Tout semblait présager une bonne récolte, lorsque le fléau qui nous occupe est venu tout à coup anéantir les espérances des cultivateurs et jeter l’alarme dans les populations ; son invasion subite, la régularité de sa marche, et surtout l’immense étendue de ses ravages en Hollande et en Belgique ont dû nécessiter, de la part de ces gouvernements, des mesures législatives tout exceptionnelles ayant pour objet d’assurer la subsistance des deux nations.
En présence d’une telle calamité, on s’est empressé de rechercher si déjà elle s’était montrée à une époque antérieure et si à l’aide des anciennes relations on pouvait obtenir quelques données pour la conservation des tubercules. Mais partout, ainsi qu’il arrive souvent en semblable cas, le caractère essentiel, le signalement, est laissé de côté ; les caractères généraux ont seuls attiré l’attention, et, comme nous l’avons déjà vu, ils sont si variables, ils ont donné lieu à tant d’hypothèses, qu’il me semble impossible de pouvoir reconnaître avec certitude dans les anciens écrits l’affection qui nous occupe aujourd’hui ; presque toujours on a, je crois, confondu deux maladies, la frisolée ou la cloque, avec la maladie régnante ainsi qu’on l’a fait récemment encore en confondant la maladie décrite par M. de Martius sous le nom de gangrène sèche avec celle qui nous intéresse.
Cependant, d’après les recherches de M. Dumortier, il paraîtrait que les Flandres auraient été envahies, en 1775, par une maladie identique à celle qui s’est manifestée cette année et qui suivant Thaër aurait sévi dans le Hanovre ainsi que dans les provinces méridionales de la Prusse, en 1770.
D’autres personnes assurent encore avoir remarqué en 1816 en Alsace, et en 1829 dans l’Orléanais, une altération brune semblable à celle que nous présentent aujourd’hui les tubercules affectés.
D’après une communication adressée à l’Académie des sciences par M. le docteur Decerfz et suivant M. Lefour, un de nos agronomes les plus distingués, la maladie actuelle se serait montrée en France depuis longtemps, mais sur une échelle si peu étendue qu’elle n’aurait point fixé l’attention publique.
En admettant l’exactitude des remarques relatives à l’Alsace et a l’Orléanais on y trouverait un rapprochement curieux, c’est que la maladie se serait déclarée sous une température moyenne, inférieure à celle des années ordinaires. En effet dans les années 1816 et 1829 la température moyenne a été de 9° au lieu de 10°, 8 qui paraît être la moyenne normale à Paris.
M. Durand, pharmacien en chef à l’Hôtel-Dieu de Caen, assure avoir fréquemment observé, à un degré plus ou moins intense, la maladie sur les pommes de terre cultivées dans les terrains bas, humides et argileux du pays d’Auge.
Enfin on rapporte qu’en 1838, à la suite de pluies prolongées, les pommes de terre, semées en avril, furent, peu de semaines après, complètement et simultanément détruites sur plusieurs points de la Bretagne.
Cette année, tout semble démontrer que le fléau aurait d’abord envahi la Belgique pour se porter peu après en Hollande. D’après M. Dumortier, il se serait d’abord déclaré à la fin de juin dans les Flandres occidentales, où il sévissait avec force ; de là il se serait porté sur l’Escaut qu’il aurait traversé vers le 6 ou 8 juillet, pour atteindre les différentes îles de la province de Zélande.
Vers le 5 juillet les parties basses et humides de la province de Gueldre signalaient son invasion qui s’est étendue plus tard dans les parties élevées.
Dans les environs de Paris, la maladie s’est montrée vers le milieu du mois d’août. Ainsi à l’époque des dernières leçons du cours de botanique rurale de M. Adrien de Jussieu, c’est-à-dire au commencement d’août, les champs de pommes de terre ne présentaient aucune altération.
Elle ne s’est pas propagée par continuité d’une commune à l’autre. On signalait à la fois son apparition sur plusieurs points très éloignés. Ainsi on a remarqué des localités où elle a été très lente à se propager, quoique tous les villages environnants fussent depuis longtemps infestés.
Elle s’est montrée en Suède et dans le Danemark, après avoir sévi en Hollande.
En France, sa marche paraît avoir été assez régulière. L’Artois, la Picardie, l’Île-de-France, la Normandie, la Bretagne, une partie de l’Anjou et de la Bourgogne étaient atteints avant les provinces de l’est. Le congrès de Mulhouse signalait son invasion vers la fin de septembre, alors que dans une partie de la Hollande on avait déjà songé à faire une nouvelle plantation de tubercules.
Et ces observations sont d’accord avec les remarques de nos deux plus illustres agronomes, MM. de Gasparin et Boussingault, qui ont constaté qu’il tombait annuellement moins de pluie dans les régions orientales que dans les parties occidentales du continent européen. Cette inégalité, jointe à l’époque à laquelle la pomme de terre arrive à maturité dans les diverses parties de l’Europe, tendrait à expliquer son apparition tardive aux environs de Berlin.
L’île de Wight et l’Angleterre paraissent avoir été envahies presque simultanément, ainsi que Paris, vers le milieu du mois d’août ; le 23 de ce même mois, on trouvait en effet à peine quelques tubercules de bonne qualité sur les marchés de Londres.
Dans la Champagne, en Alsace et dans le Lyonnais, le mal s’est manifesté un peu plus tard, vers le milieu de septembre. La récolte terminée, dans cette province, vers les premiers jours d’octobre était satisfaisante, et, contre l’attente générale, on ne trouvait qu’un très petit nombre de tubercules avariés, au milieu des plantations.
C’est à cette même époque que la maladie s’est montrée en Irlande, en Écosse, et dans nos départements méridionaux. Cette coïncidence, assez bizarre en apparence, est cependant en harmonie avec les faits établis, car on sait que dans les îles ou dans le voisinage de la mer, la température est assez uniforme et que certaines villes possèdent à très peu près la même température moyenne que certaines autres qui se trouvent situées sur le continent à une latitude notablement plus basse ; ainsi sur la côte méridionale de l’Angleterre les hivers sont même tempérés et la moyenne hivernale s’y maintient encore entre, + 5° et + 6°, quoique la température moyenne annuelle dépasse à peine 11°. (Humboldt, As. centr., 3, p. 145, et Boussingault, Écon. rur., 2, p. 644.)
Au reste nous n’avons, pour ainsi dire, aucune observation exacte sur les températures moyennes des diverses localités infectées, et nous manquons de toutes les données rigoureuses qui nous permettraient de prononcer avec certitude sur l’identité des phénomènes observés à l’époque de la maladie des pommes de terre.
Mais les témoignages sont unanimes pour signaler la rapidité avec laquelle le mal s’est propagé, et si quelques champs ne se sont altérés que progressivement, la plupart ont été ravagés dans l’espace de quelques heures. En Hollande, par exemple, l’invasion a été si rapide, la population s’en est si vivement alarmée, elle était si convaincue du danger qui menaçait les consommateurs des tubercules malades, qu’elle les abandonnait partout sur le champ et que, dans l’espace de quinze jours, on a vu le prix du riz doubler de valeur et celui des pommes de terre s’élever de 10 fr. à 20 fr. l’hectolitre pour celles qui se trouvaient cultivées dans les dunes aux environs de Katwyk et de Nordwyk, où le mal n’avait point sévi.