Histoire du Canada (Garneau)/Tome I/Livre II

Imprimerie N. Aubin (Ip. 177-247).



LIVRE II.



DESCRIPTION DU CANADA.
NATIONS INDIGÈNES.



Nom donné aux premières terres découvertes dans l’Amérique septentrionale. — Frontières des colonies mal définies ; sujet de beaucoup de contestations. — Description du Canada. — Tableau des populations indiennes de l’Amérique du Nord, et en particulier des tribus du Canada. — Leur nombre. — Description de leur personne, de leurs vêtemens, de leurs armes. — Leur manière de faire la guerre et la chasse. — Gouvernement des Sauvages. — Ils n’ont pas de religion. — Leurs devins. — Leur respect pour les morts ; leurs funérailles. — Leurs fêtes. — Ils sont fort passionnés pour le jeu et peu pour les femmes ; mais très attachés à leurs enfans. — Éloquence figurée des Sauvages. — Formation de leurs langues : ils ne connaissaient point les lettres : caractère synthétique des langues indiennes. — Facultés intellectuelles de ces peuples. — Leur origine. — Descendent-ils de nations qui ont été civilisées ?


Lorsque les Européens visitèrent pour la première fois l’Amérique du Nord, n’ayant aucun nom pour désigner les diverses contrées où ils abordaient, ils leur donnèrent l’appellation générale de terres neuves. Du temps de François I ce nom désignait tout aussi bien la Floride, le Canada, que le Labrador et l’île de Terreneuve qui seule l’a conservé en propre, À mesure que ces pays devinrent mieux connus, ils prirent des dénominations particulières qui servirent à les distinguer les uns des autres, mais qui furent souvent changées. D’ailleurs les limites des contrées qui les portaient, étaient incertaines et presque toujours confondues par les différentes nations : de là naquit la confusion qui, dans la suite, enfanta tant de difficultés entre la France, l’Angleterre et l’Espagne au sujet des frontières de leurs colonies.

Vers le commencement du dix-septième siècle le nom de Nouvelle-France fut donné à l’immense contrée qui embrassait le Canada, la baie d’Hudson, le Labrador, le Nouveau-Brunswick, la Nouvelle-Écosse et une portion des États-Unis.[1] À cette époque la péninsule de la Nouvelle-Écosse commença à porter le nom de Cadie ou Acadie ; et celui du Canada fut conservé au pays que nous habitons, mais avec des bornes beaucoup plus étendues dans toutes les directions.

La Nouvelle-France, avant la découverte du Mississipi, à la vallée duquel ce nom s’étendit ensuite, embrassait donc tout le bassin du St.-Laurent et tout celui de la baie d’Hudson. Ce dernier fleuve qui a plus de sept cents lieues de cours, et qui se jette dans l’Océan par un golfe qui est lui-même une mer, prend sa source sous le nom de rivière St.-Louis, par le 48e ° 30’de latitude nord, et le 93e ° de longitude ouest[2], sur le grand plateau central, où naissent aussi le Mississipi qui coule vers le sud, et les rivières qui versent leurs eaux vers le nord dans la baie d’Hudson. Le bassin, ou la vallée que le St. Laurent parcourt, faisant un coude au midi pour embrasser le lac Érié, s’élève par gradin de la mer au plateau dont on vient de parler, et qui, comme le reste des régions septentrionales de ce continent, a peu d’élévation. Le lac Supérieur, presque de niveau avec ce plateau, n’est qu’à six cent vingt-sept pieds au-dessus de l’Océan.[3] L’inclinaison longitudinale du bassin plus considérable vers le haut, diminue graduellement jusqu’à la mer.

Il est borné vers le nord par la chaîne des Laurentides, montagnes qui séparent les eaux qui se versent dans le St. Laurent de celles qui tombent dans la baie d’Hudson.[4] Cette chaîne, qui sort du Labrador, se prolonge jusqu’au dessus du lac Supérieur ; et ses rameaux couvrent et rendent stérile une grande étendue de pays, quoique cependant les vallées qui en séparent les nombreux mamelons, sont pour la plupart plus ou moins cultivables. Elle baigne ses pieds dans les eaux du St.-Laurent au Cap-Tourmente, où elle a de 1500 à 2000 pieds de hauteur, traverse la rivière des Outaouais au-dessus du lac des Chats et forme la rive septentrionale du lac Huron. Les Alléghanys dont l’on voit très-bien la cime des hauteurs de Québec, limitent ce bassin au sud jusqu’au lac Champlain. Cette chaîne de montagnes, dont le versant oriental jette ses eaux dans l’océan Atlantique, part du golfe St.-Laurent, longe le sud du lac Champlain, traverse la rivière Hudson et se prolonge jusque dans la Virginie. Depuis le lac Champlain, cette limite est formée par les hautes terres dont les eaux coulent au sud dans le Mississipi.

Tout le Canada paraît être assis sur un vaste banc de granit qui forme la charpente des plus hautes montagnes, et se montre à nu sur le lac supérieur et le lac Huron, à Kingston et dans plusieurs autres endroits du Haut-Canada ; sur la rivière St.-Maurice, à Beauport, à Tadoussac, à Kamouraska, au Labrador, &c. Ces granits portent des couches de différentes espèces de roches, dont les plus abondantes sont les schistes, les calcaires, les grès, comme la grauwacke, etc, etc.[5]

Le Canada est riche en minerais de fer. Deux mines sont exploitées, celles des TroisRivières, dont le fer est supérieur à celui de la Suède, et celle de Marmora, dans le Haut-Canada. Le cuivre, le zinc, le plomb, le titane et le mercure s’y montrent quelquefois, mais en petites quantités ; mais des explorations et des études plus rigoureuses que celles qu’on a faites jusqu’à présent, augmenteront beaucoup sans aucun doute nos richesses métalliques. Le gouvernement français a donné plus d’attention à ce sujet que le gouvernement actuel ; mais les rapports de ses explorateurs ne sont pas venus jusqu’à nous. Cependant il n’y a aucun doute qu’ils avaient découvert la plus grande partie des mines mentionnées aujourd’hui par nos géologues. La plupart de ces mines n’attendent que la main de l’industrie pour être utilisées.[6]

Le sol de ce pays est généralement fertile, surtout dans la partie supérieure où le climat est tempéré et où l’on trouve d’immenses plaines à céréales. Dans la partie inférieure la température est beaucoup plus froide, et les Alléghanys et les Laurentides avec leurs nombreux rameaux occupent, particulièrement les dernières, un vaste territoire qui diminue considérablement la surface cultivable. Ainsi la grande et pittoresque contrée du Saguenay est traversée du nord au sud à peu près par un rameau de cette dernière chaîne de montagnes, qui descend jusqu’au fleuve. Dans quelque révolution physique, ce rameau s’est fendu en deux dans sa longueur, pour donner passage à une rivière très profonde, et bordée de chaque côté par des parois verticales d’une grande hauteur formées par cette brisure. Rien n’est à la fois plus grandiose et plus sauvage que ces rives hardies et tourmentées ; mais elles n’acquièrent ce caractère qu’aux dépens de leur vertu fertilisante ; C’est encore à un des rameaux de cette chaîne, qui court en remontant le long du fleuve depuis Prescott jusqu’à la baie de Quinté sur le lac Ontario, sans jamais s’élever beaucoup au-dessus du sol, que l’on doit attribuer le peu de fertilité de cette partie de la province supérieure. En revanche, dans les contrées montagneuses les vallées sont arrosées par de nombreux cours d’eau qui les fertilisent, et qui contribuent puissamment à cette croissance rapide de la végétation canadienne, si remarquable sur le bas St.-Laurent.

Le bassin du St.-Laurent ayant, comme on l’a dit, la forme d’un angle dont le sommet est tourné vers le midi, ses deux extrémités qui se terminent à peu près dans la même latitude, possèdent aussi le même climat. Le maximum du froid est à Québec de 80 degrés sous zéro et quelquefois plus, et du chaud de 97 à 103 au-dessus, thermomètre de Fahrenheit, La température de l’hiver s’adoucit jusqu’à l’extrémité supérieure du lac Erié. Sous le 42°. de latitude, l’extrême du froid est de 20 degrés sous la glace, mais cela est rare ; et de la chaleur de 103 au-dessus. L’on voit que quant à la chaleur il n’y a pas de différence sensible ; mais elle ne dure pas si longtemps dans le Bas-Canada que vers le centre du Haut. Au reste, la différence du climat entre ces deux parties du pays se comprendra encore mieux en comparant leurs productions et la longueur de leurs hivers.


Les parties habitées des deux Canadas, dit Bouchette, sont situées entre le 42e et le 48e degré de latitude nord ; et si d’autres causes que celle de leur distance de l’équateur et du pôle, n’exerçaient pas d’influence sur leur température, elles devraient jouir d’un climat analogue à celui de l’Europe centrale et méridionale, tandis qu’au contraire le froid et la chaleur y sont beaucoup plus considérables. À Québec, (latitude 46e. 48’ 49”) les pommes viennent en abondance ; mais les pêches et le raisin ne réussissent pas ; à Montréal, (latitude 45e°. 30’) ces fruits parviennent à leur maturité. Mais à Toronto et plus au sud, les pêches, le raisin et l’abricot atteignent toute leur perfection. On peut ajouter que l’Acacia qui ne peut résister au climat de Québec en pleine terre, commence à se montrer à Montréal et devient plus commun à mesure que l’on approche du Détroit.

Dans le Bas-Canada, l’hiver commence vers le 25 novembre à Québec et dure jusque vers le 25 avril, que l’on reprend les travaux des champs ; et la neige qui demeure sur la terre de 5 mois à 5 mois et demi, et quelquefois plus, atteint une hauteur de trois à quatre pieds dans les bois. À Montréal l’hiver dure 3 à quatre semaines de moins, et il y tombe aussi moins de neige. Enfin dans la partie méridionale du Haut-Canada l’hiver est beaucoup plus court ; les traîneaux n’y servent que deux mois, et souvent moins, pendant que l’usage en est général dans le Bas cinq mois et plus.

Mais partout dans cette vaste contrée, sous le ciel rigoureux du Bas-Canada, ou sur les bords plus favorisés du Haut, l’air est salubre et agréable en été. L’excès du froid sur le bas St-Laurent paraît dû, moins à la hauteur de sa latitude, qu’à l’absence de montagnes très-élevées du côté du nord, et au voisinage de la baie d’Hudson dans laquelle les vents du pôle s’engagent pour venir déborder dans les régions de ce fleuve, en même temps qu’ils y arrivent saturés d’humidité et de froid des mers du Labrador. Cela paraît d’autant plus vraisemblable qu’à l’ouest des Alléghanys, le nord-est est plutôt sec qu’humide, parceque, dit Volney, ce courant d’air là comme en Norvège, n’arrive qu’après avoir franchi un rempart de montagnes, où il se dépouille dans une région élevée des vapeurs dont il était gorgé.[7]

Ces contrées si variées, si étendues, si riches en beautés naturelles, et qui portent, pour nous servir des termes d’un auteur célèbre, l’empreinte du grand et du sublime, étaient habitées par de nombreuses tribus nomades qui vivaient de chasse et de pêche, et formaient partie de trois des huit grandes familles indiennes qui se partageaient le territoire situé entre le Mississipi, l’Océan et la terre des Esquimaux.

Ces grandes familles sont les Algonquins, les Hurons, les Sioux, les Chérokis, les Catawbas, les Uchées, les Natchés et les Mobiles. Elles sont ainsi divisées d’après les langues qu’elles parlent, et que l’on a appelées mères, par ce qu’elles n’ont aucune analogie entre elles, et qu’elles ont un grand nombre de mots imitatifs qui peignent les choses par le son. Tous les idiômes des diverses tribus sauvages dans les limites de ce territoire, dérivent de ces huit langues ; et généralement tous ceux qui parlaient des idiômes de la même langue-mère, s’entendaient entre eux, quelqu’éloignées les unes des autres que fussent d’ailleurs leurs patries respectives.

Cette grande aggrégation d’hommes était ainsi disposée sur le sol de l’Amérique.

Les Mobiles possédaient toute l’extrémité sud de l’Amérique septentrionale, depuis la baie du Mexique jusqu’à la rivière Tenessée et le cap Fear. Les Uchées et les Natchés, peu nombreux, étaient enclavés dans cette nation ; les Natchés avaient un petit territoire borné par le Mississipi ; les Uchées étaient plus vers l’est, et joignaient les Chérokis. Le pays des Chérokis était également éloigné de la baie du Mexique que du lac Erié, de l’Océan que du Mississipi. Cette nation avait pour voisins les Mobiles et les Uchées au nord, et les Catawbas à l’est. Les Catawbas possédaient une contrée peu étendue au sud des Mobiles et à l’ouest des Chérokis. La grande famille Algonquine occupait près de la moitié de l’Amérique du nord, au levant du Mississipi. Son territoire joignant les Mobiles au sud, s’étendait dans le nord, jusqu’à celui des Esquimaux, sur la largeur qu’il y a du Mississipi à l’Océan.[8] La superficie en était de 60 degrés de longitude et de 20 de latitude.

Les Hurons, dont le véritable nom est Yendats, mais auxquels les Français donnèrent celui de Hurons, du mot hure, à cause de leur manière particulière de s’arranger les cheveux, se trouvaient au milieu d’elle sur les bords du lac Ontario, du lac Erié et du lac qui porte leur nom. Les Sioux dont la vaste contrée était à l’ouest du Mississipi, possédaient un petit territoire sur le lac Michigan au couchant. Ainsi comme la Nouvelle-France embrassait le St.-Laurent et tous les lacs, elle renfermait une partie des peuples qui parlaient des dialectes des trois langues mères, la Siouse, l’Algonquine et la Huronne. À partir du lac Champlain et du sud de la rivière des Outaouais en gagnant le nord, le dialecte Algonquin était parlé dans l’origine ; mais dans la suite des migrations en sens contraire de peuples des deux autres dialectes, portèrent ces langues en diverses parties du Canada.

Les principales tribus de la langue Algonquine qui habitaient la Nouvelle-France, étaient au sud du St-Laurent :

Les Micmacs, ou Souriquois, qui occupaient la Nouvelle-Écosse, Gaspé et les Îles adjacentes. Ils étaient peu nombreux ; leur nombre n’a jamais dépassé 4000.

Les Etchemins : ils habitaient les contrées que baignent la rivière St.-Jean, la rivière Ste. Croix, et qui s’étendent au sud jusqu’à la mer.

Les Abénaquis étaient entre les Micmacs et les Etchemins, le St.-Laurent, la Nouvelle-Angleterre, et les Iroquois.

Les Sokokis vinrent des colonies Anglaises se mettre sous la protection des Français en Canada ; ils étaient alliés aux Agniers.

Au nord du fleuve :

Les Montagnais habitaient les bords du Saguenay et du lac St.-Jean, ainsi que les Papinachois, les Bersiamites, la nation du Porc-Epic, et plusieurs autres tribus.

Les Algonquins, ou Lenni-Jenappes proprement dits, étaient répandus depuis un peu plus bas que Québec jusqu’à la rivière St.-Maurice. Une de leurs tribus était en possession de l’île de Montréal et de ses environs.

Les Outaouais erraient d’abord dans la contrée qu’arrose la rivière qui porte leur nom, au-dessus de Montréal, et s’étendirent ensuite jusqu’au lac Supérieur.

Les tribus de la langue Huronne étaient :

Les Hurons ou Yendats, qui résidaient sur les bords septentrionaux du lac Huron, du lac Erié et du lac Ontario, dont ils furent chassés bientôt après l’arrivée des Européens par les Iroquois. Ne pouvant leur résister, ils furent repoussés d’un côté vers le bas St.-Laurent, de l’autre au-delà du lac Supérieur dans les landes arides qui séparaient les Chippaouais de leurs ennemis occidentaux. Ramenés ensuite par les armes puissantes des Sioux, on les vit au Sault-Ste.-Marie, à Michilimackinac et enfin près du Détroit.

La bourgade des Hurons de Lorette à 6 milles de Québec, est un des débris de cette nation jadis si puissante, et à laquelle les Iroquois ses vainqueurs, et plusieurs autres tribus devaient leur origine. Cette bourgade ne renferme à cette heure qu’un Huron pur sang ; il est le fils d’un des chefs, et est conséquemment chef lui-même. Il était né pour avoir le malheur de survivre à sa nation.

Au sud du lac Erié, du lac Ontario et du fleuve St.-Laurent jusqu’à la rivière Richelieu, dans le voisinage des Abénaquis, dominait la fameuse confédération Iroquoise. Le nom propre des Iroquois était Agonnonsionni : faiseurs de cabanes, parce qu’ils les faisaient plus solides que les autres. Le premier nom leur a été donné par les Français, et est formé du mot Hiro, avec lequel ils finissaient leurs discours, et qui équivaut, à : J’ai dit, et de celui de Koué, cri de joie ou de tristesse, selon qu’il était prononcé long ou court. Cette confédération était composée des Agniers ou Mohawks, des Onnontagués, des Goyogouins, des Onneyouths et des Tsonnonthouans.

Les Eriés et les Andastes dominaient autrefois entre le lac Erié et les Iroquois ; mais il n’existait plus que quelques restes de ces deux nations infortunées au temps de la découverte du Canada, lesquels ne pouvant résister à leurs puissans voisins, furent bientôt après impitoyablement détruits.

Les contrées que baignent le lac Supérieur, le lac Michigan et le lac Huron étaient encore habitées ou fréquentées par les Nipissings, les Outaouais, les Miâmis que refoulèrent vers le nord les Pouteouatamis venant du sud ; par les Illinois, les Chippaouais, les Outagamis ou Renards, peuple pillard et cruel, les Kikapous, les Mascontins, les Sakis, les Malhomines, les Osages, les Missouris, les Menomonis, toutes tribus de la langue Algonquine, et enfin par les Kristinots ou Kilestinots de la langue siouse.

Une foule d’autres tribus appartenant soit à la famille des Sioux, soit à celle des Hurons, soit à celle des Algonquins, habitaient des contrées plus ou moins reculées, et venaient quelquefois se montrer aux missionnaires et aux trafiquans européens sur les bords des lacs pour se renfoncer ensuite dans les forêts et ne plus reparaître ; tandis que d’autres également inconnues venaient à main armée prendre la place de plus anciennes, qui étaient forcées de reculer et d’abandonner leur territoire.[9]

Il serait impossible de pouvoir établir aujourd’hui quelle était la population indienne de la Nouvelle-France à l’époque de l’apparition de Cartier. Si l’on en jugeait d’après la variété des tribus, on serait porté à croire qu’elle était considérable ; mais des calculs sur lesquels on peut se reposer avec confiance, la réduisent à un chiffre peu élevé. Les tribus sauvages ne sont jamais nombreuses. Quelques voyageurs s’en laissèrent d’abord imposer à cet égard par le langage métaphorique de ces peuples, qui étaient d’ailleurs accoutumés à regarder une bourgade de 1000 âmes, comme une ville considérable, et qui ne pouvaient encore indiquer ce nombre que par une expression figurée. C’est ainsi que lontemps encore après, en 1753, ils rapportèrent au colonel Washington, que les Français venaient l’attaquer avec une armée aussi nombreuse que les feuilles des forêts ; et cette armée était composée de quelques centaines d’hommes.

Des évaluations de population ont été faites avec le plus grand soin pour les contrées situées entre le St.-Laurent et le Mississipi. Ces calculs indiquent le chiffre de la population il y a deux cents ans, et ils sont plutôt au-dessus qu’au-dessous de la réalité. Ils portent la famille Algonquine, qui est de beaucoup la plus considérable, à 90,000 âmes ; celle des Sioux orientaux à moins de 3000 ; celle des Hurons, y compris les Iroquois, à environ 17,000 ; celle des Catawbas à 3000 ; celle des Chérokis à 12,000 ; celle des Mobiles à 50,000 ; celle des Uchées à 1000, et celle des Natchés à 4000. Ce qui donne seulement 180,000 âmes pour toute la population, preuve qu’elle était extrêmement dispersée.[10] En effet, les peuples chasseurs ont besoin d’immenses domaines ; et malgré la vaste étendue des forêts de l’Amérique, les tribus sauvages y manquaient souvent de subsistance, faute de trouver assez de gibier. D’ailleurs si la population eût été dense, comment les Iroquois, qui ne comptaient que 2200 guerriers en 1660[11], auraient-ils pu se promener en conquérans depuis la Caroline jusqu’au fond de la baie d’Hudson, et faire trembler au seul bruit de leur nom tous les peuples de ces contrées ?

Cartier ne vit dans tout le Canada que quelques rares bourgades, dont la plus considérable renfermait seulement cinquante cabanes ; et le plus grand rassemblement d’hommes qui eut lieu à Stadaconé dans l’hiver qu’il passa sur la rivière St.-Charles, resta bien au-dessous de 1000. Il aperçut dans les autres parties du pays à peine çà et là quelques traces d’habitation. Joliet et le P. Marquette, Jésuite, parcoururent une grande partie du Mississipi sans rencontrer la présence d’un seul homme.

Nous avons dit que la comparaison des différens dialectes parlés dans l’Amérique septentrionale, à l’est de ce dernier fleuve, avait fait découvrir huit langues-mères, et que l’on y avait divisé la population en autant de grandes familles. D’après ces huit divisions radicales d’une partie des hommes de la race rouge, qui sembleraient militer contre l’hypothèse d’une seule voie d’immigration asiatique par le nord-ouest de l’Amérique, ou peut-être même contre l’hypothèse de toute immigration quelconque, on s’attendrait à trouver aussi des différences entre eux tant sous le rapport physique que sous le rapport moral. Cependant il n’en est rien ; et la plus grande similitude régnait à cet égard. La différence entre les Sauvages du Canada et ceux de la Floride était à peine sensible.[12] Leurs personnes, leurs mœurs, leurs institutions avaient le même caractère et la même physionomie. En traçant le portrait des uns l’on fait celui des autres.

Ils étaient tous en général d’une belle stature. Élevés et sveltes, indices de l’agilité plutôt que de la force, ils avaient cet air farouche que donnent l’habitude de la chasse et les périls de la guerre.[13]

Les traits des Sauvages ne présentaient pas la même beauté. La figure plus ronde qu’ovale, le teint cuivré, ils avaient les pommettes des joues élevées et saillantes ; leurs yeux noirs ou châtains, petits et enfoncés, brillaient dans leurs orbites. Le front étroit, ils avaient le nez plat, les lèvres épaisses, les cheveux gros et longs. Les hommes avaient peu de barbe et ils se l’arrachaient soigneusement à mesure qu’elle paraissait, tant ils en avaient horreur. C’était un usage universel en Amérique.[14] Les hommes difformes étaient extrêmement rares parmi eux. Ils avaient la vue, l’ouïe, l’odorat et tous les sens d’une sensibilité exquise.

La même ressemblance existait dans leurs vêtemens, avec la différence que pouvait apporter celle des climats. L’été, ils allaient presque nus. L’hiver, ils ceignaient une peau d’élan ou d’autre bête sauvage, autour de leurs reins ; et une autre tombait de leurs épaules. Les griffes d’un ours formaient des agraffes dignes d’un chef de guerre à ces manteaux peints de diverses couleurs, et sur lesquels ils représentaient souvent l’histoire de leurs exploits. Des espèces de boyaux ou guêtres de peaux repassées, et ornées d’une broderie en poils de porc-épic, couvraient leurs jambes, tandis qu’une belle chaussure de peau de chevreuil, garantissait leurs pieds de la rigueur du froid. Cependant beaucoup d’entreux en Canada se couvraient à peine le corps, même l’hiver, comme l’atteste Jacques Cartier.

Les femmes, couvertes jusqu’aux genoux, avaient un costume qui différait peu de celui des hommes, excepté qu’elles avaient la tête et les bras nus. Elles portaient des colliers de coquillages, dont elles distribuaient aussi des branches sur le devant de leurs vêtemens resplendissant de couleurs brillantes, où le rouge prédominait.

C’est dans la manière de se parer que se distinguaient les Sauvages des diverses tribus. Ils se peignaient « le visage et le corps, soit pour se reconnaître de loin, soit pour se rendre plus agréables dans l’amour ou plus terribles dans la guerre. À ce vernis, ils joignaient des frictions de graisse de quadrupède ou d’huile de poisson, usage familier et nécessaire pour se garantir de la piqûre insoutenable des moucherons et des insectes qui couvrent tous les pays en friche.[15] » Ils se couvraient le corps de figures d’animaux, de poissons, de serpens, etc., avec des couleurs très vives et variées, selon leurs caprices. Ils aimaient beaucoup le vermillon. Les uns se peignaient le nez en bleu ; les sourcils, le tour des yeux et les joues en noir, et le reste de la figure en rouge ; les autres se traçaient des bandes rouges, noires et bleues d’une oreille à l’autre, et de plus petites sur les joues. Les hommes s’arrangeaient les cheveux diversement, tantôt relevés ou aplatis sur la tête, tantôt pendans par tresses. Ils y ajoutaient des plumes d’oiseaux de toutes sortes de couleurs, et des touffes de poils d’animaux, le tout placé de la manière la plus étrange. Ils portaient des pendans aux narines et aux oreilles, des bracelets de peaux de serpent aux bras ; des coquilles leur servaient de décorations.

Les Indiens n’avaient pour armes offensives que la flèche, espèce de javelot hérissé d’une pointe d’os ou de pierre, et un casse-tête de bois extrêmement dur, ayant un côté tranchant. Leurs armes défensives consistaient en une espèce de cuirasse de bois léger, dont l’usage fut abandonné lors de l’introduction des armes à feu, et quelquefois en un long bouclier de bois de cèdre qui couvrait tout le corps.[16] Elles parurent peu dangereuses aux Européens qui ignoraient leur manière de combattre. Mais l’art de ces barbares consistait à surprendre leurs ennemis et non à les attaquer de pied ferme ; le casse-tête devenait une arme terrible dans une attaque subite où le guerrier assommait d’un seul coup son antagoniste endormi ou désarmé.

Le mot seul de guerre excitait chez les jeunes Sauvages une espèce de frémissement plein de délices, fruit d’un profond enthousiasme. Le bruit du combat, la vue d’ennemis palpitans dans le sang, les enivraient de joie ; ils jouissaient d’avance de ce spectacle, le seul qui fût capable d’impressionner leur âme placide. Et comment en pouvait-il être autrement ? C’était la seule de leurs fibres qu’on eût excitée depuis qu’ils étaient capables de sentir. Toute leur âme était là. L’imagination excitée par le récit des exploits de leurs ancêtres, ils brûlaient de se distinguer comme eux.

Les causes de guerre étaient peu nombreuses, mais fréquentes entre les nations sauvages. Le droit de chasser ou de passer dans certaines limites, la défense de leur propre territoire, ou la vengeance d’un compatriote aimé, voilà ce qui donnait naissance ordinairement aux luttes destructives de ces barbares. Mais chaque individu étant parfaitement indépendant, il pouvait à tout moment, soit par amour des combats ou du pillage, soit par haine ou vengeance, compromettre la paix entre deux tribus et les entraîner dans une guerre mortelle : c’était probablement là la cause de la plupart de celles qui se faisaient en Amérique, et qui finissaient souvent par la destruction ou l’expulsion de la tribu vaincue. Ainsi, la paix était sans cesse compromise, et depuis le Mexique jusqu’à la baie d’Hudson, les peuples étaient dans un état continuel d’hostilité.

Tous ceux qui étaient capables de porter les armes, étaient guerriers, et avaient droit d’assister aux assemblées publiques et d’exprimer leur opinion sur les matières en délibération. La guerre ne se décidait que par la nation réunie : toutes les raisons étaient pesées avec maturité. Si elle était décidée, les anciens s’adressaient à leurs guerriers pour les exciter à combattre. « Les os de nos frères blanchissent encore la terre, disaient-ils, ils crient contre nous ; il faut les satisfaire. Peignez vous de couleurs lugubres, saisissez vos armes qui portent la terreur, et que nos chants de guerre et nos cris de vengeance réjouissent les ombres de nos morts, et fassent trembler les ennemis dont le sang va bientôt inonder la terre. Allons faire des prisonniers et combattre tant que l’eau coulera dans les rivières, que l’herbe croîtra dans nos champs, que le soleil et la lune resteront fixés au firmament. »

Aussitôt le chant de guerre était entonné par tous les combattans, qui demandaient qu’on les menât à l’ennemi. Ils se choisissaient un chef ; et leur choix tombait toujours sur celui que distinguaient d’anciens exploits, une taille imposante, ou une voix forte et qui pût se faire entendre dans le tumulte des combats et exciter l’ardeur des guerriers. Le chef élu tâchait de se rendre favorable le Grand-Esprit, et le dieu du mal par de longs jeûnes ; il étudiait ses rêves qui étaient pour lui des oracles. Enfin après avoir répété tous ensemble une prière, ils commençaient la danse de guerre, l’image la plus énergique et la plus effrayante de ces luttes mortelles. Tout se terminait par un festin solennel où l’on ne servait que de la chair de chien. Le chef y racontait ses exploits et ceux de ses ancêtres.

Dans leurs campagnes, les Indiens, tant qu’ils sont sur leur territoire, marchent sans précaution, et dispersés pour la commodité de la chasse, et se réunissent pour camper le soir ; mais dès qu’ils mettent le pied dans le pays ennemi, ils ne se séparent plus, et n’avancent qu’avec la plus grande circonspection pour éviter les embuscades. Ils ne chassent plus, n’allument plus de feu et se parlent par signes. Ils étudient le pays qu’ils traversent ; et ils déployent en cela une sagacité inconcevable. Ils devinent une habitation de très loin par l’odeur de la fumée. Ils découvrent la trace d’un pas sur l’herbe la plus tendre comme sur la substance la plus dure, et ils lisent dans cette trace, la nation, le sexe et la stature de la personne qui l’a faite, et le temps qui s’est écoulé depuis qu’elle a été formée.[17] Ils s’appliquent à dissimuler la route qu’ils suivent, et à découvrir celle de leur ennemi. Et ils emploient pour cela divers stratagèmes. Ils marchent sur une seule file l’un devant l’autre, mettant les pieds dans les mêmes traces, que le dernier de la file recouvre de feuilles. S’ils rencontrent une rivière, ils cheminent dedans. Cette tactique est facile pour les Sauvages, parce qu’ils sont peu nombreux dans leurs expéditions. Ce sont généralement des partis de trente, quarante, cinquante hommes ; rarement excèdent-ils deux ou trois cents.

Lorsqu’ils atteignent leurs ennemis sans être découverts, le conseil s’assemble et forme le plan d’attaque. Au point du jour, et lorsqu’ils les supposent encore plongés dans le sommeil, ils se glissent dans leur camp, font une décharge de flèches en poussant de grands cris, et tombent sur eux le casse-tête à la main. Le carnage commence. Tel est le système de guerre des Indiens ; ils ne s’attaquent que par surprise ; ils tuent ceux qu’ils ne peuvent emmener, et leur enlèvent la chevelure. La retraite se fait avec précipitation, et ils tâchent de la cacher, s’ils ont lieu d’appréhender une poursuite. S’ils sont pressés de trop près, les prisonniers sont égorgés, et chacun se disperse. Dans le cas contraire, ceux-ci sont gardés avec soin et attachés la nuit à des piquets de manière qu’ils ne puissent remuer sans réveiller leurs vainqueurs. C’est dans ces longues nuits qu’ils entonnent le chant de mort, et que leur voix mâle, mais triste, résonne dans la profondeur des forêts. C’est dans cette situation affreuse que l’Indien déploie son héroïsme, et qu’il brave la cruauté de ses bourreaux. « Je vais mourir, dit-il, mais je ne crains point les tortures que m’infligeront mes ennemis. Je mourrai en guerrier, et j’irai rejoindre dans le pays des ombres les chefs qui ont souffert avant moi.»  

La bourgade va au devant des vainqueurs, qui annoncent de loin leur arrivée par des cris. On fait passer les prisonniers entre deux files d’hommes qui les frappent avec des bâtons. Ceux qui sont destinés à la mort sont livrés au chef de guerre, les autres au chef de la tribu. Les premiers sont attachés à des poteaux, et l’on commence leur supplice qui se prolonge quelquefois plusieurs jours. Mais si les bourreaux sont sans pitié, la victime ne montre aussi aucune faiblesse ; elle se fait gloire de ses tourmens ; elle vante ses victoires, compte les chevelures qu’elle a enlevées, dit comment elle a traité ses prisonniers, et reproche à ses vainqueurs qu’ils ne savent pas torturer. Elle pousse quelquefois le sarcasme si loin, que ceux-ci perdant patience, terminent ses jours, d’un coup de casse-tête. Voilà jusqu’où les Indiens portaient le mépris des souffrances, ou plutôt le fanatisme de la mort.

Il n’y avait généralement que les chefs qui étaient torturés ainsi. L’on brûlait les autres ; ou quelquefois on les gardait pour en faire des esclaves. Les missionnaires français firent tout ce qu’ils purent pour faire adopter aux Indiens un système plus humain, et c’est dans cette vue qu’ils introduisirent l’usage de vendre les prisonniers, afin de les arracher à la mort.

Ceux qui avaient été livrés au chef de la nation, étaient destinés à remplacer les guerriers tués sur le champ de bataille. Ils étaient adoptés par les familles des défunts, qui leur portaient toute la tendresse et tous les égards qu’elles avaient pour ceux dont ils tenaient la place.

Il est impossible de dire si les prisonniers ainsi adoptés, ou réduits en esclavage, n’étaient pas plus malheureux que ceux qui avaient été sacrifiés à la cruauté de leurs vainqueurs. Ils ne devaient plus songer à revoir leurs parens, leurs amis, leur patrie, enfin tout ce qu’ils avaient de plus cher, leurs femmes et leurs enfans. Ils devaient s’incorporer à leur nouvelle famille et à leur nouvelle tribu, à tel point qu’ils pussent haïr tout ce qu’elles abhorraient, fût-ce même leur propre patrie, fût-ce même leur propre sang.

Mais telle était l’organisation des Indiens, la placidité de leur tempérament, que cet usage était reçu universellement parmi eux. Ils oubliaient tous leurs anciens souvenirs ; ceux de la patrie qui sont gravés si profondément dans le cœur des hommes de la race européenne, disparaissaient de leur mémoire comme s’ils ne s’y étaient jamais arrêtés. Ce caractère particulier qui permettait de rompre sans grande secousse les liens du sang les plus rapprochés, contribua sans doute à la conservation d’une coutume à laquelle toutes ces peuplades libres se soumettaient sans même pousser un murmure.

Les animosités nationales étaient héréditaires et difficiles à éteindre ; mais enfin on se lassait de verser le sang, et la paix devenait nécessaire. La tribu qui en avait le plus de besoin devait faire les premières démarches ; ce qui demandait beaucoup de prudence. Il fallait vaincre dans cette mesure préliminaire la répugnance d’un ennemi vindicatif, et employer toutes les raisons d’équité et d’intérêt qui pouvaient désarmer sa vengeance. Lorsqu’une tribu avait résolu de faire les premiers pas, quelques uns de ses principaux chefs, accompagnés de ceux qui devaient servir de médiateurs, se rendaient chez la nation avec laquelle ils voulaient traiter de la paix. Le calumet était porté devant eux. Ce symbole inviolable est une pipe de quatre pieds de long, dont la tête de marbre rouge, est fixée à un tuyau de bois orné de plumes et d’hiéroglyphes de diverses, couleurs, le rouge indiquant l’offre d’un secours, le blanc et le gris, de la paix.[18]

Lorsque la députation est rendue dans le camp des ennemis, un des chefs inférieurs remplit le calumet de tabac ; et après y avoir mis le feu, il l’élève vers le ciel, puis le baisse vers la terre, et le présente à tous les points de l’horison, en invitant tous les esprits qui sont dans le ciel, sur la terre et dans les airs à être présens au traité. Il l’offre ensuite au chef héréditaire qui en tire quelques bouffées de fumée, et les lance vers le ciel, et autour de lui vers la terre. Le calumet est alors passé à tous les chefs suivant leur rang, qui le touchent des lèvres. Un conseil est immédiatement tenu où le traité est discuté. Si la paix est conclue, l’on enterre une hache rouge, cérémonie qui est le symbole de l’oubli de l’animosité qui a régné jusque-là entre les deux parties contractantes. L’échange des colliers qui étaient chez ces peuples l’expression patente du traité, mettait le dernier cachet à la transaction.

Les deux tribus se faisaient alors réciproquement des présens ; c’étaient des calumets, des peaux de daim ornées d’un beau travail, et d’autres objets de prix. La coutume de se faire ainsi des présens est une de celles qui sont répandues chez tous les peuples de la terre.

La guerre terminée, le Sauvage rentrait dans son repos léthargique. Le travail chez les tribus indiennes était une occupation déshonorante qu’ils abandonnaient aux femmes, « comme indigne de l’homme indépendant. Leur plus vive imprécation contre un ennemi mortel, c’était qu’il fût réduit à labourer un champ ; la même que celle que Dieu prononça contre le premier homme. » Mais bientôt la faim venait le troubler dans sa hutte d’écorce, et le faisait de nouveau sortir de son inaction. Alors cet homme qu’on voyait, assis les jambes et les bras croisés, garder une attitude immobile et stupide des journées entières, sortait de sa léthargie, s’animait tout à coup, car la chasse était après la guerre la seule occupation noble à ses yeux, il pouvait y acquérir de la gloire ; et à ce nom l’Indien apathique devenait un tout autre homme, il bravait tout pour elle, les fatigues, la faim, et même la mort. La chasse ne se faisait ordinairement que pendant l’hiver, parceque l’été le poisson suffisait à la subsistance, et que d’ailleurs la fourrure des animaux est moins belle alors que dans la saison froide. « Toute la nation y allait comme à la guerre ; chaque famille, chaque cabane, comme à sa subsistance. Il fallait se préparer à cette expédition par des jeûnes austères, n’y marcher qu’après avoir invoqué les dieux. On ne leur demandait pas la force de terrasser les animaux, mais le bonheur de les rencontrer. Hormis les vieillards arrêtés par la décrépitude tous se mettaient en campagne, les hommes pour tuer le gibier, les femmes pour le porter et le sécher. Au gré d’un tel peuple, l’hiver était la belle saison de l’année : l’ours, le chevreuil, le cerf et l’orignal, ne pouvaient fuir alors avec toute leur vitesse, à travers quatre à cinq pieds de neige. Ces Sauvages que n’arrêtaient ni les buissons, ni les ravins, ni les étangs, ni les rivières, et qui passaient à la course la plupart des animaux légers, faisaient rarement une chasse malheureuse. Mais au défaut de gibier, on vivait de gland. Au défaut de gland, on se nourrissait de la sève ou de la pellicule qui naît entre le bois et la grosse écorce du tremble et du bouleau. » (Raynal).

Dans ces expéditions, la tribu se campait dans le voisinage d’un lac ou d’une rivière, où elle se construisait des huttes à la hâte. En un clin d’œil une bourgade s’élevait au-dessus des neiges qui recouvraient bientôt celle qu’elle avait abandonnée. C’est ainsi que partout dans l’Amérique du nord, la population et les villes changeaient continuellement de place, attirées qu’elles étaient par l’abondance de la chasse ou de la pêche, qui variait tous les jours dans chaque localité.

Un peuple qui n’était point ainsi fixé au sol, devait jouir de la plus grande liberté ; et, en effet, chacun vivait avec toute l’indépendance qu’un homme peut posséder dans la société la plus libre.

La coutume et l’opinion, voilà quel était le gouvernement des tribus sauvages. Il n’y avait point de lois écrites. On suivait les usages traditionnels et l’instinct de la raison et de l’équité. D’ailleurs l’autorité publique, le gouvernement, n’était appelé à agir que très rarement, comme lorsqu’il fallait faire la guerre ou la paix, élire un chef, ou enfin traiter avec une autre tribu pour quelque sujet que ce soit ; ou bien encore régler la marche d’une cérémonie publique, &c. ; mais jamais, ou presque jamais, ne statuait-il sur les matières intérieures, c’est-à-dire, relatives à la conduite des citoyens ; son pouvoir n’allait pas jusque-là. La volonté générale, dit l’historien des deux Indes, n’y assujettissait pas la volonté particulière. Les décisions étaient de simples conseils qui n’obligeaient personne, sous la moindre peine.[19] Si dans une de ces singulières républiques, on ordonnait la mort d’un homme, c’était plutôt une espèce de guerre contre un ennemi commun, qu’un acte judiciaire exercé sur un sujet ou un citoyen. Au défaut de pouvoir coercitif, les mœurs, l’exemple, l’éducation, le respect pour les anciens, l’amour des parens, maintenaient en paix ces sociétés sans lois comme sans biens.

On voit que le lien moral faisait toute la force de ces associations. Dans les assemblées, chacun avait droit d’opiner sur les affaires publiques et d’émettre son opinion selon son âge ou ses services. Dans une société où les richesses étaient inconnues, l’intérêt ne pouvait faire dévier les hommes de leurs devoirs ; et comme jamais l’Indien ne donnait rien aux anciens, ni à ses chefs électifs ou héréditaires, désintéressement comme la cupidité n’influaient point sur leur jugement.

L’un des plus forts liens qui tenaient les sociétés indiennes ensemble, c’est le respect que la tribu avait pour chacun de ses membres. Il n’y avait d’exception à cet égard que pour les services rendus à la chose publique et pour le génie ; la considération qu’ils attiraient était toute personnelle, et n’entraînait aucune charge ni obligation onéreuse : c’était le fruit moral de la reconnaissance.

Ces égards, les tribus, les nations, les observaient entre elles en temps de paix ; les envoyés et les ambassadeurs étaient reçus avec distinction, et placés sous la protection et la sauve-garde de celles chez lesquelles ils venaient pour négocier. Cependant les passions humaines venaient jeter quelquefois la perturbation dans ces sociétés si simples et si patriarcales. Comme elles n’avaient point de code, que « les lois prohibitives n’étaient point sanctionnées par l’usage, » l’homme lésé se faisait généralement justice lui-même. La tribu n’intervenait que quand l’action d’un de ses membres lui portait directement un préjudice grave, alors le coupable livré à la vindicte publique, périssait sous les coups de la multitude. Mais cela était extrêmement rare. Il résultait de cette indépendance individuelle qui ne voulait point reconnaître d’autorité supérieure pour juger les actes privés, des inconvéniens sérieux.

Il semblerait impossible qu’une société assise sur des bases aussi fragiles, pût se maintenir ; mais comme tous ces peuples menaient une vie vagabonde, il n’y avait ni commerce, ni transaction d’aucune espèce, circonstance qui, jointe à l’absence de lois prohibitives, réduisait la liste des offenses à très peu de chose. Aussi ces sociétés ne comptaient point d’officiers civils ; il n’y avait ni juges, ni prisons, ni bourreaux.

L’absence de toute espèce de tribunaux judiciaires laissant à chacun le soin de venger ses injures, enfanta l’esprit vindicatif qui caractérisent les Sauvages. Une insulte ne restait pas sans vengeance, et le sang ne pouvait se laver que par le sang. Cependant les querelles particulières étaient excessivement rares, et quoique le corps de l’état n’eût aucun pouvoir sur les individus, il réussissait ordinairement à les apaiser. Car en sacrifiant sa vengeance privée au bien général qui ne se sent pas agrandi ? Et le Sauvage est très sensible à l’honneur.

Mais si le sang avait été versé, l’ombre du défunt ne pouvait être apaisée que par des réprésailles. Un parent se chargeait de ce devoir sacré. Il traversait s’il le fallait des contrées entières, souffrait la faim et la soif, endurait avec plaisir toutes les fatigues pour satisfaire l’ombre sanglante d’un frère ou d’un ami. La vengeance tirée appelait une autre vengeance, et ainsi de famille en famille et de nation en nation se continuait la lutte mortelle.

Cependant la raison des Sauvages leur avait laissé un moyen d’y mettre fin, et de pacifier les cabanes en hostilité. Les présens apaisaient l’ombre de celui qui était tombé sous les coups d’un meurtrier repentant.

Chez les tribus indiennes, les ramifications des familles étaient étendues et se suivaient fort loin. Des liens étroits resserraient ainsi toute la peuplade. L’on avait le plus grand respect pour ses parens ; et les nœuds du sang étaient sacrés, tellement que le frère payait la dette du frère décédé, et embrassait sa vengeance comme si elle eût été la sienne propre. Les mendians étaient inconnus. La tribu recueillait les orphelins.

Dans les peuplades où le chef l’était par droit d’hérédité, ce droit s’acquérait par la descendance féminine, c’est à dire par la mère. Cette loi de succession était très généralement répandue.

Chaque tribu, chaque village vivait dans une entière indépendance. Et toutes les tribus présentaient la même uniformité dans leur organisation sociale. Si dans quelques unes le chef était héréditaire, c’était plutôt un privilége nominal que réel, parceque la mesure de son autorité était toujours proportionnée à ses qualités, à son génie. Le chef indien n’avait ni couronne, ni sceptre, ni gardes, et son pouvoir n’était que l’expression populaire. Il n’était en réalité que le premier des hommes libres de la peuplade. Cependant il n’en avait pas moins de fierté. Ne savez-vous pas, disait un d’eux à un missionnaire, que je commande depuis ma jeunesse, que je suis né pour commander, et que sitôt que je parle tout le monde m’écoute.[20]

Dans une société ainsi constituée, la religion devait avoir peu d’influence, ou plutôt son organisation est un indice certain qu’elle n’avait pas de religion régulière ayant ses formes et ses cérémonies. Les premiers Européens qui ont visité les Sauvages s’accordent presque tous à dire qu’ils ne professaient aucun culte. Les Micmacs et leurs voisins n’avaient ni adoration, ni cérémonies religieuses.[21] À l’égard de la connaissance de Dieu, dit Joutel, « il ne nous a pas paru que les Cénis en aient aucune notion certaine ; il est vrai que nous avons trouvé des tribus sur notre route, qui, autant que nous le pouvions juger, croyaient qu’il y avait quelque chose de relevé qui est au-dessus de tout ; ce qu’ils faisaient en levant les mains et les yeux au ciel, dont néanmoins ils ne se mettaient pas en peine ; parcequ’ils croyaient aussi que cet être relevé ne prend aucun soin des choses d’ici bas. Mais d’ailleurs, comme ceux-là, non plus que ceux-ci, n’ont ni temples, ni cérémonies, ni prières, qui marquent un culte divin, on peut dire de tous qu’ils n’ont aucune religion. »[22]

On pouvait déjà anticiper ces témoignages, par l’absence de toutes lois prohibitives ou obligatoires chez ces peuples, qui ne faisaient que ce qui était juste à leurs propres yeux. L’existence d’un culte régulier eût entraîné à sa suite certaines règles de morale qui auraient influé sur la société civile. Mais l’indépendance du Sauvage rejetait les restrictions imposées par une religion, comme il repoussait celles du pouvoir civil : il voulait être lui-même son grand prêtre comme il était son roi, son législateur et son juge.

Quoique les Sauvages de l’Amérique du nord ne pratiquassent point de religion, ils reconnaissaient néanmoins l’existence d’êtres supérieurs et invisibles, auxquels ils adressaient leurs prières spontanément lorsqu’ils voulaient éviter un mal ou acquérir un bien. Ceux du Canada disaient à Champlain, que chacun priait son dieu en son cœur comme il l’entendait. Leurs prières n’avaient pas pour objet la possession du bonheur dans une autre vie, parcequ’ils n’avaient aucune idée de la moralité. Le succès, les grandes actions, indépendamment du droit et de la justice, étaient les seuls titres qui leur ouvraient, après leur mort, ce paradis dans lequel le guerrier qui s’était distingué par des exploits, trouvait tout ce qui pouvait flatter ses sens, allumer son imagination avide de jouissances. Une terre sans animaux ni ombrage, frappée de stérilité, de maladies et de désolation, était la triste patrie de l’homme vieilli dans l’indolence et mort sans gloire.

Étonné de la majesté de la nature qui se déploie à ses yeux avec tant de richesses, de la marche invariable et régulière des astres qui ornent la voûte des cieux, l’homme demeure comme anéanti dans sa faiblesse. Sa raison consternée a besoin de croire à l’existence d’une cause première qui règle et maintienne l’ordre de l’univers dans l’immensité duquel il est comme perdu. Le Sauvage, qui n’a encore que des idées matérielles, se plait à se créer des liens avec les divinités qu’il voit dans tous les êtres dont il ne peut comprendre la nature. C’est ainsi que son intelligence trop bornée pour concevoir un être infini, éternel et unique, qui gouverne le monde, voit cet être dans le soleil, dans les fleuves, dans les montagnes, et même dans les animaux, mais sans liaison ni rapport ensemble, comme se le représente le panthéisme ; chacun de ces êtres est l’émanation d’une divinité. Le bruissement des flots, c’est le dieu de l’onde qui gémit ; le murmure du feuillage, c’est la divinité des bois qui soupire ; le souffle du vent, c’est l’haleine de l’esprit céleste qui passe. Il personnifie tout : un dieu habite dans sa cabane ; un autre folâtre autour de son front et abaisse sa paupière dans le sommeil (Bancroft). Quoiqu’il n’ait ni culte, ni temple, ni autel, l’on reconnaît facilement dans cette conception la base de la mythologie payenne. Si les Indiens eussent fait un pas de plus, élevé des temples à leurs dieux, la similitude aurait été frappante ; mais le culte des Grecs, par exemple, annonçait un peuple avancé dans la civilisation ; parceque l’on n’a pas encore trouvé de nation civilisée sans religion.

Le Sauvage croyait que le ciel et la terre avaient été créés par un être tout-puissant ; l’on peut inférer de là qu’il devait avoir une idée d’une divinité suprême, à laquelle toutes les autres étaient soumises, et cette croyance vague était devenue plus définie, après que les missionnaires lui eurent enseigné l’existence d’un seul Dieu, sous le nom de Grand-Esprit. Il embrassa ce dogme sans peine, parcequ’il ne faisait que préciser une idée dont il était imbu déjà. Il se répandit parmi toutes les nations indiennes avec rapidité ; ce qui l’a fait prendre par quelques voyageurs comme une partie intégrante de leur foi primitive.

Tous les êtres créés ayant ainsi leurs divinités, l’Indien a dû les révérer ou les craindre selon le bien ou le mal qu’il croyait en recevoir. Le chrétien aime et adore Dieu, parcequ’il est son créateur. Le Sauvage n’a point établi cette relation entre lui et la divinité. Il aime une divinité si elle lui fait du bien, pour le bien qu’elle lui fait ; il la craint si elle lui fait du mal, et tâche de se la rendre favorable par des prières et des sacrifices, que quelques auteurs ont voulu transformer en culte, mais qui n’en étaient que des germes très-éloignés. Il n’y avait que l’actualité d’un bien ou d’un mal qui excitât le Sauvage à tourner sa pensée vers le Manitou. Si la moisson, ou la chasse, était abondante, il l’attribuait au manitou. Si un malheur lui arrivait, il l’attribuait de même au courroux de ce dieu. « Ô Manitou ! s’écriait un père, entouré de sa famille, et déplorant la perte d’un fils, tu es courroucé contre moi ; détourne ta colère de ma tête et épargne le reste de mes enfans. »

Lorsque les Indiens partaient pour quelque expédition, ils tâchaient de se rendre les esprits favorables par des prières et des jeûnes. S’ils allaient à la chasse, ils jeûnaient pour se rendre propices les esprits tutélaires des animaux qu’ils voulaient poursuivre, et ensuite ils donnaient un festin dans lequel ils prenaient garde de profaner les os de cette même espèce d’animaux ; en donner aux chiens, c’eût été s’exposer à de grands malheurs.[23] S’ils allaient à la guerre, ils recherchaient, comme on l’a vu déjà, la faveur d’Areskoui, si c’étaient les Hurons, dieu des combats, par des sacrifices et des mortifications. Lorsqu’ils étaient en marche, la grandeur ou ta beauté d’un fleuve, la hauteur ou ta forme d’une montagne, la profondeur d’une crevasse dans le sol, le bruit d’une chute ou d’un rapide, frappaient-ils leur imagination, ils offraient des sacrifices aux esprits de ces fleuves et de ces montagnes. Ils jetaient du tabac ou des oiseaux dont ils avaient coupé la tête dans leurs eaux, ou vers leurs cimes. Les Cénis et les Ayennis offraient les prémisses de leurs champs en sacrifice.

Le dieu du mal[24] et celui de la guerre ne voulaient que des sacrifices sanglans. Les Hurons offraient des chiens en holocauste. Les victimes humaines n’ensanglantaient les fêtes des Sauvages qu’après une victoire. Jogues rapporte que lorsqu’il était chez les Iroquois, ils sacrifièrent une femme algonquine en honneur d’Agreskoué, leur dieu de la guerre. « Agreskoué s’écrièrent-ils, nous brûlons cette victime en ton honneur ; repais-toi de sa chair, et accorde-nous de nouvelles victoires. »

Le Sauvage qui avait mis la nature animée et inanimée sous l’influence de nombreuses divinités, qui réglaient dans leur domaine invisible, le destin de toutes choses, devait désirer avoir, lui aussi, un ange tutélaire qui l’accompagnât partout et veillât sur lui. Le jeune Chipaouais se peignait le visage de noir, et renfermé dans une hutte de branches de cèdre bâtie sur la cime d’une montagne, il jeûnait des semaines entières, jusqu’à ce qu’étant affaibli par les veilles et la faim, et l’esprit en proie à une excitation fébrile, il vît un dieu en songe. Ce dieu qui se manifestait à lui quelquefois sous la forme d’une tête d’oiseau, d’un pied d’animal, etc., était son ange gardien pour le reste de sa vie.

Un peuple qui n’avait pas de culte, n’avait pas besoin de prêtres. Si quelqu’un appelait une divinité à son aide, et voulait se la rendre propice, il offrait lui-même son sacrifice. Lorsque c’était la tribu, le chef accomplissait cette œuvre de propitiation.

Plus les hommes sont ignorans, et plus ils sont superstitieux. Les Sauvages ajoutaient foi aux songes ; ils croyaient que les êtres supérieurs profitaient de leur sommeil pour leur communiquer des avertissemens, ou des ordres. Ils s’empressaient de se rendre aux vœux des esprits invisibles, et comme ils étaient persuadés que les plus grands malheurs seraient la suite d’une désobéissance, nul sacrifice ne leur coûtait pour se conformer à la voix venue d’en haut. Cependant chacun restait libre d’interpréter ses visions à son gré, et s’il ne voulait pas convenir que son génie avait raison, l’Indien rejetait ses augures, ou même prenait un autre génie tutélaire plus favorable à ses désirs ; jamais il n’était persécuté pour avoir méprisé des croyances regardées comme sacrées. C’est cette liberté qui empêcha de naître parmi eux le scepticisme et l’incrédulité, ces deux anges de ténèbres enfantés par la persécution et la haine. On a remarqué que les nations qui jouissaient d’une grande liberté religieuse, étaient celles-là même qui avaient le plus de religion. En effet, la religion doit être fondée sur l’opinion ; et il n’y a plus d’opinion dès qu’il n’y a plus de liberté. Jamais la France n’a été plus irréligieuse qu’après la révocation de l’édit de Nantes jusqu’au commencement de ce siècle. Il en a été de même en Angleterre sous Charles II, alors que le peuple sceptique était généralement indifférent sur la religion que le gouvernement lui ordonnerait d’embrasser (Lingard).

Les Indiens qui avaient peuplé l’univers de divinités, et qui ne portaient qu’avec une crainte superstitieuse leur pensée sur ce monde invisible qui les environnait de toutes parts, devaient croire que la nature avait doué quelques hommes du don d’en sonder les profonds mystères. Ces hommes privilégiés étaient connus dans les forêts sous le nom de devins, vulgairement jongleurs, et sous celui de médecins. Ils prétendaient avoir une communication plus intime avec les esprits que les autres hommes. Leur empire s’étendait sur toute la nature ; ils pouvaient faire tomber l’eau du ciel qui en refusait à la terre altérée, détourner la foudre et prédire l’avenir. Ils avaient aussi le pouvoir de favoriser les chasseurs en faisant tomber sous leurs flèches heureuses un gibier abondant, ou d’attendrir le cœur d’une femme insensible aux soupirs d’un amant désespéré. Ces grands avantages les rendaient un objet de respect pour la multitude.

Ils ne soignaient qu’avec des simples, et accompagnaient l’administration de leurs remèdes de cérémonies ridicules qui en imposaient à la superstition du malade. Ils interrogeaient leurs dieux, afin de savoir s’il guérirait ou non.

Le diable était toujours à leur service pour faire des prophéties. Ils n’avaient qu’à s’enfermer dans une cabane, faire des contorsions, pousser des cris, l’esprit des ténèbres soudain leur apparaissait ; alors le jongleur lui attachait une corde au cou, et le forçait, ainsi enchaîné, à lui dévoiler l’avenir. Cet emploi que la crédulité vulgaire rendait profitable, passait de père en fils chez les peuplades de l’Acadie (Lescarbot).

Nous avons vu plus haut quelle est la croyance des Sauvages touchant une autre vie. Le grand dogme de l’immortalité de l’âme était répandu chez tous les peuples de l’Amérique. La nature de l’homme se refuse à croire que chez lui tout doit périr ; et en effet s’il en devait être ainsi, comment aurait-il jamais pu concevoir une immortalité qui aurait été si étrangère au but de sa création. L’Indien, l’homme sauvage, trouvait toute naturelle une vie qui ne finissait point ; mais il ne pouvait comprendre comment un esprit pouvait mourir. Sa foi était bien contraire à celle du matérialiste civilisé, qui ne peut comprendre, lui, comment il peut toujours exister.

Mais si les Sauvages croyaient à l’immortalité de l’âme, ils ne pouvaient la concevoir séparée d’un corps ; tout dans leur esprit prenait des formes sensibles ; c’est pourquoi ils allaient déposer religieusement des vivres sur la tombe d’un parent ou d’un ami décédé ; ils croyaient qu’il fallait plusieurs mois pour se rendre dans le pays des âmes, qui était vers l’Occident, et dont le chemin était rempli d’obstacles et de dangers.

Ils avaient le plus grand respect pour leurs morts, et les funérailles étaient accompagnées de beaucoup de cérémonies. Dès qu’un Indien était expiré, les parens faisaient entendre des cris et des gémissemens qui duraient des mois entiers. Le défunt était revêtu de ses plus beaux habits ; on lui peignait le visage, et on l’exposait à la porte de sa hutte ses armes à côté de lui. Quelqu’un de sa famille célébrait ses exploits à la chasse et à la guerre. Dans quelques tribus les femmes pleuraient, dansaient et chantaient incessamment.

Au bout d’un certain temps, les amis procédaient à l’inhumation du corps, qui était placé assis dans une fosse profonde et tapissée de fourrures. Ils lui mettaient une pipe à la bouche, et l’on disposait devant lui son casse-tête, son manitou ou dieu pénate, et son arc tout bandé. On le recouvrait de manière à ne pas le toucher. On plantait ensuite une petite colonne sur sa tombe, à laquelle on suspendait toutes sortes d’objets pour manifester l’estime que l’on avait pour le défunt. Quelquefois on y mettait son portrait taillé en bois,[25] avec des signes indicatifs de ses hauts faits. Cette figure s’appelait Tipaiatik, ou ressemblance du mort.

Ceux qui mouraient en hiver ou à la chasse, étaient exposés sur un grand échafaud dressé dans la forêt, en attendant le printemps, ou qu’on les rapportât dans leur village pour les y enterrer.[26] Ceux qui mouraient à la guerre étaient brûlés, et leurs cendres ramassées soigneusement pour être déposées avec celles de leurs ancêtres. D’autres fois le corps était séché, et gardé dans un cercueil jusqu’à la fête des morts, qui avait lieu tous les 8 ou 10 ans. C’était la cérémonie la plus célèbre chez les Indiens.

Lorsque l’époque de cette fête lugubre était arrivée, ils se réunissaient pour nommer un chef. Ce chef faisait inviter les villages voisins. Au jour fixé, tout le monde plongé dans la plus grande tristesse, se rendait en procession au cimetière, où l’on découvrait tous les tombeaux qui étaient livrés de nouveau à la lumière du jour et aux regards des vivans. La foule contemplait longtemps dans un morne silence ce spectacle, si bien fait pour inspirer les réflexions les plus sérieuses, tandis qu’une femme poussait des cris plaintifs. Ensuite l’on ramassait les os des morts, après en avoir enlevé avec de l’eau, les chairs non encore réduites en cendres. Ces ossemens étaient recouverts avec soin de peaux de castor ; et l’on chargeait sur ses épaules les précieux restes de ses parens, et la procession regagnait le village aux accords des instrumens et des voix les plus belles. Chacun déposait en arrivant dans sa hutte ce fardeau sacré avec tous les signes de la douleur, et donnait un festin en mémoire des défunts de la famille. Les jours suivans étaient remplis par des fêtes, des danses funèbres, et des combats, espèces de tournois où se donnaient des prix. De temps en temps l’on entendait des cris, que l’on appelait le cri des morts.

Pour assister à cette grande solennité, les Sauvages venaient d’une très grande distance, quelquefois de 150 lieues. Ils étaient reçus avec toute l’hospitalité qui distinguait les Indiens ; on leur faisait des présens ; ils en donnaient à leur tour.

Après avoir accompli tous les devoirs imposés dans cette occasion, l’on reprenait les ossemens, et on allait les porter dans la salle du Grand-Conseil, où ils étaient suspendus aux parois. Un chef entonnait alors le beau chant des funérailles : « Os de mes ancêtres, qui êtes suspendus au-dessus des vivans, apprenez-nous à mourir et à vivre ! Vous avez été braves, vous n’avez pas craint de piquer vos veines ; le maître de la vie vous a ouvert ses bras, et vous a donné une heureuse chasse dans l’autre monde.

« La vie est cette couleur brillante du serpent, qui paraît et disparaît plus vite que la flèche ne vole ; elle est cet arc-en-ciel que l’on voit à midi sur les flots du torrent ; elle est l’ombre d’un nuage qui passe.

« Os de mes ancêtres, apprenez au guerrier à ouvrir ses veines, et à boire le sang de la vengeance. »

Dans bien des contrées on les portait en procession de village en village. Enfin la solennité finie, on allait les déposer dans une grande tombe tapissée des pelleteries les plus belles et les plus rares, où ils étaient placés en rang à la suite les uns des autres. Les Sauvages y déposaient tout ce qu’ils possédaient de plus précieux. Tandis qu’ils descendaient ainsi, dans leur demeure commune, les restes de leurs parens, les femmes se répandaient en gémissemens et en lamentations. Chacun prenait ensuite un peu de terre dans la fosse, et la gardait soigneusement prétendant qu’elle lui porterait chance au jeu.

Dans cette cérémonie, tout se passait avec ordre, modestie et décence. Aucune nation n’a de solennité plus imposante, et qui soit faite pour inspirer autant de respect pour la mémoire de ses ayeux, que la fête des morts des Indiens. Cette pompe lugubre, ces chants graves et tristes, ces dépouilles de tant de tombeaux, cette douleur universelle enfin, devaient laisser dans l’âme l’impression la plus profonde ! Seule la sombre majesté des forêts est en harmonie avec un spectacle aussi éloquent, et dont la grandeur semble être si au-dessus de nos mœurs artificielles et de convention.

Les Sauvages avaient plusieurs sortes de fêtes ; des danses, des jeux. La fête des songes n’était autre chose que des saturnales, dans lesquelles ils s’abandonnaient à tous les écarts d’hommes ivres ou insensés. Ils allaient, dans leurs accès d’étrange folie, jusqu’à brûler leurs villages. Heureusement qu’un village indien était reconstruit presqu’avec autant de rapidité qu’il était détruit.

Ces peuples avaient une passion singulière pour les jeux de hasard. Le plus célèbre était celui des osselets, qui se joue à deux, avec de petits os à six facettes inégales, dont une noire, et une jaune-blanche. Ces joueurs les faisaient sauter dans un bassin ; et celui qui d’un coup amenait tous les osselets la même facette en haut, gagnait la partie. Le perdant était remplacé par un autre joueur. Ainsi tout le village y passait. Quelquefois la lutte s’engageait entre deux villages. Dans tous ces combats, les Sauvages montraient une ardeur effrénée. Ils invoquaient les dieux, leur promettaient des sacrifices, leur demandaient de bons rêves, indices certains, suivant eux, du succès. Ils se portaient des défis en jouant, se querellaient, se battaient. Les grandes parties duraient plusieurs jours, au milieu du bruit, des applaudissemens, ou des imprécations. Tantôt la foule immobile suivait la partie avec une attention intense, tantôt, comme une mer troublée jusqu’en ses fondemens, elle se débattait, se heurtait avec une épouvantable confusion. Il semblait que les âmes de ces barbares fussent agitées par mille passions diverses.

Ces hommes si passionnés pour le jeu, l’étaient faiblement pour les femmes. Plusieurs auteurs ont voulu fonder sur cette singularité qui s’explique facilement, des hypothèses plus ou moins vraisemblables, et sont parvenus seulement à pervertir la vérité. L’amour devient une passion chez les Européens à mesure qu’il rencontre des obstacles. Chez les Sauvages, « les plaisirs de l’amour y étaient trop faciles pour y exciter puissamment les désirs. »

Dès que l’âge le permettait, les deux sexes pouvaient satisfaire leurs désirs sans blesser les usages reçus. « Ils ne pensaient pas mal faire » (Lescarbot). C’est dans cette liberté que l’on doit chercher les raisons du manque de fécondité des femmes indiennes, et aussi dans l’usage où elles étaient d’allaiter leurs enfans plusieurs années, pendant lesquelles elles n’approchaient pas du lit de leurs maris ; peut-être encore dans la difficulté de nourrir une grande famille. Au reste, le mariage était une institution reconnue. Celui qui voulait prendre une épouse, s’adressait à son père et lui offrait un présent. Si le présent était accepté, la fille devenait sa femme. Cependant il tâchait quelque fois aussi de se la rendre agréable, et lui faisait la cour six mois ou un an avant de la prendre dans sa maison.

La polygamie était permise ; mais ceux qui avaient plusieurs femmes étaient assez rares, à cause probablement des dépenses que causait un ménage nombreux. Le divorce était aussi reçu, et le mari avait le droit de répudier ou de tuer sa femme adultère. Les enfans resserraient généralement les liens du mariage, et rarement le divorce avait lieu entre le mari et la femme lorsqu’il leur en était né.

Les Sauvages étaient très attachés à leurs enfans ;[27] ceux qui n’étaient pas en âge de marcher, ne laissaient point leurs mères qui ne les perdaient jamais de vue. Elles ignoraient l’usage de les nourrir du lait d’une étrangère, abus si généralement répandu chez les nations civilisées. Elles les allaitaient elles-mêmes jusqu’à trois ou quatre ans, et quelquefois plus, et elles les portaient dans des espèces de maillots fortifiés d’un côté par une petite planche, et que l’amour maternel se plaisait à orner des ouvrages les plus délicats. Dans leur marche, elles les suspendaient sur leurs dos ; pendant l’ouvrage, à une branche d’arbre près d’elles où ils étaient bercés par la brise. « S’ils venaient à mourir, les parens les pleuraient amèrement. On voyait quelquefois deux époux aller, après six mois, verser des larmes sur le tombeau d’un enfant, et la mère y faire couler du lait de ses mamelles ».

Dès que les enfans pouvaient marcher, on les affranchissait de toute gène ; on les abandonnait à leur jeune et capricieuse volonté[28]. Ils contractaient ainsi dès l’âge le plus tendre cet amour de la liberté et de l’indépendance que la civilisation n’a jamais pu dompter. Si quelquefois les missionnaires en réunissaient quelques uns pour les enseigner, tout à coup ils les voyaient s’enfuir, bondissant de joie en brisant un joug qu’ils trouvaient insupportable. Le P. Daniel avait établi pour eux une classe dans le collége de Québec, lors de sa fondation ; il crut un moment avoir triomphé des répugnances des Hurons chrétiens à y envoyer leurs enfans ; mais cette tentative n’eut aucun succès. L’air des forêts fut toujours fatal à celui de l’école. Dès qu’un jeune Sauvage est capable de manier l’arc, il s’accoutume à l’usage des armes, et se forme en grandissant sur l’exemple de ses pères, dont l’histoire des hauts faits déjà fait battre son jeune cœur. La passion des combats étouffe en lui souvent celle de l’amour ; il ne rêve qu’à se distinguer, afin de pouvoir, à l’instar des guerriers les plus renommés de la tribu, célébrer ses exploits dans les fêtes publiques.

Dans les intervalles des expéditions de guerre ou de chasse, les Sauvages s’élevaient des huttes ou se confectionnaient des armes, se creusaient des pirogues ou se modelaient des canots d’écorce de bouleau. Ils aidaient aussi quelquefois aux femmes à cultiver les champs ; mais cela était rare, parceque le travail était déshonorant pour un guerrier.

Les Sauvages aimaient beaucoup à entendre raconter. Rangés en cercle autour de leur feu, ou accroupis au pied d’un arbre qui les couvrait de son ombrage, ils prêtaient une oreille attentive à des histoires d’autrefois, dans lesquelles le narrateur, inspiré par l’intérêt de son sujet et l’amour du merveilleux, mêlait les peintures poétiques, les prodiges, les événemens extraordinaires, enfin tout ce qui pouvait faire une vive impression sur l’esprit superstitieux de son auditoire. Souvent des cris de surprise, d’enthousiasme ou d’admiration, venaient l’interrompre. C’est ainsi que, dans la forêt, l’on oubliait les longues journées qui ne se passaient pas à la chasse ou à la guerre.

Le don de l’éloquence est d’un immense avantage chez un peuple ignorant ou barbare, où la parole est le seul véhicule pour la communication des pensées. Si celui qui le possédait chez les Indiens réunissait avec cela le courage, il pouvait espérer de devenir un des chefs de la tribu. Le simple narrateur finissait souvent par devenir un orateur influent. La langue indienne, pleine de figures, se prêtait admirablement à l’éloquence.

L’histoire de la civilisation et des mœurs d’un peuple peut donner d’avance une idée de la perfection de son langage ; ce que nous avons déjà dit dans ce livre, peut aider à faire juger de l’état dans lequel se trouvaient les dialectes parlés en Amérique lors de sa découverte. Nous ne devons pas nous attendre à trouver des idiômes perfectionnés et enrichis par les découvertes qui sont le fruit des progrès de la civilisation ; mais en même temps nous les verrons en possession d’une organisation complète et soumis à des règles exactes[29]. Nulle horde n’a été trouvée avec une langue informe, composée de sons incohérens et comme sortant des mains du chaos. Aucune langue sauvage ne porte les marques d’une agrégation arbitraire, produit pénible et lent du travail et de l’invention humaine. Le langage est né tout fait avec l’homme. Les dialectes des tribus sauvages portent bien l’empreinte, si l’on veut, de l’état dans lequel elles vivaient ; mais ils sont clairs, uniformes, et peuvent sans avoir été régularisés par le grammairien, servir de véhicule à la précision de la logique, et à l’expression de toutes les passions. « Tous ceux qui ont été analysés, abondent en formules comme en combinaisons, en dérivés comme en composés. De même que toutes les plantes qui tirent leur sève de la terre, ont des racines et des vaisseaux capillaires, de l’écorce et des feuilles, de même chaque langue possède une organisation complète, embrassant les mêmes parties du discours. La raison et la parole existent partout liées ensemble d’une manière indissoluble. L’on n’a pas plus trouvé de peuple sans langue formée, que sans perception et sans mémoire. » (Bancroft).

Tous les hommes ont les organes de la voix formés de la même manière ; de là vient qu’ils sont susceptibles d’apprendre toutes les langues, les sons primitifs étant essentiellement semblables. Cela est si vrai que l’alphabet de notre langue peut servir à exprimer presque tous les sons de celles des Sauvages avec quelques légères variations comme celles-ci. Les Onneyouths changent l’r en l. Ils disent Lobert au lieu de Robert. Le reste des Iroquois rejette la lettre l, et tous, ils ne se servent point de l’m, et n’ont aucune labiale. Des idiômes de cette confédération, celui des Onneyouths est le plus doux, étant le seul qui admette la lettre l, et celui des Tsonnonthouans le plus dur et le plus énergique. Les dialectes Algonquins sont remplis de consonnes, et par conséquent sans douceur ; néanmoins il y a des exceptions, comme l’Abénaquis abondant en voyelles, et qui pour cette raison est plus harmonieux.

Les Indiens ne connaissaient point les lettres, ni conséquemment l’écriture, ni les livres. Toutes leurs communications se faisaient par le moyen de la parole, ou de figures hiéroglyphiques grossièrement tracées. Nous pourrions conclure que les signes alphabétiques dérivent de figures semblables, modifiées, abrégées dans l’origine d’une manière infinie par le génie des peuples. La figure d’un animal gravée sur une feuille d’écorce de bouleau, indiquait à un Indien le symbole de sa tribu, et les autres marques tracées autour renfermaient un message de ses amis. Tels étaient les signes qui constituaient l’écriture des peuples de l’Amérique. Ce système était bon pour communiquer laconiquement quelques sentences ; mais il était insuffisant pour exprimer une suite de raisonnemens, ou même les faits de l’histoire ; du moins ils ne savaient pas en faire usage pour un objet aussi important.

Le Sauvage qui peignait sa pensée sur l’écorce d’un arbre par une image, employait aussi un style figuré dans la parole. Son intelligence n’était point formée à l’analyse, il avait peu d’idées complexes et de conceptions purement mentales. Il pouvait exprimer par des mots les choses qui tombent sous les sens ; mais il en manquait pour exprimer les opérations de l’esprit. Il n’avait pas de nom pour désigner la justice, la continence ou la gratitude. Cependant les élémens de son idiôme n’attendaient que l’appel de l’esprit, pour lui fournir les expressions dont il pourrait avoir besoin.

Mais si sa langue n’était point surchargée de termes métaphysiques, d’expressiens complexes, elle possédait en revanche un coloris frais et pittoresque avec ces grâces simples et naïves que donne la nature. C’était le pinceau de Rubens, dont les couleurs brillantes et habilement ménagées font oublier les défauts qui peuvent se trouver d’ailleurs dans le tableau. Ses expressions hardies et figurées, et son allure libre et toujours logique, la rendaient très propre à l’éloquence, et aux réparties nobles et incisives à la fois.

Le geste, l’attitude, et l’inflexion de la voix, si naturels chez les Sauvages, donnaient aussi beaucoup de force à l’expression de leurs pensées. Ils employaient les métaphores les plus belles ou les plus énergiques. Chaque mot qu’ils disaient allait au but ; ils avaient le secret de la véritable éloquence.

S’il est quelque chose qui distingue les langues américaines, c’est le mode synthétique. L’Indien ne sépare pas les parties constituantes de la proposition qu’il énonce ; il n’analyse jamais ; ses pensées sont exprimées par groupes et font de suite un tableau parfait. L’absence de toute raison réfléchie, de toute analyse logique d’idées, forme le grand trait caractéristique des idiômes sauvages[30]. Toutes les expressions doivent être définies, et les Algonquins ni les Iroquois, ne peuvent dire père, sans ajouter le pronom, mon, notre, votre père, etc,. Ils ont très peu de termes génériques. Chaque chose est désignée par un nom propre ; ils n’ont pas de mots pour indiquer l’espèce, mais l’individu. Ils disent bien un chêne blanc, rouge ; mais ils n’ont pas de terme pour exprimer simplement un chêne. Ils en ont une foule pour exprimer la même action modifiée par le changement d’objet. De là une précision étonnante dans leur langage.

La nature des langues indiennes permet de ne faire qu’un seul mot du nom, du pronom et de l’adjectif, et « ce composé peut ensuite prendre les formes du verbe, et subir tous les changemens et comprendre en lui-même toutes les relations que ces formes peuvent exprimer.[31] Cette propriété a l’effet de varier à l’infini les expressions.


Les terminaisons des verbes ne changent jamais, les variations s’expriment par des mots ajoutés. Il y a souvent des transpositions singulières de syllabes de différens mots ; en voici un exemple. Ogila signifie feu, et Cawaunna, grand ; au lieu d’ajouter au premier mot, le dernier, pour dire un grand feu, on mêle les deux ensemble pour n’en faire qu’un seul, et l’on dit Co-gila-Cawaunna. Il existe entre toutes les langues indiennes depuis la baie d’Hudson jusqu’au détroit de Magellan une analogie qui mérite d’être observée ; c’est une disparité totale dans les mots à côté d’une grande ressemblance dans la structure. Ce sont comme des matières différentes revêtues de formes analogues. Si l’on se rappelle que ce phénomène embrasse presque de pôle à pôle tout un côté de notre planète, si l’on considère les nuances qui existent dans les combinaisons grammaticales (dans les genres appliqués aux trois personnes du verbe, les réduplications, les fréquentatifs, les duels), on ne saurait être surpris de trouver chez une portion si considérable de l’espèce humaine une tendance uniforme dans le développement de l’intelligence et du langage. » (Voyage de Humboldt et Bonpland).

Gallatin va encore plus loin ; il est d’opinion que l’uniformité de caractère dans les formes grammaticales et la structure de toutes les langues indiennes, indique une origine commune à une époque très reculée.

De tout cela, l’on peut conclure avec Duponceau que les formes grammaticales qui constituent l’ordre, l’ensemble d’une langue, ne sont pas l’ouvrage de la civilisation, mais de la nature ; et qu’elles sont une conséquence de notre organisation. Le caractère synthétique des langues sauvages nous permet, selon les uns, de tirer une autre conclusion encore plus certaine, c’est que les ancêtres des Indiens ne descendent pas de nations plus civilisées qu’eux. Leurs langues porteraient en elles-mêmes la preuve qu’elles n’ont jamais été parlées que par des peuples plongés dans des ténèbres, où n’avait jamais lui la lumière de la civilisation.

D’autres, parmi lesquels il faut compter Alexandre de Humboldt, disent qu’aucune des langues de l’Amérique n’est dans cet état d’abrutissement, que longtemps et à tort on a cru caractériser l’enfance des peuples ; et que plus on pénètre dans la structure d’un grand nombre d’idiômes, et plus on se défie de ces grandes divisions de langues, en langues synthétiques et langues analytiques, qui n’offrent qu’une trompeuse simplicité.[32]

On s’est demandé quelquefois si les hommes de la race rouge étaient doués de facultés intellectuelles aussi puissantes que ceux de la race européenne. Si la même question avait été faite aux Romains, sur les barbares qui envahissaient leur empire, ils auraient probablement répondu comme nous le faisons aujourd’hui à l’égard des Sauvages. En vain veut-on tirer des déductions, pour expliquer les efforts infructueux qu’on a faits pour les civiliser, de la conformation physique de leur crâne et de leur figure, même de leur teint, elles seront toujours entachées de l’esprit de système, répudié avec raison de nos jours dans la solution de questions de cette nature. Combien n’a-t-il pas fallu de générations pour civiliser les barbares qui inondèrent l’Europe dans les premiers siècles de l’ère chrétienne ? Et ils étaient venus s’asseoir au sein de populations policées et très nombreuses ; ils étaient entourés des monumens que les arts et les sciences avaient élevés dans la Grèce, en Italie, dans les Gaules et en Espagne. Si, au lieu d’avoir tous les jours sous les yeux une civilisation aussi avancée, et vers laquelle ils étaient entraînés comme malgré eux, puisqu’ils vivaient sous son influence immédiate, ils n’avaient trouvé que des forêts et des bêtes sauvages, pourrait-on calculer le temps qu’il leur aurait fallu pour sortir de la barbarie.

Rien n’autorise donc à croire que les facultés intellectuelles des Indiens fussent inférieures à celles des barbares qui ont renversé l’empire Romain. S’ils ont succombé devant la civilisation, c’est que cette civilisation leur est apparue tout à coup, sans transition, avec toute la hauteur qu’elle avait acquise dans quinze siècles. On a voulu leur enseigner en quelques années, ce qu’on avait mis soi-même tant de temps à apprendre. Il aurait fallu les former graduellement, et non pas faire briller tout à coup sur leur intelligence encore si faible, tout l’éclat des feux étincellans du génie moderne.

Si les Indiens n’ont jamais été civilisés, s’ils étaient avec cela susceptibles de le devenir, il est impossible non plus de croire qu’ils soient venus même en contact avec aucune autre nation plus avancée qu’eux, car ils en auraient conservé quelque chose. Ils ne connaissaient point la vie pastorale ; ils n’avaient ni vaches, ni moutons, et ils ignoraient l’usage du lait pour la nourriture.[33] La cire leur était également inconnue de même que le fer. Ils n’auraient jamais perdu l’usage de ce métal, qui eût été d’un si grand avantage pour eux, s’ils en eussent une fois acquis la connaissance. Doit-on inférer de là que leurs ancêtres n’ont pas émigré de l’Asie, où toutes ces choses sont connues et utilisées ? D’où viennent donc les hommes de la race rouge ? Sont-ils les propres enfans du sol américain ? Mais, d’un côté, l’Amérique centrale aurait été jadis civilisée ; les ruines de Palenque et de Mitla sur le plateau du Mexique indiquent l’existence d’une nation très avancée dans les arts ; et de l’autre, la race rouge offre une ressemblance frappante avec la race mogole. M. Ledyard, voyageur américain, écrivait de la Sibérie, que les Mogols ressemblaient sous tous les rapports aux Aborigènes de l’Amérique. Ces diverses circonstances réunies et comparées semblent appuyer et détruire à la fois les diverses hypothèses de l’ingénuité humaine. L’on a découvert dans l’Amérique les traces d’un courant d’émigration venant du nord-ouest et allant vers l’est et le sud. Les Tschukchi du nord-est de l’Asie et les Esquimaux de l’Amérique paraissent avoir la même origine, comme semble le prouver l’affinité de leurs langues. On a remarqué que, quoique les Tschukchi et les Tungousses n’entendent rien à la langue des Esquimaux, ceux-ci les regardaient néanmoins comme des peuples de la même race qu’eux[34]. Les Tungousses de la Sibérie sont l’image de nos Indiens ; et si nous parcourons l’Amérique en partant du nord, nous trouvons plus de langues primitives vers le golfe du Mexique que partout ailleurs,[35] comme si les nations, arrêtées par le rétrécissement soudain du continent en cet endroit, s’étaient précipitées les unes sur les autres. Néanmoins aucune de ces langues n’a d’analogie avec celles de l’Asie ou de l’Europe. Si l’on adopte l’hypothèse de l’émigration asiatique,[36] il faut supposer que les Esquimaux et les Tschukchi formaient la queue de cet immense torrent de population, qui s’est arrêté au moment où ces deux peuples étaient, l’un sur la rive de l’Amérique, et l’autre sur celle de l’Asie, séparés au détroit de Behring par un bras de mer de quarante quatre milles géographiques de largeur seulement. Les Californiens et les Aztèques prétendent, d’après leurs traditions, venir du nord.[37] On a inventé bien des systèmes pour expliquer l’origine des Indiens ; les uns les font descendre des tribus perdues d’Israël,[38] les autres des peuples de l’Atlas,[39] ceux-ci des Chinois, ceux-là des nations polynésiennes ; et en effet nous ignorons combien le globe a subi de révolutions physiques dans les mers du sud et dans l’océan Pacifique et Atlantique[40] ; des continens peuvent y avoir été submergés, et qui sait si les nombreuses îles qu’on y rencontre, n’en sont pas des débris ? Suivant la tradition des Indous, il existait autrefois une région nommée Atala, laquelle s’est abimée dans la mer[41]. Mais, à l’aide de ces suppositions, on peut enfanter ainsi bien des hypothèses, sans que les unes jettent plus de lumière sur la question qui nous occupe que les autres. Jusqu’à ce que l’on ait des données plus certaines ; que l’étude comparée des races et des langues américaines et asiatiques soit plus approfondie ; que l’archéologie nous ait mieux fait connaître, par ses découvertes, tous les secrets que peut renfermer ce continent sur son ancienne histoire, il est donc plus sage de se ranger à l’opinion qui paraît la plus vraisemblable, d’après toutes les connaissances qui ont été recueillies jusqu’à ce jour, savoir ; que les Sauvages de l’Amérique septentrionale ont eu leur berceau dans les déserts de la Tartarie.

  1. Lescarbot lui donne une bien plus grande étendue. « Notre Nouvelle-France, dit-il, a pour limites du côté d’ouest les terres jusqu’à la mer dite Pacifique au-deçà du tropique du Cancer ; au midi les îles de la mer Atlantique ; au levant la mer du Nord ; et au septentrion cette terre qui est dite inconnue, vers la mer glacée jusqu’au pôle Arctique. » Mais ces limites étaient plus imaginaires que réelles, puisque l’on ne connaissait pas alors même la vallée entière du St.-Laurent.
  2. Bouchette : — Possessions britanniques dans l’Amérique septentrional.
  3. Bayfield : — Géologie du lac Supérieur. Transactions de la Société littéraire et historique de Québec, vol. I. Cet auteur en évalue la profondeur à 200 brasses ; le fond en serait alors à prés de 600 pieds au-dessous du niveau de l’Océan. On n’a pas pu atteindre le fond du lac Ontario, au centre, avec une sonde de trois cents brasses.
    Voici quelles sont les hauteurs au-dessus de la mer des quatre principaux lacs du grand bassin du St.-Laurent, et leur plus grande longueur et largeur, d’après Bouchette : —
    Longueur, Largeur.
    Lac Supérieur, 627 pieds, 360 milles géogra. 140 m. g.
    Lac Huron, 590   " 210 220
    Lac Erié, 665   " 265   63
    Lac Ontario, 231   " 172   59


  4. Cette chaîne n’ayant pas de nom propre et reconnu, nous lui donnons celui de Laurentides, qui nous paraît bien adapté à la situation de ces montagnes » qui suivent une direction parallèle au St.-Laurent. Un nom propre est nécessaire afin d’éviter les périphrases toujours si fatigantes et souvent insuffisantes pour indiquer une localité, un fleuve, une montagne, etc. Quant à l’euphonie, nous espérons que le nom que nous avons choisi satisfera l’oreille la plus délicate, et formera une rime assez riche pour le poète qui célébrera les beautés naturelles de notre patrie.
  5. Québec est bâti sur un banc de schiste argileux auquel s’adosse vers le Cap-Rouge une couche de grauwacke. Beauport présente d’abord un calcaire reposant sur une strate mince de roche élastique (conglomérats) qui est appuyée elle-même sur le gneiss, ou granit schisteux. Voir pour la géologie du pays la Bibliothèque canadienne Vol. 1, p. 9, 41, 73, et les Transactions de la Société litt. et hist. de Québec, etc.
  6. Voici la liste abrégée des différentes espèces de métaux trouvées jusqu’à présent en Canada, principalement dans les localités dont suivent les noms ;
    Fer.

    Le fer magnétique ou oxidulé. Baie St.-Paul, Batiscan, (St.-Maurice, sable ferrugineux) Marmora (H. C.) etc. etc.

    Le fer hydroxidé (ocre jaune) Lac Calvaire, St.-Augustin, lac Huron, lac Supérieur, etc. etc. (le limoneux ou de marais) Baie St.-Paul, Champlain, Marmora, et en plusieurs autres endroits du Bas et du Haut-Canada.

    Le fer carbonaté. Cap-Rouge, Marmora etc. etc.

    Le sulfure de fer. (pyrites) Dans un grand nombre d’endroits du Bas et du Haut-Canada.

    L’oxide de manganèse terreux. Sillery, près de Québec.

    Cuivre.

    Le cuivre natif. Lac Supérieur, côté sud.

    Le sulfure de cuivre. Cuivre pyriteux. En plusieurs lieux du Haut-Canada ; lac Huron, lac Supérieur, etc., en petites quantités.

    Le cuivre carbonaté. (vert) Lac Supérieur, etc.

    Zinc.

    Le sulfure de zinc, (blende noire et jaune) Lac Ontario, etc.

    Plomb.

    Le sulfure de plomb. (galène) rivière Nicolet, et en quelques autres localités du Bas et du Haut-Canada.

    Pour plus amples détails, voir l’Essai sur les minéraux métalliques des Canadas, par le lieutenant Baddeley. I. R : Transaction de la Société littéraire et historique de Québec, vol. II.

  7. Le pic le plus élevé de ces montagnes dans l’État de la Nouvelle-York, a 3549 pieds de hauteur, celui de Killington dans l’État de Vermont, a 3454 pieds ; et la hauteur des montagnes Blanches dans le New-Hampshire, est estimée à 7800 pieds.

    Les Laurentides sont encore moins élevées. Le Cap-Tourmente n’a qu’environ 2000 pieds d’élévation ; et le rameau qui paraît s’être ouvert longitudinalement et au centre duquel coule le Saguecay, a une hauteur de 200 à 1000 pieds. Le capitaine Bayfield dit que la montagne la plus élevée de cette chaîne sur le lac Supérieur, n’a pas plus de 2100 pieds au-dessus du niveau de la mer.

  8. A. Gallatin : a Synopsis of the Indian Tribes.
  9. Les recherches intéressantes de M. Gallatin, intitulées : A synopsis of the Indian Tribes contiennent de grands détails sur les diverses nations sauvages de l’Amérique septentrionale ; elle se trouvent dans le 2e. vol. des Transactions of the American Antiquarian Society.
  10. Volney. Tableau des États-Unis.
  11. Les Relations des Jésuites pour 1659-60 n’en portent le nombre qu’à 1900.
  12. Charlevoix. Volney prétend qu’il y a une différence notable dans les traits de chaque nation sauvage de l’Amérique septentrionale, cela peut être vrai ; mais elle n’est pas assez grande pour faire dire que chacune d’elles sort d’une race distincte : elle est peut-être plus légère que celle qui distingue entre eux les peuples européens. Ce ne sont que des nuances du type de la race rouge.
  13. Raynal.
  14. Cela a été mis en doute ; mais outre le témoignage des meilleurs voyageurs, j’ai l’assurance positive de M. Stanislas Vassal, que j’ai déjà nommé ailleurs.
  15. Raynal.
  16. Relation des Jésuites (1633).
  17. McIntosh. Manners of the Indians.
  18. De la Potherie.
  19. Relation des Jésuites (1644 et 45 p. 143.)
  20. Relation des Jésuites.
  21. Champlain.
  22. Les adorateurs du soleil, comme les Natchés, forment exception à cette règle générale.
  23. Leclerc. « Ils les jettent au feu ou dans la rivière, ou les enterrent. Pour les bêtes qui n’ont point d’esprit, c.-à-.d. qui se laissent prendre aisément, ils méprisent leurs os et les jettent aux chiens. » Relation des Jésuites.
  24. Atahensic était le dieu du mal chez les Iroquois, et Jouskeka le dieu du bien.
  25. Relation des Jésuites, Lallemant. (1646)
  26. Relation des Jésuites (1653).
  27. Relation des Jésuites, (1639.)
  28. Relation des Jésuites, (1633).
  29. « Qu’on les appelle barbares tant qu’on voudra (les Sauvages) leur langue est fort réglée. » — Relation des Jésuites, (1633).
  30. Bancroft.
  31. Spencer. Smith’s History of New-York
  32. On lit dans le second entretien du comte de Maistre, que le Sauvage est le descendant dégénéré d’un homme civilisé. « Par une suite de la même erreur on a pris, dit-il, les langues de ces Sauvages pour des langues commencées, tandis qu’elles sont et ne peuvent être que des débris de langues antiques, ruinées s’il est permis de s’exprimer ainsi, et dégradées comme les hommes qui les parlent. » C’est à ce sujet que cet écrivain plein d’imagination exprime l’opinion, que les castors, les hirondelles et les abeilles sont des êtres dégénérés ! Soirées de St.-Petersbourg.
  33. « Il existe entre les Sauvages américains et les Arabes-Bedouins d’Afrique et d’Asie, cette différence essentielle, que le Bedouin vivant sur un sol pauvre d’herbage, a été forcé de rassembler près de lui, et d’apprivoiser des animaux doux et patiens, de les traiter avec économie et douceur, et de vivre de leur produit, lait et fromage, plutôt que de leur chair ; comme aussi de se vêtir de leur poil plutôt que de leur peau ; ensorte que par la nature de ces circonstances topographiques, il a été conduit à se faire pasteur et à vivre frugalement sous peine de périr tout à fait : tandis que le Sauvage américain, placé sur un sol luxuriant d’herbes et de bocages, trouvant difficile de captiver des animaux toujours prêts à fuir dans la forêt, trouvant même plus attrayant de les y poursuivre, et plus commode de les tuer que de les nourrir, a été conduit par la nature de sa position à être chasseur, verseur de sang, et mangeur de chair. » Volney : — Tableau des États-Unis.
  34. G. P. Muller : Voyages et découvertes des Russes.
  35. Gallatin.
  36. Le P. Acosta supposait que l’Amérique avait été peuplée par le nord de l’Asie ou de l’Europe ou par les terres qu’il supposait voisines du Détroit de Magellan.
  37. Les Chichimèques qui s’établirent sur le lac de Mexico, et les Mexicains qui les subjuguèrent, venaient de la Californie.Herrera, &c.
  38. Arias Montanus, et une foule d’autres jusqu’à Adair, &c.
  39. J Grotius.
  40. J. H. McCulloch : Researches on America, p. 35.
  41. Recherches Asiatiques.