à l'état sain et à l'état malade
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Je rappellerai en peu de lignes la structure anatomique des feuilles. Celles de la pomme de terre ne m’ont rien présenté de particulier. Leur épiderme, composé de cellules sinueuses, porte, en nombre plus ou moins considérable, des poils raides, articulés, couverts de petits tubercules et des poils glanduleux terminés par une sorte de sphère formée par la réunion de deux ou de quatre utricules. Sur les feuilles fraîches et saines, ces petites sphères sont remplies d’un liquide jaune oléagineux, tandis que les poils à surface granuleuse contiennent une substance mucilagineuse grisâtre. Le parenchyme se partage en deux régions : la supérieure se compose d’utricules oblongues, fortement unies les unes aux autres et gorgées de matière verte ; l’inférieure, au contraire, est formée de vésicules arrondies à peine réunies et laissant entre elles de nombreuses lacunes.
Les feuilles ne m’ont point présenté dans leur altération un caractère uniforme. Tantôt elles ont commencé par jaunir, tantôt au contraire elles ont pris, presque subitement, une teinte brune analogue à celle des feuilles mortes. On a comparé avec justesse cette altération à celle qu’aurait produite sur les feuilles l’action du feu, et c’est, on le sait, la teinte que prennent les feuilles gelées.
Dans cet état, si on examine les organes, on voit que les poils ont d’abord perdu de leur transparence et renferment, vers les points de contact de chacune des utricules dont ils se composent, une quantité plus ou moins considérable de matière jaune, et qu’enfin le liquide des poils globuleux a pris lui-même une teinte d’un brun orangé des plus intenses.
L’épiderme qui, sur les feuilles saines, s’enlevait avec facilité, adhère fortement au tissu sous-jacent dont les membranes, ainsi que la chlorophylle, sont colorées en brun.
Nous voyons donc apparaître sur les parties foliacées les premiers indices de la matière brune qui relie les parties ; mais si toutes les utricules du parenchyme adhèrent entre elles et paraissent soudées, il n’en est pas de même du système vasculaire. Les vaisseaux ne semblent avoir subi aucune altération ; les trachées se déroulent avec facilité et ne démontrent de même aucune trace de matière brune.
Les vaisseaux ne paraissent donc point transporter le liquide brun.
Les altérations du parenchyme m’ont paru identiques avec celles que présentent toutes les feuilles mortes. Il suffit pour s’en convaincre d’examiner comparativement celles des arbres de nos promenades et de la plupart des plantes herbacées qui brunissent en se détachant des rameaux.
Quant au nombre des champignons qu’on rencontre sur les feuilles des pommes de terre détruites dans ces derniers temps, il est assez considérable, mais le même fait peut s’être reproduit chaque année et avoir échappé à l’observation, et, d’après mes recherches, on peut d’autant moins en conclure relativement à la contagion que toutes les feuilles de tilleul, de marronnier, de sureau, ramassées sur le sol par ces temps humides, m’ont offert à l’intérieur du parenchyme des filaments de monilia, botrytis, etc.
Parmi les mucédinées signalées depuis peu sur les feuilles de la pomme de terre, c’est au botrytis qu’on a fait jouer le principal rôle. M. Morren lui a attribué tout le dégât et, à raison même de l’action qu’il lui accordait, M. Montagne, lui a appliqué le nom d’infestans, quoique l’on sache néanmoins que la plupart des espèces de ce genre végètent à la surface des feuilles ou des tiges herbacées d’une foule de plantes sans nuire à leur végétation et sans même changer notablement leur couleur.
M. Morren a inoculé les spores du botrytis de manière à déterminer ainsi la production du champignon sur des feuilles saines. Cette expérience de contagion ne m’a pas réussi. Du reste, il est difficile d’admettre l’introduction des spores à travers les stomates, car l’ouverture de ces derniers est de beaucoup plus étroite que le volume des spores elles-mêmes. On comprendra plus difficilement encore la modification de la séve par le transport de ces seminules jusques aux tubercules à travers les méats intercellulaires et les vaisseaux.
Je ferai deux remarques à cet égard : la première c’est que toutes les mucédinées ont besoin du contact de l’air pour produire leurs spores, et que toutes les pommes de terre malades, loin de me présenter le botrytis à leur surface, m’ont offert au contraire le fusarium, le pénicillium glaucum, le trichothecium roseum, le verticillium tenerum, etc. ; la seconde c’est qu’il n’y a pas d’exemple d’une mucédinée qui, en se développant sur les parties herbacées, entraîne la destruction des parties voisines. Leur action est toute locale, et les énormes Ustilago maïdis, U. orobanches Lév. (tuburcina) qui attaquent le maïs et les orobanches qui vivent sur le chanvre, en sont des exemples frappants.
Ainsi pour moi la coloration brune des feuilles n’est point liée à la présence d’un botrytis.
Je vais essayer de démontrer qu’il en est de même à l’égard des tiges et des tubercules, et qu’il faut considérer cette matière brune comme une altération des liquides, à laquelle se trouve liée celle des membranes.
J’ai pris une tige saine ayant acquis un centimètre d’épaisseur, couverte de rameaux et de feuilles. L’examen microscopique d’une tranche horizontale très mince m’a montré une structure générale semblable à celle de beaucoup d’autres tiges herbacées, mais différente cependant à certains égards. Les caractères communs sont : une écorce composée de dehors en dedans par une ou plusieurs rangées d’utricules transparentes appartenant à l’épiderme ; au-dessous une zone d’utricules d’un calibre assez petit, à parois épaisses, séparées les unes des autres par une substance transparente homogène ou presque opaline.
Ces utricules représentent le liber, comme on peut s’en convaincre en les observant sur une coupe verticale. Elles se montrent alors placées bout à bout comme de petits tubes de verre. Au-dessous de cette zone, et se confondant, pour ainsi dire, en quelques points avec elle, on remarque une couche de larges utricules arrondies parsemées à l’intérieur de quelques grains de chlorophylle. Immédiatement après se trouve la couche de cambium. La portion ligneuse présente un caractère spécial : elle forme un cercle continu, mais beaucoup plus développé cependant au point correspondant à l’insertion des feuilles ; ces parties plus larges sont seules munies de vaisseaux ; les autres au contraire sont composées uniquement de clostres ou fibres ligneuses ponctuées, peu résistantes et semblables en cela aux fibres des autres plantes herbacées. Les vaisseaux, en général assez volumineux, présentent des parois ponctuées, rayées ou annelées, à tours de spires plus ou moins réguliers et rapprochés de manière à remplir ainsi les fonctions des véritables trachées, dont je n’ai pu que fort rarement constater la présence. La moelle occupe à elle seule la plus grande partie du disque ou de l’espèce de triangle que présente la coupe horizontale d’une tige. De grandes utricules d’une transparence parfaite, parsemées de quelques grains de chlorophylle, en occupent le centre et ne m’ont presque jamais offert ces groupes ou amas de cristaux si communs dans la plupart des végétaux herbacés.
Tels sont les caractères que m’a démontrés de l’extérieur à l’intérieur l’anatomie des tiges du solanum tuberosum.
Voici maintenant ce que m’ont constamment présenté de jeunes tiges malades avant l’entière destruction de la moelle.
Les utricules épidermiques jaunissent d’abord et acquièrent par la suite une couleur brune très prononcée. Cette première coloration est due à une altération du contenu des utricules ; en effet, on voit les grains de chlorophylle recouverts d’une substance jaune qui s’applique en outre intimement sur la membrane cellulaire.
De plus, la substance interposée entre les fibres du liber, au lieu de conserver sa transparence et sa teinte opaline, se colore également en jaune. Cette coloration, qui va en s’affaiblissant de la circonférence au centre, peut se suivre encore entre les cellules du parenchyme cortical. Le système vasculaire ne présente aucun caractère spécial. Les parois des tubes ont conservé toute leur transparence et la netteté de leur ponctuation ou de leurs raies ; les vaisseaux annelés, les fausses trachées déroulent leur fibre avec toute leur facilité ordinaire et sans montrer aucune trace soit de filaments, soit de granules qui les auraient traversées ou qui se seraient déposés contre elles. En général, les utricules médullaires ne présentent aucune différence avec celles des tiges saines ; cependant on en rencontre quelques-unes qui ont perdu leur transparence ; elles sont alors de couleur fauve, isolées au milieu d’autres utricules transparentes ou bien disposées en petits groupes dispersés au centre de la moelle. Il n’est pas rare, chez ces tiges altérées, de rencontrer quelques filaments de mucédinée au milieu des utricules médullaires. Dans ce cas ils m’ont paru ramper contre les parois, en tapisser la surface et profiter, pour s’étendre, des méats ou de l’intervalle laissé entre deux utricules. Ces filaments s’observent indifféremment sur des utricules saines et sur des utricules brunies. Tantôt on en trouve un seul, duquel partent quelquefois en divergeant plusieurs rameaux de même diamètre ; tantôt plusieurs tubes distincts se réunissent pour former une sorte de faisceau. Mais ces modifications ne méritent d’être signalées qu’afin de prémunir contre l’idée d’une sorte de germination de laquelle naîtrait une touffe de filaments. Je vais faire remarquer encore que dans certains cas on observe sur la paroi cellulaire une sorte de réseau irrégulier, large et granuleux. Ce réseau appartient à l’utricule primordiale au moment où elle se résorbe. Je viens de faire connaître les caractères que présentent les tiges au début de l’altération. Plus tard, la coloration en brun de l’épiderme ou du liber devient plus intense ; les utricules du parenchyme cortical s’affaissent et dessinent à la surface de la tige des taches noires plus ou moins étendues. Si on soumet à l’examen microscopique un mince lambeau de cet épiderme ainsi noirci, on reconnaît que les cellules, déjà colorées en brun, doivent cette intensité de coloration à des groupes d’une mucédinée (helminthosporium) dont les filaments, composés eux-mêmes d’utricules brunes très petites et serrées, forment les taches noires qu’on aperçoit à l’œil nu.
Le nombre de ces tiges, que j’ai examinées, a été assez considérable pour ne me laisser aucun doute sur la cause de cette coloration. Celle-ci du reste, se remarque annuellement, ainsi que les taches causées par le Vermicularia Dematium, qui produit si communément, à la surface des vieilles tiges du solanum enfouies sous terre, ces petits tubercules noirs surmontés de quelques soies raides. Cependant à ces végétaux microscopiques on voit s’en mêler d’autres., si les tiges sont restées exposées à l’humidité. Ce sont ceux que nous avons déjà signalés sur les feuilles et qu’on rencontre sur la plupart des corps en décomposition. Il suffit de nommer les fusarium, le penicillium glaucum, trichothecium roseum, verticillium tenerum, etc. Mais si, au contraire, les tiges se sont trouvées exposées à la sécheresse, loin de noircir elles blanchissent ; l’épiderme décoloré s’applique sur le tissu ligneux, et on observe alors à la surface du sol des rameaux desséchés et blanchâtres.
Quant à la destruction des tiges, elle n’a été partout cette année ni instantanée ni complète. On a trop généralisé à cet égard. Ainsi, j’ai souvent rencontré de jeunes rameaux vivants à l’aisselle de feuilles complétement détruites. En assistant à la Salpêtrière, à l’arrachage des tubercules, nous avons rencontré fréquemment des tubercules suspendus à des rameaux pleins de végétation quoique cependant toutes les parties aériennes fussent complétement détruites ; tantôt, au contraire, nous avons recueilli des tubercules malades au pied de tiges parfaitement saines ; tantôt enfin, et sur un même rameau, nous avons observé des tubercules sains et des tubercules malades. En général, ceux-ci se trouvaient placés plus profondément que les autres.
Cependant, en examinant les portions souterraines, on voyait le plus ordinairement que la dessiccation et la destruction des tiges s’étaient étendues aux rameaux auxquels se trouvaient primitivement suspendus les tubercules. Au Muséum, par exemple, où les tiges n’avaient point été buttées, on trouvait les tubercules libres et, pour ainsi dire, étendus à la surface du sol et parfaitement sains.
Les minutieux détails dans lesquels je suis entré en parlant des tiges et des feuilles me permettront de passer rapidement sur la description des organes qui constituent la masse totale d’un tubercule de pomme de terre.
Mais avant de continuer, rappelons que l’altération des tiges s’est manifestée par une coloration jaune du parenchyme externe ou cortical, et que cette coloration s’est avancée de l’extérieur à l’intérieur.
Nous allons voir qu’il en sera de même à l’égard des tubercules.
La pomme de terre, on le sait, n’est point une racine : c’est un rameau souterrain tuméfié, ou une sorte de loupe qui se forme à leur extrémité et dont le tissu renferme une énorme quantité de fécule. Si on coupe un tubercule par la moitié, on voit distinctement vers la circonférence une zone d’une teinte particulière, et, en outre, des marbrures de même apparence. En observant une tranche mince de ce tubercule à travers jour, la zone et les marbrures paraissent transparentes. Cette transparence tient à la nature vasculaire des tissus. En effet, comme les vaisseaux et les fibres qui les entourent renferment un liquide, ils sont, par conséquent, plus transparents que le tissu environnant qui constitue la totalité de la pomme de terre, composée d’utricules rendues opaques par la fécule. J’appelle l’attention sur la transparence des marbrures, car dans plusieurs écrits ces parties vasculaires ont été prises, je le crois, pour des utricules dépourvues de fécule. L’erreur est facile pour des personnes auxquelles l’anatomie des tissus végétaux est peu familière.
Malgré l’étendue des ravages exercés sur toutes les tiges d’une pièce de terrain plantée en pommes de terre, il est rare de voir chacune des touffes entièrement chargée de tubercules avariés ; leur nombre est très variable, et comme, j’ai déjà eu occasion de le faire remarquer, il m’est arrivé souvent de rencontrer des tubercules parfaitement sains au pied de tiges complètement détruites. On ne peut également rien établir d’absolu relativement à la place qu’occupent les tubercules sains ou les tubercules malades. Tantôt les premiers se trouvent à la superficie, tantôt au contraire ce sont les seconds, tantôt enfin, et sur un même rameau, on observe des tubercules malades et des tubercules sans la plus légère trace d’altération. J’en ai présenté un exemple remarquable à la Société royale d’horticulture.
En général, le tubercule commence à s’altérer dans la région voisine du point d’insertion, mais ce caractère n’est pas sans exception ; il m’est arrivé de retirer du sol des tubercules chez lesquels l’altération se manifestait précisément au point opposé ; d’autres fois enfin, et c’est, je crois, le cas le plus ordinaire, le tubercule présente des taches disposées très irrégulièrement et sans connexion avec les yeux. Ces taches, quelquefois à peine visibles, s’étendent sur tout le tubercule de manière à lui donner seulement une teinte plus foncée et presque terreuse.
Si l’on coupe un de ces tubercules, on remarque à la périphérie une teinte brune qui indique le premier degré d’altération. Cette couleur brune est surtout prononcée vers l’extérieur. Plus tard elle s’avance vers l’intérieur, et, avec un peu d’attention, on ne tarde pas à l’observer sur des points circonscrits, entièrement entourés de tissus encore sains. Cette coloration brune s’arrête le plus ordinairement à un ou deux millimètres au-dessous de l’épiderme. Plus rarement on la voit atteindre le cercle ligneux ou vasculaire qui, dans les variétés violettes ou bleues, limite assez régulièrement la coloration Cet enduit brun des cellules ne forme pas de plaques continues. En effet, si on les examine avec attention à l’aide d’une simple loupe, on voit que la coloration est plus intense sur certains points, et qu’elle s’étend et disparaît à mesure qu’elle s’en éloigne pour se fondre avec les autres utricules voisines soit saines, soit colorées.
Ces taches ont été considérées comme un champignon d’une nature spéciale, mais, suivant la plupart des observateurs, elles sont dues à une altération des liquides ; pour d’autres, elles sont déterminées par un liquide brun qui s’insinue entre les utricules du parenchyme et les colore ; d’après d’autres enfin, cette coloration serait formée par une substance analogue à Fulmine qui, tout en s’infiltrant dans les méats intercellulaires, finit par pénétrer les utricules et par empâter chacun des grains de fécule.
Toutes les pommes de terre avariées m’ont offert ces taches, moins étendues il est vrai sur les précoces que sur les variétés tardives. En Hollande et en Belgique les tardives rouges et les bleues ont été plus altérées que les blanches ; les premières présentent presque toutes à la première vue, une teinte particulière, à l’aide de laquelle on reconnaît l’existence de la maladie.
Ces taches ne doivent être confondues ni avec les petites altérations de l’épiderme généralement circulaires, jaunâtres, rugueuses au toucher, répandues principalement sur les variétés de pommes de terre blanches et qui sont au contraire un indice de bonne qualité, ni avec les petites gerçures, sortes de lenticelles que présentent certains tubercules et par lesquelles s’échappe souvent la fécule durant les années humides et froides.
Tels sont les caractères que présentent les tubercules avariés au moment où on les arrache du sol et lorsqu’ils n’ont subi aucune lésion. Dans cet état, l’altération, tantôt partielle, tantôt générale, mais variant en profondeur sur un même tubercule, et à plus forte raison sur des tubercules différents, envahissant rarement l’épaisseur du parenchyme cortical, permet de les utiliser après un épluchage convenable et d’en conserver encore au moins les trois quarts qui fournissent une substance alimentaire de bonne qualité. Mais il n’en a pas été ainsi, et on a vu les cultivateurs, effrayés par les circulaires qu’on leur distribuait, jeter sur les routes et abandonner au milieu des champs des masses énormes de tubercules sur lesquels on voyait à peine quelques légères morsures d’insectes.
La maladie présente parfois d’autres caractères ; ainsi, on a distingué plusieurs périodes dans l’altération des tubercules, mais pour moi ces altérations sont indépendantes, et ne s’enchaînent point nécessairement.
D’après MM. Pouchet, Girardin. et Bidart, la maladie des pommes de terre offre quatre périodes.
Dans la première, le tissu du tubercule est à peine coloré, on y distingue de très petits granules d’un brun clair qui apparaissent à la surface de la membrane formant le tissu cellulaire ; ils sont surtout apparents dans les espaces intercellulaires. La fécule qui remplit les cellules affectées est tout aussi grosse et aussi abondante que dans les cellules saines.
Dans la deuxième période, le tissu de la pomme de terre a contracté une teinte brunâtre ; les granules bruns se sont multipliés à la surface des cellules ; ils sont serrés, d’un brun foncé, et envahissent des régions plus ou moins considérables des parois cellulaires. Les membranes qui constituent celles-ci contractent elles-mêmes une coloration brunâtre, mais sans être désorganisées. La fécule est dans l’état normal.
Dans la troisième période, les endroits affectés acquièrent encore une couleur brune plus foncée. Les granules bruns des parois cellulaires sont aussi plus foncés que précédemment, et celles-ci s’altèrent progressivement ; d’abord elles se déchirent de place en place, puis elles se réduisent en lambeaux que l’on aperçoit épars de côté et d’autre, mêlés à la fécule, qui n’a pas subi la moindre altération.
Dans la quatrième période, le tissu de la pomme de terre est mou et d’une teinte grisé. Les membranes cellulaires sont tout à fait détruites et réduites en granulations brunes très fines résultant de la désagrégation des parois cellulaires et des granules qui étaient apparents à la surface. Dans l’espèce de putrilage formé parla destruction de ce tissu nagent les grains de fécule, qui tous se sont encore conservés dans leur intégrité.
Ces trois premières périodes paraissent, suivant moi, appartenir à une seule et même altération ; la matière brune augmentant, en effet, sans modifier ni les utricules ni leur contenu, on conçoit que chacun de ces états d’altération puisse rester stationnaire ; mais il n’est pas rare, j’en conviens, surtout lorsque le tubercule a été meurtri, de le voir se désorganiser plus ou moins complètement en répandant une odeur infecte. Il se creuse aussi plus ou moins profondément au centre et finit par se vider, si la partie corticale s’est trouvée entamée soit par les vers blancs, soit par les limaces. Cependant, je crois devoir le faire remarquer, cette altération ne se trouve pas liée à la présence de la matière brune. Dans un grand nombre de cas, on remarque cette altération chez des tubercules sur lesquels on ne reconnaît aucune trace de l’altération précédente. Cet état de putrilage me semble identique à la morve blanche qu’on remarque sur les oignons des jacinthes, etc.
Il me reste à examiner dans ces tubercules putrilagés certains phénomènes auxquels on a attribué une grande valeur.
En observant attentivement les membranes utriculaires de ces tubercules, on les voit, pour ainsi dire, disparaître graduellement. Parfaitement homogènes à l’état normal, leurs parois prennent peu à peu une apparence granuleuse et s’amincissent au point de disparaître complètement, tout en conservant cependant, malgré leur extrême ténuité, les grains de fécule qu’elles renfermaient avant leur altération. Plus tard encore elles se désagrégent et flottent dans un liquide granuleux. Ces granules jouissent d’un mouvement moléculaire tellement actif, que j’aurais été porté à les prendre, ainsi que M. Payen, pour des infusoires monadiens d’une extrême petitesse si, dans une foule de circonstances, je n’avais déjà été témoin de l’agitation extraordinaire de semblables corpuscules au milieu desquels on reconnaît pourtant de véritables vibrions, aux formes linéaires. Depuis le 5 septembre, je conserve dans un verre une quantité notable de ce putrilage ; son odeur s’est dissipée aujourd’hui, mais les corpuscules ont conservé leur forme et toute leur activité. L’iode, l’acide acétique, l’arséniate de potasse ne les ralentit en aucune manière, tandis que ces mêmes agents arrêtent non-seulement le mouvement des infusoires, mais encore les dissolvent plus ou moins complètement par diffluence.
En général, la plupart des tubercules avariés se couvrent à la surface de flocons plus ou moins nombreux si on les abandonne dans des lieux obscurs et humides. Ces flocons, qui souvent ont été pris à tort pour le botrytis, appartiennent à d’autres champignons microscopiques, soit à un fusisporium lorsqu’ils constituent des sortes de petits coussinets blancs, soit au trichathecium roseum, soit au penicillium glaucum, s’ils affectent l’une ou l’autre de ces nuances, soit enfin au verticillium tenerum si le tubercule se couvre à la superficie de taches ocracées ou ferrugineuses.
Arrivés à cet état, les tubercules acquièrent, en se desséchant, une dureté extrême et participent des caractères assignés par M. de Martius à la gangrène sèche.
Je dois encore signaler une altération spéciale des pommes de terre. Il n’est pas rare de rencontrer annuellement au pied des tiges des tubercules complétement ramollis. Ceux-ci, qu’il ne faut pas confondre avec les tubercules—semences dont tout le principe amylacé se trouve absorbé pour subvenir au développement des tiges, prennent une teinte grise ou noire et laissent écouler, à travers leur épiderme et sans se déformer, une quantité considérable de liquide brun, assez limpide, et d’une odeur vireuse très prononcée. Mais dans cette altération les utricules restent agrégées, tandis que chez les tubercules putrilagés, au contraire, elles se séparent, comme l’a très bien remarqué M. Pouchet, et se réduisent en granulations d’une extrême ténuité..
Quoi qu’il en soit, les tubercules, à leur première période d’altération, se reconnaissent assez facilement ; leur épiderme offre une teinte brune ou fauve qui contraste avec les parties voisines. A cette première période, la maladie mérite à peine ce nom, et peut se confondre avec une affection légère et locale de l’épiderme plus tard, la teinte brune s’étend et donne, surtout aux pommes de terre jaunes, l’aspect d’un fruit qui commence à se gâter. Ce caractère est moins sensible sur les variétés rouges ou violettes.
Plus tard encore, le tubercule cesse d’être uni et lisse ; on y remarque des dépressions plus ou moins étendues, correspondant à chacune des taches ; le tissu sous-épidermique paraît seul s’être contracté. Du reste, je n’ai aperçu aucune trace de champignons sur de semblables tubercules. Partout les cavités auxquelles correspondent les yeux ou les bourgeons m’ont paru nettes, et ne m’ont démontré aucune altération ; j’ai sous les yeux des tubercules malades qui m’ont été envoyés de Hollande le 14 août, et qui aujourd’hui, après deux mois et demi de récolte, n’ont subi aucun changement appréciable.
Si l’on coupe en travers un tubercule attaqué récemment, on remarque que les utricules sous-épidermiques des portions malades ne diffèrent des parties saines que par un degré plus intense de coloration. Dans le voisinage des deux portions, les utricules se confondent ; on ne distingue alors qu’une étroite zone brunâtre, plus ou moins régulière, à la périphérie du tubercule. A une époque plus avancée, on voit la coloration brune se prolonger vers le centre en partant de la circonférence, ainsi que nous l’avons remarqué pour les tiges.
Pour me rendre compte d’une manière satisfaisante de cette altération, j’ai suivi sur de jeunes et sur de vieux tubercules tous les changements qu’ils m’ont offerts jusqu’à la décomposition putride ou la dessiccation presque complète ; mais comme dans le principe j’attribuais la maladie à la présence d’un champignon, j’ai donc commencé par en rechercher les traces à la face interne de l’épiderme, espérant y trouver soit un mycelium analogue à celui de la moisissure (oïdium) qui se manifeste sur les fruits gâtés et qu’on retrouve facilement sous leur épiderme, soit des filaments superficiels semblables à ceux du rhizoctonia, qui enlace et détruit parfois les tubercules de la pomme de terre, ainsi que nous l’a fait connaître M. le docteur Léveillé. Mais, malgré tous mes soins, il ne m’est point arrivé de rencontrer des filaments à l’intérieur des tubercules récemment attaqués.
Ainsi, d’après mes remarques, l’hypothèse de M. Morren ne satisfait pas à toutes les circonstances du phénomène.
Les rapides changements de forme que les taches obscures éprouvent, les espaces plus ou moins étendus que la maladie a envahis dans un temps très court lorsque le tubercule était placé dans un lieu humide, la promptitude avec laquelle les fanes et les tiges se sont flétries, ne permettent que difficilement de croire à l’action d’un champignon infestant.
Ainsi, dès son début, la maladie s’avance de l’extérieur à l’intérieur.
Je crois devoir bien préciser l’époque de l’altération à laquelle mes recherches ont été entreprises ; car, plus tard, en enlevant un lambeau d’épiderme, il suffit de le soumettre à l’examen microscopique pour y apercevoir des filaments appartenant à des moisissures. Dans certains tubercules, ces filaments sont tellement nombreux qu’ils constituent une sorte de réseau à la face interne de l’épiderme ; ces filaments se reconnaissent à la netteté de leurs contours, aux granules qu’ils renferment, et parfois aussi à leur coloration. Nous avons vu qu’il en était de même à l’égard des feuilles mortes dont on soumettait les tissus à l’examen microscopique. Je dirai en outre qu’on peut l’étendre à la plupart des fruits, lorsqu’ils commencent à se pourrir. Ainsi j’ai constaté sur un même fruit gâté de tomate l’oïdium frutigena, le penicillium glaucum, et un fusarium, qui tous apparaissent également sur les tubercules des pommes de terre malades, lorsqu’ils se décomposent.
Dans une telle association de moisissures, il est presque impossible de saisir à l’intérieur des tubercules les caractères qui appartiennent aux filaments de chacune de ces espèces ; cependant lorsque le verticillium est très répandu, on reconnaît, dans le parenchyme et au milieu des filaments incolores, ceux qui lui appartiennent à leur couleur jaunâtre. Mais si ces distinctions sont peu importantes, on ne doit pas perdre de vue que, de toutes les moisissures observées sur le tubercule, aucune ne s’est manifestée sur les parties herbacées, et qu’ainsi leur apparition semble complétement en dehors des phénomènes auxquels paraît se lier la destruction des tiges.
Deux remarques serviront encore à prouver l’indépendance de ces phénomènes.
La première, c’est que toutes les moisissures que je viens de citer se sont développées, cette année, sur une foule de fruits charnus en décomposition ; la seconde, c’est qu’annuellement toutes les tiges de pommes de terre se couvrent à la base d’un champignon parasite qui leur est, pour ainsi dire, spécial, et que personne, à ce que je sache, n’a constaté la présence de ce champignon (Vermicularia Dematium) sur les tubercules qui se trouvent, pour ainsi dire, en contact avec lui.
Mais je reviens à la matière granuleuse brune ; car, on le voit, c’est avec l’étude de cette matière que commence la difficulté.
Je crois avoir été le premier à reconnaître qu’elle n’avait aucune action sur la fécule, qui se retrouvait intacte dans les utricules les plus fortement colorées en brun, et par conséquent les plus malades. Pour m’en assurer plus nettement encore, j’ai pris les tubercules les plus altérés, mais qui néanmoins n’étaient pas arrivés au point de tomber en putrilage ; j’en ai observé dans tous les sens, en disséquant avec soin chacun des petits foyers d’infection ; j’ai fait bouillir des tranches très minces de ces mêmes parties brunes, afin de désagréger les utricules et de trouver les filaments du botrytis infestans ou de tout autre mucédinée, et, malgré tous ces artifices qui, dans le cas de la présence du champignon, auraient infailliblement démontré sa présence, je n’ai pu rien voir dans les portions centrales de ces tubercules malades, même en les plaçant préalablement dans des conditions favorables au développement d’un végétal microscopique. Car même lorsqu’ils sont le plus profondément altérés, et que la maladie se trahit à l’extérieur par la destruction de l’épiderme et la présence de moisissures, on trouve que les membranes utriculaires, entamées par l’instrument, ont les bords nets et sans indice de mycélium, ou si les utricules sont moins agrégées, on reconnaît que leur surface est lisse et intacte, de manière à mettre hors de doute l’intégrité des utricules et l’absence de tout champignon filamenteux. Du moins ces caractères se sont toujours présentés à moi dans les tubercules les plus colorés en brun que j’ai eu l’occasion d’étudier ; les membranes utriculaires m’ont toujours paru enduites d’une matière brune identique à celle qui colore la plupart des fruits verts au moment où ils commencent à s’altérer.
Afin de m’assurer de l’état de conservation du principe amylacé et surtout de la présence du champignon, j’ai choisi avec soin quelques portions des plus colorées, et, à l’aide de pointes, j’ai extrait la fécule des utricules qui la renfermaient ; les grains m’ont paru parfaitement sains, mais plus ou moins recouverts par la matière granuleuse brune au milieu de laquelle ils semblent empâtés.
On peut donc établir, en thèse générale, que la fécule n’est point détruite dans le voisinage des parties brunes. Si la maladie, en s’avançant de la circonférence au centre, entraînait la dissolution du principe amylacé, il serait difficile de comprendre comment la fécule peut se retrouver dans les utricules qui ont dû être en contact immédiat avec les foyers d’infection. Ces organes, ainsi attaqués par la matière brune, devraient se trouver privés du principe amylacé, tandis que le contraire se remarque dans l’immense majorité des cas.
Mais quelle est la nature de cette substance qui enduit et colore les utricules, et que nous avons retrouvée avec les mêmes caractères, non-seulement dans les feuilles, les tiges, les tubercules, mais encore, je puis l’affirmer aujourd’hui, dans la plupart des fruits qui, sans avoir atteint leur maturité complète, commencent à s’altérer et à blétir ?
C’est pour en connaître les caractères que M. Melsens a bien voulu entreprendre quelques expériences, et m’aider de ses connaissances chimiques avec une obligeance dont je ne saurais assez le remercier.
Remarquons d’abord que la question relative à l’infection s’est déplacée de jour en jour depuis l’époque où elle a commencé à occuper les esprits. La présence du botrytis, comme cause initiale du mal, est à peu près généralement abandonnée. Mais il s’agit de constater aujourd’hui si, comme l’annonce M. Payen, la matière brune appartient elle-même à un champignon d’une nature spéciale, et si les cultivateurs doivent à l’avenir redouter ses funestes ravages.
Je vais chercher à éclaircir cette question, que je regarde comme très importante, car les écrits de M. Payen, recherchés, médités par les agronomes instruits, ont une trop haute valeur scientifique, pour qu’on laisse s’y glisser une assertion incomplètement démontrée : la discussion appliquée à une théorie isolée de ce savant professeur, est en même temps un hommage rendu à l’authenticité de tous les autres.
Si donc je parviens à donner une explication satisfaisante du réseau qu’on observe à l’intérieur des utricules, si je démontre que la matière brune n’est point un champignon et si son innocuité pour l’avenir est clairement établie, j’aurai tranquillisé l’esprit des cultivateurs.
Pour apprécier convenablement la valeur des phénomènes observés par M. Payen, j’ai besoin de rappeler en peu de mots la composition des éléments qui constituent un tubercule : ces éléments sont des utricules et des vaisseaux ; je fais abstraction de ces derniers. Le tissu utriculaire se compose, on le sait, de petites vésicules arrondies dans lesquelles s’organisent les grains de fécule ; mais ce qu’on ignore généralement, c’est que les parois de ces petites vésicules, utricules ou cellules, sont formées de deux membranes intimement juxtaposées, de composition chimique différente, et qui, sous l’influence, soit des acides, soit de l’eau bouillante, et après la dissolution de la fécule, se séparent l’une de l’autre. Dans ce cas, le sac externe, parfaitement transparent, conserve à peu près ses dimensions ; l’interne au contraire se contracte, se plisse et se montre, à l’intérieur du sac externe, sous la forme d’une petite masse grisâtre plus ou moins régulière et plissée. Si, au lieu d’observer des utricules isolées, on examine un petit groupe de vésicules superposées, alors les plis s’entrecroisent, les membranes elles-mêmes se confondent ; on a sous les yeux une sorte de lacis et une apparence de filaments qui peut seule en imposer à des personnes étrangères à l’étude des végétaux microscopiques.
Mais il est un fait important, propre à éclairer l’observateur qui veut déterminer la composition de ce réseau et s’assurer s’il appartient réellement à un champignon, c’est que, si on examine le tissu d’une pomme de terre saine, on y voit exactement le même sac plissé utriculaire, parfaitement distinct de l’autre par sa couleur et son aspect général ; une faible quantité de teinture alcoolique d’iode le rend plus manifeste encore, puisque le sac externe a la propriété de conserver toute sa transparence, lorsque le sac interne se teint en jaune sous l’influence du même agent, l’iode.
L’action de l’iode donne donc un moyen de reconnaître plus nettement ces deux sacs, en même temps qu’il donne au réseau des caractères plus apparents.
Tous ceux qui connaissent la sagacité que M. Payen porte dans ses observations s’étonneront sans doute que ces caractères communs au tissu sain et au tissu malade des tubercules aient échappé à un savant qui, dans ses recherches sur l’organisation des tissus végétaux, a imaginé une série d’expériences ingénieuses et susceptibles d’une grande précision.
M. Payen a cru reconnaître un champignon d’une nature spéciale dans la matière brune ; voici en quels termes il rend compte de ses observations :
« Si l’on coupe en travers un tubercule, on discerne à l’œil nu les parties attaquées par la coloration roussâtre qu’elles ont acquise ; partout où ces apparences se manifestent, le tissu est amolli et se désagrégé plus facilement que dans les parties saines, blanchâtres.et fermes.
« Des tranches très minces, observées au microscope, laissent voir, aux limites de l’altération progressive, un liquide offrant une légère nuance fauve qui s’insinue dans les méats intercellulaires ; ce liquide enveloppe graduellement presque toute la périphérie de chacune des cellules ; dans les parties fortement attaquées, il a tantôt augmenté, tantôt détruit l’adhérence des cellules entre elles, ce qui explique la désagrégation facile des tissus en ces endroits.
« Des corpuscules charriés avec le liquide fauve forment, sur les parois des cellules, des granulations plus foncées ; plusieurs réactions chimiques permettraient de les comparer à des sporules d’une ténuité extrême.
« Un grand nombre de cellules, envahies par le liquide, conservent leurs grains de fécule intacts.
« Lorsque la dislocation des cellules a fait certains progrès dans la masse, le tissu devient pulpeux, semi-fluide ; il suffit de le toucher avec le bout arrondi d’un tube pour en enlever ce qui convient à l’observation microscopique ; parvenu à cet état de dislocation, la substance est blanchâtre ou de couleur brune plus ou moins foncée ; presque toutes les utricules sont déchirées, désagrégées même parfois, et ne laissent voir de larges membranes en lambeaux que dans les parties où des adhérences s’étaient maintenues entre plusieurs cellules. Mais, chose remarquable, qui prouve l’altération périphérique et spéciale des utricules, lorsque celles-ci sont à ce point attaquées, les grains de fécule sont encore intacts, leur substance est insoluble, même dans l’eau chauffée à 50 degrés ; seulement plus faciles à diviser mécaniquement, ils se comportent avec l’iode, l’acide sulfurique, la diastase, comme la fécule normale ; cependant une partie de la substance amylacée, faiblement agrégée, a pu disparaître.
« Comment se fait-il donc que plusieurs persones aient cru reconnaître une dissolution générale de la substance amylacée en apercevant les cellules vidées, et devoir attribuer ces effets à la maladie des tubercules ?
« Je crois, dit encore M. Payen, avoir trouvé les causes du dissentiment. On observe, en effet, certains tubercules offrant un pareil état de vacuité ; mais ceux-ci généralement ne présentent pas les symptômes en question. On les trouve tout aussi bien d’ailleurs sur les pieds exempts du mal que sur les pieds atteints. Ce sont, en effet, des tubercules dont le développement s’est arrêté, et dans lesquels la végétation des tiges a puisé les éléments de nutrition et de développement, comme dans la pomme de terre mère. »
Ainsi M. Payen admet la conservation du principe amylacé dans les cellules, que vient enduire tantôt en augmentant, tantôt en diminuant l’agrégation des utricules, un liquide fauve qui dépose contre leurs parois des corpuscules comparables chimiquement à des sporules d’une ténuité extrême.
Dans sa deuxième notice, M. Payen annonce qu’à l’aide de nombreuses et délicates expériences il est arrivé à reconnaître, à l’intérieur des utricules, des filaments qui lui font envisager la matière brune comme appartenant à un champignon filamenteux d’une nature spéciale.
Ces observations nouvelles semblent mettre en évidence aux yeux de M. Payen, la cause principale et les effets variés de l’altération des pommes de terre. Il les résume ainsi :
« Une végétation cryptogamique toute spéciale, se propageant, sans doute, des tiges aériennes aux tubercules, en est l’origine.
« Le champignon microscopique, dont les sporules ont suivi le liquide infiltré autour des parties corticales surtout, avance vers la partie médullaire et se développe dans les cellules en filaments anastomosés qui s’emparent de la substance organique quaternaire et oléiforme, s’appuyant sur la fécule qu’ils enferment dans leurs mailles.
« Traversant d’ailleurs les méats intercellulaires d’une cellule à l’autre, ils s’entre-croisent et rendent solidaires les parties du tissu qu’ils envahissent ; ils les retiennent consistante malgré la cuisson dans l’eau à une température de 100 degrés. Les prolongements byssoïdes dirigés vers la périphérie vont au travers des parois des cellules attaquer toutes les matières assimilables qu’elles renferment, azotées, huileuses et amylacées ; la fécule graduellement désagrégée, dissoute et absorbée, présente une série d’altérations rapides, et nouvelles dans l’histoire de ce principe immédiat.
« A l’ensemble de ces faits on reconnaît donc l’action d’une énorme végétation parasite qui s’empare d’une portion des tissus vivants de la pomme de terre, se logeant dans les uns, puisant dans les autres toutes les substances assimilables qu’ils renferment.
« Telle est la forme de la maladie importée chez nous sans doute par les sporules du champignon spécial, dont l’humidité et la température ont dû hâter les développements. »
M. Payen, comme on en peut juger, a complétement modifié l’opinion qu’il exprimait dans sa première notice. Considérant le liquide jaune comme un champignon d’une nature spéciale, comme sporules les granulations qui l’accompagnent, il est amené à regarder chacune des utricules brunes comme liée ou cousue à l’utricule voisine par les filaments de ce champignon. Il en conclut la présence d’un végétal microscopique dans toutes les utricules d’un tubercule avarié et brun, mais il se fonde, comme je l’ai fait remarquer déjà, sur une fausse interprétation de ce réseau d’apparence filamenteuse, et je dois ajouter que plusieurs de ses observations sont en désaccord avec les miennes, par suite du mode différent de préparation.
Ainsi M. Payen ne semble pas avoir remarqué que le réseau augmentait dans les utricules et que celles-ci se déchiraient précisément à cause de son mode de trituration, utile dans une foule de cas, mais défectueux lorsqu’il s’agit de recherches aussi délicates que celles qui nous occupent.
Il fait reposer toute sa théorie sur la transmission de sporules qui à l’aide d’un liquide se déposent contre les utricules, y germent et finissent par les pénétrer, mais il s’abstient de remonter à l’origine de ces sporules et de chercher à reconnaître le végétal qui les produit.
Ainsi, pour que ces sporules aient parcouru toutes les voies organiques de la nutrition, pour qu’elles aient pénétré, pour qu’elles se soient incorporées dans le tissu intime des parties et jusque dans les utricules, c’est-à-dire jusque dans les organes les moins perméables à ces sporules, il n’aurait fallu que vingt-quatre heures de temps.
Je dois rappeler en effet que, dans une foule de localités, ce laps de temps a suffi pour la destruction des tiges et la désorganisation des tubercules.
Examinons maintenant la Question au point de vue chimique :
Selon M. Payen, tout dépend de la composition élémentaire, mais cette manière d’envisager la question ne peut prévaloir aux yeux du naturaliste. En effet, une substance pourra nous présenter la composition chimique d’un cham pignon sans pour cela qu’on puisse l’accepter et la décrire comme un végétal. Pour constater l’individualité des êtres organisés, il ne suffit pas que le corps observé soit composé d’oxygène, hydrogène, azote et carbone, il faut encore qu’il possède la forme et de plus l’analogie. Or, la matière brune ne réunit aucune de ces conditions, et M. Payen ne s’y est pas trompé, puisqu’il lui a assigné une nature spéciale. Sans doute la composition chimique est d’une haute valeur, mais cette valeur n’est réelle qu’à la condition de distinguer ce qui est du ressort de la chimie de ce qui appartient à la botanique.
Il est difficile d’obtenir des utricules intactes lorsqu’on les désagrège par une trituration sous l’eau. Ce mode de préparation suffirait pour expliquer la présence de larges lambeaux et celle des filaments à la surface des utricules, mais il y en a deux autres qui tendent encore, selon moi, à mettre en relief le réseau interne et la production des lignes entrecroisées qu’on remarque sur les utricules soumises au même traitement et sur lesquelles* j’ai déjà appelé l’attention.
Mais je me verrais dans l’obligation d’entamer ici une discussion spéciale, trop en dehors du sujet essentiel, aux yeux du cultivateur.
On me pardonnera d’insister avec quelques détails sur cette question que personne n’a, je pense, encore traitée.
D’après les expériences de M. Stas, la matière brune serait formée, en grande partie, par de l’albumine coagulée à laquelle viendrait s’ajouter une substance colorante que je rapporte à Fulmine.
Ces expériences ont toujours été faites comparativement sur des tubercules sains et sur des tubercules malades de la variété dite jaune de Hollande.
Cette matière granuleuse ayant été considérée comme un champignon, nous avons dû rechercher si les moisissures présentaient les mêmes caractères et la même résistance aux agents chimiques. Nous avons exposé sur une lame de verre soit des spores isolées, soit des spores et des filaments de quelques mucédinées à l’action de l’acide chlorhydrique concentré et bouillant. Toute organisation disparaît alors. Le végétal est détruit ; on ne retrouve que quelques restes informes et peu considérables. Le liquide acide est plus ou moins coloré en brun, comme la plupart des extraits végétaux. Nous avons vu dans plusieurs cas se former, après l’évaporation du liquide, une cristallisation ayant l’aspect du sel ammoniac. Et cette première recherche nous a conduit à constater la destruction complète non-seulement des filaments, mais encore des spores ou séminules des fusarium, oïdium, penicillium, botrytis verticillium, etc., à l’état frais, mais encore la dissolution totale de l’oïdium orangé, développé à l’intérieur du pain de munition et desséché depuis plusieurs années. Or, si l’on soumet au même traitement des portions de pommes de terre malades, les parties colorées en brun ne subissent aucune altération.
Nous avons observé comparativement des feuilles mortes de tilleul, de marronnier, de châtaignier, de chêne, des portions de fruits, verts et tachés ; nous avons toujours reconnu sur les membranes utriculaires un enduit brun granulé identique à celui que nous ont offert les tubercules des pommes de terre altérés.
Des tranches minces de jeunes tomates, colorées en brun par une altération dont les signes extérieurs se rapprochaient beaucoup de ceux de la pomme de terre, ont été également soumises à l’action de l’acide chlorhydrique concentré et bouillant sans que les parties colorées en brun aient subi la plus légère altération.
Le même caractère s’est reproduit en opérant sur des tranches minces de coings, de poires à cidre, de pêches en voie d’altération.
La potasse caustique diluée et bouillante prend une légère teinte jaunâtre comme une dissolution très étendue d’ulmate de potasse dans laquelle les portions brunes acquièrent plus d’éclat.
L’acide nitrique à 36° rend la coloration plus intense, sans néanmoins dissoudre la matière après un contact de vingt-quatre heures.
Des portions de pommes de terre malades placées dans une dissolution d’acide sulfureux nous ont offert un affaiblissement notable dans leur coloration, sans néanmoins la faire complètement disparaître après un contact de quinze jours et une exposition à une lumière vive.
L’eau de chlore, après un contact de vingt- quatre heures à froid, a affaibli la teinte, mais ne l’a pas enlevée.
Cette résistance de la matière brune aux agents chimiques est un phénomène propre à l'ulmine mise en contact avec des membranes végétales et peut se comparer à ceux qui se passent lorsqu’on teint les étoffes, ou bien encore à cet effet si curieux de la fixation des matières colorantes sur le charbon. En effet, les utricules ainsi enduites de matière brune nous ont constamment montré après l’opération une sorte de réseau brun granulé appliqué contre la membrane cellulaire, et faisant, pour ainsi dire, corps avec elle. Ce réseau, par l’ouverture et l’irrégularité de ses mailles, nous a paru dépendre de la dissolution des grains de fécule qui se trouvaient engagés et comme emportés par la matière brune. En effet, dans les utricules légèrement enduites, nous avons constaté, en outre, la présence d’un sac plus ou moins plissé, dont les caractères, très faciles à saisir, se retrouvent dans les utricules des pommes de terre saines.
Ainsi la matière brune, en pénétrant dans le tissu utriculaire et en enveloppant chacun des grains de fécule, soude, pour ainsi dire, l’utricule primordiale à la membrane externe. Mais j’ai vainement cherché à m’assurer si le réseau formé par la matière brune s’étendait d’une paroi à l’autre à l’intérieur de chacune des utricules. Selon moi, ce sac interne et plissé, dans lequel on a vu tous les signes d’un champignon, appartient à l’utricule primordiale contre laquelle sont venus se déposer, en outre, des granules d’albumine et de caséine ; ce qui tend encore à le faire croire, c’est qu’en traitant de la fécule lavée à différentes reprises à l’eau distillée et qu’en la soumettant à l’action de l’acide chlorhydrique étendu de quatre à cinq fois son volume d’eau, on retrouve les enveloppes tégumentaires qui, sous l’influence de l’iode, prennent une coloration jaune lorsque toute trace de coloration en bleu ou en violet a disparu. Or, c’est précisément ce que nous présentent les utricules des tubercules soumis à ce même traitement, et ce qui me permet de le supposer c’est que la partie tégumentaire de la fécule, lorsqu’elle est contenue dans l’utricule, s’y trouve emprisonnée quand on vient à traiter des tranches minces de pommes de terre par un acide dilué ; si, en effet, on retrouve, à l’aide du microscope, après avoir traité de la fécule très pure, des lambeaux de téguments plus ou moins considérables, on est en droit d’admettre que ces mêmes éléments se retrouveront dans l’utricule et contribueront à la formation du réseau que nous offre le sac interne après l’entière dissolution de la fécule ; il n’est pas nécessaire d’avoir recours à l’intervention d’un champignon pour expliquer cette sorte de réseau.
En résumé, il est facile de comparer les résultats auxquels je suis arrivé avec ceux qui ont été énoncés par d’autres observateurs.
Ainsi, loin d’admettre le ramollissement et la désagrégation des cellules ou utricules colorées en brun dans les tubercules malades, je crois avoir démontré que les utricules enduites sur les deux surfaces par cette substance adhèrent au contraire très intimement les unes aux autres, et ne semblent avoir subi aucune altération, puisqu’on y retrouve très souvent le nucléus auquel s’associent souvent, soit dans les pommes de terre malades, soit dans les pommes de terre saines, de petits cristaux cubiques, plus ou moins colorés en jaune.
Je reconnais n’avoir jamais rencontré d’utricules déchirées au milieu des parties altérées, j’avoue même ne connaître aucun exemple de semblables altérations ; les utricules m’ont toujours paru se résorber, mais non se déchirer, pour disparaître ensuite.
Les granulations de la substance brune ne m’offrent aucune analogie avec les spores des végétaux inférieurs, et en particulier avec celles des mucédinées.
En effet, si les granules bruns étaient de véritables spores, ils devraient se détacher de leurs supports ; on ne devrait pas les rencontrer à l’intérieur des utricules ; on devrait trouver enfin l’organisation du champignon d’autant plus avancée qu’on l’examinerait à la périphérie du tubercule, puisqu’il s’avancerait, en absorbant le contenu des utricules, de la circonférence au centre du tubercule.
Je crois avoir démontré qu’on rencontre en outre, à l’intérieur des utricules provenant de tubercules sains, un réseau semblable à celui qu’on a considéré comme un champignon spécial ; et l’explication que j’en donne me permet de conclure que la composition chimique d’un corps ne peut pas servir à démontrer sa véritable nature au point de vue du naturaliste.
A l’exception de quelques cas assez mal définis, les tubercules avariés et les tubercules sains paraissent renfermer à peu près la même quantité de fécule. La plupart des observateurs sont d’accord à ce sujet. Cependant MM. Rayer et Valenciennes ont rencontré des tubercules complètement dépourvus de fécule, mais ce phénomène est heureusement exceptionnel, et ne paraît appartenir, lorsqu’il s’étend à tout le tissu, qu’aux tubercules-semences.
Cette opinion est aussi, je le crois, celle de M. Payen. « On observe en effet, dit cet habile chimiste, certains tubercules offrant un pareil état de vacuité ; mais ceux-ci généralement ne présentent pas les symptômes en question. On les trouve tout aussi bien d’ailleurs sur les pieds exempts du mal que sur les pieds atteints. Ce sont, en effet, des tubercules dont le développement s’est arrêté, et dans lesquels la végétation des tiges et feuilles a puisé des éléments de nutrition et de développement, comme dans la pomme de terre mère. »
En moyenne, d’après l’observation de quelques agronomes instruits, les pommes de terre saines rendent cette année moins de fécule qu’à l’ordinaire.
Chez quelques-unes le principe amylacé diminue considérablement dans les utricules voisines des portions altérées et enduites de matière brune. M. Payen m’a montré des tranches de pommes de terre sur lesquelles on distinguait très nettement une zone transparente, dépourvue de fécule, et enveloppant, pour ainsi dire, toute la partie externe avariée. Cette altération paraît du reste assez rare, du moins au degré où j’ai eu occasion de la voir. Nous l’avons vainement cherchée, M. Vilmorin et moi, sur un nombre considérable de tubercules. En général les utricules remplies de grains de fécule altérés sont assez rares, si on en excepte les utricules allongées qui accompagnent les vaisseaux et dans lesquelles la fécule ne se rencontre jamais, même chez les individus sains.
Dans les utricules les plus altérées, les grains de fécule sont encore intacts ; leur substance est insoluble, même dans l’eau chauffée à 50 degrés. D’après M. Payen, auquel on doit les recherches les plus complètes sur ce sujet, les grains de fécule sont plus faciles à diviser mécaniquement, et se comportent avec l’iode, l’acide sulfurique, la diastase, comme la fécule normale.
Cependant la fécule éprouve différentes modifications dans les tubercules avariés.
Elle diminue, et dès lors plusieurs altérations se prononcent dans les utricules attaquées sur un des points de leur superficie, leur substance interne se désagrège et se dissout ; les parois de la cavité sont sillonnées de fentes irrégulières qui graduellement deviennent plus profondes. Le volume total des granules amylacés diminue, presque toute la cavité de la cellule se trouve vidée ; le sac, réduit à un très petit volume, contient seulement quelques fragments irréguliers arrondis, de matière féculente.
Enfin tout disparaît ; il ne reste que la chambre cellulaire diaphane et vide.
Mais après avoir décrit ces altérations partielles, M. Payen se hâte de dissiper les craintes sur la diminution du principe amylacé, et il déclare que le meilleur parti à tirer des tubercules avariés consiste dans l’extraction de la fécule.
J’emprunte encore aux différentes notices publiées par M. Payen les passages relatifs au sujet qui nous occupe, et suis heureux de puiser dans son opinion des preuves à l’appui de la mienne.
« La fécule étant en grande partie intacte dans les tubercules altérés, on pourrait croire qu’il serait facile de l’extraire en suivant les procédés usuels. Il n’en est rien cependant, car un grand nombre d’utricules peu ou pas adhérentes, comme dans les pommes de terre dégelées, se sépareraient les unes des autres par Faction de la râpe sans s’ouvrir, et retiendraient la fécule enveloppée restant avec elles sur le tamis.
« Quant aux tubercules dont la dégénérescence serait avancée, on en pourrait certainement tirer parti en les divisant à la râpe, lavant la pulpe sur un tamis, extrayant de l’eau de lavage la fécule par les procédés usuels.
« Les pommes de terre même qui se sont altérées rapidement au point d’être entièrement désagrégées, pourraient encore se traiter par les mêmes moyens. »
Ces conclusions sont rassurantes et diffèrent totalement de celles de M. Morren qui conseille de brûler les tubercules avariés ou pourris.