Histoire des doctrines économiques/2-2-4

IV

MALTHUS

L’opinion des anciens — au moins de ceux d’entre eux qui en avaient une sur ce point là — c’est que la population doit rester stationnaire, une fois atteint le nombre d’hommes qu’une contrée peut nourrir. Platon et Aristote n’étaient guère scrupuleux sur le choix des procédés qui devaient maintenir cet équilibre. Puis les théologiens du moyen âge ne virent que le côté moral de cette question[1], en même temps que les hommes d’État cherchaient dans le nombre de leurs sujets une des principales forces des royaumes. Telle était, par exemple, l’opinion de Vauban, parfaitement d’accord du reste avec les maximes de nos saints Livres.

Mais y a-t-il danger que les hommes puissent croître plus vite que les quantités de subsistances qui leur sont nécessaires ? Et si ce danger existe, y a-t-il quelque part des moyens de l’éviter ? Tel est le problème économique qui se pose, avec toutes ses conséquences dans l’ordre moral et l’ordre social.

L’Italien Botero est un des premiers qui en paraissent occupés[2]. Selon lui, l’augmentation de la cité procède à la fois de la force génératrice des hommes, qui est constante, et de la force nutritive de la cité ; et bien que le nombre soit la force des États, il n’en est pas moins vrai que son excès, si les aliments manquaient aux hommes, serait une cause de misère et un péril.

Les physiocrates et Adam Smith après feux semblaient croire à une harmonie naturelle entre la population et la subsistance.

« La mesure de la subsistance, disait le marquis de Mirabeau dans l’Ami des hommes, est la mesure de la population[3]. » Quesnay, en demandant « qu’on fût moins attentif à l’augmentation de la population qu’à l’accroissement des revenus[4] », montrait tout simplement qu’il est plus sage de poursuivre le but par une voie détournée que par une voie directe, et que l’accroissement des vies suivra tout naturellement l’accroissement des moyens de vivre. Adam Smith répétait que « les hommes, comme toutes les espèces d’animaux, se multiplient en raison des moyens de subsistance[5] ». J.-B. Say, tout en recommandant déjà la prudence dans l’union conjugale[6], proclamait encore que « rien ne peut accroître la population que ce qui favorise la production, et que rien ne peut la diminuer, au moins d’une manière permanente, que ce qui atteint les sources de la production[7] ». C’était aussi le sentiment d’un médecin suisse, Herrenschwand[8], qui, avant de déduire toute une économie politique arrangée en vue d’assurer le maximum de subsistance, posait en principe que « l’espèce humaine est susceptible de multiplication tant que la procréation n’a pas atteint les limites de la nourriture[9] », mais pas au-delà, et qu’un « excès de procréation » est parfaitement possible.

L’éventualité d’un défaut d’équilibre devait préoccuper tout particulièrement l’Angleterre. Les poor-laws (ou lois sur les pauvres) y mettaient les indigents à la charge de leurs paroisses respectives, en les faisant entretenir par des impôts que payaient seuls les propriétaires fonciers. Or, la charge était lourde, et il était tout naturel qu’on voulût la réduire ou l’empêcher d’augmenter. Aussi, dès 1770 — bien avant Malthus par conséquent — Denham Steuart demandait déjà qu’on interdît le mariage aux pauvres[10].

Toutefois ce fut Malthus qui fit vraiment sienne cette question par l’ampleur inattendue qu’il lui donna.

Thomas-Robert Malthus (1766-1834) était né dans le comté de Surrey, d’une famille très imbue de philosophie, qui avait eu pour hôtes Hume et Rousseau. Le jeune Malthus se fit ministre. Son père admirait alors beaucoup les publications de Godwin, un mécontent, vrai socialiste, comme nous dirions aujourd’hui, qui attribuait tous les vices et toutes les misères aux défauts de l’organisation sociale[11]. Ce fut un vif sujet de débats dans la famille des Malthus, et le fils en prit occasion pour lancer un Essai sur le principe de population, qui parut en 1798 sans nom d’auteur[12]. À Godwin, qui avait accusé les gouvernements d’être des obstacles au perfectionnement et au bonheur de l’humanité, Malthus répondait que c’est la trop forte tendance de l’humanité à se reproduire qui est la cause de la misère incurable. Mais les matériaux démographiques lui avaient manqué ; il se met alors à voyager pour les recueillir, il parcourt successivement le Danemark, la Norvège, la Suède, une partie de la Russie, la Suisse et la Savoie, et au retour il publie avec son nom, en 1803 ; son fameux Essai sur le principe de population[13].

En 1804, Malthus était nommé professeur d’économie politique au collège d’Haileybury, poste qu’il occupa jusqu’à sa mort sans quitter cependant ses fonctions de pasteur. D’autres publications économiques sortirent de sa plume pendant ce temps là. Nous citons les Recherches sur la nature et les progrès de la rente et sur les principes qui la déterminent (1815) ; les Principes d’économie politique sous le rapport de leur application pratique (1819) ; diverses publications contre les lois prohibitives de l’importation des céréales (cornlaws) et contre la taxe des pauvres, à la réforme de laquelle il ne fut pas étranger ; des lettres échangées avec J.-B. Say ; enfin les Définitions en économie politique (1820).

Les Principes d’économie politique eurent une seconde édition, qui, sensiblement différente de la première et préparée lentement par Malthus, ne fut publiée qu’en 1836, deux ans après sa mort[14]. Malthus y intercala sa nouvelle opinion sur la valeur, d’après les idées qu’il venait d’exposer dans son ouvrage la Mesure de la valeur établie et démontrée avec une application des principes aux altérations qu’a subies l’agent des échanges depuis 1790 (paru en 1823). C’était un retour à la théorie d’Adam Smith sur le travail pris comme étalon de la valeur. Inutile de dire qu’il ne s’agissait pas de la cause de la valeur — question envisagée cependant aux temps de la physiocratie, notamment par Le Trosne, Turgot, Graslin et Condillac, mais perdue de vue depuis lors — il s’agissait seulement de l’étalon des taux d’échange. Les Principes de Malthus sont bien oubliés aujourd’hui. Sans avoir l’originalité puissante de l’œuvre de Ricardo parue à peu près sous le même titre, ils en ont cependant les lacunes. Malthus s’y occupe seulement de la richesse et du travail productif de la valeur (expliquée par la loi de l’offre et de la demande) ; de la répartition, avec ses trois titres, qui étaient selon lui la rente de la terre, les salaires du travail et les profits du capital (on sait que l’école anglaise confondait entrepreneur et capitaliste) ; et enfin des progrès de la richesse dans une société. La rente y était représentée comme le revenu essentiel et nécessaire de l’agriculture.

Les Définitions en économie politique n’ont pas gardé plus de crédit, malgré l’ambitieuse prétention de Malthus d’accorder entre eux les économistes. Après des polémiques contre James Mill, Mac-Culloch et autres, Malthus y proposait un vocabulaire qu’il croyait définitif. Malheureusement on peut s’étonner qu’il y traduise encore « production » par « création d’objets constituant la richesse » et « consommation » par « destruction totale ou partielle de certaines portions de la richesse[15] ». Était-ce une réminiscence des axiomes de la physiocratie ? En tout cas, après le Traité de J.-B. Say, on peut trouver que c’était bien vieux et bien enfantin. On comprend donc fort bien que le Principe de population soit la seule œuvre de Malthus qui lui ait survécu.

L’Essai sur le principe de population — ou plutôt sur les lois de la croissance de la population, comme nous dirions en français — a cinq livres. Les deux premiers étudient les obstacles à la population, soit dans les pays anciens et moins civilisés, soit dans l’Europe contemporaine. Ils s’ouvrent par deux chapitres qui renferment toute la substance de la doctrine malthusienne. Le premier traite de la « tendance de tous les êtres vivants à accroître leur espèce plus que ne le comporte la quantité de nourriture qui est à leur portée[16] » ; et il expose la double formule de la progression géométrique des existences humaines doublant par vingt-cinq ans et de la progression seulement arithmétique des subsistances[17]. Le second renferme la théorie des obstacles, tantôt préventifs (vice et contrainte morale), tantôt répressifs (malheurs divers, embrassés sous le nom collectif de misery)[18]. Ces idées essentielles, constitutives de toute la théorie de Malthus, sont suffisamment exposées et discutées ailleurs pour qu’ici nous n’y revenions pas[19] : elles appartiennent actuellement aux éléments de l’économie politique, beaucoup plus qu’à une histoire des doctrines économiques.

C’est le livre III qui est, après les chapitres i et ii du livre I, la partie la plus importante du volume. Malthus y commence par réfuter les formules socialistes de Wallace[20] et de Condorcet. Contre ce dernier et contre son projet de créer et d’alimenter par l’impôt une caisse nationale de retraités pour la vieillesse[21], Malthus objecte que non seulement la certitude de ces retraites émousserait la prévoyance individuelle, mais encore qu’elle aurait le défaut d’encourager outre mesure le développement de la population[22]. L’auteur, passant ensuite à la discussion des idées de Godwin explique très clairement la forme sous laquelle lui-même envisage un problème dont l’existence en soi ne saurait être contestée. « Je sais fort bien, dit-il, que les millions excédant dont j’ai parlé n’ont jamais existé. C’est une observation parfaitement juste de M. Godwin, « qu’il y a dans la société, humaine un principe par lequel la population est perpétuellement maintenue au niveau des moyens de subsistance ». La seule question qui reste à résoudre, est celle-ci : Quel est ce principe ?[23] » Le livre se termine par une critique de la taxe des pauvres, par une critique économique du principe même de l’aumône (ce qui est une page fâcheuse de Malthus)[24], et par la recherche de la meilleure combinaison pour avoir une nation à la fois nombreuse et bien nourrie. Malthus y discute, au point de vue de leurs avantages respectifs, le régime agricole et le régime commercial, et il conclut pour le mélange de l’un et l’autre[25], conclusion qui a peut-être le tort d’être donnée d’une manière générale et sans une suffisante adaptation aux circonstances de lieu et de temps.

Le livre IV a une portée beaucoup plus morale. À propos de « l’espérance qu’on peut concevoir dans l’avenir, de guérir ou d’adoucir les maux qu’entraîne le principe de population », Malthus s’y montre sentimentaliste, doux et onctueux pour ainsi dire, vrai pasteur, ayant souvent sur les lèvres les textes de la Bible et de saint Paul. Rien ne fait allusion à certain vice, qu’on lui a reproché si souvent d’avoir préconisé ; et ici toute sa faute semble bien être d’avoir mal connu la nature humaine et d’avoir beaucoup trop présumé de la force, avec laquelle un homme pourra résister aux appétits sensuels toutes les fois qu’il ne voudra chercher que dans l’ordre naturel et économique le point d’appui qui lui est nécessaire, en dehors du mariage, pour résister à ces appétits, et dans le mariage pour ne pas les déformer et les vicier. Malthus clôt son œuvre par la réponse aux objections, sorte d’appendice au livre V, où les redites ne peuvent pas manquer. On y retrouve par exemple une discussion sur le droit des pauvres à l’assistance, discussion qui aurait été mieux à sa place à propos des poor-laws et de l’aumône.

Mais restons sur ces mots, qui résument bien la pensée de Malthus : « La première grande objection qu’on ait faite contre mes principes, c’est qu’ils contredisent le commandement primitif du Créateur… Ceux qui m’opposent cette objection n’ont pas lu mon ouvrage… C’est méconnaître entièrement mes principes que de m’envisager comme un ennemi de la population. Les ennemis que je combats sont le vice et la misère[26]. »

Il est vrai que la première ébauche du Principe de population avait contenu une phrase autrement dure, qu’on n’a pas manqué de reprocher à l’auteur. « Un homme, y était-il dit, qui naît dans un monde déjà occupé, si sa famille ne peut plus le nourrir ou si la société ne peut utiliser son travail, n’a pas le moindre droit à réclamer une portion quelconque de nourriture, et il est réellement de trop sur la terre. Au grand banquet de la nature il n’y a point de couvert mis pour lui. La nature lui commande de s’en aller, et, elle ne tarde pas à mettre elle-même cet ordre à exécution. » Mais cette phrase fut supprimée dès l’édition de 1803.

Le retentissement de cette œuvre fut immense. Sans doute le plan n’est pas parfait, et la forme est quelque peu ennuyeuse ; on n’y trouve rien qui rappelle soit la limpide clarté d’exposition qui caractérisait J.-B. Say, soit la bonhomie qui rendait.si facile et si agréable la lecture d’Adam Smith. Bref, le livre du pasteur Malthus ressemble trop à un prêche lourd et froid. Mais il insiste avec une telle force que les idées qu’il apportait et qui étaient vraiment neuves, ne pouvaient pas manquer de faire une profonde impression sur les esprits.

Trop d’auteurs catholiques sont actuellement d’une injuste cruauté pour la mémoire de Malthus. Il y a chez lui, en effet, deux choses à distinguer : la théorie scientifique d’abord, et il nous semble difficile que l’on en conteste l’exactitude, sauf les discussions que peut susciter la durée apparemment un peu trop courte du doublement par vingt-cinq ans ; puis il y a la partie morale ou pratique, c’est-à-dire les conseils de moral restraint, et celle-ci seule peut prêter à de dangereuses interprétations. Mais qu’est-ce que Malthus demande ? Est-ce le célibat perpétuel d’une portion de la population et le célibat prolongé d’une autre portion ? Est-ce la continence dans le mariage ? Sont-ce enfin les fraudes mêmes dans l’acte conjugal ? Évidemment Malthus aurait dû être plus explicite sur ce dernier point ; cependant on ne trouve rien en lui qui permette de le condamner sur cet article[27].

Les hommes qui, instruits eux-mêmes, ont voulu le juger d’après son livre et non pas d’après les déviations que sa doctrine a subies plus tard, ont été plus élogieux, disons aussi plus perspicaces. Nous avons cité ailleurs les termes dans lesquels Joseph de Maistre appréciait le volume, « un de ces livres rares, disait-il, après lesquels tout le monde est dispensé de traiter le même sujet[28] » ; et un jésuite, le R. P. Taparelli d’Azeglio, dans son Essai sur le droit naturel (1857), n’a fait guère autre chose que christianiser les idées économiques du Principe de population[29]. Enfin, le, plus ancien des économistes chrétiens, M. de Villeneuve-Bargemont, en condamnant très énergiquement le néomalthusianisme, avait cru devoir conclure ainsi : « Les paroles formelles de l’Apôtre (saint Paul)… répondent suffisamment aux allégations contradictoires des philosophes modernes et des économistes de l’école anglaise, qui, après s’être élevés contre le célibat des prêtres, ont depuis reproché au clergé d’encourager indiscrètement la population. Mais sous ce point de vue même l’ouvrage de Malthus nous est doublement précieux, car il a mis sur la voie de combattre de vieilles erreurs anticatholiques[30]. »

Comment donc le nom de malthusianisme a-t-il été inventé et pourquoi est-il devenu ainsi odieux ? Ce fut la faute des disciples, défigurant la pensée du maître et trop pressés de la faire descendre dans la pratique, au lieu de la laisser planer dans les régions de la théorie avec une contrainte morale irréalisable ou dangereuse. Sismondi lui-même, qui a combattu par d’assez médiocres raisons le système théorique de Malthus l’a de beaucoup dépassé par le cynisme irreligieux de ses conseils[31].

De ceux qui se sont signalés dans ce travail de corruption intellectuelle, nous nous bornons à citer le conseiller aulique allemand Weinhold[32] ; puis un certain Marcus, pseudonyme d’un auteur anglais « d’une grande célébrité », disait Rossi, qui connaissait son vrai nom, mais n’a jamais voulu le révéler[33] ; enfin, parmi nos contemporains, l’Anglaise Annie Besant, qui a prêché une véritable croisade de vice parmi les populations ouvrières de la Grande-Bretagne[34]. Annie Besant appartenait au socialisme, avant de tourner à la théosophie. Mais la crainte de la surpopulation est souvent exprimée chez les écrivains socialistes, et les procédés néo-malthusiens n’y sont pas désavoués, tout au contraire. Sur ce point là, un des auteurs les plus curieux et les plus cyniques est précisément l’Irlandais William Thompson, le représentant le plus illustre du communisme oweniste[35].

Le système de Malthus, si on veut le discuter de près, et en le dégageant de la portée pratique qu’il peut avoir, doit être scindé nettement en ses deux formules. Il y a la thèse physiologique sur l’accroissement numérique des vies humaines ; il y a la thèse économique sur le rapport entre le nombre des hommes et la quantité de subsistances qu’ils peuvent produire. Nous distinguerons donc ces deux points de vue.

La thèse économique de Malthus a trouvé son adversaire le plus connu dans Carey[36], d’après lequel la productivité croîtrait au moins en proportion exacte avec la densité de la population. Mais il est prématuré d’en parler ici ; nous aurons à y revenir, comme nous aurons à discuter les diverses explications qui sont fournies du ralentissement de la natalité depuis le temps où écrivait Malthus. Est-ce là un démenti de sa formule théorique ou bien une application plus ou moins exagérée et faussée de ses conseils ?

    trouverait au moyen âge, serait dans le Songe du Vergier (Somnium viridarii), de Baoul de Prelles ou de Philippe de Maizières (1376). Voir Brants, op. cit., pp. 238 et s. ; — Franck, Réformateurs et publicistes, 1.1, pp. 209 et s.

  1. Saint Thomas d’Aquin, Summa theologica, IIa IIae, quaestio clii, art. 2. — Voyez sur cette question Brants, Théories économiques aux xiiie et xive siècles, pp. 235 et s. — La seule trace d’inquiétudes malthusiennes que l’on
  2. Voyez plus haut, p. 103.
  3. Intitulé du ch. ii, Ire partie de l’Ami des hommes.
  4. Maximes générales du gouvernement économique, xxvie maxime.
  5. Richesse des nations, 1. II, ch. i, sect. 1, t. 1, p. 190.
  6. Cours complet, 1. VII, ch. xxxii, éd. Guillaumin, t. II, p. 362.
  7. Traité, 1. II, ch. ii, § 1, 2e édit., t. II, p. 149.
  8. Publié à Londres en 1786 et traduit en français, Paris, an III, sous le titre De l’Economie politique moderne, Discours fondamental sur la population.
  9. Op. cit., tr. fr., pp. 2-3.
  10. Inquiry into principles of political economy, t. I, p. 127.
  11. Auteur de Inquiry concerning political justice and its influence on Morals and Happiness (1793) et d’un Essai sur l’avarice et la prodigalité.
  12. Le titre complet est An essay on the principle of population, as it affects the futur improvement of society, with remarks on the speculation of M. Godwin, Condorcet and other writers.— Godwin tenta une réfutation qui, publiée en anglais en 1820, parut en France en 1821 sous ce titre : Recherches sur la population et sur la faculté d’accroissement de l’espèce humaine, contenant une réfutation des doctrines de M. Malthus sur cette matière.
  13. An essay on the principle of population, or a view of its past and present effects on human happiness, with an inquiry into our prospects respecting the future removal or mitigation of the evils which it occasions.
  14. Traduit par Monjean et édité en français chez Guillaumin, Paris, 1846, avec les Définitions en économie politique.
  15. Op. cit., ch. x, éd. Guillaumin, pp. 321, 332.
  16. Op. cit., 1. I, ch. i, p. 6 de l’édition Guillaumin.
  17. « Nous pouvons tenir pour certain que, lorsque la population n’est arrêtée par aucun obstacle, elle va doublant tous les vingt-cinq ans et croit de période en période selon une progression géométrique… Nous sommes en mesure de prononcer, d’après l’état actuel de la terre habitée, que les moyens de subsistance, dans les circonstances les plus favorables à l’industrie, ne peuvent jamais augmenter plus rapidement que selon une progression arithmétique » (Ibid., pp. 8 et 10).
  18. À signaler ici, au point de vue de la morale, une note de Malthus lui-même qui est assez équivoque sur les procédés de la contrainte morale (sous la page 14 de l’édition Guillaumin).
  19. Voyez nos Éléments d’économie politique, 2e édit, pp. 599 et s.
  20. Robert Wallace, partisan de la communauté des biens, avait abordé ces sujets dans le volume Various prospects of mankind, nature and production (1761).
  21. Voyez plus haut, p. 248.
  22. Op. cit., pp. 319-320.
  23. Ibid., p. 334.
  24. « Il est probable qu’en diminuant un peu les maux individuels ou a répandu la souffrance sur une surface beaucoup plus étendue… Il peut paraître étrange qu’avec de l’argent on ne puisse pas améliorer la condition du pauvre sans abaisser d’autant celle de la société. Mais quelque étrange que cela puisse paraître, je crois que c’est la vérité. Si je fais un retranchement sur la nourriture de ma famille et que je donne à un pauvre ce dont je me prive, en le mettant à l’aise je n’impose de privations qu’à moi-même ou aux miens, et peut-être sommes-nous en état de les supporter aisément… Mais si je donne à un pauvre de l’argent, en supposant que le produit du pays ne change point, c’est un titre que je lui donne pour obtenir une portion de ce produit plus grande que ci-devant.’Or, il est évidemment impossible qu’il reçoive cette augmentation sans diminuer la portion des autres » (Op. cit., pp ; 353 et s.). — Voyez la même opinion développée, et soutenue, aggravée même, dans Ch. Gide, Principes d’économie politique, 1re édit., pp. 418-420. « L’aumône, dit M. Gide, produit les effets fâcheux d’une augmentation de dépenses combinée avec une diminution de l’épargne. Elle ajoute à la catégorie des consommateurs déjà existants une catégorie de nouveaux consommateurs, qui jusqu’alors ne pouvaient consommer, parce qu’ils n’en avaient pas le moyen, mais qui désormais le peuvent… Le riche qui donne un billet de banque, s’il ne consent pas à retrancher une somme équivalente sur son superflu, aurait mieux fait, au point de vue général, de jeter son billet de banque au feu » (Loc. cit.). — Sur l’aumône, voyez nos Éléments d’économie politique, 2e édit., p. 655 et s.
  25. Principe de population, p. 412. — On pourrait rapprocher ce passage des éloges que List fera plus tard de l’Agrikulturmanufakturhandelsstand, régime qu’il place au sommet de l’ascension économique des peuples.
  26. Op. cit., p. 580.
  27. Le P. Antoine, S. J., qui, imitant sans défiance le P. Liberatore (Principes d’économie politique, 1889, Ire partie, ch. v, tr. fr., 1894, pp. 110, et s.), a critiqué la théorie scientifique de Malthus sans la raisonner d’après l’histoire et surtout d’après l’histoire de la géographie et des découvertes scientifiques, a lui-même cependant écrit ceci :« Par ce devoir de contrainte morale, Malthus n’entend aucunement l’emploi des procédés illicites pour entraver la reproduction ; il ne recommande pas aux personnes mariées de limiter le nombre de leurs enfants et de pratiquer, contrairement à la sainteté du mariage, la stérilité systématique. Lisez, de la première à la dernière ligne, l’Essai sur le principe de la population, vous ne rencontrerez rien qui indique l’emploi de ces moyens » (Éléments de science sociale, Poitiers, 1893, p. 573). — M. Schatz (l’Individualisme, p. 167) va jusqu’à dire que la « contrainte prudente » est « énergiquement condamnée par Malthus, en dépit d’absurdes légendes ». Pourtant il nous semble que Malthus n’a rien condamné franchement : car, en condamnant le vice, il n’a pas spécifié en quoi le vice pouvait consister, et l’on sait qu’actuellement les économistes libéraux non catholiques refusent tous de se prononcer sur la moralité ou immoralité de l’onanisme conjugal (Infra, 1. II, ch. x, § 2). — Quant au P. Liberatore, son principal argument contre Malthus est d’opposer la supériorité de reproduction des animaux et des végétaux, d’où il résulte pour l’homme une abondance croissante de nourriture, de vêtements, etc. « La reproduction de l’homme, dit-il, est susceptible de s’accroître sans limites… mais dans le temps nécessaire pour qu’elle arrive à doubler, celle des végétaux et des animaux, sagement encouragée par le travail de l’homme, peut non seulement doubler, mais tripler » ; et il cite à l’appui ce passage de Sismondi (Nouveaux principes d’économie politique, 1. VII, ch. iii, t. II, p. 271) :« Abstraitement parlant, la multiplication des végétaux suit une proportion géométrique infiniment plus rapide que celle des animaux ; et celle-ci est, à son tour, infiniment plus rapide que celle des hommes… mais il faut que la nourriture ne manque pas au blé : c’est tout comme pour l’homme. » Seulement Sismondi y ajoutait dès conclusions tout à fait néo-malthusiennes (l’homme est le seul être dont la reproduction soit libre au lieu d’être purement instinctive), tandis que les conclusions du P. Liberatore restent opposées à celles de Malthus, parce qu’il fait systématiquement abstraction de la notion d’espace, sans laquelle, cependant, on ne conçoit ni hommes, ni plantes, ni animaux. — Dans Population and capital, Rickards, professeur à Oxford, a aussi critiqué Malthus sur cette fécondité des végétaux plus grande que celle des hommes : mais Cairnes y a répondu et sans peine (Cairnes, Caractère et méthode logique de l’économie politique, tr. fr., 1902, pp. 191 et s.).
  28. Du Pape, 1. III, ch, iii, § 3, éd. de 1857, pp.364-366. — Pour le jugement porté sur Malthus, voyez nos Éléments d’économie politique, 2e édit., pp. 603, 616-617. — Joseph de Maistre avait particulièrement l’avantage de trouver dans Malthus ; protestant et même pasteur, une justification de la moralité et de la nécessité du célibat, des prêtres et des religieux et religieuses, toutes choses que Diderot et un certain nombre d’encyclopédistes avaient combattues. — Il suffit même de consulter Montesquieu (Esprit des lois, 1. XXIII, ch. xxi, édit de 1788, pp. 304 et 316-318) et de voir son admiration des lois caducaires, son mépris du célibat chrétien, pour apprécier les idées qui tendaient dès lors à dominer dans le monde philosophique.
  29. Op. cit., 1. V, ch. vi, §§ 1118, 1120, 1122 et 1123 (tr. fr., t. II, pp. 507-509) 1875 : « L’accroissement démesuré de la population, dit le P. Taparelli, est un véritable fléau pour l’honnêteté comme pour l’aisance publique… La société catholique est la seule qui soit capable de résoudre cette grave et délicate question : opposer une barrière à l’accroissement excessif de la population, sans diminuer la félicité sociale, sans entraver les mariages, sans ouvrir la voie au crime et même en facilitant les unions et leur fécondité », parce que « le législateur du christianisme…a rendu la continence vénérable par les éloges qu’il lui a prodigués, possible par sa grâce, et facile par les institutions qui existent dans son Église. » — Voyez pour plus de détails nos Éléments d’économie politique, 2e éd., p. 617. — Comparez aussi Charles Périn, De la richesse dans les sociétés chrétiennes, 1. IV, ch. i et iv et particulièrement t. I, p. 541 ; — de Metz-Noblat, Lois économiques, ch. xxii.
  30. De Villeneuve-Bargemont, Économie politique chrétienne, 1. I, ch. v.
  31. Sismondi, Nouveaux principes d’économie politique, 1. VII, ch. v, t. II, pp. 292 et s. ; et ch. vi, p. 308.
  32. Sur Weinhold, voyez Roscher, Grundlagen der Nationakekonomie, § 258, note 13 (2e édit., 1857, p. 524).
  33. Sur Marcus, qui était, paraît-il, un « philosophe chartiste », voyez Thonissen, le Socialisme depuis l’antiquité, 1852, t. II, p. 240.
  34. The law of population : its consequences and its bearing upon human conduct and morals, by Annie Besant. — En trois ans, dit l’auteur, soixante mille exemplaires de cette immonde publication s’étaient écoulés en langue anglaise, sans parler des traductions. — M. Paul Leroy-Beaulieu a de bonnes pages sur les néo-malthusiens (Traité théorique et pratique d’économie politique, 2e éd., t. IV, pp. 518 et s.).
  35. Auteur de An inquiry into the principles of the distribution of wealth most conducive to human happiness, 1824, et de Practical directions for the speedy and economical establishment of communities on the principles of mutual cooperation, 1830. — Sur Thompson, voyez le Handbuch des Socialismus de Stegmann et Hugo, qui fait grand cas de lui, pp. 797 et s., et pp. 68 et s. — Voyez le chapitre que M. Denis lui consacre dans son Histoire des systèmes économistes et socialistes, t. II, IIe époque, ch. vii, et particulièrement § 5.— Thompson disait déjà : « La tendance à la multiplication de l’espèce accompagne certainement l’accroissement du bien-être, mais la tendance à la multiplication imprévoyante a certainement diminué » (Cité par Denis, p. 530).
  36. Carey, The past, the present, the future, 1818, ch. ii, « Man and food », et Principes de science sociale.