Histoire des Vampires/I/Chapitre IV

CHAPITRE IV.

Des spectres malfaisans. — De l’Empuse ou Démon de midi. — Histoire d’un Fantôme du diocèse de Mayence, et d’un Revenant du Pérou.

Les peuples ignorans ont toujours redouté des esprits malins et des fantômes portés à nuire. Debonnair dit, dans son histoire de France, que quand les Huns vinrent attaquer Chérebert ou Caribert, notre huitième roi, ces barbares amenèrent avec eux un renfort redoutable, composé des spectres de leurs ancêtres, contre qui les Français furent obligés de se battre. Une vieille chronique ajoute que ces spectres, dans le combat, prenaient les vivans à la gorge, et les étouffaient. Cependant les Français remportèrent la victoire.

Pendant que Charles-le-Chauve assiégeait Angers, des esprits malins, sous des formes de sauterelles de la grosseur du pouce, assaillirent l’armée française : on ne se débarrassa de ces ennemis d’un nouveau genre que par les exorcismes qui les envoyèrent à la mer[1]. Ce trait tient moins directement que le premier à l’histoire des Vampires ; mais, quoique sous des figures de sauterelles, ce sont toujours des esprits malfaisans, contre lesquels il faut procéder par des formes extraordinaires.

Thomas Barthelin assure que les anciens Danois se battaient fréquemment avec les spectres, dont leur pays était infesté ; et les écrivains de nos temps barbares font mille histoires des esprits malins qui tourmentent les gens du Nord.

On voit dans Théocrite que les anciens bergers craignaient extrêmement le démon de midi. Sous une forme d’homme, ce démon était Pan : avec une figure de femme, il se nommait Empuse. Aristophane, dans sa comédie des grenouilles, représente l’Empuse comme un spectre horrible, qui prend diverses formes, de chien, de femme, de bœuf, de vipère, etc. qui a le regard atroce, un pied d’airain, une flamme autour de la tête, et qui ne cherche qu’à faire du mal.

Les paysans grecs et russes, qui ont conservé les idées populaires attachées à ce monstre, tremblent au temps des foins et des moissons à la seule pensée du démon de midi, qui, dit-on, rompt bras et jambes aux faucheurs et aux moissonneurs s’ils ne se jettent la face en terre lorsqu’ils l’aperçoivent.

On lit dans la vie de S Grégoire de Néocésarée qu’un diacre de cet évêque, étant entré un soir dans un certain bois, où tous ceux qui se montraient étaient mis à mort, y vit une foule de spectres de toute sorte, dont il ne se délivra que par des signes de croix.

Le grave Mélanchton lui-même raconte que sa tante fut estropiée par un attouchement perfide du spectre de son défunt époux, qui, en lui serrant la main, la lui brûla.

La chronique de Sigebert donne comme un fait certain qu’en l’an 858 il apparut, dans un village du diocèse de Mayence, un fantôme malfaisant, qui battait les voisins, et troublait la paix des ménages par des révélations indiscrètes : il mettait le feu aux cabanes, ce qui était beaucoup plus sérieux, et brûlait les moissons. On voulut l’exorciser ; mais il répondait par des grêles de pierres aux prêtres qui lui jetaient de l’eau bénite, et, comme on en venait aux grands moyens, il se glissa sous la chape d’un prêtre, qu’il fit fuir en lui reprochant d’avoir corrompu des filles : enfin ce fantôme ne quitta le village que quand il l’eut tout brûlé…

D. Calmet raconte, d’après les annales de la société de Jésus, la triste aventure d’une jeune servante du Pérou, à qui un esprit donna un coup de pied dans l’épaule pendant qu’elle dormait. L’amant de cette fille fut tiré de son lit par le même fantôme. Un pot à beurre et un crucifix, qui se trouvaient dans la cuisine, furent brisés en mille pièces. On reconnut que tout ce désordre était l’ouvrage d’une jeune fille de seize ans, morte sans absolution.

  1. Histoire de la Magie en France, par M. Jules Garinet, p. 13 et 48.