Histoire de la vie et de la mort (trad. Lasalle)/8

Histoire de la vie et de la mort
VIII. Indications pratiques (buts secondaires)
Traduction par Antoine de La Salle.
Œuvres10 (p. 203_Ch8-215).
Intentions (ou indications de buts secondaires).

Après avoir envisagé notre objet par ses différentes faces, en considérant successivement les différentes classes de sujets ; savoir : les corps inanimés, les végétaux, les animaux et l’homme même, nous allons le serrer de plus près, et y tendre plus directement par des indications sûres, immédiates, et qu’on pourra regarder comme une espèce de carte indiquant les vrais sentiers qui conduisent à la prolongation de la vie ; car ce qu’on a écrit jusqu’ici sur ce grand sujet, mérite à peine de fixer l’attention : ce ne sont que de pures spéculations, de simples théories, presque sans objet et sans utilité directe. En effet, lorsqu’on nous prescrit de renforcer la chaleur naturelle et l’humide radical ; de choisir des alimens qui puissent fournir un sang louable, c’est-à-dire, un sang qui ne soit ni trop brûlé, ni trop phlegmatique (séreux) ; enfin, de ranimer et de restaurer les esprits, nous pensons que ceux qui se contentent d’indications si vagues, ont d’assez bonnes intentions, mais ne disent rien en cela qui puisse mener au but. Et quand, d’un autre côté, on nous conseille de tirer de l’or (métal incorruptible) et des pierres précieuses, des compositions qui puissent réveiller et restaurer les esprits, vu les propriétés occultes et l’éclat même de ces substantces[1] ; lorsqu’on prétend de plus que, si l’on pouvoit saisir et retenir dans des vaisseaux, les esprits balsamiques et les quintessences des animaux, on pourroit alors aspirer hardiment à l’immortalité ; que la chair des serpens ou des cerfs a la propriété de renouveler la vie et de rajeunir, en vertu d’une certaine corrélation harmonique, les animaux de la première espèce changeant de peau, et ceux de la dernière changeant de cornes (à quoi l’on auroit pu ajouter la chair de l’aigle, oiseau qui change de bec) : que je ne sais quel individu, ayant trouvé dans une excavation certaine substance onctueuse dont il s’oignit de la tête aux pieds, à l’exception toutefois des plantes des pieds et des parties voisines, vécut, par le moyen de ces onctions, trois cents ans, sans aucune espèce de maladie ou d’incommodité (à la réserve de quelques tumeurs à cette seule partie qui n’avoit pas été enduite) : ou qu’Artésius, sentant ses esprits défaillir, aspira fortement ceux d’un jeune homme vigoureux, et lui causa ainsi la mort ; mais vécut lui-même un grand nombre d’années, en vertu de cet esprit étranger qu’il s’étoit approprié : tous contes ridicules, auxquels nous pouvons ajouter tout ce qu’on dit des heures prospères, (relativement aux figures célestes et aux constellations), où l’on doit recueillir et composer les substances tendant à la prolongation de la vie ; enfin, de ces anneaux planétaires ou constellés, à l’aide desquels on peut puiser, pour ainsi dire, et dériver les influences et les vertus des corps célestes, pour atteindre à notre but ; et une infinité de contes ou de recettes du même genre, tous produits de la superstition ou de l’imposture ; nous sommes toujours étonnés que les hommes aient l’esprit assez foible pour se bercer de telles chimères ; et nous ne saurions trop déplorer la condition du genre humain qui est assez malheureux pour attacher quelque importance à de telles inepties. On ne trouvera ici rien de semblable, et nous osons nous flatter de marcher directement vers le but, en rejetant pour toujours toutes ces frivoles recettes, avec les contes ridicules dont on les appuie. Et nos indications relativement à ce grand but seront de telle nature, que dans la suite on pourra sans doute découvrir beaucoup de nouveaux moyens pour remplir les conditions indiquées, sans pouvoir ajouter beaucoup à ces indications mêmes.

Il est cependant un petit nombre d’observations importantes à faire, et d’avertissemens nécessaires à donner, avant d’entamer la partie exécutive et pratique de notre sujet.

1°. Nous sommes intimement persuadés que les fonctions et les devoirs de la vie importent cent fois plus que la vie même[2]. Si donc il existe quelque moyen qui réponde plus exactement que tout autre à nos indications, et qui mène plus directement à notre but, mais qui soit de nature à empêcher l’individu qu’on veut rendre plus vivace, d’exercer les fonctions et de remplir les devoirs de la vie civile, nous ne balançons point à le rejeter, nous contentant d’en faire tout au plus une légère mention, sans nous y arrêter. Ainsi nous ne conseillerons à qui que ce soit de passer, à l’exemple d’Épiménide, presque toute sa vie dans un antre où les rayons des corps célestes ne puissent pénétrer, ni les variations de la température, se faire sentir ; ni de se tenir perpétuellement dans des bains composés de liqueurs préparées ad hoc ; ou de tenir continuellement appliquée sur sa peau, de la cire ou toute autre substance roide, et de telle manière que le corps semble être perpétuellement emboîté ou encaqué ; ni de s’enduire de certaines substances colorées ou sales, comme telles hordes de sauvages ; ou enfin, de s’astreindre à un régime composé de règles strictes et de mesures d’une précision minutieuse ; en un mot, d’être tellement esclave d’un régime de cette nature, qu’il semble qu’on n’ait d’autre but que celui de vivre, comme le fut, parmi les anciens, Hérodicus, et parmi les modernes, Cornaro, avec un peu moins d’excès toutefois : tous ces moyens étranges, fastidieux ou incommodes, ne méritent pas qu’on s’y attache sérieusement ; et nous n’en parlerons qu’en passant, bien déterminés à ne proposer que des remèdes et des préceptes qui n’empêchent point de remplir les devoirs de la vie commune, et dont il ne résulte pas une trop grande perte de temps, ni un trop grand assujettissement.

En second lieu, que les hommes ne s’imaginent point qu’il ne s’agit ici que d’une bagatelle ; et que, pour atteindre un aussi grand but que celui d’arrêter la marche puissante de la nature, et de la faire rétrograder, il suffise de prendre le matin quelque potion, ou même de faire usage de tel médicament composé de substances précieuses ; mais qu’ils tiennent au contraire pour certain, qu’une telle entreprise est hérissée de difficultés sans nombre ; qu’elle ne peut être exécutée que par la combinaison d’un grand nombre de remèdes mutuellement dépendant les uns des autres, et tous concourant à ce but. Car il n’est, je pense, point d’homme assez stupide pour se persuader que ce qui n’a jamais été exécuté, puisse l’être autrement que par des moyens qui n’ont jamais été tentés[3].

En troisième lieu, nous avouerons ingénument que tel des moyens que nous proposerons n’a pas encore été vérifié par notre propre expérience (notre genre de vie ne nous permettant pas de faire de telles épreuves), mais seulement déduit par une marche très méthodique (autant du moins qu’il nous est permis de nous en flatter), de nos principes et de nos règles dont nous exposons ici une partie, en nous réservant l’autre. Cependant, comme il s’agit ici du corps de l’homme, lequel, selon le langage de l’Écriture sainte, est plus précieux que son habit, nous avons grand soin, et nous nous faisons même une loi de ne proposer que des remèdes, sinon utiles et efficaces, du moins peu dangereux.

4. Une autre remarque d’une absolue nécessité, c’est celle-ci : autres sont les moyens tendant à conserver la santé ; autres ceux qui contribuent à la prolongation de la vie ; car il est une infinité de choses qui, en augmentant l’activité des esprits, mettent ainsi le corps en état d’exécuter avec plus de vigueur toutes les fonctions vitales, et qui ne laissent pas d’abréger la vie[4]. Il en est d’autres qui contribuent puissamment à la prolongation de la vie, et qui ne laissent pas d’être un peu contraires à la santé, si l’on n’a soin d’obvier à cet inconvénient, à l’aide de précautions appropriées à ce but même ; précautions que nous ne manquerons pas d’indiquer, à mesure que l’occasion s’en présentera, et que la nature du sujet l’exigera.

En dernier lieu, pour classer les remèdes que nous allons exposer, nous avons cru devoir les rapporter aux différens buts secondaires qui seront indiqués ci-après, sans nous occuper, ni du choix, ni de l’ordre de ces remèdes. En effet, vouloir spécifier, avec précision, tous les moyens de ce genre qui peuvent convenir aux différens tempéramens, aux différens genres de vie, aux différens âges, etc. la manière dont ils doivent se succéder ; enfin, l’ordre, la liaison et la méthode qu’on doit mettre dans tous ces procédés ; ce seroit se jeter dans des longueurs fastidieuses, et dans une immensité de détails minutieux qui excéderoient les limites d’un ouvrage de la nature de celui-ci.

Dans l’exposé de notre plan et de ses divisions, nous avons indiqué trois intentions ou buts secondaires.

Il faut, disions-nous, 1°. empêcher la consomption.

2°. Perfectionner et compléter la réparation.

3°. Renouveler ou rajeunir ce qui a vieilli.

Mais nos préceptes n’étant rien moins que de simples mots, nous ferons ici l’énumération de dix genres d’opérations relatives à ces trois buts.

1°. Il faut agir sur les esprits, pour les faire reverdir (les renouveler).

2°. La seconde opération a pour but l’exclusion de l’air.

3°. Il faut agir aussi sur le sang, en modifiant et graduant la chaleur qui opère la sanguification.

4°. Agir sur les sucs du corps.

5°. Agir sur les veines (les vaisseaux), pour provoquer et renforcer l’impulsion et la distribution de la substance alimentaire.

6°. Agir sur les parties extérieures, afin qu’elles attirent cette substance avec plus de force.

7°. Agir sur l’aliment même, afin qu’il s’insinue plus aisément dans les parties.

8°. Le but du huitième genre d’opération est de perfectionner et de compléter l’acte même de l’assimilation.

9°. Le but du neuvième est d’humecter, d’amollir et d’assouplir les parties, lorsqu’elles commencent à se dessécher.

10°. Le but du dixième est d’évacuer les vieux sucs, pour les remplacer par de nouveaux.

Les quatre premiers genres d’opération se rapportent à la première de nos trois intentions (ou indications de buts secondaires) ; les quatre suivans, à la seconde ; et les deux derniers, à la troisième.

Mais comme cette partie, qui traite des trois intentions, ou buts secondaires, tend directement à la pratique, nous donnerons, sous le nom même d’histoire, non-seulement des expériences et des observations, mais même des conseils, des remèdes, des explications (ou indications de causes), et des applications (ou indications de moyens) ; en un mot, des principes et des règles ; enfin, tout ce qui peut mener au grand but.

  1. Les hommes souhaitant également de prolonger leur vie et de posséder de l’or, ou des pierres précieuses, se sont imaginés que l’un de ces deux buts devoit être un moyen pour parvenir à l’autre, opinion qu’ils ont établie à l’aide de ce syllogisme tacite et fort semblable à tous ceux qui composent la logique des passions : rien n’est plus précieux que la vie ; l’or et les pierres qualifiées de précieuses le sont également ; donc l’or et les pierres précieuses peuvent prolonger la vie. Mais ne nous hâtons pas trop de nous moquer de cet argument ; car il n’est pas un de nous, spéculatifs, qui ne soit excité par quelque erreur à chercher la vérité, et qui ne vise à des buts contradictoires par des moyens diamétralement opposés à ces buts.
  2. Il importe cent fois plus de bien vivre que de vivre ; car il vaut cent fois mieux n’être point du tout que d’être mal, sans espoir d’être mieux.
  3. Ou par des proportions et des combinaisons nouvelles de moyens déjà éprouvés ; car, si ces moyens élémentaires qui, par leur concours et leur ensemble, composent la règle totale, n’avoient pas été vérifiés par l’expérience, du moins à certains degrés, le tout ensemble seroit purement conjectural.
  4. Ce qui fait vivre trop chaque jour, fait vivre trop peu de jours.