Histoire des Vampires/I/Chapitre VII

CHAPITRE VII.

Des incubes et succubes. — Histoire de Pierron, de Boucher, de Thibaud de la Jacquière. — Aventure de la fille d’un prêtre de Bonn. — Aventure d’une jeune Anglaise. — Le cauchemar.

Les anciens et les modernes ont entendu par incubes et succubes des spectres et des démons qui viennent coucher avec les mortels, et partager leurs caresses. Les succubes, sous des formes de femmes, s’attachent aux hommes ; les incubes sous des formes d’hommes s’adressent aux dames. Ces sortes de fantômes tiennent au sujet que nous traitons, puisqu’ils se présentent avec un corps matériel et sensible, et que souvent il ne caressent que pour étouffer.

On ferait d’énormes volumes sur les épouvantables histoires des incubes et des succubes ; nous nous contenterons de citer les plus célèbres.

Nicolas Remy rapporte, dans sa Démonolatrie, qu’un berger lorrain, nommé Pierron, homme marié, et qui avait même un jeune garçon de huit à dix ans, conçut un violent amour pour une fille de son village. Un jour qu’il songeait à cette fille, elle lui apparut, ou plutôt un démon sous sa figure. Pierron lui avoue son amour : elle veut bien y répondre, mais à condition qu’il lui sera soumis en toutes choses. Le berger y consent, et prend ses plaisirs avec le spectre.

Quelque temps après la prétendue fille donne au fils du berger une pomme qui l’empoisonne. Pendant que le père et la mère s’abandonnent au désespoir sur la mort de leur enfant unique, la fille infernale paraît, et dit : « Si tu veux m’adorer, je te rendrai ton enfant. » Le paysan se met à genoux, et son fils se ranime. Il vécut ainsi pendant une année ; mais au bout de ce temps la fille quitta le pays ; le jeune homme remourut, et on l’enterra sans cérémonie dans un champ écarté.

Ambroise Paré raconte dans son livre des Monstres, chap. XXVIII, qu’un valet, nommé Boucher, étant profondément plongé dans des pensées de luxure, un démon ou spectre lui apparut sous la figure d’une belle femme. Il n’eut pas de peine à en obtenir les plus précieuses faveurs ; mais incontinent son ventre et ses cuisses s’enflammèrent ; tout son corps s’embrasa, et il mourut misérablement.

Un jeune libertin qui se nommait Thibaud de la Jacquière, était l’amoureux de toutes les femmes. Un démon se présenta à lui sous la figure d’une belle demoiselle : Thibaud profita de l’occasion ; mais tandis qu’elle le serrait dans ses bras, la demoiselle reprit sa forme de diable, ses griffes et ses dents, et étrangla Thibaud.

« Un prêtre de Bonn, nommé Arnold, qui vivait au douzième siècle, avait une fille extrêmement belle. Il veillait sur elle avec le plus grand soin, à cause des chanoines de Bonn, qui en étaient amoureux ; et toutes les fois qu’il sortait il l’enfermait seule dans une petite chambre.

« Un soir qu’elle était enfermée de la sorte un diable ou un esprit l’alla trouver sous la figure d’un beau jeune homme, et se mit à lui faire l’amour. La jeune fille, qui était dans l’âge où le cœur parle avec force, se laissa bientôt séduire, et accorda à l’amoureux démon tout ce qu’il désirait. Il fut constant contre l’ordinaire, et ne manqua pas désormais de venir passer toutes les nuits avec sa belle amie. Enfin elle devint grosse, et d’une manière si visible que force lui fut de l’avouer à son père ; ce qu’elle fit en pleurant à chaudes larmes. Le prêtre, attendri et affligé, n’eut pas de peine à découvrir que sa fille avait été trompée par un incube : c’est pourquoi il l’envoya bien vite de l’autre côté du Rhin pour cacher sa honte, et la soustraire aux recherches de son amant.

« Celui-ci arriva le lendemain, et tout surpris de ne plus revoir sa belle, — Mauvais prêtre, dit-il au père, pourquoi m’as-tu enlevé ma femme ? En disant cela il donna au prêtre un bon coup de poing dans l’estomac, duquel coup de poing le prêtre mourut au bout de trois jours. — on ne sait pas ce que devint le reste de cette histoire édifiante[1]. »

Une jeune anglaise, allant dans un bois à un rendez-vous amoureux, trouva un esprit ou démon sous la forme de l’amant qu’elle cherchait, et lui abandonna ses plus chères faveurs. À son retour, elle se sentit attaquée d’une maladie cruelle, et en accusa son ami, qui se justifia en prouvant un alibi. On soupçonna quelque diablerie, et ces soupçons se confirmèrent lorsqu’on vit, au bout de quelques jours, la pauvre fille mourir toute corrompue, et devenir si pesante que huit hommes purent à peine la mettre en terre.

Une autre jeune fille, grosse du fait du diable, accoucha d’un monstre, le plus vilain qu’on eût jamais vu[2]. Toutes ces histoires sont bien hideuses ; mais l’imagination des théologiens peut-elle s’arrêter !

On ne savait pas encore au 15e siècle ce que c’était que le cauchemar. On en fit un monstre ; c’était un moyen prompt de résoudre la difficulté. Les uns soutinrent que le cauchemar était un spectre (un vrai Vampire) qui pressait le ventre des gens endormis pour les étouffer : les autres prétendirent que c’était un incube qui étranglait les dormeurs en exerçant sur eux sa lubricité. Delrio, qui appelle le cauchemar incubus morbus, dit que c’est un démon dépuceleur.

Chez les anciens toute fille qui perdait ses gants accusait un dieu de sa faiblesse ; dans le christianisme les dieux vieillis furent remplacés par les démons et les fantômes.

  1. M. Collin de Plancy, le Diable peint par lui-même, chap. XX.
  2. Collin du Plancy ; Dictionnaire infernal, au mot Incubes.