Histoire des Trois Royaumes/VI, VI
CHAPITRE VI.
[ Règne de Hiao-Hien-Ty. Année 220 de J.-C. ] Le jeune conquérant venait d’expirer ; son frère Sun-Kuen s’étant précipité avec des sanglots devant sa couche, Tchang-Tchao lui dit : « Seigneur, ce n’est pas la le moment de pleurer ! Jadis, les lois établies par Tchéou-Kong à l’occasion de l’élévation au trône, son fils Pé-Kin ne les observa pas[1] ; non qu’il voulût désobéir à son père, mais les circonstances le forçaient à se départir des rites. Aujourd’hui, l’Empire ne jouit point d’une tranquillité parfaite ; craignez, en vous occupant trop des cérémonies funèbres, de perdre le fruit des travaux de ceux qui vous ont précédé. De plus encore, voici que de toutes parts se lèvent des ambitieux et des turbulents ; les chakals et les loups remplissent les routes. Si on s’arrête, dans sa tendresse pour un défunt, à pratiquer tous les rites, autant vaut ouvrir sa porte et saluer respectueusement le voleur qui entre ; ce qui, assurément, ne serait plus de l’humanité ! »
Après ce discours, Tchang-Tchao confia le soin des cérémonies funèbres à Sun-Tsing[2], et fit changer d’habits à Sun-Kuen, qui montant à cheval, sortit avec lui pour aller délibérer sur la prochaine campagne.
Le nouveau prince avait le visage carré, la bouche grande, les yeux noirs, la barbe un peu rouge. Jadis, Liéou-Wan, ambassadeur des Han, étant venu dans ce royaume de Ou, s’était écrié en regardant l’un après l’autre ces cinq frères : « Si je considère attentivement cette famille, tous ces jeunes gens me semblent doués des plus heureuses dispositions ; il ne leur manque rien du côté de la fortune ; mais sur le visage de Sun-Kuen je lis quelque chose d’extraordinaire, de particulièrement majestueux. Son physique a je ne sais quoi qui dénote l’homme supérieur ; une grande destinée l’attend. Aucun des autres ne jouira comme lui d’une vie longue et prospère ! »
Ce n’était pas sans une grande inquiétude que Sun-Kuen se voyait à la tête de ce royaume (fondé par son frère) à l’est du fleuve Kiang ; toutefois, il se sentit rassuré quand on lui apprit le retour de Tchéou-Yu (intendant en chef des troupes), qui revenait avec son armée. Ce général occupait avec ses forces la ville de Pa-Kiu ; averti que Sun-Tsé avait été blessé d’une flèche, il s’était mis en marche pour accourir vers lui. A peine mettait-il le pied sur le district de Ou[3], qu’on lui annonça la mort de son jeune maître. Marchant en pleine nuit, il vint se prosterner devant le cercueil, et la veuve de Sun-Tsé lui fit part des dernières volontés de son mari : « Hélas, répondit le fidèle général, comment oserais-je me charger du pesant fardeau qu’il m’a imposé ? — Désormais, répliqua-t-elle, c’est sur vous que repose le soin des affaires dans ces provinces. De grâce, gardez au fond de votre cœur les paroles que mon mari vous adresse (par ma bouche) ; Sun-Kuen pourra élever les siens et agrandir sa puissance ! »
Tchéou-Yu se prosternant à terre, jura de se dévouer avec zèle aux intérêts de la famille ; et frappant le sol de son front devant Sun-Kuen, qui le salua d’une façon respectueuse, et le supplia aussi de graver dans son âme les paroles pressantes du mourant ; il ajouta : « Je voudrais[4] donner ma vie pour témoigner la reconnaissance qui m’anime ! »
« Ce royaume qu’ont fondé mon père et mon frère aîné, reprit Sun-Kuen, comment le mettrai-je à l’abri des périls qui le menacent ? — Aujourd’hui, dit Tchéou-Yu, on voit de toutes parts des héros, des personnes supérieures qui se distinguent. Celui qui gagne à soi les hommes, réussira ; celui qui se les aliène, périra ! Appelez à vous, sans plus tarder, les sages à l’esprit profond, les gens habiles qui voient loin, pour en faire vos ministres, vos soutiens, et le royaume de Ou s’affermira.»
« Mon frère m’a dit : Pour les affaires du dedans, rapportez-vous à Tchang-Tsé-Pou ; pour les affaires du dehors, prenez conseil en toute occasion de Tchéou-Yu ! »
« Tchang-Tsé-Pou est un homme vertueux qui entend les affaires, répondit le général ; regardez-le comme le maître dont vous devez écouter les avis, et vénérez-le de même. Quant à moi, je suis sans talents, et je craindrais de trop mal m’acquitter des hautes fonctions qui me sont dévolues. Permettez-moi donc de vous recommander un personnage capable de vous aider à gouverner…. — Quel est-il ? — C’est un homme qui sait par cœur le San-Liéao et le Lou-Tao[5], un conseiller fertile en ressources et en stratagèmes. Privé de son père depuis son enfance, il se montre plein de piété filiale envers sa mère. Il possédait de grands biens ; mais ses richesses, il les a distribuées aux pauvres pour soulager leurs besoins. Quand j’étais gouverneur de Kuu-Tchao, passant un jour avec une centaine de soldats près de chez lui, je me trouvai sans vivres. J’allai lui en demander ; dans sa maison il avait alors deux greniers renfermant chacun trois mille mesures de grains. Au même instant, il en mit un à ma disposition[6]. Dès son bas âge, cet homme s’est exercé au maniement du sabre et au tir de l’arc à cheval ; il habitait le village de Kuu-Hou, mais son aïeule étant morte, il est allé l’enterrer a Tong-Tching où il réside maintenant. Liéou-Tsé-Yang[7], son ami intime, l’a plusieurs fois prié de venir près de lui dans sa ville de Tchao-Hou, mais sans pouvoir l’y attirer. Seigneur, il convient de faire des propositions à ce personnage, né à Lin-Hoay-Tong, et qui se nomme Lou-Sou (son surnom honorifique Tsé-King.)
Ce fut Tchéou-Yu lui-même que le nouveau roi de Ou chargea de se rendre près de Lou-Sou. Quand ce dernier eut entendu les explications que lui donnait le général, il répondit : « Liéou-Tsé-Yang m’a invité à me rendre près de lui, je veux répondre à son appel. — Jadis, répliqua Tchéou-Yu, Ma-Youen[8] alla trouver l’Empereur Kwang-Wou(dans une circonstance analogue) : de nos jours, ce ne sont guère les princes qui choisissent leurs serviteurs, mais les serviteurs qui choisissent leur maître. Or, Sun-Kuen, mon maître, veut s’entourer de gens de bien ; il veut employer les hommes capables, élever aux honneurs ceux qui paraissent dignes d’être distingués. J’ai déjà entendu dire à des personnes prudentes, que certainement le pouvoir légué par le ciel à la famille des Liéou[9], pendant une longue suite de générations, allait passer dans les provinces du sud-est de l’Empire. Suivre pas à pas les événements, étudier les vicissitudes de la fortune, c’est se conformer aux changements que décide le ciel. (Celui qui se met d’accord avec les desseins d’en-haut, arrive à la fin à posséder l’Empire). Ainsi le sage plein de mérite, imitant le dragon et le phénix, trouve le moment où il s’élèvera avec gloire et majesté. Vous donc, ne songez plus à ce que vous a dit Liéou-Tsé-Yang ! »
Décidé par ce discours, Lou-Sou se laissa conduire près de Sun-Kuen, qui le reçut avec de grands égards et resta jusqu’au soir à converser avec lui sans se lasser. Un jour, après le repas, tous les convives s’étant retirés, Sun-Kuen garda Lou — Sou à boire en sa compagnie ; ils se couchèrent côte à côte, et après avoir sommeillé jusque vers minuit, Sun-Kuen dit à son confident : « Voici que la dynastie des Han est sur le bord d’un abîme ; de toutes parts la tempête se montre menaçante. Ce pouvoir que mon père et mon frère aîné m’ont transmis, je voudrais l’affermir à l’exemple de Hiuen-Kong et de Wen-Kong[10]. Vous, sur qui je compte pour m’aider, que me conseillez-vous de faire ? »
« Autrefois, répliqua Lou-Sou, le fondateur de la dynastie des Han voulait très sincèrement reconnaître et honorer l’Empereur Y-Ty[11] ; la tyrannie de Hiang-Yu fut ce qui l’en empêcha. Aujourd’hui Tsao-Tsao peut être comparé à Hiang-Yu[12] ; de votre côté, seigneur, pourquoi vous borneriez-vous à aspirer au rôle de chef des vassaux comme Hiuen-Kong et Wen-Kong ? Si je ne me trompe, il ne peut plus y avoir de restauration de la famille des Han ; mais Tsao est aussi impossible à abattre. Que vous reste-t-il donc à faire ? Une seule chose ; vous établir fortement à l’est du Kiang pour être prêt à profiter des circonstances. Si vous prenez ce parti, rien ne s’opposera à la réussite de vos projets. Dans le nord, vous le savez, les ennemis sont nombreux ; mais vous avez de moins à compter Hwang-Tsou qui vient d’être battu. Détruisez donc d’abord Liéou-Piao, rendez-vous maître de tous les pays traversés par les eaux profondes du Kiang, et la, affermissez-vous. Plus tard, vous prendrez ouvertement le titre d’Empereur, et soumettant à vos lois la terre entière, vous fonderez, comme jadis Liéou-Pang, une dynastie ! »
« Pour l’instant, répartit Sun-Kuen, mon ambition se borne à secourir l’Empereur (contre Tsao) ; voilà ce que mes forces me permettent, et vos vues sont bien au-dessus de mes propres desseins. »
« Les anciens disaient : Chacun peut prendre modèle sur les saints Empereurs Yao et Chun. Quant à vous, seigneur, je crains que vous ne portiez pas vos regards aussi haut ! »
À ces paroles du conseiller, Sun-Kuen, transporté de joie, rajusta ses habits[13] et dit en se levant avec respect : « J’accepte les enseignements d’un sage à l’esprit si profond, car ils me conduiront, je l’espère, à la gloire et à la fortune ! » Depuis lors, plein de confiance en Lou-Sou, il fit donner à sa vieille mère des vêtements de cour et des ameublements.
Introduit à la capitale du royaume de Ou par Tchéou-Yun, Lou-Sou recommanda à son tour un homme qui s’était retiré dans la contrée[14] pour fuir les troubles. On l’appelait Tchou-Kou-Kin (son surnom honorifique Tsé-Yu) ; versé dans l’étude de Tchun-Tsiéou de Confucius, il rendait à sa mère tous les devoirs de la piété filiale. Sun-Kuen l’accueillit avec de grands égards, le traita en hôte de distinction et reçut de lui ce conseil : « Ne vous unissez point à Youen-Chao, mais soumettez-vous momentanément au ministre des Han, afin de réaliser plus tard vos espérances. »
Décidé à suivre cet avis, Sun-Kuen renvoya immédiatement (vers Youen-Chao) l’émissaire Tchin-Tchen[15] avec une réponse. Or, Tsao-Tsao, instruit de la mort de Sun-Tsé, se disposait à envahir les provinces soumises par le jeune conquérant. L’envoyé de celui-ci, Tchang-Hong l’en détourna : « Profiter de ce qu’un homme est dans le deuil pour fondre sur lui, disait-il[16], ce n’est point la suivre les préceptes de justice légués par les anciens. En pareil cas, si on échoue dans son entreprise, on n’a fait que troubler l’harmonie pour se créer une inimitié terrible. Le mieux est donc d’attendre et de bien traiter le successeur de Sun-Tsé ! » Tsao suivit ce conseil ; il se hâta de nommer Sun-Kuen général et gouverneur de Hoay-Ky ; puis accordant à ce mandarin (Tchang-Hong) le grade de gouverneur civil du même district, il l’envoya porter au jeune prince le sceau de sa nouvelle dignité.
Heureux de voir Tchang-Hong revenu, Sun-Kuen le chargea, ainsi que Tchang-Tchao, de reprendre la direction des affaires. Le premier de ces deux mandarins recommanda Kou-Yong (son surnom Youen-Tan), natif du pays de Ou, ancien magistrat de Hou-Fey, qui résidait alors à Chang-Yu ; il était disciple de Tsay-Pé-Kiay, officier supérieur à la cour des Han, parlait peu, buvait moins encore et se faisait remarquer par la droiture de son âme autant que par l’aspect imposant de sa personne. Sun-Kuen fit de lui l’un de ses ministres, et le gouverneur de ses provinces. Ainsi s’accroissait sa puissance sur la rive orientale de Kiang : il avait tout à fait conquis l’affection du peuple.
Cependant, retourné près de Youen-Chao son maître, (avec une lettre), Tchin-Tchen lui apprit la mort de Sun-Tsé et quelles faveurs le tout puissant ministre des Han venait d’accorder à Sun-Kuen. Youen-Chao transporté de colère se mit en devoir d’attaquer la capitale avec cinq cents mille hommes rassemblés dans les quatre provinces de Ky, de Tsing, de Yéou et de Ping, qui lui obéissaient.
II[17].
« Seigneur, dit le conseiller Tien-Fong à Youen-Chao (qui s’avançait déjà vers Kouan-Tou), contentez-vous de mettre toutes vos places en bon état de défense et attendez ainsi les événements que le ciel fera naître ! Si vous entrez en campagne, soyez-en sûr, vous attirerez sur vous de grands malheurs !... — Quoi, interrompit le général Fong-Ky, notre maître n’a pas encore fait marcher ses loyaux soldats, et déjà ce conseiller prononce des paroles de blâme ! » Youen-Chao indigné voulait qu’on décapitât le ( trop fidèle) mandarin ; cédant aux représentations des grands qui l’entouraient, il se borna à le faire jeter en prison, la cangue au cou, « attendant, disait-il, qu’il en eût fini avec Tsao, pour punir le coupable d’une façon éclatante. » Puis, il donna l’ordre aux troupes d’avancer. Instruit de l’approche de cette armée, Hia-Héou-Tun (chargé de défendre la frontière), en donna avis à Tsao.
Aussitôt le premier ministre confia à Sun-Yo la défense de la capitale, et se dirigea vers cette même ville de Kouan-Tou, au-devant de l’ennemi, emmenant à sa suite soixante-dix mille hommes, ainsi que tous les mandarins civils et militaires. De son côté la grande armée de Youen-Chao marchait aussi, couvrant la plaine de ses étendards, faisant étinceler une forêt de cimeterres et de piques. Les deux corps de l’avant et de l’arrière-garde formaient une masse de sept cent cinquante mille hommes qui vinrent camper à Yang-Wou ; l’ensemble des tentes occupait une étendue de trois lieues ; à cette nouvelle, l’effroi se répandit dans l’armée de Tsao-Tsao.
Avant qu’on ne livrât bataille, Tsou-Chéou dit à Youen-Chao : « Les gens du nord sont bien nombreux, mais ils n’égalent pas en valeur les troupes du midi. Les troupes du midi sont pleines d’expérience dans la guerre, mais elles n’ont pas des provisions en aussi grande abondance que celles du nord. Or, puisque l’armée du midi manque de vivres, son avantage est d’engager le combat sans plus tarder. L’armée du nord a donc sur quoi compter ; elle doit garder son camp ; il lui suffit, et elle peut le faire, de leurrer pendant des mois les troupes venues du midi, pour que celles-ci soient vaincues sans combattre[18]. »
« Tien-Fong jetait le découragement dans le cœur de mes soldats, et je l’ai fait mettre en prison, répliqua Youen-Chao avec colère ; à mon retour, il peut s’attendre à mourir.... Et vous osez parler de la sorte ?... Gardes, entraînez-le ! Quand j’aurai vaincu Tsao je ferai tomber sa tête avec celle de son collègue ! » Dans le camp de Tsao, le conseil était assemblé aussi ; Sun-Yéou disait : « Cette armée du nord, toute nombreuse qu’elle se montre, ne doit pas nous faire peur. Dans notre armée du midi, chaque soldat est un héros qui en vaut dix de ceux qu’il vient combattre. Notre avantage est d’attaquer au plus vite ; car si nous laissons passer les jours et les semaines, les vivres venant à manquer, nos troupes se disperseront. » Ces paroles s’accordaient avec la pensée de Tsao ; il les approuva et donna le signal de l’attaque ; une moitié de l’armée ennemie se présenta pour combattre. Des deux côtés les troupes sont rangées en lignes. Dix mille archers dirigés par Chen-Pey (lieutenant de Youen-Chao), vont s’embusquer sur les deux ailes ; et cinq mille arbalétriers restent cachés dans l’intérieur du camp ; ils attendent pour agir que le canon leur donne le signal. Trois fois le tambour a retenti. Coiffé du casque d’or, couvert de la cuirasse de même métal, vêtu de la tunique de brocard et portant la ceinture de jade, Youen-Chao paraît a cheval, en tête des rangs. A ses côtés se montrent les généraux de première classe, Tchang-Hou, Kao-Lan, Han-Mang, Chun-Yu-Kiong et d’autres ; les étendards de diverses formes[19], la hache (insigne du pouvoir royal) sont disposés avec soin autour de lui ; il appelle Tsao-Tsao à haute voix en le priant de répondre. Dans l’armée opposée, les bannières[20] s’écartent et livrent passage à Tsao qui sort à cheval entre une double haie de généraux, tous armés, tous montés sur leurs chevaux, qu’ils arrêtent afin de prêter l’oreille au dialogue qui se prépare.
Tsao montre le chef ennemi avec son fouet en disant : « Naguère, j’ai obtenu pour toi de l’Empereur le grade de général de première classe, d’inspecteur suprême de tous les districts situés au-delà des monts ! Pourquoi donc lèves-tu de nouveau l’étendard de la révolte ? — Ah ! répliqua Youen-Chao d’un accent de colère, tu portes effrontément le titre de ministre des Han, mais en vérité, tu es le fléau de la dynastie dont tu usurpes le pouvoir ! Tes crimes, tes mauvaises actions remplissent le ciel ; tu n’es qu’un Wang-Mang, un Tong-Tcho[21] ; et tu oses accuser quelqu’un de rebellion ! »
« J’ai reçu de l’Empereur l’ordre de te châtier ! »
« Et moi, j’ai aussi reçu de l’Empereur un ordre particulier qui m’enjoint d’exterminer les traîtres, ennemis de la majesté souveraine... »
À ces mots, Tsao exaspéré lance contre un des généraux ennemis son lieutenant Tchang-Liéao ; les deux champions luttent longtemps avec des forces égales, et bientôt deux autres chefs se sont précipités hors des lignes. Pendant ce double duel, Hia-Héou-Tun et Tsao-Hong, sortis du camp sur l’ordre du ministre, chacun avec mille hommes, se jettent au travers de l’armée ennemie. C’est alors que Chen-Pey qui se tenait sur la tour aux signaux[22], voyant cette manœuvre, donna le signal convenu. D’une part les arbalétriers, de l’autre les archers assaillirent avec violence les troupes de Tsao et les mirent en pleine déroute ; poursuivis dans leur retraite, les fuyards furent forcés de se replier sur Kouan-Tou[23] : aussitôt Youen-Chao à la tête de son armée s’approcha de ce lieu et y dressa son camp.
« Maintenant, dit Chen-Pey, établissons dix mille hommes en ce lieu pour le tenir en état de défense, puis fermons le camp de Tsao avec une montagne de terre rapportée, d’où nos gens puissent le dominer et l’accabler de projectiles. Tsao sera très certainement obligé d’évacuer cette position (pour se porter de l’autre côté des montagnes) ; et nous, une fois maîtres des défilés, des passages, nous enlèverons la capitale. » Youen-Chao adoptant ce conseil, chargea ses plus vigoureux soldats d’élever des montagnes qui, dans un espace de plusieurs lieues, cernassent le camp de Tsao. Appuyée d’un côté sur le fleuve, adossée aux monts qui ne présentent que des gorges étroites, l’armée du premier ministre ne savait trop par où se choisir un chemin. Aussi voyant cette colline se former autour de son camp, Tsao envoya-t-il deux de ses lieutenants contre l’ennemi, pour qu’ils s’ouvrissent un passage ; mais les archers de Chen-Pey embusqués au point le plus difficile du défilé les repoussèrent.
Dix jours s’écoulèrent, durant lesquels une cinquantaine de montagnes artificielles furent élevées ; sur ces tertres se dressèrent des tours volantes[24], que garnit bientôt la moitié des archers. Les traits pleuvaient par torrents du haut de ces tours ; les soldats de Tsao épouvantés au dernier point se couchaient sous leurs boucliers pour éviter ces coups. Chaque fois que le gong retentissait, des nuées de flèches tombaient dans le camp de Tsao, et ses gens blottis sous leurs pavois se couchaient à terre ; ce qui provoquait les cris joyeux et les rires bruyants de l’ennemi.
Enfin, Tsao, voyant ses troupes démoralisées, pria ses conseillers de lui indiquer un moyen de sortir de ce mauvais pas. L’un d’eux, Liéou-Yé, proposa de construire des chars à lancer des[25] pierres ; il fut immédiatement chargé de ce soin. Dans la même nuit, une centaine de ces machines furent établies ; et on les plaça vis-à-vis de chacune des tours ; ainsi, quand les traits partaient d’en-haut, les assiégés amenaient leurs chars et les faisaient jouer à l’envi. De gros blocs de pierres lancés par les engins volaient dans les airs et frappaient les tours de bois, de sorte que les archers et les arbalétriers perchés sur ces machines, n’ayant point où s’abriter, recevaient en grand nombre le coup de la mort. « Ces instruments terribles sont véritablement la foudre[26] », disaient les soldats du nord ; et ils n’osaient plus monter sur leurs tours pour assaillir les assiégés.
Dès lors Chen-Pey eut recours a un autre stratagème ; ce fut de creuser sous terre un chemin qui pût aboutir au milieu du camp de Tsao. L’ouvrage tirait à sa fin quand les soldats de ce dernier s’aperçurent du péril et l’en avertirent. Liéou-Yé que Tsao consulta encore, répondit : « Les gens du nord se sentent dans l’impossibilité de nous détruire au grand jour, et ils creusent une route souterraine qui les conduira certainement au beau milieu de nos tentes ! — Et quel moyen de les arrêter dans ce travail ? — Faites creuser dans le camp un vaste fossé circulaire ; par là, vous rendrez vains leurs efforts. »
Cette même nuit, le fossé fut terminé ; les mineurs de l’armée ennemie arrivés à cette ouverture ne purent continuer leurs travaux à ciel ouvert ; tout ce qu’ils avaient fait jusque-là se trouva inutile. Ainsi Tsao se maintint à Kouan-Tou ; depuis le commencement du huitième mois jusqu’à la fin du neuvième, Youen-Chao l’y tint bloqué sans reculer d’un pas. Dans l’armée du premier ministre, hommes et chevaux étaient excédés de fatigue ; les vivres et les fourrages manquaient ; il devenait urgent de quitter ce lieu et de retourner à la capitale. Tsao voulait prendre ce parti, mais il hésitait encore, et préféra écrire à Sun-Yo (son conseiller intime) pour lui demander le secours de ses avis. Celui-ci (qui était dans la capitale) répondit par les lignes suivantes :
« Votre excellence a daigné me faire connaître qu’elle ne sait pas si elle doit avancer ou reculer. Voici mon humble pensée : Youen-Chao a réuni dans ce lieu de Kouan-Tou l’ensemble des forces dont il dispose ; il veut jouer avec votre excellence une partie décisive. Votre excellence avec très peu de monde est en face d’un ennemi extrêmement fort ; si elle ne peut se tenir sur la défensive et résister, au moins il lui reste le hasard... Sur la terre il se présente de grandes vicissitudes ! D’ailleurs, Youen-Chao n’est qu’un héros de parade[27] ; il peut réunir ses armées, mais il lui manque le talent d’en tirer parti. Votre excellence a, de plus que lui, une valeur surnaturelle,
une prudence qui devine tout ; de plus elle a pour elle la bonne cause ; n’est-ce pas assez pour faire face à un pareil ennemi ? Voici que vos troupes manquent de vivres, mais elles n’en sont pas encore arrivées à cette extrémité où se trouvèrent réduits jadis, dans les villes de Yong-Yang et de Tching-Kao, les deux compétiteurs à l’Empire, Liéou-Pang et Hiang-Yu[28]. Cependant, c’était à qui ne reculerait pas le premier, car la retraite eût entraîné la perte de celui qui lâchait pied. Ainsi, seigneur, n’eussiez-vous que la dixième partie des forces qui vous menacent, gardez votre position. Vous occupez un défilé, ne reculez pas ; attendez que six mois s’écoulent, examinez les événements qui peuvent survenir. Certainement, dans cette armée qui vous arrête, il y aura des désordres, des changements. Ce sera là le vrai moment d’agir, l’occasion qu’il ne faudra pas laisser échapper... »
« Telle est l’humble pensée de votre serviteur ; excellence, daignez réfléchir à ces paroles. »
Cette réponse causa une grande joie à Tsao ; il recommanda à tous ses officiers de faire les plus grands efforts pour résister sans perdre un pouce de terrain. Sur ces entrefaites Youen-Chao recula d’une ou deux lieues, et un lieutenant de Su-Hwang (nommé Ssé-Houan), ayant pris quelques soldats ennemis, les interrogea sur les mouvements de l’armée du nord. Les prisonniers répondirent : « Notre grand général Han-Mang doit amener un convoi de vivres pour les trois corps ; nous avions été envoyés en avant pour reconnaître si la route était libre. » Su-Hwang amena ces prisonniers à Tsao-Tsao, devant qui ils répétèrent ces mêmes paroles, et Sun-Yéou dit : « Ce Han-Mang est un brave, confiant en sa valeur et téméraire ; envoyons un général avec mille cavaliers pour lui barrer le chemin ; nous pourrions intercepter le convoi, ce qui jetterait[29] le désordre dans le camp de Youen-Chao. »
Il fut décidé que Su-Hwang était l’officier qui convenait pour ce coup de main. Tsao le fit donc partir avec son lieutenant Ssé-Houan ; ils portaient de quoi incendier les chars ennemis ; derrière eux six mille hommes (commandés par Tchang-Liéao et Su-Tchu), se tenaient prêts à leur porter secours. La petite troupe marchait en deux divisions. Or, cette même nuit, Han-Mang amenait à Youen-Chao un convoi de mille chariots chargés de vivres et de fourrages. A travers les gorges des montagnes, se montrèrent les trois mille hommes (aux ordres de Su-Hwang et de Ssé-Houan), prêts à lui disputer le passage. Han-Mang s’élança bravement au galop pour attaquer le premier de ces deux chefs, et tandis que la lutte se prolongeait entre eux, Ssé-Houan dispersant les soldats chargés de défendre le convoi, mit le feu aux chariots qui portaient les fourrages et les grains. Bientôt Han-Mang, hors d’état de résister à son adversaire, tourna bride pour s’enfuir ; Su-Hwang, hâtant la marche des siens, vint achever l’œuvre de destruction et les chariots furent réduits en cendre.
Les soldats de Youen-Chao voyaient dans le nord-ouest les flammes monter au milieu des airs, quand les fuyards arrivèrent pour leur annoncer que le convoi venait d’être enlevé et détruit. Aussitôt deux généraux furent chargés par Youen-Chao d’aller intercepter la grande route ; ils rencontrèrent le chef victorieux qui retournait au camp avec Ssé-Houan, après avoir accompli sa mission ; mais Su-Hwang avait sur ses derrières, pour le soutenir, les deux autres chefs qui, chargeant à la fois, mirent en déroute cette division de l’armée du nord. Ces quatre officiers réunirent leur monde et revinrent ainsi à Kouan-Tou. Transporté de joie, Tsao récompensa les vainqueurs, puis il divisa son armée en deux corps, établissant en dehors des retranchements un autre camp avancé pour s’appuyer sur deux points en même temps[30].
Cependant les vaincus avaient ramené quelques chariots ; Youen-Chao, aveuglé par la colère, voulait mettre à mort Han-Mang ; mais cédant aux supplications de ses officiers, il se borna à lui donner la bastonnade et le fit rentrer dans la classe des soldats. « Les vivres sont ce qu’il y a de plus important dans une armée, dit alors Chen-Pey ; il ne faut donc rien négliger pour s’en procurer. La ville de Ou-Tchao est un lieu d’approvisionnement et qu’il serait urgent de garnir de troupes, afin de le bien défendre. — Mes projets sont arrêtés, répliqua Youen-Chao ; je veux que vous alliez à Nié-Kiun pour y préparer des vivres, et que nos troupes ne restent pas plus longtemps privées de ce qui leur est nécessaire. Ainsi, partez au plus vite. »
« Mais, reprit Chen-Pey, les affaires de cette campagne sont très graves (et nécessitent ma présence ici) ; puis-je les abandonner tout d’un coup ? — Depuis vingt ans je conduis des armées ; y a-t-il donc quelque chose que je ne puisse faire moi-même, dit Youen-Chao ? Vous vous donnez l’importance d’un Siao-Ho[31], et en vérité, vous n’êtes bon à rien ! Ne lassez pas mon indulgence ! » Chen-Pey fut donc obligé de partir. Aussitôt YouenChao envoya un général de première classe, Sun-Yu-Kiong, et son lieutenant Koué-Youen-Tsin, ainsi que d’autres officiers supérieurs[32], garder, avec vingt mille hommes, les blés qui se trouvaient entassés dans la ville de Ou-Tchao. Or, Sun-Yu-Kiong (son surnom honorifique Tchong-Kien), aimait beaucoup à boire ; il était violent dans ses colères et traitait mal les soldats. A peine arrivé à son poste, il se mit à festoyer ; jusqu’au soir, il restait à déguster de bon vin en compagnie de ses officiers.
Pendant ce temps, les vivres s’épuisaient dans l’armée de Tsao-Tsao, qui envoya des émissaires à la capitale (vers Sun-Yo et Jin-Kiun), pour les presser de lui expédier des provisions à marches forcées. A peine hors du camp, ses courriers étant tombés entre les mains de l’ennemi, furent menés devant un conseiller militaire du nom de Hu-Yéou (son surnom honorifique Tsé-Youen). Ce mandarin (né à Nan-Yang) très orgueilleux, toujours avide de s’attirer des présents, avait été dans son enfance ami de Tsao-Tsao ; en ce temps-la, il occupait près de Youen-Chao le rang de conseiller. À peine eut-il en son pouvoir les lettres interceptées, qu’il courut se présenter devant Youen-Chao. — « Qu’y a-t-il, demanda celui-ci ? — Tsao a levé des troupes et est venu à Kouan-Tou pour nous arrêter dans notre marche, répondit le conseiller ; sans aucun doute, il a laissé la capitale dégarnie de soldats. Si, partageant notre cavalerie en deux corps, nous nous portions de nuit sur cette ville, il se pourrait qu’elle fût enlevée. Nous irions demander à l’Empereur l’ordre de châtier Tsao qui ne nous échapperait pas. De cette façon, sans courir de grands dangers, le frappant sur deux points, par devant et par derrière, nous le battrions infailliblement. Voici que ses vivres sont épuisées ; profitons de la circonstance ; attaquons-le de deux côtés à la fois !. »
« Ah ! reprit Youen-Chao, c’est un ennemi fertile en ressources et en stratagèmes. Ces lettres sont fausses et écrites pour nous tenter. — Eh bien, dit le conseiller, si nous ne le détruisons pas aujourd’hui, nous périrons par ses mains !.. » Et comme il exhortait Youen-Chao à aborder l’entreprise, un homme arriva de Nié-Kiun, apportant une lettre de Chen-Pey dans laquelle celui-ci, après avoir exposé les choses relatives aux grains, ajoutait : « Hu-Yéou lui-même, pendant son séjour dans le district de Ky-Tchéou, a pillé l’argent du peuple ; les gens de sa famille, s’étant approprié les grains et l’argent du trésor provenant des impôts déjà acquittés par les habitants, je les ai fait tous jeter en prison, et tous ils ont, à l’interrogatoire, avoué la vérité de ce que j’avance. »
Quand il eut lu cette lettre, Youen-Chao ne se possédant plus s’écria : « Misérable voleur[33] ! Tu oses impudemment paraître devant moi et me proposer tes plans ! Va, tu es un ancien ami de Tsao. Tu as reçu de lui de l’or, de riches étoffes, et c’est pour ce prix que tu cherches de sa part à causer la ruine de mes armées ! J’avais déjà le désir de faire tomber ta tête ; mais on m’accuserait de ne rien savoir supporter !... Va, garde ta tête sur tes épaules ! »
Il lui cria de se retirer, et le mandarin regardant le ciel s’écria avec un profond soupir : « Les paroles d’un homme de bien sont dures à entendre ; on n’écoute point les paroles d’un enfant ! Ma famille est persécutée par Chen-Pey, et moi, devant qui oserais-je paraître sur la terre ? » Après ce monologue, il voulait s’ouvrir le ventre avec son sabre, mais ceux qui l’entouraient l’arrêtèrent en lui disant : « Maître, pourquoi vous tuer de votre propre main ? Youen-Chao n’est point l’homme qui doit gouverner l’Empire. Il rejette les sages conseils qu’on lui donne ; un jour il succombera dans sa lutte contre Tsao, soyez-en sûr ! Maître, vous avez d’anciennes relations avec ce dernier, que ne quittez-vous les ténèbres pour courir au-devant de la lumière ? Vous éviteriez ainsi la mort qui vous attend auprès de Youen-Chao. »
Ce peu de paroles ranima le courage abattu de Hu-Yéou ; il alla se jeter dans les bras de Tsao-Tsao[34].
- ↑ L’allusion historique renfermée dans ce passage nous a forcé de paraphraser un peu les mots du texte. A la mort de Wou-Wang, fondateur de la dynastie des Tchéou, son frère Tchéou-Kong, chargé de diriger l’Empire et d’instruire l’héritier présomptif, se retira pendant deux ans, laissant à sa place son fils Pé-Kin. Voir la note du vol. I°, page 311 ; l’Histoire générale de la Chine, vol. I°, page 285 ; et les Mémoires sur les Chinois, vol. III, page 35.
- ↑ Oncle de Sun-Kuen ; voir vol. I°, page 119.
- ↑ C’est-à-dire le district où se trouvait la capitale du petit royaume.
- ↑ Littéralement : je voudrais graisser la terre avec mon fiel et mon foie pour, etc
- ↑ Ce sont le sixième et le dernier des sept ouvrages fondamentaux sur l’art militaire des Chinois ; voir vol. Ier, page 296, note de la page 16.
- ↑ A ce propos, l’édition in-18 insère la note suivante : Celui qui a de la piété filiale envers les siens, et qui secourt ses amis, sera certainement loyal envers son prince. Celui qui se prive soi-même et aime à rendre service, ne sacrifiera certainement pas aux intérêts particuliers de sa famille, ceux de l’État.
- ↑ Il s’agit ici de Liéou-Piao, souvent cité.
- ↑ Ma-Youen joua un grand rôle sous Kwang-Wou-Ty, qui régénéra l’Empire et la dynastie des Han, après l’usurpation de Wang-Mang (l’an 25 de notre ère). Voir Histoire générale de la Chine, vol. III, pages 282 et suivantes. — Tout ce chapitre écrit en chinois avec une élégance remarquable et en style ancien assez difficile, abonde en allusions historiques que nous devons traduire. Après tout, c’est ainsi que les écrivains du céleste Empire traitent la philosophie de l’histoire.
- ↑ On sait que le nom de famille des Han était Liéou.
- ↑ Hiuen-Kong, roi de Tsi, fut le plus puissant des vassaux sous Hoey-Wang des Tchéou, vers l’an 670, et Wen-Kong eut le même rang sous Siang-Wang, de la même dynastie, vers l’an 636 avant J.-C. Voir dans l’Histoire générale de la Chine, ces deux Empereurs, vol. II.
- ↑ Après la chûte des Tsin (l’an 206 avant J.-C.), tandis que Liéou-Pang, fondateur de la dynastie des Han, luttait contre son compétiteur Hiang-Yu, ce dernier décerna le titre d’Empereur au roi de Tchou, et lui imposale nom de Y-Ty. Histoire générale de la Chine, vol. II, page 450.
- ↑ L’édition in-18 dit en note : Hu-Kong (adressant une dépêche secrète à Tsao-Tsao), avait comparé Sun-Tsé à ce même Hiang-Yu, et c’était seulement en parlant de son courage ; cette fois Lou-Sou compare Tsao-Tsao lui-même à cet usurpateur ; c’était en parlant de sa manière de gouverner.
- ↑ L’étiquette chinoise veut qu’on rajuste ses habits pour saluer quelqu’un.
- ↑ Il était de Nan-Yang, dans la province de Lang-Yé.
- ↑ Voir plus haut, pages 263 et 269.
- ↑ A l’article premier de l’art militaire de Ssé-Ma, intitulé De l’humanité, il est dit qu’on ne doit point attaquer l’ennemi pendant le temps du grand deuil. Le traducteur ajoute en note : Par le grand deuil on entend ici les trois années pendant lesquelles toutes les affaires sont interdites à celui auquel la mort a enlevé son père ou sa mère. Comme ce terme est un peu long, on l’a restreint à cent jours sous la dynastie présente (celle des Tartares-Mandchou). Ainsi, si le roi de l’un des deux partis se trouve dans les circonstances du grand deuil, ce serait, suivant la doctrine chinoise, une très grande indécence que de lui faire la guerre. Mémoires sur les Chinois, volume VII, page 232.
- ↑ Vol. II, livre VI, chap. IX, page 120 du texte chinois.
- ↑ L’armée du midi est celle de Tsao ; l’armée du nord est celle de Youen-Chao. L’auteur, emporté par son désir de peindre Youen-Chao comme un homme irrésolu et violent, le replace encore dans la même situation ; il le montre toujours prêt à rejeter les bons conseils, à suivre les mauvais avis, en un mot courant à sa perte tête baissée, tandis que Tsao, plus habile et plus prudent, prête l’oreille aux paroles de ses mandarins et assure sa victoire.
- ↑ Voir sur les étendards et la hache, la note de la page 84, vol. I°.
- ↑ Il s’agit ici des bannières de général en chef, placées aux portes du camp. Si on l’osait on devrait dire : Entouré de ses officiers d’état-major... , ce sont Hu-Tchu, Tchang-Liéao, Su-Hwang, Ly-Tien, Yu-Kin, Yo-Tsin et d’autres ; ils ont tous paru dans les guerres précédentes.
- ↑ Il a été fait maintes fois déjà allusion à l’usurpation de Wang-Mang ; quant à celle de Tong-Tcho, elle se trouve rapportée tout au long dans le vol. Ier.
- ↑ Littéralement : la tour du général ; elle est d’ordinaire placée à l’un des angles du camp. Voir vol. VII et VIII des Mémoires sur les Chinois, la description et la figure de ces tours.
- ↑ Nous avons déjà remarqué que ce mot signifie le grand gué, le grand passage ; en le reproduisant sous la forme de Kouan-Tou, on peut comprendre que ce nom s’applique à un village voisin, désigné par la même dénomination. — Ces détails de combats ont été abrégés. — L’édition in-18 fait observer que les soldats du nord, très exercés au maniement de l’arc, l’emportaient de ce côté sur ceux du midi.
- ↑ Littéralement : échelle (pour escalader les) nuages. Voir les vol. VII et VIII des Mémoires sur les Chinois. Toutes ces ruses de guerre, tous ces mouvements stratégiques sont expliqués au vol. VII de ces mêmes Mémoires ; ils ont donc un intérêt particulier pour les Chinois qui, avides de retrouver partout la tradition, ne se plaisent point comme nous à rencontrer l’imprévu. Il leur faut des allusions historiques, ou des réminiscences, des applications d’un texte qui a fait le sujet de leurs études.
- ↑ C’est-à-dire des balistes montées sur des roues.
- ↑ L’édition in-18 explique ainsi dans une note ces paroles des soldats : Les flèches qui sont lancées de haut en bas, on les appelle pluie ; quand elles vont de bas en haut, on les appelle foudre. Après la pluie, le ciel s’abaisse, et le tonnerre, la foudre, s’élance de la terre au firmament.
- ↑ Littéralement : un héros vêtu de toile.
- ↑ Voir les notes précédentes et celles du vol. Ier, où les incidents de cette guerre ancienne sont rapportés en détail. Liéou-Pang fut serré de près dans la ville de Yong-Yang où il manquait de vivres, et plus tard Hiang-Yu se vit assiégé par lui dans Tching-Kao, l’an 204 avant J.-C. Voir l’Histoire générale de la Chine, vol. II, pages 470 et suivantes.
- ↑ C’est-à-dire : Ce qui, en privant les soldats ennemis des provisions attendues, les porterait à se mutiner, à se soulever.
- ↑ Littéralement : avoir la force des cornes du taureau ; ce que le texte mandchou exprime par : En même temps observer, se secourir.
- ↑ Siao-Ho fut premier ministre de Liéou-Pang (fondateur de la dynastie des Han), qu’il éclaira par ses conseils et soutint par son sang-froid ; voir l’Histoire générale de la Chine, vol. II, page 453.
- ↑ C’étaient Han-Kiu-Tsé, Liu-Wey-Hwang et Tchao-Jouy.
- ↑ Celui qui excelle dans l’art d’employer les hommes, dit en note l’édition in-18, en tire toujours parti, fussent-ils avides d’argent ou menteurs. Ce Hu-Yéou était un voleur, c’est vrai, mais ses plans méritaient d’être suivis ; et Youen-Chao les rejeta ! (Le célèbre conseiller) Tchin-Ping avait eu la faiblesse aussi lui de se laisser tenter par de l’argent, et (le fondateur de la dynastie des Han) Kao-Tsou, le combla de richesses pour se l’attacher comme un fils.
- ↑ L’édition in-18 termine ce chapitre par les vers suivants :
« Au commencement, les héros couvraient la fleur du milieu (la Chine) ;
» Au passage de Kouan-Tou, leurs espérances, hélas ! furent frustrées !
» S’il avait voulu mettre à exécution les plans de Hu-Yéou,
» Les monts et les fleuves seraient retournés, à l’envi, sous la domination de leur ancien maître (de l’Empereur). »