Histoire des Vampires/I/Chapitre VI

CHAPITRE VI.

Des spectres et Démons qui donnent la mort. — Spectres de Néocésarée, de l’Égypte, de Constantinople. — Opinions des Musulmans sur la même matière. — De quelques personnes tuées par le Diable. — Histoire de l’Esprit d’Hildesheim.

Ce n’était pas assez d’imaginer les apparitions, de les rendre effrayantes ; l’homme, généralement mauvais, attribua aux esprits et revenans ses qualités méchantes : il avait donné aux fantômes, que sa faiblesse venait de créer, le penchant et le pouvoir de tourmenter les vivans. Les spectres annoncèrent la mort, et bientôt ils l’apportèrent avec eux.

Il est vrai que l’on ne conçoit pas aisément comment un esprit peut donner un coup de pied dans l’épaule d’une jeune fille, ou un coup de poing dans le ventre d’un pauvre homme ; mais il ne faut s’étonner de rien avec les légendaires et les démonomanes. Césaire de Citeaux conte, dans son livre de miracles, qu’un moine ayant passé devant un tableau qui représentait S. Jean-Baptiste, sans le saluer comme la révérence l’ordonne, l’image du saint se détacha de la toile, renversa le moine et l’éventra à coups de pieds.

Puisque les revenans et les spectres se battent sensiblement avec les hommes, sans doute il faut admettre qu’ils apparaissent en corps et en âme comme les Vampires ; autrement le plus subtil théologien ne pourra expliquer leur action. Amphiloque dit, dans la vie de S. Bazile, que le spectre de S. Mercure tua l’empereur Julien : il est vrai que ce fut avec une hallebarde de suisse ; mais encore fallait-il une main pour la porter.

S. Grégoire de Nysse assure que, dans une grande peste qui ravagea la ville de Néocésarée, on vit en plein jour des spectres qui entraient dans les maisons, et y apportaient la mort.

Jean, évêque d’Asie, dit[1] que, pendant la grande peste qui eut lieu sous l’empereur Justinien, on voyait dans des barques d’airain des spectres noirs et sans tête, qui voguaient sur la mer, et s’avançaient vers les lieux où l’épidémie commençait ses ravages. Cette infection ayant dépeuplé une ville d’Égypte, en sorte qu’il n’y restait plus que huit personnes, ces malheureux voulurent se sauver ; mais ils furent arrêtés par les spectres, et partagèrent le sort de tous leurs compatriotes.

Le même évêque Jean raconte aussi que, dans une grande peste qui enlevait à Constantinople quinze à seize mille personnes par jour, on voyait par la ville des démons et des fantômes qui couraient de maison en maison, sous des habits de moine, et qui y apportaient la mort. Ce dernier trait ressemblerait à une épigramme s’il ne nous venait d’un saint évêque qui n’en faisait pas.

Les Musulmans croient aussi que les ombres des méchans peuvent donner la mort. On cite je ne sais quel petit prince qui, ayant tué son père pour avoir ses états, fit mourir encore son fils afin de régner plus paisiblement. Le spectre paternel l’avait épargné ; le fantôme de son fils le poursuivit sans relâche, en lui disant : Je te tuerai comme tu as tué ton père. Le petit despote tomba de cheval, et en mourut[2].

Dans les contrées soumises à Mahomet on admet également des esprits (Fagia ou Fages) qui donnent la mort aux hommes[3]. On voit dans la bibliothèque orientale de d’Herbelot que le sultan Moctadi-Bemvilla, fut tué dans un festin, au milieu de ses femmes, par un de ces esprits malfaisans.

Nous donnons de même aux démons le pouvoir d’étouffer, d’étrangler, d’emporter les vivans. On sait que le diable tua les sept premiers maris de la jeune Sara ; qu’un mauvais ange extermina les premiers nés des Égyptiens ; qu’un autre tua ceux des Hébreux qui murmuraient dans le désert ; qu’un autre ou peut-être le même fit un horrible massacre de l’armée de Sennachérib, etc.

Césaire de Citaux fait l’histoire d’un joueur que le diable emporta après lui avoir gagné tout son argent au trictrac. Gabrielle d’Estrées fut étouffée, et Carlostad étranglé par un mauvais ange : beaucoup d’autres eurent le même sort. On lit dans l’Histoire de la magie en France[4] la terrible aventure du pauvre l’Espèce, qui ayant perdu tout son argent au jeu, se mit à maugréer Dieu et les saints, et dépita souvent la Vierge Marie, mère de Dieu, en disant : En dépit de Dieu et de la pute Marie ! Mais, la nuit venue, un gros et horrible monstre s’approcha du vaisseau où l’impie ronflait, et le mangea. »

Au diocèse d’Hildesheim en Saxe, vers l’an 1132, on vit long-temps un fantôme que les Saxons appelaient l’esprit au Bonnet à cause de sa coiffure. Il s’était logé chez l’évêque, à qui il donnait souvent de sages conseils : il portait aussi de l’eau à la cuisine. Mais ayant été insulté par un marmiton sans qu’on fît droit à ses plaintes, il étouffa ce petit malheureux, et le fit cuire… Dès-lors cet esprit, qui s’était montré si doux, devint si méchant qu’il fallut l’exorciser[5].

  1. Sim. Assemani, Biblioth. orient, t. II, p. 86, cité par D. Calmet, p. 68.
  2. Quelques historiens rapportent qu’à la sortie d’Antioche l’ombre de l’empereur Sévère apparut à Caracalla, et lui dit pendant son sommeil : « Je te tuerai comme tu as tué ton frère. »
  3. Ces esprits sont les mêmes que les anciens ont appelés stryges. On en parlera bientôt.
  4. Par M. Jules Garinet, vol. in-8o. Chez Lecointe et Durey, p.115.
  5. Histoire des Fantômes et des Démons qui se sont montrés parmi les hommes ; par Mme Gabrielle de P., pag. 59., après D. Calmet ; après Trithème.