Histoire du Canada (Garneau)/Tome I/Livre III/Chapitre I

Imprimerie N. Aubin (Ip. 249-293).


CHAPITRE I.




DISPERSION DES HURONS.



1632–1663.

Louis Kirtk rend Québec à la France en 1632. — Champlain revient en Canada comme gouverneur, et travaille à s’attacher les Indigènes plus étroitement que jamais. — Collége des Jésuites construit à Québec. — Mort de Champlain, (1635). — M. de Montmagny le remplace. — Guerre entre la confédération iroquoise et les Hurons ; les succès sont partagés. — Le P. Le Jeune établit le village indien de Sillery. — Fondation de Montréal (1641), par M. de Maisonneuve. — Fondation de l’Hôtel-Dieu et du couvent des Ursulines. — Paix entre toutes les nations indiennes ; elle est rompue par les Agniers. — M. d’Aillebout relève M. de Montmagny comme gouverneur de la Nouvelle-France. — La guerre devient extrêmement vive entre les Iroquois et les Hurons : succès prodigieux des premiers ; les Hurons ne pouvant leur tenir tête sont dispersés, les uns vers le lac Supérieur, d’autres vers la baie d’Hudson, le reste vers le bas St.-Laurent (1649–50). — La Nouvelle-Angleterre fait proposer au Canada un traité de commerce et d’alliance perpétuelle. — M. de Lauson succède à M. d’Aillebout. — Les Iroquois après leurs victoires sur les Hurons, lâchent leurs bandes sur les établissemens français. — M. d’Argenson vient remplacer M. de Lauson. — Le dévouement de Daulac sauve le Canada. — Les Iroquois demandent et obtiennent la paix. — Le baron d’Avaugour arrive comme gouverneur à Québec ; remontrances énergiques qu’il fait à la cour sur l’abandon de la colonie ; on y envoie 400 hommes de troupes. — Dissentions entre le gouverneur et l’évêque, M. de Pétrée. — Célèbre tremblement de terre de 1663. — Rappel de M. d’Avaugour auquel succède M. de Mésy. — La compagnie des cent associés rend le Canada au roi et se dissout (1663).


Le Huguenot, Louis Kirtk, garda Québec environ trois ans pour l’Angleterre, et rendit cette ville à M. de Caen, conformément au traité de St.-Germain-en-Laye, en 1632. La compagnie des cent associés ne s’en mit en possession cependant que l’année suivante. Champlain, nommé de nouveau gouverneur, arriva avec une escadre richement chargée, et débarqua en Canada, où il trouva tout comme il l’avait laissé ; il reprit l’administration comme après une absence ordinaire. Une garde de soldats armés de piques et de mousquets, entra tambour battant dans le fort St.-Louis, qui fut remis à M. du Plessis Bochard.

Voyant le peu d’efforts que la France avait faits pour défendre ce pays, il chercha suivant son ancien système, à s’attacher plus étroitement que jamais les populations indiennes, surtout les Hurons. Il leur envoya des missionnaires pour leur porter l’Évangile. Ces missionnaires étaient les Jésuites, qui avaient remplacé les Récollets, exclus sous prétexte que, dans une nouvelle colonie, ces moines mendians sont plus à charge qu’utiles.

En même temps que la cour donnait des ordres très stricts pour défendre l’exercice de tout autre culte que du culte catholique, elle n’envoyait que des colons industrieux et de bonnes mœurs. De cette manière l’émigration se composa ou d’ouvriers utiles, ou de personnes de bonne famille, qui s’y transportaient dans la vue d’y jouir plus tranquillement de leur religion, qu’elles ne pouvaient le faire dans les provinces du royaume où les protestans étaient en majorité. Elle fut plus abondante que de coutume. Le pays sembla enfin prendre une nouvelle vigueur.

C’est vers cette époque, à la fin de 1635, que l’on commença la bâtisse du collège de Québec. Cet édifice fut fondé par le Jésuite, René de Rohaut, fils du marquis de Gamache, et placé sous l’administration de son ordre, spécialement pour l’éducation. Le gouvernement y ajouta ensuite de grands biens, et l’ordre lui-même en acheta d’autres.

Lors de l’extinction complète de cette communauté, en 1801, par décret du gouvernement britannique, l’administration militaire s’empara du collège ; et le reste des biens fut abandonné à la régie d’une commission, en violation des traités et du droit de propriété privée[1]. Cependant, sur les remontrances de la chambre d’assemblée du Bas-Canada, Guillaume IV reconnut la destination de cette fondation, et ordonna que les revenus en fussent laissés à la disposition des chambres ; mais l’on ne voulut restituer le collège, dont on avait fait une caserne, qu’à la condition que la province ferait bâtir un autre local pour loger les troupes.

À peine venait-on de jeter les fondemens de ce premier temple élevé à la science dans ce pays, que la joie publique fut troublée par la mort de Champlain, arrivée le 25 décembre, (1635.)

Natif de Brouage en Saintonge, (Charente-Inférieure,) il embrassa, comme beaucoup de ses concitoyens, le métier de la mer, et se distingua au service d’Henri IV. Sa conduite ayant attiré sur lui l’attention du commandeur de Chaste, celui-ci lui fournit l’occasion d’entrer dans une carrière qui devait le mener à l’immortalité.

Champlain avait toutes les qualités nécessaires pour remplir la mission dont il fut chargé. À un jugement droit et perspicace, à un grand courage et une persévérance dont près de 30 ans d’efforts pour fonder cette vaste province, sont la preuve, il joignait le don précieux, pour un homme dans sa situation, d’une grande décision de caractère, personne mieux que lui ne sachant prendre un parti dans une occasion difficile et qui ne souffrait point de délai. Son génie pratique pouvait concevoir et suivre sans jamais s’en écarter un plan compliqué. Il assura ainsi à son pays la possession des immenses contrées de la N.-France, sans le secours presque d’un seul soldat, et par le seul moyen des missionnaires et d’alliances contractées à propos. Il a été blâmé de s’être déclaré contre les Iroquois ; mais l’on ne doit pas oublier que la guerre existait entre les Indigènes lorsqu’il arriva dans le pays, et qu’il ne cessa jamais de faire des efforts pour les maintenir en paix. Sa mort fut un grand malheur pour les Hurons, qui avaient beaucoup de confiance en lui, et qu’il aurait peut-être arrachés à la destruction qui vint fondre sur eux peu de temps après.

On lui a reproché aussi de ne pas s’être imposé de suite comme médiateur entre les parties belligérantes. Mais on oublie qu’il était impossible alors de forcer les Indigènes à reconnaître une suprématie ; il fut obligé de subir les conséquences des événemens qu’il ne pouvait maîtriser, dans l’intérêt de la conservation de son établissement.

Comme écrivain, il ne peut être jugé avec sévérité. Ce n’est pas dans un marin du 17e siècle, que l’on doit chercher un littérateur élégant. Mais on trouve en lui un auteur fidèle et un observateur judicieux et attentif, rempli de détails sur les mœurs des Sauvages et la géographie du pays. Il était bon géomètre. L’esprit naturellement religieux, et touché de l’humilité de l’école contemplative, il choisit de préférence pour sa colonie, des moines de l’ordre de St.-François, parce qu’ils étaient, disait-il, sans ambition. Les Jésuites firent tant à la cour, qu’ils obtinrent ensuite de les remplacer ; et, quelque soit le motif qui les fit agir, il n’est pas douteux que leur influence fut d’un grand service à Champlain. Plus d’une fois les rois de France, sur le point d’abandonner la colonie, en furent empêchés principalement par des motifs de religion ; et dans ces momens-là, les Jésuites, intéressés au Canada, en secondèrent puissamment le fondateur.

Champlain avait une belle figure et un port noble. Une constitution vigoureuse le mit en état de résister à toutes les fatigues de corps et d’esprit qu’il éprouva dans sa rude carrière. Il traversa l’Atlantique plus de vingt fois, pour aller défendre les intérêts de Québec à Paris. En perdant Henri IV, deux ans après la fondation de cette colonie, il perdit un ami et un bon maître, qu’il avait fidèlement servi, et qui lui aurait été d’un grand secours.

On lui donna pour successeur M. de Montmagny, chevalier de Malte, qui résolut de marcher sur les traces de son prédécesseur.

L’établissement de la compagnie des cent associés avait fait tant de bruit, que les Hurons en avaient conçu les plus vastes espérances.

Loin de suivre les avis prudens que Champlain leur avait si souvent donnés, relativement à la conduite qu’ils devaient tenir avec la confédération iroquoise, ils s’abandonnèrent, dans l’attente de secours imaginaires, à une présomption fatale qui fut cause de leur perte.

Leur ennemi usa d’abord de stratagème, et les divisa pour les détruire plus facilement. Il fit une paix simulée avec le gros de la nation, et, sous divers prétextes, attaqua les bourgades éloignées[2]. L’on ne découvrit la perfidie que lorsque le cri de guerre retentit pour ainsi dire au cœur de la nation. Elle n’était pas préparée à repousser les attaques d’un ennemi implacable, qui marchait précédé de la terreur. Les Hurons perdirent la tête, et toutes leurs mesures se ressentirent du trouble de leur esprit : ils marchaient de faute en faute. Rien n’humilie davantage aujourd’hui, dit Charlevoix, les faibles restes de cette nation, que le souvenir d’un si prodigieux aveuglement.

Cependant, cette guerre entre les Sauvages suffit pour désabuser ceux qui croyaient que la colonie pouvait faire la loi à toutes les nations de l’Amérique depuis l’existence de la nouvelle compagnie ; elle fit voir que ce grand corps, qui en imposait tant de loin, n’était que néant, et que rien n’était plus fallacieux que ses promesses.

C’est en 1636, que les Iroquois tentèrent une irruption dans le cœur du pays des Hurons. Quatre ans plus tard, la guerre recommença avec plus de vigueur que jamais ; mais ceux-ci, instruits par leurs malheurs et devenus plus circonspects, tenaient tête à leur ennemi, sur lequel ils remportaient quelquefois des avantages signalés, car ils ne lui en cédaient point en courage. Leurs désastres provenaient de leur indiscipline et de leur trop grande présomption. Voyant cette opposition inattendue, les Iroquois, toujours plus habiles, voulurent unir la politique aux armes, et feignirent de menacer les Trois-Rivières, où commandait M. de Champflour, et lorsqu’on s’y attendait le moins, ils demandèrent la paix au gouverneur-général, et rendirent les prisonniers français. Mais ce dernier ne tarda pas à reconnaître leur mauvaise foi, et rompit la négociation.

Cependant sa situation était des plus pénibles, se trouvant pour ainsi dire réduit à être témoin de la lutte des Sauvages, et exposé à leurs insultes, sans pouvoir à peine, faute de troupes, faire respecter son pavillon qu’ils venaient braver jusque sous le canon des forts, et encore moins tenir la balance entre les deux partis. L’état de faiblesse dans lequel on le laissait languir était un sujet d’étonnement pour tout le monde ; et l’on ne savait que penser de la conduite de la fameuse compagnie des cent associés, qui donnait à peine signe d’existence. Le progrès que faisait alors le Canada était dû entièrement à des efforts individuels. L’établissement de Sillery et celui de Montréal furent commencés par des particuliers.

Le commandeur de Sillery qui voulait, à la suggestion des Jésuites, fonder une colonie composée exclusivement de Sauvages chrétiens, chargea, en 1637, le P. Le Jeune de cette entreprise ; lequel choisit un emplacement à 4 milles de la ville sur le bord du fleuve pour les y établir. Ce lieu conserve encore le nom du Commandeur ; mais le village indien a été transféré à St.-Ambroise de Lorette, en arrière, vers le pied des Laurentides.

L’établissement de l’île de Montréal fut commencé quatre ans après (1641). Les premiers missionnaires avaient voulu engager la compagnie du Canada à occuper cette île, dont la situation était avantageuse et pour contenir les Iroquois et pour l’œuvre des missions ; mais elle n’avait point goûté leur plan. Enfin, ce projet avait été repris par M. de la Dauversière, receveur-général de la Flèche en Anjou, et il s’était formé, sous ses auspices, une association de 35 personnes puissantes et pieuses, pour faire en grand à Montréal ce qui avait été fait en petit à Sillery. Elle obtint en 1640 la concession de cette île, et l’année suivante Paul de Chomedey, sieur de Maisonneuve, gentilhomme de Champagne, et l’un des associés, arriva à Québec avec plusieurs familles ; il fut déclaré gouverneur de Montréal le 15 octobre 1642. Il y éleva une bourgade palissadée et à l’abri des attaques des Indiens, qu’il nomma Ville-Marie, pour les Français. Les Sauvages chrétiens, ou voulant le devenir, devaient occuper le reste de l’île, où l’on travaillerait à les civiliser graduellement et à leur enseigner l’art de cultiver la terre. Ainsi Montréal devint à la fois une école de civilisation, de morale et d’industrie, destination noble qui fut inaugurée avec toute la pompe et la splendeur de l’église. Peu de temps après, il y arriva un renfort sous la conduite de M. d’Aillebout de Musseau, qui fut suivi d’un second l’année suivante.

La même entreprise se continuait alors à Québec. Une petite colline boisée séparait le collège des Jésuites de l’Hôtel-Dieu. L’on avait bâti des maisons à l’européenne de chaque côté sous les murs de ces monastères, pour loger les Sauvages et les accoutumer à vivre à la manière des Français. Les Montagnais et les Algonquins aidèrent à ceux-ci à défricher une partie du plateau sur lequel est assise la ville haute ; mais cette tentative n’eut pas plus de succès que les autres de ce genre qu’on faisait ailleurs.

M. de Maisonneuve voulant visiter la montagne de Montréal, fut conduit sur la cime par deux vieux Indiens qui lui dirent, « qu’ils étaient de la nation qui avait autrefois habité ce pays. Nous étions, ajoutèrent-ils, en très grand nombre, et toutes les collines que tu vois au midi et à l’orient, étaient peuplées. Les Hurons en ont chassé nos ancêtres, dont une partie s’est réfugiée chez les Abénaquis, d’autres se sont retirés dans les cantons iroquois, quelques uns sont demeurés avec nos vainqueurs. » Ce gouverneur touché du malheur qui avait frappé cette nation, leur dit de tâcher d’en rassembler les débris ; qu’il les recevrait avec plaisir dans le pays de leurs pères, où ils seraient protégés et ne manqueraient de rien ; mais tous leurs efforts ne purent réunir les restes d’un peuple dont le nom même était oublié. Ce peuple était-il le même que celui que Cartier avait visité à Hochelaga plus de cent ans auparavant ? Les annales des Sauvages remontent peu loin sans se perdre ; les premiers voyageurs ne pouvaient faire un pas dans les forêts de l’Amérique sans entendre parler de tribus qui avaient existé dans des temps peu reculés, selon nos idées, mais déjà bien loin dans celles de ces peuples, dont chaque siècle révolu couvre l’histoire d’un profond oubli. Il est au moins certain que la description de cette bourgade par Cartier correspond à celle des villages iroquois.[3]

La sollicitude individuelle se portait non seulement sur les Aborigènes, les Français en étaient aussi l’objet. On a dit comment le collège des Jésuites avait été fondé. Un couvent pour l’éducation des filles et un hôpital furent encore établis de la même manière. Presque tous les établissemens de ce genre que possède le Bas-Canada, sont dus à cette inépuisable générosité. En 1639 l’Hôtel-Dieu de Québec fut fondé par la duchesse d’Aiguillon, et le couvent des Ursulines par une jeune veuve de distinction, madame de la Peltrie. Elle y employa sa fortune et vint elle-même s’y renfermer pour le reste de ses jours, qu’elle passa dans l’exercice de toutes les vertus. Quel titre plus digne de respect peut présenter leurs noms à la vénération de la postérité !

Cependant le chevalier de Montmagny luttait de toutes ses forces contre les difficultés et les embarras de sa situation. Les Colons ne ramassaient pas encore assez sur leurs terres pour subsister toute l’année, et toute tranquillité avait disparu du pays. Il fallait qu’il protégeât les tribus amies contre les tribus hostiles, qu’il prévit les attaques dirigées contre les habitations, enfin, qu’il eût l’œil partout à la fois ; tout le monde était armé, et le laboureur ne s’aventurait plus dans son champ sans emporter son fusil avec lui. (Le P. Vimont, 1642-3.)

Voyant croître l’audace des Iroquois dont les bandes se glissaient ainsi furtivement jusque dans le voisinage de Québec, et semaient l’alarme sur les deux rives du St.-Laurent, il prit la résolution de mettre un frein à leurs courses, et de bâtir un fort à l’embouchure de la rivière Richelieu, par laquelle ils s’introduisaient dans la colonie. Les barbares apprenant cela, réunirent leurs efforts pour empêcher la construction de cet ouvrage, et ayant formé un corps de 700 guerriers, ils fondirent sur les travailleurs. Mais quoiqu’attaqués à l’improviste, ceux-ci les repoussèrent avec perte.

Cependant, ils prenaient tous les jours sur les Hurons une supériorité décidée, que l’usage des armes à feu vint encore accroître. Les Hollandais, les premiers fondateurs de l’État de la Nouvelle-York, alors Nouvelle-Belgique, avaient commencé à en vendre aux Iroquois[4]. Le chevalier de Montmagny fit des représentations à cet égard au gouverneur de cette province, qui se contenta de répondre en termes vagues, mais polis, sans changer de conduite. On le soupçonna même d’exciter secrètement les Iroquois à la guerre, quoique les deux gouvernemens fussent en paix. L’usage des nouvelles armes rendait ces barbares encore plus redoutables. Les Hurons, qui ne paraissaient plus que l’ombre d’eux-mêmes, s’aveuglaient sur l’orage qui les menaçait. Le fer et la flamme désolaient leurs frontières, dont le cercle se rapetissait chaque jour, et ils n’osaient remuer de peur de réveiller la colère de leur ennemi, qui « voulait, disait-il, après avoir abattu la plupart de leurs guerriers, ne faire avec eux qu’un seul peuple et qu’une seule terre. » Le gouverneur français n’ayant point de troupes pour aller les défendre dans leur pays, crut n’avoir rien de mieux à faire qu’à tâcher de leur obtenir la paix, en employant pour cela l’influence que lui donnait la supériorité du génie européen, à laquelle l’Iroquois même ne pouvait entièrement se soustraire. Il s’aperçut que les deux partis avaient besoin de repos. Il renvoya un des prisonniers iroquois, et le chargea d’informer les cantons que s’ils voulaient sauver la vie aux autres, il fallait qu’ils envoyassent sans délai des chargés de pleins pouvoirs pour traiter de la paix. Cette menace eut son effet. Des ambassadeurs vinrent la signer aux Trois-Rivières dans une assemblée solennelle et nombreuse tenue sur la place d’armes du fort, en présence du gouverneur-général. Un d’entre eux portant la parole, se leva, regarda le soleil, puis ayant promené ses regards sur l’assemblée, « Ononthio, dit-il, prête l’oreille, je suis la voix de mon pays. J’ai passé près du lieu où les Algonquins nous ont massacrés ce printemps ; j’ai passé vite, et j’ai détourné les yeux pour ne point voir le sang de mes compatriotes, pour ne point voir leurs corps étendus dans la poussière. Ce spectacle aurait excité ma colère. J’ai frappé la terre, puis prêté l’oreille ; et j’ai entendu la voix de mes ancêtres, qui m’a dit avec tendresse : calme ta fureur ; ne pense plus à nous, car on ne peut plus nous retirer des bras de la mort ; pense aux vivans, arrache au glaive et au feu ceux qui sont prisonniers ; un homme vivant vaut mieux que plusieurs qui ne sont plus. Ayant entendu cette voix, je suis venu pour délivrer ceux que tu tiens dans les fers. » Il s’étendit ensuite sur le sujet de son ambassade, et parla longtemps avec une grande éloquence.

Ce chef sauvage était bien fait de sa personne et de haute stature ; il avait de grands talens oratoires, était brave, hardi ; mais fourbe et railleur. Il revint plusieurs fois en Canada dans la suite chargé de missions publiques.

Les Algonquins, les Montagnais, les Hurons, les Attikamègues furent parties au traité. Parmi les Iroquois, il n’y eut que le canton des Agniers qui le ratifia, parceque c’était aussi le seul avec lequel la colonie fut en guerre ouverte.

Jusqu’à la fin de 1646, régna la paix la plus profonde. Toutes les tribus faisaient la chasse et la traite ensemble, sans que la meilleure intelligence cessât d’exister entre elles. Les missionnaires qui avaient pénétré chez les Iroquois après la guerre, contribuaient beaucoup au maintien de cet heureux état de chose, et paraissaient même avoir changé les dispositions malveillantes des Agniers. Mais la paix avait déjà trop duré au gré de ces peuples ; et dans le temps où les hostilités recommençaient entre les Hurons et les quatre cantons de la confédération qui n’avaient pas signé le traité, une épidémie éclatait qui fit de grands ravages dans le cinquième, tandis que les vers y détruisaient aussi les moissons. La multitude crut que le P. Jogues, l’un des missionnaires, était la cause de ces malheurs, et qu’il avait jeté un sort sur la tribu. Un Iroquois superstitieux et fanatique le tua d’un coup de casse-tête. Un jeune Français qui l’accompagnait subit le même sort ; on leur coupa à tous deux la tête et on les exposa sur une palissade. Leurs corps furent jetés à la rivière.

Après une violation aussi flagrante du droit des gens, les Agniers, certains qu’il n’y avait plus de paix possible, prévinrent leurs ennemis et se mirent de toutes parts en campagne, égorgeant tout ce qui se rencontrait sur leur passage. Des femmes algonquines, échappées comme par miracle de leurs mains, apportèrent aux Français la nouvelle de ce qui se passait. C’était à l’époque où le chevalier de Montmagny était rappelé et remplacé par M. d’Aillebout. Ce rappel inattendu avait causé de la surprise. Voici ce qui y donna lieu. Le commandeur de Poinci, gouverneur-général des îles françaises de l’Amérique, avait refusé de rendre les rênes du gouvernement à son successeur, et s’était maintenu dans sa charge contre l’ordre du roi. Cette espèce de rebellion avait eu des imitateurs. Pour couper court au mal, le conseil de sa Majesté avait décidé, que désormais les gouverneurs seraient changés tous les trois ans ; et c’est en conséquence de cette résolution que le chevalier de Montmagny était mis à la retraite.


Plusieurs événemens importans ont signalé l’administration de ce gouverneur, parmi lesquels l’on doit compter l’établissement de l’île de Montréal, et le commencement de la destruction des Hurons, qui sera consommée sous celle de son successeur. Les Jésuites étendirent aussi de son temps fort loin le cercle des découvertes dans le nord et dans l’ouest du continent. Tel était leur zèle, que le P. Raimbaut avait même formé le dessein de pénétrer jusqu’à la Chine en évangélisant les nations, et de compléter ainsi le cercle des courses des missionnaires autour du monde. Quoique les conquêtes de ces intrépides apôtres se soient faites en dehors de l’action de son gouvernement, elles n’en jettent pas moins de l’éclat sur lui.


Ce gouverneur chercha à imiter la politique de Champlain ; et comme lui il travailla constamment à tenir les Sauvages en paix. S’il n’a pas toujours réussi, il faut en attribuer la cause à l’insuffisance de ses moyens pour en imposer à ces barbares et mettre un frein à leur ambition. Néanmoins il sut, par un heureux mélange de conciliation et de dignité, se faire respecter d’eux, et suspendre longtemps la marche envahissante des Iroquois contre les malheureux Hurons.

D’Aillebout, son successeur, était venu en Canada avec des colons pour l’île de Montréal, qu’il avait gouvernée en l’absence de Maisonneuve. Il avait été ensuite promu au commandement des Trois-Rivières, poste alors plus important que cette île, de sorte qu’il devait connaître le pays et ses besoins ; mais il prenait les rênes du gouvernement à une époque critique. Et ne recevant point de secours, ne put conjurer l’orage qui allait éclater sur ses alliés avec une furie dont on n’avait pas encore eu d’exemple.

En 1648, les Iroquois portèrent toutes leurs forces contre les Hurons, qui perdaient un temps précieux en négociations avec les Onnontagués qui les amusaient à dessein. Ce peuple infortuné avait même refusé l’alliance des Andastes, qui lui aurait assuré la supériorité sur ses ennemis ; et il était retombé dans sa première sécurité. Les Agniers n’attendaient que cela pour fondre sur lui à l’improviste. La bourgade de St.-Joseph, ainsi nommée par les missionnaires, et située sur les rives du lac Huron, fut surprise et brûlée, et sept cents personnes, la plupart vieillards, femmes et enfans, les guerriers étant absens, furent impitoyablement égorgées. Le P. Daniel qui y était depuis 14 ans, mourut héroïquement au milieu de ses ouailles : il refusa de les abandonner, et resta au milieu du carnage administrant le baptême et l’absolution. Après avoir engagé ceux de ses néophytes qui étaient près de lui à se sauver dans le bois, il s’avança tranquillement au devant des ennemis comme pour attirer sur lui toute leur attention, et reçut la mort en proclamant la parole de Dieu.

Dans le mois de mars suivant, une autre bourgade, celle de St.-Ignace, fut surprise et 400 personnes furent taillées en pièces ; il ne se sauva que trois hommes qui donnèrent l’alarme à la bourgade de St.-Louis, dont les femmes et les enfans eurent seulement le temps de prendre la fuite ; quatre-vingts guerriers restèrent pour la défendre ; ils repoussèrent deux attaques successives ; mais l’ennemi ayant pénétré dans le village à la troisième, ils furent tués ou pris, après avoir combattu avec la plus grande valeur. C’est au sac de ce village que les PP. Brébœuf et Lallemant furent faits prisonniers. On sait avec quel courage ces deux missionnaires moururent, après avoir enduré les tourmens les plus affreux que peut inventer la cruauté rafinée des barbares.

Ces massacres furent suivis de plusieurs combats où le succès fut d’abord partagé ; mais à la fin l’avantage resta aux Iroquois, qui gagnèrent une bataille où les principaux guerriers hurons succombèrent accablés sous le nombre. Après d’aussi grands désastres, les débris de la nation, saisis d’une terreur panique, abandonnèrent leur pays. En moins de huit jours toutes les bourgades furent désertes, excepté celle de Ste.-Marie, la plus considérable de toutes, et que la famine fit bientôt également évacuer. Les habitans se retirèrent dans la profondeur des forêts, ou chez les peuples voisins. Les généreux missionnaires ne quittèrent point ces restes infortunés d’une grande nation, et partagèrent avec eux leur exil. Ils proposèrent l’île de Manitoualin (Ekaentouton) dans le lac Huron, pour retraite. C’est une île de 40 lieues de longueur, mais étroite, qui était inoccupée, et où la pêche et la chasse étaient abondantes. Les Hurons ne purent se résoudre à s’expatrier si loin ; ils ne voulurent pas même quitter entièrement leur patrie, et se réfugièrent dans l’Ile de St.-Joseph, peu éloignée de la terre ferme, le 25 mai 1649. Ils formèrent une bourgade de 100 cabanes, les unes de 8 les autres de 10 feux, sans compter un grand nombre de familles qui se répandirent dans les environs et le long de la côte pour la commodité de la chasse. Mais le malheur les poursuivait partout.

Comptant sur la chasse et la pêche, ils semèrent peu de maïs ; mais la chasse fut bientôt épuisée et la pêche ne produisit rien ; de sorte qu’avant la fin de l’automne les vivres commençaient à manquer. Quelle perspective pour un long hiver ! L’on fut bientôt réduit à la dernière extrémité, à toutes les horreurs de la famine. L’on déterrait les morts pour se nourrir de leurs chairs corrompues ; les mères mangeaient leurs propres enfans expirés sur leur sein faute de nourriture. Les liens du sang et de l’amitié furent oubliés ; et pour conserver des jours presqu’éteints le fils se repaissait avec une effrayante énergie du cadavre de l’auteur de ses jours. Les suites ordinaires de ce fléau ne se firent pas attendre. Les maladies contagieuses éclatèrent et emportèrent une partie de ceux que la faim avait épargnés. Les missionnaires, comme toujours, se comportèrent en véritables hommes de Dieu au milieu de ces scènes de désolation. Leur noble et généreuse conduite repose la vue dans ce lugubre tableau.

Dans leur désespoir, plusieurs des malheureux Hurons attribuaient leur situation à ces apôtres dévoués. Les Iroquois nos ennemis mortels, s’écriaient-ils avec douleur, ne croient point en Dieu, ils n’aiment point les prières, leurs méchancetés sont sans bornes, et néanmoins ils prospèrent. Nous, depuis que nous abandonnons les coutumes de nos ancêtres, ils nous tuent, ils nous massacrent, ils nous brûlent, ils renversent nos bourgades de fond en comble. Que nous sert de prêter l’oreille à l’Évangile, puisque la foi et la mort marchent ensemble. Depuis que quelques uns de nous ont reçu la prière, on ne voit plus de têtes-blanches, ajoutaient-ils dans leur expressif langage, nous mourrons tous avant le temps. (Relation des Jésuites 1643-4).

En effet, des tribus qui comptaient huit cents guerriers étaient réduites à trente ; il ne restait que des femmes et quelques vieillards.

Tandis que la faim et la maladie décimaient ainsi la population de l’Ile St.-Joseph, les Iroquois, au nombre de trois cents, s’étaient mis en campagne, et l’on ignorait de quel côté ils porteraient leurs coups. La bourgade de St.-Jean était la plus voisine depuis l’évacuation de celle de Ste.-Marie, et on y comptait 600 familles. L’irruption des Iroquois y fut regardée comme une bravade, et l’on marcha au-devant d’eux pour leur donner la chasse. Ceux-ci les évitèrent par un détour, et se présentèrent tout à coup au point du jour à la vue de St.-Jean. Ils firent leur cri et tombèrent sur la population éperdue le casse-tête à la main. Tout fut massacré ou traîné en esclavage. Le P. Garnier périt, comme le P. Daniel, au milieu de ses néophytes. Mais rien n’ébranlait le courage de ces religieux dévoués. Cependant les Hurons de l’île de St.-Joseph étaient réduits à 300. Qu’étaient devenus les autres ? La famine et l’épidémie avaient chassé ceux qu’elles n’avaient pas tués, et qui ne quittèrent ce lieu que pour aller mourir plus loin. Une partie s’enfonça et périt dans les glaces en voulant gagner la terre ferme ; les autres, divisés par troupes, s’étaient réfugiés dans des lieux écartés et dans les montagnes inaccessibles du Nord ; mais les Iroquois comme des loups altérés de sang les poursuivirent dans leur retraite, et firent un affreux carnage de ces misérables épuisés par les souffrances inouies qu’ils avaient endurées. Ceux qui survivaient à St-Joseph ne s’y croyant plus en sûreté, et s’attendant à être attaqués d’un moment à l’autre, supplièrent le P. Ragueneau et les autres missionnaires de se mettre à leur tête, de rassembler leurs compatriotes dispersés, et d’aller solliciter du gouverneur français une retraite où ils pussent cultiver tranquillement la terre, sous sa protection. Ils prirent la route du lac Nipissing et de la rivière des Outaouais afin d’éviter les Iroquois, route écartée dans laquelle cependant ils trouvèrent encore de terribles marques du passage de ces barbares ; et après avoir été deux jours à Montréal, où ils ne se croyaient pas en sûreté tant leur terreur était profonde, ils arrivèrent à Québec en juillet 1650, où le gouverneur les reçut avec beaucoup de bienveillance.

De ceux qui ne les avaient pas suivis, les uns se mêlèrent avec des nations voisines sur lesquelles ils attirèrent la haine des Iroquois ; d’autres allèrent s’établir jusque dans la Pensylvanie ; ceux-ci remontèrent au-dessus du lac Supérieur, et ceux-là enfin se présentèrent à leurs vainqueurs, qui les reçurent et les incorporèrent avec eux. De sorte que non seulement leur pays, mais encore tout le cours de la rivière des Outaouais naguère très-peuplé, ne présentèrent plus que des déserts et des forêts inhabitées. Les Iroquois avaient mis douze ans pour renverser les frontières des Hurons, et ensuite moins de deux ans pour disperser cette nation aux extrémités de l’Amérique.

À l’époque où d’Aillebout prenait les rênes du gouvernement, un envoyé diplomatique de la Nouvelle-Angleterre arrivait à Québec pour proposer au Canada un traité de commerce et d’alliance perpétuelle entre les deux colonies, subsistant indépendamment des guerres qui pourraient survenir entre les deux couronnes, et à peu près semblable à celui qui venait d’être conclu avec l’Acadie. Cette proposition occupa quelque temps les deux gouvernemens coloniaux. Le Jésuite Druillettes fut même délégué à Boston pour cet objet en 1650 et 1651 ; mais les Français, dont le commerce était gêné par les courses des Iroquois, voulaient engager la Nouvelle-Angleterre dans une ligue offensive et défensive contre cette confédération indienne. Cette condition fit manquer la négociation. Les Anglais n’avaient point d’intérêt à se mêler de cette guerre, et ils ne voulaient pas courir le risque d’attirer sur eux les armes de ces Sauvages. (Voyez dans l’Append. (B.) la réponse du gouvernement fédératif de la Nouvelle-Angleterre).

Cette année si funeste par la destruction de presque toute la nation huronne, finit par la retraite de M. d’Aillebout, qui s’était vu avec douleur réduit à être le témoin inutile de cette grande catastrophe. Il s’établit et mourut dans le pays. M. de Lauson lui succéda. C’était un des principaux membres de la compagnie des cent associés, et il avait toujours pris une grande part à ses affaires. Il se montra aussi incapable dans son administration que cette compagnie s’était montrée peu zélée pour le bien de la colonie, qu’il trouva dans un état déplorable. Les Iroquois, enhardis par leurs succès inouis dans les contrées de l’ouest du Canada, se rabattirent sur celles de l’est, et leurs bandes se glissaient à la faveur des bois jusque dans le voisinage de Québec. Ils tuèrent M. Duplessis Bochart, gouverneur des Trois-Rivières et brave officier, dans une sortie qu’il faisait contre eux. Mais ils s’aperçurent bientôt cependant qu’ils n’auraient rien à gagner contre les Français. Ils prirent en conséquence le parti de demander la paix, qui fut signée et ratifiée en 1653 et 1654. Elle répandit une joie universelle parmi les Indiens, et ouvrit de nouveau les cinq cantons au zèle des missionnaires[5].

Cette paix en rendant libres toutes les communications, dévoila de nouveaux intérêts et fit naître de nouvelles jalousies. Les quatre cantons supérieurs, en faisant le commerce des pelleteries avec les Français, excitèrent l’envie des Agniers, voisins d’Orange, qui dès lors désirèrent la guerre, pour mettre fin à un négoce qu’ils regardaient comme leur étant préjudiciable. Pour des raisons contraires ceux-là ne voulaient pas rompre avec le Canada avec lequel ils pouvaient communiquer plus facilement qu’avec la Nouvelle-Belgique. Dans cet état de choses, la paix ne pouvait durer longtemps ; et les Agniers qui l’avaient signée malgré eux, n’attendaient qu’un prétexte pour se mettre en campagne ; ils le trouvèrent bientôt.

Vers 1655, la confédération acheva de détruire les Eriés, qui habitaient les bords méridionaux du lac qui porte leur nom. Le canton des Onnontagués vit dans cet événement une nouvelle raison de resserrer davantage son alliance avec les Français ; et inspiré par les missionnaires, il pria M. de Lauson de former un établissement dans le pays, chose que l’on désirait depuis longtemps. L’année suivante, le capitaine Dupuis partit pour s’y rendre avec 50 colons. Les habitans de Québec, répandus sur le rivage, les regardèrent s’éloigner comme des victimes livrées à la perfidie indienne, et qu’ils ne comptaient plus revoir. Cette petite colonie s’arrêta sur le lac Gannentaha (Salt Lake), dans l’endroit où est aujourd’hui le village de Saline (Nouvelle-York). Elle ne fut pas plutôt au milieu des Onnontagués qu’ils en devinrent jaloux. Les Agniers avaient, à la première nouvelle du départ de Dupuis, envoyé 400 hommes pour la surprendre en route et la détruire toute entière s’il était possible ; mais ils n’avaient pu l’atteindre. Ce guet-apens fit reprendre les armes ; et la guerre recommencée mit fin à tous les avantages que les quatre cantons attendaient de leur traité avec le Canada ; les Onnontagués se réfroidirent d’abord, et ensuite conspirèrent contre leurs hôtes.

Les Hurons descendus avec le P. Ragueneau avaient été établis dans l’île d’Orléans, où ils cultivaient la terre. Un jour une bande d’Agniers en surprit 90 de tout âge et de tout sexe, en tua une partie et fit le reste prisonnier. Ces malheureux ne se croyant plus en sûreté dans l’île, revinrent à Québec, et de dépit de ce que les Français, à leur gré, ne leur accordaient pas assez de protection, une partie d’entre eux se donna tout à coup et sans réfléchir aux Agniers, puis ensuite regretta sa précipitation. Ce peuple semblait avoir perdu la capacité de se gouverner. Ils finirent les uns par passer aux Onnontagués, les autres aux Agniers, et le reste par demeurer au milieu des Français. C’est à cette occasion que les Agniers envoyèrent une députation de 30 délégués à Québec, pour réclamer les Hurons qui s’étaient donnés à eux. Elle eut l’audace de demander au gouverneur d’être entendu dans une assemblée générale des blancs et des Indiens, et celui-ci eut la faiblesse de l’accorder. Elle parla avec insolence à cet homme incapable qui ne savait pas même se faire respecter, et qui sembla dans cette circonstance recevoir humblement la loi d’une simple peuplade iroquoise.

Ce gouverneur, dénué de toute énergie, eut pour successeur le vicomte d’Argenson, qui débarqua à Québec en 1658. C’était au moment où la guerre devenait la plus vive. Dupuis arrivait du lac Gannentaha. Il avait été informé dans l’hiver par un Sauvage mourant, de ce que des mouvemens de guerriers dans les cantons lui avaient déjà fait pressentir, que la destruction de sa colonie avait été résolue. N’étant pas assez fort pour résister, il dut songer au moyen de s’échapper. À cet effet dès que le petit printemps fut venu, il donna un grand festin aux Iroquois ; et pendant qu’ils étaient encore plongés dans le sommeil et dans l’ivresse, il partit par la rivière Oswego, avec tout son monde dans des canots qu’il avait fait construire secrètement.

Le vicomte d’Argenson trouva le Canada en proie aux courses et aux déprédations des Sauvages. On ne marchait plus qu’escorté et armé dans la campagne. Les annales de cette époque contiennent des relations de nombreux faits d’armes et d’actes de courage individuel extraordinaires : tout le monde était devenu soldat.

En 1660, 17 colons, commandés par Daulac, furent attaqués par 500 ou 600 Iroquois dans un mauvais fort de pieux au pied du Long-Sault ; ils repoussèrent, aidés d’une cinquantaine de Hurons ou Algonquins, tous leurs assauts pendant dix jours. Abandonnés à la fin par la plupart de leurs alliés, le fort fut emporté et ils périrent tous. Un des quatre Français qui restaient avec quelques Hurons lorsque l’ennemi pénétra dans l’intérieur de la place, voyant que tout était perdu, acheva à coups de hache ses camarades qui n’étaient que blessés, pour les empêcher de tomber vivans entre les mains du vainqueur.[6]

Le dévouement de Daulac et de ses intrépides compagnons, sauva le pays, ou du moins arrêta les premiers efforts de l’orage qui allait éclater sur lui, et en détourna le cours. En effet, les ennemis, dont la perte avait été très-considérable, furent si effrayés de cette résistance, qu’ils abandonnèrent une grande attaque qu’ils s’en allaient faire sur Québec, où la nouvelle de leur approche avait jeté la consternation. Leur projet était, après s’être emparé de cette ville, de mettre tout à feu et à sang dans le pays. Tous les couvens qui étaient de pierre à Québec furent fortifiés, percés de meurtrières, et armés. Une partie des habitans se retira dans les forts ; les autres mirent leurs maisons en état de défense. L’on se barricada de tous côtés dans la basse ville, où l’on posa plusieurs corps de garde. Toute la population était sous les armes et veillait nuit et jour, chacun étant déterminé de vendre chèrement sa vie.

Un Huron, le seul des compagnons de Daulac qui s’échappa, informa le premier les habitans de la retraite des Iroquois. On chanta le Te Deum dans les églises en action de grâces ; mais l’on ne fut complètement rassuré que longtemps après, car l’on craignait encore que ces barbares ne vinssent dans l’automne ravager les campagnes.

Cependant ils se lassèrent encore une fois d’une guerre dans laquelle ils n’avaient de succès que sur des hommes isolés, et qui leur coûtait beaucoup de monde. Ils commencèrent par retirer leurs partis du Canada, et les cantons d’Onnontagué et de Goyogouin envoyèrent des députés à Montréal pour demander la paix. Quoique l’on eût peu de confiance dans la parole de ces Sauvages, le gouverneur pensa qu’une mauvaise paix valait encore mieux qu’une guerre avec des ennemis qu’il ne pouvait atteindre ni aller attaquer dans leur pays, faute de soldats. Ces deux cantons, où il y avait plusieurs chrétiens, demandaient aussi un missionnaire. Le P. LeMoine s’offrit d’y aller ; il fut chargé de la réponse du gouverneur et des présens qu’il leur envoyait.

La négociation en était là, lorsque le baron d’Avaugour arriva en 1661, pour relever le vicomte d’Argenson que la maladie, les difficultés et les dégoûts décidèrent à demander sa retraite avant le temps. L’on porta sous son administration les découvertes, d’un côté jusqu’au de là du lac Supérieur chez les Sioux, et de l’autre chez les Esquimaux de la baie d’Hudson.

Le nouveau gouverneur était un homme résolu et d’un caractère inflexible. Il s’était distingué dans les guerres de la Hongrie ; et il apporta dans les affaires du Canada la roideur qu’il avait contractée dans les camps.

En arrivant, il visita tous les postes de la colonie, et admira les plaines chargées de blé. Il dit qu’on ne connaissait pas la valeur de ce pays en France ; que sans cela on ne le laisserait pas dans le triste état dans lequel il le trouvait. Il écrivit à la cour ce qu’il avait vu, et demanda les secours en troupes et en munitions qu’on lui avait promis. C’est alors qu’on reçut des nouvelles du P. LeMoine.

Dans une assemblée solennelle des députés d’Onnontagué, de Goyogouin et de Tsonnonthouan, il communiqua la réponse qu’il était chargé de faire, et déposa les présens pour les cantons. Quelques jours après, ils l’informèrent qu’ils allaient envoyer une ambassade à Québec, dont Garakonthié serait le chef. Ce Sauvage avait beaucoup d’estime pour les Français. C’était un homme doué d’un grand talent naturel, et qui avait acquis beaucoup de crédit dans sa nation par son intrépidité à la guerre, sa sagesse et son éloquence dans les conseils ; ce choix était d’un bon augure. Garakonthié fut très bien reçu à Montréal par le gouverneur, dont il agréa toutes les propositions. Le traité fut ratifié vers 1662.

Cependant M. d’Avaugour, d’après les avis qu’il recevait de la confédération, dont deux cantons avaient refusé de prendre part à la paix, ne croyait pas à sa durée. Il fit les remontrances les plus énergiques au roi sur l’état du Canada, et le pria très instamment de prendre cette colonie sous sa protection. Toutes les personnes en place écrivirent dans le même sens à la cour. Le gouverneur des Trois-Rivières, M. Boucher, fut chargé d’aller y porter ces représentations. Le roi lui fit un très bon accueil, et envoya immédiatement 400 hommes de troupes à Québec. Il nomma en même temps M. de Monts pour aller examiner l’état de la colonie par ses yeux et lui en faire rapport. Une pareille commission annonce ordinairement un changement de politique ; l’arrivée de M. de Monts, qui avait pris possession du fort de Plaisance au nom de la couronne, en passant à Terreneuve, causa une grande joie aux habitans, qui commencèrent enfin à croire que le roi allait s’intéresser tout de bon à leur sort.

C’est dans cette même année qu’éclatèrent les dissensions entre le gouverneur et l’évêque de Pétrée, M. de Laval, dissensions qui troublèrent toute la colonie. Mais il est nécessaire de reprendre à ce sujet les choses d’un peu plus haut.

Depuis l’établissement du pays, faute de juges et d’autres fonctionnaires publics, le gouvernement ne subvenant point aux dépenses d’une administration civile régulière, les missionnaires s’étaient trouvés insensiblement et par consentement tacite, chargés d’une partie des devoirs de ces officiers dans les paroisses. Jetés ainsi hors du sanctuaire, ces ecclésiastiques acquirent, par leur éducation et par leur bonne conduite, une autorité dont ils finirent par se croire les légitimes possesseurs, mais dont la jouissance excita bientôt la jalousie des gouverneurs et du peuple, surtout depuis l’arrivée de M. de Pétrée, dont l’esprit dominateur avait excité d’avance les préventions de M. d’Avaugour, le dernier homme au monde qui eût voulu laisser gêner sa marche par un corps qui lui semblait sortir de ses attributions.

Lors de son arrivée, l’on avait remarqué qu’il avait visité les Jésuites sans faire la même faveur à l’évêque, et que bientôt après il avait nommé leur supérieur à son conseil, quoique depuis l’érection du vicariat général, il y eût été remplacé par ce même évêque[7]. On usa d’abord de part et d’autre de certains ménagemens ; mais un éclat devint inévitable, et la traite de l’eau de vie en fut le prétexte. Ainsi commencèrent ces longues querelles entre l’autorité civile et l’autorité ecclésiastique qui se répétèrent si souvent dans ce pays sous la domination française.

De tout temps la vente des boissons aux Sauvages y avait été, sur les représentations des missionnaires, défendue par des ordonnances très-sévères et souvent renouvelées, ainsi qu’en font foi les actes publics. Le gouvernement, tout entier à son zèle religieux, avait oublié qu’en se mettant ainsi à la discrétion du clergé, il ouvrait la porte à mille difficultés, en ce qu’il assujettissait l’un à l’autre deux pouvoirs qui doivent être indépendans[8].

D’abord les inconvéniens se firent peu sentir ; mais lorsque le pays commença à prendre de l’accroissement, qu’il fut gouverné par des hommes jaloux de leur autorité, et que les Indiens purent se procurer des spiritueux dans la Nouvelle-York et la Nouvelle-Angleterre, où ce négoce, malgré les défenses, n’éprouvait aucune entrave réelle, l’on découvrit la position anomale dans laquelle on s’était placé. L’obligation qu’on avait pour ainsi dire contractée envers le sanctuaire, se trouva mettre obstacle, dans l’opinion de quelques uns des administrateurs, au commerce de la colonie et au système d’alliance avec les Indigènes adopté par la France.

Quelques gouverneurs pour sortir d’embarras voulurent composer avec l’évêque, offrant de faire des réglemens pour arrêter les désordres ; mais le clergé catholique, dont le chef siégeant à Rome, et jaloux avec raison de l’indépendance de la religion, transige rarement avec la raison d’état des divers peuples soumis à son pouvoir spirituel, exigea sans réserve l’accomplissement de cette obligation, et parut ainsi intervenir dans l’action de l’autorité politique. Les gouverneurs pieux ne virent dans cette intervention que la réclamation d’un droit ; ceux qui pensaient que l’action du gouvernement doit être absolument indépendante du sacerdoce, la regardèrent comme une prétention dangereuse. M. d’Avaugour était du nombre de ces derniers.

Ainsi la question se présentait sous deux aspects, selon qu’on la regardait sous le point de vue religieux, ou sous le point de vue politique. Mais il était facile de la simplifier. Dès que le Canada cessa d’être une mission et devint une société de colons européens, le gouvernement civil devait reprendre tous ses droits et toute son autorité. Cette politique, la seule logique, eût mis fin aux réclamations du clergé qui n’aurait plus eu de prétexte pour empiéter dans une sphère qui lui était étrangère. Nul doute, du reste, que la conduite du gouvernement dans cette question n’aurait pas été différente de ce qu’elle a été ; c’est-à-dire, que la traite des liqueurs fortes n’aurait jamais été rendue libre chez les Indiens, car l’intérêt politique et commercial commandait impérieusement la plus grande circonspection à cet égard. Aussi les colonies anglaises avaient-elles des lois préventives, tout comme le Canada, quoique pour des motifs différens ; mais elles les observaient plus ou moins strictement selon l’urgence des circonstances.

Quoi qu’il en soit, les difficultés commencèrent entre le baron d’Avaugour et M. de Pétrée à l’occasion d’une veuve qui vendait de l’eau de vie aux Sauvages en contravention aux lois. Cette femme fut jetée en prison. Un Jésuite voulut intercéder pour elle et la justifier. Le gouverneur qui venait de faire fusiller trois hommes pour la même offense (Journal des Jésuites), et troublé peut-être par le remords d’avoir laissé infliger une peine qui était hors de toute proportion avec le crime, s’écria avec colère, que puisque la traite de l’eau de vie n’était pas une faute pour elle, elle ne le serait à l’avenir pour personne, et qu’il ne voulait plus être le jouet de ces contradictions.

L’évêque de son côté croyant l’honneur de sa mitre offensé par cette boutade, prit ta chose avec hauteur. Le débat s’envenima. D’un côté, les prédicateurs tonnèrent dans les chaires, les confesseurs refusèrent l’absolution ; de l’autre, les citoyens embrassant la cause du gouverneur, se révoltèrent et poussèrent des clameurs contre ces derniers. Les choses en vinrent au point que le prélat se vit obligé de saisir les foudres de l’église, ces foudres qui faisaient tomber autrefois le front des peuples et des rois dans la poussière. La mitre au front, la crosse à la main, environné de son clergé, il monte en chaire ; et après un discours pathétique, il fulmine les excommunications contre tous ceux qui refusent de se soumettre aux décrets contre la traite de l’eau-de-vie. Cet anathème solennel qui avait coutume de jeter le trouble dans la conscience publique, qui enveloppait indirectement M. d’Avaugour, ne fit, contre son attente qu’empirer le mal. Les excommunications excitèrent des accusations injurieuses contre le clergé, qui se formulèrent ensuite en remontrances contre l’évêque lui-même au conseil du roi.

Pour se justifier et porter ses propres plaintes, M. de Pétrée passa en France, où, non seulement il gagna sa cause et obtint tous les pouvoirs qu’il désirait relativement au commerce de l’eau de vie, mais fit encore rappeler le baron d’Avaugour, et désigna au roi son successeur.

Dans la chaleur des discussions, l’on exagéra singulièrement les désordres causés par ce

commerce, désordres en effet qui étaient si peu de chose, qu’ils avaient entièrement cessé lorsque M. de Pétrée revint en Canada. Personne ne voudra croire aujourd’hui que les établissemens isolés et nécessairement pauvres encore que fondaient alors nos industrieux ancêtres sur le St.-Laurent, présentassent, comme le disaient les partisans de l’évêque, des scènes de débauche et de dissolution qui auraient rappelé les temps les plus corrompus de Rome ! Cela n’est pas croyable d’habitans « dans chacun desquels, au rapport d’un vieux et vénérable missionnaire contemporain, l’on voyait un désir ardent de son salut et une étude particulière de la vertu. » (Relation des Jésuites, 1642-3.)

C’est pendant que le pays était encore agité par ces discordes, que le 5 février (1663) une forte secousse de tremblement de terre se fit sentir dans presque tout le Canada, et dans une partie de la Nouvelle-York et de la Nouvelle-Angleterre[9], laquelle fut suivie par d’autres plus faibles qui se succédèrent, dans la première province, à des intervalles plus ou moins éloignés jusque vers le mois d’août ou septembre.[10] Le mal qu’elles causèrent fut moins grand que n’aurait pu le faire croire la durée de ces perturbations de la nature si rares dans nos climats ; il se borna à la chute de quelques têtes de cheminées, et à des éboulemens de rochers dans le St.-Laurent au-dessous du Cap-Tourmente, dont le savant Suédois, Kalm, a cru reconnaître des traces lorsqu’il visita cette localité en 1749[11].

Les Sauvages dans les bois disaient que c’étaient les âmes de leurs ancêtres qui voulaient revenir sur la terre ; et ils prenaient leurs fusils et faisaient des décharges en l’air comme pour les effrayer et les faire rentrer dans leur céleste demeure, craignant que leur nombre, s’ils descendaient ici-bas, n’épuisât le gibier et n’affamât le pays. Ces phénomènes, dont la répétition excitait de plus en plus la surprise et l’étonnement des colons, achevèrent aussi de leur faire oublier les différends qui divisaient les grands fonctionnaires, et qui dans le fond n’intéressaient qu’un petit nombre de traitans ; outre les menaces des Iroquois qui, en rôdant sans cesse sur la lisière des bois, obligeaient toutes les habitations françaises de se tenir sur leur garde.

Cependant dès l’année précédente, et lorsqu’on était dans le fort des démêlés, le gouverneur avait jugé nécessaire de refaire son conseil, que les troubles désorganisaient. Tous les anciens membres furent mis à la retraite, et il en nomma de nouveaux, dont les opinions étaient plus en harmonie avec les siennes. Il opéra encore d’autres changemens qui firent une grande sensation à cause surtout de leur nouveauté ; tout le monde en regardait l’auteur comme un homme fort hardi, et ceux qui en étaient les victimes feignirent de croire que cela était un exemple dangereux à donner dans le système français de gouvernement partout assez peu mobile de sa nature, et qui n’avait pas changé de caractère en Canada[12].

Mais son rappel vint l’interrompre au milieu de sa carrière de réforme. Il fut remplacé (1663) par M. de Mésy. De retour en France, il passa au service de l’empereur d’Allemagne, et fut tué l’année suivante en défendant glorieusement le fort de Serin, sur les frontières de la Croatie, emporté d’assaut par les Turcs commandés par le grand vizir Kouprouli en personne, peu de temps avant la fameuse bataille de St.-Gothard.

L’administration de ce gouverneur est remarquable par les changemens qu’elle détermina dans la colonie. Le baron d’Avaugour contribua beaucoup par sa droiture et par son énergie, à décider le roi à travailler sérieusement à l’avancement de ce pays, et à y établir un système plus propre à le faire prospérer. N’eût-il fait pour cela que renverser les obstacles qu’opposait la petite oligarchie qui s’était emparée alors de l’influence du gouvernement, il aurait encore bien mérité du pays. Les querelles avec M. de Pétrée firent aussi ouvrir les yeux sur les graves inconvéniens de l’absence d’une administration judiciaire, inconvéniens que l’évêque lui-même reconnut le premier, et qu’il contribua efficacement à faire disparaître en appuyant, sinon en suggérant, le projet d’établissement d’un conseil souverain. Désintéressé dans la compagnie des cent associés, le gouverneur n’avait point non plus de motif pour la ménager.

Aussi sa retraite marqua-t-elle le terme de l’existence de cette compagnie qui ne comptait plus que 45 associés. Sur le désir du roi, le 24 février 1663, elle fit acte de émission que le monarque accepta en mars suivant. Cet événement fut accompagné d’un changement radical dans l’administration tant civile que politique du pays, qui avait été témoin peu d’années auparavant d’une pareille révolution dans ses affaires ecclésiastiques.

  1. Un salaire de £200 fut pris sur les revenus de ces biens, pour payer un ministre protestant en qualité de chapelain du collège !
  2. Relation des Jésuites, (1640).
  3. Gallatin. Colden. Ce dernier rapporte qu’il existait une tradition chez les Iroquois, que leurs ancêtres avaient habité les environs de Montréal.
  4. Relation des Jésuites, et lettre du P. Jogues prisonnier des Iroquois.
  5. Les PP. Lemoine, Chaumonot, Dablon, Lemercier, Mesnard, Fremin y évangélisèrent.
  6. Relation des Jésuites.
  7. Journal des Jésuites. Ce manuscrit de la main des P. P. J. Lallemant, Ragueneau et Lemercier, supérieurs successifs des Jésuites en ce pays, de 1645 à 1672, m’a été procuré par M. G. B. Faribault, bien connu pour l’ardeur avec laquelle il s’occupe depuis plusieurs années à recueillir et tirer de l’oubli divers matériaux propres à l’histoire du Canada ; et auteur d’un catalogue raisonné d’ouvrages sur l’Amérique.
  8. Vide État présent de l’Église et de la colonie Française dans la Nouvelle-France, par M. l’Evêque de Québec, (St.Vallier) « Ils (les habitans de Port-Royal) me parurent sincèrement disposés à modérer, nonobstant leurs intérêts, le commerce de l’eau-de-vie avec les Sauvages si on le jugeait nécessaire, me conjurant même d’obtenir sur cela de nouvelles ordonnances, et de tenir la main à l’exécution de celles que le roi a déjà faites dans toute la colonie, pour ne pas retarder la conversion de tant de barbares, qui semblent n’avoir que ce seul obstacle à rompre pour devenir des parfaits chrétiens. »
  9. Morton et Josselyn.
  10. « Les jours gras qui furent signalés entre autres par le tremblement de terre effroyable et surprenant qui commença une demy heure après la fin du salut du Lundy 5 de février, jour de la feste de nos Saints-Martyrs du Japon, sçavoir sur les 5 h. ½ et dura environ 2 miserere ; puis la nuit et ensuite les jours et nuits suivantes à diverses reprises, tantôt plus fort et tantôt moins fort : cela fit du mal à certaines cheminées, et autres légères pertes et dommages ; mais un grand bien pour les âmes… cela dura jusques au 15 de mars ou environ assez sensiblement. » Journal des Jésuites.
  11. Voyages dans l’Amérique du Nord. &c.
  12. « Ce moys icy il y eut changement de conseil, monsr. le gouverneur en ayant de son authorité cassé ceux qui y estaient, et institué 10 autres 4 à 4 pour chaque quatre moys de l’année, ensuite les syndics ont été cassés et plusieurs autres choses nouvelles établies. » Journal des Jésuites, avril 1662.