Histoire du Canada et des Canadiens sous la domination anglaise, Vol 3, 1878./Livre septième

La compagnie d'impressions et de publication Novell (3p. 278-372).


LIVRE SEPTIÈME.

Contenant ce qui s’est passé de remarquable depuis l’été de 1835, jusqu’à l’automne de 1836.


On ne tarda pas à apprendre que ce ne serait pas lord Amherst qui viendrait en Canada, comme gouverneur et commissaire royal, mais le comte de Gosford, irlandais, fait pour l’occasion baron du Royaume-Uni, sous les titres Worlingham et de Beccles, et qu’il lui serait adjoint deux autres commissaires.

Les journaux favorables à la majorité de l’assemblée avaient déjà donné à entendre qu’une enquête sur les lieux n’était pas son fait, et qu’elle s’était attendue à toute autre chose, et si les ministres avaient eu assez de vigilance et de patience pour lire, dans ces journaux, les débats et les procédés de cette chambre, cette enquête leur aurait paru absolument surperflue, car ils auraient compris que toute tentative nouvelle de conciliation, loin d’arrêter le mal, ne ferait que l’accélérer et l’accroître. Ici, il était évident que l’enquête se ferait en pure perte, sinon quant à l’instruction qui en pouvait résulter pour la métropole, du moins quant à l’amélioration de l’esprit dont étaient animés la majorité de l’assemblée et ses partisans. L’état du pays était alors déplorable sous tous les rapports ; la licence de la presse était affreuse ; nul homme tant soit peu actif ou marquant dans la province n’était à l’abri de ses traits envenimés. Les révolutionnaires semblaient devenir furieux, à la vue des obstacles opposés à l’accomplissement immédiat de leurs desseins, et les constitutionnels s’impatienter, sinon se désespérer, en voyant, ou croyant voir la carrière révolutionnaire laissée libre à leurs antagonistes. Les citoyens paisibles gémissaient des emportemens et des menaces de violence auxquelles on se livrait, de part et d’autre ; la population des campagnes, presque continuellement travaillée et agitée, depuis un nombre d’années, ne savait plus que penser de ce qu’elle voyait ou entendait dire ; une irritation presque incessante, une accablante anxiété, de sinistres présages, s’étaient emparés de tous les esprits, et sans doute, ceux même qui croyaient avoir tout à gagner à un bouleversement, n’étaient pas exempts de doutes inquiétants et d’appréhensions sérieuses.

Ce fût dans ces tristes conjonctures qu’arriva le nouveau gouverneur, sur la frégate, La Pique, le 23 août, 1835, accompagné des deux autres commissaires, sir Charles Edward Gray, et sir George Gipps. Lord Aylmer ne partit de Québec qu’un mois après l’arrivée de son successeur.[1]

Si, en arrivant, les commissaires royaux s’amusèrent à lire les journaux politiques, ils durent se former, une idée bien défavorable de la société canadienne, et ils ne tardèrent pas à se voir eux-mêmes apostrophés de la manière la plus rude, ou avisés sur le ton le plus nargueur et le plus impertinent ; et, malheureusement, l’aide du dehors venait se joindre à l’œuvre du dedans, depuis que les sieurs Chapman et Revans, ci-devant éditeurs du Daily Advertiser étaient passés à, Londres. Pour assister le nouvel agent de l’assemblée, ils avaient établi avec le Vindicator une correspondance régulière, que la Minerve traduisait régulièrement, et dans laquelle, outre la grossièreté du langage, et l’entier oubli des convenances sociales, on avait à réprouver des assertions aussi pernicieusement décevantes que notoirement fausses, des exhortations à une résistance équivalente à la trahison et à la révolte, des conseils aussi incompatibles avec la tranquillité et le bonheur du peuple, qu’avec les devoirs de citoyens et de sujets, en un mot, un mélange monstrueux de radicalisme outré, et de nivelisme absolu, et de jacobinisme, en d’autres termes, de principes destructeurs de la société civilisée.[2]

Pour revenir à l’agent de l’assemblée, il avait pris étourdiment sur lui d’exposer à lord Glenelg dans une entrevue, ce que cette chambre pensait de la commission royale, et à quelle condition préliminaire, elle serait disposée à l’accueillir, laquelle était que ses demandes lui fussent accordées en total. Le ministre exigea que cet exposé verbal lui fût donné par écrit ; et sir George Grey remit à M. Roebuck une note, dans laquelle il lui disait, que sa Seigneurie regardait cette manière d’agir comme déplacée et non autorisée,[3] et là-dessus, M. Roebuck de se plaindre de n’être regardé que comme un simple porteur de communications, de le prendre avec le ministre sur le haut ton de l’arrogance, de la colère, et de la menace, et puis d’écrire à l’orateur de la chambre, pour en obtenir formellement un pouvoir discrétionnaire, etc.

Ce fût principalement pour recevoir les communications de M. Roebuck, et approuver sa conduite, qu’il y eût, aux Trois-Rvières, au commencement de septembre, une convention ou réunion des membres de la majorité de la chambre et de la minorité du conseil. Cette convention, ou ce comité de correspondance, institué en vertu d’une des 92 résolutions, arrêta « que J. A. Roebuck, écuyer, était bien fondé à faire les représentations et à donner les explications contenues dans l’aperçu de conférence du 5 juin, et dans sa réponse au très honorable lord Glenelg, et qu’il a la plus grande confiance dans les talens et le zèle du dit J. A. Roebuck, et dans la certitude de ses démarches comme agent de la chambre d’assemblée.

À la suite de cette réunion conventionnelle fût publiée la correspondance de J. A. Roebuck, dans laquelle l’esprit du temps empêcha de voir tout ce qu’il y avait d’impertinent et de ridicule.[4]

L’ouverture du parlement provincial eût lieu le 27 d’octobre. La harangue du nouveau gouverneur fût moins remarquable par sa longueur démesurée, que par les nombreux actes d’humilité, de contrition et de bon propos, récités par sa Seigneurie, de la part, paraissait-elle prétendre, du gouvernement de sa Majesté. Lord Gosford passe en revue toutes les plaintes portées en Angleterre par les deux partis, en évitant de parler explicitement de celles qui touchaient aux principes fondamentaux de la constitution, ou aux droits du parlement impérial. Il en dit assez néanmoins pour rassurer les deux populations, et particulièrement celle d’origine et de langue française.

« Pour ce qui est d’une préférence inconvenante donnée à la langue anglaise sur la française… de la partialité pour la langue anglaise, il peut n’être pas oiseux de vous faire connaître que sa Majesté désapprouve la chose, et désire décourager et empêcher l’adoption de toute pratique capable de priver une classe quelconque de ses sujets de l’usage, dans les actes publics, de la langue que l’habitude et l’éducation leur ont rendue la plus familière, et si vous jugiez à propos dépasser un acte pour assurer ce droit aux habitans anglais et français de la province, j’y donnerais volontiers mon assentiment.

« Aux canadiens-français je dirai : ne craignez pas qu’il y ait aucun dessein de troubler l’ordre de société, sous lequel vous avez si longtems vécu heureux et contents. Quoique vous différiez des colons anglais des autres parties du monde, l’Angleterre ne peut qu’admirer les arrangemens sociaux qui ont transformé un petit nombre de colons entreprenans en un peuple d’agriculteurs bons, religieux et heureux, remarquable par ses vertus domestiques, sa patience dans le travail et les privations, son courage et ses prouesses dans la guerre. Nulle part ne se trouve la pensée de briser un système qui maintient une nombreuse population agricole, sans l’existence d’une classe de pauvres. L’Angleterre protégera et soutiendra ces prêtres bienveillants, actifs et pieux, dont les soins et les exemples ont créé et transmis, de génération en génération, tant d’ordre, de morale, de tranquillité et de bonheur. »

« Je dirai, en même temps, aux Canadiens d’origine française et anglaise, de toute classe et de toute condition : considérez les biens dont vous pourriez jouir, la situation favorable où vous vous trouveriez placés, si ce n’était de vos dissentions. Enfans des deux premières nations du monde, vous possédez un vaste et beau territoire, vous avez un sol fertile, un climat salubre, et le plus beau fleuve de la terre, qui fait de votre ville la plus éloignée un port pour les vaisseaux de mer. Votre revenu triple les dépenses qu’exigent les besoins ordinaires de votre gouvernement : vous n’avez point de taxes directes, point de dette publique,[5] nul pauvre demandant au-delà de ce que prescrit l’impulsion naturelle de la charité. Si vous étendez vos regards au-delà de la terre que vous habitez, vous trouverez que vous êtes habitans du beau patrimoine de l’empire britannique, qui vous constitue, dans toute la force du terme, citoyens du monde entier et vous donne une patrie sur tous les continens et sur tous les océans du monde. Il y a deux sentiers ouverts devant vous ; l’un vous mènera à la jouissance de tous les avantages qui sont en perspective devant vous ; par l’autre, vous vous en priverez, et vous engagerez ceux qui n’ont en vue que votre prospérité dans la route la plus sombre et la plus difficile. »

Dans son adresse en réponse à ce discours, la chambre d’assemblée attribue au gouverneur des admissions, des concessions, ou des promesses qu’il n’a pas faites, ou les représente autrement qu’il ne les a faites, passe sous silence des énonciations importantes, et introduit imparlementairement des matières étrangères, ou même contraires à la teneur explicite ou implicite de la harangue. Elle dit d’abord, et contradictoirement à la vérité notoire et publiée de diverses manières : « Nous ne devons pas manquer ici de déclarer respectueusement à votre Excellence, que la masse du peuple de cette province, sans distinction, considère l’obtention du principe électif, et son application à la constitution du conseil législatif en particulier, comme d’une nature essentielle aux besoins, à l’état et au bonheur des fidèles sujets canadiens de sa Majesté. » Et puis : « Nous demandons qu’il nous soit permis d’assurer votre Excellence, que les représentations qui ont été faites par cette chambre, et par le peuple, au sujet de la constitution actuelle de la législature de cette province, l’ont été après mûre délibération, et après un long examen des principes du gouvernement, et des événemens passés, avec une conviction consciencieuse… Nous avons demandé l’application au conseil législatif du principe d’élection. L’opinion générale du peuple ajoute à notre ferme conviction qu’aucun arrangement d’une nature administrative et temporaire ne pourrait produire l’harmonie que nous avons à cœur avec votre Excellence, dans le but de voir les droits, les intérêts et les besoins du peuple pleinement et, efficacement représentés dans la législature. »

Quoique la chambre avouât clairement qu’elle ne représentait pas « pleinement et efficacement » les droits, les intérêts et les besoins du peuple, qu’elle ne laissât entrevoir de paix dans le pays qu’après qu’on lui aurait aidé à détruire la constitution par laquelle elle existait, et que son adresse fût loin d’être conforme au discours du gouverneur, son Excellence ne put en entendre la lecture « sans paraître donner des signes d’approbation. » Elle remercia gracieusement, en français d’abord et ensuite en anglais, les 52 membres de la majorité qui la lui présentèrent, et (comme marque de sa satisfaction sans doute,) présenta la main à M. l’orateur Papineau, qui, dans un long discours, avait dit, entre autres choses étranges, que l’adresse était un chef-d’œuvre, et s’était servi de termes que son Excellence avait apparemment pris pour des complimens, loin de les regarder comme des injures.

Si la réponse de l’assemblée fût un chef-d œuvre, celle du conseil fut une œuvre chétive, la plus chétive quant au fond et à la forme, que ce corps eût jamais faite à un discours d’ouverture : pas un mot au sujet des dépenses contingentes, que le gouverneur s’était dit autorisé à payer aux deux chambres, et qui devait comprendre des sommes contre le paiement desquelles le conseil avait protesté, comme étant illégal, et sans doute aussi le salaire alloué au nouvel agent de l’assemblée, dont une des attributions semblait être de diffamer le conseil législatif ; pas un mot contre la détermination continuée de rendre le conseil législatif électif c’est-à-dire d’anéantir le conseil existant, qui, en effet, semble par son adresse avoir voulu cacher son existence, ou n’avoir pas compris ce qu’il a entendu lire, dont un passage lui fournissait l’occasion de renouveler l’assurance de son attachement à la constitution et aux institutions du pays, et dont d’autres allaient à peu près à dire qu’à l’avenir, la vie et les biens des citoyens paisibles seraient laissés sans protection dans les élections contestées, et que le gouvernement mettrait sa confiance dans les hommes les plus populaires ; ce qui pouvait signifier des démagogues et des boute-feux, etc. Enfin par cette réponse, le conseil semblait se donner lui-même pour un corps purement nul, débonnaire, faisant abnégation de lui-même, passif ou à peu près pour ne s’occuper que des griefs de la chambre d’assemblée, comme bien fondés.[6]

Après cette réponse digne au plus d’un conseil législatif électif, on est presque surpris que ce corps nait pas consenti à se suicider, sur l’invitation que lui en fit M. Debartzch.[7]

Lord Gosford ne tarda pas de trouver une nouvelle occasion de témoigner à la chambre d’assemblée combien il était satisfait de tout ce qui se disait et se faisait dans son sein. M. Huot ayant proposé, le 9, qu’il fût présenté au gouverneur une adresse, le priant d’expédier son warrant pour la somme de £22,000, pour les dépenses contingentes de la chambre, et cette adresse lui ayant été présentée le 11, son Excellence répondit au messager : « Messieurs : en conformité à ce que j’ai dit dans mon discours, à l’ouverture de cette session, j’accède avec plaisir à la prière de cette adresse. »

Les mots de surérogation avec plaisir, ou de bon cœur (cheerfully), au moins très-inconvenants dans la conjoncture, indignèrent les uns et firent rire les autres, aux dépens de celui qui les avait prononcés, et qui avait ainsi sans qu’on l’on eût prié, blâmé ouvertement son prédécesseur, et offensé gratuitement le conseil législatif, par le désir trop marqué de faire sa cour à la majorité de la chambre d’assemblée.

Le même jour, 11 novembre, lord Gosford répondit de la manière la plus courtoise à quatre autres adresses que la chambre lui avait présentées avant de répondre à son discours d’ouverture, savoir : « Relativement à la nomination de Samuel Gale, écuyer, pour être un des juges de la cour du banc du roi ; » ayant rapport aux accusations portées par la chambre d’assemblée contre le juge Kerr ; « par rapport au Collège des Jésuites servant de casernes, et au bail des Forges de Saint-Maurice, » et « au sujet des instructions du duc de Richmond pour accorder des terres aux officiers et hommes de milice qui ont servi durant la dernière guerre. »[8]

La proposition faite par M. Morin, de continuer J. A. Roebuck, agent de l’assemblée fournit à M. Papineau le prétexte d’un discours où il avoua, enfin, ouvertement ce qui avait été demandé souvent par M. Stuart et autres, « ou en veut venir l’orateur ? » excita une énergique réclamation de la part de M. Power, et donna à M. Clapham et à M. Gugy l’occasion de dire ce qu’ils pensaient de l’agent et de l’agence que voulait la majorité de la chambre.[9]

Pendant que lord Gosford cherchait, par ses paroles et ses actions extra-constitutionnelles, à se rendre favorable à la majorité de l’assemblée, il mécontentait sérieusement ceux qui étaient opposés aux vues de cette majorité. Les constitutionnels eurent à Québec et à Montréal, au commencement de décembre, des assemblées où ils exprimèrent violemment le mécontentement que leur causait la tournure donnée aux affaires par le nouveau gouverneur général. L’homme que les propositions révolutionnaires de M. Bourdages, les diatribes inflammatoires de M. Papineau, les 92 résolutions même, n’avaient pu faire sortir de son sang-froid, ou n’avaient que faiblement ému, M. John Neilson, ne se rappelant plus le 28 mars 1831, est mis comme hors de lui-même, à la vue de ce qui se passe, et semble, dans son dépit, justifier le meurtre de Charles I, la rébellion d’Écosse, l’insurrection des colonies de l’Amérique, l’agitation de O’Connell, avec tous ses accompagnemens.

À Montréal, le mécontentement se manifesta, non seulement par des discours et des articles de gazettes entachés de violence et d’injures contre le gouverneur, mais encore par des actes d’une nature plus grave, entre autres, par la formation d’un « corps de carabinier bretons,[10] dans le but d’aider, autant qu’il dépendrait d’eux, à maintenir l’union qui existait entre la Grande-Bretagne et le Bas-Canada, » etc. Aux pétitions envoyées au gouverneur, pour le prier de sanctionner ce projet, lord Gosford fit répondre pertinemment ; « Qu’il ne regardait pas comme étant en danger l’union et les droits dont les pétitionnaires parlaient, et que, s’ils l’étaient, leur préservation serait mieux garantie par l’autorité du gouvernement, que par ]a formation, dans un temps de paix profonde, d’un corps armé à la demande de particuliers ; qu’une telle mesure tondrait moins à avancer les bons desseins qu’ils avaient en vue ; qu’à troubler la paix publique, qu’il était déterminé à maintenir contre toute attaque, de quelque point qu’elle vint, par tous les pouvoirs que lui donnait lu loi. »

Cette réponse fut donnée le 28 décembre. Le Herald et la Gazette déclarèrent qu’elle serait regardée comme non avenue ; que le corps de « carabiniers bretons » n’en continuerait pas moins à se former, et qu’au lieu d’être composé de 800 hommes, suivant le plan original, il le serait de 10,000, et le 7 janvier (1836), il y eût une « assemblée générale du corps des carabiniers bretons » où il fût adopté des résolutions en harmonie avec cette détermination.

Le gouverneur répondit à ces dernières résolutions par une proclamation, condamnant les procédés des résolutionnaires « comme illégaux et s’écartant des principes reconnus de la constitution, et ordonnant aux magistrats de s’y opposer, et à tous les sujets du roi d’aider ces derniers à maintenir la paix, » etc.

Un peu plus tard, lord Gosford fit faire la réponse la plus obligeante et la plus gracieuse, sans aucun mélange de regret, à une adresse où l’on donnait du gouvernement de son souverain, de tous les fonctionnaires publics, et particulièrement des administrateurs de la justice, une idée capable de faire frissonner, accompagnée de l’éloge de l’ennemi le plus acharné de ce gouvernement.[11]

Déjà, dans quelques comtés, il y avait eu des assemblées où l’on avait donné à entendre que les « Bretons » ne s’organisaient probablement que dans le dessein d’attaquer et de massacrer les « patriotes » et qu’il fallait, en conséquence, se tenir prêt à voler au secours de ces derniers.

Un correspondant de La Minerve, qui dans quelques parties de sa production, donne lui-même l’exemple d’une licence poussée jusqu’à l’incendiarisme, décrit ainsi avec vérité l’état des choses sous ce rapport :

« Si l’on examine d’un œil attentif l’état actuel de la presse en Canada, on aura peine à croire que nous vivions dans un pays civilisé. On le dirait plongé dans un état complet d’anarchie et de révolte. À dire vrai, nous n’en sommes pas bien loin… Les honnêtes gens qui ont à cœur l’état de leur pays, déplorent vivement cet état de choses, et gémissent de voir ainsi tant de journaux entre les mains d’intrigans sans noms, sans responsabilité aucune, que le moindre revers ferait fuir au-delà des lignes. Depuis quelque temps surtout, rien n’est respecté, ni le caractère privé des citoyens, même des plus respectables, ni le secret des familles. Plusieurs ont été en butte aux plus infâmes délations… Les liaisons de la plus sainte amitié ont été traduites devant le public, sous les couleurs les plus odieuses, et l’on a fait des affaires les plus importantes un thème de brutales plaisanteries. On fait des bouffonneries de tout. Les mensonges les plus éhontés sont à l’ordre du jour. »…

Il y avait déjà longtems que la presse licencieuse ôtait au pays l’apparence de la civilisation, mais c’était surtout depuis que « le radicalisme était à l’ordre du jour, et qu’à son dire, il allait triompher partout, grâce à l’exemple donné par le Bas-Canada. » Les usages ordinaires de la politesse et du bon ton disparaissaient dans les déclamations parlementaires, dans les harangues au peuple assemblé, dans les résolutions des assemblées de campagnes, et dans les articles de gazettes. En fiers républicains, ou en vrais démocrates, les harangueurs, les résolutionnaires et les folliculaires refusaient aux personnages les plus élevés de la métropole et de la colonie leurs titres honorifiques : c’était tout simplement Peel, Stanley, Spring Rice, tandis que, par une étrange contradiction, le titre de monsieur n’était jamais omis devant les noms des niveleurs Hume, Roebuck, Chapman, Bevans, Mackenzie et autres, et que le titre d’écuyer, souvent refusé à qui l’avait de droit, était prodigué à d’obscurs patriotes, qui certainement n’y avaient jamais eu la moindre prétention. Le Herald imitait en cela le Vindicator et La Minerve, et dans le langage de ces journaux, la brutalité se joignait parfois à la grossièreté.

Pendant que le Vindicator et La Minerve semblaient se laisser tromper grossièrement par leurs correspondans gagés de Londres, sur ce qui devait advenir politiquement en Angleterre, ils trompaient leurs lecteurs, en les assurant que, dans le cas d’un « mouvement, » ou d’une insurrection, les habitans des autres colonies britanniques feraient cause commune avec les Canadiens, ou les patriotes du Bas-Canada. La correspondance radicale et révolutionnaire de Londres ne contribuait pas peu, malgré son extravagance, à confirmer dans cette opinion des hommes sans instruction et irréfléchis, et surtout à influer déplorablement sur les procédés de la chambre d’assemblée, auxquels il nous faut revenir.

En suivant jour par jour ces procédés, on ne pourrait qu’ennuyer et fatiguer le lecteur. Pour éviter cet inconvénient, nous ne voyons d’autre moyen que de suivre tantôt les hommes, et tantôt les mesures, sans trop nous astreindre à l’ordre chronologique.

Par la mort de M. Louis Bourdages, la chambre d’assemblée avait perdu le plus vigilant et le plus scrupuleux gardien de ses privilèges réels et imaginaires ; mais elle avait acquis dans l’irlandais élu d’emblée au comté d’Yamaska, le plus ardent vengeur de sa dignité, de sa toute-puissance, de son omniscience et de son infaillibilité. Nommé président du comité des griefs, il ne se contenta pas d’examiner le présent et de pourvoir pour l’avenir ; il scruta minutieusement le passé, avec ses collègues, et eût à signer des rapports, dont plusieurs ne peuvent être regardés que comme des libelles diffamatoires et inflammatoires. Une de ses premières réminiscences fût une requête présentée par les juges au ci-devant gouverneur, pour se plaindre de ce qu’ils étaient rendus dépendants de la chambre d’assemblée, et demander à ne dépendre que du gouvernement pour leurs émolumens, etc. Cette requête qui, suivant lui, avait excité la surprise et l’indignation du public, il en veut demander copie au gouverneur, et quoique ce soit là son seul but, en apparence, il ne s’en croit pas moins autorisé à s’écarter de son sujet, pour invectiver furieusement contre lord Aylmer, « l’homme à qui on ne pouvait se fier, qui ne faisait des promesses que pour les violer, » et qui, au lieu de dire aux juges de s’abstenir de faire, des remarques sur la chambre, accueille favorablement leur requête, et l’accompagne d’observations à eux favorables ; qui, durant la maladie du juge en chef, dans la dernière cession, prend un juge de la cour du banc du roi pour présider le conseil législatif, et se mêler dans les tourbillons de la politique ; qui profite de la première occasion qui s’offre pour placer ou récompenser Samuel Gale, etc.

Quoique M. Clapham ne pût voir que les juges eussent manqué à leur devoir, ou « enfreint les privilèges de la chambre, » en demandant non une faveur, mais ce qui leur était dû, et qu’il ne pût vouloir qu’ils fussent retenus dans la dépendance de la chambre, la proposition de M. E. B. O’Callaghan fût agréée, la demande faite au gouvernement, et la réponse suivante reçue de son Excellence.

« Après mûre réflexion, et malgré tout le désir possible de me rendre aux désirs de la chambre, je sens que je ne puis, en consultant mon sentiment de devoir public, et dans le consciencieux exercice d’une discrétion inséparable de la haute charge que je remplis, accéder à la demande faite dans cette adresse. »

Ce sont des paroles presque mielleuses qu’on vient de lire, si on les compare à la kyrielle d’injures proférées dans le 4ème rapport du comité permanent des griefs, contre le « ci-devant gouverneur en chef, » qui a rompu ses promesses, violé ses déclarations, et s’est joué des ordres du roi son maître,[12] et a retenu M. Gale sur le banc, malgré l’ordre formel de son supérieur. Ce rapport, signé E. B. O’Callaghan, se terminait ainsi, aussi oiseusement qu’impertinemment :

« Votre comité conclut que M. W. lord Aylmer… a grossièrement abusé des pouvoirs dont il était revêtu, et de la confiance que le roi son maître avait reposée en lui, et s’est rendu coupable de hauts crimes et délits ; qu’il a été dans l’habitude constante d’abréger et de mutiler diverses dépêches qui lui étaient transmises par les ministres du roi, avant de les communiquer à la législature provinciale, et qu’il a par là volontairement changé et dénaturé les vues et les intentions du roi ; qu’il a, d’une manière flagrante et à plusieurs reprises, désobéi aux instructions du roi ; qu’il a souvent, au grand détriment des intérêts de la province, refusé de communiquer, ou faussement nié qu’il eût en sa possession, des renseignemens que votre honorable chambre lui demandait,… qu’il a volontairement et malicieusement trompé le gouvernement du roi, sur les vues, les opinions et les vœux de votre honorable chambre, qu’il a essayé en plusieurs occasions, de détruire les privilèges, constitutionnels de la branche représentative de la législature de cette province ;[13] qu’il s’est efforcé par des conseils méchants et pervers, d’induire les serviteurs de la couronne en erreur sur des matières qui concernaient le bien-être de cette province, et qui affectaient les droits et les libertés du bon peuple du Bas-Canada, et que par là il a mis en danger la sûreté et l’union de cette province à, l’empire britannique. »

Dans son 5ème rapport, presqu’entièrement dirigé contre le juge Gale, le comité des griefs, ou son président O’Callaghan, prétend faire voir que ce monsieur a été pendant plusieurs années, un partisan violent et prononcé de l’administration odieuse du comte Dalhousie, et qu’il s’est conduit, dans sa vie publique, de manière à perdre toute la confiance du peuple de cette province, et finit, par « l’opinion qu’une humble adresse soit présentée au gouverneur en chef, priant son Excellence de prendre instamment des mesures pour faire destituer le dit Samuel Gale de sa charge de juge. »

À cette singulière, pour ne pas dire impertinente adresse, lord Gosford répondit, après avoir récapitulé les chefs d’accusation :

« Tous ces allégués se rapportent à une date antérieure à la nomination de M. Gale comme juge, mais je ne trouve aucun exposé relativement à la conduite qu’il a tenue subséquemment à cette nomination, ni conséquemment aucun motif qui puisse m’autoriser à considérer s’il devrait être pris immédiatement des mesures pour sa destitution : sa nomination a été confirmée par la prérogative royale, et à moins de quelque inconduite de sa part, comme juge, il ne serait pas compatible avec la sûreté qui doit toujours s’attacher à cette charge, lorsqu’elle est remplie convenablement, que je considérasse s’il devrait être destitué pour des actes commis avant l’approbation donnée par sa Majesté à son élévation au banc de la justice. » Cette réponse fût considérée par la chambre, et le résultat de la considération fût une série de résolutions inqualifiables, adoptées à la majorité de 37 contre 7, et une adresse au roi de la même teneur, impliquant la nullification de la prérogative royale de nomination, l’assomption de l’autorité exécutive de destitution, et la prétention d’exercer exclusivement la puissance de législation.

Dans le temps même où la majorité de la chambre d’assemblée montrait cet acharnement contre le juge Gale, les journalistes, fauteurs de cette majorité nommaient par voie de suggestion, comme devant probablement remplacer, à la grande satisfaction du public, le juge Kerr, (destitué ou démissionnaire,) des hommes dont une violente politique de parti, dans le sens opposé au gouvernement, faisait, depuis de longues années l’occupation principale, pour ne pas dire l’unique occupation.

Au même E. B. O’Callaghan, ardemment secondé, sinon préalablement excité par M. Papineau, fût dû principalement un autre procédé odieux autant que déplacé de la chambre d’assemblée. Le parlement du Haut-Canada avait été ouvert le 14 janvier, et dans sa harangue, le lieutenant-gouverneur avait fait allusion aux troubles politiques du Bas-Canada, comme diminuant l’émigration, etc., et avait dit que la constitution serait maintenue, ou demeurerait intacte dans les différentes colonies. Cette dernière assertion surtout avait infiniment déplu à M. Papineau, qui, le 22 janvier, à l’occasion d’un rapport contre l’annexion du district de Gaspé au Nouveau-Brunswick, n’avait pu de défendre de s’écarter de l’état de la question, et l’avait pu faire sans être rappelé à l’ordre, pour déverser sur Sir John Colborne tout ce que le dépit peut inspirer de dénonciations odieuses et insultantes, et comme pour donner suite à ces dénonciations, quelques jours, plus tard, M. E. B. O’Callaghan attira l’attention de la chambre, en répétant quelques-unes des expressions de M. Papineau, sur les parties du discours de Sir John Colborne qui regardaient le Bas-Canada. « Ces remarques nous intéressent vivement, dit-il, en tant qu’elles regardent nos efforts pour changer la constitution, qu'il dit ne devoir pas l’être. Si en disant que la constitution sera fermement maintenue on entend qu’aucun changement n’aura lieu dans la composition des conseils exécutif et législatif, il est temps que la chambre en prenne connaissance, et s’assure si de telles expressions sont autorisées, ou non. Nous nous devons à nous-même, nous devons à nos amis du Haut-Canada, qui, comme nous, désirent l’introduction du principe électif, de prendre connaissance de ces expressions ; » et il demande que la chambre se forme en comité, le 11 (jour où il devait y avoir un appel nominal,) et la proposition est agréée par 41 contre 7, malgré ce que M. Power et M. Gugy purent dire à ce contraire.

Les observations fondées, sinon opportunes, de Sir John Colborne ne déplurent pas moins aux députés niveleurs du Haut-Canada, qu’à leurs amis du Bas-Canada : « Nous regrettons profondément, » ôsèrent-ils dire, dans leur réponse au lieutenant-gouverneur, « que votre Excellence ait été avisée de commenter les affaires de notre sœur province, qui s’est trouvée engagée dans un combat long et périlleux pour obtenir une indispensable amélioration de ses institutions et du mode de son administration. Nous exprimons respectueusement, mais fermement notre respect pour ses efforts patriotiques, et nous la lavons de tout soupçon d’être la cause des dissentions et des difficultés qui existent dans le pays. »

Le 11 février, M. E. B. O’Callaghan présenta une série de résolutions, la plupart révolutionnaires, sinon conspiratrices, dont la 4ème portait, en substance, « que la chambre avait vu avec une vive inquiétude la harangue prononcée par le lieutenant-gouverneur du Haut-Canada, à l’ouverture du parlement de cette province, dans un moment où son rappel subit comportait une espèce de censure sur le mérite de son administration, » et la 6ème et dernière, « que l’orateur de la chambre soit autorisé à transmettre des copies des résolutions précédentes aux orateurs des assemblées du Haut-Canada et des autres provinces britanniques, et à confirmer le désir de la chambre de coopérer cordialement avec les dites assemblées dans toutes les mesures constitutionnelles propres à avancer les intérêts mutuels de ces colonies. »

Le discours incohérent qu’il prononça à l’appui de ces résolutions et du rapport auquel elles servirent de bâse aurait pu être considéré comme celui d’un conspirateur, à la suite de tout ce qui s’était déjà fait et dit d’étrange dans la chambre d’assemblée.

Le seul M. Gugy entreprit de répondre au divagant et fougueux membre pour Yamaska, et cela, au grand déplaisir de M. Papineau, qui répliqua sur le ton accoutumé, et malgré une supplique assez longue de M. Gugy, les propositions furent agréées par 49 contre 6.

Avant de changer de sujet, nous avons à parler d’une autre incongruité de la chambre d’assemblée. Sir Francis Bond Head venait de succéder à Sir John Colborne. Le nouveau-lieutenant gouverneur s’était trouvé en présence d’un parlement ouvert par son prédécesseur : la chambre d’assemblée s’était empressée de lui demander communication des dépêches adressées aux commissaires royaux, et son Excellence n’avait fait aucune difficulté de les lui commumquer. Le 13 février, « M. l’orateur Papineau mit devant la chambre des documens reçus du Haut-Canada. » Cette démarche extraordinaire occasionna des débats dont nous croyons devoir rapporter les principaux traits.

M. Bedard : «  Ces documens étant une communication privée, ils ne doivent être ni reçus ni reconnus par la chambre. »

M. Morin : « Ce sont des documens d’une importance majeure pour le pays, et qu’on doit recevoir avec reconnaissance, n’importe d’où et de qui ils viennent, et je propose qu’ils soient couchés sur nos journaux. »…

M. Lafontaine : « Les règles parlementaires varient suivant l’équité et les circonstances : la législature peut établir des antécédens où il n’en existe pas déjà. »

M. Vanfelson : « L’orateur n’a pas le droit constitutionnellement de faire cette communication à la chambre : il en est le serviteur, et non le maître. Il ne s’agit pas du droit d’établir des antécédens, mais de considérer si, en le faisant, on ne compromet pas la chambre. »

M. Bedard : « Le chiffon dont il s’agit, et qui ne mérite pas qu’on s’en occupe, est loin d’ébranler la confiance qu’on doit avoir dans le gouvernement de sa Majesté. Ces documens ne nous sont pas transmis en vertu d’une résolution de la chambre du Haut-Canada. Va-t-on donner à la communication du greffier de cette chambre une autorité qu’il n’a aucun droit quelconque d’y attacher ?… à moins qu’on ne veuille jetter du louche sur la conduite du gouverneur. »

M. Lafontaine : « Il ne s’agit pas maintenant de blâmer le gouverneur, bien qu’il eût dû nous informer des vues du bureau colonial. »

M. Bedard : « Nous ne pouvons nous en prendre au gouverneur, quand nous-mêmes nous ne voulons rien avoir à faire avec la commission. »

M. Lafontaine : C’est la première réponse indirecte qu’on nous donne aux 92 résolutions. L’honorable membre comme père des 92 résolutions, devrait être plus empressé qu’aucun à recevoir ces documens. »

La proposition de remettre au surlendemain la motion de M. Morin, ayant été négativée par 48 contre 24, M. Vanfelson propose que le comité des privilèges s’enquière si la communication faite par l’orateur est parlementaire, ou non.

M. Berthelot : « La chambre vient de décider cette question. Quelle est la position de la chambre ? Elle a voté 92 résolutions : le pays entier a souscrit à son vote… plus j’y réfléchis, plus je suis convaincu que la chambre n’a demandé que ce qui est juste, et que tôt ou tard, elle l’obtiendra. »

M. Vanfelson : « Il dépend maintenant de la chambre de sacrifier, ou d’assurer le bien du pays. »

M. O’Callaghan : « Il était du devoir de l’orateur et de la chambre d’agir comme il l’ont fait, quand nos droits sont en danger, comme il paraissent l’être évidemment. Le conseil, source de tous nos maux, il y a à peine espérance de le changer. Quant au revenu territorial, héréditaire et casuel, on ne veut l’abandonner que conditionnellement. C’est insulter le pays, que d’en venir à de telles conclusions. On demande maintenant une liste civile pour dix années ; c’est se jouer de la colonie. »

M. Viger (L. M.) : Les instructions sont de nature à nous faire croire qu’on ne veut pas nous rendre justice, pas plus qu’au Haut-Canada, et quoique pour les commissaires, elles auraient dû nous être communiquées par le gouverneur ; mais il n’était peut-être pas prudent de souffler le chaud et le froid en même temps. »

M. Clapham : « Je ne trouve aucune différence entre les dépêches et le discours du trône. Quant au conseil électif, on n’a jamais prétendu en faire une question à décider indépendamment du parlement britannique, ou en elle-même suffisante pour arrêter les subsides, et conséquemment la marche du gouvernement. »

M. Morin : « La dépêche est contraire à nos espérances lors de la réponse au discours du gouverneur …il aurait dû ne pas regarder nos 92 résolutions sur l’état de la province, comme 92 résolutions sur l’état des chemins. »

M. Gugy : Si l’honorable membre pour Montmorency (M. Bedard), est opposé à la réception de ces documens, c’est qu’il sent qu’il n’y a plus d’espérance pour son objet favori… L’autorité du roi est opposé à un conseil électif. La chambre a maintenant le moyen de connaître l’opinion des conseillers constitutionnels de sa Majesté, et je me flatte qu’elle mettra fin à une question vexatoire, que les ennemis de la chambre disent être indigne d’un peuple loyal… Ma foi politique est de soutenir toute administration qui peut nous faire sortir d’un sentier épineux, d’un état qui harasse et vexe la population. »

La motion de M. Vanfelson ne fût appuyée que de 20 votes contre 55. Quelques jours plus tard, lord Gosford transmit à la chambre d’assemblée, d’une manière plus correcte et plus complète, « des copies de toutes les parties des instructions qui avaient trait aux sujets traités dans les extraits reçus par la chambre du Haut-Canada, » en lui disant « qu’il n’a simplement qu’à ajouter qu’il a déjà énoncé, dans sa harangue, à l’ouverture de la session, le sens dans lequel ces instructions sont comprises par ceux qui doivent les mettre à effet, » etc.

Le système de diffamation générale, mis en pratique depuis quatre ou cinq ans, devait être suivi d’un système général d’accusations publiques, lorsque l’occasion paraîtrait favorable : le commencement de l’administration de lord Gosford parut fournir cette occasion, et la chambre d’assemblée s’en prévalu. Les 92 résolutions avaient fourni à l’art oratoire un genre nouveau, inconnu aux autres pays civilisés, et ce fût dans ce nouveau genre de parler et d’écrire, que M. J. T. Deblois, avocat et membre de l’assemblée pour le conté de Bonaventure, accusa John Gouler Thompson, écuyer, juge pour le district inférieur de Gaspé. L’acte d’accusation porte que le dit J. G. Thompson « s’est rendu coupable de grands crimes et de malversations, assez innocemment néanmoins, ou nécessairement, s’il était vrai que ce fut par suite de son imbécilité naturelle, de son insuffisance, du côté de l’intelligence, du caractère et de la sagacité ; d’un manque de convenance et de dignité dans sa conduite ; de son aversion et de son incapacité générale pour l’exécution de ses importans devoirs ; et en conséquence de sa négligence, de son ignorance, et de son mépris des lois du pays : qu’il était partial, capricieux, arbitraire et vindicatif, faisant servir son pouvoir de juge à l’assouvissement de ses passions, et le rendant un instrument de vengeance. Et puis il avait refusé illégalement de prêter son ministère en sa capacité de juge ; entravé, arrêté même le cours de la justice ; accordé à ceux dont il désirait avancer les intérêts une protection injuste, et menacé de son ressentiment plusieurs sujets de sa Majesté, influencé indirectement, menacé, opprimé, tyrannisé plusieurs officiers de la cour, siégé illégalement, s’était absenté du district ; au grand préjudice des sujets de sa Majesté, s’était lié d’intimité, à la dernière élection, avec les ennemis déclarés de la liberté du peuple. Enfin le dit juge avait outrepassé sciemment sa juridiction, et substitué sa volonté à la loi du pays, et par sa conduite, ses actes, ses opinions, ses liaisons, et ses intrigues, avait fait perdre aux sujets de sa Majesté toute confiance dans la cour provinciale, et amené un état de choses tout à fait propre à aliéner l’affection des susdits sujets de la personne et du gouvernement de sa Majesté. »

Des accusations ainsi formulées devaient être bien accueillies par une majorité qui, sans doute, ne voulait pas qu’on prît des voies indirectes ou détournées pour faire perdre au peuple son affection pour la personne et le gouvernement de sa Majesté, et elles devaient être faciles à prouver contre un homme qui nuisait par son absence comme par sa présence ; qui faisait le mal sciemment, quoiqu’il ne dût pas savoir ce qu’il faisait ; qui exerçait une influence indue, bien qu’il dut être sans influence quelconque ; enfin, entaché de tous les vices et défauts imaginables ; et, de plus, coupable de hauts crimes et délits. »

Il n’en fallut pas tant pour faire accueillir favorablement l’accusation portée par un jeune clerc-avocat du nom de Hart contre l’honorable Edward Bowen, un des juges du district de Québec. C’était M. Gugy qui s’était chargé de présenter la plainte ou requête de M. Hart. Elle était « vague, indéfinie, mal libellée, mal faite : » elle accusait généralement M. Bowen d’avoir été partial, d’avoir été corruptible, ou corrupteur ; d’avoir été mû par la passion, sans spécifier où, quand, ni comment. Elle n’en fût pas moins référée au comité des griefs. Le juge Bowen n’était pas à Québec quand ces plaintes furent accueillies par la chambre, aussitôt qu’il le put faire, il demanda par pétition que l’accusateur fût requis de spécifier et particulariser ses accusations, se proposant d’y répondre, etc. M. Bedard proposa qu’il fût enjoint au comité d’exiger de M. Hart qu’il spécifiât et particularisât les accusations qu’il avait à porter contre l’honorable juge. C’était une chose à laquelle l’accusateur n’avait pas songé, et dont il était, en apparence, absolument incapable. Aussi résultât-il de la proposition de M. Bedard des débats où quelque membres, particulièrement MM. Papineau, Gugy et O’Callaglhan, parurent vouloir mettre de côté les formes ordinaires de la justice ; mais où aussi, MM. Bedard, Berthelot, Caron, Power, Vanfelson et Clapham firent voir que les sentimens de l’équité et de la convenance n’avaient pas été entièrement étouffés dans la tourmente causée par les 92 résolutions.

Pour revenir à M. Papineau, son seul but parut être de rendre odieux à ses auditeurs le juge Bowen et de le faire regarder comme coupable, censurant, en même temps injurieusement ceux des membres qui prenaient sa défense, ou qui voulaient qu’on observât à son égard quelques formes de justice.[14] On aura une idée de son long et virulent discours par ce qu’en dit celui qui parut s’en offenser d’avantage.

M. Bedard : « Il ne convient pas à l’honorable orateur de parler de la sorte… Les sarcasmes qu’il jette sur le pétitionnaire et sur ceux qui défendent ses droits, méritent d’être repoussés avec dédain. L’honorable orateur, qui partout et à, toute occasion, proclame pour lui-même la pureté de ses motifs et de ses actes, n’est pas disposé à accorder aux autres ce qu’il croit être son droit inhérent. Du moment que nous ôsons différer d’avec lui, nos motifs sont en butte à ses observations sévères et irréfléchies. Tantôt, c’est la crainte, tantôt, un autre motif aussi peu généreux, cherché et allégué comme la cause de notre diversité d’opinion, comme s’il était impossible de différer d’avec lui pour de bons motifs et consciencieusement. Il ne suffit pas de rendre justice ; il faut encore observer la forme et les règles de la justice. »

Les accusations pour malversations contre l’honorable W. B. Felton, commissaire des terres de la couronne, furent plus spécifiques, quoiqu’elles eussent été formulées et conduites dans le secret, par un comité spécial, et que la connaissance ne lui en fût venu que par la publication du rapport de ce comité, qui avait rempli un devoir pénible, suivant M. Gugy, en demandant de le déclarer indigne d’exercer aucune charge de profit ou d’honneur, sous le gouvernement de sa Majesté. M. Felton s’adressa au gouverneur pour, se plaindre de cette manière de procéder à son égard, et le prier de lui fournir l’occasion de repousser les accusations portés contre lui par « un corps hostile, » devant le tribunal qu’il lui plairait d’indiquer. Cette réclamation excita, de la part de M. Papineau, des emportemens, des expressions, et assertions si étranges qu’elles n’eussent pas été probablement entendues silencieusement si M. Gugy n’eût pas été partie principale dans l’accusation. Ce membre qui semblait s’être chargé du rôle d’accusateur public, de « procureur pour la chose publique, » comme s’exprima M. Papineau, et qui, comme ce dernier, semblait vouloir mettre en jugement, ou faire destituer tous les fonctionnaires, eût à changer de rôle, à devenir d’accusateur, défenseur, dans le cas de son père, l’honorable Louis Gugy, conseiller législatif et shérif du district de Montréal.

La chambre avait nommé, assez à propos, un comité spécial, pour s’enquérir des honoraires et revenus, perçus en vertu de leurs charges respectives, par les shérifs, les protonotaires et autres. Ce comité avait appelé par devant lui comme témoin l’honorable Gugy, et lui avait fait un nombre de questions sur les différentes sources et le montant de son revenu, la tenue de ses livres, les dépenses de son bureau. Peu satisfait de ses réponses, qui ne parurent pas s’accorder avec le livre bleu que lord Gosford avait livré à la chambre, le comité fit venir devant lui M. Francis Perry, premier clerc-commis du shérif. M. Gugy avait répondu comme un homme à qui l’on fait des. questions imprévues, qui ne soupçonne ni piège ni but ultérieur dans l’interrogatoire, ou qui attache peu d’importance à une stricte exactitude. Les réponses de M. Perry sont, au contraire, si promptes, si précises, si déterminées, qu’il semblerait avoir eu une connaissance préalable des questions qu’on avait à lui faire, et qui allaient à obtenir des réponses contradictoires à celles du shérif. Ce que M. Gugy ignorait, M. Perry le savait parfaitement ; il trouvait la plus grande facilité là où le premier avait vu beaucoup de difficulté, ou même l’impossibilité ; enfin, c’était moins un témoignage contradictoire qu’une accusation indirecte. Il n’en fallut pas d’avantage pour fournir au comité spécial le sujet d’un rapport fulminant terminé par des résolutions « foudroyantes » portant en substance :

« Qu’au lieu d’agir avec bonne foi et franchise envers le gouvernement, il l’a trompé de propos délibéré et par des motifs corrompus, et a pratiqué envers lui un système de fraude et de déception propre à le déconsidérer, etc. Que, dans un examen, il a volontairement et malicieusement donné un faux témoignage, etc., et s’est rendu indigne de jouir de la confiance du gouvernement de sa Majesté, etc., et comme si l’on eût craint que ces conclusions ne fussent pas suffisantes pour rendre M, Gugy odieux ou suspect au gouvernement et au public, on voulut encore le rendre responsable de la mort d’un misérable du nom de Collins décédé dans la prison de Montréal.

La présentation de ce rapport occasionna en comité général des débats longs et animés, où MM. Papineau et Lafontaine parlèrent fortement à l’appui de la conclusion, et où M. Gugy déploya habilement les ressources de l’art oratoire pour la défense de son père ; mais l’honorable Louis Gugy pouvait dire de la majorité de la chambre d’assemblée ce qu’en avait dit M. Felton : « Depuis longtemps, ce corps nourrit, à mon égard, des imputations calomnieuses et malicieuses, » et son défenseur se trouvait dans une position désavantageuse ; la manière dont on procédait contre son père, il l’avait approuvé contre d’autres, et tout récemment contre les honorables Bowen et Felton, et il ne put rien gagner, en prétendant qu’il n’y avait pas de parité. « La chambre, » dit M. Lafontaine, « a été comparée (par M. Gugy) à un grand-jury, et me dira-t-on qu’un grand-jury appelle l’accusé pour se défendre ? Il ne faut pas être avocat pour dire que non. Ceux qui ne donnent à la chambre que les pouvoirs d’un grand-jury doivent admettre qu’elle peut porter des accusations sans entendre l’accusé, en laissant là décision finale à un autre tribunal, où l’accusé peut se défendre. »

MM. Blaekburn, Clapham et Power purent dire à cela, que le comité n’avait pas formulé son rapport sous la forme de simples accusations, mais sous celle de conviction et de condamnation, avec conclusions au châtiment ; mais M. Gugy avait approuvé ce mode de procédure contre le juge Kerr et contre M. Felton, et il s’était fait (comme membre de la chambre apparemment,) une idée erronée, suivant nous, de la convenance, en cette occasion. Il aurait voulu que son père eût été prévenu officiellement des accusations portées contre lui, pour avoir l’occasion de se disculper, et comment ? en prenant pour juges ses accusateurs, avec toutes leurs préventions contre lui, sur la sellette, pour ainsi dire, devant un comité de la chambre.

La chambre voulut renouveler ses accusations contre le juge du district inférieur de Saint-François, et elle accusa de malversations, etc., le shérif Witther, du même district, et M. D. Chisholm, coroner et greffier de la paix, aux Trois-Rivières. Les accusations contre le premier furent trouvées mal fondées ; le second fût destitué.

Nous arrivons à la grande et principale question pour le gouvernement, celle des subsides.

Le comité permanent des comptes publics ayant présenté ses rapports, il fût donné connaissance des propositions à soumettre en comité général, et dont la substance était : 1°. Que dès l’instant où les sujets canadiens de sa Majesté ont joui de l’exercice de leur droit à un gouvernement représentatif, la chambre d’assemblée de cette province a été revêtue du droit constitutionnel de contrôler tout le revenu public prélevé en icelle, sous quelque forme que ce soit ; 2°. Que, quoique ce droit des communes de cette province ait été admis en principe, à plusieurs reprises, et par le gouvernement de sa Majesté, en Angleterre, des administrations provinciales, appuyées par un conseil législatif vicieusement constitué, et où leurs membres et employés dominaient, ont presque constamment, depuis l’année 1818, nullifié cette partie importante et essentielle de la constitution, en élevant et introduisant illégalement dans la pratique, des prétentions exhorbitantes, quoiqu’indéfinies et variables, au contrôle absolu de portions considérables du revenu public, sujet au contrôle de cette chambre, dont les dites administrations violaient ainsi les droits inhérens et les salutaires attributions ; 3°. Que pour accroître la proportion du revenu public ainsi soustraite au contrôle des représentans du peuple, et pour se donner de plus amples moyens de gouverner arbitrairement, les dites administrations provinciales, appuyées comme ci-dessus, se sont illégalement créé de nouveaux fonds à même le domaine public de cette province, au moyen de systèmes non autorisés par la législature provinciale, et opposés aux intérêts et aux besoins des habitans de ce pays, et en soumettant une étendue considérable de ce domaine à l’agiotage et au monopole ; 4°. Qu’au moyen de ces prétentions et de ces actes, les dites administrations provinciales ont dépensé dilapidé des sommes très considérables des deniers publics, partageant les dites sommes entre leurs membres et leurs créatures, et entre les ennemis de cette chambre et du peuple pour rétribuer de prétendus services secrets et des actes subversifs des droits des habitans de cette province, pour payer des sinécures, perpétuer le cumul indu des emplois publics, maintenir dans leur irresponsabilité des fonctionnaires prévaricateurs, et pour satisfaire des prétentions auxquelles cette chambre avait trouvé plus avantageux pour le bon gouvernement, ainsi qu’elle l’avait solennellement déclaré, par ses votes, de n’appliquer aucune partie des deniers du peuple,[15] et que par là, les dites administrations ont réussi à se soustraire à la surveillance et à l’autorité de la législature provinciale, et en particulier à celle de cette chambre, à qui appartiennent spécialement la garde et l’emploi du revenu ; 5°. Que de cette violation de la constitution est résulté l’enchaînement de spéculations frauduleuses, de corruption, de péculat, d’oubli de devoir et de mépris pour cette chambre et pour le peuple, qui a régné avec impunité dans presque tous les départemens administratifs et judiciaires de cette province, et que l’espèce de gouvernement qui en est résulté a été une combinaison oppressive et hostile propre à aliéner la confiance du peuple et à le laisser sans protection, et à la merci d’hommes violents et corrompus, qui avaient accaparé tous les pouvoirs de l’état ; 6°. Que cette chambre, dans la vue d’obtenir l’exercice de ses droits inhérens, là réparation des abus nés de leur violation, et les garanties constitutives que l’expérience a démontré être nécessaires pour en prévenir le retour, a agi sagement et constitutionnellement, et a travaillé au plus grand avantage du gouvernement de sa Majesté et de ses sujets, en cette province, en se déterminant, dans avant-dernière session, à retenir les subsides, et à faire connaître aux hautes autorités constituées du Royaume-Uni sa détermination d’obtenir par ce moyen conforme à l’usage du parlement et à l’esprit de la constitution, la réparation des griefs et abus, et les réformes et améliorations nécessaires au bien-être des fidèles sujets canadiens de sa Majesté, dans lesquelles demandes, contenues dans les adresses de cette chambre des 1er mars 1834, et 28 février 1835, cette chambre persévère et est décidée à persévérer ; 7o. Que cette chambre et le peuple ont vu avec regret, que depuis l’époque des dites adresses, la même application indue du revenu, et les mêmes grandes dilapidations du domaine public avaient fourni aux dites administrations provinciales les mêmes moyens de se soustraire à l’opération de la constitution et à l’autorité de cette chambre, ainsi que de paralyser l’effet des mesures adoptées par les représentans du peuple pour obtenir la réparation des griefs et abus, et les réformes et améliorations voulues par le peuple, et d’éloigner l’époque où ce résultat devra avoir lieu, et que ce regret du peuple et de cette chambre a été augmenté, lorsque, dans l’intervalle, en addition aux amples moyens ci-dessus laissés au mauvais gouvernement, les ministres de sa Majesté se sont immiscés sans autorité entre cette chambre et les employés provinciaux sujets à son contrôle, et ont autorisé le paiement de ces derniers en contravention directe à la détermination de cette chambre, et à même des fonds quelconques, et que la distribution de nouvelles ressources fournies à l’administration de la colonie a été de nature à perpétuer plusieurs des maux qui ont affligé ce pays ; 8°. Mais que voulant témoigner sa confiance dans le gouvernement de sa Majesté, ainsi que dans les principes d’ordre et de sagesse, énoncés par le gouverneur en chef, dans sa harangue, etc., cette chambre s’est déterminée à prendre en considération les divers messages, comptes et documens à elle transmis par son Excellence, demandant de subvenir à certains arrérages de dépenses du gouvernement civil, et de pourvoir aux besoins de l’année courante ; 9°. Que cette chambre, réitérant ses déclarations des sessions antérieures, avant de procéder à l’octroi des subsides, et déterminée à tenir pour responsables et à amener à comptabilité ceux qui auront participé à l’emploi illégal du revenu de la province, est disposée, pour les motifs et dans les vues ci-dessus, à accorder, durant la présente session, telle partie des arrérages qui lui paraîtra juste et conforme aux principes d’après lesquels elle a résolu de procéder, et à pourvoir de même aux besoins du service, durant l’année courante ; 10°. Que cette chambre dans la persuasion que ses droits continueront à être respectés, procédera à rembourser, par un don de sa part, au gouvernement de sa Majesté, telle partie des paiemens avancés à même d’autres fonds que ceux de la province, qui lui paraîtra avoir été appliqué d’une manière conforme aux bases établies ci-dessus ; 11°. Qu’entre les déclarations et les actes de l’administration actuelle qui engagent cette chambre à se départir, durant la session actuelle, de sa détermination de retenir les subsides, l’assurance donnée par son Excellence, que sa Majesté est disposée à admettre que le contrôle des représentans du peuple sur tout argent public payable à sa Majesté, ou à ses officiers, dans la province, est propre à rétablir l’influence légitime de cette chambre sur toutes les branches du gouvernement, etc. ; 12°. Que jusqu’à ce que ce résultat puisse avoir lieu, il convient d’assurer la comptabilité envers la chambre de tout le revenu public qui sera prélevé dans l’intervalle, et en particulier, des fonds qui ont été l’objet des prétentions de l’autorité exécutive seule. »

Personne ne fut ému, paraît-il, en entendant la lecture de cette oiseuse et fougueuse déclamation dans le genre et le style des 92 résolutions, dont plusieurs des membres commençaient à rougir, sans doute, sans pourtant l’avouer ouvertement, et M. Bedard crut beaucoup faire, en modifiant de cette manière la fin de la 9ème résolution du comité : « Cette chambre est disposée à accorder, dans la présente session, tant les arrérages que les dépenses du gouvernement civil pour l’année courante, conformément à l’esprit et l’intention d’un certain arrangement dont sont convenus nos agens, l’Hon. D. B. Viger et A. N. Morin, écuyer, dans une conférence qu’ils eurent avec le très honorable T. S. Rice, alors secrétaire d’état de sa Majesté pour le département colonial, le 22 juin 1834… dans le cas où le gouvernement ferait des démarches qui tendraient à créer des dispositions à la confiance. »

L’histoire de M. Bédard, ou le cas dont il exigeait l’éventualité, parut à M. Fortin assez grave pour mériter d’être considéré, le 11 février, après un appel nominal. Cette proposition, faite le 25 janvier, parut étrange à plusieurs membres, et donna lieu à des débats longs et intéressants,[16] qui furent terminés par une division de 28 contre 29 pour l’appel nominal. Une motion de M. DeWitt, pour remettre au 11 février la considération des rapports du comité permanent des comptes publics fût agréée, à la majorité de 31 contre 28, après de nouveaux débats.[17]

Ceci avait lieu avant la communication des extraits des instructions des commissaires royaux, faite par M. W. L. Mackenzie à M. Papineau, et par ce dernier à la chambre, et avant les observations de quelques journalistes du Bas-Canada, à l’appui du but que le sieur Mackenzie s’était proposé, en faisant cette communication ; et cela explique pourquoi, après que l’appel nominal n’avait pu être emporté qu’à la majorité d’une voix, la proposition faite par M. Morin, le 8 février, de prendre en considération l’état de la province, fût agréée par 49 contre 4.

Voyons quelle était la teneur de ces instructions, qui paraissaient avoir causé un changement si extraordinaire de dispositions dans la chambre d’assemblée, en nous bornant aux questions du conseil législatif et des finances.

Conseil Législatif. « Le roi a la plus grande répugnance à consentir à ce qu’on discute la question, si l’un des principes essentiels du gouvernement provincial subira quelque changement. Les assurances solennelles, tant de fois données que le système serait maintenu, s’opposent à ces innovations, et semblent même en interdire la discussion. Mais sa Majesté ne veut pas absolument fermer le champ aux recherches, mêmes sur une question par rapport à laquelle Elle doit déclarer qu’Elle ne peut entrevoir pour le présent aucune cause raisonnable de doute… Le roi n’est pas prêt à nier qu’on ne puisse modifier avec avantage, sous quelques rapports, le plan d’après lequel le conseil législatif est constitué, ou que le conseil ait commis quelques erreurs pratiques, et que l’on doive prendre quelques précautions pour en prévenir le retour. Mais quand bien même ces suppositions se vérifieraient pleinement, il resterait encore à démontrer par les preuves les plus concluantes et les plus circonstanciées, qu’il est nécessaire d’en venir à un changement aussi vital et aussi essentiel que celui que demande la chambre d’assemblée.[18] Il faut se rappeler que la forme de la constitution provinciale dont il s’agit n’est pas une expérience moderne… Un conseil nommé par le roi, et possédant dans la législature un droit égal à celui des représentans du peuple, est une branche permanente, invariable de la constitution britannique coloniale, dans toutes les possessions transatlantiques de la couronne à l’exception de celles qui sont sujettes à l’autorité du roi en conseil, Dans quelques-unes des colonies, cette constitution a existé pendant près de deux siècles. Avant que les États-Unis aient été reconnus comme nation indépendante, il y en avait une dans toutes les parties des possessions britanniques non comprises dans les, limites des colonies établis par des chartes royales. »

Finances. Après avoir passé par diverses phases, la question des finances a enfin prit la forme suivante : la chambre d’assemblée réclame le droit d’aproprier tous les revenus de la province au service public, selon sa discrétion. Cette réclamation s’étend aux revenus prélevés en vertu de tous les actes britanniques et provinciaux, qu’elles qu’aient pu être les conditions primitives de ces octrois ; aux fonds provenant de la vente des bois et des terres incultes de la couronne, à toutes les amendes et confiscations ; et aux revenus provenant des droits seigneuriaux, dont, le roi a hérité de ses prédécesseurs. Enfin, on déclare que l’autorité de la législature sur le revenu et les dépenses de la Province est si étendue qu’elle abroge toutes les concessions que les représentans du peuple canadien ont faites autrefois, après mure délibération… Je me contenterai ici d’appeler l’attention à un fait certain : c’est que les rois d’Angleterre ont, de tout temps, par le droit de leur couronne, possédé certaines sources de revenu qui leur appartenaient à eux particulièrement, et dont on ne pouvait les dépouiller sans leur consentement. Dans les temps modernes, le contrôle du parlement sur ce revenu a été établi à l’avènement de chaque souverain au trône, par un pacte solennel entre la couronne et les chambres des lords et des communes. Si donc le roi était disposé à insister sur la loi, l’ancien usage, ou l’analogie constitutionnelle, sa Majesté pourrait aisément faire triompher le droit qu’elle a de disposer des revenus territoriaux, héréditaires et casuels de la couronne, dans le Bas-Canada, pour le maintien du gouvernement civil, dans cette partie de ses possessions. Mais désirant que son règne soit un règne de contentement pour ses sujets canadiens, sa Majesté est disposée à ne pas se prévaloir de ce droit… S’il n’y avait que des intérêts pécuniaires on question, le roi n’hésiterait pas à faire cette cession d’une manière permanente et sans condition… L’importance réelle qu’il y a d’attacher à l’abandon des revenus héréditaires et territoriaux quelque réserve ou quelques conditions, pour le soutien du gouvernement civil et de l’administration de la justice, est appuyée sur des considérations beaucoup plus élevées que celle d’une nature pécuniaire. Il y a des objets qui paraissent essentiels au bien-être des sujets canadiens de sa Majesté, et que l’on ne pourrait obtenir, si l’on faisait cet abandon inconditionnellement. En envisageant la question sous ce point de vue, sa Majesté ne doit pas céder l’appropriation des fonds que la loi et la constitution ont placés à sa disposition, sans faire une stipulation que sa sollicitude seule lui a suggérée pour l’avantage commun de son peuple. Un des premiers objets que sa Majesté est obligée de retirer de cet état précaire, c’est l’indépendance des juges et l’administration intègre des lois. Depuis le commencement de son règne, sa Majesté a fait des efforts constants et persévérants pour rendre les juges des cours supérieures du Bas-Canada indépendants, tant de la couronne pour la possession de leurs charges, que des représentans du peuple pour leurs émolumens annuels…[19] Il est pleinement reconnu que les juges devraient tenir leurs charges, non pas durant le plaisir du roi, mais durant bonne conduite, et que leurs salaires devraient être payés, non pas suivant le plaisir de la branche populaire de la législature, mais au moyen de fonds suffisants destinés irrévocablement à cet objet. La sollicitude que sa Majesté doit avoir pour le bien être du peuple du Bas-Canada semble s’opposer à l’abandon des revenus de la couronne à la disposition de la législature à moins que celle-ci n’accorde une liste civile suffisante pour le soutien du gouvernement… Des difficultés continuelles entre la chambre d’assemblée et le pouvoir exécutif, au sujet des émolumens des principaux officiers de la couronne, ne feraient qu’avilir le caractère de ces officiers, et particulièrement du gouverneur, à qui les prérogatives de la couronne ont été déléguées. La tendance de ces difficultés aurait inévitablement l’effet de faire perdre à ces fonctionnaires l’estime publique, et de les faire regarder comme des pensionnaires dépendant de la libéralité tardive des représentans du peuple, tandis que le bien commun de la société exige évidemment qu’ils soient respectés comme ministres du roi, qui, quoique soumis à une juste responsabilité, doivent exercer avec liberté et indépendance les pouvoirs qui leur ont été confiés pour l’avantage du public. L’agitation continuelle d’une question si susceptible d’être envisagée sous un jour odieux, est à peine compatible avec la marche calme et ferme de la partie la plus importante des affaires publiques dont sont chargés les fonctionnaires les plus élevés du gouvernement. Cette agitation pourrait aussi leur faire tort directement, ainsi qu’à la société à la tête de laquelle ils sont placés, en mettant continuellement en question, d’une manière offensante, la rémunération qu’ils reçoivent… Discuter, d’année en année, si l’on accordera ou non, des subsides pour payer ces fonctionnaires, ce serait presque reconnaître que l’existence de ces charges est elle-même une question qu’on peut débattre tout les ans… Il est particulièrement nécessaire que l’autorité royale, représentée par les officiers de sa Majesté, soit reconnue très distinctement, comme un des principes inhérens du système social,… et on doit les mettre à l’abri de toute influence et de tout soupçon d’être influencés par la crainte ou la faveur. Les intérêts de la liberté et d’un bon gouvernement exigent que ceux sur la fermeté et la constance desquels le maintien de l’ordre et de l’autorité des lois dépend principalement, n’attendent pas leur subsistance de la faveur d’un corps qui partage et réfléchit la plupart des mouvemens variables de l’esprit public.

Tels sont les principaux motifs qui m’ont porté à conclure que le roi ne pouvait, en consultant les intérêts de ses sujets canadiens, abandonner le contrôle que sa Majesté exerce maintenant sur le revenu héréditaire et territorial, si ce n’est moyennant une liste civile suffisante. Quant au montant qui doit-être demandé, on pourrait le baser sur les propositions très modérées du comte Ripon. Mais comme sa Seigneurie se proposait de retenir pour la couronne le revenu héréditaire et territorial, en demandant une liste civile plus forte, on agirait parfaitement en harmonie avec le principe qu’il a émis. J’ai énuméré les divers sujets qui, je crois, peuvent avec raison former partie des conditions de l’arrangement pour la cession des revenus de la couronne, ce sont l’indépendance des juges ; l’établissement d’une liste civile ; la régie des terres incultes et la continuation des pensions existantes. Ces conditions acceptées, sa Majesté s’abstiendra de demander le contrôle sur aucune partie du revenu de la province, soit pour secourir des serviteurs publics fidèles, affligés par le poids de la vieillesse ou de la maladie, ou même pour récompenser des personnes d’un mérite éminent, mais donnera ses ordres aux gouverneurs de la province de présenter les réclamations de ces personnes à la justice et à la libéralité de la chambre d’assemblée. »

Il n’était pas besoin de tant de raisonnemens pour prouver des choses évidentes d’elles-mêmes, ou pour convaincre des hommes ayant la capacité et la volonté d’entendre raison. Mais la plupart des membres de l’assemblée avaient été mis par les 92 résolutions, par les harangues qu’ils avaient entendues et par les gazettes qu’ils avaient lues, dans un état d’exaltation ou de maladie mentale qui semblait leur ôter tout pouvoir de juger et d’agir rationnellement. Un des plus violemment travaillé de cette malheureuse maladie de l’esprit, était l’irlandais O’Callaghan. Selon lui, « les droits du pays étaient évidemment en danger ; on se jouait de la patience de la colonie ; on insultait le pays » et la majorité parût être finalement de son avis, car le premier résultat de la connaissance de ces instructions, qui étaient bien les plus sages et les plus libérales qui eussent encore été rédigées pour le Bas Canada,[20] fût une longue adresse : « À la très-excellente Majesté du roi, » dans le genre et sur le ton de celle qui avait été basée sur les 92 résolutions. Ces instructions ont tellement indigné, exaspéré les membres de la majorité de la chambre, qu’ils ne peuvent promettre, mais qu’ils désirent seulement de « ne pas s’écarter des sentimens de respect dus à la personne sacrée de sa Majesté, et que requièrent d’eux ses royales attributions. » Les suivre dans toutes leurs étranges assertions, énonciations de principes, prétentions et invectives, serait une tâche longue et fastidieuse, aussi nous bornerons-nous à ce qui nous en a paru en être la quintessence.

Après s’être crus obligés de remercier sa Majesté d’avoir rappelé lord Aylmer, ils paraissent dire qu’ils ne s’étaient pas attendus qu’on leur refuserait formellement des conventions du peuple, ni qu’on en viendrait à aucune détermination finale de maintenir d’une manière absolue, les préventions élevées de temps à autre, sur divers sujets de politique coloniale, par les ministres responsables de sa Majesté, lesquels avaient suscité les réclamations de la chambre et du peuple, non plus qu’à un système réprouvé par de mémorables exemples. Ce n’a été qu’avec de vives appréhensions qu’ils ont été portés à supposer que « les recherches autorisées par sa Majesté, pour rendre justice à ses sujets canadiens, étaient, sur plusieurs des points les plus essentiels, limitées par des opinions préjudiciables et des décisions anticipées, » et ils déclarent nettement que « le délai occasionné par les enquêtes annoncées ne servira qu’à enhardir les ennemis du peuple de cette province et du gouvernement de sa Majesté dans leur espoir de division et de violence ; et puis ils osent affirmer que le peuple du pays, sans distinction, regarde le conseil législatif, tel qu’à présent constitué, comme factieusement opposé à ses institutions, à son état de société, à ses sentimens et à ses besoins, et comme ayant été et devant être le boulevard le plus fort de l’opposition et des abus, et ils paraissent vouloir que leur simple affirmation tienne lien de preuve. Ils se donnent ensuite le plaisir de démentir le secrétaire colonial, en disant qu’ils regardent un conseil législatif « à vie » comme « un essai entièrement étranger aux principes et à la pratique de la constitution britannique, » et l’accusent tout crûment d’avoir fait, dans ses instructions, une pétition de principes, en supposant une analogie qui n’existe pas. Puis vient le contraste entre le démérite du conseil législatif et le mérite de la chambre d’assemblée ; mais, quoique ce soit un mérite à la chambre basse de travailler à l’entière destruction de la chambre haute, si l’on tentait d’introduire des changemens dans la représentation du peuple, il en résulterait la destruction de tous les liens qui unissent le peuple à la Grande-Bretagne, et il regretterait son allégeance. » Toutes les représentations contre les procédés et les démarches, contre la chambre, « sont calomnieuses et faites pour soutenir les abus des administrations passées, » car ce n’est pas elle qui veut le renversement de « l’ordre, » ce sont ceux qui veulent maintenir la constitution de 1791, et conserver le conseil législatif ; et puis, ils ont la satisfaction de voir que les habitans de toute croyance et de toute origine sont satisfaits de la part qu’ils ont dans la représentation provinciale, et que les citoyens de la classe la moins nombreuses reconnaissent l’esprit de justice et d’amitié fraternelle avec lequel, etc.[21] Ils veulent ensuite qu’il leur soit permis de représenter à sa Majesté qu’il ne dépend pas d’un secrétaire colonial de limiter les sujets dont il sera permis à la chambre et au peuple de s’occuper, etc., et de cette infraction des libertés du sujet par un serviteur responsable, ils ôsent appeler à l’autorité suprême de l’empire, et à celle de sa Majesté siégeant en sa haute cour de parlement. Au sujet de l’indépendance des juges, ils regrettent d’avoir été mal entendu dans leurs efforts pour y donner effet ; mais « depuis les modifications qui, suivant eux, ou M. Papineau, ont empiré le conseil législatif au lieu de l’améliorer, les ont persuadé qu’il n’y avait aucun avantage à procéder sur les mêmes bâses ; ” mais ils se réjouissent d’avoir dans leurs justes demandes l’appui de leurs frères du Haut Canada.[22] Enfin, « ce ne sera que lorsqu’ils auront l’espoir de voir réparer leurs maux et leurs griefs qu’ils rechercheront le mode d’effectuer les désirs de sa Majesté, par rapport à une allocation d’une nature permanente, » etc.

Le second résultat est expliqué par ce qui suit : « Le 22 février, la chambre s’étant formé en comité sur l’état de la province, M. Morin se leva et dit : « Vû que le pays est encore dans l’état où il était sous les administrations précédentes ; que bien peu de griefs, et seulement des griefs secondaires, ont été redressés, que les mesures les plus importantes pour le pays sont encore en discussion, et que les dernières dépêches du ministre colonial annoncent une disposition à maintenir les abus, la chambre doit continuer à garder son attitude d’opposition à ce système, et à employer le moyen constitutionnel de forcer les ministres à faire les concessions demandées, à accorder le contrôle des deniers publics et le conseil législatif électif. On ne doit pas voter la liste civile, tant que justice ne sera pas faite au pays ; mais pour fournir à, lord Gosford le moyen de faire marcher son gouvernement, et de travailler à l’œuvre de la réforme, je proposerai que la chambre se départe un peu de sa sévérité, et lui vote les subsides nécessaires pour subvenir aux dépenses du gouvernement, durant six mois… Je me flatte que nous réussirons à adopter des mesures qui conviennent à notre propre honneur et à la prospérité du pays, dont le sort nous est confié… Quant à la question des finances et à l’octroi d’une liste civile, il y a peu de doute qu’avant de nous en occuper, il faudrait que nous eussions plus d’espoir d’obtenir justice. D’ailleurs, les conditions auxquelles on voudrait que la chambre se soumit dans le vote des subsides, afin d’obtenir le contrôle des revenus, sont de nature à ne pouvoir jamais rencontrer les vues de cette chambre. La prétention de vouloir soustraire au contrôle de la chambre certains grands fonctionnaires publics déjà trop irresponsables, détruirait entièrement le système d’administration responsable que nous voulons introduire dans le gouvernement colonial. La distinction et l’appropriation de certaines sources de revenu, qu’on veut soustraire au contrôle des représentans, est une autre prétention non moins étrange, et à laquelle nous ne pouvons pas accéder. »

Après ces observations, M. Morin, secondé d’abord par M. Child, et ensuite par M. Perrault, soumit les propositions suivantes :

« 1°. Cette chambre ayant résolu de s’adresser à sa Majesté et au parlement du Royaume-Uni, pour leur exposer l’état du pays, et en particulier les opinions des représentans du peuple sur diverses vues et déterminations des ministres de sa Majesté, est décidée à accorder à sa Majesté les subsides nécessaires pour l’époque du 25 janvier dernier au 15 juillet prochain.

« 2°. Pour assurer l’effet des votes de cette chambre, elle s’abstiendra, dans la circonstance actuelle, de spécifier dans le bill, les fonds particuliers appropriés ; mais elle déclare, de la manière la plus solennelle, que cet acte de sa part, ne pourra être invoqué comme précédent contre les résolutions de cette chambre du 16 mars 1833, et du 21 février 1834, ou contre les droits constitutionnels de cette chambre et les libertés du peuple de cette province. »

M. Vanfelson se lève et dit :… « Il s’agit de décider s’il ne conviendrait pas de faire une trêve de quelques mois… ou si nous devons encore arrêter la marche du gouvernement ; en un mot, nous en sommes à délibérer sur cette question : voterons-nous, ou refuserons-nous les dépenses de l’année courante ? Tous les membres doivent sentir quelle est notre position, et comprendre que, quelle que soit la démarche que nous prenions, la responsabilité en devra peser sur nous, que nous seuls déciderons du sort du pays, soit que nous adoptions la proposition présentée, ou celle que je vais présenter en amendement. »

En continuant M. Vanfelson montre une habilité peu commune dans l’art de parler et de persuader : faire contraster les administrations passées et la présente, est un de ses grands moyens ; et pour mieux parvenir à son but, il flatte les passions, feint de partager pleinement les préjugés de ceux à qui il s’adresse : il exagère les prétendus torts du dernier gouverneur envers l’assemblée, de lord Aylmer, « qui refusait de reconnaître un des droits les plus sacrés de la chambre, celui qu’elle avait à la communication de tous les documents publics, qui avait refusé à la législature les avances nécessaires pour procéder aux affaires… C’était dans ces circonstances que la chambre usant d’un droit extraordinaire, auquel on ne doit recourir que dans les cas d’urgence, avait, pour forcer le gouvernement impérial à remédier efficacement aux abus, passé les mémorables 92 résolutions… Plusieurs griefs sont réparés ; un grand nombre sont en voie de l’être. On a rappelé lord Aylmer… On nous a envoyé un gouverneur civil… On nous a fourni la communication des documents et dépêches… Le cumul des emplois, le gouverneur s’est engagé à faire Cesser cet abus. Il reste une mesure principale, une question vitale, celle du conseil législatif : elle sera aussi prise en considération. Le présent gouverneur ne nous a pas seulement accordé nos dépenses contingentes, il l’a fait de la manière la plus humiliante pour nos adversaires politiques. Non seulement les promesses, mais les actes mêmes de lord Gosford, jusqu’à ce jour méritent la confiance de la chambre. »

M. Vanfelson n’entend pas se départir des 92 résolutions, il ne veut qu’en suspendre l’exécution, à l’exemple de O’Connell, ce ferme et inébranlable patriote de l’Irlande, qui n’a pas jugé inconvenable de suspendre l’agitation pour la révocation de l’union. « Pourquoi, » s’écria-t-il, « ne suivrions-nous pas un pareil exemple ? Pourquoi n’ajournerions-nous pas nos prétentions jusqu’à l’année prochaine ? Peut-être que dans l’intervalle, l’administration actuelle nous rendra justice… Si notre attente est déçue, il nous sera libre de reprendre notre attitude première et d’y persévérer. »

Après son discours, dont nous n’avons pas rapporté la dixième partie, M. Vanfelson propose,

« Que cette chambre, voulant témoigner sa confiance dans les principes d’ordre, et de justice énoncés par son Excellence le gouverneur actuel, dans sa harangue prononcée du trône… et conservant le ferme espoir que les efforts du gouvernement de sa Majesté pour rendre pleine justice aux habitans du pays, seront continués sans relâche avec une libéralité éclairée, et suivie prochainement de succès, il est expédient de voter, tant les arrérages des dépenses du gouvernement civil que les subsides nécessaires pour les dépenses de l’année courante, eu égard, » etc.

Cette proposition était bien la plus raisonnable et la plus prudente qui pût être adoptée dans la conjoncture ; mais elle ne parut pas telle à ceux qui ayant oublié que toujours le salut du peuple devrait être la loi suprême, avaient pris pour devise : « Tout ou rien, arrive que pourra. »

Après qu’un assez long silence eût régné dans l’assemblée, M. Lafontaine se leva et prononça un discours où ne manquèrent ni l’énergie, ni le raisonnement dans le sens extrême des 92 résolutions de la chambre, mais où l’on remarque ce paradoxe, que « l’effet de la motion de M. Morin doit être de donner au gouvernement une plus grande preuve de confiance qu’on ne semblerait le faire par la motion en amendement.

M, Papineau succéda à M. Lafontaine, et parla, pendant plus de trois heures. » Son début est celui d’un orateur adroit : « Nous en sommes à examiner l’état de la province, et à voir s’il y a dans la situation politique du pays, des circonstances nouvelles, qui puissent justifier la conduite de ceux qui semblent déserter la cause de la patrie, se séparer de cette immense majorité de nos concitoyens qui ont directement approuvé et ratifié sur les hustings, la conduite des membres qui avaient voté les 92 résolutions, et qui ont fait justice, dans presque toute l’étendue de la province, de ceux qui avaient voté contre ses résolutions, parce que leurs opinions ne coïncidaient pas.» avec les opinions, et froissaient les intérêts de la grande masse du peuple. Il s’agit de savoir si les circonstances sont telles que nous puissions en appeler de la décision du peuple, oublier nos engagemens envers lui, nous constituer juges au-dessus de nos maîtres, nous rire de notre mandat, et dire qu’il suffit de nous être assuré un siége dans le parlement pour quatre, ans, pour pouvoir tout ôser, tout faire… qu’il sera, facile, au moyen de palinodies, de faux-fuyans, de tergiversations, de regagner, de re-surprendre la confiance publique pour ensuite tromper encore »…

Après ce préambule, le discours, devient divagant, et ne consiste plus guère qu’en assertions incapables de preuve, exagérées ou paradoxales ; en phrases parfois éloquentes et presque poétiques, mais le plus, souvent forcées d’expressions triviales et injurieuses ; particulièrement dirigées contre les commissaires et la commission.[23] Il vérifie pleinement la vérité du proverbe « trop parler nuit ; »[24] mais il énonça pertinemment des vérités dures sur le commencement de l’administration de lord Gosford.[25]

Il est une heure après minuit : M. Gugy prend, la parole et dit : « Il est impossible qu’à cette heure avancée, la discussion se prolonge davantage. L’opposition a occupé toute la veillée par ses discours ; il ne serait pas juste qu’on nous privât de l’occasion de répondre, il serait donc à propos d’ajourner à demain la délibération. »

M. Lafontaine persiste à vouloir continuer les débats, en disant que la chambre a déjà siégé plus tard. M. Power propose que la chambre s’ajourne ; mais sa proposition est rejetée, à la majorité de 42 contre 31.

Plusieurs membres de la minorité déclarent que c’est une injustice, une illibéralité envers eux, et se lèvent pour quitter la séance. M. Morin demande la question et le rappel des membres pour la division, lorsque M. Vanfelson reprend la parole, et continue les débats sur la question principale. Pendant son discours, les bancs de la minorité se vident entièrement. M. Lafontaine se plaint que la minorité déserte la séance. La chambre se divise sur l’amendement de M. Vanfelson ; contre 37 ; pour 1 (M. Huot), et s’ajourne, faute d’être en nombre.

La discussion fût reprise le lendemain, et ne fût pas moins animée que la veille. L’amendement de M. Vanfelson fût surtout appuyé par M. Caron dans un discours long et raisonné, et par M. de Bleury, et combattu par M. Rodier et par M. J. A. Taschereau, auxquels se joignirent deux jeunes membres, siégeant en vertu et d’après l’esprit des 92 résolutions, M. C. O. Côté, chirurgien, que « les électeurs de l’Acadie avaient envoyé pour grossir la glorieuse majorité de 1834, et qui, avec les 92 résolutions à la main, était monté sur les hustings pour terrasser les ennemis du peuple, qui avait remporté la victoire sur ses antagonistes avec ce credo politique, que chaque bon patriote aurait dû répéter soir et matin, » et qui, sans doute, avait aidé la chambre à mettre à lord Gosford « l’épée dans les reins," pour lui faire nommer vite un juge ; et M. C. Drolet, qui demande « quelle garantie l’on a de la part du bureau colonial, qu’on soit disposé à porter un remède prompt et efficace aux abus criants qui font la honte du gouvernement anglais et le malheur du pays ; qui trouve qu’on, fait sonner bien haut le rappel du tyran Aylmer, » et qui croit bien sincèrement que le rappel du meurtrier de nos frères, que ni les Craig, ni les Dalhousie n’ont égalé, ni en despotisme, ni en tyrannie, n’est pas autant le résultat de sa conduite despotique envers nous, que la punition d’avoir trompé le ci-devant secrétaire colonial… et qui affirme que certaines démarches du bureau des colonies démontrent évidemment qu’on y croit pouvoir ajouter l’insulte aux maux sans nombre dont nous nous plaignons. »

M. Vanfelson répliquant à ceux qui avaient parlé pour la motion de M. Morin, saisit l’occasion de réprouver fortement le recours à l’intimidation, adopté depuis quelque temps, dans la chambre et hors de la chambre ;[26] mais son amendement fût négativé par 42 contre 31, comme la motion précédente d’ajournement. Il proposa ensuite de voter les subsides pour un an, sans parler des arrérages, et cette proposition fût encore négativée.

Cette détermination n’amena pas la prorogation immédiate du parlement ; la chambre pût continuer à considérer en comité général l’état de la province, et M. Papineau pût dire, à l’occasion du projet d’adresse au roi présenté par M. Morin, qu’on avait inventé un nouveau plan de délai, en nous envoyant cette commission d’enquête avec des intentions qui faisaient rougir de honte chaque honnête anglais pour ceux auxquels étaient confiées les destinées des colons britanniques ; que l’auteur de ces instructions et ceux qui étaient envoyés pour les mettre à exécution étaient également indignes de l’estime du peuple,[27] et ajouter à cela d’autres incongruités qui indignèrent particulièrement M. Power, sans pourtant l’empêcher d’exprimer son indignation avec une modération qui contrastait singulièrement avec la violence qui l’avait excitée. « Je ne puis vraiment pas voir, dit-il, en quoi les instructions des commissaires sont uniques et tyranniques, ni comment elles peuvent faire souffrir les classes productives et laborieuses pour l’avantage des employés du gouvernement. Ces épithètes ne servent qu’à exciter les pas. sions, sans nous aider le moins du monde à former notre jugement sur l’objet sous considération. L’honorable orateur se dit l’ami du peuple, et comme tel, il a glosé sur les autorités constituées dans les quatre parties du monde, et surtout sur l’administration inique et vicieuse de cette province, qu’il dit ne pas mériter la confiance de ceux qui désirent conserver la confiance de leurs constituans. Il nous dit que tous les gouvernements sont établis pour l’avantage des peuples ; c’est une vérité que personne ne nie, mais il faut ajouter, qu’il y a des hommes intrigans, turbulens, étourdis et téméraires, qui, par, leurs artifices, en imposent à la multitude et qui créent des montagnes où il n’y a que… ! Ces hommes sont les ennemis acharnés de tout gouvernement et de la prospérité du peuple dont ils flattent la vanité et les passions, cachant leurs vues sinistres sous les mots de liberté et d’égalité[28] Il y a des abus partout, mais on n’y remédie pas en excitant les passions, en disant des injures. Je ne sais pas ce qui peut être gagné par les injures qu’il a plu à l’orateur de déverser si libéralement sur le chef de l’administration et sur les commissaires. Le parlement impérial se compose d’individus indépendans et libéraux, mais qui ne seront nullement effrayés par la chambre d’assemblée du Bas-Canada, et qui, voyant une disposition à la violence, pourraient bien y être portés aussi, et alors que deviendrait la situation du pays… L’adresse demande tout sans rien offrir en retour, et il n’est pas nécessaire d’être devin pour en prédire le sort. La demande faite à la chambre me paraît si raisonnable, que je ne vois pas comment on peut s’y opposer ; tandis que celles que contient l’adresse sont si déraisonnables, que je ne peux croire qu’on y puisse jamais accéder. »

La chambre se crût permis de considérer aussi en comité général, s’il était expédient d’abroger et d’amender, en partie, l’acte impérial de la 31e Geo. III, chap. 31, et cela, d’autant plus légitimement et convenablement que, suivant M. Morin, l’acte impérial de 1791 ne conférait au peuple du Bas-Canada aucun droit qu’il n’eût pas déjà avant la passation du dit acte que la constitution que cet acte nous accordait n’était qu’une moquerie, donnée apparemment pour nous jeter de la poudre aux yeux, et que cet acte était une violation des droits du peuple de cette province.

Quelque extraordinaires que ces assertions eussent pu paraître à d’autres hommes, ou aux mêmes hommes, en d’autres temps, elles parurent au comité général si bien fondées, qu’il résolut qu’effectivement, il était expédient d’abroger ou amender l’acte en question, et M. Morin introduisit un bill à cet effet.[29]

On a encore à s’occuper directement de la chambre d’assemblée, mais avant de le faire, il convient de jeter un coup-d’œil sur le conseil législatif. Cet honorable corps ne tarda pas à revenir de l’espèce de vertige que lui avait causé la harangue de lord Gosford, et à se relever de l’abaissement où l’avait jeté sa réponse à cette harangue.

Il y eût, le 26 décembre, un appel nominal, et le 30 fût débattue une série de propositions dans le sens de MM. Debartzch et Viger, c’est-à-dire, de la majorité de la chambre d’assemblée, reproduisant, quoiqu’en termes plus modérés, tous les griefs anciens et nouveaux reprochés par cette majorité au gouvernement et au conseil législatif, et disant particulièrement :

« Que les difficultés opposées par diverses administrations précédentes au contrôle de tout le revenu prélevé dans la province par la chambre d’assemblée[30] en commun avec cette chambre, et à l’appui que dans des temps passés, cette branche a prêté aux prétentions des dites administrations… ont procuré à l’exécutif provincial une irresponsabilité et une influence dont il a fait usage, à diverses époques, dans l’intérêt de ses membres, dans des vues partiales, opposées, à celles du gouvernement de sa Majesté, en Angleterre, comme à celles des habitans du pays.

« Que cet état de choses est résulté de ce que le pouvoir législatif de cette branche… a toujours été mêlé au pouvoir exécutif, d’où est venue une confusion de principes et de fonctions propres à porter les membres à perdre de vue le bien général…

Qu’en considération de ces inconvéniens, et dans la vue d’éviter leur retour, cette chambre verrait avec des sentimens de satisfaction toute modification sage et délibérée dans sa composition et dans son principe constitutif, qui serait destiné à produire l’harmonie et la bonne intelligence dans l’œuvre de la législation. »

Certes, le conseil législatif eût amplement besoin d’être modifié dans sa composition, s’il eût pu consentir à se condamner et à se dégrader ainsi lui-même, en réprouvant ses propres actes, et en appelant sur lui le châtiment, et même la peine de mort. Mais, loin d’être bien accueillie, cette espèce de résumé des 92 résolutions fût repoussée avec une énergie approchant de l’indignation,[31] et il fût arrêté :

1. « Que les 87,000 habitans de cette province, par leurs pétitions adressées au parlement impérial, en l’année 1827, ont déclaré que les nombreux bienfaits qui leur avaient été conférés par le gouvernement de sa Majesté avaient été consommés par l’acte du parlement de la Grande-Bretagne, passé dans la 31e année du règne de sa Majesté Geo. III.

2. « Que les dits habitans ont de plus déclaré par leurs représentans, en l’année 1827, qu’ils transmettraient la dite constitution à leurs descendans, comme la grande charte de leurs libertés, et un monument impérissable de la justice et de la sagesse de la Grande-Bretagne.

3. « Que cette chambre envisage avec une alarme extrême toute inclination à enfreindre la constitution par un changement dans ses principes constitutifs qui tendrait finalement à détruire la prérogative tutélaire de la couronne, à neutraliser la protection indispensable de la métropole, et à anéantir ce contrepoids dans la législature qui peut seul assurer à tous les habitans de cette province la pleine jouissance de leurs droits et de leurs libertés. »

Le conseil législatif refusa de concourir au bill de l’assemblée pour faire bon des sommes avancées par lord Gosford pour les dépenses contingentes, etc., parce qu’il incluait des items qui n’étaient pas destinés à subvenir aux dépenses contingentes ordinaires de cette chambre, mais à payer des salaires à des personnes nommées par elle seule à des emplois, contrairement à la protestation solennelle du conseil législatif, etc.

M. Debartzch étant parti de Québec dégoûté,[32] disait-on, des derniers procédés de la chambre d’assemblée, M. Viger forma seul la minorité, le 4 mars, sur trois propositions soumises par M. Cuthbert, et dont la dernière portait : « Que, vu l’obligation de rembourser les fonds avancés par le trésor impérial et de payer les arrérages dus, il n’était pas expédient de concourir durant la présente session, à des allocations allant à ne pas laisser dans la trésorerie provinciale assez d’argent pour payer ce qui était dû. »

Le conseil législatif rejette, ou amende un plus grand nombre de bills qu’à l’ordinaire,[33] par la raison, apparemment, que dans plusieurs, l’assemblée introduisait son système favori d’élections populaires ; que, dans d’autres, elle donnait des pouvoirs indus et amplifiés à des corps qui avaient abusé de ceux qu’ils avaient possédés ;[34] que dans d’autres, elle paraissait vouloir mortifier des particuliers, ou exercer contre eux une espèce de vengeance.[35]

Si de la seconde branche de la législature nous passons à la première, nous avons déjà vu le gouverneur, lord Gosford, flétrissant, comme s’en aperçut le premier M. Papineau, son conseil exécutif, et narguant le conseil législatif (qui s’était presque flétri lui-même par son adresse,) en accordant de grand cœur à la chambre d’assemblée, et suivant M. Vanfelson, de la manière la plus humiliante pour ses adversaires politiques l’exhorbitante somme de £22,000, (dont, suivant le conseil, celle de £6,162 ne pouvait pas être incluse dans les dépenses contingentes de l’assemblée, étant pour payer l’honorable P. B. Viger et J. A. Roebuck, écuyer, nommés et rétribués par la seule autorité de cette chambre,) et £5,000 un peu plus tard « sans délai. »

Mais quelqu’envie qu’eût lord Gosford de sacrifier tout pour la chambre, suivant M. Bedard, il ne crut pas pouvoir lui accorder tout ce qu’elle lui demanda. Aux demandes nombreuses de destitution qui lui furent faites, il répondit uniformément qu’il ne pouvait pas destituer la personne accusée avant qu’elle eût pu produire sa défense.

Le 17 mars, M. O’Callaghan rapporta en réponse à une adresse du 9 (votée à son instance,) priant le gouverneur de faire rembourser par M. Stayner £9,550 5s. 2d., « prélevés sans autorité légale suivant lui, sur les gazettes et les brochures transmises par la poste : » « Qu’il ne croit pas pouvoir se rendre à cette demande mais qu’il communiquera à sa Majesté les arrangemens existants, à cet égard. »

Et à une adresse de la même date : « Qu’il ne peut émaner son warrant pour tirer du trésor public en faveur de H. Dickerson (l’éditeur patriote ou frondeur du British Colonist,) une somme de £50, montant de cinq amendes payées en vertu de sentences prononcées par le juge provincial de Saint-François. »

L’assemblée crut pouvoir prier le gouverneur de vouloir bien nommer un juge pour remplacer l’hon. J. Kerr, destitué. Lord Gosford eût la complaisance de répondre qu’il nommerait un juge bien vite, et les journaux patriotes d’augurer, ou plutôt de suggérer qui devrait remplacer M. Kerr. Le gouverneur s’acquitta « bien vite » de sa promesse, mais à la grande mortification de tous les prétendans, et au grand étonnement du public, son choix ne tomba sur aucun des anciens avocats de Québec ou de Montréal, mais sur M. Elzéar Bedard, un des jeunes membres du barreau de Québec, malgré qu’en conséquence de sa jeunesse, sans doute, il eût consenti, en 1834, à prendre sur lui toute la responsabilité des 92 résolutions, ou comme plusieurs le pensent, parcequ’il avait pris sur lui cette responsabilité. Il est pourtant vrai de dire que M. Bedard semblait avoir vieilli de plus de deux ans, depuis 1834 ; qu’il avait voulu qu’on témoignât de la confiance à lord Gosford, qu’il s’était opposé à la tendance pernicieuse, ou à l’incongruité de certaines démarches, et que, loin de croire encore à l’infaillibilité de M. Papineau, il s’était permis, d’abord, de trouver à redire à la manière dont il traitait parfois ses collègues, et en dernier lieu, de le rappeler à l’ordre, à tout risque. Il en fût quitte pour un portrait qui, à coup sûr, n’était rien moins que flatté. Celui que le même peintre fit de M. Blackburn, qui avait ôsé contredire M. O’Callaghan, ne le fût pas davantage.

Pour revenir à lord Gosford, durant toute la session il sembla ne pas s’apercevoir à quel esprit il avait affaire, et ne pas voir ce que tout le monde voyait, dans le pays et hors du pays.[36] Il eût pourtant le courage de dire à la chambre d’assemblée, dans son discours de prorogation, prononcé le

« Je regrette sincèrement que les offres de paix et de conciliation que j’étais chargé d’apporter à ce pays n’aient pas conduit au résultat que j’avais espéré. Je n’ôse prédire les conséquences de leur rejet, et des demandes qui ont été faites à sa Majesté. C’est aux autorités de la Grande-Bretagne à déterminer quelles mesures il convient d’adopter pour remédier aux difficultés auxquelles la province a été réduite. »

Avant la fin de la session, il y avait eu des menées qui ne doivent pas être passées entièrement sous silence. Après le vote sur les subsides, quelque particuliers intriguants ou exaltés[37] sinon des membres de la majorité de la chambre, se mirent dans la tête de faire imiter à la populace des faubourgs de Québec la conduite de celle des faubourgs de Paris, sous le règne de la terreur. Ils rédigèrent une « adresse à M. Papineau » approuvant sa conduite et celle de la majorité de la chambre, et censurant celle de la minorité, la firent signer par quelques centaines d’individus, et la présentèrent à l’orateur, le dimanche, 6 mars, à midi, suivant son désir. Dans une longue réponse, M. Papineau leur dit entre autre chose : « Me servant de vos énergiques expressions, je dirai après vous, combien nous sommes heureux d’avoir mérité d’un corps aussi nombreux et respectable des citoyens électeurs de la Haute et de la Basse-Ville de Québec, que les premiers vous attestiez, qu’en déployant une fermeté inébranlable, la judicieuse majorité des représentons du peuple et moi, nous nous sommes montrés les seuls et fidèles organes de vos vœux sur cette question. »

Cette démarche qui paraissait ressembler aux dénonciations et aux idées de proscription de la convention nationale de France et de son président, fâcha le Canadien qui parut s’être pénétré de l’esprit comparativement conciliateur et modéré de la minorité de la chambre sur la question des subsides, et déconcerta un des membres de cette minorité, M. Caron, qui crut devoir résigner, non pas, pourtant, avant d’avoir fait voir, dans un discours éloquent et raisonné, combien était inconvenante, malséante et pernicieuse cette démonstration populaire de nouvelle invention ;[38] et fit rentrer M. A. Stuart dans la chambre, après une élection qui fût aussi bruyante, et aussi tumultueuse que la dernière du quartier-ouest de Montréal.

Dans le temps que ces choses se passaient à Quebec on provoquait ce qu’on appela une assemblée, à Saint-Ours du comté de Richelieu, pour faire désapprouver M. de Bleury, un des membres pour ce comté, en conséquence de ce qu’il avait voté avec la minorité sur la question des subsides. La teneur vague, décevante ou délirante des propositions qui y furent lues, démontre dans quel état de dérangement mental étaient, non les électeurs présents ou absents du comté mais les rédacteurs de cette proposition. Nous aurons à parler de démarches semblables ailleurs, mais auparavant, il faut faire une excursion dans le Haut-Canada.

Le 27 janvier, Sir F. B. Head se rendit au conseil législatif, ou fût appelée la chambre d’assemblée, et prononça le discours suivant :

« J’ai reçu l’ordre du roi de mettre sous vos yeux sa réponse aux adresses et représentations venant des deux branches de la législature. Je vous soumettrai cette communication dans un message qui vous informera en même temps des devoirs difficiles et importants dont je me trouve chargé conjointement avec vous. J’espère que je n’en appelerai pas en vain à vous pour obtenir l’assistance loyale, constitutionnelle et franche, que votre roi attend de vous, et que requièrent les intérêts de votre pays, »

Le lieutenant-gouverneur se hâta de communiquer à la législature les dépêches du ministre des colonies dans lesquelles étaient contenues ses instructions, qui portaient que les instructions contenues dans les dépêches du comte Ripon, du 8 novembre 1832, devaient être strictement suivies, etc.

Comme nous l’avons déjà remarqué, les instructions de lord Goderich, faisaient des concessions imprudentes aux ni velours, mais elles n’allaient pas assez loin, suivant eux, dans ce qu’ils appelaient une réforme, et la chambre d’assemblée adopta, à la majorité de 9 voix, une résolution allant à dire, que les assertions et opinions contenues dans un certain rapport de griefs, (œuvre du sieur Mackenzie), demandant un conseil législatif électif, un conseil exécutif responsable au peuple, etc., continuaient à recevoir la sanction pleine et entière de la chambre et du peuple, etc.

Après que le lieutenant-gouverneur eût communiqué à l’assemblée les instructions des commissaires royaux, les journalistes révolutionnaires se mirent à crier plus fort que jamais, particulièrement contre le conseil exécutif. Pour les faire taire, ou pour faire un essai, Sir F. B. Head fit entrer dans ce conseil trois soi-disant réformistes. L’essai s’étant trouvé « malheureux » (comme on le verra plus bas,) il en résulta une grande agitation, et la majorité du conseil de ville de Toronto rédiga une adresse dans laquelle elle disait, en finissant : « Le conseil de ville, comme représentant les habitans de la capitale du Haut-Canada n’a aucune confiance dans la présente administration provinciale. »

La réponse du lieutenant-gouverneur (trop longue pour être insérée ici, même en substance), fût sans réplique et bien capable de faire sentir, même au peuple au nom duquel on prétendait parler, combien était inconvenante la démarche à laquelle on avait recouru, et indécent le langage dont on s’était servi.

L’adresse d’une assemblée tenue à Toronto surpassa de beaucoup celle du conseil de ville, par l’impertinence, la grossièreté et la trivialité du langage. On s’y prenait surtout un peu tard pour trouver dans les paroles dont s’était servi le colonel Simcoe, le droit d’avoir un ministère, un gouvernement uniquement responsable au peuple de la colonie, c’est-à-dire à la majorité de la chambre d’assemblée. Dans sa réponse à cette adresse, Sir Francis dit, entre autres choses :

« Le colonel Simcoe, en déclarant que la constitution dont il était porteur était la vraie traduction de la constitution britannique, n’a pu par là en changer l’essence. Le colonel Simcoe, qui, sans doute, était autorisé à définir la nature de cette constitution, n’a pas créé le ministère dont vous parlez, et jamais il n’exista de ministère dans la colonie, si ce n’est le gouverneur lui-même, qui est le ministre responsable de la couronne… Je vois qu’on fait tous les efforts possibles pour aveugler le public, et pour créer les passions les plus violentes. Je n’abandonnerai jamais la responsabilité que je dois au peuple de cette province, j’ai confiance en son honnêteté, et je sens que plus je serai assailli par une faction, plus je pourrai compter sur son appui ; et si l’on veut continuer l’intimidation, elle réagira bientôt sur ceux qui veulent y recourir. »

La réplique à la réponse, (car les mémorialistes voulurent avoir le dernier mot,) fut encore plus grossière et plus insolente que l’adresse. « Votre Excellence dit qu’elle est venue ici pour exécuter une réforme, mais ses prédécesseurs ont souvent fait la même promesse, qui n’a jamais été remplie. C’est là l’histoire d’un Gore, d’un Maitland et d’un Colborne… Les espérances d’améliorations, données par chaque gouverneur, ont toujours été trompeuses, et la franchise nous oblige d’assurer votre Excellence, que le commencement de son administration n’a fait que rendre notre condition plus déplorable, et a jeté la nature et la stabilité de nos institutions dans un état d’incertitude alarmante. Notre condition n’ayant fait, qu’empirer avec la responsabilité de Downing Street, nous craignons celle de votre Excellence, car elle est la même en nature et en étendue. Elle est réglée par les mêmes instructions, elle a lieu en vertu de dépêches strictes, ressemblant à de l’espionnage, » etc.

Le reste est un jargon divagant dans le même genre, et les mémorialistes, parmi lesquels figurait le prêtre réfractaire et suspendu W. J. O’Grady, finissent par déclarer au lieutenant-gouverneur que s’il ne gouverne pas d’après leurs principes, il arrêtera, ou empêchera, toute soumission de leur part à son autorité. »

La majorité de la chambre d’assemblée s’était montrée animée du même esprit de parti, de faction et de révolution, sous le nom de réforme. Le discours prononcé par le lieutenant-gouverneur, le 11 avril, peut-être regardé comme un document historique.

« Vous savez très bien, dit-il aux membres des deux chambres, que la chambre d’assemblée du Haut-Canada se plaint hautement de ce qu’elle appelle ses griefs, et qu’à la fin de la dernière session, ces plaintes ayant été référées à un comité, furent, par ordre de la chambre, imprimées en forme de brochure… Un volume de 500 pages fût adressé au gouvernement de sa Majesté, qui le reçut comme contenant la totalité des plaintes du peuple de cette province… et qui détermina qu’il serait remédié immédiatement et efficacement aux griefs qu’il contenait, et en conséquence, le secrétaire d’état pour les colonies prépara des instructions dans lesquelles chaque sujet de plainte était considéré séparément, et le remède à y apporter indiqué, et je n’ai qu’à référer à ses instructions pour montrer la générosité avec laquelle sa Majesté passa sur certain langage contenu dans le rapport, et la libéralité avec laquelle Elle voulut bien ordonner qu’on rendit une justice impartiale à ses sujets canadiens. Le gouvernement de sa Majesté ayant décidé que je serais celui qui serait chargé de mettre ses vues à effet, je communiquai la réponse qu’il avait plu à sa Majesté de faire aux représentations des deux branches de la législature… M’étant mis au courant des sentimens publics… en conversant amicalement avec des hommes de la plus grande habilité des deux partis, je communiquai le résultat de mes observations à lord Glenelg dans des dépêches du 5 février, dont voici des extraits :

« Dans ces circonstances, je crois que le grand danger que je dois éviter, est la moindre tentative de concilier un parti ou l’autre ; que la seule marche que je doive adopter est d’agir sans crainte, sans déguisement et d’aller droit au but dans l’intérêt du pays ; de me rejeter sur le bon sens et les bons sentimens du peuple… Quelque puisse être le résultat, je marcherai ferme et droit dans la ligne de politique que je me suis tracée. Je n’éloignerai aucun parti, ot je ne me reposerai sur aucun ; mais après avoir prêté la plus grande attention à toutes les opinions, je ferai ce que je croirai juste et honnête.

« Ce fût cependant avec un profond regret que je remarquai que je ne recevais pas immédiatement de la chambre d’assemblée l’assistance que j’attendais d’elle, pour mettre à effet les intentions du gouvernement de sa Majesté, car je reçus plusieurs adresses demandant des papiers et des renseignemens qui, je le craignais, pouvait exciter des troubles et ranimer des discussions anciennes.

« Je terminai dans les termes suivants ma réponse à une adresse de cette nature, du 5 février : Le lieutenant-gouverneur saisit cette occasion d’en appeler à la libéralité et au bon sens de la chambre d’assemblée, pour considérer qu’étranger à cette province, et peu au fait des différens politiques qui ont pu exister dans la métropole, il est arrivé ici dernièrement muni d’instructions dont l’objet avoué est de maintenir fermement inviolable l’heureuse constitution de ce pays ; mais de corriger avec prudence, quoiqu’efficacement, tous les abus réels. La chambre d’assemblée est profondément intéressée dans l’importance et la gravité de la tâche que le lieutenant gouverneur a à remplir, et il est persuadé qu’après réflexion, elle sera d’opinion qu’il lui convient plus de s’occuper activement des améliorations et de la prospérité future du pays, que du soin de lui rappeler le souvenir des événemens passés.

« Cet appel ne produisit pas l’effet que je m’en étais promis… Une nouvelle série de griefs fût mise devant la chambre, sous la forme d’une adresse au roi. Je la transmis sans délai au gouvernement de sa Majesté… pendant ces discussions, je m’abstins d’avoir aucune communication avec les anciens soutiens du gouvernement, parce que je voulais montrer à ceux qui se donnaient le titre de réformateurs, que je continuerais à être sans préjugés et désintéressé dans la question ; et désirant leur donner une preuve plus forte encore que j’irais aussi loin que la raison le permettrait, pour donner une juste puissance à leur parti j’ajoutai au conseil exécutif trois messieurs, tous trois réformistes avoués. Avec l’assistance de ces messieurs, avec les instructions de sa Majesté devant mes yeux, et avec la détermination de rendre justice aux habitans de ce pays, j’étais persuadé que le triomphe de la réforme qu’on avait sollicitée était sur le point de se réaliser, et que les griefs dont on disait que le peuple souffrait, seraient pris en considération et réparés. Mais, à mon grand étonnement, ces messieurs, au lieu de m’aider dans l’œuvre de la réforme, avant d’avoir été un mois à mon service, s’entendirent officiellement ensemble pour tenter, d’une manière inouïe, de s’emparer de la responsabilité que je devais au peuple du Haut-Canada, ainsi qu’à notre souverain, et ils terminèrent un document formel, qu’ils m’adressèrent, à ce sujet, par une requête, demandant, si je pensais que cette démarche n’était pas convenable, et ne pouvait pas être admise, ils pussent, eux qui avaient prêté le serment de me garder le secret, s’adresser au peuple. Je dois avouer que dès l’instant où cette demande me parvint, je fus étonné, et je compris qu’il m’était impossible de consentir à l’introduction de principes nouveaux, qui me semblaient de nature à détruire l’édifice de la constitution, et à mener à la révolution plutôt qu’à la réforme.

« Sans discuter les argumens de ces conseillers, je ferai simplement observer que quand même j’aurais été disposé à leur remettre ma charge, et à n’agir qu’en obéissance à leurs avis, lors même que j’aurais voulu consentir à destituer de leurs emplois tous ceux qu’ils désapprouvaient, et à donner la préférence à ceux qu’il leur plaisait de recommander, lors même que j’aurais trouvé convenable de mettre les terres de la couronne à leur disposition, et de référer à leur décision des pétitions et demandes personnelles des habitans des comtés éloignés, je n’avais ni le pouvoir ni l’autorité de le faire ; et quoiqu’on déclarât, en prétendant s’attacher à l’esprit et à la lettre de la constitution britannique, que le conseil exécutif devait être regardé comme un cabinet, je n’avais pas plus le pouvoir de former un cabinet, que je n’avais celui de m’ériger en roi du pays, que je n’avais le pouvoir de transformer le conseil législatif en une noblesse héréditaire, ou de déclarer que cette colonie de l’empire britannique serait désormais un royaume.

« J’expliquai à mes conseillers, que par impossibilité ainsi que par d’autres raisons, je ne pouvais entrer dans leur vues, et que comme il était évident qu’il fallait nous séparer, je pensais que c’était à eux plutôt qu’à moi à se retirer.

« Le jour où mes conseillers me laissèrent, je nommai, pour les remplacer, quatre messieurs d’un haut caractère, auxquels leur intégrité et leur habileté donnaient un titre à une confiance implicite, et avec leur assistance, je me déterminai encore une fois à mettre promptement à effet les mesures de redressement indiquées, par les instructions du gouvernement de sa Majesté, et sollicitées par le rapport du comité dés griefs. Mais un embarras nouveau et inattendu me fût suscité par la chambre d’assemblée, qui, à mon grand regret, demanda, non-seulement à être informée des raisons pour lesquelles mes conseillers exécutifs avaient résigné, mais, ai-je appris, suspendit tous les procédés, jusqu’à ce qu’elle eût reçu ma réponse. Comme le lieutenant-gouverneur de cette province est autorisé par sa Majesté, en cas de mort ou de démission, à nommer pro tempore les personnes qu’il croit les plus propres à entrer dans son conseil, je pouvais constitutionnellement, et j’aurais dû, peut-être, refuser de soumettre à une branche de la législature, mes raisons pour exercer cette prérogative, mais, poussé par ce vif désir que j’avais toujours montré de me conformer aux désirs de l’assemblée, je lui transmis la correspondance qu’elle désirait, avec un message conciliant, dont voici la fin :

« Dans ces sentimens, je transmets à la chambre d’assemblée les documens qu’elle me demande, avec la confiance que je ne peux lui donner une preuve plus convainquante de mon désir de conserver ses privilèges inviolables, qu’en lui prouvant que je suis également déterminé à maintenir les prérogatives de la couronne, dont une des plus évidentes est celle dont j’ai usé, en nommant des conseillers auxquels je crois consciencieusement pouvoir me fier. Je déclare délibérément que je serai responsable de leurs actes, mais qu’ils ne seront pas responsables des miens, parceque prêtant serment de garder le silence, il sont privés par le fait, aussi bien que par la constitution, de tout pouvoir de se défendre.

« La chambre d’assemblée remit tout le sujet à un comité qui, contrairement aux formes ordinaires, me fit connaître son existence, en s’adressant directement à moi, au lieu de le faire par le canal de la chambre, pour obtenir d’autres documens et renseignemens, que je lui transmis incontinent, sans faire de remarque sur l’irrégularité de la demande, et la chambre, à ma grande surprise, passa une sentence prématurée sur le sujet, par une adresse, dans laquelle elle me déclarait « son regret profond de ce que j’avais accepté la résignation de mes ci-devant conseillers. »

« L’extrait suivant de ma réplique à cette décision, expliquera suffisamment le désir amical que je conservais encore de donner toute satisfaction raisonnable :

« Je transmets toute la correspondance à la chambre d’assemblée, avec un vif désir que la question soit discutée impartialement, sans égard pour mon opinion. Dans la place que j’occupe, je forme une des trois branches de la législature, et je demande pour moi-même la liberté de penser aussi fermement que je désire que les deux autres branches conservent le même privilège. Si je me croyais dans l’erreur, je reconnaîtrais à l’instant mon tort, mais je crois qu’il est de mon devoir de maintenir mon opinion. La chambre doit savoir qu’il existe un tribunal constitutionnel compétent pour examiner sa décision, et je suis prêt, en tout temps, à me soumettre à ce tribunal. En appeler au peuple est inconstitutionnel et peu sage ; en appeler à ses passions est chose plus que blâmable ; mais je me suis toujours montré disposé à m’en remettre au bon sens de la chambre d’assemblée, j’en appelle encore avec confiance à son bon sens.

« M’étant ainsi rejeté sur l’intégrité de l’assemblée je pouvais raisonnablement m’attendre qu’on interpréterait favorablement mes actes et mes paroles, et que la disposition que j’avais montrée à donner les plus amples renseignemens, et à me prêter aux désirs et à l’attente de cette chambre, serait duement appréciée ; mais les événemens qui eurent lieu immédiatement m’apportèrent la désagréable nouvelle que l’on avait fait des efforts, sous prétexte que la constitution était en danger, pour tromper l’esprit public et répandre la croyance que moi, comme lieutenant-gouverneur, j’avais énoncé une opinion en faveur du gouvernement arbitraire et irresponsable ; que j’avais montré un mépris complet des idées et des sentimens du peuple… et que, par ces raisons, les habitans de cette province ne pourraient jamais être contens ou heureux sous mon administration. Plusieurs pétitions, qui devaient être adressées à la chambre d’assemblée, et qui, suivant les apparences, étaient envoyées par des membres de cette chambre à des particuliers, de la campagne, pour obtenir des signatures, ayant été renvoyées aux bureaux du gouvernement, j’eûs toute occasion pour me convaincre qu’on faisait des démarches pour embarrasser le gouvernement, en arrêtant les subsides, et que l’on avait même prescrit au peuple les termes dans lesquels on désirait qu’il s’adressât à ses représentants à ce sujet

« Messieurs de la chambre d’assemblée : — C’est avec surprise que j’ai appris que vous aviez jugé à propos d’arrêter les subsides. Dans l’histoire du Haut-Canada, on ne trouve pas, je crois, qu’on ait jamais eu recours à cette mesure, et comme j’étais porteur des instructions spéciales de sa Majesté, pour examiner et corriger, autant que je le jugerais nécessaire, les griefs détaillés dans votre rapport, j’avoue que je ne m’attendais point à me voir susciter cet embarras par votre chambre. L’effet de votre décision réfléchie sera sévèrement senti par tous ceux qui remplissent des charges publiques, par la cessation des améliorations dans vos routes, etc.

« Dans les plaintes que vous avez portées contre moi, dans lesquelles vous déclarez que mon ‘oreille est crédule,’ mon ‘esprit empoisonné ;’ que mes ‘sentimens sont amers,’ que je suis ‘despotique, tyrannique, injuste, et trompeur ;’ que ma ‘conduite déroge à l’honneur du roi ;’ et tend ‘à démoraliser la société,’ et que j’ai traité le peuple de ce pays comme ‘valant un peu mieux qu’un peuple de voleurs et de fous,’ vous vous êtes prévalu des hauts privilèges qui vous sont confiés par vos constituans, à l’exercice desquels je n’ai conséquemment aucune objection constitutionnelle à offrir ; mais pour l’honneur de cette province, auquel, quoiqu’étranger, je suis aussi intéressé que ses habitans, je ne puis que regretter que, tandis que je recevais, de toutes parts, des adresses les plus loyales, vous, en votre qualité de législateurs, vous ayez désigné le gouvernement de sa Majesté, qui a agi dernièrement envers le Haut-Canada, avec tant de magnanimité et de désintéressement, par l’expression de ‘loi de Downing street.’ »

Après avoir exposé la conduite qu’il se proposait de tenir, sir Francis continue et termine ainsi son discours : « Je ferai tous mes efforts pour faire comprendre au peuple que l’union fait la force, et que l’esprit de parti ne produit que la faiblesse ; qu’il devrait, en conséquence, oublier toute animosité politique ou religieuse, et considérer comme ses ennemis ceux qui cherchent à tourmenter l’une ou l’autre ; que jeté largement comme il l’est sur la surface de votre pays, il devrait se rappeler avec orgueil l’histoire brillante de la mère-patrie d’où il est sorti et que, comme ses ancêtres, il devrait soutenir l’étendard britannique, qui lui donnera toujours la liberté et une protection désintéressée, que le pays étant ainsi tranquillisé, le surplus des capitaux de la métropole arrosera cette province, et que sa population changera les déserts dont elle abonde en champs verdoyants ; qu’une diffusion de ces capitaux établirait en tous lieux des marchés et d’excellentes routes, qui sont comme les artères de l’agriculture et du commerce ; qu’on devrait assurer une éducation simple et pratique à la génération naissante, ainsi que les bienfaits de la religion chrétienne qui dit : ‘Gloire à Dieu dans les cieux, et sur la terre, paix et bénédiction aux hommes de bonne volonté.’

« Saisissant toute occasion d’offrir ces recommandations aux habitans de cette province, je ne chercherai point à les faire adopter par force, au contraire, je dirai ouvertement que si les agriculteurs du Haut-Canada ne sont pas encore assez fatigués d’agitation, s’ils ne voient pas encore clairement à quoi elle leur a servi, il sera hors de mon pouvoir de les assister… Mais dés lors qu’ils seront prêts à se joindre à moi du cœur et de la main, pour avancer loyalement la paix et la prospérité de la province, il me trouveront sincèrement dévoué à leur service. Je défendrai en même temps la constitution du pays, et ils peuvent être assurés que je résisterai efficacement, comme je l’ai déjà fait, à la moindre tentative faite pour en usurper les prérogatives. J’ai reçu avec un indicible plaisir les preuves de la réaction qui s’opère d’heure en heure, dans l’esprit public, et pour l’intérêt de la province, plus que pour le mien, j’applaudis à ces nobles sentimens britanniques que je vois se manifester de toutes parts, pour me défendre contre les insultes, m’applaudir et m’accompagner dans mes progrès vers la réforme. »

Il était temps que cette réaction eût lieu pour mettre des bornes aux excès démagogiques de la chambre d’assemblée et de ses fauteurs : elle était due, peut être moins à ces excès mêmes qu’au talent éminent de Sir F. B. Head pour les dévoiler, les faire ressortir et les exposer sous leur vrai jour. Si la même réaction n’eût pas lieu alors dans le Bas-Canada, à la vue d’excès semblables, c’est que lord Gosford ne sût ni parler au peuple ni se faire entendre de lui : Sir F. B. Head sût se prévaloir de cette réaction pour se débarrasser d’une chambre qui paralysait son administration, et menaçait de jeter tout dans la constitution pour parvenir à son but. Il la renvoya pour recourir à de nouvelles élections, et ces élections lui donnèrent une chambre qui fût le contre-pied de sa devancière immédiate.

En rentrant dans le Bas-Canada, il faut remonter un peu plus haut ; pour dire que la licence de la presse était telle, qu’un corps de grands jurés se crut obligé de représenter, au grand déplaisir de La Minerve, poursuivie pour libelle contre ce même grand jury et du Herald qui avait à prendre pour lui une bonne part de la censure,[39] « qu’ils ne pouvaient se déguiser à eux-mêmes le fait, ni s’empêcher de remarquer, que l’état présent d’excitation publique, et les fréquentes atteintes à la paix, qui en sont la conséquences sont surtout attribuables à la licence de la presse, qui a engendré des dissentions nationales, politiques et religieuses, dans une ‘communauté,’ (société ou population) autrefois paisible et heureuse. »

Mais cette licence, ou cette liberté, quelque grande qu’elle fût, pâlissait devant celle qui fût prise, le 11 avril, au comté des Deux-Montagnes, sous la présidence du « lieutenant-colonel Raizenne,” et le secrétariat des docteurs J. O. Chenier et J. H. Masson. En passant par-dessus les premières résolutions, qui ne sont que la répétition du fonds des 92, ou d’autres plus récentes, on y entend dire, en dernier lieu :

« Nous regardons les instructions de lord Glenelg, en date du 17 juillet 1835, comme la continuation du système d’absolutisme qui a régné par le passé, et comme un refus de reconnaître les droits de la chambre et du peuple. Regardant les dites instructions comme un déni final de justice… lassés d’avoir fait des représentations multipliées, qui ont été foulées aux pieds, si l’attente du peuple était encore déçue… nous n’aurions d’espoir que dans la fermeté et la constance des habitans de cette province, de toute origine, et dans cet esprit d’ordre et de persévérance, qui, ayant résisté à une longue série de violences et d’oppressions, saura, à la longue, faire triompher des principes qui sont d’un intérêt vital et commun pour toutes les colonies britanniques de l’Amérique du Nord. La déclaration du gouverneur en chef, qu’il violerait la constitution et les droits sacrés et les mieux assurés du peuple, en prenant ’à même’les deniers publics des sommes destinées à maintenir un gouvernement corrompu, malgré le refus de la représentation… est un nouvel acte d’hostilité, qui viole le contrat social, et qui assimile l’administration actuelle à celle des Craig, des Dalhousie, et des Aylmer… et nous la regarderons comme terminée du moment où elle mettra à effet cette déclaration ‘illégale,’ et alors il sera du devoir du peuple du pays d’adopter les mesures qui lui paraîtront les plus propres à faire respecter ses droits inhérents de sujets britanniques, et à assurer la permanence de ses libertés envahies, et de ses institutions menacées. Nous regardons comme sage et salutaire la pratique adoptée par les ci-devant colonies anglaises d’Amérique, de s’abstenir de consommer les marchandises et les produits des manufactures britanniques. Nous invitons nos concitoyens de toutes les parties du pays à se préparer aux sacrifices que nécessitera l’adoption de mesures semblables, à moins que pleine justice ne soit rendue au pays. Nous prions nos frères réformistes dans les deux provinces, de s’assembler dans les divers comtés et villes, pour prendre l’état des affaires publiques en considération.’

Cette espèce de déclaration de guerre faite avant d’avoir mesuré ses forces, et en comptant pour alliés des hommes qui ne pouvaient être que des adversaires, eût du retentissement dans plusieurs parties des districts de Montréal et des Trois-Rivières.

« Une assemblée générale du comté d’Yamaska, où le Dr. O’Callaghan donna une ample exposition de l’état de la province, » eût lieu le 3 juillet. On trouve dans les résolutions qui y furent adoptées, que le déni d’un certain droit sacré du peuple, lui fait une injure, dont il doit se venger ; que l’autorité du roi cesse d’être légitime, sitôt qu’il viole les droits que la constitution garantit au peuple ; que l’intervention du parlement impérial, par rapport à la vente et à la régie des terres, incultes et à la tenure des anciennes concessions, est une violation des droits du peuple ; que le conseil législatif est la plus grande nuisance politique de ce pays… et que la perte de certains bills…provoque son abolition… que tant que tous les griefs dont on s’est plaint, n’auront pas été redressées, les représentans du peuple rendront justice à leurs commettans, en refusant tout subside, qu’une médaille soit présentée à toute personne qui établira une distillerie ; que le comté approuve hautement la majorité de la chambre d’assemblée, et particulièrement le Dr. O’Callaghan, etc., mais que L. G. de Tonnancour, écuyer, a perdu la confiance de ses constituans, en votant avec la minorité de la chambre, sur les subsides, » etc.

Les franc-tenanciers du comté de l’Acadie (qui s’assemblèrent le 4 juillet,) après avoir entendu « M. Côte donner au long l’explication du vote des subsides, » parlent « d’à peu près un demi-siècle de désordre et de mauvais gouvernement, et d’une succession d’hommes mal intentionnés qui, comme les Craig, les Dalhousie, et les Aylmer, ont tyrannisé et opprimé ce pays ; ils voient avec les sentimens d’une juste indignation « leurs vies et leurs propriétés encore en danger, et leurs droits honteusement violés, par la destruction continuée du bill passé par leurs représentans pour régler le tirage des jurés,[40] etc., ils tiennent le gouvernement de sa Majesté responsable des diverses mesures qu’ils ont énumérées, en autant que les ministres de sa Majesté ont négligé de faire dans la constitution les changemens demandés si souvent, etc., enfin, ils approuvent hautement la conduite de leurs représentans, et surtout celle de C. H. O. Côte, écuyer, sur la question des subsides, et reconnaissant les services éminens que M. Roebuck, et M. Hume ont rendus au pays, ils les remercient, ainsi que M. Daniel O’Connell. »

Nous n’avons pas besoin d’avertir que c’est le langage des O’Callaghan et des Côte qu’on vient d’entendre, et non celui des individus mis en avant comme auteurs ou moteurs de ces résolutions.

À Vaudreuil, où se trouva, avec les représentans du comté, M. E. B. O’Callaghan, on recommanda virtuellement à la chambre de se suicider, en résolvant que : « sans des changemens dans la deuxième branche de la législature, la chambre d’assemblée ne devrait plus souffrir davantage un système de dégradation et d’insultes, en continuant à, procéder aux affaires publiques avec le conseil législatif dans sa composition actuelle. »

Au grand mécontentement du Vindicator et de La Minerve, ces assemblées, ridiculisées par presque tous les journalistes de la province, déplurent aussi au Canadien, parce qu’en approuvant « hautement » la majorité de la chambre sur la question des subsides, on censurait injurieusement la minorité, dont il avait pris la défense. Il les blâmait pourtant moins en elles-mêmes que comme n’ayant aucun à-propos ni but à atteindre, « car, dit-il, à la suite de la session, de pareilles assemblées avaient un sens ; mais, après un intervalle de six mois, de pareilles manifestations sentent fortement la besace. On pourrait croire qu’elles sont le fruit de longues et pressantes importunités, de la part des membres, ou de leurs amis, ou de la part de ceux en faveur de qui elles sont faites, pour étancher chez quelques membres la soif d’approbations, » etc.

Si ces assemblées n’avaient aucun but, elles étaient par elles-mêmes plus qu’inutiles, car, jointes à la licence de la presse, elles avaient l’effet de faire tourner plus d’une tête chaude ou légère, et de fanatiser plus d’un cerveau même déjà rassi, témoin : « le Vieux de la Montagne, » qui se dit de la Malbaie, où s’était tenue une de ces assemblées, et qui prit pour texte :

« Les peuples qui rentrent dans leurs droits ne sont pas des peuples révoltés. »[41]

À la licence de la plupart de nos journaux continuaient à venir se joindre, pour empirer notre état politique, les discours et les écrits de J. A. Roebuck et la correspondance anglaise du Vindicator.

« La chambre d’assemblée, » ôsait dire, l’agent salarié de cette chambre, « représente complètement la population entière… Les membres du conseil législatif sont des hommes pauvres, sans propriétés foncières, sans tenanciers, (fermiers ou censitaires,) n’exerçant aucune influence sur le reste de la population et n’ayant aucun intérêt dans le pays excepté celui de pouvoir le piller suivant la loi. Le ministre des colonies est dans une ignorance complète sur cet important sujet, et il s’opposera de toutes ses forces aux demandes raisonnables du peuple canadien. Le résultat inévitable d’une telle politique, si l’on y persévère, sera une séparation violente et complète du Haut et du Bas-Canada de nos domaines. »

Ces discours et ces écrits ne pouvaient avoir d’effet en Angleterre que sur des hommes peu instruits et peu réfléchis, car il devait venir naturellement à l’esprit de quiconque réfléchissait et raisonnait que M. Roebuck étant un agent salarié, non d’une colonie, mais d’un parti dans cette colonie, il devait être toujours prêt à avancer, à soutenir tout ce qui pouvait plaire à ce parti.

Quant à la correspondance du Vindicator, rétribué, aussi, mais d’une manière moins directe, elle ne se remplissaient de notions décevantes, d’assertions fausses, de productions visionnaires, de conseils pernicieux, que pour avoir effet dans notre pays. Dans ce qui parût, de la fin de juin au commencement d’août, nous ne choisirons que les passages suivants, au milieu d’éloges fastidieux des niveleurs et du nivelisme, et de tissus d’injures contre quiconque n’était pas radical outré ou révolutionnaire.

« Hier soir (6 mai) M. Roebuck soumit sa motion pour obtenir la permission d’introduire un bill « pour amender la constitution de votre conseil législatif. » Il expliqua très au long ses vues et ses intentions, et « on l’écouta avec une profonde attention. » Le tout se passa on ne peut mieux, le gouvernement regarde comme ouverte la question d’un conseil électif. Vous n’avez qu’à insister sur vos demandes à ce sujet. Sir Geo. Grey s’est conduit à son ordinaire, très mal. De ce que M. Roebuck s’était prononcé contre l’existence d’un conseil, sir Geo. Grey le trouvait en défaut, en proposant un conseil électif. Sir John Hanmer attaqua M. Roebuck, (sur son agence). La chambre était généralement disposée à empêcher M. Roebuck de répondre à sir J. Hanmer. Néanmoins, dans sa réponse il a été appuyé de sentimens fortement exprimés, et je puis dire que la chambre fût universellement en sa faveur. Tous les allégués de M. Roebuck sont restés sans réponse. »[42] Robinson lui-même n’ôsa pas y répondre. »[43]

…Tout le monde admet que le Canada est dans un état effrayant d’excitation… Si vous devenez tranquilles, dociles et soumis, on vous bâillonnera ; mais si vous paraissez formidables, les ministres céderont… J’espère que la chambre d’assemblée ne perdra pas de vue un seul moment ces grands principes démocratiques pour lesquels elle combat si noblement, depuis si longtems. Que les représentans du peuple se rappellent toujours cette vérité : nulle proposition du gouvernement ne produira de bien durable pour le pays, si elle ne renferme inconditionnellement la cession du revenu public, de quelque source qu’il provienne, soumis au contrôle de la chambre d’assemblée, et l’introduction du principe électif dans le conseil législatif. Sans ces deux principes essentiels, toutes les autres réformes ne seront qu’illusoires. »

Cette correspondance ne plaisait pas plus au Canadien que les bruyantes assemblées de comté, avec leur « foudroyantes, » et par fois délirantes résolutions. Il attaquait « les amis du Canada, à Londres ; il insinuait qu’ils n’auraient point d’objection à voir cette province en convulsion, dans l’espoir d’en tirer quelque avantage personnel, par des vues d’ambition. » Il n’avait pas non plus pour M. Roebuck un respect sans bornes, et le Vindicator et La Minerve on témoignaient leurs grands et sincères « regrets ; » mais, selon la dernière, ce n’était pas son seul tort, car « il avait pris à tâche de louer tous les actes de l’administration de lord Gosford, » et elle veut le forcer à reconnaître que son Excellence est blâmable au moins de faire parfois des nominations qui ne sont pas populaires.

Il ne faut pas que ce qu’on vient de lire fasse croire que Le Canadien avait cessé d’être patriote dans le sens purement démocratique, ou de la souveraineté du peuble, même d’une colonie, et il ne tarda pas à prouver à La Minerve qu’elle avait eu tort de porter contre lui une accusation aussi générale ; ce fût surtout en disant, à l’occasion de la convocation de la législature pour le 22 de septembre, qu’une session n’était plus possible avec le personnel actuel du conseil législatif, qui avait rejeté un grand nombre de bills populaires, et qu’en justice pour le pays, la chambre d’assemblée ne pouvait plus risquer de perdre une session avec le conseil actuel, » etc. À son gré, les choses n’allaient plus assez vite en Canada, et pour dire le vrai, à l’époque où nous en sommes, tous les partis voulaient précipiter ce qu’ils appelaient des réformes, et d’après ce que La Minerve donnait à lire, « le parti populaire pouvait faire la loi,… et « si M. Papineau avait été disposé à pousser les choses aux extrêmes, le Canada était perdu sans ressource pour l’Angleterre. »

Dans sa harangue, le gouverneur dit, entre autres choses, aux deux chambres : « Les événemens qui ont signalé la clôture de la dernière cession du parlement provincial ont été cause que je vous ai convoqués à une époque de l’année aussi inusitée.

« L’adresse sur l’état de la province que la chambre vota alors à sa Majesté ayant été mise au pied du trône, je crois qu’il est de mon devoir de profiter de la plus prochaine occasion pour vous communiquer la réponse que sa Majesté a bien voulu faire, à ce sujet. À cette fin, j’en transmettrai sans délai une copie à la chambre d’assemblée. En même temps, suivant les ordres exprès du roi, je mettrai devant les deux chambres les instructions sous lesquelles j’ai pris le gouvernement de cette province, ainsi que celles qui ont été adressées à moi et à mes collègue dans la commission royale. »

À la chambre d’assemblée : « Conformément aux ordres de sa Majesté, je dois de nouveau recommander à votre attention la liste civile pour l’année courante, comme aussi les comptes qui font foi des arrérages dus au gouvernement civil, qui ont été mis sous vos yeux, durant la dernière session. Le roi a remarqué que, dans la dernière session, vous fûtes induits à ne voter les subsides que pour six mois, et à proférer les plaintes contenues dans votre adresse, apparemment en conséquence de la publication de quelques passages détachés des instructions dont je viens de parler, et de quelques conséquences que vous en avez déduites, et qu’on a lieu de croire qu’une entière connaissance de ces instructions feraient disparaître. Sa Majesté croît donc qu’il n’est que juste que vous ne soyez point exposés à suivre une marche adoptée d’après des idées erronées, mais que vous ayez une occasion de revenir sur vos décisions avec tous les renseignemens sur les vues et les intentions de son gouvernement, que vous puiserez dans la lecture des documens qui vous seront soumis. Sa Majesté est persuadée que lorsque vous connaîtrez la teneur entière et l’esprit général de ces instructions, vous accéderez à la demande que je vous ai faite, au commencement de la dernière cession, et que j’ai reçu ordre de vous renouveler, pour le service public, etc. »

La harangue ayant été lue, il fût nommé un comité de membres,[44] pour y préparer une réponse ; puis M. Morin introduisit son bill « pour amender l’acte de la 31e Geo. III., chap. 31, » et proposa que la chambre se formât en comité, le 26, pour « prendre en considération l’état de la province. »

Le lendemain, 23, M. Morin introduisit le bill de l’agent. La seconde lecture du bill pour amender l’acte constitutionnel, faite le 24, occasionna des débats, où figurèrent, d’un côté, M. Vanfelson, et de l’autre, MM. Morin, Lafontaine et Berthelot. Mais malgré l’habileté avec laquelle M. Vanfelson fît voir le ridicule dont se couvrait une assemblée coloniale, en tentant d’amender un acte auquel elle devait son existence, ou sans lequel elle n’aurait jamais existé, il n’y eût que douze membres[45] pour voter contre le bill lors de la division.

Dans sa réponse au discours du gouverneur, présentée le 26, après avoir offert ses remercîmens de la promptitude avec laquelle le gouvernement du roi avait répondu à l’adresse votée par elle, après mûre délibération, laquelle « contenait l’expression fidèle et sincère de ses vœux, de ses opinions et de ses besoins, et était propre à lever tout doute, quant à l’esprit de libéralité dans lequel elle recevait les réformes nécessaires dans les institutions et l’administration de cette province, demandée depuis longtemps par cette chambre ; et par la masse du peuple, » la chambre, au lieu de répondre « conformément » à ce qu’a dit le gouverneur, divague, se plaint, accuse et insulte, disant entre autres choses : « Nous ôsons espérer que la réponse sera explicite et de nature à lever promptement les obstacles qui ont empêché jusqu’à présent le redressement des griefs et abus et le bien-être du pays… Nous : regarderons comme le premier et le plus impérieux de nos devoirs de travailler à faire disparaître les maux qui ont pesé et qui continuent de peser sur le peuple, et à le protéger contre les effets du système qui a corrompu le gouvernement provincial, et qui a même poussé les plus hautes autorités de l’empire à des actes et à des projets nuisibles aux fidèles sujets canadiens de sa Majesté… Nos travaux sont devenus infructueux par le rejet systématique, dans le conseil législatif, de tous les projets de loi propres à réparer le passé, à protéger le peuple à l’avenir, à l’éclairer et à avancer son bien-être moral… Le fait que ce corps est demeuré le même, a dû nous ôter la pensée que l’autorité royale eût l’intention de fatiguer le pays par la répétition des même scènes, dans la présente session, au grand discrédit de la constitution vicieuse qu’on a cherché à maintenir. » Et cela suivi d’une séquelle assez longue, de la même teneur et sur le même ton, à sa louange et au blâme du conseil législatif et des partisans de la constitution.

En remerciant la chambre d’assemblée, lord Gosford ne put donner le change qu’aux plus confiants ou aux plus ingénus d’entre ses membres ; on aurait plutôt cru qu’il n’avait pas compris la teneur de l’adresse qu’il venait d’entendre lire, que d’imaginer que les documens qu’il avait à communiquer étaient favorables à toutes les prétentions et demandes de l’assemblée : on ne tarda pas à savoir à quoi s’en tenir, mais pour le moment seulement ; car la dépêche de lord Glenelg, communiquée le lendemain, 27, ne décidait rien pour l’avenir ; elle n’était que la répétition, et parfois l’explication de la précédente, mais sur un ton encore plus humble, comme celui d’un adversaire qui a perdu du terrain et qui craint d’en perdre encore. Le ministre ne s’offense de rien, et il craint de causer la moindre offense ; il ne voit qu’harmonie, accord, là où il y a mésaccord ou mésintelligence manifeste ; il fait dire à la chambre, comme à sa louange, ce qu’elle n’a ni dit, ni prétendu dire, et s’il est obligé de parler de quelque différence d’opinion, il espère qu’on ne le croira pas coupable d’oublier ce qui est dû aux privilèges et à la dignité de la chambre. Il ajoute pourtant, en supposant que sa dépêche avait été mal interprétée, ou qu’il y avait eu quelque « malentendu. » « En désavouant cette interprétation, je ne fais aucune nouvelle concession, mais j’adhère simplement aux vues que j’ai eu l’honneur d’être chargé de communiquer. »

Au bout de six jours, la chambre répondit ultérieurement à la harangue du gouverneur, ou à la dépêche dont nous venons de parler, et dit, entre autres choses :

« Nous n’avons pu jusqu’ici nous apercevoir d’aucun malentendu, ni d’aucune méprise de notre part, qui dut changer les vues que nous entretenons, ou nous suggérer des moyens différents de les faire accomplir. Nous croyons encore qu’il est de notre devoir de persévérer dans les mêmes déclarations, et en particulier dans la demande d’un conseil législatif électif. Ce n’a pu être que par suite d’une injuste défiance contre cette chambre… que le gouvernement de sa Majesté a repoussé nos prières, pour s’en rapporter à un petit nombre d’individus, étrangers au pays, dont le sort leur était ainsi confié, et dont la mission, vague et subordonnée, ne pouvait se trouver en rapport avec aucune autorité indépendante reconnue par la constitution. C’est ainsi qu’un pouvoir agissant hors de l’ordre, et contre l’ordre, n’a pu former de liaisons qu’avec ceux qui tenaient aux mêmes erremens, et qui, depuis longtems, ennemis déclarés de cette chambre, et du peuple, profitent du système de double politique qui fait jusqu’ici le malheur du pays… Nous devons déclarer qu’une déviation fondée sur des recherches dont l’essence est vicieuse ne pourrait acquérir l’acquiescement d’aucune portion du peuple assez importante pour donner de l’appui à un bon gouvernement. Si nous entendons dans son vrai sens la portée de la dépêche qui approuve nos opinions sur divers points, sans les discuter en particulier, nous serions portés à croire que le gouvernement de sa Majesté, convaincu de la justice de nos demandes sur ces points, et de leur harmonie avec le bon gouvernement du pays, y a maintenant accédé, indépendamment de tout délai inutile… Cependant nous ne pouvons manquer d’être animés d’un profond regret et mus par une vive douleur, lorsque nous considérons que les vices de nos institutions politiques sont demeurés les mêmes ; que la législature provinciale continue d’être arrêtée dans ses fonctions, par l’appui prêté au conseil législatif… que les autorités exécutives et judiciaires ont conservé et manifesté le même caractère de faction combinée contre la liberté et la prospérité publique du pays ; qu’on a pas renoncé à des recherches préjudiciables ; qu’enfin, le gouvernement de cette province, sans doute d’après l’ordre spécial de l’autorité qui l’a constitué, a eu recours, depuis la dernière session, à l’usage de disposer des deniers publics, sans le consentement du peuple et de cette chambre. Ainsi donc, la situation du pays étant la même, nous croyons qu’il est de notre devoir impérieux d’adhérer entièrement au contenu de notre adresse du 26 février dernier, ainsi qu’à nos déclarations précédentes, et nous y adhérons. Nous reposant sur la maxime salutaire, que la réparation des abus, et le redressement des griefs doivent précéder l’octroi des subsides, nous n’avons pas cru que rien nous autorisât à aller au-delà de ce que nous avons résolu dans la session dernière… Les mêmes circonstances, ainsi que la considération du principe salutaire exposé plus haut, nous font un devoir d’ajourner nos délibérations, jusqu’à ce que le gouvernement de sa Majesté, par ses actes, et surtout en conformant la seconde branche de la législature aux vœux et aux besoins du peuple, ait commencé le grand œuvre de justice et de réforme. »

En finissant, l’adresse fait remarquer que « ce n’est pas la chambre, mais le conseil législatif, qui a privé l’administration provinciale de ressources qui eussent été à sa disposition. »… Ce que tout le monde a dû remarquer surtout, dans cette adresse, c’est un désir ardent et aveugle d’innovations dangereuses ; une haine implacable contre le conseil législatif ; une crainte désordonnée (quoique peut-être bien fondée) de l’enquête de la commission royale ; une détermination désespérée, et, de plus, un suicide.

À cette adresse, ou réponse ultérieure, présentée le 3 octobre, le gouverneur répondit : « Le sentiment de mes devoirs publics, et le vif intérêt que je prends au bien-être de la province, me forcent à vous exprimer le regret sincère que me font éprouver les résolutions que vous avez adoptées. La détermination que vous exprimez de ne jamais reprendre vos fonctions pendant la durée de la constitution actuelle, prive virtuellement le pays d’une législature domestique, et le place dans une situation qui doit causer les plus grands embarras, jusqu’à ce que l’autorité suprême de l’empire puisse appliquer un remède convenable. Votre adresse sera transmise en Angleterre, sous le plus court délai possible. »

La résolution prise désespérément par la chambre d’assemblée rendait la continuation de la session impossible, et elle fût terminée le 4, par le discours suivant du gouverneur ;

« N’ayant plus lieu d’attendre aucun bon résultat du message que, d’après l’ordre de notre très gracieux souverain, j’ai communiqué à la chambre d’assemblée, je me hâte de mettre fin à cette session.

« L’objet de la convocation du présent parlement était, de la part de sa Majesté, de faire un nouvel effort our donner un peu de repos intérieur à son peuple canadien. Je déplore cependant, qu’au lieu d’attendre le développement des mesures qui sont en progrès, mais qui, pour être efficaces, doivent avoir le temps d’être mûries on continue à insister sur une décision plus hâtive, et la province est même menacée de l’abandon par une branche de la législature, des devoirs qui lui sont imposés par la constitution. Sans appuyer sur ce dessein de sinistre augure, je me bornerai à observer que, si l’on y persiste, le nombre d’actes temporaires, et l’importance de quelques-uns de ces actes, qui sont sur le point d’expirer, doivent donner un effet particulier à cette province, à une décision qui, dans quelque pays que ce soit jouissant des pouvoirs d’une législation locale, ne pourraient être qu’une privation sévère, et une source de souffrances publiques. En prenant congé de vous, j’exprimerai l’espoir, que je ne veux pas abandonner, que, quoique les embarras politiques du pays paraissent se multiplier autour de nous, les élemens inbérens de prospérité et de contentement qu’il renferme, triompheront de toutes les causes accidentelles de difficulté. »[46]

En conséquence de la composition de la nouvelle chambre d’assemblée du Haut-Canada, la nôtre se trouvait condamné à marcher seule dans la carrière révolutionnaire ; mais les membres de sa majorité avaient encore pour alliés leurs frères réformistes de cette province, et ils ne tardèrent pas à goûter le plaisir d’être « hautement approuvés par une nombreuse assemblée de réformistes influents » de Toronto, où il fût résolu unanimement, sur motion du (révérend) Dr. O’Grady, secondé par Francis Hinks, écr.

« Que cette assemblée se réjouit de la fermeté et de la dignité de la conduite déployée par la chambre d’assemblée du Bas-Canada, en défendant ses justes droits, et que vu la déplorable répugnance du bureau colonial, à Londres, à écouter les remontrances réitérées de cette province, nous sommes fermement d’opinion, que nous ne pouvons autrement garantir nos droits constitutionnels qu’en suivant le noble exemple donné par la chambre d’assemblée de notre sœur province. »[47]

  1. « Son Excellence, lord Aylmer, et un nombreux état-major s’étaient transportés sur le quai du roi, à cheval et en carosse. MM. les membres de la commission furent reçus dans le carosse de Son Excellence. » — Gazette de Québec.

    « Nos bureaucrates sont bien mécontents de lord Gosford. Il paraît qu’il n’est demeuré que trois quarts d’heure au bal donné au seigneur de Balrath… Lord Aylmer est parti de sa résidence à cheval. En passant devant le château, il s’arrêta quelques secondes pour attendre lord Gosford, dont le carosse, attelé de quatre chevaux, était à la porte ; ce dernier ne venant pas, lord Aylmer a continué son chemin avec sa suite. Il n’était pas rendu à l’hôtel de l’Union, qu’on est venu donner ordre au cocher de mener les chevaux à l’écurie. Tout ce temps, lord Gosford le passait à s’amuser dans son jardin, à regarder avec sa longue-vue la Pique, qui levait l’ancre. » — Correspondance de La Minerve.

  2. « Les commissaires sont partis… Il ne peut rien résulter d’une enquête nouvelle. Ayez soin d’éviter toute plainte partielle, plaignez-vous du système, et demandez-en le changement. Demandez un conseil électif, ou l’abolition totale de ce corps ; l’un ou l’autre, point de milieu… Nous allons vite ici pour la même demande ; nos lords, notre conseil, seront abolis… Si l’on ne vous accorde pas le conseil électif, n’accordez rien, ou vous vous perdrez, parlez avec force, menacez ; vous vous en trouverez bien. Le peuple anglais vous soutiendra… Les ministres n’ôseront pas apporter des délais…. Point de demi-mesures : celui qui conseille quelque concession (de votre part) est ou ignorant ou pervers. Ne craignez pas ; ne retranchez pas un seul iota de vos demandes… Un conseil populaire, ou rien, voilà votre motto, voilà votre règle. »

    « Those who attempt to level never equalize. In all societies consisting of various descriptions of citizens, some description must be uppermost. The levellers therefore only change and pervert the order of things. In this you think you are combatting prejudice, but you are at war with nature. » — M. E. Burke.

  3. «  Quoique lord Glenelg ne croie pas devoir entrer maintenant dans la discussion des sujets auxquels votre note fait allusion, il y a une circonstance qui lui paraît digne de remarque. La session de la législature s’est terminée avant qu’on put avoir appris dans la province que sa Majesté avait l’intention d’autoriser quelque personne à agir comme commissaire royal, et la chambre d’assemblée n’a pas été réunie depuis. Dans votre minute, vous exprimez comme agent de ce corps les vues qu’il conçoit sur les sujets de la commission, et les conditions qu’il regarde comme essentielles à son succès. Comme de tels indices ne pouvaient avoir été le résultat d’instructions transmises par la chambre d’assemblée, particulièrement touchant la commission royale, ils devaient nécessairement être fondés sur votre propre jugement de ce que pourraient probablement avoir été les sentimens de la chambre, sous des circonstances données ou sur de semblables notions de la part d’autres personnes… Quelque disposé que soit lord Glenelg à recevoir par votre entremise toute communication dont il plaira à la chambre de vous faire le porteur, il ne pourrait se croire justifiable, s’il recevait comme une expression des opinions de la chambre, des représentations autres que celles qui émaneraient de ce corps. »

    Avant son entrevue avec lord Glenelg, M. Roebuk avait écrit à M. Papineau une lettre où il lui disait : « Que l’assemblée continue ferme dans son but, qu’elle poursuive avec énergie la ligne de conduite qu’elle s’est tracée, et nous pourrons délivrer le Canada de cette tyrannie harassante quoique misérable, qui a si longtems entravé sa marche, et qui est une honte pour la mère-patrie, qui a si longtems permis, qui a protégé une si infâme domination. Il n’y a qu’un gouvernement purement démocratique qui vous convienne, toute espèce d’aristocratie doit être repoussée par vous… Vos efforts ne devraient jamais se ralentir que vous n’ayez déraciné cette misérable imitation mortellement nuisible

  4. « J’allais mentionner, en ma qualité privée, une circonstance qui, comme simple objet de police, devrait être réprimée. C’était, comme on me l’avait donné à entendre, l’habitude qu’avaient les troupes, à Montréal, de ne pas aller en ligne droite de leurs casernes à l’église, mais de faire un circuit de manière à passer devant la demeure de M. Papineau et d’y jouer des airs de parti. »
  5. C’est l’inverse aujourd’hui.
  6. « C’est la première fois, à ce que nous croyons, que la chambre d’assemblée présente son adresse avant le conseil législatif. Cela vient des longs débats qui ont eu lieu au conseil, sur ce document, qu’on attribue à M. Viger. » — Le Canadien.
  7. « M. Viger a soutenu la motion dans un long discours. Il y eût une division : MM. Viger, Debartzch et Laterrière seuls se décidèrent en faveur de la mesure, » — La Minerve.
  8. « Lord Gosford, qui ne parait pas avoir consulté le ton menaçant de la Gazette Neilson, accorde de bon cœur les contingens de la chambre d’assemblée. Aussitôt, la Gazette Neilson nous informe que plusieurs membres du conseil ont déjà laissé la ville, et que d’autres sont sur le point d’en faire autant. — Lettre publiée par La Minerve.
  9. M. Power : « J’admire la franchise de M. l’orateur, quand il dit qu’il désire préparer le peuple pour sa séparation de la métropole. Je n’approuve pas les opinions purement démocratiques de M. Roebuck et de M. l’orateur, ni le sort qu’ils désirent préparer au peuple heureux de ce pays heureux. Je suis fermement convaincu que le peuple de ce pays ne désire pas changer son sort pour celui des habitans des États-Unis… Il faut se méfier de l’éloquence de M. l’orateur, qui tend à renverser, non-seulement les conseils, mais encore le gouvernement britannique. J’ai voté contre les 92 résolutions : à plus forte raison voterai-je contre M. Roebuck, qui les outrepasse de beaucoup, et à qui l’on donne une latitude sans bornes pour exprimer les sentimens et les convictions de la chambre. »

    M. Clapham : « Pourquoi s’opposer, par la nomination de M. Roebuck, aux mesures et aux vues de la présente administration ? Pourquoi dépenser douze ou quinze cents livres par année jusqu’à ce que la commission ait fait son rapport ? car M. Roebuck nous dit lui-même que le ministère attend le rapport de la commission avant de se prononcer sur nos griefs. Sir Geo. Grey dit, de la part de lord Glenelg à M. Roebuck, qu’il ne pourrait se croire justifiable s’il recevait comme exprimant les sentimens de la chambre des représentations qui n’émaneraient pas de ce corps. La chambre devrait avoir honte de la conduite de M. Roebuck, en cette occasion. »

    M. Gugy : « Nous n’avons pas besoin d’un agent en Angleterre. S’il en fallait un, ce ne devrait pas être un homme tel que M. Roebuck. »

  10. Nos gazettes se sont servi de ce terme, comme traduction des mots anglais Briton et British.
  11. Le style et la teneur générale des résolutions de ses assemblées montraient évidemment que la licence de la presse, qui parvenait à son comble, avait déjà « merveilleusement » exalté les esprits et troublé les imaginations.
  12. Le prétexte de cette odieuse calomnie était que la maladie ayant empêché le juge en chef de remplir son devoir, comme président du conseil législatif, pendant la session de 1834, lord Aylmer avait nommé à cette place, l’honorable Bowen, l’un des juges du district de Québec, et ramené ainsi sur l’arène politique, dont il s’était retiré depuis plusieurs années, un des juges du pays, et cela malgré les recommandations du comité de la chambre des communes.

    Ceux qui trouvèrent bonne une pareille interprétation entendaient peu de chose à l’esprit des lois, et interprétaient beaucoup plus mal que n’avait fait lord Aylmer les recommandations du comité de 1828, qui voulait que le juge en chef fût président du conseil législatif, et incontestablement, à son défaut un autre juge, « afin que » etc.

  13. Cela eût été fort, sans doute, mais pourtant n’aurait pas équivalu à la tentative de détruire, non-seulement les privilèges, constitutionnels ou non, d’une branche de la législature provinciale, mais cette branche même.
  14. « On nous reproche de ne pas vouloir donner à l’accusé les moyens de se défendre : nous les lui donnons pour se défendre, mais non pour interrompre l’enquête. On dit que c’est une chose impossible et inouïe qu’il puisse se défendre contre des accusations qu’il ne connaît pas : ses actes publics, ses décisions judiciaires, auxquelles seules on peut référer, ne sont-ils pas inscrits dans les registres des cours ? Ne peut-il pas y référer, pour vérifier ou pour réfuter les accusations ?

    M. Papineau parait vouloir ici une cour d’un genre nouveau, et à procédures assez singulières, pour décider lesquelles des décisions d’un juge sont exemptes ou entachés de partialité, de corruption, de passions, etc., et de plus, vouloir obliger le dit juge à faire une humble confession, après un stricte examen de conscience, où à revoir tous ses jugemens, datassent-ils de vingt ou trente ans, pour dire des uns qu’il les croit bons, et avouer des autres qu’ils sont mauvais et être puni pour n’avoir pas jugé autrement, ou comme aurait fait ce juge-ci ou ce juge-là.

  15. Plusieurs des expressions de ce paragraphe rappellent les £22, 000 donnés de bon cœur, et les £5, 000 donnés sans délai cette année par lord Gosford à compte des dépenses contingentes de la chambre d’assemblée.
  16. M. Vanfelson : « Je désire connaître les motifs de l’honorable membre pour l’Islet. »
    M. Fortin : « Il est désirable en tout temps que les membres soient présents, surtout quand il s’agit de mesures importantes, qui intéressent le pays entier. »
    M. Vanfelson : « Sont-ce les arrérages dus aux officiers publics et la liste civile pour l’année courante, que nous sommes appelés à voter, qui sont ainsi considérés ? Depuis le 5, le sujet est devant la chambre, et c’est un fait que depuis lors, 12 à 15 membres se sont absentés, sachant que la chambre s’occuperait de cette mesure. Ce n’est donc pas une raison suffisante pour remettre et arrêter les affaires publiques. »

    M. Morin : « C’est justement parce que beaucoup de membres sont absents, qu’on demande un appel nominal. »

    M. Bedard : « La question si nous donnerons, ou non, au gouvernement les moyens de procéder, doit, sans doute, avoir déjà occupé tous les membres ; malgré la lenteur extraordinaire avec laquelle on s’est occupé de cette mesure importante, il est à supposer que chacun est prêt à se prononcer sur les moyens qu’il convient d’adopter pour faire marcher le gouvernement. »

    M. Viger : « Quelle est la position que nous avons prise, depuis 1833. Abandonnerons-nous les principes alors et depuis consacrés, sous prétexte d’oublier le passé ? Serions-nous justes envers nos constituans de renoncer à des principes qui tendront au bonheur de la province. »

    M. Berthelot… « Il faut considérer la situation actuelle du pays ; il ne faut pas traiter la présente administration comme nous avons traité les deux dernières. J’ai voté de tout mon cœur les 92 résolutions, lorsque lord Aylmer était ici… mais il n’y est plus. Lord Gosford nous tend une main secourable et nous offre la paix que nous désirons tant. Serons-nous toujours comme des chiens hargneux ?

    M. Caron… : « Est-il juste que tous les fonctionnaires, dont plusieurs ont rempli leurs devoirs fidèlement, et honnêtement, souffrent des privations, parce qu’on veut punir une demi douzaine de coupables ? Depuis longtems, on aurait dû porter attention au sujet, et après une session de trois mois, on vient encore nous proposer de le remettre. Le public entier à les yeux sur nous, et nous ne rendons justice ni au pays ni à la chambre en disant que nous avons besoin d’une douzaine de membres absents. »

  17. M. Bedard… : « Le pays et la chambre ont contracté des obligations qu’il est de l’honneur et de l’intérêt de la province de ratifier au plutôt : celle de supporter et de faire marcher le gouvernement est la principale en tout temps, mais surtout lorsque les lois, la justice, tout ce qui peut avancer le bien-être de la province, est arrêté… Il faut fournir au gouvernement le moyen de mettre à exécution les objets pour lesquels tout gouvernement est établi, ou déclarer que nous ne le voulons pas ; que nous voulons, que nous pouvons marcher seuls. Il est maintenant en notre pouvoir de concilier tous les intérêts divers, et d’assurer pour toujours la prospérité de la province. Les meilleurs amis du Canada dans le Royaume-Uni, n’ont parlé qu’en termes favorables de l’administra- tion actuelle, qui est déjà en butte aux injures les plus grossières des ennemis du peuple, qui se font une gloire de la dénaturer et de la dénigrer, qui a sacrifié tout pour la chambre, sans que la chambre ait encore fait un seul pas pour maintenir la considération favorable dont elle jouit maintenant. »

    M. Morin : « Si la marche du gouvernement a été arrêtée on ne peut pas l’attribuer à la chambre mais à l’administration. Je conviens que les dispositions conciliatrices de la présente administration méritent l’attention du peuple et de la chambre. »

    M. Gugy : « Puisque chacun désavoue l’intention de faire la guerre, cessons donc d’en avoir l’air. Nous pouvons présentement obtenir ou perdre pour jamais ce que nous demandons. Si les promesses faites ne se réalisent pas, si nous sommes trompés, nous pouvons encore recourir aux moyens dont nous avons fait usage ; mesurer notre force et nous venger. »

    « J’ai tait des extraits des instructions de lord Gosford, que j’ai envoyés à Québec. Elles produiront sans doute beaucoup de sensation partout le Bas-Canada, car elles maintiennent des principes tout-à-fait différents de l’esprit de la constitution anglaise et d’un gouvernement libre et responsable. » — Mackenzie.

    « Nous ne savons pas encore quelle sensation ces documens ont produite sur la chambre ; mais nous avons une garantie, dans sa conduite passée, qu’elle ne trahira pas la confiance que le peuple repose en elle. Elle a son guide dans les 92 résolutions ; qu’elle y tienne fermement : c’est la boussole qui doit la conduire dans l’orage… C’est un moment de crise… En attendant, nous recommandons aux membres de tenir aux principes avant tout : advienne que pourra. — La Minerve.

    « On est lassé, dégoûté à jamais de l’état d’incertitude déchirante où l’on nous tiens, depuis si longtemps. Il faut que cela finisse. Il faut que l’on sache si l’on se moquera plus longtemps des remontrances de deux peuples. » — Le Canadien.

    « En avant » est devenu notre mot d’ordre… C’est en vain qu’on veut enforcer † chez un peuple un système de gouvernement qui ne lui plaît pas »… La Minerve.

    † Traduction probable du verbe anglais to enforce.

  18. « Qu’ils (les peuples) apprennent que leur véritable intérêt leur défend de prendre conseil de la haine, ou d’écouter des hommes ardents qu’enflamme l’amour d’une perfection chimérique dont les institutions humaines ne sont pas susceptibles ; qu’ils apprennent à se méfier de ceux qui leur conseilleraient de bouleverser les fondemens de l’état, pour lui en donner de meilleurs. » — M. Sauquaire-Souligni.
  19. « Il faut non-seulement que les juges dépendent du peuple, mais qu’ils sentent qu’ils dépendent du peuple, » (c’est-à-dire, de la chambre d’assemblée.) — M. Papineau.
  20. « We are satisfied that no person can read these instructions without fully concurring in the statesmanlike and conciliatory views taken of the whole case by his Majesty’s minister. — Morning Chronicle.
  21. L’association constitutionnelle de Québec, et celle du Doric Club de Montréal, protestèrent hautement et énergiquement contre cette phrase en particulier, comme étant, notoirement contraire à la vérité.†

    †« This is a daring violation of truth, against which we now protest, an insult to the high authority of the British parliament, and to the people of Great Britain and Ireland, who are thus attempted to be imposed upon. »

    « The foregoing paragraph has roused in our minds similar feelings of indignation to those which have been already expressed by our fellow constiiutionalists of Quebec, it being not less remarkable for its mendacity than for the glaring attempt to blindfold the British parliament and the British people. »

  22. Ces mots introduits dans des adresses au roi et au parlement d’Angleterre semblent dénoter clairement l’état mental de leurs rédacteurs.
  23. « Il passa en revue les actes du gouvernement anglais à l’égard de cette colonie, depuis 1827 ; exprimant son peu de confiance dans une administration faible et inerte, et s’éleva surtout sur les menées et les démarches de la commission. » — La Minerve.
  24. « C’est une circonstance déplorable que d’être obligé d’agiter le peuple tout entier, et de lui faire faire en masse ce qu’il ferait mieux par ses représentans. »
  25. « Une première erreur a été suivie d’une seconde erreur insigne, manifestée dans le discours d’ouverture ; thème de tant d’éloges. Le gouverneur a avili, a flétri son conseil exécutif. Quelques jours après lord Gosford a été obligé de se réfugier dans les bras de ceux qu’il avait flétris. »
  26. « Un membre (le Dr. Côté) nous a prêté des motifs honteux, nous a prédit avec menace que nous ne serions pas réélus. Il n’a ni le droit de mettre en question le motif de nos convictions, ni celui de chercher à influencer les membres par la menace ; nous ne sommes pas ici pour prendre des impressions hors de cette en- ceinte, mais pour voter d’après nos convictions, et dans le sens que nous croyons avantageux a nos constituans… Je parle ici devant les miens ; qu’ils m’approuvent ou non, je ne recourrai pas au vil moyen d’exciter les préjugés, d’exciter les passions contre mes adversaires, croyant faire mon devoir, je me suis mis avec courage au-dessus des criailleries. » †

    † « La conduite de certains honorables membres de la minorité ne manquera pas sans doute d’être notée, pour s’en rappeler en temps et lieu ; car le peuple, un jour sera appelé à se prononcer sur ces procédés. » — La Minerve.

  27. « Nous sommes loin de prétendre qu’il ne se trouve dans les rangs du peuple des ambitieux, de misérables égoïstes, qui méritent le blâme des historiens impartisans et la haine de leurs contemporains. Quelle est la nation, même la plus paisible, qui ne renferme pas dans son sein un nombre plus ou moins grand de ces artisans de désordres ? Ce sont les peuples en masse qui sont innocens des crimes qu’on leur impute… Quant aux hommes qui les agitent, qui les poussent à la fureur, ils sont également coupables, qu’ils soient nés dans leurs rangs, dans ceux de l’aristocratie, ou sur le trône. » — M. Sauquaire-Souligni.
  28. Les commissaires auraient pu dire de M. Papineau et ceux qu’il parvenait à s’adjoindre, comme sir F. B. Head d’un comité de l’assemblée du Haut-Canada : « Ils n’ôsèrent pas envisager leurs 92 résolutions ; ils craignaient de nous rencontrer sur ce terrain, sachant qu’il est plus aisé d’envoyer des accusations à un pays éloigné de 4000 milles que de les prouver sur les lieux. C’est se jouer du gouvernement britannique, que de lui demander le redressement de griefs, et de ne vouloir pas qu’ils soient examinés. »
  29. On ne veut pas parler d’un revenu prélevé par la chambre d’assemblée, mais du contrôle qu’elle aurait voulu exercer sur ce revenu. On aurait pu s’exprimer mieux, et éviter l’amphibologie.
  30. Les légistes de la chambre pensèrent apparemment qu’une législature subordonnée peut abroger ou amener les actes de la législature suprême !…
  31. « Il y a quelques Canadiens faibles qui ont voté avec M. Moffatt en opposition aux résolutions de M. Debartzch. Leurs noms méritent d’être connus : ce sont MM. Joliette, Rocheblave, Saint-Ours et Couillard. » — La Minerve.
  32. The hon. Mr. Debartzch has left Quebec, it is said disgusted at the recent proceedings of the House of Assembly. He regards the party to which he belongs as disreputable and dishonest. Both the Vindicator and La Minerve have in conséquence commenced abusing and treating him as a deserter from their ranks. » — Morning Courier.
  33. Le conseil législatif ne voit réunis dans ses séances que onze membres, dans ce moment, et tous, à l’exception d’un seul, M. D. B. Viger expuent leur venin sur toutes les mesures auxquelles le pays rattache quelque importance. Tous les travaux de l’assemblée sont perdus et enfouis dans ce gouffre fétide et si nuisible… Quel sera le terme de pareils mœurs ?… Quand mourra le conseil ? Lorsque le peuple aura cessé d’avoir quelque patience. †

    † « Quand une fois le peuple est mis de la partie, les plus méchants et les plus audacieux sont les maîtres. — Durand de Maillane.

  34. Particulièrement la corporation de Montréal, qu’on avait accusé d’avoir par esprit de parti mésusé de sa puissance ou de sa position, à l’occasion des élections de 1834, et qui, l’année suivante s’était brusquement et bruyamment arrogé des pouvoirs qu’elle ne possédait pas, pour mettre son plaisir il la place de la loi et de l’équité. Toute l’autorité qu’elle avait voulu usurper alors, la chambre d’assemblée la lui donnait, et au-delà.
  35. Par exemple, dans le bill pour l’inspection de la potasse.
  36. Canada. L’indépendance de ce pays ne saurait être lointaine. Le parti Papineau, aux prises avec la noblesse anglaise, finira par la culbuter, et asseoir les bases d’un gouvernement libéral. — L’Abeille de la Nouvelle-Orléans.
    « Les nouvelles politiques que nous recevons de ce pays donnent à entendre qu’une grande crise politique ne saurait manquer d’avoir lieu bientôt. Partout les esprits sont dans la plus grande agitation ?
    Le même, date postérieure ?
  37. Entre lesquels figurèrent en première ligne MM. C. Hunter, A. E. Hart et F. X. Drolet.
  38. 2. Tout argent prélevé sur le peuple appartient au peuple † et lui seul a le droit de l’approprier par ses représentans.
    « 3. À la dernière élection pour ce comté, les candidats ont, d’une manière spéciale, assuré les électeurs qu’ils appuieraient de toutes leurs forces les grands principes de droits et de législation, tels qu’annoncé par les glorieuses 92 résolutions d’impérissable mémoire.
    « 5. La conduite qu’a tenue un des représentans de ce comté,

    † Chez toute nation civilisée, il est clairement entendue que les deniers provenant de l’impôt appartiennent à l’état pour son maintien, et ne peuvent être détournés de leur destination par quelque autorité que ce soit. lors de la discussion de la liste civile, est peu en harmonie avec ces principes, et en conséquence, cette assemblée réprouve et répudie sa démarche dans cette circonstance solennelle.

    « 7. Cette assemblée rend l’hommage de son respect et de sa reconnaissance à L. J. Papineau, digne orateur de la chambre d’assemblée, et aux hommes vertueux et francs, qui ont si habilement secondé ses efforts pour maintenir les droits du peuple et défendre sa liberté. »

  39. Ce qui fâchait surtout ce dernier, c’est qu’au nombre des grands-jurés qui avaient fait cette représentation étaient M. P. E. Leclere, propriétaire de L’Ami du Peuple, et M. T. Mitchell Smith, rédacteur du Morning Courier.
  40. Malgré les plaintes des principaux officiers de la justice transmises par le canal du gouverneur à l’assemblée, cette chambre n’avait pas voulu faire le moindre changement à un bill « pour régler le tirage des jurés, » qu’elle avait passé avec la plus grande imprévoyance, pour ne rien dire de plus, quant aux grands jurés surtout.
  41. « Les Canadas approchent de l’époque fortunée de leur affranchissement… Toutes les mesures arbitraires auxquelles on pourrait avoir recours pour arrêter la marche des Canadiens ne feraient qu’accélérer la catastrophe et l’on peut prédire que cette colonie est destinée à subir une grande commotion populaire, qui ne saurait être éloignée… Un homme se trouve au sein de notre assemblée, il les dépasse de ce qu’un géant dépasse un pygmée… Il n’ignore pas que le pouvoir ne se donne pas… il se prend »…
  42. C’était bien tout ce qu’ils méritaient ; mais « l’hon. et savant monsieur s’attribue le mérite d’avoir prédit la situation où se trouvent les provinces canadiennes ! je prends ta liberté de lui rappeller que très souvent les prédictions occasionnent elles-mêmes leur accomplissement. » — Sir Geo. Grey.
    « Certain it is that his prophecies, which he says have been accomplished, were neither more now than recommendations sent out by himself to bring about certain events. — Brighton Gazette.
    Mr. Robinson’s speech was in his best mode, and exceedingly to the purpose, although hardly reported in any of the Metropolitan journals.
     » — Ibid.
  43. M. Robinson niait que l’hon. et savant membre pour Bath pût être regardé comme le représentant du peuple du Canada. « Il est simplement le représentant du parti Papineau. » M. Robinson continue à se prononcer fortement contre des demandes qu’il appelle exorbitantes, monstrueuses et grosses de dangers, mais en ne distinguant pas assez la masse des canadiens de la majorité de la chambre d’assemblée.
  44. MM. Morin, Nelson, Lafontaine, Viger, Huot, Kimber et Vanfelson.
  45. MM. Bertrand, Bowman, Clapham, Dubord, Fraser, Marquis, Power, Simon, Stuart, Taché, J. A. Taschereau, Vanfelson.
  46. Ainsi ne pensait pas Le Canadien, qui, n’ayant plus à défendre sa minorité, tombée toute entière, cette fois, dans les panneaux de la majorité, avait repris son attitude offensive. La lecture de quelques passages seulement de la dépêche de lord Glenelg, l’avait indigné et rendu d’une humeur tout-à-fait guerroyante… « Où il faut une action prompte, on donne des paroles, des sophismes. Le ministre colonial n’a que des paroles à offrir à une chambre à laquelle un long règne d’abus corrosifs a donné une soif ardente de réformes effectives. Le résultat prochain de tout cela n’est pas difficile à prévoir. Quant aux résultat éloigné, hélas ! nous n’ôsons pas encore chercher à le prévoir. L’état de choses qui règne depuis longtemps, sans espérance d’amélioration bien prochaine remplit, l’âme des hommes les moins exigeants, les plus modérés de douloureux pressentimens. Ils craignent d’avoir a embrasser, pour éviter un plus grand mal, un mal qu’ils ont de tout temps redouté et qu’ils redoutent encore bien sincèrement. »
  47. Ceci rappelle que leurs frères réformistes avaient député en Angleterre MM. R. Baldwin et Charles Duncombe, comme porteurs de leur kyrielle de griefs, et de leurs tirades d’invectives dirigées directement contre le gouvernement de la métropole. Ils furent éconduits, suivant le correspondant anglais du Vindicator, et ne purent obtenir une audience au bureau colonial. Le dernier se consola, ou se vengea de cette disgrâce, par une lettre à lord Glenelg, toute remplie d’extravagances radicales, de faussetés palpables et d’accusations calomnieuses contre Sir P. B. Head.