Histoire des Vampires/I/Chapitre VIII

CHAPITRE VIII.

Amours de Machatès et du Spectre de Philinnion. — Histoire analogue d’une Ressuscitée de la rue Saint-Honoré.

» Un jeune homme de Tralles en Asie, nommé Machatès, entretenait un commerce d’amour avec la belle Philinnion, fille de Démostrate et de Charito, sans que les parens en fussent instruits. Cette jeune fille étant morte à l’insu de son amant, son spectre continua de venir passer la nuit avec lui ; et, voulant sans doute resserrer les liens d’un amour que la tombe aurait dû éteindre, elle lui donna un anneau d’or qu’elle avait au doigt, et une bandelette de lin qui lui couvrait l’estomac ; elle reçut en retour de Machatès un anneau de fer et une coupe dorée.

» Un soir cependant quelqu’un, ayant aperçu Philinnion auprès de Machatès, courut en donner avis à sa famille. Les parens, qui avaient assisté aux funérailles de leur fille, ne purent croire d’abord ce qu’on leur racontait ; mais, étant entrés pendant la nuit dans le logis de Machatès, ils reconnurent Philinnion et coururent à elle pour l’embrasser. « Arrêtez, s’écria-t-elle ; pourquoi m’ôtez-vous mon bonheur ?… » En même temps le spectre tomba inanimé sur le lit.

» On alla visiter le tombeau où Philinnion avait été mise : on n’y trouva que l’anneau de fer et la coupe dorée que lui avait donnés son amant. On l’enterra donc une seconde fois ; et Machatès, épouvanté d’avoir couché avec un spectre, se donna la mort[1]. »

On lit dans le tome VIII des Causes célèbres une anecdote qui peut en expliquer plusieurs autres. Un marchand de la rue Saint-Honoré, à Paris, avait promis sa fille à un de ses amis, marchand comme lui dans la même rue ; mais un financier étant devenu amoureux de la jeune fille, le père le préféra : le mariage se fit.

Peu de temps après les noces la jeune épouse tomba malade ; et, comme ont la crut morte, on l’ensevelit, et on l’enterra. Son premier amant, pensant qu’elle n’était peut-être qu’en léthargie, la fit tirer de terre pendant la nuit : il eut le bonheur de la trouver vivante ; on la fit revenir et il l’épousa. Ils passèrent en Angleterre, et y vécurent heureux et tranquilles.

Au bout de dix ans ils revinrent à Paris, et le premier mari, ayant reconnu sa femme dans une promenade, la réclama en justice. Ce fut la matière d’un grand procès : la jeune femme et son second mari se défendaient sur ce que la mort avait rompu les liens du premier mariage ; ils reprochaient aussi au financier d’avoir trop précipitamment fait enterrer sa femme. Néanmoins, comme ils prévoyaient qu’ils pourraient succomber, ils se retirèrent de nouveau dans une terre étrangère, où ils finirent leurs jours en paix.

« Qui nous dira, ajoute D. Calmet, que dans l’histoire de Phlégon la jeune Philinnion ne fut pas mise ainsi dans un caveau, sans être bien morte, et que toutes les nuits elle ne vint voir naturellement son amant Machatès ? » Son retour dut être d’autant plus facile qu’elle n’était ni ensevelie, ni enterrée.

  1. Histoire des Fantômes et des Démons qui se sont montrés parmi les hommes, p. 99, après Phlégon. On trouve, dans les Contes noirs de M. Saint-Albin, une histoire populaire semblable à celle qu’on vient de lire (le Spectre de Soissons). Tous ces traits prodigieux sont expliqués assez naturellement dans une nouvelle du même livre intitulée la belle Julie, t. I.