Histoire de la vie et de la mort (trad. Lasalle)/3

Histoire de la vie et de la mort
III. Dessiccation
Traduction par Antoine de La Salle.
Œuvres10 (p. 46_Ch3-69).
Dessiccation ; causes qui la préviennent ou la retardent ; amollissement des parties desséchées.
HISTOIRE
Répondant à lu question de l’article 2.

1. Le feu, ou une chaleur très forte dessèche certaines substances, et liquéfie les autres, comme l’observe le poëte.

Il fait voir comment l’action d’un seul et même feu durcit le limon et liquéfie la cire.

Ce feu, dis-je, ou cette chaleur dessèche la terre, les pierres, le bois, les étoffes, les peaux et toutes les matières qui ne sont pas susceptibles de devenir liquides ou fluides. Mais l’un ou l’autre liquéfie les métaux, les gommes, le beurre, le suif et autres matières semblables.

2. Cependant on doit observer, par rapport à ces matières mêmes que le feu liquéfie, que, si la chaleur a beaucoup d’intensité, elle finit par les dessécher ; c’est ce qu’on observe dans les métaux exposés à l’action d’un feu d’une grande force. On voit alors qu’après l’émission de leur partie volatile, tous (l’or excepté) perdent de leur poids et deviennent plus fragiles. De même les substances huileuses, dont nous parlions, étant exposées à l’action d’un grand feu, se grillent, se torréfient, deviennent fort sèches et forment des espèces de croûtes.

3. L’air, sur-tout, lorsqu’il est libre, a sensiblement la propriété de dessécher, jamais celle de liquéfier. On en voit des exemples dans les chemins ou la surface des champs, qui, après avoir été détrempés par les pluies, se dessèchent ; ainsi que dans le linge, lorsqu’après l’avoir lavé, on le fait sécher en l’exposant à l’air ; enfin, dans les herbes, les feuilles et les fleurs, qui se dessèchent aussi, même à l’ombre. Mais l’air produit plus promptement et plus sensiblement ces effets, lorsqu’il est échauffé par les rayons solaires (en supposant toutefois qu’ils n’occasionnent pas la putréfaction des matières qu’on expose à leur action), ou lorsqu’il est en mouvement, comme on l’observe dans les temps où il règne de grands vents, et dans les lieux où il y a des courans d’air.

4. La vieillesse, ou la vétusté, est une cause puissante, mais très lente, de dessiccation ; ce dont on peut voir une infinité d’exemples dans tous les corps qui vieillissent sans se putréfier ; mais la vieillesse, ou la vétusté, n’est rien par elle-même ; ce n’est point, à proprement parler, une cause, mais seulement une certaine mesure ou quantité de temps. La véritable cause de l’effet dont nous parlons, n’est autre que l’esprit inné des corps qui, suçant, pour ainsi dire, et pompant peu à peu leur humor, l’entraîne ensuite avec soi en s’exhalant ; à quoi il faut ajouter l’air ambiant qui se multiplie en consumant continuellement les esprits innés des différens corps, et en se les appropriant.

5. Le froid est, à proprement parler, ce qui dessèche le plus ; car toute dessiccation n’a lieu qu’en conséquence de la contraction, qui est l’effet propre et direct du froid. Mais, quoique nous puissions donner à la chaleur la plus grande intensité, par le moyen du feu, nous n’avons en notre disposition qu’un froid très foible ; par exemple, le froid naturel de l’hiver, ou ce froid artificiel que nous pouvons nous procurer par le moyen de la glace et de la neige, combinées avec le nitre. C’est pourquoi les dessiccations artificielles, opérées par le froid, sont très légères, et ne résistent point à l’action des plus foibles causes. Nous voyons cependant que la gelée dessèche la surface de la terre, et que les vents du mois de mars produisent cet effet plus promptement et plus sensiblement que le soleil même ; ce vent qui lèche, pour ainsi dire, et absorbe l’humidité, étant aussi une cause de froid.

6. La fumée d’un foyer peut dessécher certaines substances, telles que le lard, les langues de bœuf, etc. qu’on suspend pour cela dans les cheminées, et sur lesquelles, comme on sait, elle produit cet effet.

7. Le sel, à l’aide d’un temps un peu long, dessèche plusieurs substances, non-seulement à leur surface, mais même intérieurement, comme on en voit la preuve dans les viandes et les poissons salés ; car on sait que, lorsqu’on les a laissés fort long-temps dans le sel, ils se durcissent très sensiblement, même à l’intérieur.

8. Les gommes très chaudes, appliquées sur la peau, la dessèchent et la rident ; effet que produisent aussi certaines eaux astringentes.

9. L’esprit de vin, bien déphlegmé, dessèche à tel point et imite tellement les effets du feu à cet égard, que le blanc d’œuf qu’on tient plongé dans cette liqueur, y devient d’un blanc mat, et que le pain s’y torréfie.

10. Certaines substances réduites en poudre ont, ainsi que des éponges, la propriété de dessécher, en absorbant l’humidité, comme on le voit par l’effet de cette poudre qu’on jette sur une écriture fraîche. Le poli et le tissu serré de la surface d’un corps (conditions qui ne permettent pas à une vapeur de pénétrer dans ses pores) dessèchent aussi, mais accidentellement et médiatement, en exposant cette vapeur à l’action de l’air : on en voit des exemples dans les diamans, les miroirs et les lames d’épée. Car, lorsqu’on souffle dessus, leur surface se couvre d’abord d’une vapeur fine et déliée, qui s’évanouit bientôt et se dissipe comme un léger nuage. Ces recherches sur la dessiccation peuvent suffire pour le moment.

11. Les habitans des parties orientales de l’Allemagne, pour conserver le froment ou d’autres espèces de grains, les mettent dans des caves ou autres souterrains qui leur servent de greniers ; avec la précaution toutefois de les environner de paille, dont ils revêtent les parois de ces cavités jusqu’à une certaine hauteur, pour en éloigner et absorber toute l’humidité naturelle de la terre ; par ce moyen les grains se conservent jusqu’à vingt ou trente ans. Et non-seulement ils les préservent ainsi de la putréfaction, mais (ce qui tend plus directement à l’objet de la recherche actuelle) ils conservent tellement leur verdeur (fraîcheur), qu’on en peut faire de très bon pain. Quelques historiens vous apprennent que cette méthode étoit aussi en usage dans la Cappadoce, dans la Thrace et dans certaines provinces de l’Espagne.

12. Les grains se conservent très bien dans des greniers placés au haut des édifices, et dont les fenêtres sont tournées vers l’orient et vers le nord. On parvient aussi à ce but par un autre moyen ; on a deux greniers, l’un au-dessus de l’autre ; le plancher inférieur du grenier supérieur est percé, et le grain s’écoule continuellement par ce trou, comme le sable dans certaines horloges ; puis quelques jours après on le rejette, avec des pelles, dans le grenier supérieur ; en sorte que ce grain est dans un mouvement continuel. Or, on doit observer que l’effet des moyens de ce genre sur le grain, n’est pas seulement de le préserver de la putréfaction, mais encore de le conserver frais, et d’en retarder la dessiccation ; effet dont la cause n’est autre que celle même que nous avons indiquée plus haut ; savoir : l’émission plus prompte de l’humor aqueux ; émission qui, étant accélérée par le mouvement du grain et par le vent, naturel ou artificiel, empêche ainsi celle de l’humor oléagineux qui s’exhaleroit avec l’humor aqueux, si l’émission de celui-ci étoit plus lente. On a observé aussi que, sur certaines montagnes, où l’air est très pur, les cadavres se conservent pendant plusieurs jours, presque sans le plus léger indice de putréfaction.

13. Les fruits, tels que des grenades, des citrons, des pommes, des poires, etc. et même des fleurs, comme la rose, le lilas, etc. mis dans des vaisseaux de terre bien bouchés, s’y conservent fort longtemps ; quoique, dans cette expérience, les variations de l’air ambiant, sur-tout par rapport au chaud et au froid, qui pénètrent et se font sentir jusque dans l’intérieur de ces vaisseaux, puissent nuire un peu à l’effet qu’on veut obtenir. Aussi parviendra-t-on plus sûrement à ce but, si l’on a soin de boucher exactement ces vaisseaux ; et après les avoir ainsi bouchés, de les enfouir : effet qu’on obtiendra également, si, au lieu de les enfouir, on les tient plongés au fond de l’eau, pourvu toutefois que cette eau soit ombragée comme celle des puits ou des citernes pratiquées dans les maisons. Mais lorsqu’on veut les tenir au fond de l’eau, il vaut mieux les mettre dans des vaisseaux de verre, que dans des vaisseaux de terre.

14. Généralement parlant, les corps enfouis, ou tenus, soit dans des souterrains, soit au fond de l’eau, conservent mieux leur fraîcheur, que ceux qu’on tient au-dessus de la surface de la terre.

15. Voici un fait qu’on a observé dans les glacières qui se trouvent sur les montagnes, dans des excavations naturelles, ou dans des puits creusés ad hoc. Si on y laisse tomber par hazard une pomme, une châtaigne, ou une noix ; quelques mois après, lorsque la neige, en se fondant, les laisse reparoître ; ou encore lorsqu’on les trouve dans cette neige même, ces fruits paroissent aussi frais et aussi beaux que s’ils venoient d’être cueillis.

16. Dans les campagnes, on conserve le raisin en mettant les grappes dans de la farine ; quoique cette substance leur donne une saveur moins agréable, ils ne laissent pas d’y conserver leur humor et leur fraîcheur. On s’est assuré aussi par l’expérience que des fruits qui ont plus de consistance, se conservent non-seulement dans la farine, mais encore dans la sciure de bois, et même dans des tas de grains entiers.

17. C’est une opinion assez généralement reçue, que les corps se conservent mieux dans les liqueurs qui en sont extraites, et qui sont comme leurs menstrues, que dans toute autre ; par exemple, les raisins, dans le vin, les olives, dans l’huile, etc.

18. Les grenades et les coings se conservent très bien, lorsqu’après les avoir plongés un instant dans l’eau de mer, ou dans une eau salée quelconque, et les en avoir tirés, on les expose à l’air libre, pour les faire sécher, mais à l’ombre.

19. Les corps suspendus dans le vin, l’huile ou la saumure, se conservent aussi fort long-temps beaucoup mieux encore dans le miel et l’esprit de vin ; infiniment mieux (du moins à ce qu’on dit) dans le mercure.

20 Un autre moyen pour conserver des fruits fort long-temps et dans toute leur fraîcheur, c’est de les enduire de cire, de poix, de plâtre, de pâtes ou de les mettre simplement dans des boites, de petits sacs, des capsules, etc.

21. C’est un fuit constaté, que des mouches, des araignées, des fourmis, qui tombent par hazard dans de l’ambre encore liquide, dans des gommes d’arbres, et qui y demeurent comme ensevelies, s’y conservent ensuite sans se putréfier jamais, quoique les corps de cette nature soient fort mous et aient très peu de résistance.

22. Pour conserver des raisins ou d’autres fruits pendant un certain temps, il suffit de les tenir suspendus ; d’où résultent deux principaux avantages ; l’un, qu’ils n’éprouvent aucune contusion ou compression ; cc qui leur arriveroit s’ils étoient posés sur quelque corps dur ; l’autre est qu’ils sont environnés d’air, également et uniformément, en tous sens.

23. On a observé dans les végétaux qui se putréfient ou se dessèchent, que l’un ou l’autre genre d’altération ne commence pas également dans toutes leurs parties, mais qu’elle se manifeste d’abord dans celles par lesquelles ils attiroient la substance alimentaire. Aussi recommande-t-on d’enduire de poix liquide ou de cire le pédicule (ou la queue) des pommes, ou d’autres fruits semblables.

24. On observe aussi dans les lampes, les chandelles, les bougies, etc. que les grosses mèches consument le suif ; la cire ou l’huile, plus vite que ne le font les petites[1]. Il en est de même de la flamme d’une mèche de coton, par rapport à celle d’une mèche de jonc, de paille, d’osier, etc. et des mèches de flambeaux faites avec du genièvre ou du sapin, relativement à celles qui sont de frêne. De plus, toute flamme mise en mouvement et agitée par le vent, consume plus promptement (son aliment) qu’une flamme tranquille, et par conséquent moins promptement dans une lanterne et dans un bocal, que dans l’air libre.

25. La nature et la préparation de l’aliment ne contribue pas moins à la durée de la flamme des lampes, chandelles, etc. que la nature de cette flamme même ; la cire, par exemple, dure plus que le suif ; le suif un peu humide, plus que le suif très sec ; et la cire dure, plus que la cire molle.

26. Les arbres, lorsqu’on remue la terre tous les ans autour de leur pied, en deviennent moins vivaces. Si l’on ne fait cette opération que tous les cinq ou tous les dix ans, ils le sont davantage. La méthode de retrancher quelques rejetons, scions ou branches, contribue aussi à leur durée. Les engrais de fumier, de craie, etc. et les fréquens arrosemens, les rendent tout à la fois plus féconds et moins vivaces. Voilà ce que nous avions à dire sur les causes qui peuvent empêcher ou ralentir la dessiccation et la consomption.

L’amollissement des substances desséchées (qui est ici notre principal but), est un sujet sur lequel nous avons peu d’expériences et d’observations. C’est pourquoi nous joindrons à celles de ce genre quelques exemples tirés des animaux, et même de l’homme.

27. Lorsqu’on fait tremper dans l’eau les branches ou scions de saules qui fournissent des liens pour les arbres, ils deviennent plus flexibles. On tient aussi plongées dans l’eau les verges et les férules, pour empêcher qu’elles ne se dessèchent. De plus, lorsque des boules de jeu se sont fendues ou gercées en se desséchant, si on les laisse plongées dans l’eau pendant quelque temps, ces ouvertures disparoissant ensuite, elles paroissent pleines et entièrement solides.

28. Des bottes, ou des souliers de cuir, qui se sont durcies et roidies, en vieillissant et en se desséchant, deviennent plus molles et plus souples, pour peu qu’on les frotte de suif auprès du feu ; et même simplement approchées du feu, elles s’amollissent quelque peu. Les vessies et les membranes desséchées et durcies, s’amollissent également lorsqu’on les fait tremper dans de l’eau, où l’on a mêlé un peu de suif, ou quelque autre substance grasse ; et ce même effet, on l’obtient encore plus sûrement en les frottant un peu avec ces substances.

29. Lorsqu’on fouille et remue la terre autour des vieux arbres, auxquels depuis long-temps on n’a donné aucune espèce de culture, ils poussent de nouvelles feuilles et rajeunissent sensiblement.

30. Des bœufs qui ont vieilli à la charrue, et qui sont presque entièrement épuisés par ce travail pénible, étant mis ensuite dans de gras pâturages, y font, pour ainsi dire, chair neuve ; cette chair est ensuite plus tendre et plus analogue, par la saveur, à celle des jeunes bœufs.

31. Une diète stricte, fréquemment réitérée, jointe à l’usage du gayac, du biscuit (de mer) ou d’autres substances semblables, et telle qu’on la prescrit pour le traitement des maladies vénériennes, des rhumes obstinés, de certains genres d’hydropisie, fait tomber le malade dans un état de maigreur et de foiblesse excessive ; mais ensuite quand il commence à se rétablir et à recouvrer ses forces, il paroît sensiblement plus jeune, plus verd et, en quelque manière, plus neuf. Nous sommes persuadés que des maladies amaigrissantes, mais ensuite traitées à fond, et guéries radicalement, ont contribué à prolonger la vie de plusieurs individus.

OBSERVATIONS GÉNÉRALES.

1. La plupart des hommes ont une vue très perçante dans la nuit de leurs notions vagues et phantastiques ; mais le grand jour de l’expérience semble les éblouir et les aveugler. Ils parlent assez de la sécheresse, qu’ils traitent de qualité élémentaire, des causes de dessiccation, et des périodes naturelles des corps ; périodes au-delà desquelles ils se putréfient et se consument. Mais ils ne disent rien du commencement, du progrès et de la fin de la dessiccation et de la consomption, ou ne font sur cet important sujet aucune observation qui soit de quelque prix.

2. La dessiccation, et la consomption qui en est l’effet, envisagées dans leur totalité, sont le produit de trois genres d’actions  ; actions qui ont pour principe commun, l’esprit inné des corps, comme nous l’avons déjà observé.

3. Le premier genre d’action est l’atténuation de l’humor, et sa conversion en esprit. Le second est l’émission ou l’évaporation de cet esprit. Le troisième est la contraction des parties grossières, aussitôt après l’émission de l’esprit. Le dernier n’est autre que cette dessiccation et ce durcissement même dont nous sommes actuellement occupés.

4. Quant à l’atténuation, il ne peut rester aucun doute sur la cause à laquelle nous l’attribuons ; en effet, l’esprit qui se trouve renfermé dans tout corps tangible, ne s’oublie pas lui-même ; mais tout ce qui peut lui donner prise dans ces corps où il est resserré et comme assiégé, tout ce qu’il peut consumer et digérer, il le travaille, le transforme totalement, le convertit en sa propre substance, se multiplie par ce moyen, et engendre ainsi de nouvel esprit. Si cette assertion avoit besoin de preuve, il est un fait qui peut tenir lieu d’une infinité d’autres ; savoir : que tout corps qui se dessèche excessivement, perd sensiblement de son poids, et devient creux, poreux, sonore, retentissant. Car il est d’ailleurs certain que l’esprit préexistant dans un corps, ne contribue point à son poids ; mais au contraire tend à le soulever et à l’alléger. D’où il s’ensuit nécessairement que l’esprit qui se trouvoit dans le corps, a converti en sa propre substance l’humor et les sucs propres qui auparavant étoient pesans : de là cette diminution de poids dont nous parlons. Tel est donc le premier genre d’action, je veux dire l’atténuation de l’humor et sa conversion en esprit.

5. Le second genre d’action, qui est la sortie ou l’émission de l’esprit, est également certain. En effet, lorsque cette émission est prompte et abondante, elle se manifeste aux sens mêmes ; savoir : à la vue, par les vapeurs qui s’élèvent du corps ; et à l’odorat, par les odeurs qui s’en exhalent. Lorsque cette émission est lente et graduelle, comme celle qui est simplement l’effet du temps, elle échappe aux sens, mais elle n’en est pas moins réelle.

Je dirai plus : lorsque l’assemblage du corps en question est si serré, ou si ferme que l’esprit n’y peut trouver de passages et d’issues, alors, en vertu de cet effort même qu’il fait pour s’échapper, il chasse devant lui les parties les plus grossières du corps, et les pousse au-delà de la surface ; comme on en voit des exemples dans la rouille des métaux et dans la carie de toutes les substances grasses. Tel est le second genre d’action ; savoir, la sortie ou l’émission de l’esprit.

6. Le troisième genre d’action est un peu plus caché et n’en est pas moins certain ; je veux parler de la contraction des parties grossières, après l’émission de l’esprit ; car l’on sait que les corps, après l’émission de l’esprit qu’ils contiennent, se resserrent, se contractent, et occupent un moindre espaces ; ce qui est souvent sensible à la vue même ; par exemple, dans la pulpe des noix, des noisettes ou des amandes, qui, lorsqu’elle est desséchée, ne remplit plus exactement sa coquille ; dans les poutres ou les piliers et les pieux de bois qui, étant encore verds, joignent bien exactement, mais qui en se desséchant, se retirent et laissent du jour ; ainsi que dans les boules ou les billes qu’on emploie pour certains jeux ; et autres corps semblables, qui, en se desséchant, se fendent et se gercent en plusieurs endroits, leurs parties se contractant, et en conséquence laissant nécessairement du vuide entre elles. On en voit d’autres preuves dans les rides des corps desséchés ; l’effet nécessaire de l’effort qu’ils font en se contractant, étant d’abaisser certaines parties et d’élever les autres ; car lorsque les extrémités se retirent et se rapprochent, le milieu se soulève nécessairement, effet très sensible dans les vieux papiers, les vieux parchemins, la peau des animaux et la surface d’un fromage mou ; tous corps qui se rident en vieillissant. En troisième lien, ce même genre d’action devient encore plus sensible dans les corps qui, étant exposés à l’action d’une chaleur forte, non-seulement se rident, mais même se plissent, reviennent sur eux-mêmes, et semblent se rouler ; c’est ce qu’on observe dans le parchemin, le papier et les feuilles exposées à l’action du feu. En effet, comme la contraction, qui est le simple effet du temps, est plus lente, elle n’occasionne que des rides, an lieu que celle qui est l’effet du feu, et qui est plus prompte, occasionne des plis proprement dits[2] ; mais dans une infinité de corps qui ne sont pas susceptibles de se rider ou de se plisser, tout l’effet se réduit à une simple contraction, à un resserrement, au durcissement, à la dessiccation, comme nous l’avons supposé d’abord. Dans les cas où l’émission de l’esprit et l’absorption de l’humor sont portées à tel point qu’il n’en reste plus assez pour que les parties, on se retirant, demeurent unies et cohérentes, alors la contraction, proprement dite, cesse nécessairement, et le composé se résout en une poussière fine et incohérente, qui se dissipe au plus léger contact, et se répand dans l’air. C’est ce qu’on peut observer dans les corps dont la consomption a été portée au dernier période ; par exemple, dans le papier et le linge entièrement brûlés ; enfin, au bout de quelques siècles, dans les cadavres embaumés. Tel est le troisième genre d’action ; savoir : la contraction des parties grossières après l’émission de l’esprit. On doit observer que cette dessiccation, qui est l’effet du feu et de la chaleur, n’est qu’accidentelle (médiate), leur effet propre et direct étant seulement d’atténuer et de dilater l’esprit et l’humor, effet dont la conséquence, purement accidentelle, est que les autres parties se retirent et se rapprochent les unes des autres, soit en vertu de l’horreur du vuide, soit par quelque autre mouvement (tendance, effort,) dont il n’est pas question ici.

7. Il est certain que la putréfaction, ainsi que la dessiccation, a pour cause l’esprit inné des corps, mais agissant d’une manière bien différente dans les dcux cas ; car, dans la putréfaction, l’esprit, en partie, poussé au dehors, et en partie, retenu, produit à l’intérieur des effets étonnans ; et si alors les parties intérieures se rapprochent, c’est moins en vertu d’une contraction locale, que par une sorte d’attraction, chacune s’unissant à ses homogènes.

  1. Sublime découverte !
  2. Les rides ne sont que de petits plis, et les plis ne sont que de grandes rides ; il n’y a entre les unes et les autres d’autre différence que celle du plus au moins.