Traduction par Théodore Pavie.
Duprat (2p. 264-281).


CHAPITRE V.


Sun-Tsé décapite un être surnaturel et meurt.


I.


[ Règne de Hiao-Hien-Ty. Année 220 de J.-C. ] Établi à l’est du fleuve Kiang, Sun-Tsé comptait un bon nombre de soldats aguerris ; son petit royaume était bien approvisionné. L’occupation de Lou-Kiang, la défaite de Hwang-Tsou vaincu dans le combat, la déroute de Liéou-Hiun, la soumission de Hoa-Hin, tous ces événements avaient accru sa puissance[1] : il rédigea donc un manifeste dans lequel la fidélité des soldats vainqueurs de Hwang-Tsou était célébrée, et envoya le mandarin Tchang-Hong porter à la cour sa requête ainsi conçue  :

« Étant parti pour châtier Hwang-Tsou, le huitième jour du douzième mois, je me suis mis en marche avec mes troupes vers la ville de Cha-Sien. Ce fut alors que Liéou-Piao envoya des renforts à son lieutenant Hwang-Tsou ; leurs forces combinées vinrent m’assaillir. Je pris avec moi, le onzième jour du même mois, mes généraux Tchéou-Yu, Liu-Fan, Tching-Pou, Han-Tang et Hwang-Kay ; et dès que le jour parut, m’élançant à cheval pour combattre, je fis frapper le tambour et donner ainsi le signal de l’action. Les soldats se montrèrent pleins d’ardeur ; ils déployèrent un courage qui centuplait leurs forces, et, s’exposant bravement à la mort, franchirent comme s’ils eussent eu des ailes les fossés de la ville. La flamme vole en tourbillons ; nos gens, emportés par leur ardeur, lancent des nuées de flèches ; les troupes de Hwang-Tsou, rudement battues, périssent en grand nombre sous le glaive et la pique. »

» Leur général seul put s’échapper, laissant en notre pouvoir sa famille composée de sept personnes ; son commandant en second, nommé Han-Ky, fait prisonnier, eut la tête tranchée. Vingt mille ennemis éprouvèrent le même sort[2] ; dix mille autres ont trouvé la mort dans les eaux du fleuve ; cinq à six mille bateaux, petits et grands, sont restés entre nos mains. Cette journée nous a valu un butin immense. Il est vrai que Liéou-Piao tient encore ; mais le brigand de Hwang-Tsou était son plus solide appui, comme les griffes et les dents de cette bête fauve : la force de Liéou-Piao résidait tout entière dans ce général. La famille de ce Hwang-Tsou, ses soldats, jusqu’au dernier, tout cela a été comme balayé de la surface de la terre. Resté seul, Liéou-Piao n’a plus que la mort à attendre. Cette grande victoire est due à l’héroïsme incomparable, à la glorieuse puissance du bienheureux souverain. A moi, il ne me revient guère de mérite, si j’ai châtié ceux qui étaient coupables envers Sa Majesté ! »

Requête respectueuse. »

Quand il eut pris connaissance de ce message, Tsao-Tsao, comprenant quelle puissance avait acquis Sun-Tsé, dit avec un soupir : « Le fils du lion devient redoutable ! » Aussitôt il résolut de marier le jeune frère de ce héros avec la fille de son parent Tsao-Jin, et garda l’envoyé Tchang-Hong dans la capitale. Mais il refusa le grade de commandant en chef de la cavalerie que réclamait le jeune vainqueur ; ce fut pour celui-ci le motif d’un profond mécontentement, et l’idée lui vint de marcher sur la capitale. Le gouverneur militaire de Ou-Kiun, nommé Hu-Kong, envoya secrètement à la cour un émissaire chargé de remettre au souverain en personne la requête que voici :

« Sun-Tsé est un héros invincible ; il marche sur les traces du conquérant Pa-Mang[3]. Ne serait-il pas bon de lui accorder des grades, de le combler de faveur, afin de l’engager à revenir dans la capitale. Si on l’y appelle, il ne peut se dispenser d’y revenir ; mais si on le laisse librement agir hors des limites du territoire impérial, il causera un jour de très grands malheurs, auxquels il faut obvier tout d’abord. »

En traversant le Kiang, cet émissaire fut pris par l’officier qui gardait le passage du fleuve, et conduit devant Sun-Tsé. Celui-ci, transporté de colère à la lecture du message, se fit amener Hu-Kong à l’instant. « Vous voulez donc, lui dit-il d’un ton de reproche, me reléguer hors de la terre des vivants ?.... Et pourquoi ? — Telle n’est pas ma pensée, répondit le mandarin, » mais il ne put ajouter un mot à sa justification, quand Sun-Tsé lui eut mis sa lettre sous les yeux. Par ordre de Sun-Tsé, des soldats l’emmenèrent pour l’étrangler ; tous les gens de sa famille et de sa maison se dispersèrent, dans la crainte d’éprouver le même sort.

Cependant trois des clients du mandarin supplicié jurèrent de venger sa mort ; ils n’attendaient qu’une occasion ; (et elle se présenta.) Sun-Tsé était passionné pour la chasse ; un jour qu’il avait conduit son armée dans les montagnes de l’ouest pour se livrer à cet exercice, des troupes de cerfs venaient d’être lancées, et chacun à l’envi les poursuivait de ses flèches. Monté sur un cheval pommelé, Sun-Tsé[4]gravissait la montagne d’un galop rapide comme s’il eût couru en rase campagne. Sur le bord du chemin qu’il parcourait ainsi, trois hommes se montrent à lui ; appuyés sur des lances, l’arc sur le dos, ils se tenaient debout au milieu de bamboux épais.

« Qui êtes-vous, leur demanda-t-il, en arrêtant son cheval ?

— Des soldats du corps de votre lieutenant Han-Tang ; nous guettons le cerf[5]. » La-dessus, Sun-Tsé lâche la bride à son coursier et continue de courir ; mais l’un des trois assassins lui enfonce sa lance dans la cuisse gauche ; Sun-Tsé pousse un grand cri, tire le cimeterre pendu à sa ceinture, et comme il se jette en avant pour porter un grand coup, la lame se détache et tombe ; il ne lui reste en main que la poignée  : un second assassin profite de l’instant et décoche une flèche qui se pique dans la joue de Sun-Tsé. Celui-ci arrache le trait de la blessure, saisit son arc précieux et lance à son tour un flèche contre celui qui l’a frappé au visage ; l’homme tombe aussitôt, mais ses deux compagnons, levant leurs lances, portent à tort et à travers de grands coups a Sun-Tsé en criant  : « Nous sommes des gens de la maison de Hu-Kong et nous sommes venus exprès pour venger notre maître ! »

Sun-Tsé n’a plus d’armes offensives ; il frappe ses deux adversaires avec le bois de son arc ; ceux-ci luttent en désespérés sans reculer d’un pas. Déjà, ils ont porté au jeune conquérant dix coups de lance ; son cheval aussi est criblé de blessures ; sa situation devient de plus en plus critique, mais Tching-Pou, qui arrive avec quelques cavaliers, cerne les trois assassins et les met en pièces ; il aperçoit son maître le visage tout baigné de sang !...

Les blessures de Sun-Tsé étaient graves ; Tching-Pou fend sa tunique d’un coup de sabre et, après avoir bandé les plaies de son maître, il l’emmène dans sa capitale. Le fameux médecin Hoa-To[6] s’était, vers cette époque, retiré dans les domaines impériaux[7] ; on le chercha en vain ; il n’y avait à Ou-Kiun qu’un de ses élèves ; le jeune docteur, après avoir donné les premiers remèdes et appliqué l’appareil sur les plaies, déclara que la pointe de la flèche était empoisonnée et que le mal avait pénétré dans l’os de la joue ; un repos de cent jours devenait indispensable, durant lesquels le blessé devait s’abstenir de tout mouvement. Car si par l’effet d’un mouvement de colère, la plaie s’envenimait, il deviendrait difficile de la guérir.

Impétueux et violent par caractère, Sun-Tsé ne pouvait rester trois jours sans agir ; cependant il avait suivi les conseils du médecin pendant vingt jours, lorsqu’il apprit que son envoyé était revenu de la capitale ; il le fit appeler et lui demanda compte de sa mission.

« Tsao-Tsao a peur de votre altesse, répondit l’envoyé, et il a dit en soupirant  : Le jeune lion est désormais un rude adversaire ! — Mais, reprit Sun-Tsé en riant, ses conseillers militaires ont-ils tous peur de moi, eux aussi ? — Il n’y a que Kouo-Hia, dit l’envoyé, qui ne reconnaît pas la supériorité de votre altesse. — Eh bien, qu’a-t-il dit ? »

L’envoyé n’osait répéter les paroles de Kouo-Hia. Déjà dans sa colère, Sun-Tsé voulait le faire mettre à mort ; le pauvre homme fut donc obligé de dire la vérité. « Kouo-Hia, reprit-il, s’est exprimé ainsi devant le premier ministre : Sun-Tsé ne doit pas vous donner de sérieuses craintes ; c’est un étourdi qui ne sait rien prévoir ; eût-il un million d’hommes sous ses ordres, il n’oserait se poser en usurpateur dans l’Empire ! Il est impétueux, mais nul dans le conseil et bon seulement sur le champ de bataille. Il suffit de quelque sicaire pour le tuer et faire de lui un esprit méchant ! Un jour il périra de la main d’un homme du peuple ! »

À ces mots, Sun-Tsé laissa éclater sa colère  : « Le scélérat a osé m’injurier ainsi par des qualifications odieuses ! Les assassins qui m’ont attaqué sont assurément des émissaires de Tsao ! Je fais serment de me rendre maître de Hu-Tchang[8] et de me saisir de l’Empereur ! » Sans attendre que ses blessures fussent guéries, il voulait déjà convoquer ses officiers et dresser le plan de la campagne.

« Le médecin a ordonné à votre altesse un repos absolu de cent jours, dit Tchang-Tchao en cherchant à lui donner de bons conseils ; faut-il pour un accès d’impatience compromettre si légèrement le salut de votre précieuse personne ! — Kouo-Hia m’a insulté, reprit Sun-Tsé ; est-ce une chose que je puisse souffrir ! Je m’emparerai de l’Empire pour lui montrer quel homme je suis ! — Que votre altesse attende son entière guérison, ajouta Tchao, et il ne sera pas trop tard pour entamer cette grande affaire. »

Ils parlaient ainsi, quand arriva un envoyé de Youen-Chao, Tchin-Tchen qui dit : « Mon maître et votre seigneurie gouvernent deux états florissants ; il serait bon d’attaquer Tsao-Tsao par le sud et par le nord, et de partager l’Empire. » Sun-Tsé, enchanté de cette proposition, convoqua tous ses généraux dans une galerie située sur le rempart, et tandis qu’il buvait avec Tchin-Tchen à qui il offrait une collation, il s’aperçut tout à coup que les chefs de son armée, après s’être parlé entre eux à voix basse, descendaient tous à la fois.

« Qu’y a-t-il, demanda Sun-Tsé avec surprise ? — Et les gens de sa suite lui répondirent  : — C’est un génie divin et immortel qui passe au pied de la galerie ; les généraux sont tous allés lui rendre hommage ! »

Sun-Tsé se lève, se penche sur le balcon et voit un Tao-Ssé de grande taille ; sa barbe et ses cheveux sont blancs ; son visage est frais comme la fleur du pêcher[9] ; il porte les vêtements légers de sa secte, et s’appuie sur un bâton plus haut que lui. Il est debout dans le milieu du chemin ; d’une part les généraux de la province soumise à Sun-Tsé, de l’autre les habitants de la ville, hommes et femmes, brûlent des parfums et se prosternent sur son passage en frappant la terre de leur front.

« C’est un sorcier, s’écria Sun-Tsé avec colère, allez me le saisir ! — Seigneur, répondirent les courtisans, cet homme habite les pays de l’est ; mais il a tant fait de tournées dans notre province de Ou, qu’il y a maintenant à côté de la ville un temple Tao-Ssé ! Il passe les nuits dans les méditations ; le jour, il brûle des parfums et enseigne la doctrine de Lao-Tsé  : avec de l’eau sur laquelle il a prononcé de magiques paroles, ce vieillard guérit toutes les maladies ; c’est un fait dont tout le monde rend témoignage, et ses contemporains le surnomment Chin-Sien, l’immortel divin. C’est le grand protecteur des contrées situées à l’orient du fleuve Kiang ; il mérite donc les plus grands égards[10] !... »

« Quoi, s’écria Sun-Tsé furieux, vous osez résister à mes ordres ! » Et comme il tirait son sabre, les gens de sa suite furent obligés de descendre dans la rue, d’aller chercher Yu-Ky (c’était le nom du Tao-Ssé), qu’ils amenèrent devant leur maître.

« Comment oses-tu aveugler le cœur des hommes, lui demanda Sun-Tsé ? — Le Tao-Ssé répondit : Le pauvre religieux est supérieur du couvent de Tsong-Y-Kué situé au lieu nommé Lang-Yé-Kong. Du temps de Han-Chun-Ty[11], comme il allait cueillir des herbes sur les montagnes, il trouva tout près de la source de Kio-Yang un livre magique, écrit en caractères rouges sur fond blanc, et intitulé : Tai-Ping-Tsing-Ling-Tao, La voie pour arriver à la grande quiétude, et à la restriction des sens. Cet ouvrage se composait de cent cahiers, contenant tous des recettes magiques pour traiter les maladies de l’humanité ; ces recettes sont appelées Kin-Tchéou-Ko. Et le pauvre religieux, les ayant eues en son pouvoir, a publié les enseignements reçus par lui au nom du ciel, converti et guéri les hommes de l’Empire ; et cela sans jamais accepter le plus modique salaire ; comment donc pourrait-il corrompre l’esprit des soldats de votre altesse ?

« Si vous n’acceptez aucun salaire en argent, reprit Sun-Tsé, pourquoi donc recevez-vous de la nourriture et des vêtements ? Vous n’êtes qu’un brigand de Bonnet-Jaune, un disciple du rebelle Tchang-Kio ! Si je ne vous fais pas périr à l’instant, vous serez un jour le fléau de l’Empire ! » — Et il donna l’ordre aux gens de sa suite de décapiter le vieillard.

Le conseiller Tchang-Tchao prit la parole et fit observer que ce Tao-Ssé, établi depuis dix ans à l’est du fleuve Kiang, n’y avait jamais commis la plus légère faute ; il ne fallait donc pas le mettre à mort, sous peine de s’aliéner l’esprit du peuple. « Ce n’est qu’un montagnard, un paysan stupide, reprit Sun-Tsé ; j’ai envie d’essayer sur ce sorcier mon glaive précieux comme je le ferais sur quelque animal immonde ! » Les mandarins cherchèrent à le détourner de ce mauvais dessein, ce qui ne fit qu’augmenter sa colère ; il ordonna de mettre au vieillard les fers et la cangue, et de le jeter en prison.

Aussitôt les mandarins, se retirant chacun chez soi, allèrent dire à leurs fenmes de se rendre vers la mère de Sun-Tsé, pour intercéder près d’elle en faveur du vieillard. Celle-ci fit appeler son fils dans les appartements réservés, et lui dit : « J’ai appris que vous avez fait lier et emprisonner le docteur Yu-Ky. Cet homme, en donnant la victoire à votre armée et en guérissant les malades, a rendu de grands services aux officiers et aux soldats ; il ne faut pas le faire périr. — C’est un dangereux sorcier, répliqua Sun-Tsé ; par ses talismans il corrompt l’esprit de la multitude. Il est déjà cause que tous mes officiers (ne me regardent plus avec la même considération), n’ont plus pour moi le respect qu’un sujet doit à son souverain. Ne sont-ils pas tous descendus, de la galerie où je me trouvais, pour se prosterner devant lui ? Je leur ai crié de cesser, mais ma voix n’a rien pu sur eux ; cet homme est de la même trempe que[12] les anciens Bonnets-Jaunes. Je ne puis lui faire grâce. » — Et comme elle insistait toujours, il ajouta  : « Ma mère, veuillez donc ne pas écouter les paroles ineptes de ces femmes ? La détermination de votre fils est bien arrêtée. »

Alors, il quitta sa mère et ordonna aux geoliers de faire sortir le devin de sa prison. Ceux-ci avaient dégagé le vieillard de ses chaînes et de sa cangue ; car ils le traitaient avec le respect qu’on doit avoir pour un père et pour une mère ; mais l’officier envoyé vers eux lui fit remettre ces instruments de punition avant de l’amener devant son maître. Cette indulgence avait exaspéré Sun-Tsé ; après avoir puni de mort tous les geoliers, il fit reconduire le devin en prison avec les fers aux mains. Cette fois, le conseiller Tchang-Tchao et dix autres personnages présentèrent en faveur du Tao-Ssé une requête signée de leurs noms  : « Vous êtes tous versés dans la connaissance des livres, leur dit Sun-Tsé, pourquoi donc allez-vous contre les rites ? Autrefois, Tchang-Tsin de Nan-Yang, étant vice-roi du Kiao-Tchéou de l’Empire des Han, s’éloigna des enseignements transmis par les saints de l’antiquité, abolit les lois et les coutumes suivies par la dynastie régnante ; il était toujours coiffé d’un bonnet rouge[13] ; il frappait l’instrument de pierre appelé , et brûlait des parfums, en lisant les livres de la fausse doctrine. Étant allé lui-même soutenir l’ardeur des troupes qu’il avait mises en campagne, il périt vaincu par les barbares du sud. Ceux qui l’ont imité, n’ont pas eu plus de succès. Vous êtes donc frappés d’aveuglement ? Cet homme a déjà sa place marquée parmi les esprits malfaisants ; ne prenez donc pas la peine de promener inutilement au bas d’une requête votre pinceau fleuri ; car en vérité, je ferai décapiter cet homme ! »

« Je sais pertinemment, objecta Liu-Fan, que le docteur Yu-Ky a le pouvoir, par ses prières, de faire souffler le vent et tomber la pluie. Maintenant que le ciel est sec, que ne lui ordonnez-vous de demander les eaux du ciel pour racheter la peine qui le menace ? — Soit, répondit Sun-Tsé, au moins je verrai ce que sait faire ce sorcier. »

Aussitôt tous les officiers qui gardaient la prison délièrent la cangue et les fers du vieux Tao-Ssé ! Il lui fut ordonné de faire tomber une pluie bienfaisante pour sauver le peuple d’une imminente famine. Le prisonnier fit ses ablutions, changea de vêtements, et dit aux mandarins qui l’entouraient : « Je demande trois pouces d’une pluie bienfaisante pour sauver le peuple. Mais, je ne puis guère éviter la mort qui m’attend ! — Et les officiers répondirent  : Si vous accomplissez un miracle qui puisse convaincre notre maître, il vous respectera ! »

« Le temps accordé au souffle de ma vie est arrivé à ce point, répliqua le Tao-Ssé, qu’il m’est difficile d’échapper. » Puis, se liant lui-même avec une corde, il se coucha au soleil. L’officier chargé d’exécuter les ordres de Sun-Tsé vint avertir le devin que si à midi la pluie n’était pas tombée, il serait brûlé vif dans ce lieu même. Déjà on avait envoyé des hommes chercher du bois sec qui formait un grand bûcher dans le milieu du marché. Tout à coup il souffla un vent furieux ; le nombre des spectateurs s’élevait à plus de dix mille personnes rassemblées en foule et encombrant les rues.

Du haut de la galerie régnant sur le rempart, Sun-Tsé regardait. Dès que la brise s’élève, les nuages se forment dans le nord-ouest et remplissent bientôt la voûte du ciel ; l’officier chargé de veiller l’heure annonce qu’il est midi trois minutes. « Dans le ciel, il y a bien des nuages, dit alors Sun-Tsé, mais la pluie bienfaisante ne tombe pas ! Cet homme n’est qu’un imposteur ! — Prenez le vieux Tao-Ssé, cria-t-il aux gens desa suite, et étendez-le sur ce bûcher. » On met le feu aux quatre coins de la pile de bois ; déjà s’élève une masse de fumée sombre qui monte vers les cieux ; mais au milieu de l’espace résonne aussi le bruit grondant de la foudre, il tombe des torrents de pluie ; en un instant la place du marché est comme submergée par un débordement.

Il plut ainsi depuis midi jusqu’au soir, et la quantité d’eau qui tomba, s’éleva bien à trois pieds. Étendu sur le bûcher, le devin cria à haute voix  : « Nuages, roulez-vous (comme un voile), pluie, cesse de tomber. ! » Et le soleil se montra de nouveau.

Tous les mandarins avaient aidé le Tao-Ssé à descendre de dessus le bûcher ; (la flamme était éteinte) : ils le débarrassèrent de ses chaînes, et vinrent supplier Sun-Tsé de reconnaître son pouvoir surnaturel. Mais le jeune conquérant, couché dans sa litière, s’en allait par la grande rue ; tandis que tous les grands formaient un cercle compact[14] et s’agenouillaient au milieu de l’eau devant le devin, sans songer qu’ils gâtaient leurs habits de cour. À cette vue, la colère de Sun-Tsé se ranima  : « La pluie est réglée selon les combinaisons du ciel et de la terre, s’écria-t-il, et c’est par un heureux hasard que cet imposteur a rencontré juste. Vous tous, qui êtes à mon service, vous, mes plus dévoués partisans, vous êtes les premiers à me causer des chagrins ! » Et tirant son sabre précieux il ordonna aux hommes de sa suite de décapiter le vieux devin.

Cette fois encore les mandarins demandèrent sa grâce avec de vives instances  : « Quoi donc, leur répondit Sun-Tsé, vous voulez vous rallier au sorcier et mépriser mes ordres ! » Tous gardèrent le silence  : aussitôt d’une voix brusque il commanda aux soldats de frapper ; la tête coupée roula sur la terre ! On aperçut une vapeur noirâtre, quelque chose comme un esprit qui s’en allait vers le nord-est. Sun-Tsé, plus furieux encore, fit suspendre dans le marché le cadavre sans tête avec cette inscription  : « Mis à mort comme magicien et comme imposteur ». Pendant toute la nuit, jusqu’au matin, le vent souffla et la pluie continua de tomber ; le cadavre du sorcier disparut ; quand on lui annonça cette nouvelle, Sun-Tsé furieux voulut faire décapiter ceux à qui il en avait confié la garde ; mais tout à coup, il aperçut distinctement devant la salle d’audience, le devin en personne qui venait à lui, marchant au milieu d’une nuée sombre. Déjà Sun-Tsé avait saisi son glaive pour couper la tête du fantôme, quand il fut pris d’une faiblesse subite et tomba à terre.


II[15].


Les gens du palais le transportèrent dans sa chambre a coucher, sans qu’il revînt de son évanouissement.Sa mère accourut pour le voir, et ce fut alors que reprenant aussitôt ses sens, il lui raconta l’apparition dont il avait été témoin. « Mon fils, lui répondit sa mère, en vous obstinant à tuer un immortel, vous vous êtes attiré de grands maux ! — Dès ma plus tendre enfance, répliqua Sun-Tsé, avec un sourire, j’ai suivi mon père dans ses expéditions ; j’ai abattu des hommes comme des brins de chanvre, par milliers, des bons et des mauvais ; et quel malheur me suis-je attiré ? Aujourd’hui, j’ai décapité un sorcier, pour couper court à de grandes calamités, qu’y a-t-il la qui puisse m’inspirer des craintes[16] ! — La foi vous a manqué, ajouta sa mère, et voilà ce qui vous a réduit à cet état ! Il faut faire de bonnes œuvres pour appaiser les esprits irrités. — Ma vie dépend du ciel, répliqua Sun-Tsé, que peut contre moi un sorcier ? »

Voyant que ses exhortations ne produisaient aucun effet, sa mère ordonna en secret aux gens du palais de s’appliquer aux bonnes œuvres, pour sauver la vie de leur maître. Cette même nuit, vers la seconde veille, tandis que Sun-Tsé dormait dans sa chambre, des nuages s’élevèrent, et le vent éteignit la lampe placée sur sa table. Sun-Tsé la rallume et voila que sous les rayons de cette lumière, il aperçoit le sorcier debout, en face de son lit. Sun-Tsé s’appuie sur le chevet, saisit son glaive et s’élance vers le fantôme... ; l’arme rend un son métallique.

« Toute ma vie, s’écrie Sun-Tsé, j’ai fait serment d’exterminer les magiciens imposteurs, pour que la terre restât pure. Toi qui es un esprit des régions inférieures, pourquoi oses-tu m’approcher ! » — À ces mots le fantôme disparut comme s’il eût obéi.

Cette seconde scène causa à la mère de Sun-Tsé un nouveau chagrin ; et celui-ci, pour calmer ses alarmes, fit de violents efforts sur lui-même ; il tâchait de dissimuler l’épuisement de ses forces[17]. De son côté, voyant que la santé de son fils dépérissait chaque jour, la pauvre mère s’adonnait a de pieuses pratiques, jeûnait et faisait des sacrifices, espérant écarter de lui la colère divine. Mais Sun-Tsé instruit de toutes ces choses, lui disait  : « Votre fils a, dès son enfance, suivi son père dans ses campagnes, aux quatre coins de l’Empire, et jamais il ne l’a vu croire aux démons et aux esprits, ni leur témoigner aucun respect ; pourquoi donc ma mère leur rend-elle un culte si aveugle ? »

« Mon fils, répondait-elle, vous êtes dans l’erreur ; parmi tous les hommes qui naissent entre le ciel et la terre, en est-il un seul qui soit exempt de mourir ! Seulement, il existe une différence entre celui qui est pur et celui qui est souillé. Celui qui a conservé en lui sa pureté, monte, sans que les parties subtiles qui composent son être soient séparées, jusqu’au ciel et devient un esprit immortel ; celui qui n’emporte que des souillures, avec son corps aussi descend sous la terre et devient un démon. Les saints hommes disaient : Les génies immortels sont des hommes qui ont été ornés de toutes les vertus. Ils ajoutaient aussi : Adressez des prières aux génies supérieurs et inférieurs ! Donc, il faut croire absolument aux génies immortels et aux démons[18]. Vous vous êtes obstiné à détruire un esprit d’en-haut, pourquoi ne se vengerait-il pas ? J’ai enjoint au peuple de faire des prières et des sacrifices dans le temple nommé Yu-Tsing-Kouan, qui se trouve hors de la ville ; allez-y vous-même demander pardon de votre crime et vous recouvrerez la santé. »

Comment eût-il résisté aux volontés de sa mère ? Sun-Tsé monta donc dans sa litière ; arrivé au temple, il vit le chef des religieux venir à sa rencontre, et comme, au fond, cette démarche lui déplaisait, il n’entra dans la pagode qu’à contrecœur. Le desservant pria Sun-Tsé de brûler des parfums et il le fit, mais sans y joindre des prières. Tout à coup, tandis que les essences brûlaient sur le réchaud, la fumée s’éleva en un tourbillon compact qui formait comme un piédestal, sur lequel se tenait le devin décapité.

Sun-Tsé plein de colère sort précipitamment du temple et descend sous la galerie ; mais à peine avait-il fait quelques pas, que l’apparition se retrouve encore face à face avec lui ; tirant le glaive d’un des gens de sa suite, il s’élance contre le fantôme ; un homme tombe blessé ? Tous[19] regardent et reconnaissent celui qui peu de jours auparavant a décapité de sa main le saint personnage. Le glaive a pénétré jusqu’à la cervelle ; son sang coule par le nez, les yeux, les oreilles et la bouche ; il expire...

« Qu’on l’emporte pour l’enterrer, » dit Sun-Tsé, et quand il va pour sortir du temple, le fantôme se dresse de nouveau devant la porte ; personne ne peut le voir, excepté Sun-Tsé ; il attribue cette vision à la magie, et s’asseyant en face de la pagode, il ordonne à cinq ou six cents soldats de démolir l’édifice.

Les soldats montent sur les toits et enlèvent les tuiles ; mais ils sont tous renversés. Sun-Tsé aperçoit encore sur l’édifice le devin Yu-Ky, visible pour lui seul ; avec sa main il poussait les travailleurs en bas du toit. La colère de Sun-Tsé n’a plus de bornes ; il ordonne à tous ses soldats de mettre le feu aux quatre coins du temple ; mais au milieu[20] des flammes étincelantes, apparaît le Tao-Ssé ; il fait voler les briques et les lance autour de lui : Sun-Tsé retourne vivement vers son palais ; le spectre l’y attend à l’entrée… Alors au lieu de rentrer sous son toit, il convoque trente mille hommes de troupes, avec lesquels il va camper hors des murs, en rase campagne. La nuit, il la passe sous sa tente ; les soldats ont ordre de veiller et de faire des patrouilles autour du pavillon avec de longues lances et de lourdes haches. Vers minuit, lui seul voit arriver le Tao-Ssé, qui vient, les cheveux épars, se placer devant sa tente ; jusqu’au jour, Sun-Tsé pousse des cris comme un fou furieux, puis il se hâte de rentrer dans la ville.

Devant la porte de sa capitale, le jeune conquérant rencontre le fantôme ; cette fois il n’y prend pas garde et passe outre. Sa mère, à qui les gens de sa suite ont tout raconté, éclate en sanglots ; durant la nuit, le spectre lui apparaît dix fois, il ne peut fermer les yeux. Dès que le jour se montre, sa mère court près de lui ; elle le trouve dans un état de faiblesse alarmant.

« Mon enfant, s’écrie-t-elle, comme vous voilà changé ! » — Sun-Tsé se fait apporter un miroir, regarde son visage ; l’altération de ses traits l’épouvante, il se tourne vers ses serviteurs et leur dit : « Puisque ma physionomie a pris une pareille couleur, comment espérerais-je d’acquérir de la gloire et de fonder un état indépendant ! » Le spectre apparaissait dans le miroir de cuivre ; Sun-Tsé frappe cette surface polie, et s’écrie avec rage : « Le sorcier ! »

Le cri qu’il a poussé a rouvert la blessure, il tombe sans mouvement… Sa mère le fait transporter dans sa chambre à coucher, et bientôt il reprend ses sens ; mais en voyant sa blessure rouverte, il dit avec un soupir : « Hélas ! je ne puis revenir à la vie ! Que mes conseillers Tchang-Tchao et les autres soient introduits près de moi….. » Et il leur fit les recommandations suivantes :

« La Chine est en proie à l’anarchie ; mais avec le peuple de Ou et de Youé[21], avec la barrière solide que présente le fleuve Kiang dans ses trois branches, on peut attendre, sans crainte ni danger, l’issue des événements. Vous tous, appliquez-vous à bien seconder mon jeune frère Sun-Kuen. » — Puis prenant à la main le sceau suspendu à son cou, il appela près de lui ce frère destiné à lui succéder ; et quand celui-ci fut près de sa couche, il ajouta : « N’allez point, à mon exemple, vous mettre à la tête des peuples du Kiang-Tong, chercher la réalisation de vos projets entre deux armées rangées en bataille, et guerroyer à travers l’Empire. Élevez les gens sages, employez les gens habiles ; alors chacun rivalisera de zèle pour défendre votre pays du Kiang-Tong. Ma position n’était pas la même que la vôtre ; n’oubliez donc pas les difficultés qu’ont surmontées notre père et votre frère aîné pour s’emparer de la souveraineté qu’ils vous laissent ! Ne changez pas légèrement ce qu’ils ont fait ! » — Sun-Kuen s’agenouilla et reçut le sceau royal.

Alors Sun-Tsé fit signe à sa mère d’approcher, et lui dit : « Votre fils indigne va mourir. Les années que le ciel m’accorde sont accomplies. Je ne puis plus veiller aux besoins de ma mère ; le sceau royal, je l’ai confié à l’aîné de mes quatre frères, avec l’espérance que ma mère le dirigera sans cesse par ses conseils. Les anciens serviteurs du père et du frère aîné méritent d’être traités avec égards. — Hélas ! dit la mère du mourant avec des sanglots, je crains que votre jeune frère ne soit, par sa trop grande jeunesse, incapable de maintenir votre puissance ; alors, que deviendrons-nous ? »

« Sun-Kuen, reprit le moribond, l’emporte sur moi de beaucoup ; notre souveraineté n’est en rien menacée ; si les affaires de l’intérieur offrent quelque embarras, qu’il consulte Tchang-Tchao. Si les inquiétudes viennent du dehors, qu’il consulte Tchéou-Yu ; malheureusement ce dernier n’est pas ici parmi ceux qui m’entourent et je ne puis lui adresser mes recommandations ! »

Puis, à ses trois autres jeunes frères il adressa les paroles suivantes : « Après ma mort, obéissez aux ordres que vous dictera votre aîné Sun-Kuen. S’il se trouve dans la famille quelqu’un qui sème la discorde, réunissez-vous pour le faire périr. Un parent qui se révolte contre les siens, n’est plus digne de reposer auprès de ses ancêtres[22] ! »

Enfin, il appela à ses côtés son épouse Kiao-Sé, et lui dit : « Hélas ! nous voilà séparés au milieu de la vie ! Que votre jeune sœur vous rende des devoirs assidus ; qu’elle ait surtout une grande condescendance pour son époux Tchéou-Yu ; de votre côté, montrez-vous dévouée envers mes jeunes frères. N’oubliez pas mes dernières volontés, et pendant toute votre vie, témoignez un grand respect à ma mère, sans jamais relâcher le lien qui unit les membres d’une même famille. » — Et se tournant vers les mandarins civils et militaires, il ajouta  : « Vous tous, servez avec zèle mon jeune frère. Méritez le nom de serviteurs dévoués et fidèles. — Et vous, Sun-Kuen, si vous veniez à méconnaître les services d’un mandarin digne de votre estime, au bord des neuf fontaines où je vais habiter sous la forme d’un esprit, croyez-le, je refuserais un jour de vous voir ! »

Après avoir fait ses diverses recommandations, il mourut, dans la vingt-sixième année de son âge[23].


  1. Voir vol. I°, chapitre dernier, et plus haut, pages 46 et 59. Liéou-Hiun était le gouverneur militaire de Lou Kiang.
  2. Littéralement  : nous avons environ vingt mille têtes.
  3. Voir vol. I°, la note de la page 97. Pa-Mang est désigné ici par son nom de Hiang-Tsy.
  4. L’édition in-18 dit que Sun-Tsé alla à la chasse dans un lieu nommé Tan-Tou, puis ajoute la réflexion suivante  : Lorsque Tsao-Tsao alla chasser le cerf à coup de flèches, à Hu-Tien, pourquoi était-il si bien entouré d’une pompeuse escorte ? Lorsque Sun-Tsé alla courre le cerf, à Tan-Tou, pourquoi prit-il si peu de soin de se faire accompagner ? — Ce qui, dans l’idée de l’écrivain, veut dire : Pourquoi le ministre usurpateur fut-il à l’abri des coups que de fidèles mandarins voulaient lui porter, et pourquoi Sun-Tsé, qui pouvait relever la dynastie, fut-il blessé mortellement dans cette partie de plaisir ? — Voir plus haut, page 102.
  5. Ils n’étaient pas là pour percer le cerf à coups de flèches, mais bien pour percer le lion ! (Note de l’édition in-18.)
  6. Voir vol. I°, page 280.
  7. Littéralement  : dans la plaine du milieu, par opposition aux petits états dissidents.
  8. La capitale dans laquelle Tsao avait établi la cour.
  9. Les Tao-Ssé prétendaient avoir trouvé le moyen de conserver une éternelle jeunesse, en se nourrissant du suc de certaines plantes. On peut voir, dans l’Histoire de la Chine, les efforts que firent plusieurs souverains pour acquérir cette immortalité, dont les sorciers de la secte se vantaient de posséder le secret. — Quant à ces mots, les vêtements de sa secte, ils sont traduits littéralement du mandchou. Le texte chinois dit : Sur son corps flottent comme une nuée volante, les habits faits d’un tissu où se mêle le plumage de l’oiseau tsiao. — Le bâton fait d’une certaine plante a été expliqué au vol. I°, page 6.
  10. L’éditeur du texte in-18 qui proteste contre la superstition des Tao-Ssé, dit en note avec assez de raison  : Le docteur Hoa-To était médecin, on l’appela. Ce Tao-Ssé divin, en qualité d’être surnaturel, était médecin aussi ; or Sun-Tsé se trouvant criblé de blessures, pourquoi les généraux ne lui amenèrent-ils pas ce sorcier ? Sun-Tsé, s’il l’eût guéri, lui eût naturellement et très volontiers prodigué les mêmes égards qu’au médecin Hoa To.
  11. Chun-Ty des Han, régna de 126 à 145 de notre ère. Le vieillard qui racontait ces détails l’an 220, se donnait donc près d’un siècle d’existence.
  12. Tchang-Kio, le chef des Bonnets-Jaunes, dit en note l’édition in-18, prétendait aussi avoir le talisman de la grande quiétude ; il le disait tout seul, car personne n’avait vu ce livre, ni ces recettes !
  13. Une note de l’édition in-18 nous apprend que ce Tchang-Tsin précéda Tchang-Kio ; le premier portait un bonnet rouge (couleur de la terre ) et proclamait que la terre rouge allait se lever ; le second portait un bonnet jaune (couleur du ciel) et proclamait que le ciel jaune allait se lever. — Le ciel et la terre représentent ici deux des trois pouvoirs. Voir la note de la page 8 du vol. 1°.
  14. Tous ces mandarins, tous ces gens du peuple, dit en note la petite édition, sont véritablement responsables de la mort du sorcier ; car si Sun-Tsé le tua, ce fut parce qu’ils ne lui témoignèrent pas, à lui-même, le respect auquel il avait droit.
  15. Vol. II, livre VI, chap. V, page 102 du texte chinois.
  16. Cette foi d’une femme dans les esprits, c’est bien le sentiment d’une mère qui aime tendrement son fils. Ne devait-il pas aussi calmer par des prières et des sacrifices les mânes du mandarin décapité (Hu-Kong), et des trois partisans de celui-ci qu’il avait tués ? Peut-on ne faire aucun cas des âmes des morts et respecter ainsi un être surnaturel ? (Note de l’édition in-18).
  17. Sun-Tsé, ajoute le même éditeur, se montre plein de respect filial pour sa mère ; un immortel eût-il voulu perdre un fils aussi pieux ! — On sait que la piété filiale est pour les lettrés de la secte de Confucius, le principe de toute morale.
  18. De nos jours encore, ceux qui croient à Fo (Bouddha) et aux esprits immortels (comme les sectateurs de Lao-Tsé), faussent le sens des paroles de Kong-Fou-Tsé et de Meng-Tsé, pour y chercher des preuves à l’appui de leurs doctrines. Ce n’est pas seulement l’erreur particulière d’une femme du pays de Ou (celui où s’était établi Sun-Kien). (Note de l’édition in-18).
  19. À ce propos, le même texte poursuivant sa thèse, ajoute en note  : Ce simple soldat a fait un acte passif en tuant le sorcier ; ce n’est pas lui qui a eu l’intention ; et voilà que ce sorcier (après sa mort) se venge et le tue !... Non, ce n’était pas là le fait d’un esprit immortel !
  20. C’était le cas, dit en note la même édition, d’obtenir du ciel une pluie bienfaisante qui éteignit le feu !
  21. Ou et Youé sont les noms de deux anciens royaumes tributaires des Tchéou, et auxquels correspondaient les provinces de l’Empire des Han dont le père de Sun-Tsé s’était emparé à la faveur des guerres civiles.
  22. C’est-à-dire qu’étant considéré comme coupable de rebellion, il est séparé jusque dans la tombe du reste de la famille. La jeune sœur dont il parle quelques lignes plus bas, est sa propre sœur. Voir vol. I°, page 119.
  23. Dans la suite, dit l’édition in-18, on a écrit sur lui les vers qui suivent :

    « Seul, il conquit les provinces du sud-est de la Chine, et les hommes l’ont comparé à Pa-Wang.
    » Il méditait ses attaques comme le tigre (qui songe) dans sa tanière ; il se précipitait à l’exécution de ses projets comme le faucon qui s’élance dans les airs.
    » Il soumit à sa puissance les trois bras du fleuve Kiang, et sa renommée se répandit comme un parfum entre les quatre mers.
    » Au moment de mourir, il légua à son successeur l’accomplissement de ses grandes entreprises, et en confia la direction à Tchéou-Yu. »