Histoire de la littérature grecque/Chapitre XLIX

Librairie Hachette et Cie (p. 565-568).



CHAPITRE XLIX.

HISTORIENS ET SOPHISTES DU TROISIÈME SIÈCLE.


Dion Cassius. — Hérodien. — Élien. — Les deux Philostrate. — Diogène de Laërte. — Athénée. — Alciphron.

Dion Cassius.


La littérature grecque du troisième siècle est presque tout entière dans les noms de Plotin, de Longin, de Porphyre, d’Iamblique. Ce n’est pas que nous ne possédions des ouvrages considérables, composés par d’autres auteurs appartenant à cette période ; mais ces ouvrages, précieux à certains égards, n’ont rien, ou presque rien, qui les recommande à nos yeux. Dion Cassius est un historien du troisième ou du quatrième ordre. Son Histoire romaine, que nous avons en partie, sert à remplir plusieurs lacunes dans les annales du peuple romain ; mais le style en est inégal et déclamatoire, et Dion n’a ni un jugement parfaitement sain, ni une critique suffisamment éclairée.

Quelques-uns exaltent cet historien, et surfont singulièrement sa valeur. D’autres le considèrent comme une autorité absolument nulle. Il faut distinguer. Il y a en Dion deux hommes. Son témoignage est considérable, là où il a vu ; les inscriptions et les médailles ont souvent confirmé ses dires. Mais Dion se trompe sans cesse quand il s’agit de faits un peu anciens, et n’est qu’un garant des plus suspects. Avant de se fier à lui, c’est un devoir d’examiner avec soin ses assertions et de vérifier ses sources : « Par exemple, dit M. Egger, en ce qui concerne l’histoire de J. César et des guerres faites en Gaule, où Dion n’était pas allé, je ne vois pas qu’un narrateur éloigné de deux siècles des événements qu’il raconte, et qui n’en a pas vu le théâtre, puisse être par lui-même un garant digne de confiance. »


Hérodien.


Hérodien, qui nous a laissé une Histoire des Empereurs depuis la mort de Marc-Aurèle jusqu’à l’avénement du jeune Gordien, est un écrivain disert et agréable, mais plus curieux de se faire lire que d’instruire véritablement le lecteur. On dirait même qu’il ignore les deux sciences qui sont comme les yeux de l’histoire, la chronologie et la géographie. Cependant Hérodien avait été contemporain des événements qu’il raconte. Il avait même rempli des fonctions publiques. Hérodien était rhéteur ou sophiste de profession, et l’on s’en aperçoit, aux qualités mêmes de son livre. Photius fait un magnifique éloge d’Hérodien, et Rollin semble adopter le jugement de Photius ; mais si on loue, comme ils font, le talent d’écrivain déployé dans l’Histoire des Empereurs, il faudrait ne point passer sous silence les graves imperfections qui déparent cette œuvre et en diminuent la valeur.


Élien.


La compilation d’Élien, intitulée Histoires diverses, n’est qu’un fatras de matériaux empruntés à d’autres livres, et entassés sans goût, sans jugement, sans critique. Élien vivait à Rome sous les règnes d’Héliogabale et d’Alexandre Sévère. Il était professeur d’éloquence, autrement dit sophiste ou rhéteur. Son livre, quoique mal fait, contient des choses intéressantes. Si l’auteur avait cité ses sources, cette compilation aurait une vraie importance. Ce n’est qu’une sorte d’ana dont il faut se méfier.


Les deux Philostrate.


La Vie d’Apollonius de Tyane, par Philostrate l’Ancien, est pleine de fables absurdes, d’erreurs géographiques et d’anachronismes. Philostrate est un sophiste et un sectaire plutôt qu’un historien. Il écrit agréablement ; et, s’il n’avait prétendu composer qu’un récit imaginaire, on pourrait le placer, parmi les romanciers anciens, à un rang assez distingué. Mais Philostrate voulait qu’on prît son livre au sérieux ; et son pythagoricien thaumaturge est une sorte de Christ païen, qu’il essaye de mettre à la place du triomphant crucifié. Sous ces contes à dormir debout, sous ces récits de miracles, sous ces prédictions après coup, sous cet étalage de toutes les folies mystiques et théurgiques, il y a une intention religieuse manifeste. C’est tout à la fois et une polémique en règle contre l’Évangile, et une sorte d’évangile posthume du paganisme périssant.

D’autres ouvrages de Philostrate, et même l’ouvrage qu’on attribue à son neveu Philostrate le Jeune, ne sont que des exercices de rhéteur, où à propos d’une galerie de tableaux, ou à propos des aventures de quelques héros antiques. Les esquisses biographiques intitulées Vies des Sophistes présentent un certain intérêt, mais non pas bien vif ; car les noms célébrés par Philostrate sont tombés pour la plupart dans un profond et éternel oubli.


Diogène de Laërte.


Le Cilicien Diogène de Laërte a eu le talent de faire un ouvrage indispensable à tous ceux qui veulent connaître la vie et les doctrines des philosophes anciens, en compilant sans ordre, sans suite, sans jugement, souvent même sans y rien comprendre, les livres de sa bibliothèque. Cet ouvrage ridicule, informe, mal composé, encore plus mal écrit, et où ce que l’auteur a mis de sa personne est presque toujours ou niais ou inutile, ces Vies des Philosophes sont pleines de documents de toute sorte qui ne se trouvent que là ; et les débris d’une foule de livres aujourd’hui perdus donnent à celui d’un sophiste dénué de goût et de bon sens une importance que n’ont pas des productions à beaucoup d’égards plus estimables.


Athénée.


La compilation d’Athénée, intitulée Souper des Sophistes, est du moins l’œuvre d’un homme qui se donnait la peine de coordonner ses idées et de les exprimer dans un langage humain. Ses sophistes devisent à table, et font ensemble assaut d’érudition. Grâce à leurs causeries, et, si l’on veut, à leur pédanterie, il y a d’admirables morceaux de l’ancienne littérature dont nous jouissons aujourd’hui, et qui nous seraient inconnus sans Athénée. Athénée n’est pas, tant s’en faut, un dialogiste parfait ni un écrivain classique ; mais il ne manque pas de talent. Son livre prouve qu’il avait prodigieusement lu, et qu’il avait bien compris ce qu’il lisait et bien digéré ses connaissances archéologiques et littéraires. Athénée était de Naucratis, en Égypte ; il avait étudié dans ces savantes écoles où s’était formée la science des Plotin et des Longin, et il avait enseigné lui-même avec éclat la rhétorique et la grammaire.


Alciphron.


Parlerons-nous d’Alciphron, et de ces lettres qu’il suppose écrites par des pêcheurs, des parasites, des courtisanes, etc. ? Il est impossible d’imaginer rien de plus faux que ce prétendu genre épistolaire. Ce ne sont que des déclamations sophistiques, ou des tableaux de mœurs tracés d’après d’anciens poëtes, et non point d’après ce que l’auteur avait lui-même sous les yeux. Mais Alciphron prodigue les ornements de style ; il est fleuri, sinon raisonnable ; l’élégance des termes, l’éclat des métaphores, la beauté des tours, lui tiennent lieu de bon goût : aussi passait-il en son temps pour un phénix littéraire, pour un écrivain supérieur à Longin et à Porphyre, qui avaient le tort d’être de grands et sérieux esprits, et de n’écrire que pour les gens capables de quelque effort d’attention et d’intelligence.