je vous adressai la parole, à l’ouverture de la dernière session, vous étant inconnu, j’étais mû, comme je l’ai toujours été, et comme je le serai toujours, par l’esprit de devoir et de dévouement à mon souverain… Depuis lors, un nouveau, un bien puissant motif, a trouvé place dans mon cœur, je veux dire l’attachement toujours croissant que je porte au peuple de ce pays heureux : c’est un sentiment qui m’accompagne partout ; il me rend plus doux tous mes travaux officiels, et toutes les fois que je reprends la tâche journalière de mes devoirs, il m’apprend à me demander : que puis-je faire aujourd’hui pour le bonheur et la prospérité du Canada ? [64]

Ce discours, qui, dans les premières années du régime constitutionnel, et même plus tard eût été accueilli avec applaudissement et reconnaissance, n’était pas fait pour être compris de plusieurs de ceux qui l’entendirent prononcer. Il devint même bientôt le thème des plus indécentes plaisanteries.

Le premier procédé de l’assemblée, après la lecture du discours d’ouverture, fut la réexpulsion de M. Christie, (encore réélu, par le comté de Gaspé), opérée brusquement, par la force des voix contre la solidité des raisonnemens[65].

Le 18, le gouverneur fit remettre à l’assemblée la copie d’une dépêche de lord Goderich, datée du 7 juillet, en réponse à la requête de cette chambre, se plaignant de griefs, &c.

De cette longue et verbeuse dépêche nous ne pouvons donner que le sommaire suivant :

« Le roi confie à la législature provinciale l’appropriation des fonds provenant des biens des Jésuites, persuadé que l’assemblée trouvera juste de continuer à maintenir les établissemens d’éducation auxquels ils sont maintenant appliqués… Si l’assemblée était disposée à procurer des casernes suffisantes, les bâtimens faisant partie des biens des Jésuites qui autrefois servaient de collége, seront affectés à la même destination à laquelle les fonds généraux des biens des Jésuites sont sur le point d’être rendus. Des sommes provenant de ces biens sont mises à la disposition de la législature. S’il a été fait par le gouvernement des promesses d’octroi de terre pour les écoles, il faut que ces promesses soient effectuées.

« Le rejet (fait) par le conseil législatif de plusieurs projets de loi en faveur de l’éducation, est donné comme le dernier des obstacles au progrès de l’enseignement. Sur ce point, il est évident que le gouvernement de sa Majesté n’a le pouvoir d’exercer aucun contrôle, et qu’il ne pouvait intervenir dans le libre exercice de la volonté du conseil législatif, sans violer les maximes les mieux reconnues de la constitution… Cependant, l’assemblée peut être assurée que toute l’influence légitime que peut exercer le gouvernement de sa Majesté sera toujours employée à favoriser, dans toute direction, toutes les mesures qui auront pour objet l’instruction religieuse, morale ou littéraire du peuple du Bas-Canada.

« Les considérations qui se rattachent à l’établissement des terres incultes sont trop nombreuses et trop étendues pour être encadrées dans cette dépêche.

« C’est une conséquence inévitable de la connexion qui existe entre les deux pays, que le parlement exige quelquefois des corps mercantiles du Bas-Canada quelques sacrifices mutuels pour le bien général de tout l’empire…

« Si la législature coloniale est d’avis qu’il faille prendre des mesures additionnelles pour mettre les autorités locales des comtés, villes et paroisses en état de régler les affaires qui les concernent plus immédiatement, le gouverneur est libre de sanctionner, au nom du roi, toutes les lois bien considérées qui pourront lui être présentées à cette fin.

« Quant au mélange de différents codes de loi et règles de procédure, sa Majesté est entièrement disposée à concourir avec le conseil et l’assemblée, à toutes les mesures qu’ils jugeront les plus propres à assurer un examen calme et étendu de ces sujets, sous tous leurs rapports ; et il restera alors aux chambres à rédiger les lois qui peuvent être nécessaires pour rendre le code provincial mieux adapté à l’état actuel de la société dans le Bas-Canada.

« L’administration de la justice est devenue, dit-on, inefficace et inutilement dispendieuse. Comme les tribunaux provinciaux tiennent leur constitution actuelle de statuts provinciaux, et nullement de l’exercice de la prérogative de sa Majesté, il n’est pas au pouvoir du roi d’améliorer le système de l’administration des lois, ni de diminuer les frais de justice. Cependant, le gouvernement pourra assurer la chambre d’assemblée que sa Majesté est disposée à coopérer avec elle à toutes les améliorations du système judiciaire que suggéreront la sagesse et l’expérience des deux chambres.

« Le gouvernement du roi est, on ne peut plus, disposé à reconnaître la convenance de laisser exclusivement à la législature du Bas-Canada la passation de toute loi qui pourra être nécessaire pour régler la propriété dans cette province.

« Tous les arrangemens qui pouvaient être suggérés et s’effectuer par l’autorité du roi ont été pris pour retirer les juges de la province de toute connexion avec les affaires politiques, et pour les rendre indépendants de l’autorité de la couronne et du contrôle des autres branches de la législature… Les juges eux-mêmes ont, à ce qu’il paraît, concouru, avec une louable promptitude, à donner effet à ces recommandations, en s’abstenant d’assister au conseil législatif… Le ministre n’a pas connaissance qu’aucun juge du Bas-Canada tienne aucun office autre que celui de conseiller exécutif durant bon plaisir, ou qui soit incompatible avec la dûe exécution de ses fonctions officielles. Si tel était le cas, le gouverneur devra incessamment faire rapport de toutes les circonstances qui peuvent l’accompagner ; car il ne peut être permis à aucun juge de retenir un office de la nature de ceux dont parle l’assemblée.

« À l’égard des offices accordés presque exclusivement à une classe de sujets qui se sont montrés les plus opposés aux droits, liberté et intérêts du peuple, etc., le ministre recommande au gouverneur de suggérer à la considération de la chambre d’assemblée, jusqu’à quel point il est possible à sa Majesté d’entendre clairement et de redresser efficacement un grief qui lui est exposé en termes si indéfinis. Si l’on peut nommer un officier public qui se soit rendu coupable d’abus de ses pouvoirs et de négligence de ses devoirs, sa Majesté se hâtera de venger l’intérêt public, en le destituant du service. Si l’on peut démontrer que le patronage de la couronne a été exercé d’après des principes étroits et exclusifs, on ne peut trop les désavouer, ni trop tôt les abandonner. S’il est vrai que la population fixe du pays ne jouisse pas d’une pleine participation à tous les emplois publics, la chambre d’aasemblée peut être assurée que sa Majesté ne peut désirer que des distinctions aussi odieuses soient systématiquement maintenues. » Le ministre ignore entièrement les cas particuliers auxquels s’appliquent les expressions de l’assemblée, et depuis qu’il est en charge, il ne s’est présenté aucune occasion d’exercer le patronage de la couronne, à laquelle l’assemblée puisse faire allusion.

(Quant au manque de responsabilité et de comptabilité suffisante, lord Goderich cite la dépêche de Sir George Murray à Sir James Kempt.)

« Le préambule de l’acte du Commerce du Canada donne pour motif de sa passation la nécessité d’obvier aux maux que souffrait la province supérieure, par suite du contrôle exercé exclusivement par la législature du Bas-Canada, sur l’importation et l’exportation du port de Québec. Cependant, les ministres de la couronne proposeraient au parlement de révoquer l’acte en question sur la simple preuve que la législature du Haut-Canada pense qu’une telle protection est superflue.

« Le choix des conseillers législatifs, etc., seront l’objet d’une communication séparée. Lord Goderich croit que ce serait faire injure à la chambre d’assemblée que de lui supposer un esprit assez contentieux pour maintenir la contestation sur quelques détails mineurs et insignifiants, après l’exposé par lequel il vient de faire ressortir l’accord qui règne entre les vues du gouvernement du roi et les siennes propres sur un si grand nombre de questions de politique canadienne. »

Il fut voté « une humble adresse pour remercier son Excellence de cette communication ».

Le 25, le gouverneur communiqua à l’assemblée un extrait d’une dépêche au sujet des juges dans laquelle il était dit :

« Il a gracieusement plu au roi d’ordonner que vous saisissiez la première occasion qui se présentera pour proposer au conseil législatif et à l’assemblée du Bas-Canada la passation d’un bill, déclarant que les commissions des juges de toutes les cours supérieures sont accordées pour et durant leur bonne conduite, et non durant le bon plaisir royal, et, au nom de sa Majesté vous sanctionnerez un bill pour effectuer cet objet.

« C’est, comme de raison, une condition essentielle de cet arrangement, qu’il soit fait pour les juges une appropriation suffisante et permanente, et je suis flatté de voir que les assurances répétées de la chambre d’assemblée ôtent la possibilité de toute objection, de la part de ce corps, à cette partie de la proposition.

« Il me reste à signifier à votre Seigneurie les ordres de sa Majosté, qui sont que vous communiquiez au conseil législatif et à la chambre d’assemblée, sa ferme détermination de ne nommer, à l’avenir, aucun juge membre du conseil exécutif, ou du conseil législatif de la province. L’exception unique à cette règle générale est que le juge-en-chef de Québec sera membre du conseil législatif, afin que ce corps puisse avoir son assistance dans la rédaction des lois d’une nature générale et permanente ; mais sa Majesté ne manquera pas de recommander, même à ce haut officier, de se garder avec soin de tous procédés qui pourraient l’engager dans des contestations qui sentiraient l’esprit de parti. »

Le 29, la chambre adopta les résolutions suivantes :

1o. Que la chambre reçoit avec reconnaissance la gracieuse expression des sentiments paternels de sa Majesté pour le bonheur de ses sujets, ainsi que la preuve de l’adoption d’une politique juste et libérale à leur égard, qui résulte de la dépêche du secrétaire d’état pour les colonies, en date du 7 juillet, et surtout l’admission, qu’elle contient, que le réglement des affaires de la colonie doit être laissé exclusivement à la législature provinciale[66] ;

2o. Que cette assemblée partage les sentimens d’affection et de bienveillance manifestés par cette dépêche, et le désir sincère de resserrer les liens qui unissent cette colonie à la mère-patrie ;

3o. Que cette chambre s’efforcera avec toute la diligence possible, de porter remède, autant qu’il sera en son pouvoir, aux plaintes exprimées dans son humble pétition, au sujet de l’état de la province ;

4o. Que cette chambre croit devoir témoigner sa reconnaissance de la promptitude avec laquelle sa requête à sa Majesté, a été prise en considération, et de la manière prompte et éclairée avec laquelle elle a été envisagée par le très honorable lord Goderich, &c.

Le lendemain, 30, lord Aylmer dit aux messagers qui lui avaient présenté ces résolutions, « qu’il aimait à prévoir que sa Majesté les regarderait comme un heureux présage de l’arrangement définitif de tous les points sur lesquels le gouvernement et la chambre avaient jusqu’alors différé ».

Une question qui semblait n’être pas du ressort immédiat de l’assemblée, celle de changer les usages du pays, quant aux affaires ordinaires des fabriques de paroisses, ayant été agitée dans la session précédente, le clergé lui présenta, dans celle-ci, une requête, ou représentation, on ne peut mieux fondée en raison, accompagnée d’un mémoire irréfutable ; mais ni la requête, ni le mémoire n’empêchèrent cette chambre de revenir à la mesure, ni M. Papineau de la soutenir, en exagérant les abus dont quelques particuliers s’étaient plaints, ni M. Bourdages d’en vouloir brusquer l’adoption, sans s’occuper, ni faire cas quelconque, en apparence, des conséquences regrettables qui en pourraient résulter. Malgré ce que purent dire MM. Neilson, Cuvillier, Quesnel, Duval, Dumoulin[67], et autres, le bill passa finalement dans l’assemblée ; mais heureusement il avait à monter à la chambre haute, où il fut mis au néant[68].

Le 5 décembre, le gouverneur transmit à l’assemblée une copie d’un acte impérial, ayant pour objet de mettre sa Majesté en état de transmettre à la législature provinciale (non pas conditionnellement, comme tout le monde s’y était attendu, mais absolument), l’appropriation des droits levés, en vertu de l’acte de la 14e Geo. III, chap. 88. « Il sera et pourra être loisible aux conseils législatifs des provinces du Haut-Canada et du Bas-Canada, respectivement, par aucuns actes qui seront, de temps à autre, par eux passés, et sanctionnés par sa Majesté, d’approprier, de telle manière et à telles fins qu’ils jugeront convenable, respectivement, tous les deniers qui proviendront ci-après des dits droits, excepté telles parties des dits deniers qui seront nécessaires pour payer les frais de perception, collection, recouvrement, responsabilité, &c., d’iceux. »

Le 10 janvier, 1832, M. L. Bourdages soumit une série de douze propositions, dont les huit premières étaient une amplification de celles qu’il avait soumises, l’année précédente, et leur amendement, en ce qu’il n’y était plus question d’abolir entièrement le conseil législatif, mais d’en faire un corps électif. Les quatre dernières propositions exposaient, au sujet des terres réservées à la couronne et au clergé, des griefs qui avaient été oubliés dans la requête de l’année précédente, nonobstant la recommandation instante et répétée du gouverneur à la chambre d’assemblée, de s’efforcer de n’en pas oublier un seul, « quelque petit qu’il fût ».

Le lendemain, 11, le même M. Bourdages, contrevenant à la recommandation du Comité du Canada et à la teneur de la dépêche qui venait d’être communiquée à l’assemblée, ainsi qu’au rapport de son comité spécial le bill de l’indépendance des juges, proposa que par ce bill le juge-en-chef (qui avait le plus contribué à faire rejeter son bill de fabriques, ou des notables) fût exclu des conseils. Cette proposition fut rejettée, ainsi que les douze sur la composition des conseils, &c. ; mais le bill de l’indépendance des juges n’en devint guère plus acceptable, en conséquence des conditions qui y furent attachée, ou des matières étrangères qui y furent introduites.

En lisant les propositions « soumises » par M. Bourdages, soit de son propre mouvement, soit à la suggestion d’autrui, à la suite de communications si satisfaisantes, de nouvelles si agréables, sous tous les rapports, on est porté à se demander s’il n’y avait pas alors dans l’assemblée un homme, ou plusieurs hommes, qui se croyaient personnellement intéressés à la perpétuation, à l’augmentation même des dissentions et des troubles, sinon à un bouleversement final, ou qui avaient naturellement en horreur la paix et la félicité publiques, en l’absence de tout prétexte de crier et de faire du bruit, de vexer, de tourmenter les hommes, et de mettre les choses dans la confusion et le désordre.

Le 23, lord Aylmer fit tenir à l’assemblée un message, recommandant l’octroi d’une liste civile de £5,900, pour la vie du roi, savoir : au gouverneur, £4,500 ; à son secrétaire, £500 ; au secrétaire de la province, £400 ; au procureur-général, £300 ; au solliciteur-général, £200.

Le 30, la chambre, en comité sur ce message, se leva sans faire rapport, sur la division de 42 contre 9[69]. « La chambre », dit la Gazette de Québec (de Neilson), paraît avoir cru nécessaire de se refuser à cette nouvelle demande, et de soutenir les résolutions de la chambre, basées sur le rapport du comité de la chambre des communes, par lesquelles elle s’était engagée à octroyer permanemment les appointemens du gouverneur, ceux des juges et ceux des conseillers exécutifs. »

Elle ne s’était pas engagée, suivant M. Neilson, à octroyer, de la même manière, ceux du secrétaire provincial, du secrétaire civil, du procureur-général et du solliciteur-général, pourquoi ? Était-ce parce que le comité des communes avait oublié de parler de ces officiers[70], parcequ’il ne les croyait pas nécessaires ou parcequ’il voulait les tenir perpétuellement sous sa dépendance immédiate, exercer sur eux un contrôle direct, une espèce de coercition ou d’intimidation. La première raison aurait été frivole ; la seconde insensée, et la troisième odieuse. Mais, quelle que fût la raison de son refus, il n’en était pas moins vrai que la colonie était mise en collision avec la métropole, sa tranquillité future perdue de vue, et son avenir compromis, pour la manière de voter la modique somme de £1,300, et cela, après des concessions auxquelles nul homme raisonnable et éclairé ne se serait attendu. De très grands effets sont quelquefois provenus de causes très petites, en apparence, mais nous ne croyons pas que, dans l’histoire, ancienne ou moderne, on puisse trouver l’exemple du salut, du bien-être politique et social de tout un peuple, sacrifié à une pareille vétille, à une aussi pitoyable pointillerie ; et pour n’attribuer la chose qu’à une erreur de jugement, à une déplorable infatuation, la chambre faisait cet inconcevable faux-pas, dans le même temps qu’elle se votait à elle-même £3,600 annuellement, pour la durée du parlement, outre les £1,000 accoutumés, à son orateur. Ayant obtenu de la complaisance de lord Aylmer la suspension du procureur-général, la chambre d’assemblée crut qu’elle obtiendrait aussi facilement la destitution du juge Kerr. Par suite de la pétition de M. Gugy, son comité des griefs, après avoir rapporté douze chefs d’accusation, conclut à l’effet qu’une humble adresse soit présentée à son Excellence, le gouverneur en chef le priant de faire usage des pouvoirs respectifs qu’il tenait de sa commission, pour destituer l’honorable James Kerr des situations de juge sub-délégué de la cour de vice-amirauté, ainsi que de toute place d’honneur et de profit tenue en cette province sous le bon plaisir, et de ne lui accorder aucune telle place à l’avenir[71].

Lord Aylmer répondit qu’il ne pouvait pas se rendre au désir de la chambre ; mais qu’à la prochaine session il serait prêt à suspendre le juge Kerr, sur une adresse des deux chambres[72].

Le parlement fut clos le 25 février. Après avoir sanctionné soixante-trois bills, et en avoir réservé dix à la sanction royale, le gouverneur dit à la chambre d’assemblée, en particulier :

« La session s’est ouverte sous des auspices si favorables, que j’avais conçu le ferme espoir que le résultat en serait de nature à justifier, dans toute leur étendue, les espérances du gouvernement de sa Majesté.

« La dépêche du vicomte Goderich, du 7 juillet dernier, avait été communiquée à la chambre d’assemblée, et non-seulement sa teneur se trouvait rencontrer, de la manière la plus directe et la plus explicite, les divers griefs articulés dans la pétition de la chambre, mais les concessions faites par la couronne étaient de nature à surpasser les plus vives attentes des habitans du Bas-Canada.

« Il était donc naturel de s’attendre que la liste civile, dont l’adoption était le seul avantage demandé en retour de ces concessions libérales, serait accueillie par la chambre d’assemblée, dans un esprit de libéralité réciproque. Les votes et les résolutions de la chambre, en des occasions précédentes, justifiaient encore davantage cette attente, de la part du gouvernement ; et quand même se serait élevé quelque doute à cet égard, il aurait dû disparaître devant certaines circonstances récentes, qui prouvent clairement que la chambre peut, dans certains cas, être induite à prêter une oreille favorable à la proposition de mettre des salaires hors de l’incertitude d’un vote annuel.

« Ces espérances ont néanmoins été frustrées, et cela, dans des circonstances des plus décourageantes, car le gouvernement en se présentant à la chambre d’assemblée avec la proposition d’une liste civile sur une échelle si limitée, qu’elle a exciter une surprise universelle, a été acceuilli sur le seuil même de la porte, par un refus formel et absolu[73].

« En Angleterre, au commencement de chaque règne, la législature vote invariablement une liste civile, qui assure, durant la vie du souverain, des salaires fixes et déterminés, qui se rattachent à la dignité ainsi qu’au service de l’état, et cependant, les partisans les plus jaloux des droits du peuple ne se sont jamais opposés, en principe, à une telle mesure, et on ne la regarde nullement comme indiquant, de la part de la couronne, un manque de confiance de la branche populaire de la législature.

« Il était donc raisonnable et conséquent de supposer que le même principe pouvait être adopté et mis en pratique avec avantage dans cette colonie, dont la constitution a une analogie si frappante avec celle de la métropole.

« Les avances faites par le gouvernement de sa Majesté ayant été accueillies de la manière que je viens de l’exposer, je me trouve maintenant dans la nécessité (en obéissance aux instructions que j’ai reçues,) de réserver à la signification du plaisir de sa Majesté le bill des subsides votés pour le service de l’année courante.

« Les embarras résultant de ce procédé seront nécessairement considérables, mais je tâcherai de faire en sorte que la province les ressente aussi peu que les circonstances le permettent. »

Si l’année précédente, Lord Aylmer avait pu annoncer au ministre des colonies qu’un « changement favorable s’était opéré dans la disposition générale de la chambre d’assemblée, vers la fin de la session », il eut, cette année, à lui annoncer tout le contraire. Après avoir assez bien commencé, elle finit, on ne pouvait plus mal, en passant un bill inacceptable, ou insanctionnable, pour l’indépendance des juges, par elle demandée, précédemment, à cor et à cri, et surtout, en refusant brusquement une liste civile de £5,900. Cependant, quoique dans cette session, les membres de l’assemblée eussent été, suivant M. Stuart (répondant à M. Papineau,) « condamnés à entendre des tirades injurieuses de mauvais goût, et quelquefois exprimées en mauvais langage », les débats y furent moins acrimonieux et moins violents que dans la session précédente, probablement, parceque la chambre ne jugea pas à propos, cette fois, de considérer l’état de la province. Ce fut la question de la « composition des conseils » qui donna lieu aux discussions les plus animées, et parfois les plus intéressantes. MM. Bourdages et Papineau, renonçant à leur panacée universelle, l’entière abolition du conseil législatif », s’étaient merveilleusement épris, on ne saurait dire par quel retour sur eux-mêmes, ou par quel nouveau choc électrique, d’un conseil législatif électif, dont ils avaient repoussé, ridiculisé même l’idée, dans la précédente session. Mais quoiqu’ils eussent trouvé un auxiliaire violent dans M. Lee, et un auxiliaire modéré dans M. Mondelet, ils furent combattus victorieusement par MM. Neilson, Quesnel, Gugy et Laterriere[74].

Pendant que ces discussions bruyantes et ces altercations avaient lieu dans l’enceinte de la chambre d’assemblée, l’état de la société était troublé, hors de cette enceinte, par la licence effrénée de la presse périodique et par ses funestes conséquences. Mais il faut reprendre les choses d’un peu plus haut, en commençant par le Haut-Canada.

De nouvelles élections avaient donné à cette province une chambre d’assemblée différente de la dernière dans sa composition. Les niveleurs y étaient en moindre nombre ; le parti opposé à une réforme des abus réels, ou à une réforme trop prompte de ces abus, y étaient peut être trop nombreux, mais l’harmonie régnait entre le lieutenant-gouverneur et les chambres ; le peuple ne s’apliquait pas autrement ; la province entière jouissait de la tranquilité. Cet état de choses n’était pas, en apparence, le fait de M. W. L. Mackenzie, soit que ses affaires pécuniaires en souffrissent[75], soit que l’esprit d’agitation et de discorde le maîtrisât, il résolut de recourir à sa tactique accoutumée. Il publia consécutivement, dans les numéros du 24 novembre et du 1er  décembre, (1831), deux articles particulièrement injurieux à la majorité de la chambre d’assemblée, dans le dernier desquels, intitulé : « Bel exemple du Bas-Canada », on lisait, entre autres choses : « Notre corps représentatif a dégénéré en un bureau de sycophantes, pour l’enrégistrement des décrêts du pouvoir exécutif, le plus vil, le plus mercenaire qui ait jamais existé, ” &c.

Le 7, il fut résolu, dans la chambre d’assemblée, à la majorité de 23 contre 17, « que les deux articles sus-mentionnés étaient des libelles contre la chambre, propres à exciter des soupçons et de la méfiance dans l’esprit du peuple, contre les procédés et les motifs de ses représentans, et une violation des priviléges de la chambre, et que M. Mackenzie, qui s’était reconnu l’auteur de ces articles, (et qui était membre de la chambre), devait être requis de fournir sa défense. » Il la fournit, en effet, ce jour-là et le lendemain, mais en aggravant son offense par ce qu’on qualifia d’effronterie et de cynisme.

Il fut résolu, d’abord, à la majorité de 27 contre 15, que W. L. Mackenzie, écuyer, s’étant reconnu l’auteur de libelles faux, scandaleux et diffamatoires, et ayant aggravé son délit par la manière dont il avait soumis sa défense, était coupable d’avoir violé les priviléges de la chambre et ensuite, qu’il fût expulsé.

L’expulsion eut lieu le 12, et dès le lendemain, le sieur Mackenzie et ses amis avaient trouvé le moyen d’assembler quelques centaines d’habitans de la basse classe du comté d’York, à qui ils avaient fait signer une pétition au lieutenant-gouverneur, se plaignant de la chambre d’assemblée, et priant son Excellence de la dissoudre.

Sir John Colborne leur répondit laconiquement : « Messieurs ; j’ai reçu la pétition des habitans. »

Les campagnards s’étant fait joindre par un nombre des habitans d’York, promenèrent M. Mackenzie comme en triomphe, par la ville, en signe de leur approbation. Le triomphateur fit une harangue à la foule, qui applaudit par trois acclamations, pour « le roi matelot », le comte Grey et les ministres « réformistes, et par trois autres pour le gouverneur, l’assemblée et le peuple patriote du Bas-Canada. Le rassemblement s’organisa ensuite, et adopta des résolutions par lesquelles il déclarait que la réponse que lui avait faite le lieutenant-gouverneur était une insulte ; qu’il fallait répandre l’adresse et la réponse par toute la province, et constater si le peuple ne serait pas d’avis de demander au roi le rappel de son Excellence ; que la conduite politique et éditoriale de M. Mackenzie était digne d’éloge, et qu’une médaille d’or devrait lui être présentée, &c.

Le 2 janvier, (1832), jour fixé pour l’élection, M. W. L. Mackenzie se présenta, et après avoir répandu parmi la foule un grand nombre d’exemplaires d’un placard, contenant des accusations, ou des diatribes contre le lieutenant-gouverneur, les conseillers, la majorité des représentans ; il enrichit le libelle écrit d’un long commentaire verbal, et fut élu presque unanimement. La médaille lui fut présentée ; il y eut ensuite par la ville une longue et bruyante procession. Enfin, le sieur Mackenzie triompha, et son triomphe l’exhalta au point de lui faire croire qu’il pouvait impunément recommencer à injurier gouverneur, conseillers législatifs et représentans du peuple, et il le fit, 6 janvier, dans ses adresses « aux électeurs d’York », et « aux Canadiens ».

Le lendemain, le conseil législatif résolut ;

« 1o. Que le journal The Colonial Advocate du 5, contenait un libelle grossier et non justifiable contre le conseil législatif ;

« 2o. Qu’il paraît que W. L. Mackenzie, écuyer, membre de la chambre d’assemblée, maintenant en session, est l’éditeur de ce journal, et l’auteur du libelle ;

« 3o. Qu’avec quelque patience que le conseil législatif soit disposé à traiter les libelles moins offensants, dans d’autres circonstances, il ne lui convient pas de se soumettre à l’indignité d’être ainsi outragé, au lieu même et dans le temps où il est occupé à exercer les fonctions à lui confiées par la constitution, et par des libelles ouvertement sanctionnées du nom d’un membre d’une autre branche de la législature, avec laquelle le conseil législatif doit et désire concourir dans toute mesure propre à avancer le bien public.

« 4o. Que le conseil législatif ne peut qu’espérer avec confiance que la chambre d’assemblée verra avec une juste indignation les efforts ainsi faits par un de ses membres pour diminuer l’indépendance du conseil législatif, et le respect qui lui est dû, comme faisant partie de la constitution de cette province, et qu’elle éprouvera le désir de faire réparation au conseil législatif, pour une infraction aussi impardonnable de ses priviléges. »

Quand ces résolutions furent présentées à la chambre d’assemblée, elle avait déjà commencé à prendre en considération les nouveaux libelles du sieur Mackenzie, et le 7, il fut réexpulsé, et déclaré indigne de siéger dans cette chambre, devant ce parlement, ce qui ne l’empêcha pas de se présenter encore comme candidat, d’adresser encore des diatribes inflammatoires au peuple, ou plutôt à la populace, pour l’intéresser en sa faveur, et se venger au moins par l’agitation populaire et la discorde civile.

En revenant au Bas-Canada, il faut commencer par dire que la révolution française de 1830 avait exalté un assez grand nombre de nos jeunes gens, et remarquer que les propositions révolutionnaires de M. Bourdages, et les violentes et injurieuses diatribes de M. Papineau avaient changé, chez les plus enthousiastes, cette exaltation en frénésie. Il faut remarquer aussi que la population des villes devenant de plus en plus mélangée, par l’affluence toujours croissante d’émigrés des Îles Britanniques, et particulièrement de l’Irlande, et que, parmi les émigrés irlandais, le plus grand nombre avait apporté avec eux, outre un caractère et un comportement social particuliers à leur pays, le ressentiment de l’oppression et de la misère, la haine du gouvernement et des autorités. Le Canadian Spectator, avait été rétabli, sous le titre de Irish Vindicator, plutôt dans l’intérêt passé que présent de cette classe d’émigrés, ou dans la vue d’une alliance, d’une association d’idées et de sentimens entre eux et les Canadiens d’origine française[76], et la rédaction en avait été confiée à M. Daniel Tracey, homme instruit, mais d’une violence de caractère qui pouvait passer pour peu commune, même parmi des gens à violentes passions, ou préventions politiques.

La rédaction de la Minerve avait pris, depuis quelque temps, un caractère de virulence mêlée d’absurdité, inconnu jusqu’alors dans les journaux français du Canada. La veille même de l’ouverture du parlement, il avait paru dans ce journal un article qu’il nous répugnerait de qualifier, et la rédaction, ou la correspondance continua sur le même ton et dans le même style, jusqu’au commencement de janvier. Alors, mis comme hors d’eux-mêmes, par ce qui se disait et se faisait, dans notre chambre d’assemblée et ailleurs, les rédacteurs du Vindicator et un correspondant de la Minerve crurent pouvoir impunément, non pas seulement censurer un ou plusieurs actes, présents, ou passés du conseil législatif, mais attaquer le corps entier, le condamner généralement, le vouer, de tout leur cœur et de toute leur âme, à la haine et au mépris de toute la population, en se servant des termes les plus outrageants, et cela, « dans le temps », sinon, au « lieu même où il était occupé à exercer les fonctions à lui confiées par la constitution ».

Le Vindicator le traitait de nuisance, de cauchemar, d’incube oppressif, etc. Le correspondant de la Minerve disait : « Les nominations de conseillers, faites et annoncées, sont, à peu d’exceptions près, si pitoyables, et le pays a si bien été joué et trompé, par toutes les belles promesses d’outremer, que la chambre d’assemblée devrait résoudre, qu’elle est d’avis, et le pays la soutiendra, que si la mère-patrie se refusait à accorder un conseil législatif électif, nous insistions et demandions avec fermeté l’abolition entière d’un corps aussi nuisible que l’a été, l’est et le sera le conseil législatif nommé par la couronne. Le conseil législatif étant peut être la plus grande nuisance que nous ayons, nous devons prendre les moyens de nous en débarrasser, et en demander l’abolition de manière à l’obtenir. »

Ces agressions, renouvellées avec un surcroit de virulence dans les expressions, ne passèrent pas inapperçues et méprisées, comme leurs devancières, et le 3 janvier, il fut, dans le conseil législatif, (en substance) :

« Résolu, que le Vindicator du 3, et la Minerve du 9, contenaient, respectivement, un libelle diffamatoire contre cette chambre, et une violation directe de ses priviléges, et

« Ordonné ;

« Que le sergent d’armes prenne et amène, sous bonne garde, à la barre de cette chambre, Daniel Tracey, rédacteur du Vindicator, et Ludger Duvernay, éditeur de la Minerve, afin de répondre pour cette offense. »

Ce procédé ne fut pas adopté, nemine contradicente ; MM. Coffin, Hale et Hatt différèrent de la majorité sub silencio ; MM. Bell, Caldwell et Felton, « parcequ’une mesure d’un caractère aussi décidé devait avoir l’effet de donner de l’éclat et de l’importance à des opinions et à des personnes insignifiantes et méprisables, et parceque les écrits en question étant des libelles sont du ressort des tribunaux ordinaires pour les poursuites. »

M. Ryland diffère de la majorité, ou proteste contre son procédé, parceque, selon lui, il serait plus à propos que le conseil législatif présentât au gouvernement une adresse, exposant : « qu’il circule maintenant dans la province des publications d’un caractère révolutionnaire, et signalant plus particulièrement celles qui ont été soumises à la considération de la chambre ; que les auteurs de ces écrits n’hésitent pas de faire, de la manière la plus audacieuse, un appel aux habitants en général, et à la chambre d’assemblée en particulier, de s’unir aux fins d’abolir la forme actuelle du gouvernement établi dans cette colonie ; que ces productions séditieuses et inflammatoires ont été répandues subséquemment aux communications faites par son Excellence à la chambre d’assemblée durant la présente session ; qu’après les concessions libérales et importantes, annoncées à cette chambre, par le message de son Excellence, du 18 novembre dernier, les habitans du Canada sont invités par ces publications à s’unir pour renverser la constitution donnée à cette province, constitution pour laquelle le peuple Canadien a exprimé son attachement inaltérable, et sous laquelle, pendant quarante ans, il a joui d’un degré de prospérité, de bonheur et de liberté raisonnable, qui n’est surpassé dans aucune partie du monde civilisé ; que le peuple loyal de cette province est exhorté par ces publications, à se joindre pour détruire toute influence juste et raisonnable de la part de la couronne, pour arrêter l’introduction des habitans de la métropole en Canada[77] et pour adopter enfin des mesures, qui, si elles étaient adoptées, changeraient en république la forme actuelle de ce gouvernement monarchique, parceque, par ce moyen, le gouverneur en chef, les ministres du roi et le public pourraient acquérir une connaissance exacte des sentiments du conseil législatif, par rapport à ces écrits calomnieux et révolutionnaires, parceque l’occasion serait donnée de considérer duement les moyens de faire punir leurs auteurs, et d’empêcher que la paix et le bonheur des loyaux sujets canadiens de sa Majesté ne soient troublés désormais par de semblables publications. »

Pour revenir aux prisonniers du sergent-d’armes, amenés à la barre du conseil, M. Duvernay répondit aux questions qui lui furent faites, qu’il n’était pas l’auteur de l’article incriminé, mais qu’il était l’imprimeur et le propriétaire de la Minerve, etc. Le rédacteur du Vindicator paraissant vouloir répondre à la façon du sieur Mackenzie, le président l’arrêta, en lui disant de ne se pas compromettre.

L’un et l’autre furent condamnés à demeurer emprisonnés jusqu’à la fin de la session.

Ce procédé du conseil législatif, loin d’arrêter le mal sembla l’empirer : du moins en résulta-t-il des manifestations populaires bruyantes, à Montréal et à Québec, des tentatives d’agitation dans le district de Montréal et une espèce de frénésie dans le Canadien, le Vindicator et la Minerve. Le premier parut avoir oublié combien de fois notre chambre d’assemblée s’était montrée grandement offensée même du semblant du blâme indirect de sa majorité, par exemple, d’une santé portée à sa minorité, durant la levée, tandis qu’on avait pu boire autant de fois qu’on l’avait voulu à la patriotique, « vertueuse », et glorieuse minorité du conseil, sans que la majorité de ce corps eût seulement paru y faire la moindre attention.

Comme pour narguer le conseil législatif, la Minerve republia dans son numéro du 19, l’écrit que ce corps avait qualifié de libelle diffamatoire, en l’accompagnant de nouvelles injures et de folles menaces[78].

L’agitation ne fut que passagère à Québec, elle fut plus marquée à Montréal, et de plus longue durée. Le 25 janvier, d’après avis préalable, il y eut, au faubourg St. Laurent, un rassemblement, où il fut prononcé des discours, et adopté des résolutions, censurant sévèrement le conseil législatif, approuvant MM. Duvernay et Tracey, et leur offrant, à l’imitation de ce qui avait été fait à York, à chacun « une médaille d’or ».

Les résultats les plus déplorables de cette effervescence de la jeunesse, ou de l’ignorance, de cette soudaine exaltation mentale, où « en appelant la justice, « on la souillait », où on invoquant la liberté de la presse, « on l’outrageait », furent le mauvais biais donné à l’opinion du peuple sur cette liberté, l’exemple démoralisateur offert à la populace, l’encouragement fourni au « dévergondage » de la presse périodique[79].

Ç’a été souvent un malheur pour la population canadienne, et pour celle des campagnes en particulier, d’en être réduite à ne pouvoir lire que des gazettes entachées d’un aveugle esprit de parti, parlant toutes dans le même sens, et quelquefois aussi, comme à l’époque où nous en sommes, rédigées « lourdement, étourdiment, sans discrétion quelconque, ni ombre de jugement, et[80] affichant une licence inouïe, pour ne pas dire un cynisme révoltant[81] ».

La Minerve en appelait de toutes ses forces au peuple, surtout au peuple des campagnes, et elle dut trouver chez lui quelqu’écho, car de même que ce journal, le Canadien et la Gazette de Québec semblaient avoir posé directement, ou indirectement, en principe que la liberté de la presse devait être illimitée ; que cette liberté ne pouvait pas dégénérer en licence ; et que conséquemment il ne pouvait pas y avoir de libelles. Dans quelques campagnes il fut répondu à l’appel de la Minerve, mais nous aimons à le pouvoir dire, sur un ton plus modéré, ou moins révoltant.

Pour revenir aux deux imprimeurs emprisonnés, ils s’adressèrent à la cour du banc du roi, pour faire décider si le conseil législatif avait le droit d’emprisonner pour infraction de ses priviléges, etc[82]. La cour décida contre eux, à l’unanimité. Ils s’en consolèrent, en se plaignant par requête à la chambre d’assemblée, et de la cour et du conseil.

Cependant, les préparatifs du triomphe des deux imprimeurs se poursuivaient avec activité, et c’était à ce triomphe que le peuple (juge compétent de ce qui est ou n’est pas libelle), saisi de l’appel de MM. Duvernay et Tracey, allait prononcer sur la démarche du conseil ; c’était sur la place de la liberté, comme l’avait dit M. M…, à l’assemblée du 15, que le peuple allait réviser et renverser la décision de la cour de Québec et du conseil. »

Fréquentes avaient été les assemblées, nombreux les appels au peuple de la ville et du district : les triomphateurs, en arrivant près de Montréal, devaient être accompagnés d’un nombre immense de paysans ; on devait, de la ville, aller au devant d’eux jusqu’à la Pointe-aux-Trembles, (distance d’environ quinze milles), ou du moins jusqu’à Hochelaga : un nombre prodigieux de pavillons et de drapeaux avaient été préparés ; les médailles étaient prêtes, et devaient leur être présentées sur la place de la liberté, (ci-devant place Dalhousie,) après quoi, la grande procession devait parcourir les rues de la ville et des faubourgs.

On était dans l’attente d’une pompe, d’une fête, comme on n’en avait jamais vu en Canada, et qui devait ressembler à la fédération du 14 juillet 1790, sur la place de la Révolution, quand le manque de jugement, l’indiscrétion ou l’inadvertence du rédacteur de la Minerve vint malencontreusement rabattre de la fougue des plus exaltés, modérer la pétulance de langage des plus audacieux : il eut l’imprudence de publier, dans son numéro du 16 février, un écrit où l’on disait explicitement ce qui n’avait encore été dit qu’implicitement par lui-même ou par ses correspondans, savoir, (en substance), que le peuple se fera justice lui-même ; qu’une séparation immédiate de l’Angleterre est devenue nécessaire ; que les Canadiens doivent se hâter de se rendre indépendans, &c[83]. Quoique cette production ne fût que le corollaire des accusations portées contre le gouvernement de la métropole et contre celui de la colonie, dans la chambre d’assemblée et hors de cette chambre, la conséquence des prémisses posées par M. Papineau et par M. Lee, dans la session précédente, elle ne laissa pas de faire une assez grande sensation, parce qu’elle était attribuée par quelques-uns à un membre de l’assemblée, parce qu’elle était à la portée des intelligences les plus communes, parce qu’elle paraissait mieux raisonnée ou mieux écrite que la plupart de celles qui l’avaient précédée, et qu’on n’y pouvait rien mettre sur le compte de la sottise ou de l’ignorance de la signification des termes. Les journalistes anglais crièrent à la trahison, les autorités menacèrent de poursuites criminelles ; mais un jeune clerc-avocat ayant réclamé l’écrit comme sien, ou en ayant pris sur lui la responsabilité, et le rédacteur ayant apporté quelque excuse ou explication, et témoigné un demi repentir, (rétracté dès que la peur fut passée), la chose en demeura là. Dans de pareilles circonstances, il était à supposer que le projet de faire croire au peuple que MM. Tracey et Duvernay l’avaient emporté sur le conseil législatif, et qu’ils en devaient triompher, aurait été abandonné, comme devenu très inopportun ; mais on n’en demeura pas moins opiniâtre, dût la pompe triomphale devenir une farce ridicule.

Le jour attendu avec impatience arriva enfin ; ce fut le 27 février. La Minerve, qui « se croyait l’hyperbole permise, se permit de dire que la beauté du temps permit à la masse entière des citoyens d’assister à la fête ». C’était exagérer plus ridiculement que ces deux voyageurs dont l’un avait vu « un chou plus grand qu’une maison », et l’autre, « un pot aussi grand qu’une église ». Peut-être pourtant la Gazette, le Herald, le Courant eurent-ils tort de trop ridiculiser « la cérémonie triomphale », de la « dénigrer » : les gens du commun, « Canadiens, Irlandais et Américains », y allaient sans doute de bonne foi et sans mauvaise intention, et quant aux individus d’un rang plus élevé, les uns pouvaient y être par pure curiosité, et d’autres, dans le but louable d’empêcher toute infraction de la paix publique. On pouvait aussi trouver bon ou juste qu’il fût offert aux deux imprimeurs, et particulièrement à celui qui avait souffert pour le fait d’autrui, quelqu’espèce de consolation, quelque marque de condoléance : on pouvait les féliciter d’avoir vu le terme de leur emprisonnement, de se retrouver au sein de leurs familles et au milieu de leurs amis ; mais on ne devait pas tromper le peuple, encore moins démoraliser la populace, en lui faisant regarder comme licite et louable ce qui, moralement parlant, est toujours et partout, condamnable.

Le récit ne dit pas si les médailles furent présentées aux triomphateurs sur la place de la liberté, mais elles leur étaient offertes par « les citoyens de Montréal », et elles signalaient et constataient pour l’avenir un fait historique important, la « défaite du conseil législatif en 1832 ».

Pour dire encore un mot de la licence de la presse, ce fléau destructeur de la civilisation, que la Minerve infligeait au pays depuis quatre mois, le Canadien semblait l’approuver[84], et la Gazette de Québec ne vouloir pas qu’on la trouvât mauvaise[85]. Les journaux anglais récriminaient, absurdement parfois, en généralisant, au lieu de particulariser, mais le pouvoir exécutif resta muet et sembla comme paralysé : il laissa passer l’occasion de montrer quelqu’énergie pour le maintien du bon ordre, le repos de la société, et le salut du peuple, et sembla promettre pour l’avenir une entière indifférence, ou une complète inertie. Aussi put-on lire, dès le 8 mars, dans la Minerve, un article aussi révolutionnaire que celui du 16 février adressé aux passions haineuses, et couché en termes beaucoup plus injurieux, quoique parfois sous le masque de l’allégorie.

Pourtant, à l’exception de cet article, il parut y avoir, dans la Minerve, un changement en mieux, avec un changement de rédacteur, dès le commencement de mars. Mais, dans le Haut-Canada, le sieur Mackenzie ne cessait, depuis sa dernière expulsion, de s’agiter et de tourmenter le peuple, dans l’intérêt de son ressentiment. Après avoir, à force de déceptions et d’intrigues, fait signer ou marquer d’une croix, dans les campagnes, un tissu de fausses représentations, mêlé de quelques vérités, dans lequel il singeait le sujet loyal comme il avait fait avec succès, en 1827[86], il voulut, tenter fortune dans la ville d’York ; mais il y éprouva une déconfiture complète et un traitement ignominieux[87]. Ce contretems ne l’empêcha pas de partir pour l’Angleterre avec sa « pétition au roi », ou sa diatribe contre le lieutenant-gouverneur, le conseil législatif, la chambre d’assemblée, etc., signée de plusieurs milliers d’individus dont quatre-vingt-dix sur cent, peut-être, devaient ignorer de quoi il s’agissait, ou être de ces « gens qu’aucune société civilisée n’aurait reçus dans son sein. »[88]

  1. « Hier… M. Bourdages motionna, secondé par M. Cuvillier, que Louis Joseph Papineau, écuyer, fût l’orateur de la chambre, ce qui fut adopté à l’unanimité. Aujourd’hui, l’honorable orateur (président) du conseil législatif a, au nom de Son Excellence, approuvé M. Papineau comme orateur. » Gazette de Québec, du 27 janvier.
  2. Dès le 24 janvier la simple entrée du secrétaire civil, pour remettre au greffier un message annonçant que le gouverneur ne pouvait pas ouvrir le parlement ce jour-là, donna lieu, d’abord, à des délibérations à huis-clos, et, le lendemain, fit dire à M. Bourdages, que la chambre avait été attaquée, sans aucune arme pour se défendre, &c., et à M. Neilson, que si une telle chose était permise, la chambre n’aurait pas de priviléges, et à M. Papineau, que le comité des priviléges devait énoncer combien les membres avaient été alarmés en voyant leurs priviléges envahis. M. Papineau fit un long discours, dans lequel M. Stuart ne vit que des divagations étrangères au sujet, et (faisant allusion aux sessions précédentes,) des déclamations répétées régulièrement trois fois par semaine.

    M. Bourdages trouva qu’en effet M. Papineau s’était écarté de l’état de la question, et attribua le même tort à M. Stuart. La majorité décida que le sujet méritait d’être référé au comité des priviléges.

  3. M. Leslie observa que les prétendues offenses de M. Christie étant d’une nature purement politique, il était douteux qu’elles méritassent le châtiment sévère qui lui avait été infligé. Le tort et l’injustice ont été aggravés par une seconde expulsion du même membre… Il me paraît tout-à-fait déraisonnable de l’expulser une troisième fois, dans une chambre nouvelle, qui n’a pas de juridiction sur le sujet, et qui est même censée n’en rien connaître.

    Après quelques mots de M. Thibaudeau, M. de Montenach s’écrie : « Sommes-nous à Tripoli, à Tunis ou à Québec ? » et M. Bourdages de répondre : « Heureusement, nous sommes à Québec, et il serait à désirer que nous fussions tous des Québecquois. »

  4. M. Neilson voulait faire un essai pour la session, en priant l’honorable orateur de faire une liste des membres qu’il croirait les plus capables de former les divers comités permanents et de leur faire une juste répartition de l’ouvrage. M. Lee croit qu’en effet, il convient de laisser la nomination de ces comités à M. l’orateur, qui selon lui, est censé être l’homme le plus instruit et le plus intègre de la chambre ; sur quoi M. Bourdages s’écrie, avec autant d’à-propos que d’énergie : « Je serais bien fâché que M. l’orateur eût (ou fût censé avoir) plus d’intégrité que moi. »
  5. Une version des débats fait dire à M. Morin inintelligiblement : « On dit que nous privons un comté de sa franchise élective, la liberté des électeurs, c’est l’expression de l’opinion du peuple : la chambre est saisie des droits des électeurs, pour conserver les droits et la liberté de tous. L’indépendance des électeurs existe, d’un côté, pour constituer des représentans, et de l’autre, pour la défendre par le moyen de leurs délégués*. »

    * Les accusateurs de M. Christie ne remarquent pas que les priviléges d’une chambre élective ne vont pas jusqu’à balancer les droits d’un corps d’électeurs, qu’en voulant se purifier, elle se mutile, &c. M. Ls. Lebrun.

  6. M. Viger aurait voulu, avec raison, qu’on laissât de côté tout ce qui était étranger au Bas-Canada, et n’avait rapport qu’à des matières ou controverses religieuses, dans le Haut-Canada, mais M. Neilson avait voulu que le tout fût imprimé, et son avis avait prévalu.
  7. Où les membres du comité des finances pouvaient trouver les dispositions positives et déclarations du parlement britannique, à cet égard, c’est ce que nous n’avons pu trouver nulle part.
  8. Le gouverneur-en-chef dit aux représentans qu’il « les informait que la sanction royale avait été donnée à l’acte qui accorde des droits nouveaux à sa Majesté, mais que comme le temps fixé pour déclarer la sanction était écoulé, il leur recommandait de le passer de nouveau ». L’ont-ils jamais passé de nouveau ?
  9. En partie, fallait-il ajouter, d’après ce qui suit :

    « Les Jésuites de Québec, avant l’année 1776, ont toujours tenu ou fait tenir, une école régulière, où l’on enseignait gratuitement à la jeunesse la lecture, l’écriture, l’arithmétique : mais le gouvernement ayant jugé à propos de loger les archives de la province dans le seul appartement de la maison où les enfants pouvaient être admis les RR. PP. ont été contraints de discontinuer cette bonne œuvre. » Lettre de l’évêque de Québec (T. F. Hubert) du 18 novembre 1789.

  10. Quarante-huit ans se sont écoulés et notre gouvernement mérite encore le même reproche. — J. G. B.
  11. Particulièrement l’acte du Commerce et l’acte des Tenures.
  12. Omnia sunt maledicta, jurgii petulantis magis quam publicæ quœstionis : nullum enim fundamentum horum criminum ; voces sunt contumeliosœ, temerè ab irato accusatore emissœ — Cicero pro Cœlio.

    On verra plus tard la réponse du ministre des colonies à ces vagues accusations.

  13. Voir le premier message de Sir James Kempt.
  14. Et que cette législature, ou la chambre d’assemblée, avait, au grand détriment du Haut-Canada, &c., réfusé ou négligé de renouveler, pour une raison à elle connue. La législature du Haut-Canada trouva mauvaise la raison de notre chambre d’assemblée, se plaignit à l’Angleterre, et obtint l’acte du « Commerce du Canada ».
  15. Du latin coercer, restreindre, contraindre, et pris ici dans le sens de vouloir forcer à agir contre la volonté primative, ou la conscience.
  16. M. Cuvillier est ici d’un avis contraire à celui des historiens, des voyageurs, et des publiscites, qui ont accusé le gouvernement français d’avoir presque entièrement négligé le soin d’instruire le peuple de ce pays ; accusation, au reste, qui pouvait être portée alors contre la plupart des gouvernemens européens.
  17. Et où est-il dit qu’il ne le pourra pas ? D’ailleurs, il avait déjà été dit que le roi n’appellerait plus de juges au conseil législatif, malgré que :

    « La place des juges, ici comme en Angleterre, devrait être au conseil législatif. » — Discours de M. Plante.

    « L’on sent la nécessité d’appeler les juges au conseil législatif. » — Discours de M. J. M. Mondelet.

  18. « M. Bedard dit que ce qu’on paraissait le plus regretter était la perte des lumières des juges ; mais que leurs lumières ne seraient pas perdues, pour cela ; que l’on serait seulement obligé de les recevoir dans un lieu plus convenable à leur dignité, c’est-à-dire dans le conseil législatif : que c’était là leur place, suivant la constitution. » — Le Canadien du 27 février 1808.

    « J’ai à cœur autant que pas un de mes concitoyens, que leurs représentans acquièrent toute l’importance que leur confère la constitution, la dernière, la meilleure, la plus analogue à celle de la Grande-Bretagne, que la nation anglaise, dans sa libéralité, a accordée à aucune de ses colonies. » — Discours de M. Papineau en chambre, janvier 1818.

    Au diner patriotique du 7 octobre 1822, à la santé suivante, portée par le président : « Notre heureuse constitution ; nous la devons à la politique éclairée des plus grands hommes d’état dont l’Angleterre puisse s’honorer », M. Papineau se leva et prononça un discours, où il dit : « Notre excellente constitution fut, à l’époque de sa promulgation en cette province présentée à ses habitans comme l’œuvre du génie de la bienveillance ; elle fut accueillie par eux comme un bienfait inestimable. Depuis ce temps jusqu’à ce jour, les gouverneurs, le conseil législatif, la chambre d’assemblée, les tribunaux de justice, les grands jurés, toutes les autorités constituées, tout le clergé, tous les corps, tout le peuple, avaient uniformément professé le plus fort attachement pour cette constitution. Nous avions cru que ce don nous engageait à la reconnaissance envers la Grande-Bretagne… En 1822, des pygmées ont prétendu attaquer la magnifique fabrique élevée en 1791, par la main des géants. »

  19. Voir Tome II, page 242.
  20. Lord Durham a avoué que le gouvernement n’était intervenu que deux fois, en matière d’éducation et que ce n’avait pas été à son honneur.
  21. La constitution britannique pouvait être le prototype de notre acte constitutionnel, mais il n’y avait pas réciprocité.
  22. L’Angleterre n’a pas créé une aristocratie dans ce pays ; elle en a trouvé une toute créée, non au milieu des forêts, mais dans des châteaux, ou des manoirs seigneuriaux.
  23. Les conseillers législatifs ne recevaient pas comme tels un seul denier du trésor public.
  24. La colonie comptait alors plus de cent quatre-vingts ans d’existence.
  25. On s’est servi, et l’on se sert encore dans ce pays, du mot exécutif, comme substantif, pour signifier le gouvernement.
  26. Si on ne l’avait pas fait, on ne tarda pas à le faire.
  27. Expressions empruntées à ceux qu’on appela anti-canadiens, en 1822, et avant 1822.
  28. Le petit nombre d’Anglais qu’il y avait dans le pays voulurent, avant 1790, avoir une constitution, ou une représentation, mais toute à leur avantage, et à l’exclusion des Canadiens ; et si l’Angleterre avait été aussi mal disposée envers ces derniers que le prétendaient MM. Papineau, Cuvillier et Lee, il y a longtemps qu’ils seraient sous le joug, à moins qu’ils ne fussent devenus Anglais de langue et protestans.
  29. On voit que M. Bourdages, tout en voulant coercer l’Angleterre, et opérer une révolution dans le gouvernement du Bas-Canada, veut continuer à être un sujet fidèle ; mais il y a dans son récit des exagérations outrées, des conclusions fausses, et une confusion de faits et de date qui le rend presque inintelligible.
  30. Rien ne démontre, ne donne même lieu de soupçonner, que le peuple ait changé d’opinion, depuis 1822, ou 1827, sur un sujet qui l’intéresse aussi grandement, et dont il a dû s’occuper depuis si longtems. Et quelle serait, en effet, la cause d’un changement si prompt et si général ? La composition du conseil législatif ? Mais, comme l’a dit un des membres de la chambre, « la composition du conseil législatif est maintenant ce qu’elle était alors, à l’exception de deux ou trois individus, qui, assurément, ne le rendent pas pire ». Le conseil législatif est beaucoup mieux composé qu’il ne l’était alors, quoiqu’il ne le soit pas aussi bien qu’il pourrait l’être, et qu’il le sera sans doute, par la suite. » — L’Observateur.
  31. En effet, la tentative révolutionnaire de MM. Bourdages, Papineau, Cuvillier et Lee était faite spontanément, sans opinion émise au dehors, sans vœu exprimé par le peuple, ni bien ni mal conseillé alors, si ce n’est indirectement, par les diatribes prononcées dans l’assemblée.
  32. M. Labrie exagérait ici beaucoup, pour le temps où il parlait.
  33. Par exemple : « Un conseil électif est sans exemple dans une monarchie… Il faut un contrôle, qui soit exercé sur le pouvoir populaire et sur le pouvoir exécutif… Un conseil électif ne pouvait pas être une cour pour juger des accusations publiques ; car il ne serait, à proprement parler, qu’un grand comité de la chambre d’assemblée. »

    M. Bourdages avait déjà dit : « Personne ne niera que deux branches n’en formant qu’une, répugnent à l’esprit de notre constitution. »

  34. Ce comité avait jugé la présence du juge-en-chef de la province nécessaire au conseil législatif ; il n’avait pas voulu que tous les fonctionnaires publics en fussent exclus, mais seulement qu’ils y fussent en moindre nombre, qu’ils n’en formassent pas la majorité : il n’avait voulu en faire ni un concilium indoctum, ni un concilium indigrum, dans le sens de manquant de dignité.
  35. Elle trouva ici ce qui ne se trouvait dans aucune de ses propres colonies, une aristocratie, ou une classe nobiliaire. « Le mal fut dans l’origine, que l’aristocratie canadienne ne fut pas assez représentée dans le conseil législatif ; que les négocians nés hors du pays, sinon simplement passagers dans le pays, y furent trop nombreux. Plusieurs grands propriétaires seigneuriaux furent laissés de côté pour faire place à des hommes nouveaux, et presque inconnus dans le pays, et l’on vit dans la première chambre d’assemblée M. de Salaberry, M. de Rouville, M. de Lotbinière, et autres, qui auraient sûrement mieux figuré dans le conseil législatif que plusieurs de ceux qui s’y trouvaient. — L’Observateur.
  36. Il l’avait donnée, plus haut, et il va la donner encore, plus bas, pour pauvre, mot qui, d’après le sens ou l’intention de la phrase, doit être pris au superlatif, et signifier, très pauvre. Mais M. Papineau n’est pas le seul qui se contredise d’un moment à l’autre. Plusieurs de ceux qu’on entend parler dans ces séances orageuses, tombent dans ce défaut, et M. Neilson plus souvent peut-être que bien d’autres.
  37. Elle put d’abord les trouver étranges ou étrangers ; mais combien plus n’aurait-elle pas été étonnée et stupéfaite, si elle avait vu des hommes tirés de son sein, vivant, ou ayant vécu comme elle au milieu des forêts, prétendre en savoir beaucoup plus que « les plus grands hommes d’état dont l’Angleterre puisse s’honorer », et vouloir leur faire la leçon et la loi, en les accablant d’injures ? « Pitt, dans les transes, donne une constitution au Canada… Ce ministre effarouché des progrès de la révolution française, ferme les yeux et les oreilles aux observations de Fox. »
  38. M. Papineau ignorait, ou faignait d’ignorer ce qui se passait dans le Haut-Canada, au moment où il parlait.
  39. Nous sommes dans un état de véritable prospérité ; nous jouissons de plus de bonheur qu’aucun autre peuple de la terre… Ces avantages, nous les devons à notre constitution,… l’attaquer, c’est ébranler les fondemens de la société, créer un état de confusion dans des temps malheureux surtout… Qu’on n’oublie pas que la Grande-Bretagne peut recourir à la force physique… Nous sommes heureux et prospères…

    M. Cuviilier trouve (et a raison de trouver) singulier, que M. Neilson tienne un semblable langage, « lorsqu’il est venu lui-même faire déclarer à la chambre, dans ses résolutions, que la province avait été exposée à un long cours de souffrances et d’outrages ».

  40. Nous n’avons pu trouver dans « l’acte de la capitulation », un seul des droits extraordinaires réclamés par M. Cuvillier, celui, par exemple, de nous donner à nous-mêmes une constitution, ressemblât-elle à celle de l’an 3, de choisir notre gouverneur, ou président, &c.
  41. Voir les historiens des États-Unis.
  42. Les rédacteurs avaient évité de la baser aussi sur les propositions de M. Bourdages, reculant d’effroi effectivement, à la vue de ce qu’elles comportaient.
  43. Elle prétendait au droit d’approprier le revenu provenant de l’acte de la 14e Geo. III, chap. 88, et non sans raison, même selon le Canadian Spectator, qui voulant qu’on refusât les subsides, s’écriait en parlant de l’administration : “They have £40,000.”
  44. Le Haut-Canada venait de le contredire, et les autres colonies ne tardèrent pas à en faire de même. Quelle absurdité, en effet, de prétendre qu’une assemblée coloniale doit avoir un pouvoir que n’a pas la chambre des communes, celui d’arrêter, d’un coup, la marche du gouvernement, de créer une anarchie complète, ou d’opérer une révolution !
  45. C’était bien dommage, en effet, qu’on ne pût pas se laisser soi-même dans l’indigence, et qui mieux était y laisser ses voisins du Haut-Canada.
  46. Ces paroles étaient vraiment fatidiques !
  47. Que croirait, ou à quoi s’attendrait M. Neilson si le peuple ne consentait jamais à l’appropriation de cet argent. Sans doute à une révolution suivie de l’anarchie ou de la tyrannie, chez une nation indépendante ; à l’indépendance ou à la coercition dans une colonie.
  48. Le roi ne peut pas aller à l’encontre de la loi, et c’est ce qu’avait dit Sir James Kempt.
  49. MM. Bourdages, Fortin, Huot, Lafontaine, Méthot, Morin, Panet, Papineau, Thibaudeau, Trudel, Valois.
  50. « Le conseil législatif a rendu, suivant nous, un service au pays, en ne concourant pas à un projet de la chambre basse : nous voulons parler du bill de la paie des membres de cette chambre. Outre que le rejet de ce bill épargne à la province plusieurs milliers de livres, il empêchera que l’assemblée ne se compose, à l’avenir, en grande partie, (comme c’était, en apparence, le but de quelques-uns des fauteurs de la mesure et en particulier de M. Neilson,) que de simples cultivateurs, gens très respectables, sans doute dans leur état, mais très peu propres, généralement, à faire des législateurs*, parce que, vu l’état général de l’éducation chez la classe agricole, un très grand nombre seraient nécessairement menés et menables, à la volonté d’un très petit nombre comme l’ont remarqué quelques membres, entre autres, M. Cuvillier. » — L’Observateur.

    * Qui tenet aratrum, stimulo boves agitat, et conversatus in opesibus eorum… et enarratio ejus in filiis taurorum. Cor suum dabit in versandis sulcis, et vigilia ejus in saginâ vaccarum. Sic omnis faber et architectus, qui noctem tanquam diem transigit… Sic faber

    ferrarius sedens justa incudens eo… Sic figulus sedens ad opus suum. Omnes hi in manibus suis speraverunt, et unus quisque inarte suâ sapiens est. Sine his omnibus non œdificatur civitas ; & super sellam judicii non sedebunt, testamentum judicii non intelligent neque palam facient disciplinam et judicium. » — Ecclesiasticus, cap. XXXVIII.
  51. Après rejection d’un bill séparé à cet effet ?
  52. MM. Bourdages, Bureau, Duval, Joliette, Huot, Morin, Papineau, Thibaudeau.
  53. M. Richardson semblait récriminer, ou combattre la violence par la violence, mais sans égaler MM. Bourdages et Papineau, car il ne demandait pas que la chambre d’assemblée fût abolie, ou que les membres en fussent nommés par le roi, mais il disait (en substance), que le conseil législatif voyait avec une inquiétude extrême les concessions que le gouvernement du roi avait intention de faire à l’assemblée, offrant de lui abandonner le droit d’appliquer un revenu considérable, en considération d’un revenu comparativement modique ; que la pratique de l’assemblée, inouïe même dans les républiques, de discuter annuellement la quotité des salaires de tous les officiers publics, serait cause que ces officiers chercheraient plus à capter la bienveillance du parti dominant dans cette chambre qu’à remplir fidèlement leurs devoirs envers le public ; qu’une telle pratique devait avoir l’effet de changer la présente constitution en une république de la pire espèce, en mettant entre les mains du corps populaire le moyen d’accaparer les pouvoirs législatifs, judiciaires et exécutifs ; qu’un corps populaire, agissant sans un contrôle suffisant, est un despotisme déguisé, sous le masque de la liberté ; qu’on avait essayé d’influer sur cette chambre par des menaces et des calomnies, dans la vue de la porter à se soumettre à la volonté de l’autre chambre, &c.
  54. Dans ses propositions, M. Viger entreprenait bien moins la défense du conseil législatif qu’il ne faisait l’apologie de la chambre d’assemblée, prêchait bien plus pour son ancienne que pour sa nouvelle paroisse. On parvint pourtant à lui faire dire : « En dépit de quelques inconvéniens passagers et inhérents à toutes les institutions humaines, la constitution de cette province est propre à avancer la prospérité et le bonheur des sujets canadiens de sa Majesté, et à resserrer les liens qui les unissent à la mère-patrie. »
  55. C’était là, en effet, une des plus grandes défectuosités de notre acte constitutionnel, due, non à la « folie », encore moins à la « méchanceté », mais à une imprévoyance qui nous donna finalement une chambre d’assemblée presque « toute radicale », mais en majeure partie, révolutionnaire.
  56. Sans l’opposition patriotique de la chambre des pairs, la France voyait sous Louis XVIII, la renaissance du droit d’aînesse, des majorités, et peut-être l’abolition de la charte constitutionnelle.
  57. « On a pris des moyens pour jeter de l’odieux sur cette chambre (haute). On s’est servi de l’organe (l’orateur) de l’autre branche de la législature, qui, à sa place dans cette enceinte, et revêtu de ses priviléges, a fait usage d’expressions injurieuses et insultantes, à l’égard des conseillers en général, et s’est servi d’un langage qu’il n’aurait pas osé tenir à un seul d’entre eux, individuellement, hors de cette enceinte. » — Discours de M. Richardson.
  58. « La chambre d’assemblée a ouvertement énoncé et mis en avant des opinions jusqu’alors inouïes, et auxquelles on n’avait jamais pensé. » — Discours de M. Cuthbert.

    « Nous lisons journellement des discours de certains membres d’une autre chambre, qui nous font presque frissonner, et dans lesquels il semble s’agir de savoir si nous demeurerons sujets britanniques. » — Discours de M. Richardson.

  59. M. Young ayant appris qu’il devait être question du président du conseil législatif et qu’on se proposait d’attacher une condition au vote de son salaire, s’était rendu auprès du gouverneur, et lui avait demandé s’il voulait lui permettre de dire à l’assemblée que les juges ne siégeaient plus dans le conseil, et pour quelle raison. Son Excellence lui avait répondu qu’il pouvait informer la chambre que deux des juges n’avaient pas siégé, cette année, dans le conseil et que le troisième avait reçu avis de n'y plus aller, sans doute avec menace d’être destitué, s’il y allait encore car nous ne voyons que la crainte de perdre une charge lucrative capable de porter un homme d’honneur à se rendre à un avis, ou à obéir à un ordre aussi arbitraire. Le juge dont il s’agit ici était l’honorable James Kerr, qui avait siégé lors de la discussion du bill pour exclure les juges du conseil. Il avait fait l’éloge des juges, et essayé de prouver la nécessité ou l’utilité de leur présence au conseil législatif, qui autrement aurait pu devenir un consilium indoctum. Il avait eu tort, peut-être, de repousser, quoiqu’éloquemment, la violence par la violence, mais il avait dit avec beaucoup de vérité, que la politique faisait tourner les têtes.

    Lord Aylmer informa M. Stuart, qu’il craignait d’être contraint, quoiqu’avec peine, à acquiescer au désir de la chambre d’assemblée dans la circonstance actuelle, à moins qu’il ne fût dispensé de ce devoir, par un arrangement qui remplirait les vues de l’assemblée », c’est-à-dire sans doute, à moins que M Stuart ne donnât sa démission.

  60. « Journal historique, littéraire et politique : M. Bibaud, éditeur et propriétaire. »
  61. En d’autres termes, « pourvu que l’évêque catholique McDonell, et l’archidiacre protestant Strachan, deux des hommes les plus intègres et les plus recommandables de la province, soient exclus du conseil exécutif ».
  62. Il avait dit, en se voyant nommé dans le bill de la chambre d’assemblée, « qu’il ne cacherait point l’orgueil et la satisfaction qu’il éprouvait en se voyant nommé dans le bill, et en voyant la marque de confiance que le public semblait mettre en lui ; qu’il avait sacrifié une longue vie au service de son pays, et qu’il était heureux de voir dans cette nomination la récompense de ses travaux ».
  63. À l’Institut de Hartford, sous MM. Gaillardet et Clerc, élèves de l’abbé Sicard.
  64. On lit ce qui suit dans le Canadien du 9 novembre 1831… Notre gouverneur actuel étant allé visiter la communauté des dames Ursulines, demanda à voir l’église, et y étant rendu, lord Aylmer demanda, en regardant çà et là, où était le tombeau du genéral Montcalm, ne voyant rien qui indiquât l’endroit où il était. Ces dames lui montrèrent du doigt la place où reposait humblement le rival de Wolfe. Là-dessus, son Excellence témoigna une grande surprise de ce qu’aucune inscription ne signalait le tombeau du héros. Alors le gouverneur dit à ces dames, qu’il en ferait faire une à ses propres frais : et le 27 d’octobre dernier, elles ont reçu un morceau de marbre blanc, portant cette inscription :
    « Honneur à Montcalm,
    le destin,
    en le privant de la victoire,
    l’a récompensé
    par une mort glorieuse. »
  65. M. Bourdages fait motion, que les entrées des journaux… relatives à l’expulsion de M. Christie soient lues.

    M. Cuvillier demande au moins 24 heures d’avis.

    M. Lee demande si les lois du pays ne sont pas au-dessus des priviléges de la chambre. Expulser M. Christie, ce serait enfreindre les droits du peuple. M. Bourdages a assumé une grande responsabilité, car sans lui cette question ne se serait pas élevée, &c.

    M. Ogden : « L’expulsion n’entraîne pas l’illégibilité, c’est une nouvelle question entre la chambre d’assemblée et le comté de Gaspé. »

    M. Lagueux : « C’est une lutte, dit-on, entre la chambre et le comté de Gaspé ; si c’est le cas, qu’elle se décide immédiatement : on nous menace de l’obstination du comté de Gaspé : pourquoi la craindrions-nous ? S’il souffre par le manque d’un représentant, c’est sa faute. »

    M. Bourdages veut bien se charger de la responsabilité dont on le menace : il s’oppose à un délai de 24 heures : « Ces 24 heures ressembleraient à un sursis accordé à un criminel condamné à mort. Quand il songe à la trahison de M. Christie il regarde son expulsion comme juste, et Gaspé, insulte cette chambre, en l’élisant de nouveau. La chambre ne doit pas se laisser intimider par les menaces de ce comté. »

  66. MM. Stuart et Ogden soutinrent que la dépêche ne contenait pas explicitement l’admission en question, et votèrent, en conséquence, contre la résolution. En effet, lord Goderich n’avait fait allusion qu’aux lois nécessaires pour régler la propriété dans la province !
  67. « L’usage de 150 ans est une loi pour le pays. La voix des peuples sur cet objet est uniforme ; c’est donc la meilleure loi. La coutume suivie de temps immémorial est plus sage que toute loi qu’on voudrait mettre à sa place. Toute la province est soumise à la loi établie par la coutume, et il n’y a que quatre ou cinq paroisses qui se plaignent de cette loi. L’usage a été invariable et avantageux ; pourquoi le changer ? Il est singulier qu’on veuille proposer des remèdes pour un mal qui n’existe point. » Discours de M. Dumoulin.
  68. Il est singulier et presque inconcevable, qu’au moment où une mesure d’une telle importance devait être discutée au conseil législatif, il ne s’y trouvât qu’un seul membre catholique, d’origine anglaise ou irlandaise, et qu’il fallût le jugement solide et le profond savoir du juge-en-chef pour expliquer et faire bien comprendre à ses collègues protestants l’état de la question, ou de la chose.
  69. À l’occasion de ce résultat inattendu, et bien capable de faire désespérer de voir jamais la paix et la sécurité régner dans le pays, la Minerve, tombée aux mains qui, pendant un temps, avaient conduit, ou plutôt fourvoyé le Spectateur Canadien*, s’écrie : « Il faut qu’un ministre soit bien audacieux et effronté, pour venir encore une fois proposer à notre chambre d’assemblée d’accorder une liste civile pour la vie du roi. Le pays a réclamé sans cesse contre cette manière d’accorder les subsides. Les ministres ont reconnu la justice de nos réclamations ; ils ont promis de se conformer à nos désirs, et ils revient à la charge, pour nous bâter d’une liste civile, sans égard à leurs promesses et à leurs engagemens. » Puis vient le signalement des membres qui avaient voté pour cette liste civile de £5,900, savoir MM. Archambault, Baker, Goodhue, Heriot, Languedoc, Méthot, Panet, Stuart, Taylor.

    * (Léon Gosselin.)

  70. Le Haut-Canada venait de suppléer à cet oubli.
  71. Si ç’avait été, par exemple, la place de traducteur français, occupée peu auparavant, par un autre juge, quel mal en serait-il résulté ?
  72. Lord Aylmer fut blâmé directement, plus tard, d’avoir fait une telle promesse, et indirectement d’avoir suspendu M. Stuart.
  73. Elle venait de se voter, ou de voter à ses membres une indemnité « pour la duree du parlement ».
  74. « A-t-il demandé l’opinion du peuple, lorsqu’il a rédigé ses treize propositions de l’année dernière ? » M. Bourdages, parlant de M. Neilson. Malencontreusement M. Neilson et M. Quesnel combattent la proposition de M. Bourdages, sur le principe que le changement n’a pas été demandé par le peuple, sans réfléchir que si « le peuple a été bien conseillé » une fois, il peut être mal conseillé une autre fois, et qui pis est, « agité » le premier avant, le dernier après que M. Gugy eût cité le passage suivant d’un discours de Fox en parlement :

    « Supposons que le peuple, au lieu de cette monarchie mixte, que nous célébrons comme étant également l’orgeuil et l’envie de l’univers, nous donne pour instructions, à nous, ses représentants, d’introduire une forme démocratique de gouvernement, nous comporterions-nous en bons sujets du roi, et en fidèles gardiens de notre pays, si nous agissions conformément à des instructions aussi dangereuses ? Nous avons juré de maintenir la constitution dans sa présente forme, de maintenir les priviléges du parlement dans une partie essentielle de la constitution, et de n’empiéter ni sur la juridiction légitime des pairs, ni sur la juste prérogative du souverain. Ferons-nous donc ce qui est mal, parceque le peuple le désire, et tandis que nous sommes constitués pour garder avec l’œil du dragon le fruit de la liberté du jardin des Hespérides, serons-nous les seuls esclaves dans la nation ? »

    « Quand bien même ces résolutions seraient convenables, on choisit mal le temps pour les proposer. Ce n’est pas se conduire avec franchise et sincérité envers le gouvernement. Que les membres jettent un coup-d’œil sur la réponse du gouverneur à notre adresse de l’année dernière ; il nous supplie et conjure de lui dire si elle contient tous nos griefs… Après que notre requête a été reçue favorablement, on revient encore avec une nouvelle édition (augmentée) des griefs, et l’on en aura probablement une tous les ans. Le public pourrait bien dire à bon droit, mais n’avez-vous rien autre chose à traiter que des griefs, et parmi les nombreux objets qui méritent votre attention, toujours des griefs, rien autre chose que des griefs, il semble qu’on en a assez parlé. On se plaint que le peuple n’a pas assez d’influence dans le gouvernement : mais dans le fait nous sommes presque gouverneurs ; nous avons l’argent et tout l’argent, le nerf des gouvernemens ; les moyens de faire ou de ne pas faire. Au sujet du conseil, nous avons dit au gouvernement tout ce qu’il était nécessaire de dire, on nous a promis de travailler, et on travaille à son amélioration. Que ferions-nous sans la protection de la Grande-Bretagne ? Si nous étions laissés à nous-mêmes, avec une population de 500,000 âmes, nous serions bientôt engloutis par ceux qui sont autour de nous. Il n’y a pas de pays dans le monde dont les habitans soient plus heureux que nous le sommes. — Discours de M. Laterrière.

  75. « Les écrivains graves, qui ne parlent qu’à la raison, ne sont lus que par le petit nombre ; ceux qui s’adressent aux passions trouvent de bien nombreux lecteurs. » — De la licence de la presse.
  76. Les Irlandais soulagent leur ressentiment envers la métropole, en sympathisant avec les Canadiens. Ceux-ci par leur condition politique et par leur caractère affectueux, s’attachent et les peuplades indigènes et les troupes d’émigrans. En dehors de cette alliance, se tiennent les royalistes américains. Que d’alimens pour les opinions politiques, que de préventions surgissent, funestes aux vrais intérêts du pays ! — M. Lebrun.
  77. Si les auteurs de ces « publications » s’étaient contentés de se prononcer en termes convenables, contre une émigration systématique ou surabondante, ils ne seraient pas sortis des bornes de la liberté des opinions et de la presse.
  78. « Nous avons trop longtems toléré cette branche de la législature ; il faut l’arrêter dans sa marche… La chambre d’assemblée a le pouvoir de mettre un frein à ses écarts. Le pays doit donc appuyer la chambre dans les mesures qu’elle pourrait adopter ; autrement nous ne mériterions pas d’être libres. Bientôt, le pays en masse dira comme Caton le censeur, avec la chambre et avec nous : Delenda est Carthago. Le pays sera surpris d’apprendre la division qui a eu lieu en chambre, sur les résolutions de M. Bourdages relatives au conseil ; il peut se rassurer, car il sera adopté des mesures encore plus énergiques et plus efficaces que celles dont la chambre a eu à s’occuper à cet égard. »
  79. Résolu. Que dans un pays libre, c’est un des droits les plus sacrés pour tout sujet d’émettre ouvertement son opinion sur tout ce qui concerne le gouvernement, comme aussi de discuter librement sur la constitution de toute sorte d’autorité constituée, que même l’extrême liberté de la presse est préférable à un état de gêne où l’on ne pourrait signaler publiquement les désordres ou les abus du pouvoir qu’indirectement et avec restriction…
  80. « La polémique est parfois redondante, lourde, dans les gazettes rédigées en français : la critique pourrait être moins acrimonieuse, et plus spirituelle. » — M. Lebrun.
  81. Pour ce qui regarde les terres du clergé, il serait possible que l’arrangement fût aussi avantageux que celui des biens des Jésuites. On fait semblant de nous les céder, mais c’est à condition que la couronne, (c’est-à-dire, une classe de sangsues privilégiées), en disposera pour l’avantage de la province, qui, en retour, bâtira des casernes aux troupes du roi dont nous n’avons pas besoin car nous pourrons nous garder et nous défendre nous-mêmes… Voilà encore une des concessions qu’on veut nous prôner. Et le peuple se laissera leurrer ! Lord Goderich répond qu’il ne comprend pas bien ce à quoi il est fait allusion… que si on peut lui désigner, &c. S’il n’avait pas assez d’intelligence pour comprendre un exposé bien clair et bien circonstancié, (les accusations vagues ou plutôt les injures contre les fonctionnaires publics,) pourquoi n’a-t-il pas eu la bonne foi de demander de nouveaux renseignements à l’hon. D. B. Viger ? — La Minerve du 30 janvier.

    Le peuple tâchera d’obtenir le redressement de ses griefs par les moyens constitutionnels dont il s’est servi, quoiqu’avec peu de réussite jusqu’à présent, et si ces moyens ne réussissent point, il verra ensuite ce qu’il aura à faire. Un état bien policé peut-il permettre que quelques individus ignorans, obscurs, méprisés généralement apportent des obstacles au bonheur de cinq cent mille habitans qu’ils veulent rendre esclaves. Si ce faible corps veut employer la force et abuse de l’autorité qu’on a bien voulu, sans y penser, lui laisser pendant longtems, convient-il à des hommes libres de se laisser tranquillement enchaîner et piller ? »

  82. « Non pas pour sortir plus tôt de leur prison, suivant la Minerve, mais, dans la vue de mettre la cour et le conseil en défaut. »
  83. « Le peuple s’apercevant que ses plaintes sont méprisées, et qu’on sacrifie à quelques hommes le bonheur d’une nation, se fera justice à lui-même. Jusqu’à présent, les Canadiens ont été modérés et patiens, mais ils sont las d’être injuriés et calomniés : s’ils ne valent pas mieux que les chiens ou les chevaux anglais, ils doivent chercher l’alliance d’un peuple qui les regarde comme ses égaux, je le répète, une séparation immédiate de l’Angleterre est le seul moyen de conserver notre nationalité… C’est le sort qui nous est réservé si nous ne nous hâtons de nous rendre indépendants. »
  84. Nous pensons que le gouvernement même est intéressé à ce que la liberté de la presse soit illimitée, sous le rapport des opinions politiques, de celles mêmes qui mettent son existence en question*.

    * Quelle réponse aurait faite le Canadien à la question : Est-il permis au premier énergumène venu d’écrire ou de dire frénétiquement au peuple, par exemple, que le roi est un tyran, et qu’il faut le détrôner, que la chambre des lords, ou des pairs, est une nuisance publique, et qu’il faut l’abolir; que la chambre des communes est un ramassis de sycophantes, de fripons et de brigans, et qu’il faut s’en débarrasser ?

  85. « On nous prie de dire que l’article inséré au Mercury d’hier, le 1er  mars, commençant par ces mots : The Editor of the Albion et finissant par ceux de nimium ne crede colori, a été imprimé, non-seulement à l’insçu du chef de l’Exécutif mais a reçu de la part de son Excellence une désapprobation la plus marquée. »
  86. To lose the American voters would have been the downfall of the democratic party, and a central committee was appointed with W. L. Mackenzie for its confidential secretary. Dr . Rolf declined going to England, and Mackenzie urged so many objections against Forthergill, that he persuaded the committee to invite M. Randall, a M. P., who had suffered enough for his American birth and principles*, to undertake the journey secretely. M. R. consented. Instructions were

    * Il avait été goudronné et emplumé.

    drafted by W. L. Mackenzie… and, these with a memorial having 15, 000 signatures, Mr. R. took to England, in March of this year 1832, having previously agreed that Mr. Mackenzie would dash one or two loyal letters to the Governor General, lord Dalhousie, and sent him 500 copies for distribution in London, to pave the way for a favorable reception. The hoax was played with admiration. M. R. instanced the tone of the liberal paper as the proof of the loyalty of the republican party, and gave copies of the numbers containing the letters in proof. With the help of Mr. Hume, loyalty, asiduity and a good cause, M. R. carried his point with Lord Goderich… The Colonial Advocate began its loyal song this day, and kept it up a whole fortnight, and thus for once out generaled the politicians of England with their own weapons.” — Caroline Almanack, &c.
  87. « La grande assemblée des habitans du comté d’York, s’est tenue à York, le 3 mars. Elle a été très tumultueuse : le parti bureaucratique a eu le dessus… On a tenté d’abattre l’imprimerie du Colonial Advocate. On a levé la main sur M. Mackenzie… M. Mackenzie a été brûlé en effigie par la canaille d’York. » — La Minerve.
  88. « L’aisance dont ils jouissent à présent, après avoir connu l’extrême misère, n’a fait qu’augmenter leur dépravation originelle. Possesseurs de fermes qui les rendent indépendants des classes de la société qu’élèvent audessus d’eux l’éducation, les manières et les habitudes, ils sont, dans leur conduite envers elles, aussi hardis, aussi libres, aussi insolents qu’ils leur plaît. Ils se regardent comme étant sur le pied d’une égalité parfaite. » — M. J. Harrison, traduit par M. Isidore Lebrun, qui dit que la Revue des Deux Mondes ne leur est pas plus favorable, dans un article composé par M. Baker.

    « Quoiqu’il en soit, nous croyons devoir ajouter que les assertions de M Harrison nous ont paru trop générales, et ses réflexions trop sévères, sur le compte d’hommes qui avaient pu acquérir des propriétés foncières, et se rendre « indépendants », par leur travail et leur industrie. »