Histoire des relations du Japon avec l’Europe aux XVIe et XVIIe siècles/Partie 2/Chapitre II.

CHAPITRE II

COMMERCE DES HOLLANDAIS AU JAPON




Une escadre de cinq vaisseaux, partie de Rotterdam en 1598 pour la mer du sud sous les ordres de Jacques Mahu, après beaucoup de désastres et encore plus d’imprudence, se trouva enfin sur les côtes du Chili, réduite à deux vaisseaux.

Comme le but de cette expédition avait été non seulement d’attaquer les Espagnols par mer et par terre, mais encore de tâcher d’établir un commerce avec les Indiens du Chili, on avait embarqué un grand nombre de draps de laine. Lors donc que les nouveaux officiers que l’on avait choisis eurent vu l’impossibilité de rien effectuer dans la mer du sud, ils tinrent conseil pour examiner ce qu’ils pourraient entreprendre de plus profitable pour leurs armateurs, et sur l’avis de Dirk Gerritz, natif d’Enchuisen, il fut résolu d’aller au Japon.

Cet homme avait fait autrefois un voyage au Japon, comme canonnier, sur le vaisseau portugais le Sancta-Crux commandé par le capitaine Francisco Pays, qui partit de Macao l’an 1585 et y revint en 1586, après avoir commercé dans quelques ports du Japon. Dirk Gerritz qui, pendant ce voyage, avait acquis quelque connaissance du commerce que l’on pouvait faire avec avantage au Japon, représenta à ses compagnons que ce pays étant très froid pendant l’hiver, leurs draps y auraient un grand débit, tandis qu’aux Moluques et dans les autres parties des Indes Orientales, ils ne seraient d’aucune valeur, vu la chaleur du climat.

Ils partirent donc vers la fin de l’an 1599 des côtes du Chili et, au mois d’avril de l’année suivante, le vaisseau l’Erasme arriva seul au Japon, l’autre vaisseau l’ayant quitté pendant la route. À bord de l’Erasme, commandait le capitaine Quackernaeck ; le commis s’appelait Melchior Santroort, le pilote était William Adams. Tout l’équipage, y compris les officiers, était composé de vingt-quatre hommes dont cinq ou six seulement étaient en état de faire le service, tout le reste étant malades.

Les Hollandais furent d’abord traités assez favorablement : « on leur permit d’envoyer leurs malades à terre où on leur donna une maison et même des rafraichissements. Aussi à l’exception de trois qui moururent, tous les autres furent bientôt rétablis. Mais les Jésuites portugais les ayant accusés d’être des corsaires, ils furent mis en prison et se virent pendant longtemps en danger d’être crucifiés[1]. » Adams déclara à Iéyasou que son pays, dans un but commercial, désirait depuis longtemps contracter alliance avec les principaux souverains ; que la Hollande « était en guerre avec les Portugais et les Espagnols, mais qu’elle avait des relations pacifiques avec le reste du monde. » Iéyasou fit mettre Adams et ses compagnons dans une captivité rigoureuse, leur navire fut confisqué ainsi que l’artillerie, les armes et les provisions de poudre qui se trouvaient à bord ; on leur fit savoir ensuite qu’ils devaient renoncer à jamais revoir leur patrie[2]. C’est par le capitaine Olivier van Noord qu’on eut en 1601 de leurs nouvelles en Hollande. Adams, bien traité à la Cour du shogoun, parvint à faire établir au Japon une factorerie de la Compagnie hollandaise des Indes Orientales et à nouer ainsi des relations entre les deux pays. En 1609, deux navires hollandais arrivaient à Hirado et Jacques Specx prenait la direction de la nouvelle factorerie établie dans cette ville par la Compagnie des Indes Orientales.

En juillet 1609, l’amiral hollandais Verhoeven fit un voyage au Japon. Il fut reçu par Iéyasou et conclut avec lui un traité de commerce. Dès lors, des vaisseaux hollandais furent envoyés au Japon et notam- ment le yacht Le Brack, qui mouilla à Hirado en juillet 1611. Maurice de Nassau, stathouder de Hollande, fit remettre à Iéyasou la lettre suivante, en même temps que de riches présents : « Trois fois successives j’ai envoyé de mes navires en Chine, pour ouvrir des relations de commerce avec ce royaume, et sur l’un de ces navires j’ai envoyé une ambassade au roi ; mais les Portugais ont offert des présents considérables au roi de la Chine et, mettant en œuvre une infinité de moyens, ils ont empêché l’ambassade. L’ambassadeur est revenu sans avoir rien fait, et sans avoir même obtenu de débarquer. Les Portugais et les Castillans étant mes ennemis, il peut arriver qu’ils agissent de même au Japon, et qu’ils sollicitent Votre Altesse de ne pas permettre aux Hollandais de résider dans ses États, alléguant qu’eux-mêmes et leur commerce avec le Japon datent déjà de loin, que les Hollandais ne sont que d’hier, et que si les Hollandais prennent pied au Japon, le commerce portugais en éprouvera du préjudice ; mais Votre Altesse ne doit accorder nul crédit à ces discours, lesquels sont faux de tous points. La vérité est que les Portugais et les Castillans ont l’ambition de conquérir l’univers, et qu’ils appréhendent la venue de mes vassaux sur les terres de Votre Altesse et la révélation de leurs desseins. À cet effet, ils débitent mille impostures pour discréditer mes sujets. Le temps fera vérifier mes affirmations. À Patane et dans les autres contrées où avaient résidé les Portugais, mes vassaux ont été reçus et traités avec amitié par les indigènes. Alors les Portugais ont porté contre eux mille accusations ; mais on a reconnu leur perfidie et ils ont été chassés, tandis que les Hollandais ont obtenu toute faveur. J’avertis également Votre Altesse qu’il est de la plus haute importance de démêler les artifices que les Portugais et les Castillans trament avec leurs prêtres qui hantent ses États : à savoir que lorsqu’ils prévoient quelque difficulté personnelle pour arriver à leurs fins, ils s’efforcent d’atteindre à ces fins par le moyen des prêtres, et ce, avec une astuce infinie. D’ailleurs l’intérêt qui attire ces prêtres n’est autre que de gagner insensiblement les naturels à leur doctrine, et de leur inspirer de l’aversion pour les sectateurs de toute autre loi ; bientôt ils font naître des rivalités avec les différentes sectes et occasionnent des révolutions et des guerres ; d’où il peut résulter que ces prêtres deviennent les maîtres de tout l’Empire. »

Iéyasou répondit[3] à Maurice de Nassau, le remercia des présents qu’il lui avait adressés, l’invita à envoyer des navires marchands au Japon, à y faire des constructions dans les ports où ils mouilleraient.

La cargaison du Brack étant de peu d’importance eu comparaison des cargaisons portugaises et espagnoles, les marchands de ces deux nations ne manquèrent pas de signaler la disproportion aux autorités japonaises. Specx, considérant qu’il est des circonstances où l’on doit supporter une perte pour s’assurer des avantages considérables dans l’avenir, déclara qu’il était uniquement venu pour remercier des faveurs accordées précédemment et prenant avec lui ce qu’il avait de mieux dans sa cargaison, il se rendit à Sourouga, où l’ex-shogoun tenait sa cour, après avoir écrit à Adams pour s’assurer son concours. On fit aussitôt savoir à Honda Kozouké-no-souké, président du Conseil du shogoun, l’arrivée des ambassadeurs hollandais. Specx et son compagnon Segerszoom n’ayant pu être reçus par l’ex-shogoun le jour même, allèrent rendre visite et donner des présents à l’intendant-trésorier de la monnaie qui les reçut avec beaucoup de plaisir. Ils obtinrent ensuite audience du président du Conseil, auquel ils remirent également de très riches présents. Specx l’informa « qu’il voulait requérir Sa Majesté qu’il lui plût de donner des passeports aux vaisseaux hollandais afin qu’ils fussent francs et qu’en quelque lieu, en quelque port qu’ils vinssent terrir, ils y fussent bien reçus et regardés comme étant sous la protection de Sa Majesté ; qu’il lui plût également d’accorder des patentes pour les vaisseaux, tant pour celui qui les avait amenés à Hirado que pour ceux qui y viendraient ci-après ; à ce qu’ils pussent décharger leurs marchandises, les faire porter dans les magasins, les faire voir aux marchands qui pourraient les demander et les vendre sans être inquiétés par aucuns gardes ou inspecteurs, en gardant néanmoins pour Sa Majesté tout ce qu’elle pourrait désirer et réservant toutes les curiosités qu’on pourrait avoir jusqu’à ce que Sa Majesté pût faire son choix »[4]. Le président du Conseil répondit que cette demande était raisonnable et qu’elle ne pouvait être refusée.

Le lendemain, Specx et Segerszoom furent reçus par le shogoun. Les présents qu’ils lui apportaient consistaient en « deux pièces de drap cramoisi, deux autres de velours noir et autant de cramoisi, en camelots, en brocard à fleur d’or, en damas, en écharpes, en bouteilles de cristal, en quelques livres de plomb, une arquebuse de huits pieds deux cents pièces d’acier, deux carabines et autant de cornes à poudre, avec cinq dents d’éléphants[5]. » L’ex-shogoun les reçut avec une grande cordialité ; il leur demanda combien les Îles Moluques possédaient de soldats hollandais ; si les Hollandais avaient quelque commerce avec Bornéo ; d’où venait le meilleur camphre et quelle sorte de bois odoriférant croissait en Hollande. Il dit ensuite à Adams qu’il avait fait appeler : « Je vois bien que les Hollandais sont passés maîtres aussi bien dans les manufactures que dans la guerre. »

Quelques jours après, de retour à Edo, Specx et Segerszoom furent reçus par le shogoun Hidétada à qui ils demandèrent faveur et protection. Le 31 août, ils reçurent deux passeports pour leurs vaisseaux ; mais ne reçurent aucune autorisation pour décharger leurs navires et vendre leurs marchandises, sans être inquiétés par les visites des inspecteurs. Ils ne comprirent pas la cause d’une pareille omission et résolurent de revenir à la charge pour obtenir satisfaction. Les deux passeports étaient conçus en des termes très favorables dont voici la teneur : « Nous ordonnons et commandons par ces présentes très expressément à tous et à chacun de ceux qui sont sous notre domination de n’inquiéter en aucune manière, ni donner aucun empêchement aux vaisseaux hollandais qui viendront dans nos pays du Japon, en quelque lieu ou port que ce puisse être ; mais, au contraire, de les traiter favorablement, et de les assister en tout ce qu’ils pourront requérir, défendant à tous nos sujets d’en user avec eux autrement que comme avec des amis, de quoi nous leur avons donné notre parole et promesse qui ne pourra être violée par qui que ce soit. Daté, selon le style du Japon, l’an 1611, le 25e jour du 7e mois. »

Au commencement de septembre, Specx, étant allé voir le président du Conseil, lui parla de la licence qu’il avait souhaitée et qui ne lui avait pas été remise. Kozouké-no-souké répondit que c’était-là une chose inutile, attendu qu’il avait donné des ordres pour qu’aucun Hollandais ne fût inquiété ; que, s’il en était autrement, il y avait toujours à la cour Adams, à qui ils pourraient en écrire pour se plaindre. Néanmoins, Specx ayant insisté à nouveau pour avoir une autorisation écrite, en bonne et due forme, le président du Conseil la fit signer au shogoun et la remit à Specx. Elle était ainsi conçue :

Lettres patentes sous le sceau shogounal rouge, concédées par Iéyasou à Jacob Specx en faveur de la Compagnie des marchands hollandais qui trafiquent aux Indes Orientales et à leur comptoir à Hirado.

« Tous les navires hollandais qui viennent dans Mon Empire du Japon, en quelque lieu ou port qu’ils abordent, Nous, par ces présentes, ordonnons expressément à tous et à chacun de Nos sujets de ne les inquiéter en façon quelconque, de ne leur faire aucun obstacle, mais au contraire de leur donner toutes sortes d’aide, de faveur et de secours. Chacun aura soin de conserver l’amitié mutuelle. En assurance de quoi il Nous a plu de donner Notre parole shogounale à cette nation et chacun doit prendre garde que Mes ordres et Mes engagements soient inviolablement observés. Daté, selon le style du Japon, l’an 1611, le 30e jour du 7e mois »[6].

Le 28 septembre, Specx et son compagnon s’embarquèrent à bord du Brack et firent voile à Patane.

Les conseillers du shogoun écrivirent en même temps au daïmio de Hirado au sujet de la conduite que devaient tenir les Hollandais : « Nous vous envoyons ces lignes en toute hâte. Les navires hollandais sont admis à trafiquer à Hirado, selon le bon plaisir du capitaine. Cependant vous devrez veiller à ce que les Hollandais ne répandent point la doctrine des Pères. Quand les marchands de Kioto et de Sakaï viendront dans votre ville, vous les laisserez trafiquer comme il leur conviendra. Avec nos meilleurs respects.

« Le 23e jour du 8e mois.

Signé : Doi-Ooi-No-Kami ; Ando Tsouhima-No-Kami ; Itakoura Iga-No-Kami ; Honda Ozouké-No-Souké.

« A M. Matsoura Hizen-no-kami ».


Ni les Ambassades mémorables ni le Journal de Specx ne racontent la présentation des lettres par lesquelles les ambassadeurs remercièrent Iéyasou de la liberté du commerce et de la navigation qu’il leur accordait. Il semble probable, néanmoins, qu’ils lui en présentèrent quelques-unes. Dans la lettre du 8 février 1615 par laquelle Valentin Carvalho rapporta quelques faits de Macao sur l’entrée des Hollandais au Japon, il écrivit qu’« en 1611 les Hollandais produisirent une lettre adressée à l’empereur du Japon au nom du duc Maurice et que cette lettre portait la date du 11 novembre 1610. Mais je me suis assuré, dit-il, qu’elle avait été fabriquée au Japon. Cette lettre, écrite en caractères japonais, fut montrée par un Japonais digne de foi à l’un de nos prêtres, également Japonais, lequel savait parfaitement la langue portugaise. Ce dernier la traduisit par mes ordres »[7]. Quel était le sujet de cette lettre ? Celle que nous trouvons dans le « Gouaïhan-tsousho » (Traité général relativement aux pays étrangers) par Kondo Shighézo, diffère un peu de date avec celle du Père Carvalho ; ce fut peut-être celle présentée à Iéyasou par Specx. En voici la traduction :

« Maurice de Nassau, roi de Hollande, enverra encore partout des navires de guerre appartenant à l’État ou des navires de commerce. Je salue S. A. Minamoto-no-Iéyasou, souverain du Japon, qui est un homme sans pareil au monde et surtout un homme de guerre remarquable, et je lui souhaite la paix dans son Empire et une vie de plus de mille ans. Je lui adresse mes remerciements écrits pour l’autorisation qu’il a bien voulu donner aux commerçants hollandais de venir dans les ports du Japon et y faire le commerce. Si mon pays était proche du Japon, les Japonais pourraient y venir et seraient bien accueillis. Malheureusement, nous ne pouvons y songer et nous devons chercher un autre moyen d’être reconnaissant pour une aussi grande faveur.

« L’an dernier, quand vous ne connaissiez pas encore la Hollande et que le capitaine Quackernaeck arriva dans un port de votre pays presque mort de faim, vous l’avez bien accueilli, n’écoutant pas les Portugais qui vous disaient que les Hollandais étaient des voleurs et des pirates. Nous vous en remercions mille fois.

« L’an dernier, des Hollandais, pour ouvrir le commerce extérieur avec la dynastie chinoise des Ming, allèrent par trois fois en Chine, et l’une de ces fois envoyèrent leur représentant à la cour ; mais les Portugais qui avaient offert beaucoup de présents à cette cour empêchèrent les choses d’aboutir et le représentant hollandais retourna à son navire sans résultat. Les Portugais et les Castillans sont nos ennemis : ils vous persuaderont, je le crois, de ne pas autoriser les Hollandais à venir au Japon. Les Portugais et les Castillans ont trafiqué avec le Japon depuis fort longtemps, tandis que les Hollandais n’y sont arrivés que récemment ; je crois que c’est sur ce fait qu’ils s’appuieront pour dire que les Hollandais ne sont pas commerçants. Mais cela sera faux. Ces deux nations qui désiraient gouverner le monde peu à peu avaient beaucoup d’animosité contre les Hollandais parce qu’elles supposaient que ces derniers vous notifieraient leur ambition et qu’elles pourraient continuer à se conduire d’une façon aussi capricieuse qu’avant l’arrivée de nos nationaux. Je vous avoue simplement avec franchise tous les faits, et ce n’est que par reconnaissance de la bienveillance que vous avez accordée à mes sujets. Si les Portugais vous annoncent de nouveau de pareilles choses, je vous prie de n’accorder aucune confiance dans leurs paroles. Vous constaterez d’ailleurs vous-même la vérité de toutes les choses dont nous venons de vous parler.

« D’abord les Portugais allèrent à Bentam, Patane et autres lieux ; plus tard, les Hollandais y arrivèrent et furent bien accueillis. Les Portugais y accusèrent les Hollandais. Mais quand on reconnut la fausseté de leurs dires, ils ne purent plus y aller, tandis que les Hollandais y continuèrent leurs relations. De plus, il faut bien deviner la pensée secrète des Pères portugais et castillans qui est cachée au fond de leurs cœurs. Les Pères ont le désir de convertir peu à peu les Japonais à leur religion et, méprisant toutes les autres religions, ils provoqueront toutes sortes de querelles religieuses pour augmenter leur nombre d’adeptes.

« Vous avez dit que tout ce que les Hollandais avaient proposé serait écouté. Je vous en suis très reconnaissant et vous demande de vouloir bien nous continuer cette faveur.

« Quand les Hollandais qui viennent trafiquer dans les pays lointains vous proposeront d’aller en Corée, je vous serais très obligé de leur accorder le Goshouïn (permis de navigation). J’obéirai à tous vos désirs et vous m’exposerez tous vos besoins.

« Le 18 décembre 1610, 2e jour du 11e mois de la 15e année de Keïtcho.

Signé : Anderei Kohorowall ; Jacob Specx.

à Monsieur Honda Kozouké-no-souké. »


Kondo, dans son ouvrage, cite encore trois documents : une lettre du gouverneur de Malacca à Iéyasou, la réponse d’Iéyasou au prince de Nassau et celle de Honda au gouverneur. Bien que tous ces documents portent la date de la 17e année de Keïtcho (1612), un an plus tard que le séjour des ambassadeurs, on peut attribuer cette erreur aux copistes et admettre que les lettres furent réellement échangées entre Iéyasou et Specx en 1611. En voici les traductions :


Le gouverneur de Malacca à Iéyasou.

« Pêtrehotte, représentant du souverain du royaume de Hollande, présente cette lettre au souverain de l’Empire du Japon et lui souhaite que la paix dure à l’infini dans ses États.

« J’ai entendu dire aux Indes que les Hollandais qui se sont rendus dans votre pays pour y trafiquer, avaient été bien reçus et qu’on leur avait donné des terrains. Je vous en suis infiniment reconnaissant et je vous prie de continuer toujours à bien accueillir les Hollandais qui se rendront chez vous, en les recevant comme vous me recevriez moi-même. Nous vous avions promis de vous envoyer l’année dernière un navire hollandais : ce navire fut en retard ; je vous ai envoyé provisoirement un petit navire pour vous présenter nos remerciements ; maintenant je vous envoie le navire promis. Le retard est dû tout simplement au mauvais temps ; on l’envoya au mois de mai de la Hollande, peu de temps après le retour d’un navire du Japon. Je vous présente l’ambassadeur Anderei Kohorowall, porteur des présentes, qui est chargé de vous remercier de votre amabilité et auquel je vous prie d’accorder toute votre bienveillance.

« Comme on vous l’a déjà dit, il est absolument utile de deviner quelles sont les prétentions des Pères, parce que les Castillans sont les adversaires des Hollandais et qu’en ce moment l’Espagne et la Hollande se rencontrent par les armes au Maroc. Je vous écrirai prochainement des détails sur ce fait.

« Je viens de vous exposer toute ma pensée. Je serais heureux de pouvoir vous être agréable.

« Le 31 mars 1612, vingt-sixième jour du deuxième mois de la dix-septième année de Keïtcho.

« Signé : Anderei Kohorawall ; Jacob Specx.

à M. Honda Kozouké-no-souké. »


Réponse d’Iéyasou au Prince de Nassau.

« Minamoto-no-Iéyasou, souverain du Japon, Je réponds à Son Altesse le chef de la Hollande. J’ai reçu votre lettre et l’ai lue plusieurs fois. Je m’en réjouis ainsi que des présents que vous me faites. Si vous ne changez votre promesse et que vous envoyiez tous les ans des navires commerciaux au Japon, nous ne ferons pour ainsi dire qu’une seule famille, bien que nous soyions séparés par une distance de plus de dix mille lieues et par de nombreux dangers de mer. Pour les autres questions, J’ai ordonné à Kozouké-no-souké Honda Masazoumi de vous écrire.

« Le dizième mois de la dix-septième année de Keïtcho. »


Réponse de Honda au gouverneur.

« Kozouké-no-souké Honda Masazoumi, sujet de l’Empire du Japon, répond à Son Altesse le maître du royaume de Hollande. J’ai présenté à mon souverain votre lettre et vos cadeaux, qu’il a bien accueillis. Il vous a répondu et pour vous remercier vous fait don de deux sabres (katana) l’un grand, l’autre petit.

« Comme nous vous l’avons promis, nous désirons développer les intérêts commerciaux. C’est le désir de notre souverain.

« En conséquence, vous pouvez envoyer tous les ans vos navires commerciaux et nous continuerons l’amitié : c’est mon intention bien arrêtée. Sur la demande des ambassadeurs, j’ai demandé deux privilèges garantissant la liberté et la sûreté des Hollandais à l’arrivée de leurs navires et je les leur ai remis. S’il reste quelque chose à obtenir, je le demanderai à notre maître, vous pouvez en être certain.

« Je vous suis infiniment reconnaissant d’avoir bien voulu me faire remettre des présents. Pour le détail des affaires, j’ai parlé personnellement aux ambassadeurs.

« Le premier jour d’hiver de la 17e année de Keïtcho. »

Ainsi se termina la mission de Specx et de son collègue. Il en résulta l’établissement d’un comptoir hollandais à Hirado dont Specx devint le chef. Mais ce n’était là, néanmoins, que le début du commerce de ce pays au Japon. Les Hollandais avaient encore beaucoup à faire pour vaincre les autres nations européennes qui s’y trouvaient déjà installées et y avaient répandu leur influence.



  1. Recherches historiques sur l’état de la religion chrétienne au Japon, relativement à la nation hollandaise, traduites du hollandais par le baron Onno-Swier de Haren. Paris, 1778, p. 3.
  2. Nous trouvons dans Guerreiro le récit de l’arrivée d’Adams d’après les missionnaires. Il est naturellement peu favorable à Adams, mais ne diffère nullement pour les faits d’avec les récits hollandais et anglais.
  3. Daï-Nihon-Shoghio-shi, p. 502.
  4. A. Montanus. — Ambassades mémorables de la Compagnie des Indes Orientales, t. VII, p. 1781.
  5. A. Montanus. — Ambassades mémorables de la Compagnie des Indes Orientales, t. VII, p. 1781.
  6. Kaempfer. — Histoire de l’Empire du Japon. La Haye, 1732, p. 275.
  7. L. Pagès. — Histoire de la religion chrétienne au Japon, t. II, n° 40, pp. 162-163.