Histoire de la conquête de l’Inde par l’Angleterre (Barchou de Penhoën)/Livre XXI

Au comptoir des Imprimeurs unis (tome 6p. 2-124).

LIVRE XXI.

SOMMAIRE.


Situation politique de Bhopal. — Le marquis de Hastings renforce l’armée. — Tumulte à Hyderabad. — De l’État du Guickwar. — Négociation de cet État avec le peschwah. — Assassinat de l’ambassadeur du Guickwar. — Le peschwah refuse de livrer Trimburkjee, auteur du meurtre. — Symptômes de rébellion dans les États du peschwah. — Situation de Nagpoor. — Commencement du règne de Apa-Saheb. — Situation de Jeypoor. — Trimburkjee est livré aux Anglais, mais s’échappe. — Le corps auxiliaire au service de Nagpoor se porte sur le Nerbudda. — Les Pindarries. — Résolution du gouverneur-général. — Le peschwah fait de nombreuses levées de troupes. — Note d’Elphinstone. — Les affaires tombent ; une crise à Poonah. — Un nouveau traité est présenté au peschwah. — Discussion de ce traité. — Composition et répartition de l’armée anglaise. — Combinaison politique de Hastings. — Système général de sa politique. — Négociation avec Scindiah. — Négociation avec Ameer-Khan, ainsi qu’avec les États de Keroub, de Jaloor, Segur et Bhopal. — Situation des Pindarries. — Première opération contre les Pindarries. — Événement de Poonah. — Le peschwah rompt tout-à-coup avec les Anglais. — Bataille de Poonah ou de Kirkee. — Le peschwah prend la fuite. — Prise de possession de Poonah par les Anglais. — Le choléra-morbus dans l’armée anglaise. — Dispersion des Pindarries au-delà de la Chombul. — Nouvelle position de l’armée anglaise. — Les Pindarries se dirigent vers le midi. — Rapports des Anglais avec le rajah de Nagpoor. — Bataille de Nagpoor. — Opérations subséquentes. — Nouveau traité avec Apa-Saheb. — État des choses à la cour de Holkar. — Bataille du Mahdipoor. — Nouveau traité de paix avec Holkar. — Réduction considérable de son pouvoir.
(1817 — 1818.)


Séparateur


Visir-Mahomet agréait les conditions principales du traité dont nous venons de parler ; la cession d’une forteresse et le partage des frais de guerre étaient les seuls articles contre lesquels il fît des objections. Mais le résident à la cour de Scindiah, considérant l’adhésion de Visir-Mahomet aux conditions générales comme une certitude que le traité serait promptement signé, en donna avis à Scindiah, qui protesta violemment. Il nia tout droit d’intervention de la part des Anglais dans les affaires de Bhopal ; il soutint que cet État dépendait de lui ; que les Anglais s’étaient formellement engagés à ne jamais se mêler de ses relations avec les États placés dans cette situation. Les résidents anglais aux autres cours mahrattes firent la même déclaration aux princes auprès desquels ils se trouvaient. Le rajah de Nagpoor demanda du temps pour méditer sa réponse ; il finit par consentir à ce que le corps auxiliaire prît position sur son territoire. Cependant une correspondance secrète commença alors entre le rajah de Nagpoor et Scindiah : les intrigues précédemment commencées se renouèrent. Instruit des dispositions des Anglais à l’égard de Bhopal, le peschwah s’en montra hautement satisfait. Il en résultait pour lui une grande sécurité au sujet d’un certain nombre de jaghires appartenant à ses vassaux. Toutefois une grande confédération était en train de se former contre les Anglais. La haine de l’étranger se ranimait plus ardente que jamais au cœur des nations indigènes ; Mahrattes, Afghans, Pindarries, semblaient pour un moment avoir oublié leur rivalité mutuelle. La guerre du Népaul, où les Anglais se trouvaient alors engagés, réveillait toutes leurs espérances d’affranchissement ; ils ne doutaient pas, à en juger par les mauvais succès de ces derniers au début de cette guerre, qu’elle n’entraînât leur ruine totale. Tous quoiqu’aucun plan ne fut encore convenu entre eux, croyaient le moment d’agir avec énergie contre la domination européenne. À l’époque des désastres des Anglais dans le Népaul, le marquis de Hastings put donc croire arrivé le moment de la crise.

Les préparatifs faits pour soutenir la négociation avec Bhopal n’intimidèrent pas Scindiah. Loin de là ; il exprima sa ferme résolution de ne point cesser les hostilités à l’égard de cette principauté. L’armée rassemblée à Madras reçut en conséquence l’ordre de se tenir prête à entrer tout entière en campagne, sous les ordres de Thomas Hislop. La présidence de Bombay envoya de nouveaux renforts dans le Guzarate. Malheureusement la guerre avec le Népaul tenait engagée la plus grande partie des troupes anglaises et du matériel de guerre. À cette époque, les opérations de cette guerre n’occupaient pas moins de 45,000 hommes ; or, l’établissement ordinaire du Bengale suffisait à peine, en temps ordinaire, pour défendre ses frontières. Toute la partie de cette frontière à l’est de Mirzapoor se trouvait alors absolument sans protection l’incursion des Pindarries en 1812 en avait suffisamment démontré la faiblesse, la vulnérabilité. Ces circonstances suggérèrent au marquis de Hastings, plusieurs mesures fort importantes. Jusqu’à ce moment les fonctionnaires civils se servaient, dans l’exercice de leurs fonctions, de détachements de l’armée ; aussi celle-ci se trouvait-elle brisée, éparpillée ils furent autorisés à lever des corps particuliers pour leur service. On arrêta en même temps la création de corps provinciaux ; les grenadiers des régiments qui n’étaient point en ce moment en campagne furent séparés des corps auxquels ils appartenaient et réunis en bataillons des compagnies supplémentaires prirent leurs places dans les corps mesure qui ajouta sept bataillons à l’effectif des troupes déjà existant. De nombreuses levées d’infanterie et de cavalerie irrégulière furent en outre autorisées ; enfin lord Hasting ajouta trois régiments permanents à l’armée régulière. Ces nouveaux régiments ne pouvaient guère se trouver en état de servir dans la saison actuelle ; mais on profita de la circonstance pour augmenter l’état militaire reconnu insuffisant. Par suite de ces diverses augmentations l’armée se trouva portée à 80,000 combattants. Avec ces moyens, lord Hastings se crut en mesure de faire face à la crise attendue alors de jour en jour, mais qui n’éclata d’ailleurs que trois ans plus tard.

En offrant la protection du gouvernement anglais à la principauté de Bhopal lord Hastings s’était proposé pour principal objet de préserver cet État de la destruction ; il s’agissait en effet de prévenir toute coalition contre lui, entre Scindiah et le rajah de Nagpor. L’avantage à tirer de cette alliance contre l’agression des Pindarries n’était qu’une considération fort secondaire : or ce second objet pouvait être tout aussi bien atteint par une négociation qui laisserait pourtant les choses dans l’état actuel. Dans ce but, le marquis Hastings fit remettre à Scindiah et au rajah de Nagpoor une note dans laquelle il exprimait le droit qu’avait dans son opinion la principauté de Bhopal, en tant qu’État indépendant, de contracter des alliances ; il requérait Scindiah de se désister des préparatifs de guerre jusqu’à ce que la question fût résolue. Scindiah répondit par l’exposition des droits que lui-même se supposait à la principauté de Bhopal, par des reproches au gouvernement anglais sur l’intervention de celui-ci dans ses démêlés avec un État tributaire. D’un autre côté le gouvernement anglais sommait d’ailleurs en même temps le nabob de Bhopal de fournir la preuve de son indépendance. Mais ce dernier, satisfait des démarches du gouvernement anglais auxquelles il devait son salut, ne se trouvait plus pressé de terminer une négociation dont la conclusion l’aurait mis dans une sorte de dépendance plus explicite de ce gouvernement. En conséquence les dernières négociations furent tout-à-coup rompues dans le mois d’avril 1815. Ce résultat fut communiqué par les résidents britanniques aux différentes cours auprès desquelles ils se trouvaient. Le gouvernement anglais fit dès lors signifier en même temps à Scindiah et au rajah de Nagpoor qu’aucun motif n’avait été allégué par ceux-ci de nature à l’empêcher s’il ne était jamais besoin, de prendre Bhopal sous sa protection. Les deux cours ne firent aucune réponse à cette dernière communication. Il se crut donc autorisé à conclure ou du moins à dire, le cas échéant, que ce silence annonçait la reconnaissance implicite des prétentions énoncées dans ces notes.

Tous ces événements nous ont conduits jusqu’au mois de juin 1815. La saison des pluies commençait alors, signal ordinaire dans l’Inde de la cessation de toute hostilité. Cependant, même durant cette saison, on ne fut pas sans quelque inquiétude. Les fils du nizam avaient été autorisés à vivre à Hyderabad. Autour d’eux s’était rassemblée une multitude de vagabonds qui avaient organisé, de l’aveu de ces princes, un vaste système de pillage et d’oppression. Les meurtres se commettaient avec impunité, en plein jour, au milieu de la ville ; la faiblesse et la timidité du ministre Bajabe-Chundoo-Lal leur laissait le champ complément libre. Dans plus d’une occasion, le résident britannique s’était trouvé forcé de faire des représentations à ce sujet. Dans le mois d’août, ces mauvais sujets s’emparèrent d’un de ses serviteurs, avec le projet d’en tirer de l’argent ; le résident, nommé M. Russell, porta immédiatement plainte au nizam et celui-ci, dans le but de lui donner satisfaction, résolut de s’emparer de la personne des jeunes princes. Il donna l’ordre à un détachement de son infanterie, commandé par le capitaine Hare, de mettre des sentinelles autour de leur maison. En exécution de cet ordre, cet officier se rendit à la résidence de Moobaris-ul-Dowla, l’un d’eux. Une décharge de mousqueterie partie de quelques unes des maisons voisines accueillit son arrrivée ; quelques hommes furent blessés ; un officier de la garde du résident tué. Les maisons d’où le feu était parti furent emportées, ceux qui s’y trouvaient en armes passés au fil de l’épée. Le capitaine Hare poussa alors jusqu’au palais ; les portes étaient fermées et il s’y faisait d’actifs préparatifs de résistance. Hare enfonça une des portes principale ; mais comme le nombre des rebelles s’accroissait indéfiniment, il devint évident qu’une plus longue persistance de sa part à exécuter ses ordres n’aurait pour résultat que d’amener le soulèvement complet de la population. Hare se retira dans la maison du ministre Raja-Chundoo-Lal pour attendre de plus amples instructions. Le résident réunit auprès de lui pendant ce temps toutes les troupes des environs. Il trouva cependant la brigade trop faible pour agir contre la ville, et, craignant que l’agitation du moment ne conduisît à une révolution complète, il envoya l’ordre au colonel Doveton de se porter immédiatement sur Hyderabad. Les choses demeurèrent en attendant dans le même état, ce qui donna aux princes le temps de réfléchir sur leur conduite inconsidérée ; ils en craignirent les conséquences, se laissèrent persuader de s’en remettre à la clémence du nizam, et se réfugièrent dans son palais. Le résident insista sur la nécessité de les soumettre à une stricte réclusion, et ils furent effectivement enfermés dans la forteresse de Golconde. Les principaux chefs de l’émeute passèrent à un jugement, et subirent la peine de mort. Avant la fin de septembre (1815), la tranquillité se trouvait parfaitement rétablie.

Des événements d’une nature plus grave se passaient alors à Poonah. Dans le traité de Bassein, il était spécialement stipulé que le gouvernement britannique demeurerait arbitre entre Poonah et l’État de Guickwar, dans le cas où leurs différents ne pourraient s’arranger à l’amiable. Or de cette disposition du traité naquirent des discussions qui devinrent fatales aux Mahrattes. La naissance de l’État de Guickwar dans le Guzerate, est contemporaine de celle du grand pouvoir du peschwah à Poonah. Le fondateur de la famille Pillajee-Guickwar, était dans l’origine, potail (maire, bourgmestre) d’un village auprès de Poonah. Il entra au service de la dynastie de Satara, qui, après la conquête de Guzerate, s’opposa, les armes à la main, à l’élévation des premiers peschwahs. Guickwar s’éleva bientôt auprès de cette dynastie, comme le peschwah lui-même l’avait fait à Poonah. Ses descendants maintinrent leur indépendance dans la province contre les tentatives du peschwah, qui voulut les réduire par force. Les armes ayant échoué, les négociations furent tentées dans le but d’amener la reconnaissance de la suprématie de Poonah. Pendant ce temps Damajee-Guickwar s’engagea dans un complot contre le pouvoir du peschwah. Il fit marcher ses troupes dans le Deccan pour qu’elles fussent à même de soutenir les conspirateurs. Lui-même, saisi pendant un armistice, fut emprisonné par Balajee-Row. Il ne fut relâché qu’à la condition de résigner la moitié de ses possessions dans le Guzerate, de reconnaître qu’il ne tiendrait le reste qu’en qualité de fief dont la suzeraineté appartiendrait au peschwah enfin d’unir ses forces à celles de Balajee dans une expédition pour la réduction de Ahmedabad, alors possédé par les Mogols. Cette place, une fois conquise, devait rester dans les mains de Guickwar, aux mêmes conditions que ceux de ses domaines qui lui avaient été laissés. Ahmedabad fut conquise par ces armées réunies en 1753. Depuis ce temps, Damajee-Guickwar devint un fidèle feudataire du peschwah. Il assistait à la bataille de Paniput en 1761 ; il aida le régent pendant la minorité de Madahoo-Row. Il obtint, en échange de ce service, le don de Guzerate à perpétuité, avec plusieurs titres honorifiques. Dans les discussions qui s’élevèrent entre l’oncle et le neveu, il prit le parti du premier ; mais le neveu, l’ayant emporté, le châtia en lui imposant un tribut annuel de 5 lacs un quart de roupies et un contingent de 5,000 chevaux. Damajee mourut cinq années après, en 1768. Sa succession fut disputée par ses deux fils. Le peschwah en profita pour augmenter le tribut qui lui était dû en vendant sa protection au plus offrant ; et ce fut Futty-Singh qui s’engagea à payer 70 lacs de roupies. Avec le secours des Anglais, il chassa son rival. Dès lors, il paya ou ne paya pas son tribut, selon que le peschwah avait ou non les moyens de l’y contraindre. Le traité de 1782, conclu entre lui et les Anglais l’obligeait à payer à l’avenir au peschwah le même tribut que précédemment.

En 1792 Amud-Row, un de ses successeurs, reçut une force auxiliaire britannique. Dans le but de rembourser les dépenses d’une expédition envoyée de la présidence de Bombay pour le défendre contre Mulhar-Row-Holkar il fit au gouvernement anglais la cession de quelques territoires. En 1803, Amud-Row céda un territoire du revenu de 7 lacs de roupies en remplacement du subside. La force auxiliaire ayant été augmentée, l’étendue des territoires concédés s’accrut dans la même proportion. Le gouvernement britannique, à l’époque du traité de Bassein, prit sous sa protection cet État de Guickwar et il en administra depuis lors la plus grande partie ; l’ensemble des concessions successivement obtenues par lui ne montait pas, en 1814, à moins de 13 lacs un quart de revenu. Pendant que l’influence anglaise s’établissait ainsi sans bruit et peu à peu dans le Guzerate, les droits du peschwah devenaient de moins en moins respectés. Pendant les années qui suivirent sa restauration, ce dernier s’occupa surtout de réduire à l’obéissance, à l’humiliation même, les grandes familles mahrattes qui lui faisaient quelque ombrage. Cette politique réussit au point de consolider plus qu’elle ne l’avait jamais été l’autorité du peschwah, dans toute l’étendue de sa domination. Uniquement occupé de cet objet, les affaires étrangères n’attirèrent que modérément son attention ; mais, son but atteint, il tourna les yeux de ce côté. Il s’occupa de certaines prétentions à faire valoir sur le nizam, entre autres celle du chout sur presque toute l’étendue des États de ce prince, droit qui provenait d’une concession faite dans un moment désespéré par le nizam Ulee-Khan. Par le traité de Bassein, le gouvernement britannique s’était engagé à conclure un arrangement entre eux. Ce ne fut qu’une douzaine d’années après que Bajee-Row réclama pour la première fois l’exécution de cette promesse. Le gouvernement anglais nomma une commission, chargée d’examiner les droits réciproques des deux parties. Depuis ce moment, le peschwah cessa lui-même d’en parler, soit qu’il se défiât de l’arbitrage britannique, soit qu’il répugnât à voir ses droits fixés d’une manière définitive. À la suggestion du gouvernement britannique, Bajee-Row s’était décidé à accorder au Guickwar sa part dans les revenus d’Ahmedabad pour dix années. La rente de cette ferme lui fut en effet régulièrement payée pendant cette période de temps. Mais alors Bajee-Row signifia son intention de prendre lui-même l’administration de ce territoire et de ne pas en renouveler le bail.

Quatre ans avant la conclusion du traité de Bassein, le Guickwar, poussé par la crainte que lui inspirait Scindiah, agréa de payer tous les arrérages des engagements pris par Futty-Singh, et qui se montaient à une somme énorme ; il devait en outre 56 lacs pour sa propre investiture. C’est sur cette base que Bajee-Row prétendait que les différends fussent ajustés. Les arrérages s’étaient accumulés de façon à monter à 3 crores de roupies. Deux crores provenaient des arrangements de Futty-Singh ; le reste de réquisitions faites par Damajee après la capture d’Ahmenabad, puis les 56 lacs d’investiture, et enfin 31 lacs comme liquidation d’anciennes dettes ; engagement évidemment fort supérieur aux ressources de l’État de Guickwar. À la suggestion du résident britannique, un des ministres de Guickwar, Gungadhur-Shastree, vint à Poonah pour l’exposer au peschwah ; il essaya aussi, mais sans succès, d’obtenir le renouvellement du bail de Ahmenabad. Le gouvernement de ce dernier territoire avait été donné à un certain Trimburkjee-Dainglia, qui s’était élevé des plus bas emplois jusqu’à cette situation éminente. Gungadhur-Shastree ne réussit pas davantage sur les autres points en discussion. La cour de Poonah se montrait parfaitement résolue à ne faire aucune concession. À cette époque elle faisait tous ses efforts pour faire remplacer Shastree, qu’elle supposait dans les intérêts anglais, par un autre ministre qui eût été dans les siens ; Sectam-Ram était le nom de ce candidat. Les premiers revers éprouvés par les Anglais dans la guerre avec les Goorkhas donnèrent une nouvelle énergie à toutes ces intrigues. Sectam-Ram envoya à diverses époques des agents à la cour de Poonah. M. Elphinstone, le résident britannique insista pour qu’ils fussent arrêtés ou du moins immédiatement renvoyés, comme conspirant contre un gouvernement placé sous la protection de l’Angleterre. Il demandait aussi le prochain renvoi, avec une réponse définitive, du ministre en mission, Gungadhur-Shastree, afin de mettre celui-ci à même d’aller défendre ses intérêts à Brodera. Le peschwah continuait à refuser toute concession ; toutefois, il laissait voir certaine velléité de renouer une nouvelle négociation sans l’intermédiaire du gouvernement britannique. Le résident anglais le somma d’abandonner toute poursuite directe dans ses prétentions sur Guickwar ; à cette seule condition il consentirait, disait-il, à employer en sa faveur l’influence britannique. Dès ce moment, le peschwah, jusqu’alors ennemi de Shastree, changea de manière à son égard. Il essaya de le gagner à ses intérêts ; il alla jusqu’à offrir sa fille au fils aîné de ce dernier. La négociation continua sans l’intervention du résident britannique sur cette base nouvelle, la cession par Guickwar d’un territoire d’un revenu de 7 lacs de roupies.

Dans le mois de mai 1815, le peschwah forma le projet d’accomplir un certain nombre de pèlerinages. Le premier eut lieu à Nassick, auprès de la source de la Godavery. Les négociations pour le mariage dont nous venons de parler étaient alors tellement avancées, qu’il y conduisit sa famille. Des préparatifs furent même commencés pour la célébration, en cet endroit, de l’union projetée. La cession territoriale en question rencontrait à la cour de Guickwar une répugnance invincible, a laquelle Shastree ne s’attendait nullement. Se flattant de la surmonter à la longue, il n’en parla pas, mais entra, vis-à-vis le peschwah, dans un système d’évasion ayant pour but de gagner du temps. La même raison lui faisait différer de jour en jour le mariage, qu’il se proposait de ne conclure qu’en même temps que l’arrangement territorial, cet arrangement qui devenait de jour en jour plus difficile à terminer. D’un autre côté, Shastree n’avait pas voulu permettre à sa femme de rendre visite à celle du peschwah, dont la conduite passait pour être fort déréglée. Toutes ces circonstances, d’autres encore d’une importance moindre, introduisirent peu à peu un grand changement dans les dispositions réciproques des deux parties. Trimburkjee, auteur du projet d’alliance, ne tarda pas à s’en repentir. Le peschwah, d’un caractère altier et vindicatif, jura de son côté de se venger. La résolution de faire assassiner Shastree fut dès lors arrêtée entre lui et Trimburkjee, et à compter de ce moment poursuivie avec une profondeur de dissimulation de nature à étonner la duplicité mahratte elle-même. Pendant les cinq ou six semaines d’intervalle qui séparèrent le projet de l’exécution, Shastree ne conçut pas une seule fois le moindre soupçon. Le pèlerinage à Nassick achevé, il se laissa persuader d’accompagner la cour à Pimdurpoor avec une très petite escorte ; il envoya le reste de sa suite, par un autre chemin, l’attendre à Poonah. La seule difficulté ne consistait plus dès lors qu’à éloigner le résident britannique. Le peschwah et son ministre affectèrent à son égard de la gêne, de la froideur, de la contrainte. Piqué de ces manières, le résident, sous prétexte de visiter les ruines d’Ellora, prit congé ; il retourna à Poonah. Au commencement de juillet, le peschwah et son ministre se mirent eux-mêmes en route ; Shastree, envers lequel ils redoublaient depuis quelque temps de prévenance, les accompagna.

Depuis long-temps des bruits sinistres, et dont on ignorait la source, circulaient en tous lieux. On parlait d’un complot formé contre la vie du peschwah, on signalait des assassins afghans, qui, disait-on, s’étaient engagés à ce meurtre. Toutes les précautions possibles étaient prises à la cour de ce dernier, et avec beaucoup d’ostentation, contre ce danger. Tout accès auprès de sa personne devenait de jour en jour plus difficile ; ses plus fidèles serviteurs eux-mêmes ne pouvaient plus l’approcher ; une nombreuse escorte ne le perdait pas de vue un seul instant, ni jour, ni nuit. À l’arrivée de la cour à Punderpoor, ces précautions redoublèrent. Un agent de Seetam-Ram, ayant alors été reçu par le peschwah, Shastree s’en plaignit, mais d’ailleurs n’en demeura pas moins dans la sécurité la plus complète. Il rentre chez lui le 14 juillet, après avoir assisté à un divertissement donné par le peschwah, et ne se trouvant pas en fort bonne disposition de santé, se décide à ne pas aller au temple. Il donne ordre à ses gens de le dire à ceux du peschwah et de Trimbukjee, dans le cas où on viendrait lui en faire l’invitation de la part de l’un ou de l’autre. Un serviteur de Trimbukjee reçut effectivement cette réponse. Le message est répété ; mais Shastree, qui ne se sentait pas en meilleures dispositions, fit le même refus ; néanmoins il envoya pour le remplacer deux de ses officiers. Trimbukjee leur dit : « J’ai envoyé prévenir deux fois Shastree que c’était en ce moment le meilleur moment pour prier, mais il a refusé ; je voudrais que vous essayassiez de nouveau de l’y engager. » Shastree craignit d’offenser Trimbukjee en refusant encore ; il se rendit donc au temple, accompagné de sept serviteurs sans armes. Sur le chemin, des inconnus se présentèrent ; l’un d’eux fait cette question : « Quel est Shastree ? » On le lui désigna, et ils s’éloignèrent sans que cette question, faite dans la foule, eût éveillé le moindre soupçon. Les dévotions accomplies, Shastree laissa dans le temple trois de ses gens et se mit en marche pour s’en retourner, accompagné des Cipayes de Timbukjee. À peine a-t-il fait quelques pas qu’il s’élève un tumulte derrière lui ; trois hommes se précipitent en criant : Place ! place ! Arrivés près de Shastree, l’un d’eux le frappe par-derrière d’un coup de sabre ; les autres l’avaient dépassé, mais se retournent, l’attaquent de front, blessent et mettent en fuite ses quatre serviteurs. Revenant du temple avec les trois autres serviteurs, le gourou rencontra le cadavre de Shastree horriblement défiguré. Les amis et serviteurs de celui-ci se hâtèrent de demander que les assassins fussent recherchés et punis. Trimbukjee s’y refusa, donna des raisons vagues, se désignant ainsi en quelque sorte lui-même comme l’auteur du crime. Bientôt défense fut faite d’en parler d’une manière quelconque, sous les peines les plus sévères.

Le résident anglais, M. Elphinstone, se trouvait à Ellora lorsqu’il apprit ce qui venait de se passer ; il comprit la nécessité de prendre promptement un parti décisif. Shastree était le ministre avoué d’un État allié il n’était venu à Poonah que sous la garantie spéciale du gouvernement anglais et dans le but de conclure un arrangement où ce gouvernement, sans s’y trouver directement intéressé, agissait cependant comme arbitre. Le résident écrivit donc sur-le-champ au peschwah pour demander une sévère investigation sur l’assassinat, l’arrestation et la punition de ses auteurs. Il offrit sa protection aux officiers et compagnons de Shastree, en ce moment fort effrayés ; enfin voulant se mettre en mesure de faire face à tout événement, il appela la force subsidiaire cantonnée à Jalna. Lui-même, quittant Ellora, se dirigea sur Poonah, où il arriva le 6 août. Tout le long de la route, la voix publique accusait Trimbukjee de l’assassinat. Shastree était un brahme de la plus haute caste en grande réputation par sa science et la sainteté de son caractère. Les circonstances de sa mort, arrivée au milieu d’une ville sainte, dans l’accomplissement d’un pèlerinage, au milieu d’une foule de dévots qui s’y trouvaient rassemblés, toutes ces choses contribuèrent à inspirer à la multitude une horreur extrême de l’attentat. Les pèlerins, en se dispersant, rapportèrent cette nouvelle dans leurs patries diverses, la semèrent tout le long de la route ; aussi eut-elle promptement une publicité immense, et presque sans exemple dans un pays où les moyens de communication sont très bornés. Cependant le peschwah et Trimbukjee, très effrayés de la demande d’information faite par le résident, commencèrent à lever des troupes de tous côtés ; ils prirent toutes les précautions possibles pour leur sûreté personnelle. Trimbukjee se dirigea en toute hâte vers Poonah, le peschwah l’y rejoignit deux jours après. C’était un jour de fête, où des milliers de brahmes se trouvaient réunis dans la ville ; il était d’usage que le peschwah leur fit de grandes largesses ; jusque là il n’avait jamais manqué de présider à leur réunion. Toutefois, chose inouïe, il arriva de nuit en palanquin, observant le plus strict incognito. Ce retour imprévu et caché jeta dans une sorte d’étonnement et de stupeur toute la ville ; on s’attendait à quelque chose d’extraordinaire. Au milieu de la terreur générale, les gens de la suite du guickwar demeurèrent isolés ; personne n’osait leur adresser la parole, seulement les approcher ; on les considérait comme autant de victimes dévouées à une mort assurée.

Le 11, le résident demanda une audience au peschwah ; celui-ci refusa sous prétexte d’indisposition. La demande, renouvelée, fut refusée par la raison qu’une de ses filles, enfant en bas âge, venait de mourir. Le résident se décida alors à envoyer une note écrite qui elle-même fut repoussée, sous divers prétextes imaginaires. En revanche, deux agents confidentiels du peschwah se présentèrent à Elphinstone. Celui-ci leur fit comprendre que Trimbukjee seul, et non le peschwah, était en question dans cette note. Il avait compris en effet la nécessité de ne pas s’attaquer à ce dernier s’il voulait parvenir à quelque chose. Dès ce moment l’obstacle principal qui empêchait la réception de la note se trouva levé ; elle fut reçue. Dans cette note, après avoir rappelé toutes les présomptions qui s’élevaient contre Trimbukjee, il sollicitait du peschwah l’emprisonnement de celui-ci, du moins jusqu’à ce que la chose fût éclaircie ; il l’avertissait du danger qu’il y avait à conserver le coupable auprès de lui il lui donnait avis de cesser toutes relations avec le gouvernement britannique jusqu’au moment où les mesures indiquées par ce dernier auraient été prises ; il finissait en lui donnant l’assurance, formelle de n’intervenir en rien dans le choix qu’il pourrait faire du successeur de Trimbukjee. Dans toute cette note, M. Elphinstone affectait de considérer le peschwah comme entièrement étranger au meurtre, mais seulement l’ignorant, et par cette raison ne punissant pas le coupable. Cette conduite habile avait pour but de lui donner l’idée de tenter de se disculper lui-même aux dépens de son favori.

Le lendemain le peschwah, après quelques indécisions, envoya au résident un messager lui demander une entrevue. Le régent s’en montra fort désireux ; cependant il ne voulait pas, disait-il, se rendre au palais, s’il existait la moindre chance d’y rencontrer Trimbukjee. Quant à ce dernier, il se jetait dans les paroles évasives, et le peschwah n’osait prendre un parti décisif. Pendant ce temps, les personnes de la mission de Guickwar qui avaient accompagné Shastree se trouvaient dans une position fort critique ; ils s’acheminaient vers la présidence avec une escorte dévouée à Trimbukjee. Elle se révolta la veille de l’arrivée, et ne voulut pas aller plus loin jusqu’à ce qu’elle eût été payée. Le résident songea d’abord à envoyer des troupes anglaises à leur secours : c’était les dévouer à une mort assurée, aussi finit-il par adopter seulement le parti d’envoyer sa garantie pour l’argent que le chef de cette mission voudrait promettre. Ce dernier parvint par ce moyen à se concilier une partie de l’escorte. Le 20 août, apprenant que les troupes de nouvelles levées arrivaient de toutes parts, le résident déclara que, dans le cas où cette mesure ne serait pas suspendue, il se verrait dans l’obligation de faire venir à Poonah la force auxiliaire. Il s’était entouré pendant ce temps de témoins unanimes dans leurs dépositions sur les circonstances du meurtre. Des tentatives furent faites par le gouvernement mahratte soit pour éloigner ces témoins, soit pour les intimider. Le peschwah faisait, en outre, grand nombre d’objections aux instances réitérées d’Elphinstone, qui ne cessait de demander qu’on s’assurât immédiatement de la personne de Trimbukjee. Il était contraire, disait-il, même aux lois anglaises d’emprisonner un accusé avant le jugement ; aucune preuve, ajoutait-il, n’établissait d’une manière certaine que les assassins fussent au service de Trimbukjee, encore moins qu’ils eussent agi par ses ordres. Il offrit plus tard d’éloigner Trimbukjee pendant l’instruction du procès et de lui enlever son emploi. Elphinstone repoussa tous ces arguments, n’accepta aucune de ces offres.

Les choses en étaient là, lorsqu’arrivèrent les instructions du gouverneur-général ; Elphinstone s’était, en effet, hâté de le consulter sur ce qui se passait. Lord Hastings considérait comme absolument indispensable la mise en jugement de Trimbukjee ; mais il autorisait le résident à répondre dans ce cas de la vie, du coupable au peschwah, à l’assurer qu’une prison perpétuelle serait la peine la plus forte qui pourrait l’atteindre. Si le peschwah refusait de livrer son favori au jugement ; s’il tentait d’empêcher la procédure ou d’annuler le jugement. Elphinstone devrait alors considérer celui-ci comme complice et responsable du meurtre commis. Il devrait interrompre aussitôt toute communication avec ce dernier, prendre toutes les mesures nécessaires pour l’empêcher de quitter sa capitale ; il devait s’assurer, même au besoin, de sa personne. Le gouverneur-général envoyait au peschwah par le même courrier, copie de ses instructions au résident. Ainsi assuré de l’appui du gouverneur-général, ce dernier délivra, le 4 septembre, une nouvelle note au peschwah en même temps que la lettre du gouverneur-général ; il terminait en demandant la remise de Trimbukjee au gouvernement britannique. Or, jusque là il s’était contenté de demander sa mise aux arrêts par le peschwah lui-même ; mais cette nouvelle exigence lui parut être devenue tout-à-fait nécessaire. La cour se montra, en effet, disposée à rendre toute autre enquête superflue, toute autre procédure inutile. Jusqu’à la remise de cette seconde note, le peschwah semblait flotter au hasard dans une mer d’incertitudes ; il n’osait ni rompre avec le gouvernement anglais ni abandonner ouvertement son favori. Cette note lui ouvrit enfin les yeux sur le danger personnel auquel il se trouvait immédiatement exposé. Mais ses craintes et son embarras redoublèrent bientôt. Elphinstone lui fit dire que, si Trimbukjee n’était pas saisi dans le cours de la journée du lendemain, il considérait cette conduite comme un refus définitif de sa part d’obtempérer aux demandes du gouvernement britannique.

Le peschwah, après avoir passé la nuit en délibération avec ses principaux affidés, essaya d’un nouveau subterfuge ; il fit arrêter Trimbukjee dès le lendemain, puis le fit emprisonner dans un fort sous sa garde il se flattait qu’Elphinstone se contenterait de cette réparation ; il n’en fut rien. Ce dernier exigea que le prisonnier fût livré aux mains des Anglais. Des levées de chevaux et d’hommes s’effectuaient alors dans toutes les provinces. Le peschwah avait, dit-on, le projet, et paraît l’avoir eu en effet, de s’enfuir au fort de Wye, et là de lever l’étendard de l’empire mahratte. Elphinstone résolut de n’attendre pas plus long-temps pour faire venir les troupes auxiliaires de Seroor. Il en donna avis au peschwah. Ce dernier fit faire de nouvelles remontrances ; Elphinstone renouvela ses demandes, et les accompagna des protestations les plus propres à les faire accepter. Cette reddition, peut-être encore quelque dédommagement en faveur de la famille de Shastree, seraient les seules choses exigées ; le gouvernement britannique ne demanderait rien au-delà d’un mot, d’un seul mot, le peschwah pourrait donc, concluait Elphinstone, remettre toutes choses sur l’ancien pied ; s’il s’y refusait, au contraire, s’il tentait de quitter Poonah, toute conciliation en viendrait impossible. Le peschwah se laissa enfin persuader. Trimbukjee, tiré de sa prison, fut remis aux mains du résident anglais et aussitôt envoyé par ce dernier au fort de Ranna, sous la garde d’un bataillon d’infanterie légère et d’un régiment de cavalerie. La crise qui fut un moment sur le point de devenir fort dangereuse, se trouva ainsi définitivement terminée ; on peut la considérer comme un événement fort heureux pour les intérêts britanniques. L’inconduite de Trimbukjee, l’ignorance qu’il affectait de la situation politique où se trouvait le peschwah, avaient déjà donné lieu à plusieurs infractions aux traités existants. Le gouvernement anglais se serait presque infailliblement trouvé plus tard dans la nécessité de solliciter son éloignement de la cour ; mais, pour l’obtenir, les circonstances n’auraient jamais été aussi favorables que celles qui viennent d’être racontées.

La mort de Shastree excita une sensation extraordinaire dans tout le Guzarate. Futty-Singh et ses partisans, tout en regrettant sa mort, se laissèrent pourtant aller assez vite à l’espérance d’en tirer bon parti ; ils se flattèrent que son sang paierait leurs dettes à Poonah. Le parti opposé, celui de Seeta-Ram, se flattait également d’en profiter ; il ne doutait pas d’effectuer facilement, à l’aide du peschwah, une révolution complète dans le gouvernement de Brodera. L’arrangement à l’amiable survenu à Poonah éteignit à la fois ces espérances ou ces prétentions contraires. La question de la compensation à donner à Guickwar pour le meurtre de son ambassadeur ne tarda pas à se présenter. D’abord le peschwah n’en voulut pas entendre parler ; avoir livré l’accusé, c’était prouver, selon lui, sa non-participation au crime ; on ne pouvait donc exiger autre chose. Sur les instances du résident il accorda cependant certains dédommagements à la famille de Shastree, mais sans paraître y avoir été contraint, comme mû par un sentiment de générosité personnelle. Peu à peu la négociation pour l’arrangement des affaires de Poonah et de Guickwar fut renouée au point où elle avait été rompue, comme si le meurtre n’eût pas eu lieu : le peschwah y donnait d’ailleurs peu d’attention. Dès lors il s’occupait en effet des moyens de réunir en une vaste confédération les princes mahrattes contre le gouvernement britannique. Dans le courant des négociations ayant trait à Trimbukjee, Elphinstone avait déjà pu entrevoir la trace de ce dessein. Il en fit quelques observations au peschwah qui se récria fortement, car le jour n’était pas encore venu pour lui de se déclarer ouvertement.

L’époque où tout cela se passait était précisément celle des troubles et des discussions de l’État de Holkar : aussi cette principauté se tint-elle en dehors de ce mouvement. Deux autres événements eurent encore lieu dans ce temps, tous deux également favorables aux intérêts britanniques : la mort de Visir-Mahomet à Bhopal, qui, comme nous l’avons dit, s’était montré opposé à la conclusion de l’alliance avec les Anglais ; l’autre, celle du rajah de Nagpoor. Le successeur de celui-ci, nommé Raghoojee, se trouvait de toutes façons au-dessous de cette situation. D’un caractère léger, dénué de talent, impatient de toute contrainte, incapable d’application, il était en outre privé de la vue et de l’usage d’un bras. Par suite de cette faiblesse d’esprit, ou de ces infirmités physiques, il donna au bout de peu de temps de nombreuses preuves de démence ; il semblait le plus souvent étranger à ce qui l’entourait, à ce qui se passait autour de lui. Pendant la cérémonie des funérailles de son père, il ne cessa de se plaindre de leur longueur ; il accusa publiquement les brahmes de vouloir attenter à sa vie en le retenant de la sorte. Quelques gouttes d’eau bouillante lui étant tombées sur le corps, il accusa sérieusement l’auteur de l’accident d’avoir voulu l’assassiner. La nécessité d’une régence fut dès lors universellement sentie à Nagpoor. L’héritier du trône se trouvait être Apa-Saheb, fils d’un frère de Raghoojee-Bhousla. D’un âge mûr, d’un caractère modéré, il jouissait de la considération générale ; il se présentait naturellement comme la personne à qui les fonctions de régent devaient revenir. Dans les derniers temps la bonne intelligence n’avait pas toujours existé entre lui et son oncle ; à son lit de mort cependant Raghoojee, comprenant l’incapacité de son fils témoigna le désir de lui confier la régence ; mais les ministres, qui avaient été les instruments, sinon les auteurs des divisions existant entre le rajah mourant et son neveu, n’étaient pas disposés à voir celui-ci prendre ainsi immédiatement possession du pouvoir. Il se forma un fort parti contre ses prétentions à la régence. Le chef de ce parti était Dhermajee-Bhoosla long-temps le favori du rajah décédé, qui jouissait d’une grande popularité parmi les Arabes mercenaires, qui avaient de nombreux partisans à la cour. Les principaux officiers du dernier rajah se joignirent à lui, et tous formèrent le projet d’élever à la régence Bulka-Behe, la femme favorite du dernier rajah.

Leur première démarche fut de vouloir empêcher Apa-Saheb de conduire le deuil du nabob décédé. Celui-ci protesta qu’il aurait plutôt recours à la force que de souffrir cet outrage. Dhermajee, n’étant point préparé à en venir aux extrémités, fut obligé de céder. Apa-Saheb remplit aux funérailles les fonctions auxquelles sa naissance lui donnait droit. Les deux partis opposés prétendaient d’ailleurs également à l’appui des Anglais. Apa-Saheb, le premier fit faire des ouvertures directes au résident, M. Jenkins ; il proposa d’accepter les conditions jadis offertes par le gouvernement britannique à Raghoojee, c’est-à-dire de prendre à son service et de payer un corps de troupes auxiliaires ; il demandait en échange l’appui du gouvernement anglais contre ses ennemis. Le résident n’osa pas d’abord se mêler à toutes ces intrigues ; en revanche il ne perdit pas de temps pour instruire de ce qui se passait le gouverneur-général, dont il sollicita les instructions. L’occasion était belle pour établir à jamais l’influence anglaise à Nagpoor. Les deux partis qui se disputaient le pouvoir la recherchaient également, tandis que le rajah demeurait lui-même parfaitement désintéressé dans la question. On ne pouvait hésiter ; au défaut des Anglais, Scindiah ou le peschwah n’eussent pas manqué d’exploiter la circonstance à leur profit. Prenant donc son parti, le résident accepta la proposition d’Apa-Saheb, et se fit le champion de la cause de celui-ci, qui à vrai dire avait le droit de son côté, puisqu’il était héritier du rajah. Le gouvernement mit en avant ce principe, qu’une maladie du rajah le mettant hors d’état d’administrer par lui-même les affaires de l’État, le résident se trouvait autorisé à traiter avec l’héritier présomptif. Les seules instructions du résident consistaient à n’agir qu’avec grande circonspection, de l’assurer si les droits d’Apa-Saheb étaient bien réellement reconnus par la loi mahratte. Les troupes auxiliaires cantonnées d’Hyderabad, alors à Ellichpoor, furent mises à la disposition de Jenkins.

Les termes de l’alliance étaient les mêmes que ceux déjà proposés au précédent rajah. L’État de Nagpoor entrait dans la ligue déjà existante entre le gouvernement britannique, le Nizam et le peschwah, ligue ayant pour objet la défense du Deccan. Il s’engageait à recevoir une force auxiliaire britannique, et à tenir un contingent toujours prêt à agir en coopération avec cette force. La force auxiliaire britannique était fixée à quatre bataillons d’infanterie, un régiment de cavalerie et de l’artillerie en proportion ; elle devait être cantonnée dans le voisinage de la Nerbudda ; le rajah s’engageait à supporter une partie de la dépense. La cour de Nagpoor s’engageait en outre à ne jamais entamer de négociations d’aucune sorte, à moins que ce ne fut de concert avec le gouvernement anglais, à s’en remettre à son arbitrage, dans ses contestations avec les autres pouvoirs. Au reste, c’étaient là les conditions ordinaires de toutes alliances des Anglais avec les pouvoirs indigènes. Celle-ci différait cependant des autres par un point ; c’est qu’au lieu de se faire livrer, comme de coutume, une certaine portion de territoire, pour subvenir à l’entretien des troupes le gouverneur demandait que le subside fût payé en argent tous les mois. Le corps auxiliaire devait entrer immédiatement en campagne contre les Pindarries. C’était donc chose sage que de ne pas lui donner en outre le soin de défendre le territoire qui eût été concédé, d’après l’usage ordinaire.

Assuré de l’appui du gouvernement anglais, Apa-Saheb ne tarda point à prendre un parti. Le moment lui sembla favorable pour s’emparer des affaires et s’assurer de la personne de ses adversaires ; il n’hésita pas. Un détachement de ses partisans s’introduisit dans le fort de Nagpoor ; Dhermajee fut capturée sans aucune difficulté, ses richesses particulières et le trésor public tombèrent en même temps dans les mains de son rival. C’était le 11 avril 1816. Le rajah montra plus de décision dans cette occasion qu’on n’en aurait attendu de lui : il se prononça avec énergie en faveur de son cousin. Trois jours après eut lieu l’intronisation de ce dernier. Le même jour, Apa-Saheb fut solennellement investi par lui de l’administration des affaires, sous le titre de Naëb-o-Mokhtar, c’est-à-dire député avec pleins pouvoirs. Malgré cette investiture légale, il n’en demeurait pas moins entouré de nombreuses difficultés ; la plus grande partie des emplois publics étaient encore remplis par des officiers du rajah précédent, dont le plus grand nombre se trouvait ses adversaires, ce qui acheva de le mettre dans la dépendance des Anglais. Il voulait les éloigner des places importantes et les remplacer par ses partisans. Bientôt il fit faire des ouvertures au résident anglais. Apa-Saheb déjà héritier présomptif, avait été appelé à la régence par la nomination du rajah, il était ainsi vraiment reconnu le chef de l’État ; le résident entra dès lors sans hésiter en conférence avec un de ses agents confidentiels ; quelques autres entrevues suivirent. La convention fut conclue dans les termes précis de la minute envoyée par le gouverneur-général ; seulement, sur la demande d’Apa-Saheb, la force auxiliaire fut portée à six bataillons au lieu de quatre auxquels elle avait été primitivement fixée ; son propre contingent demeura fixé à 3,000 chevaux et 2,000 hommes d’infanterie. Outre ces conditions, en quelque sorte générales, le gouverneur promettait son appui à ce dernier tant que le rajah continuerait de se trouver dans le même état d’incapacité. Apa-Saheb vit ainsi son autorité définitivement reconnue et assurée. Le négociateur, traitant en son nom, insista pour obtenir la condition qu’il ne serait tué ni bœufs ni vaches dans l’intérieur du territoire de Nagpoor ; on refusa de l’insérer dans le traité, comme contraire à l’usage ; l’assurance fut seulement donnée par les Anglais de n’abattre aucun de ces animaux dans la cité, mais seulement à une certaine distance. Apa-Saheb apposa sa signature sur le traité, la nuit du jour où il fut conclu ; on ne voulait pas lui donner de publicité avant l’arrivée de la force auxiliaire. C’était l’acte le plus important, par rapport aux relations des Anglais avec les pouvoirs indigènes, qui eût eu lieu depuis une dizaine d’années, c’est-à-dire depuis l’époque où ces relations avaient été définitivement réglées. L’État de Nagpoor se trouvait détaché à jamais de la confédération mahratte en même temps l’acquisition était faite d’un territoire important pouvant servir de point de départ à des opérations contre les Pindarries. Un exprès se rendit immédiatement au corps auxiliaire pour lui donner l’ordre de se mettre en marche. Le colonel Doveton, qui le commandait, était au courant de la négociation : aussi un détachement, de la force stipulée par le traité, se trouvait-il tout prêt à agir ; sous les ordres du capitaine Walker, ce détachement quitta les environs d’Ellichpoor le 1er juin, et arriva le 8 aux environs de Nagpoor. Le corps principal fit halte en ce lieu. Deux bataillons, sous le commandement du lieutenant-colonel Scott, entrèrent le surlendemain dans Negpoor. Le traité y avait été publié la veille. Le 18, un cantonnement fut fixé dans les environs pour la brigade qui devait y séjourner. Bientôt de nouvelles agitations survinrent : les uns se prononçaient contre la conclusion du traité ; d’autres, beaucoup plus nombreux, sans rien objecter au traité en lui-même, se plaignaient seulement du mystère qui leur en avait été fait. Ceux-ci accusaient le régent de dissimulation, de perfidie. La violence de ces reproches et de ces inimitiés fut poussée à l’extrême. Craignant le poignard d’un assassin et n’osant pourtant pas s’entourer d’une garde anglaise, Apa-Sabeb prit le parti de s’éloigner de Nagpoor. Il se réfugia à une maison de campagne toute voisine du cantonnement de la brigade, seul endroit où il se crût en sûreté.

L’alliance avec Nagpoor n’était pas, au reste, le seul objet qui provoquât la sollicitude de lord Hastings. À l’époque de la guerre avec le Népaul, il s’était déjà occupé d’une alliance avec Jeypoor ; il s’en occupa davantage lorsque cette guerre eut été terminée. Des négociations, commencées avec cet État de 1803 à 1806, étaient demeurées suspendues depuis ce temps ; mais l’occasion devenait tout-à-coup plus favorable que jamais pour les reprendre. Dans le mois de septembre 1815, Ameer-Khan rassemblait en effet toutes ses forces, et tout annonçait sa résolution d’attaquer le rajah de Jeypoor dans sa capitale. Or, deux motifs entre autres devaient rendre une alliance avec cet État avantageuse aux Anglais ; elle ajoutait à leurs forces dans le cas d’un conflit avec les Pindarries, conflit que chaque jour rendait de plus en plus imminent ; elle enlevait à ceux-ci tout espoir de secours de la part de cette principauté. Deux corps d’armée de 9,000 hommes chacun furent assemblés dans le but de soutenir les négociations dans le voisinage de Mutra et de Rawaree, tous deux à la disposition du résident anglais à Delhi. Le territoire de Jeypoor, tout entier au nord et à l’ouest de la Chumbul, ne se trouvait pas au nombre de ces États, qu’aux termes de leurs traités avec Holkar et Scindiah, les Anglais s’étaient engagés à respecter. Les négociations commencèrent ; mais il devint bientôt évident que les négociateurs de Jeypoor, bien que convaincus de la nécessité d’avoir recours à la protection anglaise, n’étaient nullement jaloux d’amener les choses à une prompte issue. On en sut bientôt le motif. Ameer-Khan, qui déjà menaçait le territoire de Jeypoor au commencement des négociations, en assiégeait la capitale, pendant leur durée. Les envoyés de Jeypoor négocièrent avec lui en même temps qu’avec le résident anglais, et ils réussirent plutôt de ce côté ; sur la promesse d’un paiement stipulé pour le rachat de la ville et de la principauté, qu’il consentait à épargner, Ameer-Khan se retira.

Les négociateurs de Jeypoor montrèrent alors de nouvelles prétentions. Les places de Tuck et de Rampore, prises sur Holkar dans la guerre de 1805, appartenaient alors à Ameer-Khan ; mais elles avaient jadis fait partie de la principauté de Jeypoor, et les négociateurs de celle-ci demandèrent qu’elles y fussent annexées de nouveau. Cette prétention tout-à-fait inattendue suspendit pendant quelque temps toute négociation. En général, les princes de l’Inde ne se soumettaient qu’à contre-cœur et pressés par la nécessité à ces alliances avec les Anglais ; la perte de leur indépendance en était, au fait, le résultat presque immanquable. La constitution intérieure de Jeypoor ajoutait encore à ces difficultés ordinaires. Cet État se trouvait divisé en petits fiefs, aussi indépendants du rajah que pouvaient l’être au moyen-âge nos grands vassaux de la couronne. L’alliance anglaise, en prêtant des forces au pouvoir central, devait tendre à substituer à cet état de choses un système plus régulier, mais où se serait perdue l’indépendance de ces petits États. Or cette aristocratie, qui de fait possédait le pouvoir, en ce moment même enorgueillie de succès récents, devait se montrer moins que jamais disposée à se soumettre. Les négociations, au bout d’un certain temps, furent cependant reprises ; mais de nouvelles difficultés s’élevèrent cette fois à propos de la quotité du subside en argent. Il ne tarda pas à devenir évident que la cour de Jeypoor n’avait pas pour objet de conclure, mais seulement de tenir des négociations ouvertes.

Pendant ce temps, la fortune était devenue plus favorable à Apa-Saheb. Saisissant une occasion heureuse, il sortit de l’asile où nous l’avons vu se réfugier, rentra en ville et parvint à se saisir de quelques uns de ses plus dangereux adversaires. À compter de ce moment, son autorité cessa d’être contestée. Jaloux toutefois de l’affermir davantage encore, il exprima le désir d’avoir à son service un bataillon discipliné et commandé par des officiers anglais, sur le modèle des troupes du nizam ; le gouverneur-général acquiesça volontiers à cette demande, et nomma les officiers de ce bataillon. Scindiah n’avait fait aucun effort pour tourner à son profit les dissensions de la cour de Nagpoor ; ce chef ne se mêla pas davantage des affaires de Bhopal. Le jeune nabob retint les conseillers de son père, continua de faire tête aux Pindarries et entretint en même temps des relations avec les agents anglais. Il paraissait désireux de devenir ou du moins de paraître un des feudataires de la puissance anglaise. De son côté, Scindiah ne tentait rien non plus contre les Pindarries. Ses meilleures troupes se trouvaient alors employées sous le colonel Baptiste au siège du fort de Raghoogur, appartenant à Rajab-Jysingh ; après la prise de la place, le rajah, par une suite d’escarmouches, continua à occuper et à tenir en alerte ces mêmes troupes. Les négociations des Anglais avec Jeypoor parurent cependant réveiller Scindiah. Il offrit au rajah des secours contre les Pindarries, ce qui était se mettre en concurrence avec les Anglais ; mais le rajah eut l’art de l’amuser ainsi que ceux-ci, sans en venir à aucune conclusion. À Poonah les choses continuaient sur le même pied ; toute la conduite du peschwah était une alternative de concessions et de réclamations, de soumission et de tentatives d’indépendance. Il passait sans cesse de l’une à l’autre de ces dispositions avec une mobilité de nature à déjouer la plus habile pénétration. À la vérité plusieurs intrigues se poursuivaient activement cette époque dans l’Indostan et dans le Guzerate. Il s’y formait une vaste coalition contre les Anglais, à laquelle les Mahrattes étaient fréquemment invités à se joindre. Le résident britannique, à la recherche de toutes ces menées, parvenait de temps à autre à en saisir la trame ; elle lui échappait le plus souvent. Le 12 septembre, à la surprise générale, Trimbukjee s’échappa de sa prison tout étroitement gardé qu’il fût ; d’actives recherches furent faites pour le découvrir, mais sans succès. Il était parvenu à pratiquer un trou dans les lieux d’aisances ; où ses gardiens avaient l’habitude de le voir entrer sans la moindre défiance.

En octobre 1816, le lieutenant-colonel Walker se mit en mouvement à la tête du corps auxiliaire de Nagpoor ; il vint prendre position sur la rive méridionale de la Nerbudda. Le 25 de ce mois, il avait achevé sa ligne de défense. Malgré tout l’avantage d’un terrain favorable ce corps, qui ne consistait qu’en cinq bataillons d’infanterie et un régiment de cavalerie, ne pouvait être en mesure de défendre une frontière fort étendue ; le contingent fourni par le rajah n’était pas encore en état de fournir le moindre secours. Toutefois la seule apparition d’une armée anglaise dans les vallées de la Nerbudda répandit la consternation parmi les Pindarries. Chettoo, qui occupait un cantonnement un peu plus bas sur la rive septentrionale de la rivière, fit ses dispositions pour battre en retraite sur Malwa ; il abandonna des préparatifs d’invasion déjà commencés. Les différents durrahs s’enhardirent bientôt cependant par l’inaction des troupes anglaises ; ils en vinrent à la résolution de pousser de petits partis entre les postes du colonel Walker et sur ses flancs. Le 4 novembre, un de ces détachements passa la rivière près de Hindia, puis se partagea en deux divisions ; l’une se dirigea sur Boorampoor, l’autre sur Tamboornee. Le colonel Walker se mit immédiatement en mouvement avec un petit corps, dans le but d’intercepter ces routes. Le premier de ces détachements lui échappa ; en revanche, il réussit à atteindre le second pendant qu’il bivouaquait dans un jungle, lui fit éprouver une perte considérable, et repassa précipitamment la rivière. Plusieurs tentatives du même genre se succédèrent mais alors les Pindarries mirent à exécution un plan qu’ils avaient long-temps médité. Le durrah de Chettoo continua à demeurer en force à l’ouest ; pendant ce temps de nombreux corps détachés se mirent en mouvement vers l’est. Cinq mille et quelques cents chevaux passèrent la rivière en vue des postes d’infanterie, à l’extrême droite du colonel Walker. De cette façon le passage fut effectué en nombre suffisant pour former deux lubhurs ; c’est le nom donné par les Pindarries aux détachements qu’ils chargent d’expéditions de ce genre. L’une de ces expéditions se dirigea à l’est, et pénétra au nord de Neypoor ; celle-la fut promptement repoussée. L’autre s’avança jusqu’à vingt milles de Nagpoor avec impunité ; mais, parvenu là, fut attaqué toutefois dans la matinée du 15 janvier. Les Pindaries se trouvaient dans une sécurité si complète que les troupes anglaises avaient déjà pénétré au centre de leur camp avant qu’ils se fussent doutés de rien. Leur dispersion fut complète. Un autre détachement, celui-là même qui avait tourné la position du colonel Walker, prit la route de Boorhanpoor ; il menaça la frontière du peschwah. Un détachement anglais, sous les ordres du major Lusinghon, le surprit et le dispersa. Un dernier détachement, composé presque entièrement d’hommes du durrah de Wasil-Mahomet, s’était dirigé sur Gaujoor ; il avait passé la frontière dans le milieu de décembre, puis pris la route de Kimmedy. Dans ce lieu se trouvait un petit poste anglais, commandé par un lieutenant, qui, ne se croyant pas en force pour résister, fit un mouvement rétrograde. Par cette apparence de succès les Pindarries attaquèrent la ville et parvinrent à en piller à en brûler une partie ; d’ailleurs, surpris le lendemain, ils se virent obligés de battre promptement en retraite. Ce fut la fin de leurs expéditions de cette saison (1816-17).

L’année suivante, les dévastations des Pindarries s’étendirent sur un territoire plus vaste que jamais. Ils parcoururent la Péninsule d’un rivage à l’autre. Sir Thomas Hislop dans un rapport au gouverneur général, faisait monter, leurs forces à 23,000 chevaux. Le gouvernement anglais avait dû augmenter considérablement l’effectif de ses troupes pour leur tenir tête ; les forces mises sur pied par la seule présidence de Madras eussent suffi aux entreprises les plus considérables, et toutefois demeuraient à peu près sans utilité dans le système de défense suivi jusque là. La facilité avec laquelle les Pindarries traversèrent l’année précédente les lignes du colonel Walker en avait fourni la preuve évidente. Toutes ces considérations modifièrent la résolution d’abord prise par le gouverneur-général ; il s’était proposé, en premier lieu, d’attendre des instructions de Londres sur la conduite à tenir dans ces circonstances difficiles il résolut alors à prendre d’énergiques et promptes mesures contre les Pindarries. Vers la fin de janvier 1816, il donna communication à ses subordonnés de sa ferme résolution d’entrer en campagne de sa personne ; il voulait, disait-il, ne rien épargner pour parvenir à l’extermination des Pindarries, et il atteindrait ce but en dépit de tous les obstacles, malgré tous les ennemis avérés ou cachés des Anglais. Les dispositions de Scindiah étaient encore douteuses ; on ne pouvait prévoir s’il céderait aux sollicitations des Anglais ou aux menaces des différents durrahs. L’opposition d’Ameer-Khan, ou au moins de ses Afghans mercenaires, était prévue d’avance. On s’attendait aussi à une opposition au moins secrète de la part du peschwah ; mais les troupes du nizam et celle de Nagpoor, ajoutées aux troupes anglaises, laissaient néanmoins peu de chances de craindre un échec. La résolution du marquis de Hastings n’en était pas moins éminemment hardie sous d’autres rapports. Il prenait ces grandes mesures qui devaient embrasser l’Inde entière sous sa propre responsabilité ; il ignorait absolument ce qu’en penseraient les autorités anglaises.

Nagpoor et Poonah devenaient pendant ce temps le théâtre d’événements importants. Apa-Saheb était d’un esprit inquiet, remuant ; il aimait l’intrigue et le changement ; il montra bientôt de la prédilection pour les conseils et les conseillers qui se trouvèrent d’accord avec ces dispositions. Au lieu de donner son attention à la réforme de son administration intérieure, ce dont le pressaient les hommes modérés qui l’approchaient, il se mit a faire des projets pour la concentration de tous les pouvoirs dans ses propres mains ou dans celles de ses adhérents. Nagoo-Punt, un des chefs de Nagpoor, était de ces derniers ; à la tête d’un parti opposé à la mise en pratique de ce système politique se trouvait Nuragum-Pundit. Ce dernier fut bientôt soupçonné d’avoir pour les Anglais plus d’attachement qu’il ne convenait à Apa-Saheb. Cependant, tant que Pursajee vivait, le régent se sentait dans la dépendance ; il n’osait pas s’aventurer à rompre définitivement avec Nuragum ou ceux de cette opinion, car celui-ci jouissait, dit-on, de toute la confiance du gouvernement britannique. Il n’en désirait que plus ardemment de s’en débarrasser. Il voulait également se débarrasser d’un certain Suddeek-Ali-Khan dont il craignait l’opposition à ses volontés : c’est par celui-ci qu’il commença l’exécution de ses projets. Ce Suddeek-Ali était préposé à la solde, à l’entretien, au recrutement des corps auxiliaires, qu’aux termes des derniers arrangements Nagpoor s’était engagé à fournir au gouvernement britannique. Ce corps auxiliaire, en partie, par son incapacité, se trouvait fort au-dessous de l’effectif fixé. Apa-Saheb ne douta pas que, dans le mécontentement qu’en devait éprouver le résident anglais, celui-ci ne lui prêtât avec empressement son appui contre le coupable. Tout en se débarrassant de cette façon d’un homme qu’il considérait comme son ennemi, il se flattait de jeter sur les Anglais tout l’odieux de sa mort. En exécution de ce plan, quittant Nagpoor, en janvier 1817, il se rendit à la forteresse de Chanda, située à environ soixante-dix milles au midi de la capitale. Immédiatement après ce départ, Nagoo-Punt se rendit chez le résident anglais, et l’engagea à s’emparer de Suddeek-Ali-Khan au moyen des troupes auxiliaires. À l’entendre, le départ d’Apa-Saheb avait eu précisément pour but de favoriser cette arrestation et il montrait un écrit de la main du régent, confirmant jusqu’à un certain point ce qu’il venait de dire. Le résident hésita long-temps à donner son intervention directe dans ces affaires d’intérieur. Les confidents d’Apa-Saheb redoublèrent leurs sollicitations. De son côté Suddeek-Ali-Khan, informé de ce qui se tramait contre lui, commença à fortifier sa maison, à faire différents préparatifs de défense ; choses dénoncées par ses ennemis comme preuves de ses desseins hostiles. Après mûres réflexions, le résident se résolut néanmoins à ne pas faire une démarche de cette importance sans une réquisition du régent lui-même. Il répondit donc aux ministres d’exécuter cette arrestation avec leurs propres gens, les assurant de son appui s’il devenait nécessaire, mais voulant qu’avant tout ils prissent ostensiblement la responsabilité de cet événement. Nagoo-Punt n’était point préparé à cette réponse ; il savait bien que, tout en désirant la ruine de Suddeek-Ali-Khan, le régent ne voulait pas en prendre sur lui la responsabilité apparente ; il cessa donc ses sollicitations, et se rendit auprès de son maître à Chanda. Suddeek-Ali-Khan demeura sans avoir souffert d’autres dommages pour le moment.

Le rajah Pursajee semblait jouir d’une bonne santé ; on ne l’avait entendu se plaindre d’aucune maladie, même d’aucune indisposition passagère tout-à-coup il fut trouvé mort dans son lit le 1er février. Le bruit se répandit que cette mort avait été amenée par des moyens violents. Le résident fit quelques recherches à ce sujet, elles ne le menèrent à aucune découverte ; il en conclut que ce bruit était de ceux qui ne manquent jamais de courir dans l’Inde, et même ailleurs, à la mort de tout grand personnage ; il n’y donna pas plus d’attention. Mais plus tard le libre accès de l’appartement ayant été permis aux serviteurs et aux femmes de l’intérieur, ceux-ci constatèrent que Pursajee avait dû périr par strangulation sur les deux heures après minuit ; il parut de plus qu’une tentative avait été faite un peu auparavant pour l’empoisonner avec des feuilles de bétel préparées pour cet objet : Pursajee les avait rejetées, les trouvant trop amères. Un domestique de l’intérieur, Mun-Bhut, qui fit plus tard une grande fortune, était l’auteur ou l’instrument du crime. Le rajah, à l’époque de sa mort, était âgé de trente-neuf ans. Son corps fut brûlé le 10 février ; l’une de ses femmes l’accompagna sur le bûcher où elle périt en le tenant embrassé. Apa-Saheb succéda immédiatement, sous le nom de Moodajee-Boosla. Habile dans la pratique des ruses politiques, le nouveau rajah s’empressa non seulement de rassurer sur sa propre sûreté Suddeek-Ali-Kan, il le reçut même avec des égards et la faveur la plus marquée. En revanche il ne témoigna qu’éloignement et froideur à Nagoo-Punt, ce zélé serviteur dont nous venons de parler. Le temps montra que les dispositions du rajah à l’égard du premier n’étaient point changées : seulement il sentait le besoin de le ménager. Quant à Nurayum, contre lequel il se croyait aussi quelques griefs, il n’avait aucun intérêt à dissimuler ses nouvelles dispositions. En conséquence il cessa immédiatement d’en faire l’intermédiaire de ses communications avec le résident anglais, pour remettre cet emploi aux mains d’un nommé Purseram-Rae, des dispositions intrigantes duquel lui-même s’était plaint autrefois au résident. Ce dernier fit des objections à ce choix ; le rajah y cédant à demi ; mais, ne voulant pas revenir à Nurayum, confia cet emploi à Ramchundur-Wagh. Le rajah ouvrait ostensiblement à la même époque des négociations avec les agents du peschwah, de Scindiah et de Holkar. Certaines circonstances, dont nous allons parler dans un moment, placèrent alors le peschwah sur un pied d’hostilité déclarée avec le gouvernement anglais ; toutefois les conférences n’en devinrent que plus fréquentes entre le rajah et le wackel de Holkar, et le sujet de ces conférences, en dépit du traité, fut soigneusement caché au résident anglais. Les motifs de la conduite d’Apa-Saheb se laissaient d’ailleurs facilement deviner. En pleine et assurée possession des honneurs et de l’autorité de rajah, l’alliance lui devenait inutile ; il commença dès lors à en sentir les inconvénients et le côté honteux. Il était humilié de se montrer aux yeux des Mahrattes comme le premier de sa dynastie qui eût fait volontairement le sacrifice de son indépendance politique. D’un autre côté, si cette alliance ne l’avait encore gêné d’aucune façon, quant à ses arrangements d’administration intérieure, il ne laissait pas que de pressentir qu’elle ne pouvait manquer d’avoir un jour ce résultat. Sous l’empire de ces appréhensions, il prêtait volontiers l’oreille aux suggestions des autres princes mahrattes qui le pressaient à l’envi de s’unir à eux contre l’influence anglaise. La situation personnelle du rajah devait en outre le pousser fortement à ce parti : après avoir vécu dans la plus étroite dépendance des Anglais, pendant toute la durée de sa carrière politique, il ne pouvait manquer d’éprouver une vive satisfaction d’amour-propre à voir son alliance recherchée avec empressement par les princes ses voisins ; à la voir considérée par eux comme nécessaire au succès de la coalition. Il se laissa donc aller peu à peu aux suggestions de Bajee-Row. Au moment même où menaçait d’éclater la rupture définitive de ce dernier avec les Anglais, les assurances les plus formelles de secours mutuels, de garantie réciproque étaient échangées entre les cours de Nagpoor et du peschwah.

Nous avons déjà raconté l’évasion de Trimbuckjee de sa prison. Sa retraite demeura long-temps cachée. Dans les premiers moments qui le suivirent, cet événement ne sembla pas avoir altéré les relations amicales du peschwah et du gouvernement anglais ; le peschwah témoigna, au contraire, le désir de s’unir aux Anglais dans les opérations que ceux-ci devaient diriger contre les Pindarries dans la prochaine saison. Il témoigna aussi l’envie de rabattre beaucoup de ses prétentions par rapport au Guickwar. Au reste, ces démonstrations, dont les événements montrèrent la fausseté, n’étaient probablement pas le résultat d’un système de dissimulation bien arrêté ; c’était plutôt un reste d’habitude et de déférence pour les Anglais. Pendant ce temps, le complot dont il avait ourdi les fils n’en touchait pas moins au dénouement. Dès le mois de janvier et de février 1817, le résident anglais entendit parler de mouvement, d’agitation populaire au midi de la Nicza, à cinquante milles au sud-est de Poonah. Il en parla au peschwah, qui envoya tout aussitôt des troupes pour étouffer l’insurrection, protestant du reste de son ignorance absolue de ce qui se passait. Le détachement revint sans avoir rencontré aucun homme armé, quoiqu’il eût campé dans le voisinage du temple de Mohadeo, qu’on disait, au centre de ce mouvement. On apprit toutefois, peu après, la présence de Trimbukjee dans cette partie du pays ; on sut de plus qu’il y faisait de nombreuses levées de troupes. Le peschwah et ses ministres continuaient à nier formellement l’existence de toute insurrection ; ils affirmaient qu’aucune troupe armée n’avait paru dans le voisinage de Mohadeo. Incertain lui-même du véritable caractère des événements, embarrassé des rapports contradictoires qui lui en étaient faits, le résident anglais ne savait que penser ; il inclinait même à considérer l’insurrection comme dirigée tout autant contre le peschwah que contre les Anglais. C’est sur cette supposition que portaient toutes ses communications au durbar. De nouveaux incidents ne tardèrent pas cependant à lui montrer les choses sous un point de vue tout différent. Il devint évident que l’auteur, ou du moins le véritable complice de l’insurrection, était le peschwah lui-même. Le mois de mars se passa en remontrances de la part d’Elphinstone, de celle du peschwah en protestations de fidélité à l’alliance anglaise, en offres multipliées d’envoyer ses troupes partout où celui-ci le jugerait convenable. Mais devenu plus exigeant de jour en jour, Elphinstone demandait d’autres preuves encore de la bonne foi du peschwah : l’arrestation des parents et des adhérents connus de Trimbukjee, la discontinuation des enrôlements pour l’armée, le licenciement des nouvelles levées, la cessation de réparation et d’approvisionnement des forteresses qui se faisaient dans toute l’étendue de la domination du peschwah, etc. Ces exigences, malgré leur nombre et leur dureté, ne rencontrèrent pourtant aucune répugnance dans le peschwah. Les parents de Trimbukjee furent arrêtés et emprisonnés par ses ordres, et les promesses les plus formelles faites sur tout le reste. Pendant ce temps, l’insurrection de Trimbukjee prenait de jour en jour plus de consistance dans le midi ; différents corps de troupes mahrattes arrivaient incessamment prendre position dans les environs de Poonah. Le résident se décida à avoir recours à la force auxiliaire, et à la tenir prête à agir soit contre l’insurrection, soit contre Poonah, dans le cas où les circonstances l’exigeraient.

Le 10 avril, le peschwah continuait encore ses préparatifs : de nombreux attelages de bœufs pour son artillerie étaient rassemblés ; ses bijoux, son argent, ses effets précieux avaient été envoyés dans la forteresse de Rygurh. Elphinstone prit la résolution de ne pas différer plus long-temps d’agir. Dans une note remise au peschwah, après avoir récapitulé les nombreux symptômes des dispositions hostiles de ce dernier à l’égard des Anglais, il lui notifiait son intention d’employer le corps auxiliaire à la protection des intérêts britanniques ; et cela, non seulement contre tout mouvement populaire, mais au besoin contre lui-même. La bonne intelligence jusque là subsistant entre les deux gouvernements, touchait, disait-il, à son terme. Un moyen, mais un seul moyen de la rétablir, ajoutait-il, existait encore : c’était de désarmer sur-le-champ, d’attendre la détermination du gouverneur-général lui promettant qu’aucun acte d’hostilité n’aurait lieu pendant ce temps de la part des Anglais, le cas seul excepté de son départ de Poonah qui serait regardé comme une déclaration de guerre. La brigade en garnison à Poonah se tint prête à entrer en campagne ; le reste du corps auxiliaire se mit en marche vers le midi pour opérer contre les insurgés. Le major Mac-Dowell, de retour d’une expédition contre les Pindarries, et qui se trouvait alors dans les environs de Bidur, reçut l’ordre de se joindre à ces dernières troupes ; un autre corps d’armée, sous les ordres du lieutenant-colonel Thompson fut rappelé pour le même objet de la présidence de Madras. À ta vue de tous ces préparatifs, Bajee-Row se montra grandement alarmé ; il envoya son ministre assurer le résident de ses bonnes disposions à faire tout ce qui dépendrait de lui pour remettre toutes choses sur l’ancien pied. Le mois se passa en vagues négociations. La cour mahratte montrait tantôt l’envie de se soumettre, tantôt celle de résister ; souvent elle prit la résolution de partir de Poonah, mais l’indécision et la timidité naturelle du caractère de Bajee-Row l’y retenaient comme enchaînée. L’incertitude où il se trouvait sur la nature et l’étendue des demandes qui lui seraient faites par les Anglais, des garanties que ceux-ci voudraient exiger pour l’avenir, lui faisait éprouver à lui-même les plus douloureuses anxiétés. Un rapport sur les derniers événements avait été envoyé depuis quelque temps au gouverneur-général ; sa réponse était journellement attendue, et jusqu’à son arrivée, Elphinstone ne pouvait plus prendre d’engagement en son propre nom. Au lieu de désarmer, le peschwah continuait d’ailleurs ses préparatifs avec la plus grande activité.

Pendant la durée de ces négociations, l’insurrection avait pris de plus en plus de consistance. Un parti de rebelles, composé de nouvelles levées, s’empara hardiment du village de Junta, dans le voisinage de troupes anglaises. Le colonel Smith, qui les commandait, bien que fort inférieur en nombre, n’hésita pas à les attaquer ; il les dispersa, fit leur chef prisonnier, et se mit à leur poursuite. Mais les atteindre n’était pas chose facile. Au fond du cœur les habitants faisaient des vœux pour les rebelles ; les Anglais ne pouvaient obtenir aucune information sur les lieux où ceux-ci se rassemblaient, sur leur nombre, sur les routes qu’ils suivaient, etc. À l’approche des troupes, ils s’étaient hâtés d’évacuer le pays avec l’intention de transporter le théâtre de la guerre dans le Kandeish. En se retirant, ils rencontrèrent un détachement commandé par un lieutenant d’artillerie qu’ils égorgèrent ; eux-mêmes furent ensuite attaqués par un corps de 4,000 chevaux, sous les ordres du colonel Smith : après une faible résistance, ils se retirèrent avec une perte de 50 à 60 hommes. Dans le Kandeish, un des parents de Trimbukjee, Godajee-Daniglia, se trouvait à la tête de l’insurrection et activement employé à lever des troupes. Le capitaine Sydenham, agent politique à Aurengabad, ayant appris les opérations de Godajee, détacha le capitaine Davies, à la tête de 600 chevaux de la cavalerie, et d’un petit détachement de l’infanterie du nizam. Les instructions de cet officier étaient d’attaquer sans plus ample information, de disperser immédiatement tout rassemblement de troupes mahrattes qu’il rencontrerait. L’occasion se présenta bientôt. Après s’être rapidement avancé jusqu’à cinquante milles dans le Kandeish, le capitaine Davies réussit à surprendre un corps de 2,000 insurgés, dont 300 environ étaient de l’infanterie arabe, commandés par Godajee lui-même. À la vue du détachement du capitaine Davies, ils prirent une bonne position, et parurent vouloir résister. Ce dernier n’avait en ce moment avec lui que de la cavalerie ; toutefois il se décida à charger sans attendre son infanterie. Le succès fut complet, les insurgés se dispersèrent, en laissant 400 des leurs sur le champ de bataille. Le capitaine Davies eut 64 hommes tués ou blessés ; lui et le capitaine Pedlar furent tous deux blessés. Dans les guerres de ce genre les officiers doivent payer de leur personne ; la force et l’adresse du bras y comptent pour autant que l’intelligence et l’habileté.

À Poonah, les affaires marchaient rapidement à une crise définitive. Le 20 avril, Elphinstone appela le colonel Smith avec une division légère. À la vérité, il donnait ce même jour à Bajee-Row l’assurance que, en dépit de ce renfort, rien ne serait tenté contre lui avant l’arrivée des instructions demandées au gouverneur-général. La discussion fut en conséquence reprise comme par le passé entre le résident et les ministres du peschwah, mais n’amena pas davantage de résultat. Une insurrection récemment éclatée dans la province de Cuttack, interrompant les communications entre Calcutta et Poonah, retarda de beaucoup l’arrivée de ces instructions. Le colonel Smith, arrivé à Poonah le 26 avril, prit position au village de Kirkee. Le 2 mai, le résident apprit l’insurrection de Calcutta et la rupture des communications. Quatre jours après, Elphinstone, n’ayant pas reçu les nouvelles instructions qu’il attendait, se décida à agir d’après les anciennes. Il communiqua au peschwah, dans une audience particulière, les nouvelles conditions auxquelles il consentirait à traiter encore du rétablissement de la paix ; c’était : 1° la reddition de Trimbukjee dans un délai donné ; 2° des preuves de sa bonne foi dans l’engagement qu’il prendrait à cet égard. Bajee-Row refusa positivement toute négociation sur ces préliminaires ; non seulement il ne mit pas en avant son inhabilité à se saisir du coupable, mais ne voulut faire aucune promesse d’agir contre le rebelle. Le lendemain, une note écrite lui fut présentée, contenant les mêmes propositions, mais plus spécifiées ; elle demandait 1° la promesse sous serment de rendre Trimbukjee dans un délai donné ; 2° la reddition des forts de Singhur, Poorundur et Ryghur. Un simple délai de vingt-quatre heures était laissé au peschwah pour faire connaître sa résolution définitive ; la communication demeura sans réponse. Le 8, les troupes quittèrent leur cantonnement et se mirent en marche. D’après un plan déjà arrêté, elles devaient investir la ville aussi complètement que faire se pourrait. Alors la peur l’emporta sur les indécisions du peschwah. Parmi ses conseillers, deux seulement se prononcèrent pour en appeler immédiatement aux armes : l’un, le commandant de son artillerie ; l’autre, un certain Gokla, homme de tête et de cœur. À dix heures donc le peschwah envoya chez Elphinstone : il promettait d’agréer aux termes et de rendre les forts immédiatement ; les troupes anglaises en prirent effectivement possession ce jour et le lendemain. À ces conditions le peschwah obtint d’attendre, sans crainte d’aucune entreprise, les conditions du gouverneur. Toutefois Elphinstone lui fit entendre de ne pas se flatter de voir renouveler purement et simplement le traité de Bassein.

Le 10 mai, arrivèrent les instructions du gouverneur-général. Elles portaient sur trois cas, faisaient trois suppositions : 1° la reddition immédiate de Trimbukjee, ou les efforts sincères du peschwah pour s’en saisir avant l’arrivée des présentes dépêches ; 2° l’inaction de ce prince jusqu’à ce moment ; 3° son refus, ou de nouvelles évasions d’arrangement quelconque. Dans le premier cas, les relations du traité de Bassein devaient être rétablies, et toutes choses remises sur le pied de l’arrangement fait en 1815, à l’époque de la première remise de Trimbukjee. Dans le second cas, la reddition de ce dernier dans un délai donné, et la remise d’otages pour l’exécution de cette promesse devaient être le préliminaire indispensable de tout arrangement ; des garanties de sécurité plus positives que celles stipulées par le traité de Bassein étaient en outre stipulées pour l’avenir. Dans le troisième cas, lord Hastings donnait au résident l’ordre de se saisir immédiatement de la personne du prince ; il l’autorisait à faire ensuite un arrangement provisoire pour l’administration intérieure des États de ce dernier. Les garanties qu’il s’agissait d’obtenir dans le second cas étaient : 1° la cession d’un territoire comprenant le fort d’Ahemdunggur, jusqu’à concurrence d’un revenu de vingt-neuf lacs de roupies, argent qui serait employé à l’entretien d’une force de 5,000 chevaux et de 3,000 hommes d’infanterie ; 2° la cession au gouvernement britannique de toutes ses prétentions sur le Guzerate, le Bundelcund et l’Indostan, en général une renonciation à toute suprématie sur l’empire mahratte ; 3° le renouvellement de la ferme d’Ahmenabad au Guickwar. Elphinstone, aussitôt ses instructions reçues, se mit en mesure de les mettre à exécution ; il y avait lieu de croire que le délai d’un mois accordé pour la capture de Trimbukjee expirerait avant qu’elle ne fût effectuée.

Le peschwah n’avait fait, en effet, jusque là aucun effort sincère pour s’emparer de Trimbukjee ; tout au contraire, on eut connaissance de préparatifs faits un jour pour sa propre fuite. Dans sa conduite tout semblait indiquer la ferme résolution de rompre avant peu et définitivement avec les Anglais. Mais le 20 mai, eh dépit de toutes les déceptions précédentes, il parut avoir tout-à-coup changé d’avis. Il fit resserrer l’emprisonnement des membres de la famille de Trimbukjee ; une proclamation émanée de lui promit une récompense de deux lacs de roupies et d’un village du revenu de mille roupies à quiconque le livrerait : aussi, comme preuve de sa bonne foi, le peschwah fit remettre à Elphinstone grand nombre de copies de cette proclamation, qu’il l’engageait à répandre. Ces mesures parurent à Elphinstone la preuve de la bonne volonté du peschwah de maintenir la paix. Il se hâta de lui faire communiquer par le major Forde la teneur des dernières instructions de lord Hastings. Peu après, il se présenta lui-même à la cour pour achever ces explications de sa propre bouche ; il expliqua article par article un projet de traité minuté par lui-même, d’après la base fixée par le gouverneur-général ; toutefois avec cette modification que le revenu des territoires demandés se trouvait porté de 29 à 35 lacs de roupies. Il s’agissait de couvrir certaines dépenses d’équipement des troupes, etc., oubliées dans la minute de lord Hastings. Le peschwah et ses ministres firent tous leurs efforts pour obtenir quelque adoucissement à ces exigences. Le peschwah, au dire de ses ministres, ne méritait pas ce traitement. Quand bien même l’offense dont se plaignaient les Anglais eût été prouvée, ceux-ci exigeaient une fidélité aux engagements pris à leur égard qu’on ne pouvait attendre d’un souverain indigène ; qu’il était pour ainsi dire absurde de vouloir l’exiger. Ils en appelaient à la générosité britannique, etc., etc. Elphinstone n’en continua pas moins à exiger l’adoption de tous les articles ci-dessus énoncés. Le 7 juin, le délai d’un mois donné pour la capture de Trimbukjee étant expiré, il somma le peschwah de signer le traité, seule preuve qu’il pût désormais donner de ses bonnes intentions à l’égard du gouvernement britannique. Le 13, après quelques jours passés en discussions inutiles, un traité, fondé sur les bases que nous venons d’indiquer, fut enfin signé ; il fut ratifié le mois suivant par le marquis de Hastings.

Ce traité ajoutait au territoire anglais aux dépens d’un allié. De ce côté il avait jusqu’à un certain point pour résultat d’ajouter aux alarmes que provoquait déjà l’ambition si souvent manifestée de ce gouvernement. Mais les circonstances faisaient d’un autre côté une loi impérieuse au gouvernement anglais d’agir de la sorte : au moment d’entreprendre l’extirpation des hordes de Pindarries, il devait de toute nécessité prendre quelques précautions contre le peschwah dont les dispositions hostiles n’étaient point douteuses. Des esprits plus hardis allaient plus loin ; ils auraient même voulu que ce prince fut privé de toute son autorité ; on ne pouvait douter, selon eux, que le sentiment de son orgueil blessé ne le portât à profiter de toutes les occasions de nuire aux Anglais. Toutefois, l’éloigner du pouvoir en ce moment, c’était s’exposer à beaucoup de trouble et de confusion ; peut-être à faire éclater tout aussitôt les germes de révolte existants déjà au sein de la nation mahratte. Ces considérations déterminèrent le gouverneur-général à ne point franchir la limite où il s’arrêta. Le traité signé, le corps auxiliaire s’en retourna à Seroor pour se préparer à prendre part aux opérations devant avoir lieu la saison suivante. Le peschwah songea de son côté à s’éloigner de Poonah ; la veille de son départ il donna audience à Elphinstone, et ce jour là il parut triste et abattu. Il se rendait, dit-il, à Purdopoor, lieu de pèlerinage où il allait régulièrement tous les ans. Ses ministres demeuraient chargés des arrangements de détail qui devaient suivre le traité. Avant son départ il congédia tous les wackels des princes mahrattes qui se trouvaient à Poonah, voulant par là donner une preuve de sa ferme résolution de n’avoir plus d’autres relations diplomatiques qu’avec les Anglais ; néanmoins, comme parmi ces wackels plusieurs étaient de ses sujets, ceux-ci purent continuer à demeurer à Poonah, malgré leur renvoi officiel. Il était donc impossible d’empêcher la continuation des intrigues entamées ; d’ailleurs les agents ne pouvaient manquer dans une cause vraiment nationale. L’article 4 du traité interdisait à la vérité de tenter ces communications, il était impossible de l’observer à la rigueur ; mais il fournissait cet avantage au gouvernement anglais, qu’il le mettait en mesure de se plaindre de toute communication avec des émissaires étrangers, sans être tenu d’en démontrer la culpabilité. Toute machination hostile aux Anglais devenait donc essentiellement difficile et dangereuse pour Bajee-Row ; enfin cet article du traité faisait plus encore, il plaçait aux yeux de toute l’Inde le peschwah dans un état de dépendance complète du gouvernement britannique ; il l’annulait en quelque sorte dans sa qualité de chef de l’empire mahratte ; il achevait de lui enlever toute importance politique. Ce traité aussitôt signé fut d’ailleurs exécuté sans délai par le peschwah. Les trois forts dans le voisinage de Poonah et les districts cédés, furent livrés sans retard aux Anglais : le renvoi des wackels des princes étrangers avait précédé ces mesures.

Le traité de Poonah remettait à Guickwar tous les droits et les tributs dont il était redevable au peschwah ; il lui valut aussi le bail d’Ahmedabad à des conditions plus favorables. L’ensemble de ces différents avantages pouvait être évalué à 20 lacs de roupies par an. Jalouse de partager ce bénéfice d’un voisin, la présidence de Bombay sollicita le consentement de Futty-Singh pour un accroissement de la force subsidiaire chargée de la défense du Guzerate ; cette addition devait consister en 1,000 hommes d’infanterie et deux régiments de cavalerie indigène. Lord Hastings approuva ce projet, à condition que l’exécution en serait goûtée par Futty-Singh. Les délais d’usage dans toutes les négociations avec les Mahrattes retardèrent d’ailleurs jusqu’à l’année suivante la conclusion de cet arrangement. L’acceptation d’un corps de troupes à leur service et la promesse de les payer ne constituaient auprès des princes de l’Inde que la portion la plus facile de ce genre de négociation. Après cela restait encore à déterminer la portion de territoire dont le revenu serait affecté à la solde et à l’entretien de cette force, et c’était son côté vraiment difficile.

Lord Hastings s’embarqua sur le Gange le 8 juillet 1817 ; il arriva à Cawpoore en septembre. Il reçut là une députation de Katmandoo, envers laquelle il était politique de montrer de la déférence. Son plan d’opérations embrassait le cercle entier des possessions de Scindiah et de Holkar, et une grande partie du Rajpootana ; mais c’étaient en même temps les limites où il voulait autant que possible resserrer la guerre. Différents corps, partis de points différents, devaient converger au même centre. Du côté de l’Indostan, l’armée se trouvait partagée en quatre divisions la 1re division ou celle du centre, sous le commandement du major-général Brown, composée de trois brigades d’infanterie et d’une brigade de cavalerie ; la 2e division, ou celle de droite, sous le commandement du major-général Donkins, composée d’une brigade d’infanterie et d’une brigade de cavalerie ; la 3e division se composait de deux brigades d’infanterie et d’une brigade de cavalerie ; la 4e enfin, ou division de réserve, sous les ordres du major-général Ochterlong, composée de deux brigades d’infanterie et d’une brigade de cavalerie. La division du centre dut se rassembler sur la Jumna entre Kalpee et Etawa ; la division de droite à Agra ; celle de gauche à Kalinjar dans le Bundelcund. Deux autres corps d’observation devaient en outre se trouver sur cette frontière : l’un au midi de Mirzapoor et de Benarès, sous les ordres du major-général Hardyman ; l’autre plus à l’est, à l’extrémité méridionale du Bahar, sous ceux du brigadier-général Tom.

L’armée du Deccan se trouvait formée de cinq divisions actives et d’une autre de réserve ; chacune de ces divisions de force semblable à celles de l’armée de l’Indostan. Elle devait être sous le commandement général de sir Thomas Hislop. La 1re division, ou division d’avant-garde, sous le commandement personnel de sir Thomas, était composée d’une brigade d’artillerie légère, d’une brigade de cavalerie, d’une brigade d’infanterie légère et de deux brigades d’infanterie ; la 2e, ou division d’Hyderabad, sous le commandement du brigadier-général Doweton, d’une brigade de cavalerie, de quatre brigades, d’infanterie ; la 3e sous les ordres du brigadier-général sir John Malcolm, d’une brigade d’artillerie légère, du 1er régiment de cavalerie légère, de deux régiments d’infanterie indigène ; la 4e, ou division de Poonah, sous le commandement du brigadier-général Smith, de trois brigades d’artillerie à cheval, d’une brigade de cavalerie, trois brigades d’infanterie ; la 5e, ou division de Nagpoor, de trois brigades d’infanterie ; quelque cavalerie et quelque infanterie indigène ; la division de réserve, sous les ordres du brigadier-général Munro, d’un détachement d’artillerie de Madras, d’une brigade de cavalerie et d’une brigade d’infanterie. Dans le Guzerate, un autre corps d’armée fut organisé pour agir au nord-est. Le gouverneur-général prenait sous son commandement personnel l’armée de l’Indostan ; il établit son quartier-général, avec la division du centre de cette armée sur la Jumna, entre Kalpee et Etewa. Sir Thomas Hislop fut revêtu de tous les pouvoirs politiques et militaires : il avait auprès de lui, comme agent politique, le colonel sir John Malcolm. Récemment arrivé d’Angleterre, ce dernier avait été mis par le gouverneur-général au fait de la totalité du plan de campagne, il alla tout aussitôt s’entendre avec les résidents anglais dans les différentes cours. Le général sir Thomas Hislop, qui s’était mis en mouvement le 21 juin, s’occupa pendant ce temps des détails militaires.

Pendant l’exécution de ces divers préparatifs militaires, les négociations diplomatiques continuèrent avec activité ; il ne s’agissait de rien moins, en effet, que d’une réforme complète dans le système politique de l’Inde entière. Lord Hastings, depuis long-temps persuadé de la nécessité de ce changement, saisissait avec empressement, dans la guerre qu’il préparait contre les Pindarries, l’occasion de le réaliser ; c’était là l’objet qu’il était le plus jaloux d’atteindre ; l’anéantissement de ceux-ci ne venait que bien en arrière. Ce projet consistait à réunir toutes les puissances de l’Inde dans une vaste confédération dont le gouvernement anglais aurait été le protecteur. Certaines règles établies pour les rapports de ces États entre eux, certaines conventions une fois promulguées, il aurait été chargé d’en maintenir l’existence, d’en surveiller l’exécution. La situation politique des différents États serait ainsi demeurée dans l’avenir ce qu’elle était dans le présent ; toute acquisition de territoire, c’est-à-dire toute guerre, eût été prohibée. Pour la mise en pratique de ce plan, lord Hastings comptait sur les familles de Holkar et de Scindiah, qui ne pouvaient qu’y gagner ; par ce moyen, la domination usurpée, et par cela même précaire, qu’elles possédaient sur de vastes territoires, se trouvait assurée à leurs descendants. Les grands officiers de Holkar pouvaient, d’un autre côté, se montrer les adversaires les plus sérieux de ce plan. Chacun d’eux avait à se flatter de se créer une petite souveraineté au milieu du désordre, de la confusion qui régnaient dans les États de cette famille. Toutefois, lord Hastings se flattait de les gagner en leur offrant la garantie pour l’avenir de ce qu’ils possédaient déjà. Il devait offrir de même cette garantie, et sur-le-champ, à Ameer-Khan ; celui-ci se trouvait d’ailleurs, de fait, tout-à-fait indépendant depuis la mort de Jeswunt-Row. Quant aux grands officiers de Scindiah, lord Hastings était décidé à ne traiter avec eux qu’autant que Scindiah lui-même se déclarerait contre le projet.

L’existence des Pindarries menaçant également tous les États indépendants, lord Hastings mit en avant les principes de cette confédération ; il somma tous ses États de se réunir au gouvernement anglais pour leur extirpation, et, pour achever de les décider, annonça la résolution de ne pas reconnaître de neutralité. Il s’était proposé d’attendre que toutes les forces anglaises fussent rassemblées pour appuyer toute négociation préliminaire. Mais les mouvements de ces troupes jetèrent l’inquiétude dans les esprits ; mille bruits alarmants se répandaient çà et là sur des projets de conquêtes et d’agrandissement qu’on prêtait aux Anglais. Toutes ces circonstances déterminèrent le marquis de Hastings à commencer les négociations. Celles avec Holkar, Ameer-Khan, Jeypoor, Joudpoor, Odeypoor, furent confiées au résident de Delhi, M. Metcalfe ; celles avec Scindiah, au capitaine Close ; celles concernant les chefs dépendants du peschwah et quelques autres chefs du voisinage, à M. Wauchope. Le résident de Nagpoor dut offrir au rajah les mêmes conditions qu’en 1814 et 1815 ; Nazurgurh était toujours demandée comme place de sûreté. Les arrangements de détail étaient d’ailleurs laissés à sir Thomas Hislop, qui ne pouvait pas tarder à arriver sur la Nerbudda. En agissant de la sorte, lord Hastings dépassait les vues de la cour des directeurs ; il le savait, mais n’hésitait pas à prendre sur lui cette responsabilité.

Dès le mois de septembre, le résident anglais auprès de Scindiah donna au durbar la nouvelle de la marche des troupes anglaises du Deccan vers la Nerbudda, par la route de Boorhanpoor ; il demanda, comme affaire de forme, les ordres de Scindiah à ses officiers, pour qu’ils eussent à fournir aide et secours à des alliés. À ce moment, le désordre régnait dans l’armée de ce dernier : elle réclamait ses arrérages. On savait le dessein de Bajee-Row de rompre avec les Anglais ; les soldats voulaient que Scindiah se joignît à lui contre les Anglais. C’était un reste de sentiment de nationalité qui se réveillait. Le durbar répondit que Scindiah n’avait pas abandonné le projet de prendre lui-même des mesures contre les Pindarries ; il demandait que la marche des troupes anglaises fut provisoirement arrêtée, jusqu’au moment où celui-ci aurait eu le temps de se décider. Le résident refusa. Les lettres ou ordres de laisser passer furent en conséquence expédiées par le durbar aux différents fonctionnaires. Entre le 10 et le 15 octobre, les vues du gouverneur-général furent enfin pleinement développées à Scindiah. Dans la note qui lui fut remise, lord Hastings lui mettant sous les yeux les ravages faits par les Pindarries sur le territoire britannique, ses relations avec eux, ses promesses toujours renouvelées, mais jamais exécutées, de les arrêter, lui déclarait qu’il regardait cette conduite comme emportant la dissolution du traité, surtout dans la partie de ce traité qui le laissait libre et indépendant dans ses relations avec Malwa, Mewur et Marwar. Effectivement, du moment qu’il s’avouait incapable de repousser les hostilités venant de ce côté, il était naturel que les Anglais rentrassent dans le droit de se protéger eux-mêmes. La note disait encore que le gouvernement britannique ne se proposait aucun objet d’intérêt particulier, mais seulement la totale extinction des Pindarries. On demandait la coopération de Scindiah, c’est-à-dire la coopération d’une partie de ses troupes, comme auxiliaires ; on lui signifiait que tout asile donné aux Pindarries, toute réception d’eux dans les rangs de son armée, seraient considérés comme autant d’actes d’hostilité. Le gouvernement britannique lui offrait ses propres troupes pour réduire ses officiers, s’il n’en avait pas le moyen. Quant aux garanties qui lui étaient demandées pour gages de la continuation du traité, c’étaient l’emploi de ses troupes à l’entière disposition du gouvernement britannique ; des fonds pour le paiement d’un corps d’armée mis à la disposition du gouverneur-général, et montant à 5,000 chevaux, pendant trois ans ; sa résidence à Gwalior, ou dans tout autre point qui serait indiqué. Enfin on exigeait encore, comme garantie de sa bonne foi, l’occupation par les Anglais des forts d’Aseerghur et de Hindia, pendant la durée de la campagne.

Scindiah consentit sans grande difficulté à tout ce qui lui était demandé. La reddition d’Aseerghur, l’une des forteresses les plus importantes de l’Inde, fut le seul point sur lequel il éleva des difficultés ; c’était à la vérité une clef du Deccan. D’abord il mit en avant l’humiliation qu’il y aurait pour lui à faire cette cession. Le résident combattit cette objection en lui donnant l’assurance que l’ostensible possession lui en serait toujours conservée, et, comme preuve de cette possession, que son drapeau continuerait en outre à flotter sur la ville. Elle serait occupée par une garnison, un killedar que lui-même nommerait. Scindiah mit alors en avant un autre prétexte, il affirma ne pas être certain de l’obéissance du commandant de la place, dans le cas où il lui ordonnerait de la rendre aux Anglais. Il demandait que dans ce cas la propriété du fort ne lui en fut pas moins conservée ; ce qui lui fut accordé. La discussion porta ensuite sur qui paierait les frais du siège dans le cas où il faudrait le réduire de force. Le résident insistait sur ce point, parce qu’il semblait certain que des ordres avaient été envoyés par Scindiah au killedar de résister à tout hasard : il fut enfin convenu que la dépense serait prise sur le fonds déjà fixé pour le paiement des troupes, ce qui équivalait à la faire porter sur les Anglais qui avaient déjà la disposition de ce fonds. Hindia, nullement forte en elle-même, n’avait d’importance qu’en tant qu’elle commandait quelques uns des meilleurs gués de la Nerbudda. Aucune difficulté ne fut faite à son sujet. Elle se rendit à la première sommation. Les événements qui vont suivre empêchèrent lord Hastings de pouvoir s’occuper immédiatement du siège d’Asseerghur ; mais le rôle qu’elle joua dans le reste de la guerre prouve qu’il avait bien jugé de son importance. Au reste, c’était déjà beaucoup que le consentement de Scindiah, rendu public, de la livrer. En ce moment, Scindiah était en effet tout occupé de menées et de trames secrètes avec Bajee-Row et les Pindarries d’un côté, et de l’autre avec la cour de Katmandoo. Mais Scindiah était pressé par les Anglais ; leur armée se trouvait à proximité ; on avait découvert une partie de sa correspondance avec les Goorkhas ; on avait saisi une lettre de lui, par laquelle il les engageait à se joindre à la confédération formée contre les Anglais : d’un moment à l’autre les conditions qu’il s’agissait de lui imposer allaient devenir plus dures. Il dut donc se résigner à apposer sa signature au traité, le 6 novembre.

Le 16 octobre, le gouverneur-général s’était mis en campagne de sa personne ; le 20, il était arrivé au quartier-général de la division du centre, établi sur la Jumna, à Seconda. Le jour suivant cette force fut passée en revue. Le 26, il passa la Jumna sur un pont de bateaux construit tout exprès ; il marcha dans la direction de Gwalior, par la route de Jaloun et de Seconda. La division de droite, sous les ordres du général Donkins, quitta Agra pour cheminer dans la même direction. Ces deux divisions devaient se diriger simultanément sur Gwalior, si les négociations entamées avec Scindiah n’eussent point réussi. Mais leur approche mit fin aux indécisions de Scindiah : il agréa aux termes de l’arrangement proposé, et que nous venons de raconter. Le gouverneur-général en donna immédiatement connaissance à l’armée par un ordre du jour. Des officiers furent envoyés aux différents corps de l’armée de Scindiah : le major Brown fut envoyé au quartier du colonel Baptiste, mais ce dernier s’était réfugié à Gwalior ; le major Ludlow se rendit à Aimer, le capitaine Caulfield au camp de Jeswunt-Rao-Bhao. Mais aucun de ces corps d’armée ne se trouvait en état de rejoindre d’ici quelque temps. Au reste, quoique Scindiah eut signé le traité, on ne pouvait se flatter de le voir se joindre volontairement aux Anglais. Cinq ou six semaines après cette signature, il n’avait fait encore aucun effort pour rassembler les 5,000 chevaux auxiliaires qu’il s’était engagé à leur fournir ; il n’avait manifesté aucune autre disposition de coopération réelle. Il voulait, selon toute apparence, connaître le parti que prendraient les autres puissances de l’Inde, avant d’en prendre un lui-même.

Ameer-Khan ne tarda pas à suivre l’exemple de Dowlut-Row-Scindiah. Un de ses agents entra en négociation, dès le commencement de novembre, avec le résident anglais à Delhi. Ce résident lui donna communication d’un traité dont les principales conditions avaient été fixées par le gouverneur-général : ce dernier offrait à Ameer-Khan la garantie des territoires possédés par celui-ci dans les États de Holkar à titre de donation ou autrement ; il demandait en échange que les Afghans fussent licenciés, qu’il livrât son artillerie tout entière moyennant une somme d’argent ; de plus, sa coopération contre les Pindarries ; enfin, comme garant de sa fidélité, qu’il envoyât son fils comme otage à Delhi. Un mois était laissé à Ameer-Khan pour l’acceptation ou le refus de ces conditions. Il est vrai qu’il y avait pour lui matière à hésitation : son propre intérêt devait sans doute le porter à s’assurer une domination indépendante le plus tôt possible ; mais, d’un autre côté, cet avantage ne lui était accordé qu’au prix du sacrifice de toute son armée. Ameer-Khan flotta long-temps entre ces considérations diverses, mais l’approche d’un corps d’armée anglais mit enfin un terme ces indécisions ; il signa le 9 novembre. Depuis ce jour, il se montra tout dévoué aux intérêts anglais. Le jour de la signature, le rajah de Keroub, jusque là feudataire du rajah, cessait de l’être en signant un autre traité avec les Anglais ; il mettait ses moyens à leur disposition en échange de leur protection. La veille, Gowind-Rao, rajah de Jaloun, avait racheté le tribut et le service militaire dû par lui autrefois au peschwah, et qu’il devait alors au gouvernement anglais, par la cession d’une pergunnah de quarante-trois villages sur la frontière du Bundelcund, et de quatre autres villages sur les bords de la Jumna. Le rajah de Bhopal acceptait, de son côté, avec empressement l’alliance du gouvernement anglais. Il est vrai qu’à la même époque le rajah de Sagur se refusait énergiquement à toute négociation avec ce gouvernement. À cette époque la campagne était, au reste, déjà commencée contre les Pindarries ; Bajee-Row et Apa-Saheb avaient hardiment pris les armes.

Les Pindarries formaient trois corps ou durrahs, commandés par Chettoo, Kurreem-Khan et Wâsil-Mahomet. Il était généralement connu dans le durrah que les Anglais méditaient des opérations offensives contre eux dans la saison ; Kurreem-Khan avait en conséquence fait tous ses efforts pour recruter sa durrah et faire des levées d’infanterie. Il désirait aussi convenir des mesures générales de défense à prendre avec les chefs des autres durrahs : une rencontre fut fixée pour cela au 15 septembre ; mais il existait une trop forte inimitié entre Chetoo et ce dernier chef pour qu’ils pussent s’entendre. Des assurances de secours arrivèrent à ces chefs de toute la province ; cependant aucun prince indigène n’osait prendre ouvertement leur parti, ou donner asile à leurs familles dans quelques unes de leurs forteresses. La saison des pluies se passa ainsi en négociations inutiles ; les durrahs ne purent parvenir à se désencombrer de leurs familles ou de leurs bagages. Un de leurs chefs les plus aventureux, Sheick-Dulboo, avait témoigné son intention de rejoindre Trimburkjee, de chercher fortune dans une autre expédition dans le Deccan ; le reste des Pindarries, chefs et soldats, étaient incertains et divisés sur le parti à prendre : ils inclinaient, en général, à attendre l’effet que produirait la levée de boucliers des Mahrattes. Le feu ayant pris le 17 septembre dans le cantonnement de Kurreem-Khan, fit de grands ravages ; l’effet moral qu’il produisit fut encore pire : ils furent tous enclins, dans leur superstition, à voir dans ce malheur un présage de mauvaise fortune dans la lutte qui allait s’engager. Les trois durrahs étaient placés comme il suit : à la droite et à l’ouest le durrah de Chetoo, à Ashta ; au centre, le durrah de Kurreem-Khan (au nord de Bhopal) ; à la gauche, celui de Wâsil-Mahomet, à Gaspoor. Le durrah de Chettoo consistait en 7,000 chevaux et fantassins, et 10 pièces d’artillerie ; celui de Kurreem-Khan en 8,000 cavaliers et fantassins, et 6 canons ; le durrah de Wâsil-Mahomet en 8, 000 cavaliers et fantassins, et 5 pièces de canon.

À la fin d’octobre, une entreprise hardie fut tentée par le durrah de Wâsil-Mahomet à Garspoor. Un hardi lubhur en partit en se dirigeant au nord-ouest pour piller la province anglaise du Bundelcund ; il ravagea les territoires d’un grand nombre de chefs, et pénétra jusque dans les environs de Mow, auprès de Raneepoor. Repoussés de Mow, ils prirent à l’est, et on conçut de grandes alarmes à Banda, la station civile du Bundelcund, en ce moment dépourvue de toute protection. Le marquis de Hastings apprenant cette entreprise le 1er novembre, envoya sur-le-champ un détachement couvrir Banda, dans le cas où elle serait menacée. Mais le lubhur avait entendu parler de ce mouvement, il se garda bien de se compromettre avec ces troupes, et s’empressa au contraire d’aller déposer son butin dans ses cantonnements.

Pendant ce temps, la division de gauche de la grande armée de l’Indostan s’était assemblée le 10 octobre à Malingur, elle était commandée par le major-général Marshall. Elle se mit immédiatement en marche pour Sagur, où elle arriva le 28. De là elle se rendit à Rylie. Ce même jour, le général sir Thomas Hislop arrivait à Hurda, et prenait le commandement de la première division de l’armée du Deccan. Tout fut alors disposé pour le mouvement combiné contre les Pindarries. Le corps d’armée du Guzerate s’avança pour leur couper le passage à l’ouest : il prit position à Dohut. Lord Hastings ayant achevé ses négociations avec Scindiah, se mit aussi en mouvement, se disposant à leur couper la retraite par le nord ou l’est. Le général Donkins gardait, de son côté, la rive gauche de la Chumbul ; une des divisions du général sir Thomas Hislop devait pénétrer en Malwa en marchant droit sur Ashta ; une autre division, plus à l’ouest. Mais au moment de l’exécution de ce plan, la nouvelle arriva d’événements importants arrivés à Poonah, et dont nous allons parler dans un instant. Le lieutenant-général confia alors cette expédition à sir John Malcom, avec la troisième division renforcée par une brigade de troupes régulières. Il voulait non seulement se porter au secours des troupes laissées à Poonah, mais s’assurer avant tout de la reddition d’Asserghur, au besoin d’en faire même le siège. Sir John Malcom poursuivit donc son mouvement contre les Pindarries avec sa division et une division commandée par le colonel Adam ; ce mouvement était combiné avec d’autres mouvements du général Marshall. Ces trois points, Ashta, Bassein et Ratgurh, furent occupés le 22 novembre ; trois autres points un peu plus tard : Tullain, Bairseah et Basonda. Les Pindarries se virent chassés de leurs retraites ordinaires ; leurs agents, au fur et à mesure que les divisions avançaient, étaient expulsés des villes et des villages qu’ils habitaient ; tout ce qui appartenait à Bhopal ou à Scindiah fut immédiatement délivré aux agents de ces chefs. Les Pindarries s’éloignaient cependant de plus en plus avec leurs bagages et leurs familles ; les durrahs ne s’étaient point encore rejoints, mais ils tendaient à le faire en convergeant l’un vers l’autre dans leur retraite. Peu après, Kurreem-Khan et Wâsil-Mahomet effectuèrent cette jonction à Seroni ; ils se retirèrent par la route de Gwalior. Chettoo se dirigeait à l’ouest, vers l’armée de Holkar qui venait d’entrer en campagne.

Le marquis de Hastings avait reçu, le 14 novembre, la nouvelle d’événements importants arrivés à Poonah : il comprit la possibilité qu’en les apprenant sir Thomas suspendît sa marche vers Malwa ; il envoya aussitôt les ordres les plus stricts de continuer l’exécution du plan adopté. Lord Hastings croyait les troupes anglaises à Poonah assez fortes pour tenir tête à Bajee-Row ; il croyait aussi que le brigadier-général Doveton serait en mesure d’agir contre le rajah de Nagpoor en cas de défense de la part de celui-ci ; il insistait enfin pour que la première division vînt au secours de sir John Malcom. En recevant ces instructions, le lieutenant-général Hislop commença immédiatement un mouvement rétrograde ; il marcha sur Oojein, et donna l’ordre à sir John Malcom de se diriger aussi sur ce point.

Depuis l’entrée en campagne des troupes anglaises, Poonah avait été en effet le théâtre de grands événements. Au commencement de la campagne le peschwah montra beaucoup de zèle contre l’ennemi commun, les Pindarries. Il fit de nombreuses levées de cavalerie et d’infanterie, auxquelles il accorda une solde plus forte que celle habituelle. Satisfait de ces dispositions, le gouvernement britannique lui rendit les forteresses de Ryeghur, Singhur et Poorundur. Toutefois, la conduite du peschwah ne laissa pas de paraître étrange par certains côtés. Il témoignait une répugnance extraordinaire à laisser le moindre détachement de son armée s’éloigner de la capitale, pour aller prendre position sur la frontière. Il mettait, d’un autre côté, de nombreux obstacles à toutes levées de troupes faites par le gouvernement britannique. Mais ce n’est pas tout, une autre circonstance parut plus significative encore : la désunion se mit tout-à-coup dans l’armée de Bombay qui se recrutait principalement dans les États du peschwah, et, en recherchant la cause, les chefs de corps apprirent qu’elle avait été fomentée par des émissaires de celui-ci ; aussi, grâce à toutes ces manœuvres se trouvait-il à la tête de 25,000 cavaliers et de 10,000 hommes d’infanterie. Le résident anglais ne douta plus que les affaires ne touchassent à une crise. Les troupes du brigadier-général Smith, cantonnées au nord de la Godavéry, reçurent l’ordre de se mettre immédiatement en marche vers Poonah. Elles observèrent, pendant la durée de cette marche, qu’une grande exaspération subsistait parmi la population. Un officier anglais s’étant écarté de quelques pas de la colonne, fut aussitôt massacré par les cavaliers du peschwah.

La brigade cantonnée à Poonah alla prendre une meilleure position à trois milles de la ville, laissant un petit détachement à la garde de son cantonnement ; mesure fort bien entendue. La position qu’elle quittait se trouvait entourée et dominée de tous côtés ; de plus elle établissait des rapports forcés, et qui pouvaient être dangereux, entre les soldats indigènes et de ceux du peschwah. La nouvelle position s’appuyait à sa gauche au pont de Kirkee, sur la rivière Mootta, et à sa droite au village du même nom. Un peu trop étendue peut-être pour le nombre de troupes qui l’occupait, cette position avait néanmoins de grands avantages : d’abord les communications étaient faciles avec la présidence ; en outre, elle commandait à la fois la rivière et les grandes routes de Seroor et de Bombay. La brigade reçut, le 30 octobre, un renfort d’un régiment d’infanterie et de quelques troupes d’artillerie de Bombay. Le 5 novembre le résident anglais était encore à Poonah ; cependant il avait jugé convenable d’augmenter sa garde et de la porter à quelques centaines d’hommes. Ce jour-là un grand tumulte éclate tout-à-coup dans la ville ; il envoie s’en informer auprès des ministres du peschwah : on lui répond que ce prince se rend à Parbuttee, pagode fort célèbre dans l’Inde et située dans le voisinage, et que le bruit qu’il entend n’est autre chose que le rassemblement des troupes qui doivent l’accompagner. Mais si ce subterfuge avait pu tromper le résident, ce n’eut pas été pour long-temps. À deux heures après midi, un officier se présente à la résidence de la part du peschwah, porteur d’une lettre de son maître : le peschwah demandait l’éloignement des troupes européennes, la réduction de la brigade indigène, et son cantonnement dans un lieu qui lui serait plus tard désigné. Elphinstone répondit qu’il ne pouvait s’écarter des arrangements tracés par le gouverneur-général. Il déplora le mouvement qui portait le peschwah à de semblables demandes. L’officier s’éloigna, mais non sans laisser de menaçants adieux. Elphinstone comprend qu’il est devenu dangereux d’occuper la résidence ; il se met à la tête de sa garde avec laquelle il effectue sa retraite sur Kirkee. À peine est-il sorti de son palais, que les soldats du peschwah l’envahissent, dévastent les jardins, brisent les meubles, et finissent par y mettre le feu.

À la distance d’environ trois milles de Poonah se trouvaient quelques collines peu élevées, entre lesquelles passait la route de Bombay : c’est la position qu’occupaient depuis le matin les troupes du peschwah, attendant d’un moment à l’autre l’ordre d’attaquer les Anglais. Deux milles tout au plus séparaient les deux armées. À la droite de l’armée du peschwah, à la gauche de celle des Anglais, coulait la rivière Mootta, qui tournait autour de l’armée britannique de manière à la couvrir par-derrière ; plusieurs ravins bordaient la rivière, de nombreux ruisseaux venaient s’y jeter, ce qui rendait impossible tout mouvement des flancs le long des rivages. L’armée mahratte occupait un terrain élevé, commandant tout le pays d’alentour ; en face se trouvait un petit ruisseau et quelques jardins entourés de murailles. Sa droite s’appuyait à la résidence anglaise, ses derrières étaient protégés par une chaîne de montagnes ; l’infanterie et l’artillerie au centre ; la cavalerie séparée en deux corps répandus sur les ailes ; elle était sous les ordres de Gokla. Le peschwah s’était retiré au sommet de Parbuttee, pour avoir, dit épigrammatiquement ou sérieusement un officier anglais, une vue élevée et distante de l’action. Le premier ministre, Meer-Diskshut, plus renommé jusque là comme homme d’État que comme soldat, avait pourtant un commandement considérable. Pendant que M. Elphinstone effectuait sa retraite, le colonel Burr se porta en ayant, sur une ligne oblique à la position qu’il quittait à environ un mille. Il se forma en bataille, pour attendre un bataillon de Poonah cantonné à Dapoore, amené par le capitaine Ford, et qui ne devait plus être qu’à deux ou trois milles ; c’est là qu’il fut rejoint par le résident. Au centre des Anglais se trouvait le régiment d’infanterie européenne de Bombay et l’escorte du résident ; à droite et à gauche un bataillon du 7e régiment ; deux canons aux deux extrémités.

À quatre heures après midi, le bataillon de Dapoore se montra dans la plaine. Le colonel Burr qui n’attendait que ce moment se met aussitôt en mouvement et se dirige à sa rencontre. En ce moment un feu très vif d’artillerie partit du centre de l’armée ennemie ; sa cavalerie se précipita en masse sur la droite et la gauche des Anglais ; elle cherchait à les tourner pour se placer entre eux et la rivière ; celle-ci décrivant, comme nous l’avons dit, un demi-cercle derrière l’armée anglaise. Le bataillon de Dapoore était encore à un millier de verges de la droite du colonel Burr ; un corps de cavalerie manœuvrait pour les couper avant qu’il eût rejoint la droite du corps anglais. Cette tentative hardie était dirigée par Meer-Dishshut. Quelques épigrammes de Gokla sur ses premières habitudes de nature pacifique, sur la prédilection qu’on lui supposait pour les Anglais, l’y avaient excité. Le feu de trois pièces de canon placées à la droite de ce bataillon le force à rétrograder. Il se dirigea sur le corps du colonel Burr qui le reçoit avec de la mitraille ; atteint lui-même à la bouche, il tombe de cheval, et ses cavaliers se dispersent. Une attaque plus décisive avait lieu dans ce même moment sur le flanc gauche. Un corps d’infanterie de 3,000 Arabes arrive en bon ordre sur l’aile gauche, mais ne parvient pas à la rompre ; un feu qui l’accueillit à quelques pas le força de se retirer. Par malheur quelques soldats anglais, tentés par le désordre de cette retraite, veulent poursuivre les fuyards, et la promptitude de ce mouvement entraîne quelque désordre. Un corps d’élite de la cavalerie ennemie entourant le zeereeput ou le grand drapeau de l’État, se jette en avant pour couvrir la retraite de cette infanterie ; il enfonce d’abord le bataillon du 7e ; heureusement qu’un secours de quelques compagnies permet à celui-ci de se reformer ; et cette attaque est définitivement repoussée. Le bataillon de Dapoore avait enfin rejoint la droite du colonel Burr ; l’arrivée de son artillerie permet de faire passer au centre les deux pièces qui se trouvaient à cette aile. Quelques compagnies légères sont détachées pour s’opposer aux démonstrations que pourrait faire l’ennemi sur les derrières de l’armée. Le colonel Burr se porte de nouveau en avant ; l’infanterie légère qui le précède débusque peu à peu les Mahrattes de quelques jardins où ceux-ci s’étaient retranchés. Après avoir cédé pas à pas le terrain, l’armée ennemie se trouvait alors avoir repris sa première position ; le champ de bataille était demeuré aux Anglais. Cependant comme la nuit s’approchait, le colonel Burr ne jugea pas convenable de tenter une nouvelle attaque ; il fit rentrer les troupes dans leur camp de Kirkee, et renvoya le bataillon de Dapoore à ses cantonnements séparés. La perte des Mahrattes avait été de 500 hommes tués ou blessés, celle des Anglais de 86, officiers et soldats. Ce fut Elphinstone qui conseilla, dit-on, le mouvement offensif du corps d’armée. Dictée par des considérations politiques, cette mesure eut les meilleurs résultats militaires. Le petit corps anglais, en attaquant une armée beaucoup plus nombreuse, la frappa d’une terreur qui lui ôta toute audace dans les jours suivants.

Cependant la 4e division avait quitté les bords de la Godawery le 6 novembre ; elle atteignit Ahmednuggur sans difficulté en trois jours démarche. Le 8 elle prit possession du pettah, où elle se grossit d’un parc d’artillerie et d’un convoi de vivres considérable prudemment laissé sur ce point. Elle continua sa route dans la direction de Poonah ; mais elle cheminait au milieu d’une plaine unie, favorable aux attaques de la cavalerie ; elle-même en était dépourvue ; elle était en outre encombrée de bagages, ce qui la contraignait à ne s’avancer qu’avec beaucoup de précautions. L’infanterie légère et la cavalerie irrégulière quittèrent Kirkee le 12 au soir pour se porter à sa rencontre ; arrivée le 13 à Poonah, elle prit aussitôt position entre le pont de Kirkee et une petite colline sur la rive gauche de la rivière. Comme cette colline dominait un gué, elle fut occupée, et un canon de six y fut placé dès le 14. Le pont de Kirkee était sur la Mootta ; le gué qui coulait au bas de la rivière, sur la Mootta-Moolla, c’est-à-dire sur la rivière formée par la Mootta et la Moolla, qui se réunissent tout près de Poonah. Les Mahrattes avaient de leur côté pris position de l’autre côté de la Mootta-Moolla à Garpeer, à un ancien cantonnement de la brigade anglaise, qu’ils avaient soigneusement fortifié sur les deux flancs. Leur batterie principale était à leur gauche ; ils avaient pourtant quelques pièces répandues le long de la ligne. Leur droite était protégée par un bois et un fossé ; une partie de leur ligne se trouvait sous la portée d’une pièce de 18, placée sur la petite colline dominant le gué. Outre ce gué, il y en avait deux autres, l’un auprès de la ville de Poonah, dans le voisinage de l’ancienne résidence, appelé Sungum et situé à un mille et demi du camp anglais ; l’autre appelé gué de Yelloura, situé auprès de la petite colline, n’était éloigné de ce camp que d’un quart de mille seulement. Le 14, le régiment d’infanterie de Bombay et deux corps d’infanterie indigène quittèrent la station de Kirkee et rejoignirent le quartier-général anglais. Des préparatifs furent faits pendant la nuit pour attaquer la position de l’ennemi au point du jour.

Les Anglais se mirent effectivement en mouvement avant le lever du soleil. Ils tentèrent le passage de la rivière au gué de Yelloura ; il se trouva impraticable pour l’artillerie ; il fallut différer cette tentative, tandis que les pionniers y travaillaient. Pendant la journée de nombreuses escarmouches eurent lieu sur ce point, toutefois sans importance ; en revanche le lendemain l’ennemi parut décidé à faire tous ses efforts pour faire cesser le travail des Anglais. D’abord un nombreux détachement isolé, puis plusieurs corps considérables se présentent successivement vers le milieu de la journée pour disputer ce passage que les Anglais paraissaient résolus à tenter. Après un combat de quelques heures, la gauche et une partie de l’artillerie, sous les ordres du colonel Milnes, parvinrent toutefois à l’exécuter. L’ennemi attaqua ce corps à différentes reprises ; de fréquents renforts arrivaient du camp à ceux qui étaient déjà engagés. Les Mahrattes semblaient en effet attacher une fort grande importance à empêcher le reste de l’armée anglaise d’effectuer cette opération. Ses efforts furent inutiles : il furent repoussés dans toutes leurs attaques et obligés de quitter le champ de bataille. Le lendemain, c’est-à-dire le 17, le reste de la 4e division, sous les ordres du brigadier-général Smith, se mit aussitôt en mouvement. Elle alla traverser la rivière au gué de Sungum. Au point du jour, Milnes, qui avait passé la veille, et Smith, suivi par la cavalerie irrégulière, se mirent simultanément en mouvement pour prendre l’offensive, mais le peschwah n’avait aucune intention de défendre ce terrain. Dès la veille, les Mahrattes avaient deviné l’attaque du lendemain ; au point du jour, ils étaient déjà bien loin de Sungum ; leur camp était encore tout dressé ; d’ailleurs à peine quelques centaines d’Arabes avaient-ils été laissés pour maintenir l’ordre dans la ville. Les Anglais purent donc s’en emparer sans essuyer de résistance ; le pavillon britannique fut arboré sur le palais du peschwah. Une brigade anglaise fut cantonnée à Garpur, le reste de la division campa près du gué de Sungum, à cheval sur la grande route de Poonah à Bombay. Le peschwah et Gokla prirent la route de Poorundur, le reste de l’armée celle de Sunghur. Un détachement commandé, par le capitaine Turner fut envoyé à la poursuite le lendemain, de quatorze pièces d’artillerie et de leurs caissons. Trop faible en nombre pour pouvoir emmener cette riche proie, il dut se borner à enclouer les canons, mettre les munitions hors de service. Le brigadier-général aurait voulu se mettre immédiatement à la poursuite du peschwah, mais il lui fallut d’abord songer à s’établir solidement à Poonah, à connaître et à utiliser les ressources de la ville, soins importants et qui l’occupèrent les jours suivants.

La position du marquis de Hastings sur le Sind était fort bien choisie pour la conservation des avantages obtenus de Scindiah. Mais bientôt une maladie pestilentielle terrible ravagea le camp de la division du centre. Cette maladie ressemblait, par ses traits généraux, à celle connue sous le nom de choléra-morbus : elle aussi était une épidémie. Comme toutes les maladies du même genre, sa source, son point de départ est demeuré inconnu, quoique la marche qu’elle suivit ait été distinctement tracée. Elle fut d’abord observée dans le delta du Gange, vers le commencement de la saison pluvieuse, en 1817 ; dès le commencement de septembre elle éclata à Calcutta, où pendant long-temps elle n’emporta pas moins de 200 personnes par jour. Suivant alors le cours du Gange et des eaux tributaires de ce fleuve, elle atteignit le camp du brigadier-général Hardyman, vers le commencement d’octobre. Le camp de ce dernier était situé au milieu d’un pays très sain ; le corps qu’il commandait consistait en deux bataillons, l’un européen l’autre indigène, et un régiment de cavalerie. Les ravages de la maladie furent déjà graves au milieu de cette petite troupe ; toutefois ils devaient le devenir bien davantage encore. Le fléau, continuant sa marche à l’ouest, s’abattit avec une violence redoublée sur le corps d’armée commandé par lord Hastings en personne. C’était une année de disette ; le grain, peu abondant et de mauvaise qualité, n’avait été rassemblé qu’avec peine ; l’armée occupait une partie du Bundelcund fort malsaine ; les eaux, à l’exception de celles courantes, se trouvaient de fort mauvaise qualité. On était à cette époque de l’année où l’extrême chaleur du jour forme un contraste dangereux pour la santé avec la fraîcheur glacée des nuits.

Les grandes, masses d’hommes offrent, comme on sait, un aliment de plus à ces maladies, qui n’exerceraient pas les mêmes ravages sur le même nombre épars sur une grande surface. Toutes ces circonstances donnèrent à l’épidémie, aussitôt qu’elle éclata, une force qu’on ne lui avait jamais vue. En moins de huit jours le camp ne fut plus qu’un vaste hôpital. D’après les calculs les plus modérés, un dixième de l’armée succomba. Européens et indigènes, soldats et marchands souffraient également ; cependant la multitude qui suivait le camp, étant en général plus mal habillée et plus mal nourrie, souffrit davantage. On remarqua que chez les Européens les cas de maladie étaient plus rares que chez les indigènes, en revanche plus souvent mortels. En général, la mort arrivait au bout de quelques heures de souffrances. Le 10 novembre, lord Hastings se mit en marche pour aller gagner des lieux plus sains. Il se dirigea à l’est, avec le projet d’atteindre Betwa, contrée assez élevée et réputée tout-à-fait salubre. Pendant cette marche, ce fut un triste spectacle que celui de l’armée ; elle s’avançait péniblement, lentement, en une immense colonne, laissant derrière elle une longue traînée de morts, de mourants et de malades. Les moyens de transport se trouvaient tout-à-fait insuffisants. Un homme se sentait-il atteint par la maladie, il s’efforçait de continuer sa route ; ses camarades essayaient de le soutenir quelques instants encore, puis l’asseyaient sur le bord de la route, d’où le malheureux ne devait plus se relever. Ceux qu’épargnait la maladie, frappés moralement, se montraient dénués de toute énergie contre la fatigue ou le danger. Cette armée naguère si florissante, si animée, si belliqueuse, n’était plus qu’une ombre d’elle-même.

Les symptômes et le cours de la maladie se reproduisaient presque invariablement les mêmes. Une faiblesse, un malaise général se manifestait soudain sans que rien ne l’eût fait pressentir ; le malade perdait presque immédiatement toute force ; des nausées, des vomissements, un dévoiement que rien n’arrêtait, ne tardaient pas à survenir ; puis c’étaient des crampes ; puis un froid glacial aux extrémités, qui rapidement se glissait jusqu’au cœur. Une soif brûlante tourmentait le malade ; il demandait à grands cris un peu d’eau ; toutefois, à peine en avait-il pris quelques gouttes qu’il la rejetait aussitôt. Il conservait ses facultés intellectuelles jusqu’au dernier moment. Vingt-quatre heures, rarement quarante-huit, formaient la durée la plus ordinaire de la maladie. De ceux qui se trouvaient atteints par ce fléau, il n’en réchappait pas un sur vingt, et ceux-ci demeuraient dans un état de faiblesse dont aucun remède ne pouvait les guérir. Le malade était à peine expiré, que son cadavre exhalait aussitôt une très forte odeur. Les hommes de l’art ne surent point découvrir le siège de la maladie, encore moins son remède. L’opium et le laudanum calmaient l’irritation intérieure ; le calomel, spécifique universel de l’Inde, et d’autres stimulants ranimaient quelquefois le malade quand celui-ci tombait d épuisement ; la saignée pratiquée après la première attaque réussit quelquefois, jamais après les crampes. Les bains chauds eurent aussi quelques succès, mais seulement aux premières périodes de la maladie ; après cela venaient quelques autres remèdes qu’on pourrait appeler de fantaisie, nous voulons dire dont l’action n’était point uniforme, dont la manière d’agir demeurait inexplicable.

Le 20 novembre, le quartier-général et la division du centre de la grande armée prirent position auprès d’Erich, où ils demeurèrent jusqu’à la fin du mois. Pendant ce temps, lord Hastings fut informé à diverses reprises de menées secrètes pratiquées par Scindiah. S’exagérant les désastres de l’armée anglaise, ce dernier prenait déjà ses mesures, en effet, pour rompre le dernier traité. À cette époque, les Pindarries étaient attaqués et poursuivis dans le midi de Malwa ; il les fit engager à se retirer à Gwalior par une route particulière, s’engageant à les rejoindre dès qu’ils seraient à une certaine distance. D’ailleurs lord Hastings ne pouvait se dissimuler la mauvaise volonté de Scindiah. Une correspondance très active entre lui et les Pindarries avait été interceptée ; il ne faisait rien pour organiser le corps de 5,000 chevaux qu’il s’était engagé à fournir ; on le savait aussi en correspondance avec les Goorkhas. Tel était l’état des choses de ce côté lorsque les Pindarries furent expulsés du midi de Malwa par les divisions de la Nerbudda et du Bundelcund. La fuite des deux durrahs s’exécuta dans la direction qui leur avait été indiquée par Scindiah, la route leur demeurant ouverte en raison du mouvement de la première division sur Erich. En apprenant cette nouvelle, lord Hastings, malgré les ravages de l’épidémie, hâta son retour sur le Sind. Un détachement, composé d’une brigade de cavalerie sous les ordres du colonel Philpot, et d’un bataillon d’infanterie indigène, avait été formé et séparé du quartier-général pour les mouvements qui deviendraient nécessaires. Ce détachement était arrivé le 24 novembre à Burwasaghur ; il y resta jusqu’au 3 décembre où il reçut l’ordre de se porter sur le Sind, et puis, dans le cas où il recevrait là quelques nouvelles de la fuite des Pindarries vers Gwalior, de passer cette rivière et de les attaquer. Ce détachement vint en conséquence prendre une position qui commandait la seule route existant entre Narwur et Gwalior, c’est-à-dire à Cheemuck ; un second détachement, sous le major Cumming prit position à Tecarree ; un troisième à Dholpoor, pour garder les gués de la Chambul. La division du centre se porta elle-même au gué de Sonafi, à vingt-huit milles seulement de Gwalior. Le passage des montagnes à l’ouest, auprès de la Chambul, aussi bien que le gué de Dholpoor, se trouvaient en même temps, en raison des dispositions prises par lord Hastings, gardés par la division de droite ; les gués de la Jumna par des détachements. Au moyen d’une avant-garde de la division du centre au gué de Sonari, puis en occupant une position sur une petite rivière, l’un des affluents du Sind, lord Hastings était parvenu à intercepter toute communication entre les Pindarries et Scindiah. Les opérations du reste de la campagne devaient dépendre du parti qu’en ce moment allait prendre Scindiah. Aussi tous les yeux étaient-ils tournés de ce côté.

En raison du traité de paix conclu avec Scindiah, la présence de la division de droite à Dholpoor ne parut plus nécessaire. Le général Donkins reçut l’ordre de remonter la rive gauche de la Chambul, et de laisser à ce gué un détachement d’un bataillon et de quelque cavalerie irrégulière ; le reste de la division se porta à Oodye, à deux milles de Kooshulghur. Là elle attendit de nouvelles instructions. Un messager se présenta de la part d’Ameer-Khan ; il offrait ses bons offices pour les communications de la division, qui passait nécessairement par son territoire. Le major-général Donkins, après avoir établi un dépôt à Kooshulghur, continua sa marche le 2 décembre. Le 8, il atteignit Dubblanna par des marches forcées ; il s’arrêta le 9, en conséquence de nouvelles qu’il reçut. Se remettant en marche sur Thekeira, il passa la Chumbul le 13, au-dessous de Kotah. Le 14, ce corps d’armée se divisa : une partie resta en ce lieu ; l’autre, légèrement équipée, se porta en toute hâte à Sooltanpoor, où l’on croyait atteindre les Pindarries.

Les durrahs de Kurreem-Khan et de Wâsil-Mahomet, lorsqu’ils se retirèrent devant la division du colonel Adams, opérèrent leur mouvement dans la direction de Kolarus et Narwur. Tout en les poursuivant, les troupes du midi entrèrent en coopération immédiate avec la seconde division. Le major-général Marshall quittant Seronjee, arriva à Nyasery ; il partagea sa division en deux corps, l’un qu’il laissa en ce lieu sous le commandement du colonel Price, l’autre légèrement équipé, avec lequel il continua sa route dans la direction de Kolarus. Divers mouvements exécutés par les Pindarries donnaient lieu de croire qu’ils se dirigeaient à cette époque vers le nord. Mais, après avoir passé le Sind, il marcha sur Bigrawum, ayant reçu des nouvelles certaines de leur mouvement vers l’ouest. Ce changement de direction dans la marche des Pindarries était le résultat de l’arrivée à Cheemuck du colonel Philpot à la tête de son détachement. Les Pindarries arrivèrent en effet jusqu’à Narwur ; mais trouvant la route interceptée, ils se dirigèrent au sud-ouest. Les Pindarries se trouvaient alors pressés par trois corps de l’armée britannique : l’un acharné à leur poursuite, un autre interceptant la route de Gwalior, un troisième ayant pris position à Sooltampoor, et tout prêt à les attaquer en flanc.

Le 8 décembre, les durrahs unis de Kurreem-Khan et de Wâsil-Mahomet abandonnèrent Poore ; ils atteignirent le lendemain Beetulghur, avec le projet d’y laisser leurs familles, d’y déposer le butin, qui ne pouvaient que les embarrasser dans leur marche. Ils échouèrent dans ce projet ; ils ne purent forcer un passage à l’est de Poore, qui était gardé par les troupes de Kotah. Ils rétrogradèrent, et, suivant la direction des montagnes, atteignirent un passage à Laddanah, près de Seersee, le 12 de ce mois. Malgré une résistance fort vigoureuse des troupes de Kotah, ils forcèrent le passage et campèrent le jour suivant à Beechee-Tal. Le général se trouvait alors à vingt-deux milles de là à Bigrawum. Il se mit en mouvement dans la nuit du 13, mais il n’arriva qu’à deux heures du jour suivant, en raison du mauvais état des routes. Les Pindarries étaient encore dans leur même position, à Bechola : apprenant la marche des troupes anglaises, ils se mettent eux-mêmes en mouvement, laissant un corps de mille chevaux pour couvrir leur retraite. La cavalerie du général Marshall gravit rapidement les montagnes au milieu desquelles campait l’ennemi ; elle est suivie d’un bataillon d’infanterie qui traîne à la prolonge quelques pièces de campagne. À cette vue, les Pindarries prennent la fuite ; leur arrière-garde se trouve seule engagée avec l’avant-garde anglaise qui lui tue une cinquantaine d’hommes ; le reste échappe en se dispersant dans toutes les directions. La cavalerie les poursuit pendant environ dix milles, et revint à Beechee-Tal, n’ayant perdu que trois hommes et quelques chevaux. Le lendemain et le jour suivant, le général Marshall continua sa poursuite jusqu’à Parbuttee, il y rallia toute sa division à l’exception du détachement laissé à Nyaserie. Or, le quartier-général de la division de droite, commandé par le général Donkin, se trouvait à Sootlanpoor le 14 ; il apprit l’attaque des Pindarries exécutée par le général Marshall que nous venons de raconter ; il se hâta de les faire poursuivre, dès que leur fuite fut connue, par une brigade légère. Ceux-ci n’ayant rien su du voisinage des troupes du général Donkin, cette brigade put arriver, avant d’avoir été découverte, jusqu’au milieu de leurs bivouacs. La famille, la femme, les éléphants de Kurreem-Khan, tombèrent aux mains des Anglais.

Trouvant de la sorte tout accès fermé vers le Chumbul, les Pindarries tournèrent au midi ; ils dirigèrent leur course entre le Sind et la Parbuttee, vers Gogul-Chuppra, abandonnant à ceux qui les poursuivaient tout ce qui pouvait retarder leur marche. Cette voie de salut devait aussi leur être fermée. Le colonel Adams était arrivé le 15 à Gogul-Chuppra : il détacha sa cavalerie, sous les ordres du major Clarke, à leur rencontre ; la cavalerie irrégulière du major voltigea autour d’eux sans oser ou sans pouvoir les entamer ; lui-même, en dépit de tous ses efforts, ne put réussir à les atteindre avec sa cavalerie régulière. Les habitants de la campagne, pour être plus tôt débarrassés des Pindarries, favorisaient leur fuite. Ils se refusaient à donner des renseignements sur la route suivie par eux ; aussi le major se voyait-il réduit à faire sans résultat des marches et contre-marches continuelles. S’il parvenait à les atteindre, tout se bornait à leur tuer quelques hommes, car ils ne tentaient nulle part de résistance sérieuse. Désunis, battus, découragés, les durrahs arrivèrent enfin le 21 à Bajghur-Pattum. Le major Clarke se rejoignit ce jour-là au reste de sa division. Quelques escarmouches eurent lieu les jours suivants, toujours au désavantage des Pindarries, qui laissaient sur la place huit ou dix fois autant de morts et de blessés que ceux qui les poursuivaient. Les deux durrahs continuèrent leur fuite vers Augur. Là, ils apprirent la défaite de l’armée de Holkar, et les événements que nous allons raconter dans un instant ; ils rétrogradèrent alors dans la direction de Gogul-Chuppra. Ils firent une halte a Oornuddy, ou ils essayèrent de rassembler divers détachements ; puis, par un détour, se portèrent à Gungraur, d’où ils passèrent la Chumbul pour s’aller joindre aux débris de l’armée de Holkar. Le colonel Adams arriva lui-même dans ce dernier endroit le 6, avec l’intention d’y attendre ses bagages et ses approvisionnements. Malgré les poursuites obstinées dont ils étaient l’objet, les Pindarries n’avaient fait jusqu’alors que des pertes assez peu considérables. La connaissance du pays, leur intelligence avec les habitants, la rapidité de leurs mouvements, pourvus qu’ils étaient de chevaux infatigables ; tout cela les mettait à même de se jouer des troupes régulières. Craignant, en outre, d’être attaqués d’un moment à l’autre par quelque corps mahratte, les Anglais se voyaient obligés de traîner après eux de l’artillerie, ce qui retardait démesurément leur marche.

Jusqu’au commencement de novembre, les relations du résident anglais avec Apa-Saheb, le rajah de Nagpoor, avaient continué sur le pied le plus amical. Cependant des symptômes inquiétants, quant au maintien de la paix, ne laissaient pas que de se manifester. On parlait d’une correspondance régulièrement entretenue entre le rajah, Scindiah et le peschwah. Le rajah avait envoyé, ajoutait-on, ses trésors dans une forteresse, où lui-même manifestait l’intention de se rendre avant peu. Un corps de 8,000 hommes de cavalerie et autant d’infanterie se trouvait en ce moment rassemblé à Nagpoor et dans les environs. Toutefois de nouvelles levées continuaient d’être faites avec grande activité. Les levées aussitôt rassemblées étaient mises immédiatement sur le pied de guerre. La plupart des grands officiers éloignaient leurs familles de Nagpoor, comme s’ils eussent craint qu’elles ne s’y trouvassent pas en sûreté. Dans le mois de septembre, Apa-Saheb avait reçu dés envoyés de Chettoo, et à leur départ leur avait remis un vêtement d’honneur pour ce dernier. C’est dans cet état de choses que furent connus les événements de Poonah. Le rajah ne cacha pas sa joie en apprenant la rupture du peschwah et des Anglais. Le résident anglais, appelé à la cour, fut questionné sur ce sujet par Apa-Saheb en plein durbar. Les expressions du rajah, quoique calculées pour être encore amicales, ne laissèrent pas que d’éveiller quelques soupçons dans l’esprit du résident. Il se hâta, à peine rentré chez lui, de faire donner l’ordre au détachement du colonel Scott de se porter immédiatement sur Nagpoor. Ce détachement, bien que peu considérable, formait cependant les seules troupes dont il pût disposer. À la même époque, un killaut d’honneur envoyé par le peschwah arriva à Nagpoor. Ce killaut était parti de Poonah avant les derniers événements. Aussi le résident protesta-t-il contre sa réception, comme contradictoire aux conditions de l’alliance du rajah avec les Anglais. Apa-Saheb fut sourd à ces représentations ; il reçut le killaut en plein durbar et dans la forme ordinaire. Le jour suivant il se rendit de plus à son camp, situé aux environs de la ville, et là se fit recevoir avec les honneurs de serropultee, c’est-à-dire de général en chef dans les armées mahrattes ; tel était en effet le grade qui venait de lui être conféré par le killaut. Apa-Saheb, pendant long-temps, s’était laissé séduire par les avantages positifs que lui offrait l’alliance anglaise ; en ce moment, il se livrait tout entier à l’espérance de devenir l’un des restaurateurs de l’empire mahratte. On le voyait au moment d’imiter la levée de boucliers du peschwah. Le résident n’eut plus qu’à achever de prendre les précautions convenables.

La brigade du colonel Scott vint prendre possession de la double colline de Seetabuldee, qui formait un poste assez fort dans le voisinage de la résidence. Il n’y avait plus de temps à perdre pour prendre cette mesure : un parti d’Arabes se dirigeait vers la même position au moment où elle fut prise par les Anglais. Cependant, alors même, le rajah, fidèle à son système de dissimulation, parlait encore de son désir de demeurer en paix avec les Anglais, de cultiver leur amitié ; il demandait un entretien avec le monshee du résident. M. Jenkins lui communiqua la défaite du peschwah ; il en reçut un compliment de félicitations. Toutefois, loin de se laisser abuser par ces démonstrations, le résident fit donner au général Doveton l’avis d’arriver aussitôt que possible à Nagpoor, à la tête de sa division. Les collines de Seetabuldee sont situées entre la résidence et la ville ; elles consistent en deux monticules, distants l’un de l’autre d’environ trois cents verges ; l’un, à gauche, et celui qui regarde Nagpoor, est beaucoup moins élevé que l’autre ; elles sont séparées de la ville par un grand étang. L’infanterie anglaise occupa les sommets des collines ; la cavalerie fut placée en réserve derrière la résidence, qui de ce côté communiquait à la plaine. Sur le front et les flancs de la position se trouvaient grand nombre de huttes en terre construites au pied des collines. On aperçut l’ennemi s’y rassembler en grand nombre, et cette manœuvre, combinée avec l’approche de cinq canons, ne laissa plus de doute qu’on dût s’attendre à d’imminentes hostilités. Le soir venu, le colonel Scott, occupé de mesures de précaution, alla placer quelques sentinelles au bas de la colline du côté de la ville. Les troupes du rajah, qui l’aperçurent, commencèrent le feu. Après avoir répondu, le colonel regagna le sommet de la colline. À ce moment, un détachement des troupes du rajah, pour qui la fusillade qui venait d’avoir lieu avait été un signal, dirigea une attaque sur le côté opposé de la colline ; il engagea un feu très vif qui dura une partie de la nuit ; en même temps il amena du canon et acheva ses dispositions offensives.

Au point du jour, les Anglais toujours au sommet des deux collines, se trouvaient cernés de tous côtés, menacés sur plusieurs points par des batteries qui venaient d’être achevées. Le détachement anglais occupant l’éminence de gauche la moins élevée avait beaucoup souffert pendant la nuit ; il reçut du renfort. En raison de son petit nombre, le colonel Scott lui fit en même temps recommander de se borner à défendre le sommet seulement de l’éminence. Après quelques instants de repos, l’ennemi, à neuf heures du matin, renouvela avec plus d’acharnement que jamais l’attaque de la veille. Les Arabes au service du rajah se faisaient remarquer entre tous les autres par leur intrépidité. Ils gravirent, ils escaladèrent avec une résolution que rien n’arrêtait les pentes de la petite colline ; souvent repoussés, ils n’en revenaient qu’avec plus d’audace à la charge. Un autre détachement des troupes du rajah menaçait en ce moment même la résidence ; aussi la position des Anglais, dont les rangs s’éclaircissaient fort rapidement, devint alors fort critique. Mais le capitaine Fitz-Gerald qui commandait la cavalerie de ce détachement prit alors une résolution hardie ; en dépit des ordres formels du colonel Scott, de ne pas quitter le sommet de la colline, il se précipita avec son escadron au milieu des masses confuses de la cavalerie ennemie. Surprise par ce choc inattendu, celle-ci se disperse en tous sens. Il attaque avec le même succès l’infanterie, s’empare de quelques pièces de canon qu’elle soutenait et les fait aussitôt tourner contre les fuyards. En voyant le succès de cette manœuvre, le colonel Scott résolut de la poursuivre ; à la tête de son infanterie il attaque l’ennemi avant que celui-ci ait eu le temps de se reformer et achève de le faire descendre la pente de la colline. Un caisson sautant en ce moment parmi les assaillants compléta leur désordre ; l’éminence fut définitivement reprise, les troupes du rajah absolument repoussées. Les vainqueurs les poursuivirent jusque dans le village et la plaine où ils s’emparèrent de deux pièces de canon. Dispersées, non découragées, les troupes du rajah, les Arabes surtout, n’en revinrent pas moins à la charge, mais ce fut toujours sans succès : leur feu commença peu à peu à s’affaiblir, et bientôt cessa tout-à-fait. La perte de l’ennemi, quoique fort considérable, n’a pas été évaluée avec exactitude ; celles des Anglais monta à 377 hommes tués ou blessés, c’est-à-dire au quart des combattants. L’action n’avait pas duré moins de dix-huit heures.

Le lieutenant-colonel Gahan arriva le 29 à Nagpoor ; le brigadier-général Doveton, le major Petman, qui commandait un détachement de troupes du nizam, l’y rejoignirent peu après ; d’autres renforts étaient aussi partis d’ailleurs ; mais Apa-Saheb ne semblait pas disposé à recommencer la lutte. Loin de là, il se hâta d’éloigner la plus grande partie de ses troupes, et surtout son artillerie, du voisinage de la brigade anglaise. Il s’était mis dès le lendemain de l’affaire en rapport avec le résident anglais, et demandait à traiter. Ce dernier éluda toute négociation, pour donner à la brigade du général Doveton le temps d’arriver. Le 15 décembre, tous les magasins et bagages furent envoyés au pied des collines de Seetabuldee, pour renforcer la position. Ces préparatifs achevés, le résident envoya les conditions suivantes comme base de tout traité : « Que le rajah reconnût que sa défection avait placé ses États à la merci des Anglais, et dissous l’alliance existante entre eux et lui ; qu’il livrerait son artillerie ; qu’il licencierait les Arabes et autres troupes mercenaires ; qu’il se présenterait de sa personne à la résidence britannique, et s’y constituerait prisonnier jusqu’à l’entière exécution de la condition ; que la réponse du rajah serait donnée le lendemain à quatre heures, terme de rigueur, qu’autrement les Anglais attaqueraient sans autre déclaration. » Nurayum-Pundit, qui depuis le commencement d’hostilité servait d’intermédiaire entre le rajah et les Anglais, continua ce rôle dans ces circonstances. Il sollicita un plus long délai. Sur sa demande, M. Jenkins consentit à retarder de trois heures, c’est-à-dire jusqu’à sept, le terme fixé. À six heures, Nurayum-Pundit se présenta de nouveau. Les Arabes et les autres troupes mercenaires ne voulaient pas permettre, disait-il, qu’Apa-Saheb se constituât prisonnier des Anglais ; ils menaçaient de s’insurger. Le négociateur demandait en conséquence un délai de deux ou trois jours, qui pût permettre au rajah de triompher de ces dispositions ; il promettait, au nom de celui-ci, que les conditions seraient acceptées au bout de ce temps. Le résident ne céda point et se contenta de prolonger de deux heures le terme fatal. Neuf heures arrivèrent, et il se trouva que rien n’était fait.

Le général Doveton, se portant alors en avant, vint prendre position au midi de la ville. À cette vue, Apa-Saheb se laissa aller à des craintes personnelles ; il monta à cheval, puis accompagné de ses ministres et d’une suite peu nombreuse, vint se livrer lui-même aux Anglais. Avis en fut immédiatement donné au général Doveton qui fit halte. On s’occupa aussitôt de l’exécution des conditions précédemment proposées. Le résident, dans la crainte que quelques pièces d’artillerie ne fussent secrètement éloignées, insistait pour en être mis en possession sur-le-champ ; le rajah ne fit pas d’objection. Un des ministres retourna auprès des troupes pour leur donner avis de ce qui se passait et prendre les mesures convenables. L’artillerie devait être livrée à midi ; il revint à onze heures et demie annonçant que tout était prêt. Le général eut l’idée d’envoyer un détachement se saisir des canons ; mais sur quelques informations qui lui arrivèrent, ce dernier conçut des soupçons. Au lieu d’envoyer un détachement, il marcha lui-même avec toute sa brigade, ployée en colonne par divisions. Plusieurs accidents de terrain, des maisons et des plantations d’arbres masquaient le front de l’ennemi ; il appuyait sa gauche à un étang, et sa droite à Nagpoor, des remparts de laquelle on voyait tout ce qui se passait. Ses avant-postes étaient placés au-delà des maisons et des plantations dont nous venons de parler ; 14 pièces de canon les défendaient. Le général Doveton s’empara facilement de cette première batterie que l’ennemi n’était pas préparé à défendre ; mais s’engageant dans les plantations qui se trouvaient au-delà, il essuya un feu très vif de mousqueterie. Il les traversa cependant, continua d’avancer, déboucha dans la plaine, se forma en bataille en face des autres batteries d’où partait un feu très vif. Il chargea délibérément les batteries de la gauche dont il s’empara ; l’infanterie et la cavalerie qui les défendaient se rabattirent sur la droite. La batterie du centre et de la droite tombèrent de la même façon dans les mains des Anglais. L’ennemi fit d’ailleurs une assez vigoureuse résistance ; sa cavalerie essaya de charger, mais elle fut tenue à distance par une batterie d’artillerie à cheval. 41 éléphants et 64 pièces de canon tombèrent aux mains des Anglais. Leur perte n’avait été que de 141 hommes, tant tués que blessés.

Les véritables causes qui amenèrent ce conflit entre les Anglais et les troupes de Nagpoor sont encore inconnues. On ne sait si, en refusant de livrer l’artillerie, celles-ci obéirent à leur propre sentiment, ou bien à des ordres secrets du rajah. Quoi qu’il en soit, cette journée n’en eut pas moins des suites importantes pour le gouvernement anglais. À compter de ce jour, l’armée de Nagpoor fut officiellement licenciée par le rajah. Des chefs importants continuèrent à demeurer à la tête des troupes qui tentèrent de résister ; un corps considérable de cavalerie, rassemblé à Ramteak, entra immédiatement en campagne ; enfin un autre corps de 5,000 Arabes et Indous, formant ! a garnison de Nagpoor, refusa d’obéir à l’ordre du lieutenant du rajah. C’est en vain que celui-ci solda leurs arrérages, leur fit promettre toute sécurité pour leur retraite, ils refusèrent obstinément à se soumettre. La tranchée fut ouverte devant la citadelle par le brigadier-général Doveton. Le 20 une batterie d’obusiers était déjà construite sur la plus élevée des collines de Seetabuldee. Le jour suivant, une batterie de brèche, composée de toutes les pièces récemment capturées sur l’ennemi, et dont la portée parut suffisante, commença son feu. Deux jours après, la brèche étant jugée praticable, tout fut disposé pour l’assaut. Quatre compagnies du bataillon du Bengale, une compagnie du 22e, une d’Écossais, des sapeurs et des mineurs, s’avancèrent vers la porte Jooma ; ils avaient ordre de s’y loger dans le cas où ils ne pourraient emporter la place. Une autre attaque devait être faite en même temps par le colonel Scott sur un jardin appelé Tolsee-Bagh, au midi de la ville, situé entre la rivière et la ville. Le major Pytman, à la tête d’un détachement de l’infanterie du nizam, devait se porter où besoin serait. La porte battue en brèche était tellement commandée par les murailles intérieures de la ville, que l’ensemble en constituait un véritable retranchement. Les assaillants, après avoir perdu quelques hommes en. essayant d’y pénétrer et de s’y établir, se trouvèrent enfin obligés de se retirer après une perte de 90 hommes tués et 179 blessés. Le général Doveton demeura convaincu que la place ne pourrait être prise sans une artillerie de siège plus considérable ; il résolut d’attendre l’arrivée de celle qu’il avait déjà demandée à Akola avant de renouveler ses opérations. Mais les Arabes comprirent qu’entièrement dénués d’espérance de secours, leur reddition était inévitable ; en conséquence, ils proposèrent de se retirer avec leurs familles, leurs bagages, leurs propriétés particulières et leurs armes. La proposition fut acceptée, la garnison évacua le fort le 30 décembre ; un détachement anglais l’escorta jusqu’à l’extrême frontière de Nagpoor.

En moins d’un mois les opérations militaires contre Nagpoor furent ainsi terminées ; il restait à s’occuper des nouveaux arrangements politiques qui naissaient nécessairement de ces événements. Le rajah, toujours à la résidence, était impatient de rentrer dans son palais ; il voyait son armée détruite, ses finances ruinées, mais il ne désespérait pas de se créer en peu de temps de nouvelles ressources. D’un autre côté, ce qui venait de se passer disposait fort le régent à empêcher que cela ne fût possible au moins de sitôt, il comptait bien profiter de la circonstance pour achever de mettre la principauté dans la dépendance absolue du gouvernement britannique. Un projet de traité destiné à atteindre ce but, et qu’il comptait soumettre au rajah, portait sur ces bases : « Le contrôle du gouvernement britannique sur toutes les branches de l’administration intérieure, sur toutes les relations extérieures ; le choix des ministres du rajah par le résident anglais ; l’occupation de la forteresse de Nagpoor, d’un autre fort du voisinage, par une garnison anglaise ; la construction d’un camp fortifié, sur les hauteurs de Sectobuldee, également occupé par les Anglais ; enfin la cession d’un territoire d’un revenu de 24 lacs de roupies. » La mise en exécution de ce traité équivalait, en définitive, à une sorte d’occupation militaire de Nagpoor. Le résident n’attendait que le moment de proposer ce traité au rajah, ou plutôt de l’y soumettre, lorsqu’il reçut de lord Hastings défense positive d’accomplir, à aucune condition, la restauration d’Apa-Saheb. Les choses en demeurèrent donc là ; mais le résident adressa à lord Hastings des objections qui ne tardèrent pas à faire revenir ce dernier de cette résolution. De nouvelles dépêches l’autorisèrent bientôt à conclure le traité sur les bases que nous venons de mentionner.

En prenant connaissance des conditions qui lui étaient proposées, Apa-Saheb fit un offre inattendue ; il demanda que les Anglais prissent eux-mêmes, à visage découvert, l’administration de tout le pays, à la charge à eux de lui fournir le quart des revenus pour ses dépenses personnelles, avec la garantie que cette somme ne tomberait pas au-dessous de 10 lacs de roupies. Il voulait, en un mot, se ranger dans la classe des nabobs du Carnatique et du Bengale. Mais comme le rajah ajoutait à cela certaines conditions, coûteuses à remplir, en faveur de ses créanciers et de ses parents, la proposition ne fut point acceptée. Pendant toute la durée des événements qui aboutirent à cette conclusion, Apa-Saheb montra une faiblesse, une irrésolution extrêmes. Lui et le peschwah eurent le tort irréparable pour leurs intérêts, de ne s’être pas concertés de manière à faire simultanément leur levée de boucliers. L’indécision et la faiblesse du peschwah pourraient peut-être servir, sur ce point, d’excuse à Apa-Saheb ; mais là ne se bornèrent point ses fautes. Après avoir rassemblé les forces qu’il croyait suffisantes pour anéantir la brigade anglaise, il différa si long-temps de l’attaquer, qu’il laissa échapper l’occasion favorable. Il se hâta ensuite de désavouer cette attaque, lorsqu’il lui était au contraire possible de la renouveler. L’extrême fatigue des troupes anglaises, se joignant à leur infériorité numérique, lui donnait des chances de succès presque assurées. Il ne tenta rien, non plus, pour empêcher la brigade Doveton d’arriver sur le théâtre des événements. Même après sa défaite à Nagpoor, tout moyen de résistance ne lui était pas enlevé. La nature du pays lui permettait de faire aux Anglais une guerre de détail qui eût traîné indéfiniment en longueur, leur eût coûté beaucoup d’hommes et d’argent. Ce dernier parti, en forçant les Anglais à diviser leurs forces, eût peut-être empêché le peschwah de succomber, et à son tour ce dernier aurait aidé Apa-Saheb ; mais il abandonna sa cause long-temps avant qu’elle fût désespérée. L’espérance de sauver du naufrage quelque ombre de royauté l’empêcha de lutter pour en conserver la réalité.

Le général sir John Malcom à la tête de la troisième division de l’armée du Deccan, arriva à Tullain le 26 novembre. Là, il apprit la fuite de Chettoo à l’ouest ; il apprit aussi que Kurreem-Khan et Wâsil-Mahomet avaient pris la direction du nord. Il résolut de poursuivre le premier, et se dirigea sur Agur, par Sarungpoor. Mais depuis quelque temps les dispositions de l’armée de Holkar donnaient quelques soupçons ; le colonel Adams dut se mettre en mesure de venir au secours de la division de Malcom, s’il en était besoin. Ce dernier arriva à Agur le 4 décembre ; les informations qu’il reçut confirmèrent ce qu’il pressentait déjà des mauvaises dispositions de Holkar. Chettoo ayant établi son camp dans le voisinage de ce dernier, en avait obtenu une audience ; de plus, la permission de déposer sa famille dans une forteresse mahratte. C’étaient là des signes non équivoques des dispositions du parti dominant dans le durbar. Sir John Malcolm apprenant, dans le même temps, que sir Thomas Hislop était de retour à Ojien, manœuvra pour se rapprocher de lui, pendant que le colonel Adams avancerait vers le nord pour opérer de concert avec le général Marshall, alors au moment de quitter Seronjee. Les affaires touchaient à une crise.

À la cour de Holkar, les menées du peschwah avaient obtenu un plein succès. Un brahme, serviteur de la maison de Gunput-Row, profita habilement de l’absence de Tantia-Jog, pour semer la division entre celui-ci et le durbar. À peine ce ministre fut-il de retour, qu’un parti nombreux se saisit effectivement de sa personne, sous prétexte de réclamer des arrérages. Ce parti, dirigeant les affaires de Holkar, s’était en outre engagé à soutenir la cause de Bajee-Row. Des ordres furent envoyés, dans le mois de novembre, à tous les détachements de l’armée de rejoindre sans délai. Le mois suivant elle se trouva, en effet, rassemblée tout entière à vingt milles environ de Mahdipoor. On apprit alors l’apparition d’une division de l’armée britannique, à quinze milles de Mahdipoor et dans une autre direction en outre, qu’une autre division de cette armée avait pénétré en Malwa. Il était urgent de prendre des mesures de précaution. Une partie des chefs et des grands officiers de la cour de Holkar, appartenant au parti alors dominant, tint conseil. Tantia-Jog ouvrit l’avis d’entrer en communication avec sir John Malcolm qui commandait la division la plus voisine ; son avis fut rejeté ; on l’accusa d’intrigues personnelles avec les Anglais, et sa séquestration en fut rendue plus sévère et plus étroite. Cependant, tout en se dirigeant sur Oojein dans le but d’opérer sa jonction avec sir Thomas Hislop, sir John Malcolm avait écrit aux ministres de Holkar. Il les engageait, dans le cas où ils voudraient la paix, à lui envoyer des négociateurs. Les ministres, acceptant la proposition, lui dépêchèrent quelques uns de leurs agents confidentiels, avec de pleins pouvoirs. Les propositions de sir John furent éminemment modérées ; toutefois, il insista fortement sur la nécessité de la réforme de la partie turbulente de l’armée. Les ministres objectèrent leur impuissance. Bientôt, en effet, les soldats instruits de cette circonstance se montrèrent animés du plus vif désir de combattre. La cavalerie mahratte vint enlever jusque sous leurs yeux le bétail des Anglais. Chaque jour, chaque heure menaçait de voir éclater des hostilités plus décidées.

Le parti opposé à Toolsah-Bahe était aussi celui qui voulait la guerre ; les circonstances le favorisaient ; les troupes avaient conservé un profond ressentiment de la mort de Balaram-Seit ; elles savaient, en outre, la résolution de Toolsah-Bahe, de mettre l’État de Holkar sous la protection du gouvernement britannique ; ce qui entrainait, pour les chefs militaires, la perte de tout pouvoir, de toute influence. Sous l’impression de ce sentiment un officier des gardes prit un parti hardi à l’aide de quelques complices, il réussit à s’emparer de la personne du jeune Mulhar-Row, et l’emmena à quelque distance. Toolsah-Bahe fut en même temps cernée et emprisonnée dans sa tente. Gumput-Row, cet amant favorisé, vint d’abord à son secours ; mais apprenant l’enlèvement du prince, il comprit toute l’importance du complot ; il monte aussitôt à cheval et tente de s’échapper. Un détachement de conjurés se met à sa poursuite, l’atteint, le frappe, le renverse de cheval, puis le ramène prisonnier à travers les lignes d’infanterie. La nuit devait voir une scène plus tragique encore. Les gardes placés autour de la tente de Toolsah-Bahe avaient une consigne tellement sévère, qu’ils interdirent soigneusement tout accès auprès d’elle ; elle refusa toute nourriture et passa la journée dans les larmes. Elle fut enfin saisie pour être amenée sur le bord de la rivière, lieu désigné par ses ennemis pour la place de son exécution. Oubliant sa fierté, elle pria d’une voix suppliante qu’on lui sauvât la vie ; elle rejetait sur d’autres les crimes qu’on lui imputait ; elle offrait ses bijoux et promettait ses trésors. C’était au point du jour ; le camp était endormi, ses sanglots et ses gémissements réveillèrent les soldats au milieu desquels elle cheminait ; mais, dit un témoin de la scène, « pas un pied ne bougea, pas une voix ne s’éleva pour une femme qui n’avait jamais montré de merci pour les autres. » Elle fut enlevée de son palanquin sur les bords de la Seeprah ; on lui trancha la tête, le corps fut jeté dans la rivière, privé de prières et de funérailles. Elle n’avait pas encore trente ans. Elle était belle, remarquable par le charme et la fascination de ses manières, par la culture de son esprit ; personne ne la surpassait en éloquence entraînante et persuasive. Elle montait à cheval avec beaucoup de grâce, toujours escortée par une troupe de femmes appartenant aux premières familles de ses États. Flétrissant tant de belles qualités par des vices plus nombreux encore, elle n’obtint, au dire du même historien, « ni respect pendant sa vie, ni pitié au moment de sa mort. » Cette même nuit, les chefs du complot, c’est-à-dire de l’armée, liés plus étroitement que jamais par la solidarité de ce meurtre, réunis par le sentiment d’un danger commun, animés par le désir de soutenir la réputation de l’armée de Holkar, se préparèrent à combattre. Ils prirent des dispositions hardies et bien calculées.

De son côté, l’armée anglaise avait pris position à peu de distance de Hernia ; elle occupait le fond d’une petite vallée, ayant derrière elle une rangée de montagnes peu élevées, en avant de la rivière Seeprah ; à droite et à gauche des ravins profonds se joignant au lit de la rivière ; à leur gauche passait une route qui allait à Oojein, à leur droite une autre route qui conduisait à Mahdipoor, puis une troisième, traversant leur camp, aboutissait à la rivière au seul point qui se trouvât dans un espace de plusieurs milles, et situé précisément en face du centre de l’armée anglaise. Des détachements nombreux occupaient les trois routes que nous venons de nommer. Cette position, éminemment forte en elle-même, avait cet inconvénient qu’on ne pouvait la quitter sans quelque danger en face de l’ennemi. Le général anglais prit pourtant ce parti ; il fit travailler à quelques sentiers pour rejoindre la route de Mahdipoor, pour laquelle il fallait passer pour atteindre l’ennemi, car cette route, sur la droite de la position, mais un peu en arrière, en était séparée par des terrains impraticables. Cet ouvrage occupa les pionniers jusqu’à la nuit du 20 au 21. Les troupes employèrent le reste de la nuit aux préparatifs nécessaires pour l’exécution des mouvements du lendemain. Le 21 décembre, environ une demi-heure avant le point du jour, l’armée fut en mouvement. Sir John Malcolm prit le commandement de l’avant-garde. On marcha pendant huit milles sans découvrir aucun ennemi : alors arriva un courrier porteur d’une lettre de Mulhar-Row-Holkar. Cette lettre était conçue en termes vagues, mais finissait par ces mots : « Si vous avancez, rappelez-vous que c’est l’armée de Holkar que vous rencontrerez. » Sir Thomas Hislop répondit par une note où se trouvaient récapitulés tous les griefs dont se plaignaient les Anglais, puis continua sa marche.

À neuf heures, l’avant-garde gravit une colline sur laquelle passait la route : de là on aperçut la vallée où se trouve la ville de Mahdipoor, sur la rive droite de la Sepprah, ayant en ce lieu ses rives toutes garnies d’avenues de grands arbres. Cette plantation cachait la vue de la position occupée par les Mahrattes ; d’ailleurs toute la plaine était couverte de leurs cavaliers, tantôt rassemblés en corps considérables, tantôt éparpillés en petits détachements. Ceux-ci arrivaient hardiment jusqu’à demi-portée de pistolet de l’avant-garde ; mais celle-ci s’arrêta en ce lieu pour attendre le corps de bataille. Il devenait nécessaire de délibérer sur le parti à prendre. Du haut d’une petite colline du voisinage, sir Thomas Hislop put avoir une vue complète de la position de l’armée mahratte ; elle se déployait au-delà de la rivière et sur deux lignes ; la première, formée par l’infanterie et l’artillerie, la seconde par la cavalerie serrée en masse. La rivière ayant fait un détour depuis l’endroit où l’armée avait campé la veille, se retrouvait entre elle et l’ennemi ; mais comment la passer ? Les informations qu’on avait sur les gués étaient fort incertaines, fort incomplètes ; aller chercher un gué au-dessus ou au-dessous de leur position était une manœuvre qui n’eût pas demandé moins d’un jour entier. Harcelé de plus en plus par les tirailleurs mahrattes, le général se résolut d’abord à pousser une reconnaissance complète de leur situation et des moyens de l’approcher. La cavalerie, quelques pièces d’artillerie à cheval et l’infanterie légère reçurent, dans ce but, l’ordre de nettoyer la plaine située entre l’avant-garde et la rivière. Sir John Malcolm, à la tête de la moitié de la cavalerie, se porta vers la droite où les cavaliers ennemis se montraient en plus grand nombre ; ceux-ci se replièrent promptement, se mirent à couvert dans un ravin difficile, ce qui empêcha de les charger ; toutefois le feu de l’artillerie acheva de les disperser. Ils se retirèrent alors les uns vers la ville de Mahdipoor, les autres sur le gros de leur armée. Mais pendant que ces manœuvres se passaient sur la droite et sur le front, la cavalerie inclina sur la gauche et gagna le village de Dooleit, sur le bord de la Seeprah ; de là, l’officier chargé de la reconnaissance vit en plein la situation des, ennemis ; il distingua aussi les endroits par où se retirait la cavalerie ennemie mise en déroute par sir John Malcolm. Il en conclut la situation des gués et la profondeur de l’eau en ces endroits. On savait déjà qu’il y avait deux gués, l’un à droite, l’autre à gauche de la position des Anglais ; mais comme aucun des cavaliers ennemis ne se retirait par le gué de droite, on conclut qu’il fallait se servir de celui de gauche. D’ailleurs le terrain de ce côté paraissait favorable pour la formation des troupes au sortir de la rivière.

Le corps de bataille, sous le commandement personnel de sir Thomas Hislop, s’était avancé pendant ce temps jusqu’à environ six ou sept cents verges de la rivière ; là il fut rejoint par sir John Malcolm, qui lui rendit compte de la reconnaissance. Tous deux, après s’être consultés quelques instants, convinrent d’opérer le passage et de le réduire par le seul gué de gauche. La brigade légère passa effectivement ce gué, tandis qu’une petite batterie protégeait le mouvement, et se forma sans difficulté sur la rive opposée ; elle essuya cependant une canonnade vive et soutenue. L’ennemi était rangé en bataille à huit cents verges environ, et parallèlement à la rivière ; mais sur sa gauche celle-ci faisait un détour soudain, et courait alors perpendiculairement, ou à peu près, à sa ligne de bataille. À sa droite se trouvait un ravin très profond qui se réunissait au lit de la rivière ; enfin sur le milieu de son front se trouvait un village ruiné, situé sur une colline qui, en raison de cette situation, était vraiment la clef de cette position. Comprenant l’importance de poste, les Mahrattes l’avaient rempli d’infanterie et flanqué de leurs principales batteries.

Un détachement d’artillerie à cheval rejoignit promptement l’infanterie légère de l’autre côté de la Seeprah. Elle s’établit aussitôt en batterie de manière à tenir tête à l’artillerie mahratte. Comme toutes celles de cette partie de l’Inde, cette rivière était profondément encaissée ; on ne pouvait en sortir qu’aux endroits où quelques ravins venaient se réunir à son lit. Sir Thomas Hislop s’occupa d’abord de s’emparer de ces divers endroits. Pendant ce temps l’artillerie à cheval, quoique fort bien servie, se trouva démontée ; ses pièces de petits calibres n’avaient pu tenir contre les grosses pièces de l’ennemi ; les régiments chargés de les soutenir voyaient leurs rangs s’éclaircir rapidement. Le moment était donc venu de prendre un parti définitif. Sir Thomas Hislop le comprit, et, sans attendre le passage du reste de l’armée, se décida à prendre l’offensive en exécutant avec toutes ses forces un vigoureuse attaque sur le front de l’ennemi, où se trouvait aussi le village ruiné. Sir John Malcolm, chargé de l’attaque, se mit en mouvement à la tête du centre avec deux brigades, l’une d’infanterie de ligne, l’autre d’infanterie légère. Un terrain uni, légèrement en pente, séparait les deux armées : le corps de Malcolm franchit cet espace avec calme et fermeté, en bon ordre, quoique sous un feu très vif et très meurtrier, auquel il ne répondit pas. Européens et Cipayes avaient appris à se fier à la baïonnette. Un bataillon de Cipayes s’arrêta cependant pour faire feu ; Malcolm leur cria : « Croyez-moi, mes garçons, mieux vaut leur faire sentir le froid de l’acier. — Bien dit, Votre Honneur ! » s’écria-t-on de toutes parts, et le bataillon continua d’avancer l’arme au bras. Le village fut emporté à la baïonnette ; l’infanterie mahratte lâcha pied, mais aucun des artilleurs n’abandonna son poste : ils se firent hacher sur leurs pièces. Chargée de l’attaque de gauche, la cavalerie anglaise ne s’en était pas acquittée moins heureusement ; elle chargea avec décision, rapidité, repoussa la batterie ennemie. Se voyant tournée, l’infanterie mahratte commença aussitôt sa retraite. Une partie exécuta ce mouvement le long de la rivière, une autre par la route d’Alloat, celle-ci poursuivie de près par la cavalerie anglaise. Le jeune Holkar se trouvait de ce côté ; à peine âgé de douze ans, il n’avait cessé de combattre au fort de la mêlée avec un de ses jeunes cousins, plus âgé que lui seulement de deux ans. Ce dernier, nommé Hurry-Holkar, tua deux cavaliers ennemis de sa main. Quant au jeune Mulhar-Row, il fondit en larmes en voyant la déroute des siens ; il les supplia de revenir ; il fallut l’arracher de force du champ de bataille. Le sang des Holkar n’avait point dégénéré.

Sir Thomas Hislop, en gravissant une petite colline, eut alors la vue distincte du camp ennemi. Bien qu’il fût tout dressé, les accidents de terrain l’avaient caché jusque là aux yeux des Anglais. Il envoya aussitôt à sir John Malcolm l’ordre dé se diriger de ce côté. La cavalerie, occupée à poursuivre l’ennemi, avait elle-même aperçu les tentes : cessant sa poursuite, elle marcha au même instant de ce côté ; sir Thomas Hislop, aussi dans cette direction. Une batterie placée sur la droite de la position ennemie ouvrit un feu assez vif, mais qui cessa presque aussitôt ; les Anglais en prirent possession sans éprouver aucune autre résistance. Une partie de l’armée mahratte avait opéré sa retraite en passant la rivière par un gué un peu en arrière du camp ennemi. Sir John passa ce même gué et se mit à sa poursuite ; mais le passage de la rivière avait pris du temps, et il ne put atteindre les fuyards. Pendant ce temps, l’armée anglaise prit position sur le lieu même qu’avait occupé l’ennemi, mais faisant face au côte opposé. Elle passa la nuit sous les armes. La perte des Mahrattes fut évaluée à 3,000 hommes, tant tués que blessés ; celle des Anglais à 778 hommes : elle pouvait l’être beaucoup davantage. C’était, en effet, une manœuvre singulièrement hardie que de traverser la rivière en présence d’un ennemi fortement retranché, appuyé d’une nombreuse artillerie, sans s’être mis en mesuré de faire quelque diversion au moyen d’un corps d’armée qui aurait passé au-dessus ou au-dessous. Il ne l’était pas moins d’attaquer la position de cet ennemi sur toute l’étendue de son front, sans le menacer par l’un de ses flancs.

Sir Thomas Hislop s’en était fié à la supériorité d’organisation des Européens ; et, de fait, elle leur donnait presque nécessairement la victoire dès qu’ils abordaient l’ennemi. Les circonstances les plus défavorables pour eux ne pouvaient guère empêcher ce résultat. Le caractère anglais, admirable pour braver le danger, activement ou passivement, se prêtait peu d’ailleurs aux manœuvres, aux ruses, je dirais volontiers, aux subtilités de la guerre. Lord Lake, qui laissa une si grande réputation dans l’armée anglo-indoue, en agissait volontiers de la sorte. Ignorant, ou, pour mieux dire, dédaignant toute combinaison stratégique, il gagna toutes ses victoires par une attaque directe qu’il conduisait lui-même, le plus souvent sans avoir reconnu la position ennemie. C’était à son bras plutôt qu’à sa tête qu’il voulait devoir la victoire. Quoi qu’il en soit, Sir Thomas Hislop demeura une semaine à Mahdipoor, pour établir un hôpital et un dépôt ; sir John Malcolm dut suivre la victoire, à la tête d’une légère division de l’armée. Une autre raison portait sir Thomas à faire ce séjour : il voulait attendre la jonction de l’armée de Bombay, qui venait quitter le Guzerate. Cette armée, d’abord dirigée sur Oojein, s’était ensuite trouvée rappelée sur la nouvelle de la défection de l’armée de Nagpoor. Le gouverneur-général fut fâché de voir la destination de la force de Bombay ainsi changée ; il donna l’ordre au gouverneur de cette présidence de la laisser s’acheminer vers Oojein. Le 30, cette armée fit sa jonction avec le quartier-général de l’armée du Deccan. Les deux corps d’armée réunis marchèrent ensuite sur Mundisor, pour soutenir sir John Malcolm qui avait déjà atteint ce point.

Le pouvoir de Mulhar-Row-Holkar se trouvait complétement brisé ; la retraite lui était coupée de tous côtés, aucun moyen ne lui restait de résister à l’invasion. La négociation fut ouverte par Ghuffoor-Khan. Il avait envoyé un agent à la recherche de son gendre laissé blessé sur le champ de bataille ; cet agent profita de l’occasion pour faire parvenir la nouvelle du changement survenu dans les sentiments des hommes influents du durbar. Tantia-Jogh était déjà délivré de la séquestration où on l’avait retenu, et rétabli dans ses fonctions. Dans sa réplique à cette communication, sir John Malcolm fit dire au durbar qu’il ne pouvait rien faire de mieux que d’envoyer immédiatement ce ministre comme négociateur au camp des Anglais. Tantia-Jogh se rendit effectivement auprès de sir John Malcolm le 1er janvier. À cette époque, le brigadier-général avait déjà reçu les instructions de lord Hastings sur le traité à conclure dans le cas où les négociations s’ouvriraient ; la négociation commença donc immédiatement. Lord Hastings demandait que Mulhar-Row-Holkar plaçât sa personne et ses États sous la protection britannique ; qu’il confirmât les arrangements déjà conclus par ce gouvernement avec Ameer-Khan, c’est-à-dire qu’il renonçât à tous droits de souveraineté sur les territoires garantis à ce chef ; qu’il cédât à perpétuité aux Anglais les quatre pergunnahs de Puchpuhar, Deeg, Gungrar et Ahoor ; qu’il cédât de même tout ce qu’il possédait au nord des montagnes ; qu’il fournit un corps auxiliaire de 3,000 hommes au gouvernement britannique ; enfin qu’il renonçât, au profit de celui-ci, à tous ses droits aux tributs des rajpoots. Dans le but de gagner le parti afghan, dont Ghuffoor était le chef, le gouverneur-général se décida à accorder à ce dernier un jaghire considérable, à condition toutefois qu’il le tiendrait comme feudataire de Mulhar-Row. Le traité conclu sur ces bases fut signé et ratifié par le gouverneur-général vers le milieu du même mois. Mulhar-Row, Gunput-Row, Ghuffoor-Khan et les principaux chefs mahrattes vinrent d’eux-mêmes se remettre sous la protection britannique. Tantia-Jogh fut chargé de l’administration générale de la principauté pendant la minorité du jeune prince.

Sir Stampfort Rafle avait été, comme nous l’avons dit, nommé au gouvernement de Java aussitôt après la conquête. C’était une situation assez difficile en elle-même, plus difficile, en outre, en raison de certaines circonstances, pour celui à qui elle tombait en partage que pour beaucoup d’autres. En effet, sir Stampfort n’appartenait point au service civil de la Compagnie ; il n’en fallait pas davantage pour le rendre un objet de haine et de jalousie pour tous les employés de ce service. Ceux-ci se considéraient comme frustrés ; comme dépouillés, au profit d’un étranger, de fonctions éminentes auxquelles ils se croyaient des droits positifs. D’un autre côté, la mésintelligence, ordinaire entre le service militaire et le service civil, ne tarda pas à éclater entre le nouveau gouverneur et le général Gillespie, qui avait eu une part si brillante à la conquête de l’île. La lutte tourna au désavantage de ce dernier, qui fut rappelé par le gouverneur-général. Libre des obstacles qui l’avaient embarrassé jusqu’à ce moment, le gouverneur se livra avec ardeur à l’accomplissement de la tâche honorable mais difficile qui lui était imposée. Pour subvenir aux frais d’administration, il vendit une certaine quantité de terres qui se trouvaient inutiles dans les mains du gouvernement. Il établit, pour percevoir le revenu, un système analogue à celui appelé des Ryots au Bengale. Il institua des tribunaux civils et militaires, basés sur les idées les plus libérales. Après avoir introduit la vaccine dans l’île, il consacra sous ce nom, terres de Jenner, une certaine portion de terre destinée à couvrir les dépenses qu’entraînait la mise en pratique de la découverte de ce philanthrope, tant à Java que dans les îles voisines. Il créa un grand nombre d’écoles primaires, où il s’efforça d’attirer les indigènes ; il réprima le jeu, une des passions les plus furieuses de ces derniers ; il adoucit le sort des esclaves, dont il préparait l’affranchissement ; enfin il fit tous ses efforts pour empêcher ou du moins diminuer l’introduction de l’opium. On pouvait espérer les meilleurs effets de cette administration douce, équitable, libérale ; mais les événements de l’Europe devaient avoir leur contre-coup dans l’Orient. Java fut restitué aux Hollandais. Les mêmes événements nous rendirent Bourbon, Chandernagor, Pondichéry, cet ancien théâtre de notre grandeur dans ces contrées, où elle n’est plus, hélas ! qu’un brillant et déjà lointain souvenir.

Sur le point de quitter Batavia, sir Stampfort écrivait à lord Minto, à propos du rétablissement de l’ancien gouvernement hollandais : « Si je pouvais croire que Java dût être gouvernée comme elle l’a été précédemment, je m’en éloignerais avec un cœur bien triste ; mais je me flatte qu’elle a devant elle un meilleur avenir. La Hollande n’est pas seulement ressuscitée, mais, je l’espère, renouvelée ; le prince qui se trouve à sa tête a été élevé à la meilleure de toutes les écoles, le malheur. J’espère que la population de Java sera aussi heureuse, je dirais volontiers plus heureuse que sous la domination anglaise : plus heureuse, dis-je, parce qu’elle est plus importante pour la Hollande qu’elle eût jamais pu l’être pour l’Angleterre qu’en conséquence la première doit veiller sur elle avec plus de soin et d’attention que la seconde. Votre Seigneurie, en causant sur les réformes à introduire dans ce pays, faisant allusion à l’incertitude où nous sommes de conserver cette possession, a souvent dit : « Faisons-y du moins autant de bien que nous pouvons pendant que nous y sommes ; » c’est ce que je me suis efforcé de faire, et, quoi qu’il puisse arriver, ce sera toujours pour moi un doux souvenir. » L’administration de sir Stampfort fut en effet un véritable commentaire de ces nobles et simples paroles.