Histoire de la conquête de l’Inde par l’Angleterre (Barchou de Penhoën)/Livre XXII

Au comptoir des Imprimeurs unis (tome 6p. 125-232).

LIVRE XXII.

SOMMAIRE.


Poursuite du peschwah. — Brillante défense de Korcigaum par un détachement anglais. — Reddition de Saltarah. — Suite des opérations contre tes Pindarries. — Reddition des chefs de Pindarries, Namdar-Khan et Kurreem-Khan. – Mort de Wâsil-Mahomet. — Mort de Chettoo. — Jeswunt-Row-Bao. — Ameer-Khan, par suite de son traité avec les Anglais, licencie son armée. – Situation des différents corps de l’armée anglaise au 1er février 1818 dans le Deccan et dans l’Indostan. — Dissolution de l’armée du Deccan. — Capture de la forteresse de Talneir. — Sir Thomas Hislop et le général Doveton se remettent à la poursuite du peschwah. — Disposition d’Apa-Sabeb et de ses ministres. – Arrestation du rajah et de ses ministres. — Marche, contre-marches, manœuvres du peschwah. — Affaire de Soonce. — Capture de Solapoor. – Capture de Chanda. — Exil et fuite d’Apa-Saheb. — Bajee-Row cerné de tous côtés. — Il entre en négociations avec sir John Malcolm. – Le peschwah consent à se soumettre aux conditions qui lui sont imposées. – Une révolte éclate peu après dans son armée. – Dissolution de la confédération mahratte. — Caractère général de cette confédération. — Mesures politiques et administratives prises à l’égard des pays conquis. — Restauration de l’ancienne dynastie des rajahs de Saltarah. — Arabes de la province de Candeish. — Leur expulsion. – Apa-Saheb contraint de chercher un refuge dans les montagnes de Mohadeo. — Siège et prise de la forteresse d’Assecghur. — Nouvel arrangement avec la principauté de Bhopal. — Avec les États rajpoots. — Avec la principauté de Kotah. — Avec Joudpoor. — Avec Odeypoor. — Avec Jeypoor. — Avec plusieurs États de moindre importance. — Situation respective des parties belligérantes des Mahrattes à la fin de la guerre. — Les rajahs de Saltarah et de Nagpoor, Dowlet-Row-Scindiah et Mulhar-Row-Holkar. — Le visir change son titre en celui de roi de Oude. — Le marquis de Hastings quitte l’Inde. — Mesures de la cour du directeur à son égard. — Coup d’œil général sur son administration.
(1817 — 1823.)


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Le brigadier-général Smith, ayant complété ses arrangements à Poonah pour l’occupation permanente de cette ville, se mit à la poursuite de l’ennemi. Le peschwah s’était, disait-on, réfugié à Mahaollee, auprès de Satara. On crut d’abord qu’il avait le projet de se réfugier dans une forteresse et de soutenir un siège ; mais il voulait seulement se joindre à un parti qui venait d’entrer en campagne avec la résolution d’enlever la famille du rajah de Satara. Le peschwah craignait, en effet, de laisser derrière lui un dépôt aussi important ; les murailles de la forteresse la plus redoutable ne le rassuraient pas suffisamment. Il se proposait d’emmener avec lui toute cette famille, de peur qu’elle ne tombât dans les mains des Anglais, et que ceux-ci ne tentassent de s’en servir contre sa propre autorité.

Le 29 novembre, le général Smith força le passage de la Salpa-Ghat, qui conduit aux hautes terres où la Kistna prend sa source. Depuis le 22, Gokla, à la tête de 5,000 chevaux du peschwah, n’avait cessé de se montrer sur le front, sur les flancs, de menacer les derrières du corps d’armée du brigadier-général. L’intention de Gokla n’était nullement d’en venir à une action sérieuse, mais seulement de harceler et de fatiguer l’ennemi. D’ailleurs il suffisait de quelques obusiers, de quelques pièces de campagne pour tenir à distance ce nuage de tirailleurs. Le peschwah fuyait d’abord au midi, à la poursuite du général Smith ; mais il fut obligé de changer de direction et de marcher au nord. La division du général Pritzler avançait de la Kistna, et à l’est se trouvaient les frontières du nizam. Smith suivit le peschwah dans cette nouvelle direction jusqu’à Punderpoor. Le 9, il fit une tentative pour surprendre le bivouac du principal corps de cavalerie sous Gokla ; mais un petit corps ennemi, qu’il rencontra en chemin et qu’il fallut combattre, empêcha la surprise de réussir. Apprenant à Punderpoor que le peschwah s’était enfui à Purgaum, la division de Smith marcha dans cette direction. La poursuite continua sans interruption jusqu’à Serroor, où la division arriva le 17 décembre ; elle reçut là un renfort, un bataillon d’infanterie de Madras. Jusque là, croyant que le peschwah allait s’enfermer dans quelque forteresse, le général Smith avait amené avec lui son artillerie de siège, et sa marche en était devenue lente et pénible. Il laissa cette artillerie à Serroor, pour pouvoir suivre plus facilement le peschwah. Il chercha à s’interposer entre ces princes et les montagnes de Kandeish ; mais celui-ci, ayant été rejoint par l’infanterie de Trimbukjee-Daniglia, abandonna tout-à-coup cette direction et courut vers le midi, c’est-à-dire vers Poonah. Le général Smith le suivit aussi rapidement que possible à travers une contrée presque impraticable à des troupes régulières ; il éprouva entre autres de grandes difficultés le 29 décembre au passage de la Wassoora ; l’arrière-garde ne put rejoindre le gros de l’armée que le lendemain dans l’après-midi. Le 30, le peschwah était arrivé à Chakun ; il semblait avoir l’intention de se remettre en possession de sa capitale. Le colonel Burr avait reçu quelques renforts, il en demanda d’autres au corps de troupes laissé à Serroor ; le capitaine Staunton, obéissant à cette réquisition, se mit en route avec un bataillon, 2 canons et 250 chevaux.

Ce détachement se hâtant pour aller s’enfermer à Poonah, atteignit, le 1er janvier, une colline élevée en face du village de Korcigaum, à vingt-sept milles de distance de Serroor. De là le capitaine Staunton eut un spectacle auquel il ne s’attendait pas. Dans la vallée qui s’ouvrait devant lui se trouvait toute l’armée du peschwah, consistant en 20,000 chevaux et 8,000 fantassins ; elle campait sur la rive droite de la Beemah au-dessus du village de Korcigaum, au pied duquel passait la grande route de Poonah. Au fond de la vallée coulait la rivière ; les Mahrattes se trouvaient sur la rive droite, les Anglais sur la gauche, et sur cette même rive gauche le village de Korcigaum, dont la rivière baignait les murailles. La grande route de Poonah passait elle-même au pied de ce village, après avoir traversé la rivière par un gué. Le gros de l’armée du peschwah était sur la rive droite de la riviere ; mais heureusement pour les Anglais il avait négligé d’occuper les routes situées sur la rive gauche et aboutissant au village. Prenant hardiment son parti, le capitaine Staunton marcha rapidement sur Korcigaum, et parvint à y arriver avant les Mahrattes. Ceux-ci ne s’attendaient en aucune manière à l’arrivée du détachement : en le voyant, ils se précipitèrent aussi de leur côté vers Korcigaum. Les deux partis en occupèrent chacun une portion ; et il fut de plus entouré tout aussitôt de corps de cavalerie et d’infanterie. Le peschwah gagna de sa personne un lieu élevé pour avoir le spectacle du combat ; il se flattait de jouir, avant peu de la défaite de la petite troupe anglaise.

Le village de Korcigaum était bâti sur une pente assez rapide. Les Mahrattes s’emparèrent de la partie la plus élevée ayant l’arrivée des Anglais ; en peu d’instants le reste des rues et des places fut encombré par ceux-ci : cavalerie, infanterie, bagages et domestiques y cherchaient en toute hâte un abri. La cavalerie mahratte les suivait de près, en effet, et se montrait décidée à les attaquer avec vigueur. L’immense supériorité numérique qui se trouvait de son côté lui donnait une audace inaccoutumée. Le détachement des Anglais consistait en 500 Cipayes, 26 artilleurs, 2 pièces de canon et de la cavalerie, celle-ci à peu près inutile d’ailleurs, ne pouvant agir faute d espace, et n’étant point armée convenablement pour combattre à pied. Il était midi, le soleil était brûlant, et les Anglais, après avoir marché toute la nuit et toute la matinée, n’avaient pas une goutte d’eau pour se rafraîchir. Les Mahrattes, divisés en trois corps d’infanterie d’un millier d’hommes chacun, s’avancèrent bientôt contre Korcigaum. Le capitaine Staunton fit braquer ses 2 pièces de canon sur la principale avenue conduisant au village, et bientôt le combat s’engagea. Ce furent tour à tour des attaques impétueuses de la part des assaillants, des sorties désespérées de la part des assiégés ; quand il se trouvait serré de trop près, le détachement se voyait en effet obligé de conquérir en quelque sorte un nouveau champ de bataille. L’une des pièces de canon tomba aux mains de l’ennemi, mais pour être reprise l’instant d’après. En peu de temps tous les officiers européens, obligés de payer de leurs personnes, furent tués ou hors de combat ; leurs têtes, coupées sur-le-champ, étaient immédiatement envoyées au peschwah, toujours sur sa colline. En proie à une soif dévorante, épuisé de fatigue, le détachement commençait peut-être à chanceler dans sa résection ; quelques voix parlaient de se rendre. Staunton, décidé à continuer le combat, harangua ses soldats ; il leur peignit les traitements barbares réservés aux prisonniers, les décida à se défendre. Il n’en fut pas besoin ; craignant d’être attaqués à leur tour, les Mahrattes se retirèrent : événement d’autant plus heureux que les Anglais trouvèrent de l’eau dans cette partie du village. Staunton employa la nuit à se préparer à de nouvelles attaques ; mais le lever du soleil lui montra l’armée du peschwah en marche dans la direction de Poonah. L’arrivée du général Smith à Chakun rappelait le peschwah de ce côté. La perte des Mahrattes avait été de 1,700 hommes ; celle des Anglais de 150 hommes tués ou blessés, 12 artilleurs de tués et 8 de blessés sur 20 ; 96 cavaliers tués ou blessés. Demeuré maître du champ de bataille, mais ignorant la situation du corps d’armée de Smith, ne pouvant continuer sa marche sur Poonah, n’ayant plus de munitions, et ne pouvant par conséquent occuper Korcigaum, Staunton prit le parti de retourner à Serroor. Il se mit en route au coucher du soleil, et, après avoir marché toute la nuit, y arriva le lendemain matin ; il fit son entrée tambour battant et enseignes déployées. Un monument, élevé peu de mois après à Korcigaum, honora la mémoire de ceux qui succombèrent dans cette action, une des plus glorieuses des guerres de l’Inde. Le gouverneur-général s’empressa de donner à Staunton le titre de son aide-de-camp honoraire. De son côté, la cour des directeurs lui fit remettre un magnifique sabre enrichi de diamants, sur la lame duquel était gravé le mot « Korcigaum. »

Le général Smith, se trouvant le 2 janvier à Chakun, apprit la situation du détachement de Staunton à Korcigaum. Il se hâta de marcher à son secours, mais ce dernier avait déjà opéré sa retraite. Après l’échec qu’il venait d’éprouver, Bajee-Row continua de fuir dans la direction du sud-est. Le brigadier-général Pritzler, se trouvant entre Pergaum et Punderpoor, apprit la marche de l’armée mahratte vers le midi ; il se mit aussitôt en mouvement dans le but de lui barrer le passage. Mais Bajee-Row avait opéré dès le 6 janvier le passage de la Salpo-Ghet. Le jour suivant, Pritzler atteignit cependant l’arrière-garde du peschwah ; il lui tua une soixantaine d’hommes, puis continua à le poursuivre, le serrant à lui marcher en quelque sorte sur les talons ; sur le point de le joindre à Poosa-Saolee et à Merich, il passa la Kistna immédiatement après lui au gué d’Erroor. Le peschwah avait d’abord l’intention de tenter une invasion dans le royaume de Mysore, et pour la réaliser s’avança au midi aussi loin que Gokak sur le Gutparba ; là il essaya d’ouvrir une correspondance avec le rajah de Mysore, mais ne put réussir. Par les soins du brigadier-général Munro, tout ce pays était au contraire en armes. Ayant rassemblé tous les corps de troupes irrégulières à sa disposition, Munro se trouvait prêt à poursuivre le peschwah partout où il irait dans cette direction. En conséquence, le peschwah retourna sur ses pas ; de Gokak, il tourna à l’est, repassa la Kistna à Gulgula, se dirigea de là à l’ouest, et marcha par Hutarree et Merich, décrivant ainsi un cercle autour de la division de Pritzler. Cependant celui-ci le suivait de près. Le 17 janvier, la cavalerie de Pritzler lui tua beaucoup de monde. Le général Pritzler était bien pourvu de cavalerie, mais l’ennemi n’attendit jamais une charge : c’était seulement à l’aide de l’artillerie à cheval qu’il y avait moyen de l’attaquer.

Le général Smith, après avoir reçu quelques renforts à Serroor, en partit le 8 janvier. Il laissa une petite partie de son corps d’armée, ses bagages et sa grosse artillerie sous les ordres du lieutenant-colonel Boles, avec ordre de le suivre. Le 12 il était près de Fultum, et continuant au midi, se dirigea sur Malvellhi. Le 21, il apprit que Bajee-Row, après avoir réussi à tourner la division du général Pritzler, se trouvait en pleine marché sur Mérich ; il marche aussitôt de ce côté, et le 22 arrive à Oogar sur la Kristna, où le peschwah avait campé le jour précédent. De ce point, Bajee-Row passant la rivière, feignit de vouloir descendre dans le Konkan par Amba-Ghat ; mais bientôt il abandonne ce projet et continue sa fuite sur la rive droite de la rivière. Le général Smith ne le perd pas de vue, mais suit pendant ce temps la rive opposée ; il se flattait de lui enlever ainsi tout moyen d’échapper à l’est. La poursuite des Anglais était fort vive. Par une marche très rapide dont Sattara était le point de départ, Bajee-Row trouva néanmoins le moyen de repasser la Salpa-Ghat le 28 ; il exécuta même ce passage sans autre perte que quelques hommes de son arrière-garde restés dans le défilé. Alors après avoir rencontré le détachement du colonel Boles, il prit définitivement sa course à l’est, vers Salapoor : il voulait s’emparer dans cette place des trésors qu’un de ses ministres, qui venait de mourir, y avait, dit-on, entassés. Pour la première fois depuis long-temps, il put faire en ce lieu, et sans être inquiété, une halte de plusieurs jours. Le général Smith avait résolu de s’emparer de Satturah, capitale nominale de l’empire et demeure des anciens rajahs. La place se rendit le jour même où l’armée se présenta devant elle. Elle contenait 25 pièces de canon de différents calibres. La garnison reçut la permission de se retirer avec ses armes ; elle avait à la vérité montré si peu le désir d’en user, qu’il était sans inconvénient de les lui laisser. Toutefois ce fut au nom du rajah, non en celui du gouvernement britannique, que le général Smith en prit possession. Le titre de capitale de l’empire mahratte lui fut solennellement rendu dans une proclamation. Nous avons dit comment le peschwah y avait enfermé les descendants de Sevajee, après les avoir dépouillés du pouvoir. Le moment arrivait où l’intérêt des Anglais allait rappeler à un rôle plus actif cette dynastie oubliée depuis si long-temps.

Les restes des durrahs de Kurreem et de Wâsil-Mahomet s’étaient dirigés par Haraotee à Mewur, où ils espéraient dans la protection de Juswent-Rao-Bhâo. Dès les premiers jours de janvier 1818, le colonel Adams avait pris position à Gungrar, et le général Donkins une autre position au nord de Mewur. Pendant ce temps, le général Brown avançait sur Rampoora. Après le traité de paix avec Holkar, le général sir William Grant-Keir fut envoyé avec sa division pour opérer contre Chetoo ou tout autre chef pindarrie qui se mettrait en avant. Le durrah du premier avait été dispersé dans le voisinage de Satoolla. Pendant tout ce temps, sir Thomas Hislop demeura de sa personne à Mundisoor, point central bien choisi pour la direction générale des affaires dans ce quartier. Harassés par la poursuite de sir William Keir, les Pindarries, ou leurs restes, résolurent de regagner leurs anciennes retraites en Malwa, ou dans la vallée de la Nerbudda. Chettoo réussit à déjouer tous les efforts dirigés contre lui. Il pénétra, à travers un pays fort difficile, au midi de Mewur, puis il reparut auprès de Dahr. Dans cette marche, il se vit obligé d’abandonner son bagage, et de plus perdit la meilleure partie de ses chevaux. Sir William Keir, après avoir été contraint de faire un grand détour, car la route que suivait Chettoo était presque impraticable pour des troupes régulières, continua sa poursuite.

Les débris du durrah de Kurreem avaient rejoint celui de Wasil-Mahomet ; ils cherchèrent aussi à rejoindre Chettoo à Malwa et dans les environs de la Nerbudda. Ayant réussi à éviter le camp de sir Thomas Hislop, ils marchèrent à l’est, dans la pleine confiance de ne pas rencontrer d’autres troupes anglaises. Après avoir passé la Chumbul, ils bivouaquèrent le 12 janvier auprès d’un petit village nommé Kotree. Le colonel Adams se trouvait, par un heureux hasard à Gungrar, à la distance de quelques milles de leur campement ; il détacha un régiment de cavalerie pour leur donner, s’il était possible, une surprise de nuit. Or, le régiment arriva jusque dans le voisinage des Pindarries sans que ceux-ci eussent eu le moindre soupçon de son approche. Le colonel en profita pour faire à loisir toutes ses dispositions ; il attendit alors le lever du soleil pour commencer son attaque, afin d’être plus à même de leur couper la retraite. Au point du jour il divisa sa troupe en six pelotons : trois devaient attaquer de front, les trois autres par derrière, dans la direction où les Pindarries ne pouvaient manquer de chercher à fuir. Cette manœuvre réussit. La perte du durrah fut plus considérable qu’aucune de celles qu’il avait faites jusqu’alors : plusieurs des chefs restèrent sur la place. Aussitôt après ce succès, le colonel Adams, instruit que les maraudeurs avaient l’intention de retourner à Malwa, se mit sur-le-champ à leur poursuite ; il donna en même temps avis de leur mouvement au général Marshall, qui depuis long-temps attendait les événements dans le voisinage de Bairseah et de Seronjee. Dans leurs marches, les Pindarries furent fort maltraités par des détachements des divisions d’Adams et de Marshall. De ce moment, pressés par des forces supérieures ne pouvant résister nulle part, n’ayant de repos ni jour ni nuit, ils ne présentaient plus l’ombre d’une organisation. Le colonel Adams crut le moment venu d’entrer en négociation avec eux ; il leur fit conseiller par l’intermédiaire du nabob de Bhopal de s’en remettre à la générosité britannique, en lui livrant leurs armes et leurs chevaux. Il promettait en échange, tant aux chefs qu’aux simples soldats, pleine sécurité pour leurs vies et leurs propriétés, de plus, la faculté de se retirer où bon leur semblerait, pourvu que ce fut loin de leurs anciennes retraites.

Namdar-Khan, qui commandait les débris du durrah de Kurreem-Khan, fut le premier à profiter de ces offres ; le 3 février, il vint se livrer lui-même au colonel Adams, avec le reste de ses adhérents qui n’étaient plus que 87. Il ne demandait qu’une seule chose, l’assurance de n’être envoyé ni en Europe ni à Calcutta. Selon les rapports de tous, Wasil-Mahomet était dans une égale détresse, prêt à profiter aussi des offres du colonel Adams. Il avait pénétré plus loin dans l’est ; après cela, il avait été chercher un asile à Gwalior. Le résident anglais requit Scindiah de s’en emparer et de le livrer. Ce dernier refusa d’abord par un motif de point d’honneur. Mais, aux termes de ses engagements avec le gouvernement britannique, il se trouvait dans l’obligation d’obéir ; force lui fut donc de se soumettre à la réquisition expresse du gouverneur-général. Les autres suivirent, pour le plus grand nombre, l’exempte de Namdar-Khan. Karreem-Khan se trouvait de sa personne à Jawut, lorsque la place fut prise par le général Brown : il échappa seul, à pied, avec de grandes difficultés, et vécut long-temps dans les jungles du voisinage ; puis, après beaucoup de périls et d’aventures, trouvant impossible le rétablissement de ses affaires, il se rendit le 15 février à sir John Malcolm. Le gouvernement lui donna pour lui et sa famille, un territoire valant environ un millier de roupies par mois. Wasil-Mahomet, pris et remis aux Anglais peu après par Scindiah, enfermé ensuite à Ghazeepoor, y devint d’abord l’objet d’une étroite surveillance. Il refusa constamment toutes les propositions d’arrangement qui lui furent faites ; tout au contraire, ayant eu l’adresse de se faire préparer des chevaux de relais jusqu’à la frontière, il tenta de s’échapper. Toutefois le projet échoua ; il fut découvert au moment même où il allait monter à cheval, et alors il s’empoisonna. Les durrahs de Kurreem-Khan et de Wasil-Mahomet se trouvèrent dès lors absolument anéantis.

Long-temps Chettoo avait eu l’adresse d’éviter tout engagement sérieux en rase campagne avec les Anglais ; mais ce bonheur cessa. Le 23 janvier, un détachement anglais parti de Hindia le surprit aux environs de Kurnod ; tout son durrah fut dispersé. Il se vit réduit à errer alors çà et là dans la province de Malwa, à la tête de 200 cavaliers. Comprenant enfin que ses affaires étaient désespérées, il voulut tenter quelques voies d’accommodement, tant pour lui que pour les siens. Dans ce but, il se présenta un jour tout-à-coup devant le nabob de Bhopal, au milieu du camp de celui-ci. Il demandait, comme prix de sa reddition, un jaghire en Malwa, son entrée ainsi que celle de ses partisans au service du gouvernement britannique. Le nabob lui offrit une mince allocation personnelle, à la condition qu’il irait en jouir dans quelque partie éloignée de l’Indostan. Ces pourparlers durèrent quelques jours ; pendant ce temps, les Pindarries de la suite de Chettoo eurent constamment leurs chevaux sellés et bridés ; ils dormaient brides en main. Se voyant refusé, il décampa un beau jour aussi inopinément qu’il était venu. Il reprit alors sa vie errante, poursuivi de fort près par les troupes du nabob et par les Anglais. Son propre fils, fatigué de cette vie pénible, fit sa soumission. Quant à lui, quoique son durrah fût absolument détruit, quoique ses officiers l’eussent peu à peu tous abandonné, rien ne put le dompter ni le décider à se rendre. Il passa dans la province de Kandiesh se réunit à quelques débris de l’armée du peschwah, avec lesquels il se confondit quelque temps ; plus tard il se joignit à Apa-Saheb, et passa la saison des pluies de 1818 au milieu des montagnes sauvages de Mohadeo. Plus tard ce dernier se rendit de sa personne au fort d’Asseegurh, qui lui ouvrit ses portes, mais les referma pour Chettoo qui se vit réduit à chercher un refuge dans un jungle du voisinage. Il essaya de pénétrer dans un endroit couvert où les tigres étaient nombreux. On n’entendit plus parler de lui ; mais peu de jours après, un cheval fut trouvé par des soldats anglais, tout sellé, bridé et paissant à la lisière du bois. Ce cheval portait à l’arçon de la selle un petit sac contenant une bourse de 250 roupies, quelques anneaux à cacheter et des lettres d’Apa-Saheb. Ces indices suffirent à faire connaître le maître du cheval. Les soldats se mirent à sa recherche ; ils découvrirent d’abord quelques os, quelques lambeaux de vêtements ensanglantés, enfin la tête du Pindarrie encore fort reconnaissable. Nouvel exemple des caprices du sort, telle fut la fin d’un chef qui plus d’une fois s’était trouvé à la tête de 20,000 hommes, jetant la terreur dans l’Inde entière.

Jeswunt-Row, le plus turbulent des sirdars de Scindiah, après le traité conclu avec Scindiah, avait d’abord montré des dispositions pacifiques ; il ne tarda pas à en laisser paraître de toutes différentes. On apprit bientôt qu’il faisait tous ses efforts pour cacher des chefs de Pindarries, qu’il admettait dans les rangs de sa troupe un grand nombre de ces derniers. Il fit figurer sur les états de ses propres troupes, comme en faisant partie, une troupe de 500 Pindarries, commandés par un certain Fezil-Khan ; il réclama pour eux, en tant que lui appartenant, la protection et les secours du gouvernement britannique. Le capitaine Cautfield, détaché auprès de lui comme résident temporaire, en référa au gouverneur-général ; en attendant, il accorda sa protection momentanément et une sauvegarde écrite. Pendant ce temps, sir William Grant-Keir, alors occupé de la poursuite de Chettoo, fut conduit par ses guides au village où se trouvait le détachement Fezil-Khan ; ceux-ci le lui désignaient comme appartenant au durrah de Chettoo. À la première apparition des troupes anglaises, un grand nombre d’hommes armés s’élancent à cheval et galopent dans le sens opposé. Cette vue confirme les soupçons de sir William Keir : il fait charger les fugitifs par sa cavalerie et attaque immédiatement leur position ; le village est emporté en quelques minutes ; un bon nombre de Pindarries sont sabrés avant que le chef ait eu le temps de produire la sauve-garde du capitaine Cautfield. Des ordres sont aussitôt donnés pour arrêter le pillage, mesure qui ne put être exécutée qu’avec difficulté. Un Cipaye qui continuait de désobéir fut pendu sur-le-champ. Cependant, pour éclaircir le fait, sir William Keir fit une espèce d’enquête : par elle il fut prouvé que la majeure partie des cavaliers trouvés dans le village avaient récemment fait partie du durrah de Chettoo. On eut donc une nouvelle preuve du manque de bonne foi de Jeswunt-Row. Plus tard il donna asile à un des chefs les plus importants de la durrah de Chettoo ; il lui permit même de planter sa tente dans le voisinage du capitaine Cautfield ; il repoussa toutes les représentations de ce dernier, qui sollicitait l’arrestation du chef pindarrie.

Le gouverneur-général, en apprenant ces événements, se hâta d’envoyer de nouvelles instructions au résident anglais auprès de Jeswunt-Row. Il ordonnait la mise à exécution des mesures de rigueur à exercer contre ce dernier, à moins qu’il n’eût changé de conduite. Mais avant l’arrivée de ces instructions, force avait été d’arriver à un dénouement par l’épée. Le général Brown, sur la recommandation du capitaine Cautfield, s’était déjà mis en mesure d’agir. À l’approche du corps du général Brown, le capitaine Cautfield renouvela ses remontrances ; Jeswunt-Row n’apporta aucune modification à sa conduite. Le 28 janvier, le capitaine Cautfield quitta le camp de Jeswunt-Row, il se retira dans celui du général. Le lendemain, il apprit que Jeswunt-Row s’occupait de quelques arrangements pour la translation du Pindarrie en lieu de sûreté. Un escadron de cavalerie régulière fut envoyé par le général Brown pour occuper la route par où devait passer le chef pindarrie et sa suite. En exécutant ce mouvement, l’escadron reçut à la fois le feu de la ville et du camp ; là-dessus le général Brown fait avancer toutes ses troupes et se décide à attaquer immédiatement tous les postes de Jeswunt-Row. Ceux de ces postés situés hors de la ville sont bientôt emportés ; le général se décide alors à attaquer la ville elle-même. Il fait diriger une pièce de 12 contre les portes, le reste de son artillerie sur la muraille d’enceinte ; l’assaut est donné, et la ville tombe aux mains des Anglais. Jeswunt-Row lui-même ne dut son salut qu’à la rapidité de son cheval. Le général Donkins, en ce moment cantonné à Shahpoora, reçut l’ordre d’occuper le territoire possédé par lui dans Odeypoor. Les districts de Jawud et Neemuch, appartenant à Scindiah, et qui plus tard lui avaient été assignés, furent d’abord saisis et retenus quelque temps ; toutefois restitués peu après à Scindiah. À l’époque de la conclusion du traité de Gwalior, ce dernier avait été formellement averti que dans le cas où quelques uns de ses sirdars se mettraient en contravention avec ce traité, les acquisitions faites sur eux par les Anglais appartiendraient à ceux-ci comme compensation des frais de la guerre. Cette attaque faite sur Jeswunt-Row, et la saisie de son territoire qui en fut la conséquence, n’amenèrent d’ailleurs aucune discussion avec le durbar.

Ameer-Khan, comme nous l’avons dit, s’était montré satisfait de son traité avec le gouvernement britannique. Il en retirait en effet ce grand avantage de se voir reconnu pour la première fois comme un souverain indépendant. En revanche, les chefs de son armée ne se montrèrent nullement satisfaits des conditions obtenues pour eux. Pendant la durée des négociations, il ne se fit pas scrupule de les abuser jusqu’à un certain point sur la teneur du traité : il le leur fit croire plus favorable qu’il ne l’était en réalité ; aussi, lorsqu’après la ratification du traité, la vérité fut connue, l’irritation des chefs ou des sirdars de son armée fut extrême. Craignant qu’ils ne se portassent à quelque violence, il prit le parti de chercher un refuge dans le camp du major-général Ochterlony. De là il s’occupa d’opérer le licenciement promis par lui aux Anglais ; mais ce n’était pas chose facile. Chaque brigade d’infanterie avec ses canons était la propriété d’un chef dont le revenu consistait à la louer au plus haut prix possible, à avoir une certaine part dans le butin qu’elle faisait sur l’ennemi. La moitié seulement de ces brigades appartenait de cette façon à Ameer-Khan ; les autres étaient, au même titre, la propriété de chefs que sa réputation militaire, le manque d’emploi ailleurs, avaient attirés à ses côtés ; qui d’ailleurs demeuraient fort indépendants de son autorité politique. À peine le traité fut-il connu dans tous ses détails, que chefs et soldats de son armée laissèrent échapper de nombreuses marques de mécontentement. Il s’agissait en effet pour les uns et les autres d’abandonner une vie d’abondance, de liberté, de licence, pour mieux dire, pour une autre vie de détresse, de misère, de privation. Ils refusèrent donc hautement de se séparer, surtout de livrer leur artillerie, qui était pour eux ce qu’est la charrue pour le laboureur. Leur irritation toujours croissante fit craindre au général Ochterlony qu’ils ne se portassent bientôt à quelque extrémité. Sous prétexte de prendre une position plus convenable pour ses fourrages, il fit un mouvement assez hardi, et vint se placer entre les deux principales divisions de ces troupes. Les sirdars se rappelèrent la destruction de l’armée mahratte à Mahdipoor. Ils se montrèrent aussitôt disposés à traiter personnellement. Ils s’efforcèrent de persuader à ces divisions de livrer leur artillerie. Pour faciliter le reste des mesures à prendre, Ochterlony proposa à ces soldats d’entrer au service du gouvernement britannique. Un grand nombre acceptèrent, et formèrent quatre bataillons qui plus tard rendirent de grands services. Une partie de la cavalerie indigène se renouvela de la même façon. Pendant ce temps. Ameer-Khan s’était trouvé contraint de se réfugier dans le fort de Sheerahur, sur le territoire de Zalim-Zingh : il fallait donner le temps de se calmer l’irritation de ses anciens compagnons.

Au 1er février, les forces britanniques alors en campagne au nord de la Nerbudda se trouvaient réparties de la façon suivante. La division de réserve, sous tes ordres du major-général Ochterlony, occupait le voisinage de Jeypoor ; celle du centre, sous le commandement personnel de lord Hastings, les bords de la Singh ; celle de droite, sous celui du major-général Donkins, les territoires de Kumulner, ainsi que ceux usurpés par Jeswunt-Row en Merwar. La division de gauche s’était subdivisée ; une partie, sous le commandement du major-général Marshall, se trouvait auprès de Seronjee et de Bairseah ; une autre sous celui du major-général Brown, à Jawud et dans le voisinage ; enfin deux bataillons au quartier-général de lord Hastings. À l’armée du Deccan, les divisions commandées par sir Thomas Hislop et sir John Malcolm avaient pris position à Mundisor, tandis qu’un détachement sous les ordres du lieutenant-colonel Adams était occupé sur le territoire de Bhopal, à recevoir les soumissions des différents chefs pindarries. L’armée de Guzerate, après une longue poursuite du durrah de Chettoo, occupait Indore et les environs. Un corps d’observation sous les ordres du brigadier-géneral Toom, était posté sur la frontière méridionale de Bahar, un autre sous ceux du brigadier-général Hardyman, à Jubulpor.

Lord Hastings se décida bientôt à abandonner la position avancée qu’il avait prise d abord dans le but d’intimider Scindiah. La récente humiliation de ce dernier, la précipitation avec laquelle il s’était mis en mesure de remplir toutes les conditions du traité de Gwalior, l’indifférence avec laquelle il avait vu plus récemment l’expédition contre Jeswunt-Row, étaient complétement rassurantes pour les Anglais. Après avoir dissous la division du centre, lord Hastings voulait donc rentrer avec la plus grande partie des troupes de cette division dans les limites du territoire de la Compagnie. Cette mesure devait amener de grandes économies. Toutefois, avant de commencer son mouvement, il crut convenable de communiquer au durbar de Scindiah les vues ultérieures du gouvernement britannique, et sonder les dispositions où celui-ci pourrait être par rapport à ces vues. Les principaux points que le gouverneur-général voulait obtenir étaient : 1° la cession d’Aimeer aux Anglais, afin d’anéantir pour jamais l’influence mahratte dans cette partie du Rajpootane ; 2° le transfert d’Islamnugur à Bhopal, pour anéantir de la même façon toute influence mahratte de ce côté ; 3° l’abandon de toute prétention sur la principauté de Bondee et des territoires déjà obtenus en échange de tous ces droits ou prétentions. Comme compensation de ces sacrifices, le marquis de Hastings se montrait disposé à abandonner le territoire de Winshorkur ainsi que ceux de tous les tributaires du peschwah placés dans des situations analogues ; enfin à abandonner aussi tous les tributs dus par ces princes, et par le traité de Poonah cédés aux Anglais. Le territoire de Winshorkur pouvait être considéré comme ayant encouru la forfaiture, en conséquence de sa continuelle adhérence à Bajee-Row depuis la défection de celui-ci. La compensation offerte excédait la valeur de la terre : Scindiah avait intérêt à ménager lord Hastings, de la générosité duquel il se flattait d’obtenir la restitution de Jawut et des territoires récemment pris sur Jeswunt-Row ; aucune opposition sérieuse de sa part à cet arrangement ne paraissait donc à redouter. Cependant, on ne pouvait pas prévoir exactement l’effet que produirait sur une cour mahratte une demande de cession à perpétuité. Le marquis de Hastings résolut, en conséquence, de conserver l’attitude qui lui avait donné jusque là tant d’avantage dans ses négociations, jusqu’à ce qu’il eût vu l’effet produit par ces demandes. Il soumit donc ses propositions au durbar de Gwalior, avant de s’éloigner des bords du Scind.

Le durbar se montra tout d’abord parfaitement disposé à accepter ces propositions. Cela décida le marquis de Hastings à donner suite à ses nouvelles mesures militaires sans atteindre la fin de la négociation. Le 13 février, commença la marche rétrograde des troupes composant la division du centre. Les Européens retournèrent en majeure partie au cantonnement de Cawpoor ; l’infanterie indigène se répartit le long de la frontière du Bundelcund et d’Etawa, de manière à pouvoir être immédiatement réunie dans le cas où les dispositions de Scindiah seraient de nature à donner quelques inquiétudes. Une brigade de trois forts bataillons d’infanterie, avec un régiment de cavalerie indigène et de la grosse artillerie, sous le commandement du major-général Watson, alla renforcer la division du major-général Marshall ; cette division devait être employée à la réduction de Sangur, comme nous le raconterons plus tard. La division du major-général Donkins, c’est-à-dire la division de droite de la grande armée, se partagea aussi : les troupes européennes de cette division rétrogradèrent sur le cantonnement de Meeruth ; les troupes indigènes passèrent sous le commandement de sir David Ochterlony. Le détachement précédemment fourni par la division de lord Hastings alla se réunir au corps d’armée laissé dans le Rajpootana, corps d’armée que lord Hastings voulait renforcer autant que possible pour compléter l’arrangement. définitif de ce territoire. Or, ce renfort donna les moyens de former une brigade additionnelle d’infanterie, destinée à occuper la capitale de Holkar, et à demeurer chargée de la protection de la portion de ses anciens États qui restait à ce prince. Le lieutenant colonel Ludlow fut nommé au commandement de ce corps, qui d’ailleurs fut plus tard réuni à la division d’Ochterlony.

À la même époque, les deux corps d’observation de l’est étaient rappelés de leurs positions avancées ; une partie des Européens du premier de ces corps, détachée par le général Hardymann, passa sous le commandement du major O’Brien, et servit à l’occupation de Jubulpoor. Un autre corps, sous le commandement du major Roughsedge, eut pour mission d’occuper le territoire au sud de Bahar, récemment cédé par le rajah de Nagpoore. Les vastes solitudes de ce dernier territoire, la rudesse de mœurs, la grossièreté du petit nombre de ses habitants, rendaient cette dernière œuvre éminemment difficile et périlleuse, bien qu’il ne s’agît en cette occasion que de mesures tout-à-fait pacifiques.

Les trois divisions de l’armée du Deccan, au nord de la Nerbudda, reçurent les destinations suivantes. La première division, sous le commandement personnel de sir Thomas Hislop et la cinquième, commandée par le lieutenant-colonel Adams, alla aider à la restauration des affaires dans le Deccan : elle dut se porter d’abord sur Chouragurh, forteresse à l’extrémité des montagnes de Mohadeo, qui avait refusé de se soumettre aux ordres de reddition envoyés de Nagpôor. Sir Thomas Hislop prit avec sa division la route de Sindwa-Ghat et de Kandesh ; il allait procéder à la réduction des possessions de Bajee-Row dans cette province, ainsi que l’occupation des récentes cessions de Holkar. Cette contrée était naturellement très forte, en outre remplie de forteresses et de colonies arabes, ce qui faisait prévoir de grandes difficultés quant à son administration. L’armée du Deccan cessa dès lors d’exister ; l’objet pour laquelle elle avait été créée ayant été atteint, c’était chose inutile que la conserver sur pied. Les corps auxiliaires du nizam, du rajah de Nagpoor, furent replacés sous la direction du résident, chose déjà faite pour le corps auxiliaire de Poonah. Le général Doveton dut poursuivre les opérations dans le Candeish, l’arrangement de cette province, sous le contrôle et la direction général de M. Elphinstone. La division jusqu’alors sous le commandement personnel de sir Thomas Hislop fut employée à renforcer les corps ainsi employés, ainsi que ceux chargés de la poursuite de Bajee-Row. Le contrôle, la direction générale de ces troupes appartenait aussi à Elphinstone. Un corps d’armée considérable se trouva de la sorte en mesure d’être employé à l’entière soumission des provinces qui adhéraient encore à la cause de Bajee-Row.

Sir John Malcolm, à la tête d’une partie de sa division, s’employa immédiatement à la réduction de Soandwasa, province à l’ouest de Malwar. La contexture du pays, le caractère des habitants, livrés depuis des siècles à des habitudes de brigandage, rendaient cette tâche difficile. M. Malcolm en vint néanmoins à bout avant la fin de mars. Sir Thomas Hislop se trouvait alors en chemin pour le Deccan ; il passa la Nerbudda à Mundisôr, un peu au-dessus de Muheswur ; de là il se dirigea sur Sindwa-Ghat, où il arriva le 22 février. Le fort se rendit le 23, conformément aux ordres de Holkar ; un bataillon fut laissé pour en faire la garnison et tenir en respect le pays environnant. Sir Thomas continua sa marche au midi. Le 27, il arriva au poste de Talneir, commandant un gué sur la Taptee : c’était une des places cédées par Holkar, d’après le dernier traité de Mundisôr. Sir Thomas se trouvait porteur d’ordres de ce dernier, qui prescrivaient de l’en mettre immédiatement en possession. Le kiledar qui le commandait, refusant d’obéir, n’en fit pas moins tirer sur les troupes anglaises aussitôt que celles-ci approchèrent de la place. Sir Hislop fit avertir le kiledar qu’en persistant dans cette conduite, il s’exposait à être puni comme rebelle. La menace demeura inutile ; le feu continua avec autant de vivacité qu’il avait commencé. Les Anglais se mirent en mesure de commencer les travaux du siège, et dans ce but occupèrent le Pettah. Sir Thomas Hislop avait à sa disposition 10 pièces de six et 2 obusiers de six pouces ; il les fit mettre en batterie à 300 verges de la place et ouvrit aussitôt le feu. Le kiledar répondit énergiquement. Sir Thomas résolut de faire une tentative dès le soir même, pour forcer les portes de la ville. Deux pièces furent amenées devant la porte extérieure ; mais la muraille de la place avait été tellement endommagée par le feu de la journée, qu’elle permettait de donner l’assaut. Un détachement, désigné pour ce service, pénétra aussitôt par la brèche de la muraille extérieure ; il se précipita sur une porte de la seconde enceinte qu’il trouva ouverte. À une troisième enceinte, le kiledar, à la tête de quelques marchands, se remit aux mains des Anglais. Deux autres enceintes se trouvèrent de même ouvertes ; mais une dernière, attenante au corps de place, se trouva fermée. La garnison demande à capituler, quelques pourparlers s’ensuivent ; on lui répond qu’elle doit se rendre à discrétion, et se rendant à cette injonction, elle ouvre ses portes. Le lieutenant-colonel Murray et le major Gordon y entrent à la tête de dix à douze grenadiers. Mais une partie des Arabes de la garnison n’avaient pas entendu, ou du moins pas compris l’espèce de convention qui venait d’avoir lieu : l’officier marchant à la tête du détachement ne savait pas leur langue. Se méprenant sur l’intention des Anglais, croyant tout perdu, se croyant au moment d’être massacrés, ils se livrent à toute la fureur du désespoir. Ils se précipitent, le sabre et le poignard à la main, sur le petit nombre des assaillants déjà entrés ; deux officiers sont tués, trois grièvement blessés ; la plupart des dix ou douze grenadiers entrés des premiers sont enfin jetés sur le carreau. D’autres arrivent à leur secours ; les Arabes sont obligés de chercher un abri dans l’intérieur des maisons ; la place est prise, et la garnison, montant à 300 hommes, tout entière passée au fil de la baïonnette. Personne ne fut épargné. Le kiledar fut exécuté le lendemain, sous ce double chef d’accusation, de désobéissance aux ordres de son prince et de complicité de trahison dans la conduite des Arabes. Cet exemple fut sans doute utile : il procura la reddition immédiate des forts de Galna, Chandor et autres places qui se rendirent à la simple présentation des ordres de Holkar. Le marquis de Hastings prit sur lui la responsabilité de cette exécution ; toutefois, il est vrai de dire qu’elle est en désaccord avec tout l’ensemble de son caractère et toute sa conduite. La perte totale des Anglais fut de 7 officiers et 80 hommes tués et blessés.

Laissant une garnison pour occuper Talneir, le général sir Thomas Hislop passa la Taptee, et se dirigea sur Pahrola ; là, il entra en communication avec le brigadier-général Dowton, alors à Outran. Cet officier, ayant terminé l’arrangement des affaires de Nagpoor, avait marché à l’est par Ellichpoor, attendant l’ordre d’agir contre Asseerghur. Mais lord Hastings avait renoncé au projet d’attaquer cette forteresse au moins pour le moment. De nouvelles instructions dirigèrent le général Doveton sur Outran, sur la Gyrna. À peine y fut-il rendu que sir Thomas Hislop lui fit donner avis de se porter sur Bal, tandis qu’il suivrait lui-même le cours de la Boaree, et qu’il enverrait un détachement pour recevoir la soumission de Galna. Aucune résistance ne fut essayée. Pendant que ces divisions se trouvaient ainsi occupées dans la province de Kandeish, sir Thomas Hislop reçut la nouvelle que Bajee-Row avait pénétré dans les défilés qui séparent cette province de la vallée de la Godavery. Là-dessus, il marcha immédiatement au midi, en prescrivant au général Doveton de se mouvoir dans une direction parallèle à la sienne, dans le but d’intercepter le peschwah avant qu’il fut instruit de leur approche. Mais avant de raconter le résultat de ces nouvelles manœuvres, il faut parler d’abord d’événements importants récemment arrivés à Nagpoor.

Apa-Saheb ayant fait sa soumission, comme cela a été raconté, rentra à Nagpoor le 9 janvier 1818. Le principal instrument de ses communications avec le résident anglais avait été Nurayum-Pundit, un des précédents négociateurs du traité d’alliance subsidiaire. En récompense de la fidélité montrée par ce dernier aux Anglais, de la part prise par lui au succès de ces diverses négociations, il fut investi de la seconde place de l’administration, sous le nom de peschkar. Nagoo-Punt, l’autre négociateur de cette alliance, homme plus avant dans la confiance d’Apa-Saheb, fut nommé dewan ; enfin un certain Ramchundur-Wâgh, quoique connu pour avoir été un des principaux instigateurs des dernières hostilités, s’étant soumis en même temps que son maitre, ne fut pas déplacé. Une amnistie avait été expressément stipulée pour ce dernier ; et le résident anglais, satisfait de ce qu’il s’était rendu en même temps que son maître, se flatta de le voir oublier le passé ; il ne fit en conséquence aucune objection à sa réapparition à la cour sur le même pied qu’auparavant. Cependant, les dispositions d’Apa-Saheb auraient demandé toutes les mesures possibles de précaution à l’égard de ceux qui l’approchaient. À peine hors de danger, il s’était senti honteux de la faiblesse qui l’avait porté à abandonner une cause qui d’aucune façon ne se trouvait désespérée ; honteux et mortifié de sa situation actuelle, il résolut d’en sortir aussitôt qu’il s’en croirait les moyens.

Ce changement dans la manière de voir d’Apa-Saheb fut singulièrement rapide. Encore au pouvoir des Anglais, au sein même de la résidence, au moment de souscrire aux conditions de sa restauration, il pratiquait déjà les manœuvres au moyen desquelles il espérait donner de nouveaux embarras aux vainqueurs et relever ses propres affaires. Dans l’intervalle qui sépara l’attaque de la résidence de l’arrivée du brigadier-général Doveton, il avait envoyé certains ordres secrets aux différents chefs des montagnes ; il leur prescrivait de s’entourer d’autant de partisans qu’ils le pourraient, de faire tout le dommage possible aux Anglais, soit en enlevant leurs convois, soit en empêchant la contrée de leur fournir des approvisionnements, etc., etc. Ignorant ces ordres, le résident anglais ne pouvait songer à les faire annuler pendant la durée des négociations pour le traité. Apa-Saheb leur laissa leur cours, bien que l’effet en dût être de mettre tout le pays en armes, de le soulever contre les Anglais et contre tout gouvernement qui agirait sous leur protection. Non seulement cette trahison continua, mais il prit encore grand nombre d’autres mesures, ayant toutes pour but d’empêcher l’exécution du traité. Les kiledars de Mundela et de Chourargurh reçurent de lui des instructions secrètes qui leur prescrivaient de ne pas rendre ces places, quand bien même des ordres publics ordonneraient de le faire. Le kiledar de Dhamonee en reçut qui pouvaient se traduire ainsi : « Résistez, si vous vous en croyez capable. » La date de ce dernier ordre était celle de la signature même du traité. Le 18 janvier, c’est-à-dire neuf jours seulement après la restauration du peschwah, le kiledar de Chanda reçut l’ordre de se recruter parmi les Arabes. Un agent confidentiel, portant un des sceaux de l’État pour témoignage de sa mission, fut envoyé à Gunput-Row, au moment où ce dernier se retirait avec les débris de son armée. Il lui demanda secours et assistance dans les efforts que comptait bientôt faire le rajah pour se soustraire au joug britannique, Les kiledars de Mundela et de Chourargurh, en conséquence de ces ordres, refusèrent de rendre leurs places, quoiqu’on leur offrit le paiement de leurs arrérages. Le kiledar de Chourargurh comme motif de son refus ne craignit même pas de s’appuyer sur l’existence d’ordres particuliers en contradiction avec les ordres généraux. Le résident commença à se douter des nouvelles intrigues d’Apa-Saheb ; le bruit public continuait d’ailleurs les soupçons qu’il avait eus précédemment. Toutefois, on ne pouvait encore que conjecturer d’où pouvaient venir toutes ces menées, c’est-à-dire, si c’était du rajah, ou seulement du ministre.

Cependant Apa-Sabeb avait avec Nagoo-Punt et Ramchundur des conférences secrètes et continuelles, dont l’objet était soigneusement caché aux autres ministres et au résident. Au lieu de faire revenir ses trésors à Nagpoor, après la conclusion du traité, il en envoya la plus grande partie à Chanda et dans d’autres forts. Les objets précieux qu’il avait en ville ne furent pas déposés au palais, mais donnés çà et là en dépôt, toujours avec le plus grand secret. On remarqua encore qu’il continua à tenir sa famille éloignée de Nagpoor. Toutes ces circonstances ne pouvaient tarder à faire naître dans l’esprit de M. Jenkins des soupçons sur les dispositions d’Apa-Saheb à l’égard des Anglais. Il fit surveiller un certain Gowind-Pundit, un des principaux agents du rajah. Une lettre de ce dernier, qui fut interceptée, contenait le récit d’une conférence entre Gowind-Pundit, Nagoo-Punt et Ramchundur ; or cette lettre renfermait la preuve évidente que la reddition de Mundela avait été empêchée par le ministre. Le résident s’empara de Gowind-Pundit pour l’interroger. Jusque là néanmoins il existait bien des probabilités, et en grand nombre, mais aucune preuve qu’Apa-Saheb eût trempé dans ce complot. Ce dernier ne cessait pourtant pas, d’après les bruits publics, d’adresser au peschwah de nombreuses demandes de secours ; on disait encore que Gunput-Row venait à son aide, Le résident, comprenant l’importance de ce qui se passait, redoubla d’efforts pour pénétrer ce mystère. Il fit saisir deux agents confidentiels envoyés par Ramchundur à Bajee-Row, précisément au moment de leur départ. L’un d’eux, à l’instant même de son arrestation s’empressa de détruire un papier ; on en rassembla les débris, et on put s’assurer que ce papier contenait quelques lignes de la propre main du prince. Le lendemain, Apa-Saheb, apprenant l’arrestation de cet homme, s’empressa de demander avec anxiété si aucun papier n’avait été trouvé. C’était le 14 mars, Gunput-Row était, disait-on, en pleine marche sur Nagpoor ; le peschwah le suivait avec toute son armée, ayant passé la frontière de la domination du nabob. Dans cet état de choses, le résident résolut à prendre des mesures énergiques ; il se décida à mettre le rajah aux arrêts, c’est-à-dire à s’assurer de sa personne. En conséquence, le 15 mars, il dépêcha une note à Apa-Sabeb ; des circonstances s’étaient élevées, disait-il, qui rendaient absolument nécessaire que le rajah se transportât à la résidence, et qu’il y demeurât jusqu’à leur entier éclaircissement. Dans cette note, le résident insistait fortement sur l’impossibilité de toute résistance, sur l’avantage pour le rajah de se soumettre sans qu’il fut besoin d’avoir recours à des mesures de force. Le rajah rejeta avec hauteur cette proposition. Par les ordres de Jenkins, un détachement de Cipayes, d’ailleurs désarmés, se rendit au palais sous les ordres du capitaine Brown ; celui-ci, tout en respectant l’appartement des femmes, parvint pourtant à s’emparer de la personne du rajah. Les deux ministres ses complices avaient été saisis de la même façon. Tous trois interrogés séparément d’abord, avouèrent à peu près l’existence du complot et la part qu’y avait prise chacun. Nagoo-Punt reprocha au rajah d’être la cause de sa ruine par son amour incurable pour l’intrigue ; il demanda une prison séparée. Au reste, la confession du rajah et celle de ses ministres étaient inutiles : aussitôt après leur arrestation, des preuves de l’intrigue tramée avec Bajee-Row arrivèrent de tous côtés. En ce moment même ce dernier se dirigeait à marche forcée sur Nagpoor.

Nous l’avons dit, Gunput-Row avait rejoint le peschwah à la tête des débris de la cavalerie de l’armée de Nagpoor. Cette jonction se fit dans le voisinage de Tamboorne, avant la retraite de Bajee-Row sur Solapoor ; Gunput Row l’y accompagna et fut présent à l’affaire d’Ashtee. Naroo-Siekha-Ram, un agent d’Apa-Saheb, était de la suite de ce sirdar ; il sollicita du secours au nom de son maître. Bajee-Row délibérait encore sur le moyen de répondre à cette demande ; mais il fut surpris le 20 février. Il avança dans sa fuite vers le nord aussi loin que Purinda. Là, deux autres messagers du rajah arrivèrent, sollicitant de nouveau quelques mesures en faveur de ce dernier ; enfin, pour ainsi dire, sur leurs talons en arrivèrent deux autres. Ceux-ci, non seulement renouvelèrent de vive voix les sollicitations du rajah, mais portèrent une lettre de sa main confirmant la véracité de leurs paroles. La dépêche était simple et brève : « Sumana-Meer à Gungana-Dobeega. — Assistez-moi autant que vous le pourrez. » Ces noms étaient ceux de deux saints personnages, demeurés célèbres parmi les Mahrattes, pour s’être donné jadis de fréquents et réciproques secours dans les anciennes guerres ; l’allégorie était donc facile à saisir. Emmenant avec lui ces deux messagers, Bajee-Row continua sa course au nord, vers Newasa, d’où il s’efforça sans succès de chasser une garnison laissée par le colonel Deacon. De Nevasa, il dirigea sa fuite vers Kopergaun, traversant la Godavery à Phool-Tamba. Il se rendit de là à Nassick, puis à Warnee, où il opéra sa jonction avec Ramdun, conduisant quelques cavaliers pindarries et une partie de l’infanterie de Holkar. Il renvoya de ce lieu les messagers du rajah, avec une dépêche pour ce dernier, dont le contenu n’a jamais transpiré ; il lui donnait, sans aucun doute, l’assurance d’un prompt secours. Gunput-Row et Sukha-Ram, l’autre messager du rajah, sollicitaient en même temps une avance d’argent et la permission de retourner à Nagpoor. Ils représentaient qu’on faisait à Chanda des préparatifs de guerre, qu’un corps d’armée était à Rhundaree, qu’enfin des informations certaines leur apprenaient, que les habitants des montagnes couraient aux armes et s’insurgeaient de toutes parts. Moyennant une petite avance d’argent et quelques troupes mises à leur disposition, ils s’engageaient à faire éclater une insurrection générale aussitôt qu’ils auraient atteint le territoire de Nagpoor. Ils conseillaient au peschwah de marcher lui-même dans la même direction par la route de Kandeish et de Boorhanpoor.

Bajee-Row semblait prêter une oreille favorable à ces représentations ; cependant il évitait de donner une réponse positive : il désirait que Gunput-Row attendît quelques jours encore sa détermination ; il recueillait de partout des informations sur la possibilité du plan qui lui était soumis, sur la situation respective des diverses divisions de l’armée britannique. À Unkye, il apprit l’arrivée dans le Kandeish de sir Thomas Hislop ; il apprit encore qu’en raison de la proximité où se trouvait ce dernier de la route de Boorhanpoore, il menaçait de l’intercepter. Là-dessus le peschwah s’enfuit avec la plus extrême précipitation à travers la Godavery, à Kopergaun, s’avançant au midi jusqu’à Assee sur la Peeree. Parvenu là, il craignait de tomber dans la division du brigadier-général Smith ; il tourna à l’est, et continua sa course dans cette direction. D’ailleurs les conseils du Gunput-Row avaient été adoptés par le peschwah. Il obtint de celui-ci la permission de se rendre à Rakhusbun, au midi de Jalna, avec l’intention évidente et même avouée d’entrer dans les États de Nagpoor. De son côté, parti de la province de Kandeish le 11 mars, sir Thomas Hislop était alors arrivé dans les plaines de la Godavery ; là il fit quelques tentatives pour en venir à un engagement avec l’ennemi. Celui-ci, par la supériorité de ses marches, lui échappa, en marchant d’abord au midi, ensuite à l’est. Sir Thomas, ne se voyant plus en chance de le rejoindre, procéda à la dissolution de l’armée du Deccan. Les différents corps de cette armée allèrent renforcer les divisions qui tenaient encore la campagne ; quant au général en chef, il se rendit à Poonah avec quelques cavaliers seulement, de là à Bombay, où il s’embarqua pour Madras.

Bajee-Row hâtait alors autant qu’il le pouvait sa fuite à travers ses propres États, dans la direction de Chanda. Sa marche était marquée par des excès de tout genre et d’abominables cruautés, que peut-être faut-il au reste attribuer aux Pindarries alors réunis à ses troupes. Jusqu’à ce jour en effet, les Mahrattes de Poonah avaient montré beaucoup de modération et une discipline sévère dans leurs différents passages à travers les provinces. Après le 20 février, c’est-à-dire après l’affaire d’Ashtee, le brigadier-général Smith n’avait pas mis beaucoup d’activité à la poursuite du peschwah. Il lui parut plus utile de demeurer auprès du rajah de Sattarah pendant les premiers temps qui suivirent la première investiture de celui-ci. Le peschwah en eut quelques jours de répit. Le général se mit en route vers le nord, à la tête de la brigade d’infanterie légère ; il s’arrêta pour se rafraîchir à Seroor, puis quitta cette place le 10 mars pour reprendre sa poursuite. Apprenant la marche de Bajee-Row à l’est, il se dirigea vers Jalna, avec le projet de combiner un nouveau plan de poursuite avec la division du général Doveton. Ce dernier, prenant comme le plus ancien, le commandement de toutes ces troupes, résolut de marcher lui-même sur Basum, et de là le long des Ghats, dans la province de Berar, aussi loin que Kuriuja. Il se flattait de couper par ce moyen la retraite vers le nord à l’armée mahratte. Il suggéra à Smith l’idée de se mouvoir le long de la Godavery, pour empêcher l’ennemi de la passer.

L’armée mahratte traversa sans résistance les États du nizam, de l’est à l’ouest. Elle se trouvait sur les bords de la Wurda le 2 avril, à un point nommé Woonee, un peu au-dessus du confluent de cette rivière avec la Payn-Gunga. De ce côté Bajee-Row vit tous ses plans déconcertés. Après avoir obtenu la soumission de Nundar-Khan et des autres Pindarries, le lieutenant-colonel Adams reçut l’ordre de quitter l’Indostan et de retourner à sa station primitive dans la vallée de la Nerbudda ; là, il devait s’occuper de réduire le fort de Chourarghur, dont le kiledar repoussait jusqu’alors toutes les propositions des Anglais. Le colonel Adams employa le mois de mars à tout préparer pour cette expédition. C’est alors qu’eurent lieu les événements de Nagpoor que nous venons de raconter. La forteresse de Chanda parut au résident le point dont il était le plus important de s’emparer pour le moment. Par ses ordres, le colonel Adams abandonna donc Chourarghur et dirigea tous ses efforts vers Chanda. Le peschwah était lui-même en marche pour s’y rendre ; le colonel Scott, à la tête de la meilleure partie des troupes auxiliaires, le poursuivait vivement. Scott atteignit Wuroda le 3 avril ; là il rencontra l’arrière-garde de l’armée mahratte, sous les ordres de Gunput-Row. Cette rencontre était tout-à-fait inattendue. Les Mahrattes s’enfuirent précipitamment, mais avec une perte fort légère qui ne monta qu’à dix ou douze hommes. Bajee-Row apprit alors l’arrestation d’Apa-Sahcb et le peu de chances qui lui restait de trouver du secours dans le territoire de Nagpoor ; il demeura quelques jours indécis sur le parti à prendre. Le colonel Scott continuait de son côté son mouvement sur Chanda ; il voulait investir la place, ou tout au moins lui couper les communications avec le dehors ; tâche fort difficile en raison du petit nombre de ses troupes. Après avoir fait les dispositions nécessaires pour la défense de Nagpoor, le colonel Adams vint prendre position à Hingun-Ghat. De ce lieu il se trouvait en mesure soit de couvrir Nagpoor, soit de soutenir le lieutenant-colonel Scott, s’il arrivait que celui-ci en eût besoin.

Le colonel Adams arriva le 6 avril à cette position. Bajee-Row, encore dans l’indécision sur le parti à prendre, se trouvait de l’autre côte de la Wurda. Le lieutenant-colonel Scott avait quitté Nagpoor avec une telle hâte qu’il n’emporta que des approvisionnements insuffisants ; le pays qui entourait Chanda, totalement dévasté, ne pouvait fournir quoi que ce fût ; il se vit de la sorte obligé de s’adresser au colonel Adams ; celui ci envoya aussitôt tout ce qu’il put de vivres et de munitions. Par suite de ce partage, le colonel Adams se vit dans la nécessité d’attendre un convoi de Nagpoor, d’autant plus nécessaire qu’il allait s’engager dans une contrée appauvrie, dépourvue de toute ressource. Mais ce délai fut avantageux : il endormit la défiance du peschwah. Ne se voyant pas inquiété, il demeura dans la même position : cette inaction permit au général Doveton d’aller prendre une position au nord-ouest de la Sicum ; le général Smith manœuvrait en outre pendant ce temps, de manière à lui couper la retraite par le midi. Le peschwah se trouvait de la sorte enfermé entre trois divisions. S’arrêtant à Hingun-Ghat, le lieutenant-colonel mit tous ses soins à se procurer des nouvelles des mouvements de l’ennemi : apprenant qu’il était encore à Woono et n’avait rien tenté, il s’abstint soigneusement de lui donner le moindre sujet d’inquiétude. Au reste cette inaction ne pouvait durer long-temps. Sur la nouvelle que le peschwah se hasardait à passer la rivière, le colonel Adams fit un mouvement a l’ouest le 14 ; il se porta sur Alumda. Le peschwah rétrograda aussitôt. Le même jour, le brigadier-général Doveton avait atteint Doodgâun sur l’Arun ; le lieutenant-colonel Adams reçut l’avis de l’y rejoindre le 17. Pendant ce temps, le général Smith devait avoir suffisamment avancé le long de la Godavery pour intercepter toute retraite vers le midi à Bajee-Row. Le colonel Adams reçut le 16 ces instructions ; il savait de plus, par ses propres espions, que le peschwah n’était qu’à une forte journée de marche d’Alumda. Il résolut, en conséquence, de marcher le même soir, d’essayer de le surprendre ou de le rejeter sur la division du général Doveton alors en marche sur Pundur-Koura. Le colonel Adams se mit donc en marche sur Peepul-Khot, mais l’ennemi n’y était plus. Après y avoir campé la nuit précédente, le peschwah s’en était allé prendre position à Soonee, village à six milles au sud-ouest.

Le colonel Adams ne désespère pas cependant de l’atteindre ; il se met à la tête de la cavalerie, de l’artillerie à cheval, d’un bataillon d’infanterie légère, et se dirige sur Soonee ; le reste de sa division suivait la même route, mais plus lentement. Or, Bajee-Row, depuis quelques jours, poussé par lui au sud-ouest, venait justement de s’apercevoir qu’il était en pleine marche sur le corps du général Doveton, arrivé le même jour à Pundur-Koura, à douze milles seulement de Soonee. Il rétrograde aussitôt, et, pour éviter le danger, prend une route en sens opposé ; ainsi se hâtait-il de toute sa force sur cette même route où marchait à lui le colonel Adams. C’était courir au-devant de l’ennemi qu’il se flattait de fuir. Les avant-gardes des deux armées se rencontrent tout-à-coup à cinq milles de Soonee. Marchant à la tête de l’infanterie légère, le colonel Adams fut précisément le premier qui aperçut l’ennemi ; il ploie aussitôt son infanterie en carré et attend la cavalerie qui se trouvait à l’arrière-garde ; à peine est-elle arrivée qu’il se met à sa tête, charge les Mahrattes et les met en déroute. Il arrive ainsi sur une colline, d’où il aperçoit, sur la pente opposée et dans la vallée au-dessous, le corps d’armée des Mahrattes où régnait la plus extrême confusion. L’artillerie à cheval se met en peu de minutes en batterie sur la colline, et produit de grands ravages sur cette masse confuse ; la cavalerie se reforme, descend au grand galop dans la vallée. Le colonel Adams conduisait lui-même cette nouvelle charge. Quoiqu’il n’ait avec lui qu’une petite partie de ses troupes, il poursuit son succès. Il arrive à une seconde vallée où les Mahrattes se trouvaient réunis en plus grand nombre que dans la première ; l’artillerie à cheval recommence un feu tout aussi meurtrier que celui qu’elle vient de faire. À la tête de dix escadrons indous, Adams fournit une troisième charge, et disperse tout ce qui se présente. À l’extrémité de cette seconde vallée, deux corps mahrattes en assez bon ordre font mine de vouloir disputer le terrain ; le premier d’entre eux est dispersé par le feu de l’artillerie ; le second, qui se trouvait à gauche des Anglais, rétrograde bientôt. Dès ce moment les Mahrattes sont dispersés, nul ne cherche à combattre ; c’est à qui tentera de gagner un des jungles dont le champ de bataille est entouré. 5 canons, en quoi consistait toute leur artillerie, 3 éléphants et 200 chameaux tombent dans les mains des vainqueurs ; ces éléphants étaient ceux qui précédaient d’ordinaire Bajee-Row dans sa marche, et portaient ses trésors. Lui-même ne dut son salut qu’à la rapidité de son cheval ; son palanquin fut capturé, et on le trouva percé d’un boulet de canon. Les Mahrattes laissèrent un millier de morts sur la place ; la perte totale des Anglais se borna à 10 blessés. Les Mahrattes surpris n’avaient ni résisté, ni pour ainsi dire tenté de résister.

Le général Doveton arrivait à Pundur-Koura le jour même de cette affaire, et n’étant qu’à douze milles de distance, ne tarda pas à apprendre le succès de l’autre division. Il se décida à suivre l’ennemi dans sa nouvelle direction ; il partagea sa division en deux corps, se mit à la tête de l’un, et donna le commandement de l’autre au capitaine Graut, qui commandait la cavalerie de Mysore. L’armée mahratte fut suivie de fort près pendant plusieurs jours ; pendant ce temps elle souffrit beaucoup de la fatigue et du manque de vivres. Le peschwah se rendit d’abord à Comur-Kher, de là marcha à l’ouest jusqu’à Boree. Parvenus en ce lieu, ou en chemin pour s’y rendre, abattus, découragés, les deux tiers de son armée, ou pour mieux dire des restes de son armée, l’abandonnèrent. Jusque là les Anglais ne s’étaient arrêtés que le temps absolument indispensable pour rafraîchir les hommes et les chevaux ; mais le général Doveton se vit pourtant obligé de faire quelque séjour à Oomur-Kher pour y attendre un convoi de vivres ; cela donna quelque répit au peschwah fugitif. Il en profita pour changer la direction de sa fuite. En quittant Boree il se dirigea vers la Taptee, avec le projet de traverser cette rivière et de pénétrer dans l’Indostan, si cela lui était possible. Les rangs s’éclaircissaient journellement autour de lui, à peine 8 ou 10,000 hommes continuaient-ils à demeurer attachés à sa fortune ; la plupart des chefs de quelque importance l’avaient abandonné. Depuis l’affaire de Soonee, Trimbukjee, Ramdeen, Gokla lui demeuraient seuls fidèles. Mais cette désertion de ses sirdars, chacun d’eux avec ses partisans, le servait de quelque manière. Parmi toutes ces troupes qui couraient le pays en tous sens il devenait impossible pour les officiers anglais de discerner celle où se trouvait le peschwah. Ainsi en quittant Omur-Kher le général Doveton suivit d’abord un détachement commandé par un officier de grade inférieur ; ce ne fut qu’au bout de quelques jours qu’il reconnut sa méprise.

Dans tout le cours de cette retraite, le prince sembla d’ailleurs retrouver quelque chose du courage, de la ruse, de l’activité de ses ancêtres. Un officier anglais, constamment employé à sa poursuite, écrivait en ces termes : « Bajee-Row déploie une grande activité. Il interroge les maires, les poteils (maires ou bourgmestres) de tous les villages. Il s’informe avec le plus grand détail de toutes les routes ; mais ne suit jamais celles qui ont paru l’occuper davantage. Il est rare qu’il ne parvienne pas à nous tromper. Ses mouvements, depuis qu’il a quitté Kopergaum, la ruse qu’il emploie de disperser des corps sur différentes routes, après leur avoir indiqué un même rendez-vous, ont été des coups de maître. Pas une âme dans son camp ne connaît la direction qu’il suivra dans sa marche, jusqu’à ce que lui-même soit en mouvement. Son propre bagage est en général en avant, et les éléphants qui portent son trésor sont accompagnés par ses chevaux ; il vient après. Dans les marches ordinaires, quelque infanterie d’élite est auprès de sa personne, et un corps de sa propre cavalerie ; le reste suit dans l’ordre qui leur convient. En général, Gokla faisait l’arrière-garde, et, quand il était attaqué, opérait sa retraite par une autre route que celle suivie par le peschwah. Le chemin qu’il parcourt chaque jour est quelquefois très considérable, mais toujours assez pour le mettre à l’abri de toute surprise. »

Pendant ce temps, le général Pritzler, ayant terminé ses préparatifs de siège, se présenta devant Wusota. Le 31 mars, la place était complètement investie. Mais les difficultés du terrain se trouvèrent telles que l’artillerie ne put être mise en batterie que le 5 avril seulement. Dans une situation forte par elle-même, la place était entourée par de nombreux ouvrages ; mais d’un autre côté, elle se trouvait pourtant commandée par une hauteur voisine appelé le vieux Wusota : ce fut la position choisie pour l’établissement des batteries de brèche. Leur effet fut tel que le kiledar n’en soutint le feu qu’un seul jour ; il rendit la place dès le lendemain. Une partie de la famille du rajah de Sattara fut trouvée dans cette forteresse ; selon le kiledar, il aurait reçu du peschwah l’ordre de les mettre à mort plutôt que de les laisser tomber aux mains des Anglais. Le mauvais état des affaires de Bajee-Row l’empêcha d’obéir. Deux officiers anglais, les lieutenants Morisson et Hunter, pris par les Mahrattes dès le commencement de la guerre, se trouvaient dans les prisons du fort. Il s’y trouvait aussi trois lacs de roupies appartenant au rajah de Sattara. La réduction de cette place opérée, le corps d’armée du brigadier Pritzler fut immédiatement dissous ; une partie des troupes qui l’avait composé était envoyée au brigadier-général Munro, qui arrivait par le midi pour attaquer Solapoor, où Bajee-Row avait enfermé son artillerie et son infanterie, et devait être amenée à Munro par le général Pritzler ; le reste, sous les ordres du major Eldridge, dut être employé à la réduction de quelques petits forts. Au nord de Poonah avant la fin du mois, ce corps s’était déjà mis en possession de tous ceux de ces forts situés entre les sources de la Bheema et celles de la Godavery. À la même époque, le lieutenant-colonel Mac-Dowell réduisait les forts importants de Unkyl, Bajdeho, Dhoorup et Trimbuk, ce qui donnait aux Anglais le commandement de la vallée de la Godavery et une libre entrée dans le royaume de Kandeish. Le capitaine Briggs venait d’être chargé des intérêts politiques du gouvernement britannique dans cette province sous la direction d’Elphinstone. Il demanda un détachement commandé par le lieutenant-colonel Mac-Dowell, consistant en 1,100 fantassins, qui fut employé à la réduction des territoires demeurés au peschwah dans la province de Kandeish, objet dont la poursuite de Bajee-Row avait empêché le brigadier-général de s’occuper jusqu’à ce moment. L’influence acquise par l’occupation des territoires récemment cédés par Holkar donnait aux Anglais dans ce quartier toute probabilité de succès. L’événement se chargea de justifier ces calculs.

Pendant ce temps, Munro, ayant effectué sa jonction avec Pritzler, nettoya les provinces du midi de l’empire mahratte de plusieurs partis de maraudeurs. Il atteignit Solapoor le 9 mai. Là se trouvait le corps principal de l’infanterie de Bajee-Row, 11 canons de ses équipages de campagne, le tout rangé, campé sous les remparts. Le fort et la ville avaient reçu une nombreuse garnison d’Arabes. Le 10, Munro, avec toute son infanterie, à l’exception d’une brigade qu’il laissa avec les bagages, prit position au nord de la place qu’il voulait attaquer de ce côté ; là, formant son détachement en deux colonnes, il donna l’escalade au pettah, c’est-à-dire à la ville ouverte. Ce pettah se trouvait divisé lui-même en deux parties ; l’une la plus rapprochée du fort et entourée d’une muraille, l’autre sans défense du côté de la campagne. Ce dernier tomba bientôt en la possession des Anglais. Ils firent en outre une brèche à la muraille du second pettah. Le commandant du fort fit sortir un détachement qui, ouvrant sur l’arrière-garde le feu de 5 pièces de canon, y causa beaucoup de ravages. Le colonel Dalrymphe parvint pourtant à s’emparer de trois de ces pièces ; il repoussa ce détachement. Les Anglais étaient alors maîtres du pettah, quoique de petits détachements ennemis continuassent d’y tirailler çà et là. Un corps d’armée mahratte marchait en ce moment au secours de la ville ; Pritzler, tandis qu’une partie des troupes anglaises s’établissait dans le pettah, se porta à sa rencontre avec toute la cavalerie. Il trouva les Mahrattes à quelques milles de la ville, en colonne serrée et marchant avec une certaine vitesse. Il les attaque sans leur donner le temps de se déployer ; quelques pièces d’artillerie légère jettent la confusion dans la colonne ; la cavalerie anglaise se précipite pour charger à fond et bientôt les Mahrattes abandonnent leurs rangs et se dispersent en tous sens. Ils laissèrent 800 hommes sur le champ de bataille. Le fort de Solapoor se rendit le 15 mai, après vingt-quatre heures de bombardement ; avec ce fort, Bajee-Row perdit tout ce qui lui restait d’artillerie. La division de Munro n’eut que 97 hommes tués ou blessés pendant la durée de ces opérations.

Ainsi, chassé d’asile en asile, Bajee-Row voyait tous ses États, à cela près d’un petit nombre de forteresses, au pouvoir de Smith et de Doveton. Mais pendant ce temps, le colonel Adams, se mettant en mesure de porter un coup décisif à l’un de ses alliés, et prenant tout-à-coup la direction de Chanda, se présenta le 9 mai sous les glacis de la place. Les puits et les fontaines avaient été empoisonnés à quelques milles de la place. Il n’en fit pas moins au kiledar les propositions les plus modérées : il offrait à la garnison de se retirer avec ses armes, ses bagages, ses propriétés particulières ; il ne demandait que la livraison du trésor, des propriétés publiques, dont il devait se trouver responsable vis-à-vis le successeur d’Apa-Saheb. Le kiledar ne répondit pas à la lettre ; bien plus, il fit attacher le messager à la bouche d’un canon. La place était fort étendue ; le lieutenant-colonel Adams employa les journées du 10 et du 11 à en faire la reconnaissance, et à déterminer les points d’attaque. On trouva cependant un lieu favorable à l’érection des batteries : c’était au sud-est de la place et à une distance de deux cent cinquante verges. Les Anglais avaient d’abord pris position au nord-ouest ; plus tard, ils vinrent s’établir au midi ; d’autres détachements investirent la place au nord et à l’ouest. La garnison, quoiqu’elle fût de 3,000 hommes, fut tenue dans un état continuel d’alarme et d’incertitude. La batterie de brèche commença son feu le 19 ; avant le soir du même jour la brèche était parfaitement praticable. Mais la grande étendue des ouvrages, le grand nombre des assiégés, faisaient craindre au lieutenant-colonel Adams qu’un assaut de nuit ne fût dangereux ; il le remit au lendemain. Le lieutenant colonel Scott, l’officier de l’armée qui venait immédiatement après le colonel Adams, s’offrit pour conduire l’opération ; les troupes montraient l’ardeur la plus déterminée. Un bataillon d’infanterie légère était commandé pour l’assaut ; deux escadrons de cavalerie furent démontés pour les soutenir au besoin. La place fut emportée dans le courant de la journée, avec une perte de 11 hommes tués et de 51 blessés. Les assiégés perdirent 500 hommes. Le kiledar, qui n’avait pas quitté la brèche, y reçut une grave blessure ; ne voulant ni n’attendant aucune merci de ses ennemis, il prit du poison. Aucun officier anglais ne fut tué mais le major Gorcham, qui avait dirigé les opérations de son arme depuis le siège, mourut de fatigue le jour même. Mort obscure, mais plus glorieuse peut-être que la mort du champ de bataille ; elle suppose bien des journées d’efforts et d’abnégation de soi-même. La division du colonel Adams ayant ainsi heureusement achevé la mission dont elle avait été chargée, s’en retourna dans ses cantonnements à Hoshungabad. Dans cette marche paisible, elle fut attaquée du choléra ; le fléau exerça de terribles ravages dans ses rangs ; il les éclaircit davantage en quelques jours que ne l’avaient fait pendant toute la durée de la campagne le fer et le feu de l’ennemi.

Pendant la durée des opérations qui se terminèrent à la déroute du peschwah à Soonee, Apa-Saheb avait été gardé fort étroitement à la résidence anglaise ; il en avait été de même de ses deux ministres Nagoo-Punt et Ramehunder-Wagh. Le résident s’occupait de mettre Nagpoor en état de défense contre le peschwah, qui continuait d’approcher ; ce danger une fois passé, il résolut de le faire transporter dans une place où sa garde fût plus sûre et plus facile. Le fort d’Allahabad, où se trouvait un ancien palais du grand mogol, lui parut le lieu le plus convenable. Le 30 mai 1818, Apa-Saheb fut mis en route et dirigé vers cet endroit avec ses deux ministres. Mais un brahme de sa suite mit ce temps à profit ; il se familiarisa avec les Cipayes de l’escorte ; il répandit de l’argent ; il s’apitoya sur le sort d’un descendant de Sewajee maintenant prisonnier des étrangers aux mêmes lieux où avaient régné ses pères ; il leur montra quelle gloire il y aurait à l’en retirer. La plupart d’entre eux se laissèrent facilement séduire. Un habit complet de Cipaye fut secrètement introduit dans la tente d’Apa-Saheb ; il s’en revêtit et se mêla aux autres gardes. Sous prétexte de satisfaire un besoin naturel, il franchit la limite du camp ; puis s’éloigna sans avoir excité le moindre soupçon. Six Cipayes désertèrent ce même jour pour le rejoindre ; dans le courant de la semaine quelques autres suivirent cet exemple. Une centaine de serviteurs l’avaient accompagné depuis Nagpoor, la plupart ayant un accès illimité auprès de sa personne. Il n’en emmena que dix, afin que tout demeurât, dans sa tente et autour de sa tente, dans le même ordre qu’auparavant. Deux esclaves, dont la fonction consistait à l’éventer pendant son sommeil, continuèrent de remplir cet office devant les coussins de son lit. Le poste de garde auprès de sa personne était relevé à quatre heures après midi. L’officier qui remplaça celui de la veille, entr’ouvrit la tente pour s’assurer par ses propres yeux de la présence du rajah ; voyant ces deux hommes ainsi occupés, il n’eut pas le moindre soupçon d’évasion. À peine, fut-elle connue, que le capitaine Brown envoya des détachements de cavalerie dans toutes les directions ; mais on ne put découvrir celle prise par le fugitif. Il se rendit d’abord à Hurye, ville à environ quarante milles au sud-ouest de Rychoor ; de là dans les montagnes de Mohadeo, où il fut tour à tour caché par plusieurs rajahs ses partisans. Après la saison des pluies, il put rassembler autour de son étendard en petit nombre des débris de l’armée de Bajee-Row. Il recommença dès lors à jouer un rôle passablement important, comme nous le verrons plus tard.

Le gouvernement de Nagpoor offrit une récompense d’un lac de roupies argent comptant, et d’un jaghire de 10,000 roupies de rente, à celui qui livrerait le rajah fugitif ; peu après, il porta cette récompense à 2 lacs. On comptait sur cette magnifique récompense pour séduire la pauvreté des montagnards qui lui donnaient asile ; mais on se trompa. En conséquence, le corps du colonel Adams se remit de nouveau en campagne. Les deux ministres du rajah demeurés dans les mains des Anglais furent transférés à Allahabad. Cette fuite d’Apa-Saheb devait ranimer pour un moment la guerre en donnant un chef et un drapeau aux mécontents, qui en ce moment se montraient fort nombreux.

Bajee-Row lui-même, après la bataille de Soonee, se trouvait réduit aux dernières extrémités ; il était dès lors au moment d’abandonner la partie. Une seule espérance lui restait : c’était de gagner le territoire de Dowlut-Row-Scindiah ; puis au moyen de la médiation de ce chef, de parvenir à s’assurer des conditions aussi avantageuses que possible pour sa réconciliation avec les Anglais. Peut-être se flattait-il aussi d’entraîner ce prince lui-même dans son parti, ce qui l’eût mis à même de continuer la lutte. La famille de Scindiah avait toujours joui d’une grande renommée parmi les Mahrattes, et qui de plus s’était encore accrue jusqu’à un certain point par les derniers événements. Il était donc naturel que le peschwah tournât les yeux de ce côté ; toutefois l’idée qui dans l’esprit du peschwah dominait les autres, c’était de se ménager un arrangement avec les Anglais. Il dépêcha en conséquence un messager au résident anglais de Nagpoor, un autre à celui de Poonah ; à tous deux il témoignait le désir de terminer la lutte et de se remettre aux mains des Anglais, moyennant certaines conditions.

Le 5 mai, Bajee-Row passa la Taptee, précisément au-dessous du confluent de cette rivière avec la Poornah ; il s’avança dans la vallée jusqu’à Chupra, avec l’intention de pénétrer dans l’Indostan par Scindwah-Ghat et Indore. À Chupra il trouva cette route fermée : les Anglais étaient en effet en possession de Scindwah, et sir John Malcolm avait mis en état de défense la ligne de Nerbudda depuis, Hindia jusqu’à Muheswur. Désappointé dans cette dernière tentative, il se retira à l’est dans la direction de Boorhanpoor. Il hésitait entre ces deux partis : se jeter dans le fort d’Asseghur, ou tenter une autre route plus à l’est, par l’Indostan. De nombreuses précautions avaient été prises de ce côté, soit pour l’empêcher d’y pénétrer par le nord, soit pour surmonter la résistance de ceux qui pouvaient demeurer encore attachés à sa fortune. À Hindia se trouvait, outre la garnison habituelle, un fort détachement d’infanterie chargé d’escorter l’artillerie prise à Mahdipoor ; ce détachement donnait au général anglais la possibilité de former un corps d’armée assez fort pour attaquer immédiatement Bajee-Row, si celui-ci marchait au nord-est, ou du moins pour lui fermer le passage des montagnes de Satpoora. De son côté, le brigadier-général Malcolm se préparait à se mettre en mouvement avec ce qu’il avait pu rassembler de troupes aux environs d’Indore ; il allait se porter dans la direction du nord-ouest. Le brigadier-général Doveton arrivait par le midi ; à l’est de Hindia était le brigadier-général Watson, chargé de défendre cette direction ; enfin sir David Ochterlony avait reçu l’ordre de se jeter avec son corps d’armée entre le peschwah et Gwalior. Ainsi cerné de tous côtés, comme le cerf aux abois, le peschwah ne pouvait plus faire un mouvement sans avoir à redouter une nouvelle rencontre dans le genre de celle de Soonee. Il voyait ses ennemis converger vers lui de partout ; il se sentait enfermé dans un cercle se rétrécissant de jour en jour. Incertain, troublé, irrésolu, il errait çà et là autour d’Asseerghur, tout prêt à y chercher d’un moment à l’autre un dernier asile : tantôt se concertant avec quelques uns de ses partisans, tantôt liant de nouvelles négociations avec sir John Malcolm.

Anund-Row-Jeswunt fut l’agent choisi pour cette dernière mission. Accompagné d’un autre confident du peschwah, il arriva dans le camp du général anglais, à Mow, à quelques milles d’Indore, dans la soirée du 16 mai. Il était porteur d’une lettre du peschwah à sir John Malcolm, lettre où ce prince témoignait de son désir de la paix. Il priait Malcolm, qu’il appelait son meilleur et son plus ancien ami, de se charger de rétablir la bonne intelligence entre lui et le gouvernement britannique. Le général Malcolm eut avec les envoyés du peschwah une longue conférence : ceux-ci s’efforcèrent de lui persuader que Bajee-Row avait toujours été personnellement opposé à la guerre ; ils le priaient d’accorder au peschwah une entrevue. Malcolm n’accueillit point cette demande, craignant que le peschwah n’y vît un grand désir de la paix ; empressé toutefois de montrer quelque condescendance aux désirs d’un prince devenu malheureux, il se détermina à envoyer dans le camp du peschwah deux officiers ses assistants politiques. D’ailleurs les wackels du peschwah furent prévenus que ce dernier devait avant tout se préparer à descendre du trône et à quitter le Deccan ; c’était là, au dire de sir John, le seul préliminaire possible de tout traité, de tout nouvel arrangement. Il demandait encore, non moins impérieusement, la remise aux Anglais de Trimbuckjee-Dainglia, et des meurtriers des deux frères Wungham, officiers anglais assassinés au commencement des hostilités. Malcolm écrivit en même temps dans le même sens, presque dans les mêmes termes, au peschwah : il le sommait, en cas qu’il fût sincère dans son désir de paix, de se rendre sur la Nerbudda avec le lieutenant Low (un des assistants politiques de Malcolm), et de ne se faire accompagner que d’un petit nombre de ses chefs principaux. Sir John promettait de son côté de se rendre à cette conférence sans suite, et d’y discuter avec lui les conditions d’un nouvel arrangement. Le lieutenant Low se mit en route le 18, accompagné par les wackels. Dans la nuit du 18, la nouvelle arriva de l’évasion d’Apa-Saheb. Le général Malcolm craignant que cet événement n’apportât quelque changement dans les dispositions de Bajee-Row, envoya l’ordre au lieutenant Low de se laisser devancer par les deux wackels, et de continuer sa marche à petite journée. Il voulait se donner le temps de compléter quelques dispositions militaires, dans le cas où l’invasion d’Apa-Saheb déterminerait le peschwah à tenter encore une fois la fortune des armes. Les deux wackels revinrent bientôt, protestant de l’impatience du peschwah d’entrer en conférence avec le lieutenant Low. Leur première entrevue eut lieu le 29 mai ; le prince sembla continuer à se flatter de meilleurs termes que ceux qu’on était résolu de lui accorder. Il parut fort alarmé de la proposition d’une conférence avec Malcolm ; il se décida pourtant à l’accepter ; à Kharie (à un demi-mille du défilé de ce nom), le 1er juin, mais à certaines conditions. Il demandait que le brigadier-général n’emmenât qu’une escorte peu nombreuse ; qu’il laissât ses troupes à Metawul ; enfin, de demeurer libre lui-même de se retirer après la conférence, quelle qu’en fût l’issue, s’il le désirait.

Ces conditions ayant été adoptées, Bajee-Row vint planter ses tentes dans le lieu fixé, à environ cinq heures du soir. Le général Malcolm arriva bientôt après, accompagné de quelques officiers et de deux compagnies de Cipayes. Le peschwah les reçut en plein durbar : il était assis sous un dais ; il observa la formalité de n’adresser la parole à sir John que par l’intermédiaire d’une autre personne, comme s’il eût été dans la plénitude de son pouvoir à Poonah. Ce vain appareil d’une puissance qui allait finir dura à peu près un quart d’heure, après quoi le peschwah pria le général Malcolm de passer avec lui dans une autre tente. Leur conférence dura deux ou trois heures. Le peschwah s’étendit longuement sur ses infortunes ; il déplora amèrement la situation où il se voyait réduit ; il usa de toute son éloquence pour exciter, la pitié de sir John en lui rappelant leur ancienne amitié : « Lui seul (Malcolm) lui restait, disait-il, de trois bons et anciens amis qu’il avait eus jadis parmi les Anglais ; l’un d’eux, le colonel Close, n’était plus de ce monde, et l’autre, le général Wellesley, était loin, bien loin ; et pourtant, ajoutait-il les larmes aux yeux, à l’heure de la détresse, les flatteurs s’en vont, les vieux serviteurs les suivent pour la plupart, et alors un véritable ami est la seule ressource qui nous reste. Toutefois il osait se flatter de posséder encore ce trésor dans le général Malcolm, et c’est pour cela qu’il avait recherché cette conférence. » Malcolm lui répondit par quelques compliments. Entrant après cela en matière, il lui exposa de nouveau les seuls termes qui rendaient possible un nouvel arrangement. Il s’efforça surtout de le convaincre qu’une prompte soumission aux conditions précédentes se trouvait le seul parti à prendre dans ses intérêts. « En qualité d’ami, sir John devait, disait-il, la vérité, toute la vérité au peschwah ; c’est pour cela qu’il ne cessait jamais de lui répéter que la décision de gouvernement était irrévocable. » Après avoir discuté sur les points de l’arrangement, le peschwah termina par demander une seconde conférence pour le jour suivant. Le général repoussa cette demande : il crut y voir l’indice que ce prince n’était point encore décidé à se soumettre, d’autant plus qu’on savait que ce dernier venait d’envoyer son argent et ses effets précieux dans Asseerghur. La conférence en demeura donc là.

Le lendemain, tentant une nouvelle démarche, Malcolm mit par écrit l’ultimatum présenté par lui la veille au peschwah. Il contenait les conditions suivantes : 1° que Bajee-Row renoncerait pour lui-même et les siens à tout droit, titre ou prétention sur le gouvernement de Poonah ; 2° qu’il se rendrait immédiatement, avec sa famille et un petit nombre de ses adhérents, au camp du brigadier-général Malcolm, où il serait reçu avec les honneurs dus à son rang, et d’où il serait escorté jusqu’à Benarès, ou toute autre ville de l’Indostan, où le gouverneur-général pourra, à sa requête, fixer sa résidence ; 3° qu’en raison de la paix qu’il était important d’assurer au Deccan, et de l’époque avancée de la saison, Bajee-Row se mettrait en route pour l’Indostan sans un jour de délai ; que d’ailleurs tous les membres de sa famille demeurés derrière lui auraient la faculté de le rejoindre dans le plus bref délai possible ; que toute facilité leur serait donnée, pour rendre leur voyage prompt et agréable ; 4° que Bajee-Row, après son acceptation de ces conditions, recevrait une pension du gouvernement britannique pour lui et sa famille, qui serait réglée, quant à sa quotité, par le gouverneur-général, mais que le général Malcolm prenait sur lui de garantir ne pouvoir pas tomber au-dessous de 8 lacs de roupies par an (100,000 liv. sterling) ; 5° que dans le cas où Bajee-Row, par une prompte acceptation de ces conditions, montrerait sa confiance dans le gouvernement britannique, ses recommandations en faveur des principaux adhérents de sa famille, ruinés par suite des événements de la guerre et de leur attachement à sa personne, seraient favorablement accueillies ; qu’il en serait de même de ses recommandations au sujet des brahmes entretenus par sa famille, ou des établissements religieux fondés par elle ; 6° que les propositions ci-dessus devaient non seulement être adoptées par Bajee-Row, mais lui-même s’être rendu dans les vingt-quatre heures dans le camp du général Malcolm ; qu’autrement les hostilités recommenceraient immédiatement, et il n’y aurait plus lieu à aucune négociation ultérieure.

Tout en négociant, Malcolm ne négligeait pas les dispositions militaires. Le brigadier-général Doveton prit position entre le camp du peschwah et Asseerghur, où ce dernier avait envoyé une grande partie de ses effets précieux et de son argent. Le lieutenant-colonel Russell quitta sa position à Bhoorgaum, et se mit en mesure d’attaquer Trimbukjee : ces deux officiers, Doveton et Russell, devaient s’entendre à cet effet. Ces dispositions prises, sir John Malcolm alla camper, dans la matinée du 3, dans le voisinage de Kairee, où il avait invité Bajee-Row à se rendre, et où tous deux s’étaient rencontrés deux jours avant. Mais les dispositions de sir John Malcolm prises publiquement et à dessein, afin qu’elles fussent rapportées au peschwah et le convainquissent de sa ferme résolution de l’attaquer au premier moment, lui furent en effet transmises de toutes parts. Anund-Row-Jeswunt, tout troublé de ces préparatifs, dit à sir John Malcolm en le rencontrant : « Voilà un jour malheureux. — Malheureux en effet pour Bajee-Row, reprend Malcolm, s’il ne vient pas. » Il ajouta : « J’ai voulu avoir les meilleurs procédés, mais il me force à en venir aux extrémités. » Le wackel pria sir John d’envoyer quelqu’un rassurer le peschwah qui se trouvait, selon lui, dans la plus extrême agitation : « Et pourquoi, dit Malcolm, n’accepte-t-il pas les propositions ? » Le wackel répondit qu’il les accepterait. « Me soupçonne-t-il donc de quelque trahison ? ajouta Malcolm avec quelque chaleur. — Non, reprit le wackel mais les ordres du gouverneur-général pourraient vous contraindre, malgré vous, à vous emparer de la personne de Bajee-Row, ce qui le déshonorerait pour toujours. — Retournez auprès du peschwah, répondit Malcolm, et donnez-lui de ma part l’assurance que je n’ai point d’ordres semblables. Dites-lui que l’arrangement que je me suis hasardé à lui offrir, par anticipation aux instructions du gouverneur-général, est assez équitable pour qu’il me fût impossible de croire que Bajee-Row ne voudrait pas s’en contenter. Mais dites-lui que s’il le repousse, il perd à jamais tous ses droits à la générosité britannique. Ces paroles firent enfin cesser les hésitations du peschwah, ; à onze heures il descendit des montagnes et vint camper dans la plaine, dans le voisinage des lignes britanniques. Il avait 4,000 chevaux et 3,000 fantassins ; parmi les derniers se trouvaient 1,200 Arabes. Trimbukjee-Dainglia demanda à entrer en arrangement ; mais ne recevant d’autres promesses que celle de la vie sauve, il s’échappa pendant que des dispositions étaient faites pour l’attaquer.

Sir John Malcolm, après avoir rassemblé ses divers détachements, se mit en marche le 4 juin, en se dirigeant sur la Nerbudda. Bajee-Row suivait la même route que les Anglais, faisait les mêmes journées, mais campait toujours à part. Un corps d’armée fort nombreux continuait à l’accompagner. Aux termes des conventions, il n’aurait dû conserver avec lui qu’un petit nombre de serviteurs ; mais sir John Malcolm lui permit de s’en écarter sur ce point : le peschwah nourrissait encore dans son esprit certains soupçons sur les dispositions des Anglais à son égard, dont on espérait le guérir par cette condescendance. Elle avait, en outre, pour but d’éviter toute occasion de froisser l’amour-propre fort irritable du peschwah ; car après avoir perdu la réalité du pouvoir, il semblait n’en tenir que plus fortement à l’apparence. Il ne pouvait se résoudre à paraître en public sans une garde nombreuse, à ne plus se trouver comme autrefois à la tête d’une puissante armée. Par malheur, le plus grand mécontentement régnait parmi ses troupes ; d’un côté, en raison des arrérages qui leur étaient dus, de l’autre en raison de la conclusion de la paix qui leur enlevait tout espoir de pillage. Les Arabes engagés quelques mois auparavant par Tukjee se faisaient remarquer surtout parmi les plus mécontents ; ils ne cessaient de réclamer leurs arrérages. Or, eux et le peschwah en calculaient différemment le montant. Les Arabes voulaient leur solde à compter du jour de leur engagement par Trimbukjee ; le peschwah ne les voulait payer qu’à compter du jour de leur arrivée dans son propre camp. Le 9 juin, après une contestation fort vive sur ce sujet, les mécontents entourèrent la tente du peschwah et l’y retinrent prisonnier. Ce jour-là l’armée se mettait en marche ; une partie des troupes et des bagages était déjà en route. Un régiment de cavalerie, 6 compagnies d’infanterie et 2 pièces d’artillerie à cheval, sous le commandement de sir John, étaient seules demeurées en arrière ; ces troupes ne devaient partir qu’avec le peschwah. Sir John ne douta pas d’abord que ce dernier ne parvînt à apaiser promptement cette mutinerie. Le jour se passa sans qu’il eût atteint ce résultat ; loin de là, la sédition qui d’abord n’avait éclaté que parmi les Arabes, gagna peu à peu les autres corps. Malcolm profita de la durée de la nuit pour faire rétrograder les troupes qui étaient parties le matin. Au point du jour, il se trouvait en mesure de réduire les mutins de vive force. Mais comme il voulait éviter, autant que possible, tout moyen de violence, il fit prendre position à ces troupes loin du camp de Bajee-Row. D’un autre côté, ce dernier, qui comprenait que le moindre mouvement des Anglais pourrait lui coûter la vie, lui envoyait message sur message pour le prier de ne pas bouger. Toute sa famille se trouvait au milieu, au centre même de la révolte.

Malcolm avait ainsi à réduire une sédition sans employer la force et éviter tout conflit, tout en se montrant prêt à l’engager. Il fit charger les canons à mitraille, les pointa vers le camp du peschwah ; mais donna les ordres les plus sévères de ne tirer dans aucun cas. Des Arabes, approchant de la droite, firent feu et blessèrent quelques Cipayes ; néanmoins les troupes ne tirèrent pas un seul coup de fusil : c’est un des plus beaux exemples de discipline militaire qu’on puisse citer. En ce moment, Syed-Zeyn, le principal chef des Arabes, s’avança vers la ligne anglaise ; alarmé qu’il était de l’apparence formidable qu’elle présentait, il demanda à parlementer. Sir John Malcolm lui ordonna avant tout de faire cesser le feu de ses Arabes, le menaçant, s’ils continuaient, d’une attaque immédiate. Seyd-Zeyn, animé des meilleures intentions pour le rétablissement de l’ordre, galope aussitôt vers les mutins avec un de ses officiers. Il se mêle à leurs groupes, les exhorte à s’abstenir de toute violence. Bajee-Row avait, disait-il, accordé presque toutes les demandes des révoltés, il ne restait plus à arrêter que quelques points de peu d’importance ; la médiation de sir John Malcolm achèverait de les régler. Malcolm le promit. Seyd-Zeyn malgré sa bonne volonté, revint sans avoir réussi, mais avec lui étaient tous les chefs des Arabes : « Chacun de ces hommes, dit-il à Malcolm, veut que vous mettiez votre main dans la sienne, comme gage que vous ne les attaquerez point après qu’ils auront relâché le peschwah. » Sir John donna sa main à chacun de ces chefs. Peu de minutes après, on les vit en mouvement. Bajee-Row, escorté de quelques chevaux, se présenta devant la ligne anglaise ; il fut prodigue d’expressions de reconnaissance. Le même jour il continua sa route vers la Nerbudda ; le général Malcolm demeura en arrière, pour veiller au licenciement des Arabes et des Rohillas. Depuis ce moment, le peschwah se conforma avec empressement aux désirs de Malcolm, quant à la marche, aux campements, aux autres détails de marche militaire. Le gouverneur-général ne fit point attendre sa sanction au traité. Sir John Malcolm lui semblait, toutefois, en avoir agi à l’égard du peschwah avec une générosité peut-être excessive.

Ainsi fut brisée cette puissance mahratte qui pendant plus d’un siècle effraya l’Inde qu’elle fut au moment de dominer. L’exil et l’abdication du chef de cette confédération laissaient les princes qui la composaient sans lien, sans connexion. Aucun des chefs de Bajee-Row n’essaya de rassembler les débris de son armée ; un très petit nombre tenta d’aller rejoindre Apa-Saheb ; la plus grande partie regagna paisiblement ses foyers. Trimbukjee essaya de se créer quelque influence parmi eux, mais il fut fait prisonnier le mois suivant par les agents d’Elphinstone, et enfermé dans le fort du Chunar près Benarès. Des bords de la Nerbudda, le peschwah s’achemina avec une suite de 600 chevaux et 200 fantassins, sur Bithoor, lieu désigné pour sa résidence ; un officier anglais demeurait auprès de lui, avec la mission de veiller sur sa conduite : aucune autre gêne personnelle ne lui fut imposée. La somme annuelle qui lui fut accordée, suffisante pour tenir un état de prince, ne l’était pas assez pour servir à des desseins politiques. Il passa son temps à faire des pèlerinages aux lieux de dévotion célèbres de son voisinage. Il renonça de bonne grâce à toute ambition ; ses sujets se virent déliés de tout devoir d’obéissance. Les chefs qui l’avaient servi le plus fidèlement cessèrent de rattacher à lui leurs espérances et leurs intérêts. On peut dire avec sir John Malcolm, et en toute vérité : « Bajee-Row a détendu un arc qu’il ne serait plus en son pouvoir de bander de nouveau. »

Les Mahrattes, dont le rôle vient de finir, furent sans contredit, par leur puissance, un des épisodes les plus singuliers de l’histoire de l’Inde à cette époque. De race brahminique comme le reste des Indous, ils en diffèrent par plusieurs traits saillants de leurs mœurs et de leur caractère. Il se fit chez eux un certain mélange des anciennes mœurs, des anciennes institutions indoues, et de mœurs et d’institutions nouvelles. Le peschwah et les principaux officiers qui s’établirent au midi de la Taptee, étaient brahmes ; les chefs ou Bhonslahs de Nagpoor, le Guickwar dans le Guzerate, la famille de Puar en Malwa, se vantaient de descendre de Chactryas ; les familles de Holkar et de Scindiah étaient d’origine sudra. Semblables par leurs habitudes aux Goths et aux Vandales qui à certaines époques ravagèrent l’Europe, ils en différaient sous d’autres rapports non moins essentiels. Leurs conquêtes ne se firent pas pour la plupart par la seule force, selon l’habitude des nations guerrières : la ruse et la politique y eurent autant de part que les armes et la guerre ; ils faisaient employer tour à tour les moyens les plus divers pour parvenir à leur but. Au lieu d’occuper dans sa totalité une province récemment conquise, ils se contentaient d’ordinaire de lui imposer un certain tribut ; puis il arrivait que les difficultés provenant du recouvrement de ce tribut les initiaient peu à peu à l’administration de cette province. Ils devenaient encore les auxiliaires de tous les princes qui voulaient tenter quelque entreprise. Ils étaient au service de tous les partis qui se faisaient la guerre et qui réclamaient, c’est-à-dire payaient leurs services. Or, toutes ces voies diverses ne manquaient jamais d’agrandir leurs possessions, de les mêler peu à peu aux gouvernements d’États étrangers qui finissaient par passer tout entiers dans leurs mains. Leur adresse à flatter les préjugés des peuples, les passions des souverains, les conduisaient presque inévitablement à ce résultat.

Le brahme mahratte était adroit, actif, intelligent, mais en général avare et souvent perfide. Employé dans les affaires, la ruse, la fourberie, la fraude étaient ses moyens habituels ; il n’en changeait pas, quelque changement qu’éprouvât sa fortune. La constitution politique lui permettait en effet de s’élever de la situation la plus obscure aux postes les plus élevés de l’État. Le guerrier mahratte, soit chactryas, soit simple sudra, ne différait pas essentiellement du brahme sous ce rapport : il estimait autant la ruse que la valeur, il se glorifiait autant d’une fuite rapide que d’une attaque hardie ; il prisait l’argent au-dessus de tout. Mais il avait aussi d’excellentes qualités ; il supportait la faim, la soif, la fatigue, les revers mieux qu’aucun autre soldat du monde ; d’un autre côté, l’éclat de la fortune ne changeait rien à la primitive simplicité de ses premières habitudes. Plusieurs de ces chefs mahrattes conservaient à la tête des armées, presque sur le trône, les mêmes mœurs, en quelque sorte le même vêtement que lorsqu’ils cultivaient leurs champs ou gardaient les troupeaux. Différents en cela de ce qu’ils sont dans le reste de la terre, chez eux les parvenus ne visaient qu’à la réalité du pouvoir, non pas à son apparence, non pas à l’éclat des rangs et des titres. Cette conduite, naturelle en eux, leur rendait facile de captiver à la fois les princes et les peuples : les princes se contentaient souvent de concessions extérieures sur le rang, la dignité ; les peuples se trouvaient flattés de voir quelques uns des conquérants mahrattes les plus fameux conserver les titres de potail (chef de village) et de pattwaree (greffier tenant les registres de l’impôt), provenant de ces fonctions exercées jadis par leur famille dans quelque petit village de leur pays.

À la mort de Sevajee, l’empire, qui venait de se former, ne pouvait avoir poussé de profondes racines dans le sol. Tout était nouveau, hommes et choses, ou, pour mieux dire, l’État n’était rien autre que cette armée soudainement créée. Pour la faire subsister, il fallait la disséminer dans différentes provinces, dont les généraux, les chefs militaires eurent l’administration, la collection des revenus. Une partie de ces revenus allait bien au gouvernement central, mais l’autre demeurait dans les mains des chefs militaires, ou bien était employée à la solde et à l’entretien de leurs troupes. D’abord ces fonctions n’étaient que viagères, révocables même par le pouvoir central ; mais ce qui s’était passé en Europe à l’origine de la féodalité se renouvela ; les fonctions, depuis celles de peschwah jusqu’à celles de potail du moindre village, devinrent héréditaires. De cette indépendance naquirent de grands troubles, mais en même temps se développa toute l’énergie propre à cet état de société. Cette énergie durait encore dans toute sa plénitude à l’époque où nous sommes parvenus jusqu’aux derniers moments, en dépit de la supériorité des forces anglaises, l’indépendance nationale pouvait être recouvrée si Bajee-Row se fut montré homme de tête et de cœur. L’esprit mahratte subsistait encore dans toute sa force, il devait survivre au reste à la mort politique de la confédération mahratte. Brisés sous la main de Hastings, mais non anéantis, ces débris de l’empire n’en conservent pas moins une sorte de vie qui leur est propre. Ce sont des substances de même nature, qui doivent conserver, qui conservent effectivement encore aujourd’hui une grande tendance à se réunir.

Le jour viendra peut-être où les Mahrattes reparaîtront sur la scène de l’histoire. En l’attendant, l’ancienne dynastie, les descendants de Sevajee, sortait, grâce aux Anglais, de l’espèce de prison où les peschwah la retenaient depuis si long-temps. Après la prise de Satarah, le rajah qui représentait cette dynastie, retenue dans une étroite réclusion, fut replacé solennellement sur le trône ; en même temps le capitaine Grant, de l’établissement de Bombay, lui fut laissé pour l’assister de ses conseils. Le rajah, un fort jeune homme, avait avec lui sa mère et deux sœurs. Il paraissait dénué d’éducation, d’une humeur fort paisible, étranger à toute ambition ; il montra peu de connaissance du monde, et une ignorance complète de l’histoire nationale. La mère parut, au contraire, pleine d’ambition ; elle laissa voir tout d’abord les plus hautes prétentions ; elle pensait que la famille allait être rétablie sur le pied où elle s’était jadis trouvée au sein de sa plus grande prospérité. Il va sans dire que ce n’était pas précisément pour cela qu’on avait travaillé. Le pouvoir du peschwah devait passer aux mains des Anglais, et l’ancienne dynastie, bien que sur le trône, continuer à demeurer exilée des affaires. Cette souveraineté restaurée achevait néanmoins de ruiner le pouvoir du peschwah. C’était un moyen de réconcilier les anciennes familles avec la destruction du titre plus récent de peschwah ; elle empêchait la cause de Bajee-Row de devenir nationale, en la resserrant dans les limites d’un intérêt personnel. La proclamation du commissaire du gouvernement contenait la promesse, à tous ceux qui se soumettraient dans le délai de deux mois, de jouir à perpétuité, sous la garantie des Anglais, de toutes les terres dont ils seraient en possession à cette époque. Aussi, dès que la cause du peschwah eut de mauvais succès, les possesseurs de terres l’abandonnèrent peu à peu. Les soldats ne pouvaient être mûs par les mêmes motifs, mais les défaites du peschwah les portaient promptement à se retirer dans leurs foyers. Dans le but de s’emparer de cette classe d’hommes, le gouvernement britannique fit de nombreuses levées, qui donnaient la substance à tous ces soldats. De cette façon, il s’adressait tous les intérêts des diverses classes de la société. Ces mesures avaient déjà été prises avant la soumission personnelle de Bajee-Row ; cette soumission acheva de leur donner de l’efficacité.

Ces mesures, dues principalement à M. Elphinstone, n’exercèrent pas une aussi grande influence sur la province de Kandeih que sur le reste des États mahrattes. La plus grande partie de ces districts avaient été usurpés par des colons arabes, qui ne devaient pas être influencés par les mêmes motifs de soumission. Mais ces Arabes par leur conduite oppressive s’étaient tellement aliéné la masse du peuple, que celui-ci se montrait impatient d’être délivré de leur pouvoir. Les conditions offertes par les Anglais n’étaient rien autre chose que leur exportation en Arabie. Ils résolurent de se défendre jusqu’à la dernière extrémité. Mais ce n’étaient réellement que des espèces de flibustiers, incapables d’organisation politique ou militaire ; il fallait les expulser de toute nécessité. Avant de commencer les hostilités, le capitaine Briggs leur signifia donc ces conditions ; seulement, le gouvernement britannique se chargeait des frais du passage et du paiement de leurs arrérages. Les opérations commencèrent vers le milieu de mai. Les Arabes avaient concentré leurs forces à Maleegâun, place d’une force plus qu’ordinaire. Le capitaine Briggs résolut de faire sa première attaque le 15 mai ; le lieutenant-colonel, Mac Dowell, vint prendre position à la distance de cinq milles ; on reconnut bientôt que les assiégés se préparaient à une énergique résistance. Maleegâun est situé sur la Moosee, précisément au-dessus de son confluent avec la Gyrna ; le terrain choisi par les ingénieurs pour l’érection de leurs batteries se trouvait sur la rive opposée de la Moosee : ils ouvrirent la tranchée dans la soirée du 18. Pendant les premiers travaux, les assiégés firent une sortie vigoureuse, mais qui fut repoussée ; les assiégeants ne perdirent qu’une vingtaine d’hommes, à la vérité parmi eux le lieutenant Davis, ingénieur d’une grande réputation. Le 28, on crut la brèche abordable ; les munitions étaient sur le point de manquer, le lieutenant-colonel Mac Dowell se décida à tenter la fortune d’un assaut. Un petit nombre de bombes qui restaient, furent jetées sur la brèche pour l’éclairer ; mais les Arabes avaient fait une coupure fort considérable ; l’ingénieur qui guidait la colonne, après l’avoir quelques moments examinée, fut tué au moment même où il prononçait ce mot : « Impraticable. » Les soldats animés voulaient pourtant donner l’assaut ; le lieutenant-colonel Mac Dowell eut besoin de toute son autorité pour les ramener. Une attaque faite sur le pettah avait fort bien réussi.

Toutes les munitions des assiégeants se trouvant épuisées, Mac Dowell avait été réduit à changer le siège en blocus. Le général Smith, instruit du fait, lui en envoya de nouvelles, et les travaux du siège furent repris le 9 juin. Le surlendemain, une batterie de 5 mortiers et de 4 obusiers fut érigée ; elle ouvrit son feu immédiatement. Les assiégeants avaient découvert la situation du principal magasin de la place : ils jetèrent, dans le courant de la journée, plus de 300 bombes dans cette direction ; une d’elle tomba enfin sur le magasin, il sauta avec un fracas épouvantable, jetant un torrent de flamme et de fumée, et renversant dans le fossé une trentaine de pieds de la courtine. L’explosion tua ou blessa une grande partie de la garnison. Voyant alors leur situation désespérée, les Arabes commencèrent à craindre qu’une plus longue résistance ne leur fût funeste ; ils envoyèrent, le 12 juin, deux parlementaires à Mac Dowell : ils demandaient à quelles conditions serait reçue leur soumission ; celui-ci répondit : « À discrétion. » Le lendemain, Ubdool-Kadir, le chef des assiégés, se présenta de nouveau ; les Arabes, disait-ils, étaient résignés à se rendre à discrétion, mais ils demandaient la promesse que leur vie serait épargnée. Le lieutenant-colonel déclara qu’il consentait volontiers à donner cette assurance écrite ; il ajouta, pour achever de les décider qu’ils seraient bien traités. L’interprète arabe, abondant dans ce sens, écrivit une lettre susceptible d’une beaucoup plus large interprétation, promettant : « De faire tout ce qui serait le plus avantageux à la garnison ; que des lettres seraient écrites par rapport à la solde ; que le gouvernement anglais aurait soin des malades et des blessés ; enfin que les Arabes ne manqueraient de rien jusqu’à ce qu’ils eussent atteint les lieux où ils désiraient se rendre ; » derniers mots mis en place de ceux-ci : « où l’on jugerait convenable de les envoyer. » Ubdool-Kadir, avec ce papier, sortit le 14 du fort, à la tête de ce qui restait de la garnison, 300 Arabes et 60 Indous ; ils déposèrent leurs armes sur les glacis, et se constituèrent prisonniers de guerre. Les termes de la lettre constituaient de meilleures conditions qu’il n’avait été dans l’intention du colonel de leur donner ; le capitaine Briggs se refusait, de son côté, à les entendre dans ce sens. Il en fut référé à Elphinstone ; celui-ci décida que les termes de la lettre seraient entendus dans le sens le plus favorable aux Arabes. Le reste de la province de Kandeish, après la chute de Malegâun, se soumit sans plus de résistance.

Après avoir échappé à la surveillance du capitaine Brown, Apa-Saheb s’était réfugié dans les montagnes de Mohadeo. Les débris de l’armée de Bajee-Row et grand nombre d’Arabes chassés de la province de Kandeish ne tardèrent pas à venir l’y rejoindre. Un officier anglais, le capitaine Spark, se trouvait avec un petit détachement à Bytool. Il était chargé de l’administration de la portion du territoire cédé par Apa-Saheb. Entendant parler d’un parti d’Arabes entré sur ce territoire pour rejoindre l’ancien rajah, il marcha à leur rencontre. Mais les Arabes étaient en force. Spark, entouré d’un nombre d’ennemis dix fois plus considérable que sa troupe, se vit obligé de capituler, ou du moins de le tenter. Il arbora un drapeau blanc ; mais les Arabes, méconnaissant ce signe, tuèrent le capitaine et massacrèrent sa troupe. Enhardis par ce succès, ils prirent possession de quelques places dans la vallée de Bytool ; ils commencèrent à lever des contributions dans tous les environs ; ils surprirent et massacrèrent un autre poste de Cipayes ; ils se mirent ensuite en communication avec Apa-Saheb, et prétendirent agir sous son autorité. Différents détachements furent tour à tour envoyés contre ces Arabes. De son côté, Apa-Saheb faisait tous ses efforts pour mettre en campagne de nouveaux ennemis contre les Anglais : ses agents furent découverts dans plusieurs villes de la domination de Scindiah ; il intriguait aussi à plus forte raison à Nagpoor. Bientôt tout le pays à l’est de cette ville se souleva en sa faveur ; un chef reconnu par sa bravoure, Chimna-Potel, se mit à la tête de l’insurrection. De nombreuses troupes marchèrent aussitôt contre les insurgés ; ils se défendirent avec courage, mais ne purent résister. Vers le mois d’octobre, toute la province avait reconnu de nouveau l’autorité britannique. Les montagnes de Mohadeo devinrent le seul refuge d’Apa-Saheb, encore s’y trouvait-il étroitement cerné. De nombreux postes d’infanterie et de cavalerie coupaient toutes les communications entre les montagnes et le pays voisin. Le colonel Adams, commandant ces troupes, voulant en finir par un coup de vigueur, se disposa à pénétrer dans ces montagnes par trois côtés à la fois : il voulait étouffer l’insurrection dans sa dernière retraite. Mais Apa-Saheb, averti de ce mouvement, trouva moyen d’échapper à ces troupes, et de parvenir jusqu’à Asseerghur, où il fut reçu par Jeswunt-Row. De ce poste, il ouvrit des négociations avec sir John Malcolm, auquel il témoignait le désir d’entrer en arrangement pour sa soumission. Le kiledar de la forteresse, tout en recevant l’ex-rajah, par un reste de fidélité au gouvernement britannique, ne voulut pas recevoir ses compagnons. L’un d’eux était Chettoo, ce fameux chef pindarrie dont nous avons raconté la fin tragique.

Le kiledar, commandant le fort d’Asseerghur, s’était fait remarquer par ses dispositions hostiles aux Anglais : à l’époque où le peschwah se réfugia dans le voisinage, il fit tirer sur un détachement du général Doveton. Depuis lors, Scindiah était devenu un fidèle allié des Anglais ; il envoya au kiledar l’ordre de se rendre immédiatement auprès de lui à Gwalior pour rendre compte de sa conduite ; cet ordre fut désobéi. Les Anglais, aux termes du traité avec Scindiah, devaient assiéger Asseerghur, dans le cas où Apa-Saheb s’y réfugierait. On l’invita à joindre quelques troupes au corps anglais chargé de cette opération. La présence de ces troupes ne pouvait manquer de donner à ce siège l’apparence d’une entreprise faite en commun par lui et les Anglais. Il se prêta sans difficulté à cette mesure ; il envoya en outre un de ses agents avec mission de recevoir la forteresse des mains du kiledar ; il répéta à Jeswunt-Row l’ordre de se présenter à Gwalior. De son côté, sir John Malcolm offrait au kiledar pleine sécurité pour sa vie et sa propriété ; il lui offrit même de laisser le commandement de cette forteresse à quelque individu de sa famille. Quelque favorable que fût cette offre, Jeswunt-Row refusa d’en profiter. Dans cet état de choses, les négociations commencées dans le mois de février se trouvèrent rompues dans le mois de mars. Le corps d’armée du général Doveton se composait de 3 régiments de cavalerie indigène, 3 bataillons et demi d’infanterie européenne, et 7 bataillons d’infanterie indigène. Le corps d’armée amené de Malwa par le général Malcolm consistait en un régiment de cavalerie, 4 bataillons d’infanterie indigène, avec de l’artillerie à cheval et de l’artillerie de siège ; un autre équipage de siège fut demandé à Sagur, sous l’escorte de deux bataillons du Bengale ; il était en marche et s’avançait à fortes journées. Ces moyens étaient formidables, au-dessus même de l’entreprise ; mais en ce moment l’Inde tout entière avait les yeux sur ce siège ; il fallait que le coup fut frappé avec éclat.

Asseerghur est situé au sommet d’une montagne, à 750 pieds au-dessus du niveau de la plaine qui l’entoure ; il est à pic, inaccessible, excepté par trois points où l’art a suppléé à ce que n’a pas fait la nature : un de ces points se trouva à la face septentrionale du bastion de l’ouest, où la pente de la montagne, quoique rapide, n’est pourtant pas impraticable ; un autre à l’extrémité d’un ravin à l’est ; le troisième à l’extrémité sud-est, où les rochers font une plate-forme presque de niveau avec le terre-plein des remparts. À l’ouest est un fort moins élevé, appelé Maleegurh, commandé par le fort supérieur ; celui-ci est entouré par une muraille de pierres, mais il n’a pas de fossés. Au-delà et au-dessous est la ville ou le pettah.

La négociation ayant été rompue par le refus du kiledar d’accepter aucune des conditions offertes, le 17 mars un détachement fut commandé pour donner l’assaut. Cette opération, conduite par le lieutenant-colonel Frazer, eut un plein succès. Les Anglais se logèrent dans le pettah et se mirent en mesure d’attaquer le fort intérieur. Le 19, les assiégés firent une vigoureuse sortie. Le 20, une batterie de pièces de gros calibre commença son feu et ouvrit la brèche dès le même jour ; ce jour-là les assiégés firent une nouvelle sortie, où le lieutenant-colonel Frazer fut tué. Cette sortie n’arrêta pourtant point le feu de la batterie. Le 21, les assiégés évacuèrent le fort de Maleegurh. Mais ce même jour un accident fatal eut lieu : un magasin à poudre qui en contenait 130 barils prit feu sans qu’on sache comment. L’explosion détruisit une compagnie entière du 15e régiment d’infanterie indigène. La batterie avait été endommagée par l’explosion, mais elle put recommencer son feu. Les assiégés, après avoir tenté de reprendre possession du fort, l’évacuèrent de nouveau. La journée du 24 fut employée à une reconnaissance exacte et complète du fort même d’Asseerghur. Les ingénieurs choisirent pour point d’attaque le ravin de l’est ; le brigadier-général Doveton se porta de ce côté avec sa division, tandis que, pour faire diversion, le général Malcolm manœuvra du côté de Maleegurh. Le 30, les assiégés ayant abandonné ce fort, on s’en empara. Le 31, les tranchées furent ouvertes à l’est ; mais les travailleurs y souffrirent beaucoup du feu de la place. La résistance de la garnison était obstinée, elle faisait des sorties continuelles ; la mousqueterie des remparts causait de grands ravages parmi les travailleurs. Le 3 avril, l’artillerie de Sâgur étant arrivée, fut immédiatement mise en batterie ; les assiégés en soutinrent le feu avec fermeté ; mais le 7, Jeswunt-Row ayant perdu le commandant de son artillerie et voyant le feu des batteries anglaises redoubler de vivacité, commença à douter de la possibilité de tenir plus long-temps. Le lendemain, il entra en pourparlers au sujet d’une capitulation. Une conférence eut lieu pour en régler les termes, ainsi que la marche de reddition de la place entre lui et sir John Malcolm. Toutes choses convenues, les Arabes sortirent de la place à l’heure indiquée ; ils déposèrent leurs armes au milieu de la division de Malcolm formée en carré ; puis celle-ci prit immédiatement possession de la ville. La perte de la garnison pendant la durée du siège avait été de 43 hommes tués et de 95 blessés ; celle des Anglais de un officier, 9 Européens, 37 Cipayes tués ; de 10 officiers, 73 Européens, 181 Cipayes blessés. Le drapeau britannique fut arboré à côté du drapeau de Scindiah qui continua à flotter sur les remparts.

La brèche était loin d’être praticable, mais le manque de poudre contraignit Jeswunt-Row de cesser sa défense. À sa première entrevue avec sir John Malcolm, pour l’arrangement des termes de la reddition de la place et des armes, ce kiledar exprima sa crainte que Scindiah ne fut pas satisfait de sa défense ; on lui objecta les ordres de Scindiah pour la reddition de la place ; il répondit : « Cela peut se faire de la sorte chez les Européens, mais chez les Mahrattes on n’abandonne pas de semblables forts sur de simples ordres. » Pressé davantage sur ce point, il avoua avoir reçu l’instruction secrète de ne délivrer la forteresse que sur la production d’un signe particulier convenu avec Scindiah ; or, ce signe n’avait pas été produit par le messager de ce prince. Dans une de ses boites à bétel on trouva aussi un billet tout entier de la main de Scindiah, où ce dernier lui recommandait de donner à Bajee-Row tout le secours qu’il pourrait. Ce billet contenait cette expression remarquable : « Faites cela, ou je suis parjure. » Le marquis de Hastings ordonna que cette lettre fût mise sous les yeux de Scindiah ; il se décida en même temps, convaincu par toutes ces preuves de la mauvaise foi de celui-ci, à occuper le fort pour le compte du gouvernement britannique. Scindiah fut d’ailleurs averti qu’à la condition de montrer à l’avenir de la bonne foi et de la sincérité, le passé serait complètement oublié.

Après la reddition du fort d’Asseerghur, on s’occupa de chercher Apa-Saheb, qu’on savait dans la place ; mais toutes les recherches furent vaines ; Jeswunt-Row nia même qu’il fût ou eût jamais été. On ne put obtenir aucun détail sur son évasion ; plusieurs mois après la prise de la ville on n’avait encore aucune nouvelle de l’ex-rajah. On découvrit cependant, enfin, qu’il avait trouvé un refuge dans les États de Runjeet-Sing, suivi d’un très petit nombre de partisans, et déguisé en faquir. Runjeet-Sing permit au fugitif de demeurer dans ses États, lui fit même une petite pension pour son entretien ; mais, dans la crainte des Anglais, il cacha soigneusement cette démarche, et n’osa pas le recevoir au durbar. Pendant tout le temps qu’il erra dans les montagnes de Mohadeo, Apa-Saheb n’avait pas cessé d’être en communication avec différents officiers du gouvernement anglais ; l’offre d’une pension de 10 lacs de roupies lui fut alors souvent répétée. Mais cette offre lui parut trop avantageuse pour ne pas cacher un piège : aussi, quoique tenant à la vie et à ses aises, il ne put se décider à se remettre aux mains d’ennemis qu’il avait deux fois offensés. La prise d’Asseerghur et cette fuite d’Apa-Saheb furent les derniers événements de la campagne. Les troupes des trois présidences retournèrent chacune dans leurs gouvernements respectifs. Le dernier obstacle que devait rencontrer dans l’Inde la domination britannique était renversé. À compter de ce jour elle fut reconnue comme puissance prépondérante, comme souverain arbitre entre toutes les puissances indigènes. Le pouvoir de la Grande-Bretagne était non seulement dominant de fait, mais déclaré dominer de droit l’Inde entière. La puissance jadis possédée par le grand Mogol, qui s’était affaiblie, puis brisée, et dont les débris avaient passé par différentes mains, venait de se reconstituer dans celle de l’Angleterre. Lord Hastings venait de toucher le but indiqué quelques années auparavant par Wellesley.

Cette nouvelle situation ne pouvait manquer d’amener certaines modifications dans les rapports déjà existants entre les États indigènes et le gouvernement britannique. Déjà nous avons raconté les nouveaux traités négociés par le gouvernement avec Scindiah, Holkar, Ameer-Khan, etc. Mais nous avons maintenant à nous occuper, sous le même rapport, des États du second et troisième ordre, Bhopal, Kotah, Jeypoor, les petits États radjpoots, etc. Nous commencerons par Bhopal. Dès 1817, Nuzzer-Mahomet signe le traité préliminaire qui lui fut proposé avant le passage de la Nerbudda par les troupes anglaises. Ce traité comprenait les mêmes conditions que celles jadis offertes à son père Visir-Mahomet, en 1814 et 1815. Nuzzer-Mahomet sentit le moment venu de se décider, et accepta les offres qui lui étaient faites sans un mouvement d’hésitation ; il envoya son contingent aussitôt qu’il en fut requis, et rendit plusieurs services dans des occasions difficiles. Après la défaite des Pindarries, il devint un intermédiaire utile, paroles relations du gouvernement britannique avec les chefs de ceux-ci. Plusieurs de ces derniers, entre autres Namdar-Khan, reçurent la permission d’habiter sur le territoire de Bhopal. Le rajah se rendit garant de leur conduite pacifique pour l’avenir ; une partie de leurs soldats furent dispersés dans les diverses parties de la domination de ce dernier, et de plus on leur assigna des terres à cultiver. L’engagement définitif qui déterminait pour l’avenir les relations du nabob et du gouvernement britannique fut signé le 26 janvier 1818, et ratifié par le gouverneur-général le 3 mars suivant. Le contingent stipulé comme devant être fourni par Bhopal demeura fixé comme par le passé à 600 chevaux et 400 fantassins ; en revanche, Nuzzer-Mahomet obtint la remise du tribut qui lui avait été jadis imposé par le premier traité, comme prix de la protection britannique. Il fut encore dispensé de fournir une forteresse et un cantonnement à un corps de troupes anglaises, comme le stipulait ce même traité. Sous ces conditions, le petit État de Bhopal devait croître en prospérité. À la mort funeste et prématurée du rajah (il n’avait point d’enfants), nous avons dit comment la succession passa à son neveu ; le gouvernement de Bhopal, c’est-à-dire l’administration des affaires, demeura, après la mort de Nuzzer-Mahomet, dans les mêmes mains auxquelles lui-même l’avait confié. Le pays ne cessa de jouir depuis ce moment d’une paix complète et d’une grande prospérité.

Pour rendre durable la paix qui venait d’être conclue, ce n’était point assez d’avoir détruit le pouvoir des Pindarries. Il ne suffisait même pas d’avoir pourvu à l’administration des provinces long-temps ravagées par eux. Il fallait étendre l’influence britannique sur tous les petits États radjpoots voisins de cette frontière. L’état habituel, naturel, pour ainsi dire, de ces petites tribus vivant sous un gouvernement patriarcal, c’était la guerre ; quelquefois réunies toutes ensemble contre un ennemi commun qui les menace, le plus souvent se combattant les unes les autres avec acharnement. C’est cet état de choses qui a tenu l’Afrique entière dans un état de barbarie ; c’est lui qui a fait succéder les guerres et la barbarie à la civilisation jadis florissante en Arabie. Il pouvait peut-être arriver qu’un grand homme parût, qui réunît, qui fondît, pour ainsi dire, en un seul un certain nombre et peut-être la totalité de ces petits États ; mais cette chance était des plus incertaines ; elle ne pouvait, en tout cas, se réaliser qu’après beaucoup de guerres et de sang répandu. D’ailleurs, la conséquence en eût été funeste pour les Anglais, elle les eût mis en face d’un nouvel ennemi qu’il aurait fallu combattre. Mais un moyen s’offrait, non seulement de préserver dans l’avenir l’empire britannique de ce danger, mais encore de l’affermir et de l’étendre ; il consistait à étendre aux petits États rajpoots le système d’alliance subsidiaire jadis adopté par d’autres États. Ce système d’alliance ne pouvait, en effet, manquer d’être à peu près le même partout. Le gouvernement britannique se portait garant de l’indépendance de tel ou tel État, il le prenait sous sa protection ; en échange, il recevait une somme d’argent employé par lui à défrayer un corps de troupes destiné à le protéger, à en assurer l’indépendance. Tout État qui contractait cette alliance, devenu dès lors absolument indépendant de tout autre, n’avait plus rien à craindre d’aucun voisin. À la vérité, tous se trouvaient tenus de reconnaître la prépondérance, d’admettre le suprême arbitrage du gouvernement anglais. Quant à la quotité du tribut exigé, il demeurait précisément ce que chacun de ces États payait aux Mahrattes. Le résident à Delhi, M. Metcalf, fut la personne chargée par le gouverneur-général de l’exécution de ce plan avec les États rajpoots. Au commencement de la guerre, ce dernier leur écrivit en conséquence à tous une circulaire pour les engager à envoyer des agents à Delhi, dans le cas où ils voudraient participer aux avantages de la ligue au moment d’être formée ; aucun d’eux ne manqua à cette invitation. En général il n’y eut aucune difficulté : les conditions du traité, comme nous venons de le dire, en étaient très simples.

Zalim-Sing, qui depuis cinquante ans gouvernait Kotah, fut le premier chef rajpoot qui conclut un traité sur cette base nouvelle. L’engagement fut signé par son agent à Delhi, le 26 décembre 1817, et ratifié par le marquis de Hastings le 6 janvier suivant. Le tribut payé par cet État aux Mahrattes était de 3 lacs de roupies ; mais diverses déductions avaient été accordées, qui le réduisaient à 2 lacs 64, 720 roupies (monnaie de Delhi). Ce tribut, toujours acquitté avec la plus extrême ponctualité, n’avait jamais donné lieu à la plus petite difficulté. Zalim-Singh n’était point le rajah, mais seulement le dewan de Kotah ; le véritable rajah, tout-à-fait étranger aux affaires, vivait, ou plutôt végétait, dans un état d’imbécillité complète ; le traité, à la requête de Zalim-Singh, fut pourtant conclu en son nom. La garantie anglaise fut accordée à lui et aux héritiers pour le trône, mais en même temps elle assura à Zalim-Singh et à ses successeurs l’office de dewan. On trouve à chaque pas, dans l’histoire de l’Inde, cette légitimité dans l’usurpation. Zalim-Singh se montra allié fidèle et utile pendant la durée de la guerre avec les Pindarries. En décembre 1819, le rajah Ohmeid-Sing mourut, laissant trois enfants, tous les trois parvenus à l’âge d’homme : l’aîné, Kishwur-Singh, succéda ; mais la souveraineté nominale de son père parut ne pas le satisfaire. Il conçut une haine mortelle contre Madhoo, l’aîné des enfants de Zalim-Singh, désigné comme successeur de celui-ci à la dewanie ; il voulut la transmettre à un cadet. Mais Madhoo-Singh, soutenu à la fois par son père et par l’agent anglais, se crut assez fort pour ne pas céder. Le résultat de la lutte fut en effet défavorable au rajah ; quelques petits combats eurent lieu ; il fut chassé ainsi que le jeune frère du dewan, son complice. Ils se réfugièrent à Delhi, dans l’espoir d’intéresser en leur faveur sir David Ochterlony, alors résident. Après quelques mois, Kishwur-Sing se détermina à retourner à Kotah, se flattant de rentrer dans la pleine autorité aussitôt qu’il pourrait y arriver. Chemin faisant, il invita tous les feudataires de sa famille à s’unir à lui pour chasser un rebelle, un usurpateur, et parvint à rassembler une armée assez nombreuse. Mais la protection du gouvernement anglais s’étendait à la conservation de l’office de dewan dans la famille de Zalim-Singh. Les troupes britanniques entrèrent en campagne. Le rajah tenta jusqu’au bout la fortune des armes ; mais, vaincu dans une action assez vive qui eut lieu auprès de Kotah, il fut réduit à se soumettre à un nouvel arrangement ménagé par l’agent politique anglais. Le palais du rajah, un ample revenu, les signes extérieurs de la souveraineté lui demeurèrent ; d’un autre côté, l’administration des affaires continua de rester dans les mains de Zalim-Singh et de son fils aîné. Le revenu de la principauté de Kotah montait à cette époque à 47 lacs de roupies.

Le rajah de Joudpoor, Mân-Singh, fut aussi un des premiers à signer un arrangement avec le gouvernement britannique. Joudpoor avait souvent souffert des exactions des Afghans, mais Scindiah était le seul état qui eût un droit réel à réclamer de lui un tribut ; ce tribut, montant à 80,000 roupies, passa au gouvernement britannique. Le rajah s’engageait, en outre, à fournir un contingent de 1, 500 chevaux. Signé le 6 janvier, ce traité n’amena pendant long-temps aucune intervention du gouvernement anglais. Le rajah, s’étant déchargé sur son fils du soin du gouvernement, vivait dans la solitude et l’oisiveté la plus complète. Par malheur ce fils mourut, et cet événement faisant sortir le rajah de sa léthargie, il se saisit de nouveau du sceptre. Événement malheureux : différents actes de cruauté et d’injustice soulevèrent une partie des grands de l’État. La guerre civile, au moment d’éclater, fut à grand’peine arrêtée par l’intervention britannique.

De tous les princes rajpoots, le rajah d’Odeypoor avait le plus souffert des usurpations de ses sujets rebelles, aussi bien que des exactions des Mahrattes et des Afghans. Ce prince avait perdu d’un côté la presque totalité de ses États par les usurpations de ses feudataires ; de l’autre, il était tenu de payer un tribut à peu près équivalent à ce qui lui restait de revenus. Thakoor-Ujeet-Singh, le principal ministre d’Odeypoor, se rendit de bonne heure à Delhi pour négocier avec le résident anglais. Le 18 janvier 1818, un arrangement fut conclu, par lequel il s’engageait à payer aux Anglais le quart du revenu de ses États, à la charge à eux de faire face à toutes les obligations de l’État d’Odeypoor ; en échange, le gouvernement anglais lui promettait protection pour la restauration de ses affaires.

L’expulsion des Pindarries, celle d’un aventurier afghan qui ravageait une grande partie des provinces d’Odeypoor, furent le premier bénéfice qu’il retira de cette alliance. Le capitaine Tod fut envoyé comme agent politique à Odeypoor. Dans la vue d’accroître l’influence de cet officier, on le chargea de restituer au rajah le fort de Kumulner et quelques récentes acquisitions faites sur Juswunt-Row-Bhâo. Cet officier avait fait son étude particulière de l’histoire et des intérêts politiques du Rajpootanah ; mais il trouva les prétentions des courtisans et des principaux feudataires tellement exaltées, qu’il conçut peu d’espérance d’arranger les affaires du rajah d’une manière satisfaisante. Après quelques jours de discussion, le capitaine Tod se résolut à écrire lui-même une véritable charte des droits, qu’il remit au rajah pour la soumettre à la délibération et à l’acceptation des principaux chefs. Les seize principaux feudataires se réunirent le 4 mai 1818, afin de s’entendre sur ce sujet. Le principal article de cette déclaration portait restitution de tous les territoires conquis par les feudataires, soit les uns sur les autres, soit sur le rajah ; le reste consistait en règlements d’administration pour l’avenir. Le premier article ne passa pas sans difficulté. Nulle part, dans toutes les parties du Rajpootana, l’esprit de discorde, de rébellion de jalousie mutuelle, n’avait poussé de plus profondes racines que parmi les vassaux d’Odeypoor : ils étaient divisés en deux grandes factions ennemies l’une de l’autre, en raison des castes auxquelles ils appartenaient ; puis chacune de ces factions se trouvait subdivisée en plusieurs factions secondaires, se portant les unes aux autres une haine héréditaire. Le territoire d’Odeypoor s’était morcelé en une infinité de principautés ou de fiefs presque indépendants, qui, depuis leur origine jusqu’à ce moment, n’avaient jamais cessé d’être en querelle et en discussion. Les principaux feudataires consentaient bien à restituer au rajah ce qu’ils avaient usurpé sur lui, mais aucun raisonnement n’aurait pu leur persuader de se restituer ce qu’ils s’étaient pris réciproquement. Cette disposition devint d’ailleurs favorable à l’œuvre de la pacification. Ils finirent par se laisser persuader par Tod d’abandonner au rajah les territoires récemment conquis les uns sur les autres. Néanmoins les dépenses de la cour pendant les cinq années qui suivirent la conclusion de l’arrangement excédèrent de beaucoup les revenus aussi aucun tribut ne fut payé pendant ce temps aux Anglais.

Le tribut dû par le rajah de Bondee aux Mahrattes était de 24,000 roupies. Il signa, le 10 février 1818, un arrangement avec les Anglais. L’alliance devait lui être profitable : toutes les acquisitions faites sur son territoire par Holkar lui furent restituées ; il fut en outre déchargé de tout tribut. C’était une marque de reconnaissance pour les bons offices jadis rendus par lui au colonel Monson dans la campagne de 1804. Le rajah de Beekaneer suivit cet exemple. Il n’avait jamais payé de tribut aux Mahrattes, on ne put se servir de cette base pour les arrangements à prendre avec lui ; on se borna à convenir qu’il paierait un tribut proportionné au nombre de troupes auxiliaires qui seraient employées, sur sa réquisition, à la protection de son territoire. L’État de Jesulmeer, se trouvant sur l’extrême frontière, fut reçu à des conditions exactement semblables. Des arrangements du même genre furent conclus, en 1818, par les soins de sir John Malcolm, avec les rajahs de Doongurpoor et de Banswara, et avec les chefs de Purtabgurh, Rutlamnugur, Baglee et autres de moindre importance. Les deux premiers devaient le tribut à la famille mahratte de Puwars, établie à Dhar et à Dewar.

Parmi toutes ces transactions, celles relatives à l’alliance avec Jeypoor donnèrent le plus de souci au négociateur. Le rajah de Jeypoor était le plus riche et le plus puissant parmi les princes rajpoots ; quoiqu’un des plus voisins de Delhi, il fut des derniers à envoyer des négociateurs : ceux qui vinrent enfin se montrèrent difficiles sur les conditions. Jeypoor, comme Odeypoor, ne devait pas de tribut déterminé aux Mahrattes ou aux Afghans ; mais les exactions de ces deux nations, les usurpations des feudataires, n’en avaient pas moins amené la cour au dernier degré de l’appauvrissement. En raison des mauvaises dispositions d’abord montrées par le rajah, et du mauvais état de ses affaires, le gouvernement britannique devait être exigeant sur les conditions qu’il imposait. Après beaucoup de négociations, le traité fut enfin conclu le 2 avril 1818. La quotité du tribut à payer par cet État, afin d’être protégé contre les Afghans et autres, donna matière à une foule de difficultés ; après beaucoup de pourparlers on tomba enfin d’accord. La première année, le nouveau tributaire fut exempt de tout déboursement ; mais il dut payer l’année suivante 4 lacs de roupies, puis 1 lac en sus les années suivantes, jusqu’à la somme de 8 lacs, demeurant le tribut définitif. Ce tribut devait néanmoins augmenter dans des proportions déterminées, dans la supposition où les revenus de l’État dépasseraient 40 lacs de roupies.

En mai 1818, sir David Ochterlony se rendit à Jeypoor dans le but d’établir, s’il était possible, quelque ordre dans les affaires de cet État. Le rajah exerçait une autorité capricieusement despotique dans les murs de Jeypoor, mais cette autorité cessait d’être reconnue à une distance de quelques milles. Chaque feudataire indépendant dans les limites de son territoire repoussait toute obéissance. Sir David Ochterlony convoqua une grande assemblée de ces feudataires (appelés thakoors) : plusieurs ne s’y rendirent pas. Jugeant à propos de frapper les imaginations par un exemple, sir David s’empara des forteresses de quelques uns. En décembre 1818, avant que rien fût terminé, le rajah mourut. Deux prétendants allaient se disputer la succession, mais survint un enfant posthume qui la recueillit. Il fut proclamé sous le nom de Sewae-Jy-Singh. Sa mère se saisit de la régence. Les factions devinrent dès lors plus actives que jamais dans le durbar ; tout tomba dans la confusion. Le premier ministre, Rawul-Byreesal, voyait son autorité paralysée par les intrigues du zenana, qui traversait ses mesures et déjouait ses efforts pour rétablir quelque ordre. Une des conditions imposées par sir David avait été la restitution au rajah de toutes les usurpations faites sur lui par les feudataires dans la période de violence et d’anarchie qui venait de s’écouler ; mais tous les efforts du ministre pour atteindre ce but demeurèrent inutiles. Les feudataires continuèrent à retenir les terres usurpées ; ils s’entouraient de nombreuses troupes, ne reconnaissaient aucune autorité. Après quelque hésitation, le gouvernement britannique prit la résolution d’intervenir pour le soutien de Rawul-Byreesal, le premier ministre.

Sir David Ochterlony se rendit une troisième fois sur les lieux en 1823. Le manque d’une autorité constituée étant la source de tous les maux de l’État, sir David sollicita la régente, ou ranee, de restituer toute sa confiance à Rawul-Byreesal. Celle-ci, soutenue d’ailleurs par de nombreux partisans, se montra fort opposée à cette mesure. Sir David fut d’abord tenté d’avoir recours à une force anglaise ; cependant il espéra venir à bout de ces difficultés par l’autorité de son nom et le poids du gouvernement anglais. La réponse de la ranee, à la première communication faite à ce sujet, fut de dénier au gouvernement le droit d’intervenir ; elle terminait en disant fièrement que ne tenant sa régence que de Dieu, elle n’en était comptable qu’à Dieu seul. Sir David répliqua que Dieu savait trouver sur la terre des instruments pour renverser ceux dont la conduite était nuisible aux intérêts de l’État… ; puis il faisait entendre que le rajah avait laissé une autre veuve, d’un rang supérieur au sien, qui déjà s’était trouvée sur les rangs pour la régence. Ce dernier argument fit son effet ; la régente changea de ton ; elle offrit de nommer toute autre personne que Byreesal. Mais ce n’était là qu’un expédient qui aurait laissé comme précédemment le pouvoir dans ses mains ; il fut refusé. Ne voyant aucun moyen d’évasion, elle finit par se soumettre. Ainsi un parti l’emporta, grâce à l’intervention britannique, qui sans elle eût été le plus faible. Le ministre, devenant moins dépendant des factions, devait employer toute son autorité à abattre le parti contraire ; mais pour trouver la force de le combattre, il se vit obligé de se mettre de plus en plus dans la dépendance de l’autorité britannique. Par degré, pas à pas pour ainsi dire, sans secousse violente, le gouvernement anglais tendait de la sorte à se substituer un jour au pouvoir indigène.

Les années qui suivirent manifestèrent de plus en plus l’importance des résultats produits par les campagnes de 1817 et 1818. Après la capture de Bajee-Row, l’office de peschwah ne pouvait manquer d’être aboli : le territoire qu’il gouvernait passa aux mains des Anglais, à l’exception d’une petite province réservée pour le rajah de Satarah. Cette province s’étend à l’ouest des Ghats, entre la Neera et la Rheema ; au nord, entre la Kistna et Warun au sud ; à l’est, jusqu’à Pundurpoor ; mais ces limites de ce côté demeurèrent au reste fort peu précises. Un officier anglais, sous le contrôle du résident à Poonah, en eut l’administration, administration qui produisit au rajah un revenu d’environ 20 lacs de roupies. Plus tard, ces relations du rajah et du gouvernement anglais furent établies par un nouvel arrangement, sous la date du 28 septembre 1819, d’une manière plus explicite encore. L’administration de la totalité du territoire passa provisoirement aux mains des Anglais ; celle des jaghires ou de terres consacrées à certains services devait y rester à perpétuité. Quoique provisoire, l’administration anglaise n’en eut pas moins de grands et durables résultats. La collection du revenu et tout ce qui concernait les tribunaux reçurent une organisation stable, indépendante des caprices du rajah. D’un autre côté, tout le contingent de troupes fournies par les différents feudataires demeurait à la disposition des Anglais, non à la sienne. En un mot, la cour de Satarah fut mise dès lors sur le même pied que les cours de Delhi, de Moorsbedabad et d’Arcot. Le territoire du rajah de Kolapoor, le voisin méridional de Satarah, lui fut garanti par un arrangement conclu avec lui en 1812 ; ce chef y fut fidèle, et continua de jouir d’une indépendance complète dans l’intérieur de ses États. La principauté de Sawunt-Waree, située entre Kolapoor et Goa, fut placée sur le même pied que Kolapoor. De plus, six grands feudataires de l’empire mahratte ayant fait leur soumission à temps, continuèrent à jouir de leurs jaghires avec une complète indépendance intérieure, quoique aussi sous la protection générale du gouvernement britannique. À ces exceptions près, tout le territoire mahratte dans le Deccan passa sous l’administration directe des officiers anglais.

Le territoire conservé au rajah de Nagpoor, beaucoup plus étendu que celui réservé au rajah de Satarah, n’était guère plus productif. Un enfant de la famille de Bhoosla fut proclamé sous le nom de Bajee-Row-Bhoosla. Les intrigues d’Apa-Saheb, continuant quelque temps après cette révolution, il devint impossible de se confier à aucun Mahratte pour remplir un emploi de quelque importance à la cour ; il fallut placer tous les services publics dans les mains d’officiers anglais, au moins provisoirement. Cependant c’était la politique du marquis de Hastings d’intervenir le moins possible dans les affaires intérieures des États indigènes. Il fut spécifié dans tous les actes que l’autorité du rajah serait rétablie ; cette clause fut insérée dans tous les baux de terres faits à cette époque. Toutes les troupes conservées dans les États du rajah furent organisées sur le même modèle que celles du nizam, c’est-à-dire formées à l’européenne et commandées par des officiers de la Compagnie. Les territoires enlevés a Nagpoor furent administrés d’après le même système que ceux enlevés au peschwah ; c’est-à-dire que l’administration supérieure en fut confiée à un résident ou commissaire anglais, sous la seule restriction générale de ne modifier que graduellement le système jusqu’alors suivi. L’expérience avait souvent montré que les changements trop brusques et trop rapides, même en bien, ne manquent jamais d’avoir de funestes conséquences.

Mulhar-Row-Holkar était un enfant comme le rajah de Nagpoor. Après la mort de Toolsah-Bahe, sacrifiée la veille de la bataille de Mahdipoor, Tantia-Jogh, ainsi qu’il a été raconté, se saisit du pouvoir ; il avait du crédit, du pouvoir, il put faire les affaires de l’État sans avoir besoin de recourir à l’influence britannique. Cependant un agent politique anglais continua de résider à cette cour. Tantia-Jogh eut souvent recours à lui pour arranger les différends qui s’élevaient soit avec Scindiah, soit avec quelques autres princes ; on doit le louer, néanmoins, d’avoir su conduire son administration sans le concours des étrangers. Son système consistait à louer les terres par villages ou petits districts, à très longs termes, à des hommes d’importance, de considération, présentant des garanties personnelles de bonne administration. Grâce à ce système, les revenus s’élevèrent en peu de temps à 25 lacs de roupies. Un contingent de troupes, dû par lui au gouvernement anglais, consistait en 3,000 chevaux mais on n’eut jamais besoin d’y recourir, la tranquillité ne fut troublée nulle part.

Dowlut fut le prince indigène qui eut le moins à souffrir des derniers événements ; à la vérité, loin de se présenter comme jadis en rival jaloux de la prépondérance de l’Angleterre, il se jeta dans ses bras : il en reçut le prix. Par l’influence anglaise, il parvint à rétablir quelque ordre dans son gouvernement, qui alors menaçait de se dissoudre. Le traité de Gwalior lui avait imposé l’obligation de mettre sur pied un contingent de 5,000 chevaux, pour être placés sous le commandement d’officiers anglais pendant la durée de la guerre avec les Pindarries. Ce corps, qu’il mit beaucoup de lenteur à lever, ne lui en fut pas moins fort utile ; il s’en servit pour achever de soumettre à son autorité certains feudataires dont l’obéissance était demeurée jusqu’alors purement nominale ; il s’en servit encore vis-à-vis des chefs militaires qui jouissaient en réalité d’une indépendance presque complète ; il les obligea à compter avec lui pour tous les arrérages dont ils se trouvaient redevables. Grâce à ce genre de service, Scindiah et sa cour comprirent l’avantage d’avoir à leur disposition une force ainsi constituée ; il donna facilement son consentement à l’établissement permanent d’un corps de 2,000 chevaux commandé par des officiers anglais et payé par le résident. Cet arrangement fut conclu le 6 février 1820. Quelques moindres arrangements, quelques cessions de territoire, furent réglés par la même occasion. Le tribut touché par le gouvernement britannique pour l’entretien de cette force monta à 1,024,195 roupies ; outre cela, il y a 1,714,535 roupies qui, étant sous la garantie du gouvernement britannique, étaient payées par ses mains sans être soumis au contrôle de la cour. Toutefois, les revenus qui restaient à Scindiah ne montaient pas à moins d’un crore et 40 lacs de roupies. Grâce à cette prospérité financière, la cour de Scindiah tint dès lors et continue de nos jours a tenir le premier rang parmi les États indigènes. À la vérité, ces avantages sont payés par l’abandon de tout pouvoir politique ; dépourvu d’armée qui lui appartînt en propre, Scindiah se vit dès lors réduit à s’en rapporter en toutes choses à la médiation et au conseil du résident anglais : ainsi, bien qu’il n’eut pas primitivement contracté d’alliance subsidiaire avec les Anglais, l’ensemble de ces circonstances aboutit à le placer dans la même situation que s’il se fut soumis a cette alliance.

En 1819, le visir de Oude, à la grande surprise de la population indigène, changea son titre de visir contre celui de roi d’Oude. Il renonçait ainsi à son ancienne quoique purement nominale dépendance de Delhi. Ce changement de titre, qui ne modifiait en rien les relations de ce prince avec la Compagnie, parut une chose de peu d’importance ; le gouvernement anglais n’y mit aucun obstacle. Cette tolérance n’était pourtant pas sans inconvénients : non seulement la cour impériale, mais tous les mahométans qui continuaient de révérer le sang de Timour jusque dans ses descendants les plus dégénérés, ne pouvaient manquer d’être choqués de cette usurpation ; la permettre, c’était s’écarter sans raison de la conduite habile et prudente suivie jusque là par les Anglais. Clive avait voulu donner aux premières acquisitions territoriales de la Compagnie la base, la sanction d’un empereur qui ne se trouvait pas moins dénué de pouvoir réel que le furent depuis ses successeurs ayant acquis le dewanie de Bengale, Bahar et Orissa, la Compagnie n’en avait pas moins continué à frapper la monnaie au coin de l’empereur de Delhi ; elle s’intitulait le serviteur de ce souverain qui ne devait qu’à elle son pain quotidien. Depuis ce moment la faiblesse des empereurs avait continué de s’accroître, la puissance de la Compagnie de grandir ; mais les anciennes relations nominales n’en demeuraient pas moins toujours les mêmes. Ce n’est pas aux choses, c’est aux mots que les hommes tiennent le plus ; d’ailleurs les conquérants de tous les temps et de tous les pays doivent respecter plus soigneusement encore les sentiments des peuples conquis que leurs intérêts. On dit, il est vrai, que la prochaine arrivée au trône d’un prince de la famille impériale, qu’on disait opposé aux Anglais, engagea le gouvernement à tolérer cette démarche ; qu’elle le porta à voir avec plaisir le visir se dégager de toute dépendance, même nominale, à l’égard de l’empereur.

Malgré les soins constants de la guerre, le marquis de Hastings ne laissa pas que de s’occuper de l’administration intérieure. L’exercice de la police par les anciens fonctionnaires indigènes n’avait pas produit de bons résultats, il fut transféré à un corps de fonctionnaires salariés créés dans ce but. Lord Hastings créa aussi de nouveaux tribunaux criminels ; le nombre déjà existant se trouvait insuffisant pour l’énergique répression des délits ou la prompte punition des coupables. Les tribunaux civils présentaient un inconvénient analogue ; une multitude de causes ne pouvaient être jugées, le moindre procès entraînait quelquefois un délai de huit ou neuf ans. Lord Hastings appela plusieurs fois sur ce point l’attention de la cour des directeurs. Sous son administration la dette du gouvernement de l’Inde s’accrut de 5 crores de roupies ; mais comme le revenu s’augmenta, d’un autre côté, dans une proportion presque égale, tout portait à croire que cette amélioration continuerait, qu’elle serait durable, tandis qu’au contraire les circonstances d’où provenait cet excédant de dépenses ne pouvaient qu’être essentiellement passagères. Au sujet des ressources financières de la Compagnie, lord Hastings s’exprimait comme il suit : « C’est par la suprématie de nos forces que ces mines de richesses se sont ouvertes pour la Compagnie, c’est par le même moyen que la Compagnie pourra les conserver. La supposition que la Compagnie pourrait continuer à en jouir tout en renonçant aux moyens par lesquels elle les a acquises est tout-à-fait dénuée de fondement. Montrons quelque faiblesse dans l’Inde, et notre domination ne sera bientôt plus qu’un rêve, et un rêve promptement dissipé. » Le marquis de Hastings, qui depuis long-temps avait témoigné le désir de résigner ses hautes fonctions, quitta Calcutta pour revenir en Angleterre au commencement de l’année 1823. Il employa les loisirs de cette longue traversée à dresser un compte détaillé de son administration, qu’il expédia de Gibraltar à la cour des directeurs. À la glorieuse terminaison des deux guerres entreprises par lui, cette cour lui avait déjà voté une somme de 60,000 livres sterling, qui devait être employée à lui acheter une dotation en Angleterre ou en Écosse.

Les grands services rendus par lord Hastings méritaient ces distinctions et ces récompenses. À peine arrivé dans l’Inde, il comprit qu’une crise imminente était inévitable. Il eut l’art de la deviner, de l’attendre sans l’avancer, de faire approuver par les autorités la ligne de conduite qu’il comptait suivre. Appréciant d’un rapide coup-d’œil la situation politique de l’Inde, il traça d’avance les mesures à prendre pour conserver la prépondérance anglaise, le but à atteindre, les limites où s’arrêter. À l’époque où les idées de lord Wellesley étaient encore peu comprises et surtout peu goûtées en Angleterre, il osa leur donner hautement son approbation ; il en montra la réalisation possible, utile, indispensable, puis, après avoir ainsi formulé sa théorie, il sut exécuter et poursuivre ce grand œuvre dans le même esprit qu’il l’avait conçu et commencé. À son arrivée, les Goorkhas menaçaient la frontière orientale des Anglais, les Pindarries envahissaient leur territoire par le nord. Il ne manquait à ces derniers qu’un chef capable pour devenir pour les Anglais des rivaux plus redoutables qu’aucun de ceux qu’ils avaient combattus jusqu’alors : enfin les Mahrattes et les Rajpoots se tenaient prêts à rejeter tous à la fois le joug étranger. Mais au départ du marquis de Hastings, la situation politique se trouvait absolument l’opposée de celle-là ; les Pindarries étaient anéantis, le peschwah descendu du trône, le rajah de Nagpoor et les princes rajpoots passés sous la protection de l’Angleterre. Scindiah, le seul prince mahratte qui eût conservé à peu près la totalité de sa puissance, avait de lui-même renoncé à tout projet d’ambition ; il obéissait de son plein gré, sans stipulation écrite, à l’influence de l’Angleterre. La confédération mahratte n’existait plus ; le pouvoir du prince de l’ancienne dynastie qui venait de remonter sur le trône était entouré de barrières et de garanties qui le rendaient impuissant à troubler jamais la paix de l’Inde.

Les deux tiers de la presqu’île, à la fin de la guerre des Mahrattes, poursuivie avec vigueur, terminée avec succès, se trouvèrent sous l’administration directe des trois présidences ; l’autre tiers n’en subissait pas moins, quoique d’une façon plus détournée, l’influence anglaise. Quant aux moyens qui réalisèrent ce système de domination, ils sont au fond à peu près les mêmes partout. Une famille souveraine est revêtue d’une autorité nominale ; mais à côté d’elle, un officier anglais, sous le titre de résident, exerce en réalité toute l’autorité, ne rendant compte de ses actes qu’à son gouvernement, ayant d’ailleurs la plus grande latitude. Un corps militaire recruté parmi les indigènes, mais commandé par des officiers européens, se trouve sous ses ordres. Le prince placé sur le trône est-il décidément incapable, plusieurs moyens d’y remédier se présentent au gouverneur-général : ou il le dépose, et le fait remplacer par quelque rival, qui ne manque jamais de se rencontrer, par quelque prétendant dont le droit au trône est égal ou à peu près égal au sien (rivalité inévitable en raison des révolutions fréquentes des derniers temps) ; ou bien il le place sous la tutelle d’une administration indigène ou bien encore il fait administrer ses États en son nom par des officiers anglais : dernier terme auquel doit aboutir évidemment toute intervention des Européens dans les gouvernements indigènes, mais qu’il n’est pas d’une bonne politique de hâter. Ces soins pour ainsi dire intérieurs ne sont pas les seuls du gouvernement britannique, il est encore l’arbitre, le juge suprême de toutes les contestations internationales ; il remplace le grand Mogol aux plus beaux jours de sa toute-puissance.