Histoire de la vie et de la mort (trad. Lasalle)/4

Histoire de la vie et de la mort
IV. Durée de vie des animaux
Traduction par Antoine de La Salle.
Œuvres10 (p. 70_Ch4-98).

De la longue ou courte durée de la vie, considérée dans les animaux.
HISTOIRE
Qui se rapporte à la question de l’article 3.

Nous n’avons, sur la durée moyenne de la vie des animaux, que des connoissances très imparfaites, les observations en ce genre étant très superficielles, et les traditions fabuleuses. La servitude corrumpt et fait dégénérer les animaux domestiques, et les variations excessives de l’air abrègent la vie des animaux sauvages.

Enfin, les causes, les circonstances, ou les conditions qu’on peut regarder comme des concomitances[1], telles que le volume du corps de l’animal, le temps de la gestation, le nombre des petits, provenant de chaque portée ou couvée, le temps de l’accroissement, ne peuvent être d’un grand secours dans cette recherche, parce qu’elles se compliquent et se combinent de différentes manières, et en différentes proportions, se trouvant quelquefois réunies, quelquefois séparées.

1. La durée de la vie moyenne de l’homme (autant du moins qu’on peut le conclure des observations les plus certaines) excède sensiblement celle de presque tous les autres animaux. Ici les concomitances sont assez d’accord, et presque toutes dans le même sens ; le volume total est grand et la taille haute ; le temps de la gestation est de neuf mois ; chaque grossesse ne produit ordinairement qu’un seul fœtus ; la puberté n’a lieu qu’à quatorze ans ; et l’accroissement dure jusqu’à vingt.

2. La durée moyenne de la vie de l’éléphant, comme on n’en peut douter, excède celle de la vie humaine. Les relations qui supposent que, dans les animaux de cette espèce, la gestation est de dix ans, doivent être regardées comme fabuleuses ; celles qui la portent à deux ans, ou du moins au-delà d’une année, sont plus certaines ; mais d’ailleurs le volume de ces animaux est énorme, et leur accroissement dure jusqu’à trente ans. Leurs dents sont très grandes et très fortes. On a observé aussi que le sang de l’éléphant est plus froid que celui de tous les autres animaux. Enfin, il peut vivre jusqu’à deux cents ans.

3. On croit communément que les lions sont fort vivaces, parce qu’on en trouve quelquefois qui ont perdu toutes leurs dents. Mais un tel signe est un peu équivoque ; la perte de leurs dents pourroit avoir toute autre cause, entr’autres leur haleine extrêmement forte.

4. L’ours est un animal paresseux et grand dormeur ; cependant sa vie n’en est pas plus longue. Or, un signe qui annonce assez cette courte durée, c’est que le temps de la gestation, dans cette espèce d’animaux, est extrêmement court, et va tout au plus à quarante jours.

5. Le renard est un animal en qui l’on trouve aussi réunies plusieurs conditions qui sembleroient devoir concourir à la prolongation de sa vie ; il est couvert d’une bonne fourrure ; il est carnivore ; il vit dans un terrier : cependant il n’est pas très vivace. Quoi qu’il en soit, il est certain qu’il doit être rapporté à la même classe que le chien, animal dont la vie est fort courte.

6. La vie moyenne du chameau est assez longue ; il vit ordinairement cinquante ans, et quelquefois même cent.

7. La durée de la vie du cheval tient le milieu entre celles des animaux précédens elle est rarement de quarante ans ; le plus ordinairement de vingt : mais cette courte durée doit être imputée à l’homme qui le réduit en servitude ; car la race de ces chevaux généreux connus autrefois sous le nom de chevaux du soleil, est entièrement détruite, chevaux qui, paissant en toute liberté, et se donnant carrière dans de gras pâturages, avoient toute la rigueur que leur espèce peut acquérir. Cependant le cheval croît jusqu’à la sixième année, et peut engendrer même dans sa vieillesse. La gestation de la jument est de plus longue durée que la grossesse de la femme, et rarement elle met bas des jumeaux. L’âne vit à peu près autant que le cheval, mais le mulet est plus vivace que l’un et l’autre.

8. On croit communément que le cerf vit fort long-temps ; opinion toutefois qui n’est fondée sur aucune observation certaine et directe. Quelques relations parlent de je ne sais quel cerf (extrêmement vieux), et portant un collier qui indiquoit son âge ; collier qui étoit presque entièrement recouvert par la chair et la graisse de l’animal. La longue durée de la vie du cerf est d’autant moins probable, que, dans l’espace de cinq années, il prend tout son accroissement, et qu’ensuite à son premier bois, qui tombe et se renouvelle tous les ans, succède un autre bois, dont les parties sont moins serrées et moins branchues.

9. La vie du chien est fort courte, comme nous le disions plus haut ; elle s’étend rarement au-delà de vingt ans, quelquefois même elle ne passe pas la quatorzième année. Cet animal est d’une complexion fort chaude ; sa vie est fort inégale ; elle se passe tantôt à faire des exercices violens, tantôt à dormir. Sa femelle met bas plusieurs petits d’une seule portée, et la gestation dure neuf semaines.

10. Le bœuf, eu égard à sa taille et à sa force, vit fort peu et parvient tout au plus à la seizième année ; la femelle toutefois est un peu plus vivace que le mâle ; cependant elle ne met bas qu’un seul veau par chaque portée, et la gestation dure six mois. Cet animal est paresseux et très charnu ; il engraisse aisément, et ne se nourrit que d’herbages.

11. Rarement le mouton parvient à la dixième année ; ce qui semble contraire à quelques-uns de nos principes ; car cet animal est de grandeur moyenne ; il est bien fourré ; et (ce qui peut paraître étonnant) quoiqu’il ait très peu de bile, sa laine ne laisse pas d’être plus crépue et plus frisée que le poil d’aucun animal. Le bélier n’est en état d’engendrer que vers la troisième année, ce qui dure jusqu’à la huitième. Quant à la brebis, sa fécondité dure autant que sa vie ; les animaux de cette espèce sont d’une constitution très foible et sujets à beaucoup de maladies ; rarement l’individu parvient à l’âge propre à son espèce.

12. Le bouc (ainsi que la chèvre) vit à peu près autant que le mouton, et lui ressemble à beaucoup d’autres égards ; cependant il est beaucoup plus agile, et sa chair est un peu plus ferme ; deux causes qui doivent le rendre plus vivace ; mais il est beaucoup plus lascif, ce qui doit abréger d’autant la durée de sa vie.

13. Le porc peut vivre jusqu’à quinze ans, et même jusqu’à vingt ; c’est de tous les animaux celui dont la chair est le plus humide (onctueuse). Cependant il paroît que l’effet de cette constitution n’est pas de rendre sa vie plus longue. Nous n’avons point d’observations certaines relativement au sanglier, ou porc sauvage.

14. Les limites de la vie du chat sont entre six ans et dix. C’est un animal fort agile ; ses esprits sont si âcres et si ardens, que sa semence, au rapport d’Elien, brůle la femelle : d’où est née sans doute cette opinion, que la chatte conçoit dans la douleur, et met bas avec facilité. Le chat est un animal fort avide, et semble dévorer plutôt que manger.

15. Le lièvre et le lapin parviennent rarement à la septième année ; les animaux de ces deux espèces engendrent fréquemment ; ils ont beaucoup de petits à chaque portée, et quelquefois même des superfétations. Il y a toutefois entre ces deux espèces cette différence, que le lapin vit dans un terrier, au lieu que le lièvre se tient à la surface de la terre, et que la chair de ce dernier est plus noire que celle du premier.

16. Généralement parlant,les oiseaux sont beaucoup moins grands que les quadrupèdes. En effet, l'aigle, ou le cygne, n’est nullement comparable, pour le volume , au bœuf, ni l’autruche à l’éléphant.

17. Les oiseaux sont très bien couverts, car la plume a plus de chaleur et est plus serrée contre le corps, que la laine, le poil ou les cheveux.

18. Quoique les oiseaux aient plusieurs petits à chaque couvée, cependant ces petits ne se trouvent pas tous ensemble dans la matrice. Mais la femelle pond un à un (successivement et périodiquement) les œufs d’où ils proviennent; ce qui procure au fœtus une nourriture plus abondante. Les oiseaux ne mâchent point ou presque point leurs alimens; quelquefois même on les trouve encore entiers dans leur jabot; cependant quelques-uns brisent les coquilles des noix ou des noisettes, et en tirent l’amande ou la pulpe. On pense communément qu'ils sont d’une constitution fort chaude, et qu’ils ont une grande force digestive.

19. Le mouvement des oiseaux, tandis qu’ils volent, tient le milieu entre les mouvemens propres aux membres ou aux extrémités (des animaux terrestres), et le mouvement de gestation[2]. C’est par conséquent le genre d’exercice le plus salubre.

20. Une observation très judicieuse d’Aristote, par rapport aux oiseaux (observation toutefois qu’il n’auroit pas dû appliquer aux autres animaux), c’est que la semence du mâle contribue beaucoup moins à la génération que la substance de la femelle, et qu’elle fournit plutôt un principe d’activité, une sorte d’énergie, qu’une matière proprement dite[3]. Aussi est-il impossible de démêler, à la simple vue, les œufs féconds d’avec les œufs stériles.

21. Presque tous les oiseaux acquièrent, durant la première année, ou fort peu de temps après, tout le volume propre à leur espèce. Il est vrai que, dans certaines espèces, l’âge de l’individu est indiqué par le plumage, et dans d’autres par le bec. Mais la taille, ou le volume total du sujet, ne fournit aucune indication de cette nature.

22. On croit communément que l’aigle vit fort long-temps ; mais combien d’années précisément ? c’est ce qu’on ignore. On regarde comme un signe de longue vie, dans les oiseaux de cette espèce, l’avantage qu’ils ont de changer de bec ; renouvellement qui semble les rajeunir ; d’où est venue cette expression proverbiale, la vieillesse de l’aigle. Mais, pour donner de l’un et de l’autre une juste idée, au lieu de dire que le rajeunissement de l’aigle renouvelle son bec, il faut dire, au contraire, que c’est le renouvellement de son bec qui le rajeunit. Car, lorsque le bec de cet oiseau, à force de croître, est devenu excessivement courbe, il ne peut plus prendre ses alimens qu’avec beaucoup de difficulté.

23. On croit aussi que les vautours vivent fort long-temps, et parviennent quelquefois à la centième année. De même les milans, et en général tous les oiseaux vulgairement appelés oiseaux de proie, sont très vivaces. Quant à l’épervier, comme il dégénère dans la servitude où l’homme le réduit pour son propre usage, la durée ordinaire de la vie des oiseaux de cette espèce est moins connue ; cependant on a vu des éperviers apprivoisés qui ont vécu trente ans, et des éperviers sauvages qui en ont vécu quarante.

24. On prétend que le corbeau est aussi fort vivace, et peut même vivre un siècle ; c’est un oiseau carnivore ; il vole moins fréquemment et est plus sédentaire que ceux des autres espèces ; sa chair est fort noire ; mais la corneille, qui, à la voix et à la taille près, lui ressemble beaucoup, est un peu moins vivace ; cependant elle passe pour vivre aussi fort long-temps.

25. On s’est assuré, par l’observation, que le cygne est aussi très vivace, et qu’il peut vivre près d’un siècle ; c’est un oiseau fort bien emplumé ; ses plumes sont grandes, fortes et serrées contre le corps. Il est ichthyophage (mangeur de poissons) et dans un perpétuel mouvement de gestation ; il aime les eaux courantes.

26. L’oie peut aussi être rangée parmi les oiseaux vivaces, quoiqu’elle se nourrisse principalement d’herbages et d’autres substances analogues ; sur-tout l’oie sauvage, dont la longue vie est consignée dans cette expression proverbiale usitée en Allemagne : il est plus vieux qu’une oie sauvage.

27. Il faut, sans doute, que la vie des cigognes soit de très longue durée, s’il est vrai (comme le prétendoient les anciens) que les oiseaux de cette espèce n’approchoient jamais de la ville de Thèbes, parce qu’elle avoit été prise un grand nombre de fois. Car, pour qu’elles eussent été capables d’une telle précaution, il auroit fallu qu’elles eussent une assez heureuse mémoire pour se rappeler les événemens d’un siècle entier et plus, ou que les pères et les mères, dans cette espèce, enseignassent la géographie et l’histoire à leurs petits, mais toute cette relation doit être regardée comme une fable.

28. Dans les relations qui concernent le phénix la partie fabuleuse est tellement dominante, que le peu de vérités qui peuvent s’y mêler, s’y trouvent entièrement noyées. Qu’on le voie toujours, lorsqu’il prend son essor, accompagné d’une infinité d’oiseaux de différentes espèces, cette circonstance, qui paroît ordinairement si merveilleuse, est précisément ce qui m’étonne le moins ; car on observe à peu près la même chose, par rapport au hibou, lorsqu’il paroît durant le jour, ou relativement à un perroquet échappé de sa cage.

29. C’est un fait assez bien constaté que le perroquet peut vivre jusqu’à soixante ans, quel que fût d’ailleurs son âge au moment où il a été apporté des pays chauds. Il se nourrit d’alimens de toute espèce, qu’il semble mâcher. Son bec se renouvelle de temps en temps. C’est un oiseau revêche et un peu féroce, sa chair est fort noire.

30. Le paon peut vivre jusqu’à vingt ans ; ces espèces d’yeux qu’on voit sur son plumage, ne paroissent point avant sa troisième année. Cet oiseau a le pas lent et grave ; sa chair est blanche.

31. Le coq ordinaire est un oiseau vif, ardent, lascif, guerrier, peu vivace ; sa chair est également blanche.

32. Le coq-d’inde vit un peu plus que le coq ordinaire ; c’est un oiseau fort colère, et sa chair est blanche.

33. Le pigeon ramier est très vivace et parvient quelquefois à la cinquantième année. C’est un oiseau qui aime le grand air ; il perche et fait son nid sur les arbres les plus élevés. Quant au pigeon de colombier et à la tourterelle, leur vie est courte et s’étend tout au plus jusqu’à la huitième année.

34. Mais les faisans et les perdrix peuvent vivre jusqu’à seize ans. Les oiseaux de ces deux espèces multiplient beaucoup, et leur chair est d’une couleur un peu plus obscure que celle des oiseaux de basse-cour.

35. On prétend que de tous les oiseaux de petite taille, le merle est le plus vivace ; quoi qu’il en soit, c’est un oiseau hardi, mutin et bruyant.

36. La courte durée de la vie des moineaux est assez connue ; on l’attribue communément à l’excessive lubricité des oiseaux de cette espèce ; mais le chardonneret, qui n’est pas plus gros, peut vivre jusqu’à vingt ans.

37. Nous n’avons aucune observation certaine sur la durée de la vie des autruches ; tout ce que nous savons sur ce point, c’est que celles qu’on a voulu rendre domestiques, ont très peu vécu. Quant à l’ibis, on sait seulement, en général, que cet oiseau est très vivace, sans avoir pu encore déterminer avec précision sa durée.

38. La durée de la vie moyenne des poissons est moins connue que celle des animaux terrestres ; parce que, vivant sous les eaux, ils sont plus difficiles à observer. La plupart des animaux de cette classe ne respirent point ; en conséquence, leurs esprits sont plus renfermés, plus clos. Ainsi, quoiqu’ils se rafraîchissent un peu par leurs ouïes, cependant un tel rafraîchissement ne peut être aussi continu que celui qui est l’effet de la respiration.

39. Comme les poissons vivent dans l’eau, ils n’ont point à craindre cette dessiccation, qui est l’effet de l’air ambiant et des déprédations que ce fluide exerce sur les corps animés qui sont exposés à son action. Cependant, il n’est pas douteux que l’eau, qui environne un corps animé, ainsi que celle qui pénètre, par ses pores, dans son intérieur, et qui s’y loge, ne soit plus contraire à la durée de la vie, que l’air même.

40. On sait d’ailleurs que leur sang est beaucoup moins chaud que celui des animaux terrestres. Quelques-uns sont très voraces, et dévorent même ceux de leur propre espèce. Leur chair est plus molle et a moins de cohérence que celle des animaux terrestres ; cependant ils sont susceptibles d’un plus grand accroissement, comme on en peut juger par le volume énorme des baleines, dont on tire une si prodigieuse quantité d’huile.

41. On croit que les dauphins vivent environ trente ans ; fait qu’on a vérifié, en coupant la queue à quelques-uns ; ils croissent jusqu’à l’âge de dix ans.

42. Il est une observation assez étonnante, qu’on prétend avoir faite sur les poissons. Ces animaux, dit-on, passé l’époque de leur plus grand accroissement, diminuent ensuite d’années on années, mais seulement entre tête et queue ; ces deux dernières parties conservant leurs premières dimensions.

43. On a vu jadis, dans les viviers des Césars, des murènes qui ont vécu jusqu’à soixante ans. Il est certain, du moins, que, par une longue habitude, elles devenoient tellement familières que l’orateur Crassus, en ayant perdu une, à laquelle il étoit fort attaché la regretta au point de verser des larmes.

44. De tons les poissons d’eau douce, le plus vivace est le brochet, qui peut vivre jusqu’à quarante ans. C’est un poisson fort vorace ; sa chair est sèche et ferme.

45. Mais la carpe, la brème, la tanche, l’anguille et autres semblables poissons, passent rarement la dixième année.

46. Le saumon croît rapidement et vit très peu ; il en est de même de la truite ; mais la perche, qui croit plus lentement, est aussi plus vivace.

47. Nous n’avons point d’observations assez certaines ou assez exactes, pour être en état de déterminer avec précision la durée de la vie de la baleine, ou de ces gros poissons dont quelques-uns lui font la guerre. Il en faut dire autant des phoques, des loups-marins, vaches-marines, lions-marins et d’une infinité d’autres poissons.

48. On croit communément que le crocodile est fort vivace, et que le temps de son accroissement est fort long ; on prétend meme qu’il est parmi les animaux, le seul qui croisse durant toute sa vie ; c’est un animal ovipare, très vorace, carnivore, féroce, et revêtu d’une enveloppe qui le garantit très bien de l’action de l’eau. Quant aux autres espèces de la classe des testacées, nous n’avons, par rapport à la durée de leur vie, aucune observation sur laquelle nous puissions faire fond.

OBSERVATIONS GÉNÉRALES.

Il est difficile d’établir quelque règle fixe et certaine, par rapport à la durée de la vie dans les différentes espèces d’animaux ; vu le petit nombre ou le peu d’exactitude des observations qu’on a faites sur ce sujet, et la complication des causes qui peuvent, par leur concours ou leur opposition, augmenter ou diminuer cette durée. Ainsi nous nous contenterons de faire quelques observations générales sur ce sujet.

1°. On trouve plus d’animaux vivaces dans la classe des oiseaux, que dans celle des quadrupèdes : du premier genre sont l’aigle, le vautour, le milan, le pélican, le corbeau, la corneille, le cygne, l’oie, la cigogne, la grue, l’ibis, le perroquet, le pigeon ramier, etc. quoique ceux de cette première classe prennent tout leur accroissement dans l’espace d’une année et soient beaucoup plus petits : différence qu’on peut attribuer à plusieurs causes. En premier lieu, l’enveloppe des oiseaux les garantit fort bien des variations soudaines et des intempéries de l’air atmosphérique ; et comme ils vivent dans un air libre, ils ont, à cet égard, quelque analogie avec les habitans des montagnes, qui respirent un air très pur et qui vivent fort long-temps. De plus, leurs mouvemens habituels, qui participent du mouvement de gestation, et de celui qui est propre aux membres ou aux extrémités (comme nous l’avons déjà observé), est moins fatigant ; il ébranle moins les parties intérieures, et par conséquent il est plus salubre que ceux des animaux terrestres ; à quoi l’on peut ajouter que, peu après leur formation, ils n’éprouvent, dans la matrice des femelles, aucune compression, ni aucune disette d’alimens, comme les animaux terrestres ; les femelles pondant successivement et périodiquement les œufs d’où ils proviennent. Mais la principale cause de cette différence dont nous voulons rendre raison, est que les oiseaux se forment plus de la substance de la mère que de celle du père ; en conséquence, leurs esprits doivent être moins ardens et moins enflammés.

2°. On peut poser pour principe : que les animaux, dont la substance est extraite de celle de la mère, plus que de celle du père, sont plus vivaces ; et de ce genre sont les oiseaux, comme nous venons de le dire. On peut supposer également que ceux qui séjournent plus long-temps dans la matrice, tiennent davantage de la substance de la mère et moins de la semence du père ; qu’en conséquence ils doivent être aussi plus vivaces ; en sorte que notre sentiment, sur ce sujet, est que, même dans notre espèce (et c’est une observation que nous avons faite sur plusieurs individus), ceux qui ressemblent plus à leur mère qu’à leur père, sont plus vivaces, et qu’il en est de même des sujets provenus d’hommes un peu âgés et d’épouses fort jeunes, en supposant toutefois que les pères soient d’une constitution saine et n’aient aucune des infirmités propres à cet âge.

3°. Tous les corps organisés, dans le temps même où ils se forment, ou peu de temps après leur formation, sont plus affectés par tout ce qui peut leur être utile ou nuisible, que dans tout autre temps ; d’où il suit que, si le fœtus est moins comprimé dans la matrice, ou y trouve une nourriture plus abondante, l’individu qui en provient doit être plus vivace ; deux conditions qui se trouvent réunies, soit dans les oiseaux, dont les fœtus sortent successivement et périodiquement, soit dans les animaux vivipares qui n’ont qu’un seul petit à chaque portée.

4°. Or, un plus long séjour du fœtus dans la matrice contribue, de trois manières, à la prolongation de la vie. Car alors, en premier lieu, la substance du fœtus participe davantage de celle de la mère, comme nous l’avons déjà observé. En second lieu, au moment de sa naissance, il est plus fort et mieux consolidé. Enfin, il n’est pas sitôt exposé à l’action de la force déprédatrice de l’air extérieur ; d’ailleurs un long séjour du fœtus dans la matrice annonce que les périodes naturelles et propres à son espèce sont de plus longue durée. Or, quoique le bœuf et le mouton (deux espèces où le temps de la gestation est de six mois) soient peu vivaces, néanmoins cette courte durée de leur vie, qui semble être une exception à la règle, ne la détruit point, attendu qu’elle peut être attribuée à d’autres causes plus puissantes que celles qui sont l’objet de cette règle.

5°. Les animaux qui ne se nourrissent que de graines et d’herbages, vivent peu. Les animaux carnivores, ou encore ceux qui se nourrissent de graines, de semences et de fruits, comme les oiseaux, sont plus vivaces. Car les cerfs eux-mêmes, qui vivent fort long-temps, ne se nourrissent pas seulement d’herbes ; mais, suivant une expression proverbiale, ils trouvent la moitié de leur nourriture au-dessus de leur tête. Quant à l’oie, outre les plantes graminées dont elle se nourrit, elle semble tirer de ces eaux mêmes où elle se plaît, quelque substance ou émanation salutaire.

6°. Notre sentiment est qu’une enveloppe chaude et serrée qui garantit le corps de l’animal de l’action de l’air extérieur, contribue aussi à la prolongation de sa vie ; l’effet de cette action étant d’affoiblir et de miner peu à peu les corps qui s’y trouvent exposés[4]. C’est dans les oiseaux que l’avantage d’une telle enveloppe se manifeste le plus sensiblement ; et si le mouton, quoique bien couvert et bien fourré, vit fort peu, cette courte durée duit être attribuée à ce grand nombre de maladies auxquelles il est sujet, et aux herbages qui font toute sa nourriture.

7°. Le principal siège des esprits est certainement dans la tête ; or, une observation qu’on n’applique ordinairement qu’aux esprits animaux, mais qui doit être généralisée, et qui peut passer pour certaine, c’est que l’esprit est ce qui lèche, pour ainsi dire, dérobe et consume le plus promptement la substance du corps animé : en sorte que toute cause qui en augmente la quantité, l’inflammation ou l’acrimonie, abrège, par cela même, la durée de la vie. En conséquence, nous pensons que la longue durée de la vie des oiseaux vient sur-tout de ce qu’ils ont la tête fort petite, eu égard à leur volume total, et par la même raison, que les hommes, qui ont un crâne fort ample, et en général la tête fort grosse, vivent moins long-temps que les autres.

8°. Nous pensons (et c’est une observation que nous avons déjà faite) que, de tous les mouvemens propres aux animaux, le plus favorable à la prolongation de la vie, c’est celui de gestation ; mouvement commun aux oiseaux aquatiques, tels que le cygne ; à tous les oiseaux, en général, durant leur vol (genre d’action toutefois où il se trouve combiné avec des mouvemens assez pénibles des extrémités) ; enfin, aux poissons, sur lesquels jusqu’ici on n’a pas fait des observations assez exactes ni assez multipliées, pour qu’on puisse en conclure avec certitude qu’en général ils sont fort vivaces.

9°. Les corps qui ont besoin d’un temps plus long pour acquérir toute la perfection dont ils sont susceptibles (et il ne s’agit pas simplement ici de l’augmentation de leur volume total ; mais de toute cette gradation par laquelle ils parviennent à leur complète maturité ; par exemple, dans l’homme, des dents qui poussent d’abord, de ce poil folet ou de ce duvet qui paroît à l’époque de la puberté, de la barbe qui pousse ensuite, etc.) ; ces corps, dis-je, sont, par cela même, plus vivaces et de plus longue durée. Cette lenteur avec laquelle ils marchent vers leur perfection, annonçant la longue durée de leurs périodes naturelles, d’où résulte nécessairement celle de la période totale dans laquelle leur vie est circonscrite.

10°. Les animaux d’un naturel fort doux (tels que le mouton et le pigeon), vivent fort peu, la bile étant, dans le corps de l’animal, le stimulant qui anime tous les mouvemens, et qui fait que toutes les fonctions s’exécutent avec plus de vigueur.

11°. Les animaux dont la chair est noire, ou de couleur obscure, sont ordinnairement plus vivaces que ceux dont la chair est blanche et de couleur claire ; cette couleur obscure annonçant que les sucs du corps sont moins fluides et moins faciles à dissiper.

12°. Dans toute substance corruptible, la quantité même de la matière contribue à la conservation du tout ; par exemple, un grand feu s’éteint plus lentement qu’un petit ; une petite quantité d’eau s’évapore plus vite qu’une grande[5] ; un tronc d’arbre ne se dessèche pas aussi promptement qu’une branche ou un scion. Ainsi, généralement parlant (dans les espèces, veux-je dire, et non dans les individus), les grands animaux sont plus vivaces que les petits ; à moins que quelque autre cause plus puissante ne détruise l’effet naturel de ce plus grand volume.

  1. Pour abréger l’expression, nous emploierons quelquefois ce mot dont nous avons fait un fréquent usage dans la Balance naturelle ; il représentera tous les suivans : les causes, les circonstances ou les conditions qui déterminent le fait en question, ou qui en font partie.
  2. Nous avons appelé gestation le séjour du fœtus dans la matrice, et nous appellerons mouvemens de gestation, les mouvemens analogues à ceux de l’oiseau qui vole, du poisson qui nage, ou de l’homme qui va à cheval ou en voiture.
  3. Les mouvemens convulsifs de la génération et l’épuisement qui la suit, semblent annoncer qu’elle dépend, en grande partie, d’une abondante émission d’esprits vitaux.
  4. Il paroit que ce fluide, en desséchant la substance du corps animé, accélère ce raccornissement universel qui constitue la vieillesse ; car, lorsqu’on vit au grand air, le corps est plus sec et plus ferme, que lorsqu’on mène une vie sédentaire.
  5. Et une même quantité d’eau, faisant partie d’une petite masse, s’évapore plus vite que si elle faisoit partie d’une grande ; parce que, dans le premier cas, présentant à l’air une plus grande surface, elle est ainsi plus exposée à son action.