Histoire des Météores/Chapitre 20


chapitre xx.
aurores polaires.

Aurore polaire. — Sa nature. — Description de ce phénomène paraissant dans toute sa splendeur. — Couronne boréale. — Hauteur des aurores boréales. — Aurores boréales pendant le siège de Paris. — Aurore boréale du 4 février 1872. — Aurore boréale de jour. — Causes des aurores boréales. — Influence de ces phénomènes sur l’aiguille aimantée et sur le télégraphe électrique. — Bruits caractéristiques qu’ils produisent. — Aurore australe. — Les aurores boréales regardées comme des signes de la colère céleste. — Faits curieux.

I.

L’aurore polaire est un phénomène lumineux, qui paraît dans le ciel, la nuit principalement, et vers les pôles, ce qui le fait aussi appeler lumière polaire ; les anciens le connaissaient sous le nom de torche ardente.

On l’a appelé aurore boréale en premier lieu, parce qu’on l’a d’abord observé du côté du nord ou de la partie boréale du ciel, et que sa lumière, lorsqu’on est proche de l’horizon, ressemble à celle du point du jour, ou de l’aurore :

… Le Nord, dans ses vastes domaines,
Contient de la clarté les plus beaux phénomènes.

Et qui ne connaît pas, dans ces climats glacés,
Ces feux par qui du jour les feux sont remplacés ?
Là le pôle, entouré de montagnes de neige,
Conserve de ses nuits le brillant privilège,
Ces immenses clartés, ces feux éblouissants,
Au sein de l’ombre obscure, au loin resplendissants,
Qui même avec les cieux, où le jour prend naissance,
Rivalisent de luxe et de magnificence.

(Delille.)

On aperçoit rarement dans nos climats ce météore splendide, mais assez souvent dans les pays plus voisins du pôle arctique : en Laponie, en Norvège, en Islande, en Sibérie, où il rompt la monotonie des longues nuits hyperboréennes. On peut dire avec raison que l’aurore boréale est le soleil de ces contrées. Ces météores commencent à se montrer vers le 45e degré de latitude environ ; à partir de là ils deviennent plus nombreux à mesure que l’on avance vers le pôle.

Ils se montrent fréquemment dans toutes les saisons et sous toutes les formes ; souvent bas et tranquilles, étendus sur l’horizon comme un nuage ou comme une fumée légère, ayant la forme d’un arceau plein qui comprend plusieurs arcs, alternativement obscurs et lumineux, de différentes teintes de lumière et de couleurs.

Les aurores boréales sont plus fréquentes à l’époque des équinoxes ; cependant on n’a pu encore leur assigner une périodicité régulière.

Fig. 70. — Aurore polaire.

II.

Quand ce phénomène doit déployer toute sa richesse et toute sa splendeur, on commence après la chute du jour à distinguer une lueur confuse vers le nord ; bientôt des jets de lumière s’élèvent au-dessus de l’horizon ; ils sont larges, diffus et irréguliers.

Après ces apparences, qui sont comme le prélude du phénomène, on voit à de grandes distances deux vastes colonnes de feu, l’une à l’orient, l’autre à l’occident, qui montent lentement au-dessus de l’horizon.

Pendant qu’elles s’élèvent avec des vitesses inégales et variables, elles changent sans cesse de couleur et d’aspect ; des traits de feu plus vifs ou plus sombres en sillonnent la longueur ou les enveloppent tortueusement ; leur couleur passe du jaune au vert foncé ou au pourpre étincelant.

Enfin, les sommets de ces deux colonnes s’inclinent, se penchent l’un vers l’autre, et se réunissent pour former un arc ou plutôt une voûte de feu d’une immense étendue.

Quand cette voûte est formée, elle se soutient majestueusement dans le ciel pendant des heures entières. L’espace sombre qu’elle enferme est traversé d’instant en instant par des lueurs diffuses et diversement colorées, et dans l’arc même on distingue incessamment des traits de feu d’un vif éclat qui s’élancent au dehors, sillonnent le ciel comme des fusées étincelantes qui passent au delà du zénith, et vont se concentrer dans un petit espace à peu près circulaire, que l’on appelle la couronne de l’aurore boréale.

Dans les couronnes boréales, les courbes se forment et se déroulent comme les plis et les replis d’un serpent ; les rayons se colorent, la base est d’un rouge de sang clair, le milieu d’un vert-émeraude pale, le reste conserve sa teinte lumineuse jaune clair (fig. 71).

Fig. 71. — Couronne boréale.

De nouveaux arcs se succèdent à l’horizon : on en a compté jusqu’à neuf ; ils se serrent les uns les autres et vont disparaître vers le sud. Quelquefois la masse des rayons paraît venir du sud, et, se réunissant avec ceux du nord, ces rayons donnent la véritable couronne boréale, ayant une forme elliptique, rarement circulaire.

Dès que cette couronne est formée, le phénomène est complet. On le contemple alors dans toute sa majesté :

Ils glissent en reflets, s’échappent en lingots,
Ou d’une mer de feu roulent au loin les flots,

Ici blanchit l’argent et là jaunit l’opale.
Là se mêle à l’azur la pourpre orientale ;
Tantôt en arc immense ils prennent leur essor,
Roulent en chars brûlants, flottent en drapeau d’or,
S’élancent quelquefois en colonnes superbes,
S’entassent en rochers ou jaillissent en gerbes,
Et variant le jeu de leurs reflets divers,
De leur pompe changeante étonnent ces déserts.

(Delille.)

Après quelques heures, et d’autres fois après quelques instants, la lumière s’affaiblit peu à peu, les fusées ou les jets deviennent moins vifs et moins fréquents, la couronne s’efface, et bientôt l’on n’aperçoit plus que des lueurs incertaines qui se déplacent et disparaissent insensiblement.

Les aurores boréales ne sont pas circonscrites à notre atmosphère, car un de ces phénomènes ayant été vu à Saint-Pétersbourg, à Naples, à Rome, à Lisbonne et même à Cadix, et dans les lieux, intermédiaires, M. de Mairan, dans son Traité de l’aurore boréale, trouve que cette aurore était éloignée de la terre, en ligne verticale, au moins de cinquante-sept lieues, et probablement beaucoup plus. Il estime que ces sortes de phénomènes ont ordinairement entre cent et trois cents lieues d’élévation.

III.

Pendant le siège de Paris par l’armée prussienne, les deux aurores boréales du mois d’octobre ont répandu une profonde émotion. Laissons la parole à l’éminent secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences :

« Dès le commencement de la nuit, à la première apparition, une lueur se remarquait au nord, et, peu à peu, le ciel s’éclairait d’une nuance rose, qui en envahissait la moitié. De temps à autre s’élançaient des rayons colorés, presque toujours d’un rouge de sang très intense, tandis que se montraient, çà et là, au-dessus de Paris, des plaques rouges, sanglantes aussi. Au moment où le phénomène touchait à son terme, et quand le ciel s’assombrissait déjà, on vit, tout d’un coup, la couleur rouge resplendir encore d’un effrayant éclat. Le lendemain, l’apparition recommençait avec une intensité un peu moindre et laissait voir des irradiations blanches, lumineuses, dont le centre était placé vers la constellation de Pégase ; traduisant les impressions de leur âme, les uns en comparaient l’aspect à une gloire, les autres à une croix. Parmi les habitants de Paris, il en est peu que ces phénomènes n’aient saisis de crainte, et à qui, dès l’abord, ils n’aient inspiré la pensée qu’une grande machine incendiaire était mise en jeu pour forcer les murailles ou pour démoraliser leurs défenseurs. Il en est peu qui, voyant qu’il s’agissait seulement d’une aurore boréale d’une espèce rare, n’aient cherché alors quels pronostics heureux ou malheureux pouvait en tirer leur patriotisme ému[1]. »

L’aurore boréale qui est venue s’épanouir et briller d’un vif éclat sur notre horizon, le 4 février 1872, est la plus belle que l’on ait vue jusqu’ici en Europe. Elle a commencé vers les cinq heures du soir et s’est terminée vers les deux heures du matin. Elle a été également visible en Asie, en Afrique et en Amérique, M. Fron, qui l’a observée à l’Observatoire de Paris, dit, dans sa note à l’Académie des sciences, que, vers six heures du soir, les variations de l’aiguille aimantée étaient telles que la lecture en était impossible ; l’aiguille d’inclinaison avait atteint au minimum 65 degrés et demi environ. Vers les neuf heures, les mouvements de l’aiguille de déclinaison sont très bizarres. L’aiguille semble hésiter pour s’avancer dans une direction, elle tâtonne pour ainsi dire, puis tout à coup avance de quelques divisions, hésite de nouveau, pour repartir dans la même direction. À d’autres moments de la soirée, l’aiguille parcourt à peine une division de l’échelle, mais elle est animée d’un mouvement vibratoire très rapide. Cette aurore a été visible dans une partie très considérable de l’Europe ; les nouvelles reçues à l’Observatoire des stations météorologiques montrent qu’elle s’est étendue sur l’Angleterre, la Belgique, l’Italie, l’Espagne, la Turquie ; tous les renseignements n’étaient cependant pas encore parvenus. Des dépêches annonçant des perturbations magnétiques et des perturbations sur les lignes électriques ont également été adressées. D’après une dépêche de M. le directeur des lignes télégraphiques, la perturbation s’est fait sentir à partir de trois heures trente minutes, d’abord sur les lignes de l’Est, Allemagne, Autriche ; vers quatre heures, les lignes de la Suisse étaient atteintes, et le phénomène s’est rapproché successivement de Paris, en passant par la Suisse, par Besançon et par Dijon ; à cinq heures, les fils des environs de Paris étaient également influencés[2].

Le câble transatlantique de Brest à Duxbury, dit M. Tarry, a été parcouru par de forts courants, sautant brusquement d’un sens à l’autre.

IV.

Les apparitions bien constatées d’aurores boréales de jour étant très peu nombreuses, nous donnons, d’après M. Arago, la description d’un de ces phénomènes observé par le R. P. Patrick Graham à Aberfoyle, dans le comté de Perth, en Écosse.

« Le 10 février 1799, vers trois heures et demie du soir, le soleil était encore éloigné de son coucher de plus d’une heure, et il brillait faiblement à travers une atmosphère couleur de plomb, lorsque j’aperçus un halo autour de l’astre.

« Pendant que j’observais ce phénomène, l’hémisphère visible fut envahi en totalité par ce qui me parut au premier aspect une vapeur légère et pâle.

« Cette vapeur était disposée en bandes longitudinales, se levant de l’ouest et s’étendant vers l’est en passant par le zénith.

« En étudiant cette apparence plus attentivement, je reconnus qu’elle provenait d’une véritable aurore boréale ; j’aperçus, en effet, les divers phénomènes qui caractérisent le météore quand on l’observe de nuit, si ce n’est qu’il était pâle et sans couleur.

Fig. 72. — Arcs réguliers d’aurore boréale.

« Les jets de matières électriques, s’élançant très visiblement d’un nuage situé vers l’ouest, éprouvaient une certaine diffusion, convergeaient vers le zénith, et divergeaient au delà vers tous les points de l’horizon. Les corruscations étaient aussi instantanées et aussi distinctement perceptibles que pendant la nuit.

« Cette apparence dura plus de vingt minutes ; elle s’affaiblit ensuite graduellement, et fit place à des vapeurs légères dispersées çà et là, lesquelles au coucher du soleil se répandirent sur tout le firmament. La nuit suivante, je ne parvins pas à découvrir la plus légère trace d’aurore boréale. »

V.

De toutes les hypothèses imaginées pour expliquer les aurores boréales, la plus généralement admise est celle qui en attribue la cause au magnétisme, avec les phénomènes duquel elle offre beaucoup de rapport ; le sommet de l’arc de l’aurore boréale se trouve toujours sur le méridien magnétique du lieu de l’observation, ou du moins ne semble pas s’en écarter d’une manière sensible, et la couronne se trouve toujours sur le prolongement de l’aiguille d’inclinaison.

L’aurore boréale dérange de leurs positions ordinaires l’aiguille de déclinaison et l’aiguille d’inclinaison, et elle produit ces changements même aux lieux d’où elle ne peut être vue.

En général, dès le matin du jour où ce phénomène doit se montrer dans quelque région des pôles, l’aiguille de déclinaison de Paris dévie à l’occident, et le soir à l’orient. Arago avait annoncé cette observation dès l’année 1825. Ainsi, le dérangement de l’aiguille de Paris peut indiquer les aurores boréales qui se font voir aux Lapons, aux Groënlandais et à tous les habitants des régions polaires.

Le 29 mars 1826, Arago observa des mouvements inaccoutumés dans l’aiguille magnétique ; ces mouvements lui firent supposer la présence d’une aurore boréale sous de plus hautes latitudes ; sa conjecture fut pleinement justifiée, car Dalton observait au même moment à Manchester ce phénomène lumineux des pôles.

M. Higton, ingénieur télégraphique, a signalé à propos d’une aurore boréale une action très vive exercée sur le télégraphe électrique.

« Un télégraphe, dit-il, passant à travers le Watford tunnel (un tunnel de 1 600 mètres de long, et dont les fils se prolongent jusqu’à 400 mètres d’un côté et jusqu’à 800 mètres de l’autre), a été mis hors de service pendant trois heures.

« L’aimant a constamment été rejeté du même côté. Une telle action de l’aurore boréale est ordinaire. Elle s’est quelquefois manifestée pendant le jour, quand l’aurore n’était pas visible, et dans un cas j’ai pu suivre son action à partir de Northampton, à travers Shepstone, Peterborough, sur la route du télégraphe de l’Est jusqu’à Londres. »

VI.

Franklin avait déjà émis l’idée, il y a environ un siècle, que les aurores boréales étaient dues à des décharges d’électricité entre la terre et l’atmosphère. De La Rive, mettant à profit toutes les observations et toutes les découvertes dont la science s’est enrichie depuis Franklin, est parvenu, par une suite de recherches nombreuses, dont les premières datent de 1849, à établir sur des fondements solides la théorie électrique de l’aurore boréale.

Il a constaté, comme fait acquis, qu’il y a presque toujours production simultanée d’une aurore australe et d’une aurore boréale ; et que l’apparition d’une aurore polaire est toujours accompagnée de perturbations dans la direction des aiguilles des boussoles, et de la production de courants électriques dans les fils télégraphiques.

Au moyen de ces données et des notions qu’on possède sur l’état électrique de la terre et de l’atmosphère, de La Rive a réussi à démontrer que les aurores polaires devaient être attribuées à des décharges s’opérant dans le voisinage des deux pôles terrestres, entre l’électricité négative de la terre et l’électricité positive de l’atmosphère.

Ce n’est pas tout : les apparences lumineuses des aurores polaires, l’influence sur elles du magnétisme terrestre restaient à expliquer. De La Rive y est parvenu, en examinant de près l’effet lumineux des décharges électriques à travers des gaz très raréfiés, soit secs, soit chargés de vapeurs aqueuses à différentes températures, et en étudiant, au moyen d’électro-aimants très puissants, l’influence du magnétisme sur ces décharges. Il a ainsi réussi à reproduire en petit toutes les apparences des aurores polaires jusque dans leurs moindres détails, soit sous le rapport de leur teinte lumineuse, soit sous celui de leur forme et de leur mouvement.

Après avoir étudié et reproduit, l’un après l’autre, les phénomènes et les apparences qui accompagnent et caractérisent les aurores dans la nature, de La Rive a imaginé un appareil qui en donne la représentation complète et exacte.

« D’accord avec la plupart des physiciens, dit-il, je persiste à considérer les aurores polaires comme un phénomène qui se passe dans l’atmosphère. Je n’en voudrais, au besoin, pour preuve que la remarque faite par M. Biot, à l’occasion des aurores qu’il avait observées en 1817 aux îles Shetland, que l’aurore ne se déplace jamais par rapport à l’observateur, tandis que si elle était un phénomène cosmique, elle ne suivrait pas le mouvement de rotation du globe terrestre. C’est ce qu’observe aussi M. Fron, qui attribue, comme je l’ai toujours fait, l’aurore boréale à l’électricité provenant des régions équatoriales où la nappe ascendante se partage entre les deux contre-alisés, l’un marchant vers le nord, l’autre marchant vers le sud ; ce qui donne l’explication de la simultanéité des aurores polaires, ainsi que celle des perturbations électriques et magnétiques qui les accompagnent dans les deux hémisphères[3]. »

La théorie électrique des aurores boréales part d’un fait incontestable, dit de La Rive : « C’est que l’atmosphère est chargée d’électricité positive dont l’intensité va en augmentant à mesure qu’on s’élève, et que la terre elle-même est chargée d’électricité négative, et cela quelle que soit la cause de ce dégagement d’électricité. Cela admis, il est facile de comprendre que ces deux électricités tendent constamment à se réunir d’une part par l’intermédiaire du globe terrestre, d’autre part par l’intermédiaire des couches supérieures de l’atmosphère avec l’aide des vents contre-alisés, et que cette réunion, qui a lieu dans les régions polaires, est accompagnée, quand l’électricité a un certain degré d’intensité, d’actions perturbatrices sur l’aiguille aimantée et de la circulation de courants électriques dans les fils télégraphiques, en même temps que d’effets lumineux dans l’atmosphère, effets dont l’apparence est plus ou moins modifiée par l’action du magnétisme terrestre[4]. »

VII.

M. l’abbé Raillard, dans une ingénieuse théorie, établit une communauté d’origine entre les aurores boréales, les étoiles filantes et les comètes. Voici un passage important que nous devons citer : « Je crois être le premier et le seul qui ait émis cette idée, dit-il, et je l’ai formulée dès le commencement de l’année 1839 dans une note qui a été communiquée par Arago à l’Académie … Pour rattacher les aurores boréales aux comètes et aux étoiles filantes, je suppose que les aurores boréales sont produites par des nuages cosmiques dans un état de ténuité extrême, qui sont traversés par la terre, qui s’électrisent et deviennent lumineux dans le voisinage et sous l’influence des pôles magnétiques terrestres. Mais le trait de ressemblance le plus saillant qui existe, selon moi, entre les aurores boréales et les comètes, c’est que celles-ci, comme les premières, ont une lumière propre, du moins en très grande partie, et que cette lumière des comètes est électrique comme la lumière des aurores boréales, et comme celle qui rend visible la matière extrêmement raréfiée des tubes de Geissler traversés par un courant. La seule différence entre la lumière des aurores boréales et celle des comètes, serait que la première aurait sa cause dans l’induction magnétique de la terre, tandis que la seconde serait produite par la puissante induction magnétique du soleil. En effet, les radiations de la lumière des aurores boréales s’orientent et convergent vers les pôles magnétiques terrestres, de même que les queues des comètes sont toujours opposées au soleil et dirigées dans le sens de ses rayons, la phosphorescence de ces queues trouvant dans le noyau simple ou multiple des comètes, une cause d’excitation, une sorte d’amorce permanente, et l’on aurait ainsi une explication naturelle de cette particularité singulière du mouvement de toutes les comètes à queues, tandis que les astronomes avaient fait jusqu’ici de vains efforts pour l’expliquer d’une manière satisfaisante[5]. »

De son côté, M. Silbermann, l’habile préparateur du collège de France, communique à l’Académie des sciences un important mémoire, accompagné de dessins à l’appui, duquel on peut déduire : 1° une théorie des aurores boréales et australes, fondée sur l’existence de marées atmosphériques ; 2° l’indication, à l’aide des aurores, de l’existence d’essaims d’étoiles filantes à proximité du globe terrestre. Nous y remarquons principalement les passages suivants :

1° Les aurores boréales s’annoncent par les mêmes signes que les orages : baisse barométrique, hausse thermométrique, sentiment de prostration, odeurs nauséabondes quand c’est une aurore colorée qui se prépare ; elles s’annoncent également par l’existence d’une vapeur rutilante au bas des nubécules sombres aurorifères, semblable à celle qui colore le bas des nuées orageuses ;

2° Les aurores coïncident toujours avec l’existence de deux vents superposés à directions rectangulaires ; la surface de séparation des deux vents est la base des phénomènes lumineux. Les nombreux et intéressants détails que rapporte l’habile observateur viennent confirmer les vues théoriques qu’il a présentées dans plusieurs communications[6].

On voit que l’on est loin d’être complètement d’accord sur la théorie de ces magnifiques et grandioses phénomènes, bien que l’électricité et le magnétisme y jouent le rôle principal.

VIII.

Il paraît que les aurores boréales produisent quelquefois un certain bruit caractéristique.

« Je n’ai jamais pu parvenir, dit de Saussure, à entendre aucun bruit particulier, même pendant les aurores boréales les plus grandes et les plus vives, à Skye, où régnait le plus grand calme et le plus profond silence.

« Cependant, j’ai recueilli dans les îles Shetland de nombreux témoignages à cet égard, d’autant plus remarquables qu’ils étaient entièrement spontanés et nullement influencés par aucune question préalable de ma part.

« Des personnes de diverses conditions et états, et habitant des districts très éloignés dans ces îles, ont été unanimes à dire que lorsque l’aurore boréale est forte, elle est accompagnée d’un bruit qu’ils ont tous également et unanimement comparé à celui d’un van lorsqu’on vanne le blé. »

Fig 73. — Aurore boréale du 31 octobre 1853.

Wargentin rapporte, dans le quinzième volume des Transactions de Suède, que deux de ses élèves, le docteur Gisler et M. Helland, qui avaient longtemps habité le nord de ce royaume, firent à l’Académie de Stockholm un rapport dont voici les principaux passages :

« La matière des aurores boréales descend quelquefois si bas, qu’elle touche le sol ; au sommet des hautes montagnes, elle produit sur le visage des voyageurs un effet analogue à celui du vent.

« J’ai souvent entendu le bruit des aurores, ajoute le docteur Gisler, ce bruit ressemble à celui d’un fort vent ou au bruissement que font quelques matières chimiques dans l’acte de leur décomposition … J’ai cru souvent trouver que le nuage avait l’odeur de fumée ou de sel brûlé … »

Les paysans de Norvège lui apprirent qu’il s’élevait quelquefois du sol un brouillard froid, d’un blanc verdâtre, qui obscurcissait le ciel, quoiqu’il n’empêchât pas de voir les montagnes de loin ; ce brouillard, à la fin, donnait naissance à une aurore boréale.

Cook rapporte quelques observations d’aurores australes, et, avant ce navigateur, Frazer, doublant le cap Horn, en 1712, en avait aperçu une à travers les brouillards, si communs sous ces latitudes. Depuis lors ce phénomène a été observé par beaucoup de navigateurs.

IX.

Les aurores boréales sont très rarement aperçues dans les pays un peu méridionaux, comme la France. On ne peut y voir que celles dont les flammes s’élancent au loin dans les régions du ciel, et brillent comme des poutres, des colonnes, des javelots embrasés ; et souvent il s’écoule des années en grand nombre entre deux de ces aurores imposantes. La précédente est oubliée lorsqu’il en paraît une autre.

Aussi les aurores, ainsi que les comètes, étaient-elles regardées comme des signes de la colère céleste, des précurseurs d’aventures sinistres, dont chacun faisait l’application d’après les rêves de son imagination, ses désirs ou ses craintes :

Longtemps l’erreur les crut, dans ces âpres climats,
Le reflet des glaçons, des neiges, des frimas,
Des esprits sulfureux exhalés de la terre,
Qui présageaient la mort, la discorde ou la guerre,
Et jusque sur leur trône épouvantaient les rois.

(delille.)

Accoutumés à ce spectacle, effrayant pour les peuples du Midi, les Lapons, les Groënlandais, les Kamtschadales n’en sont point émus. Les Groënlandais, qui font jouer aux boules les âmes heureuses dans leurs champs Élysées, croient que ces grandes scènes de la nature sont les danses de ces mêmes âmes.

L’aurore boréale a été observée par les anciens. Pline veut sans doute désigner ce phénomène quand il parle en ces termes :

« On voit, dit-il, des torches, des lampes ardentes, des lances, des poutres enflammées dans toute leur longueur. On voit encore, et rien n’est d’un plus terrible présage, un incendie qui semble tomber sur la terre en pluie de sang, ainsi qu’il arriva la troisième année de la cent septième olympiade, lorsque Philippe travaillait à soumettre la Grèce. »

Dans un autre endroit, il dit « qu’on a vu des armées dans le ciel ; qu’elles ont paru se choquer, qu’on a entendu le bruit des armes et le son des trompettes. »

Vers la fin du seizième siècle, à la suite de quelques aurores boréales, des troupes de dix à douze mille pénitents allèrent en pèlerinage à Notre-Dame de Reims et de Liesse, pour signes vus au ciel et feux en l’air.

Des villages, avec leurs seigneurs, viennent faire leurs prières et leurs offrandes à la grande église de Paris, émus, dit le Journal d’Henri III, à faire tels pénitentiaux voyages pour les mêmes objets.

Les chroniqueurs du moyen âge parlent d’armées sanglantes aperçues au ciel, comme d’un présage de grands fléaux. Gassendi vit le premier ce phénomène avec les yeux d’un philosophe ; il l’observa plusieurs fois, et notamment le 12 septembre 1621. Ce fut alors qu’il décrivit le météore et lui donna le nom d’aurore boréale.


  1. M. Dumas (de l’Institut), Éloge historique d’Auguste de la Rive.
  2. Comptes rendus de l’Académie des sciences, 1872, 1er semestre.
  3. Comptes rendus de l’Académie des sciences, 1872, 1er semestre.
  4. Comptes rendus de l’Académie des sciences, 1872, 1er semestre.
  5. Les Mondes scientifiques, 1867 ; t. XIII.
  6. Comptes rendus de l’Académie des sciences, 1872, 1er semestre.