Histoire de la Commune de 1871 (Lepelletier)/Volume 1/6

LIVRE VI

FIN DE LA GUERRE ÉTRANGÈRE

LA PAIX OU LA GUERRE ?

Les premières séances de l’Assemblée furent consacrées à la vérification des pouvoirs et à la nomination des commissaires, qui, au nombre de 15, devaient assister aux négociations avec l’Allemagne et faire un rapport sur les préliminaires de paix. Les commissaires furent tous pris parmi les réactionnaires et les pacificateurs à tout prix.

M. Jules Grévy avait été nommé président de l’Assemblée. M. Thiers, chef du pouvoir exécutif, avait désigné ses ministres. Ce furent Jules Favre aux Affaires Étrangères, Dufaure à la Justice, Ernest Picard à l’Intérieur, Jules Simon à l’Instruction Publique, de Larcy aux Travaux Publics, Lambrecht au Commerce. Le Flô restait ministre à la Guerre, l’amiral Pothuau à la Marine. Le ministère des Finances était réservé. Il fut attribué par la suite à M. Poujer-Quertier.

L’Assemblée suspendit ses séances pendant les négociations. Les commissaires et M. Thiers partirent pour Paris.

Les séances ne présentèrent qu’un intérêt relatif. Tout était en suspens, jusqu’à la délibération sur les préliminaires de paix. La vérification des pouvoirs, l’élection du chef du pouvoir exécutif, la constitution du cabinet, et la nomination des commissaires pour l’examen des conditions de la paix, c’était le lever de rideau inévitable. Le drame allait se dérouler avec le débat public sur « les préliminaires de paix ». On remarqua ce terme employé par tous, députés, journalistes, diplomates, et qui passait dans le langage courant du pays. On semblait, en l’employant, ne pas envisager d’autre issue aux négociations que la paix. L’éventualité de la continuation de la guerre, du refus de la paix onéreuse et humiliante, ne semblait pas même admissible. La démission de Gambetta, provoquée par les agissements de Jules Simon, par la désapprobation du gouvernement de Paris, prouvait visiblement qu’on était prêt à subir sans résister, autrement qu’avec des phrases mélodramatiques et des larmes théâtrales, les dures volontés de Bismarck.

La reprise des hostilités était une hypothèse aussitôt écartée qu’elle se présentait à l’esprit. Les conditions de la paix, consistant principalement dans la cession de l’Alsace-Lorraine, apparaissaient à tous comme dépassant les pires prévisions, mais que faire ? À ceux qui s’indignaient, on demandait s’ils avaient un moyen de soustraire la France au démembrement exigé. Pouvait-on imaginer la continuation de la guerre ? À Paris, mais non pas à Bordeaux, on trouvait peut-être des gens pour supposer cette folie ! Sauf quelques patriotes convaincus et irréductibles, qui passaient pour des dons Quichottes, l’épithète la plus injurieuse qui soit, sauf aussi quelques aigrefins de la députation, qui redoutant un vote pacifique, plus tard reproché, ayant d’ailleurs la certitude que le traité consacrant le démembrement serait voté, et exécuté, sans leur signature, comptaient bien que leurs collègues n’auraient pas leur prévoyante abstention, tous, à l’assemblée, reconnaissaient, d’un cœur navré mais soulagé, qu’il n’y avait nulle possibilité de ne pas passer par le chemin de bonté et de douleur, que d’un doigt impérieux leur indiquait Bismarck. Il fallait accepter la paix sans phrases, telle qu’elle était décidée par Thiers, Jules Favre et l’Allemagne.

Beaucoup de députés venus à Bordeaux, avec l’intention bien arrêtée, conforme d’ailleurs aux volontés plus ou moins franchement exprimées de leurs électeurs, de voter tout ce que le gouvernement proposerait, pourvu que ce fût la cessation définitive de la guerre, faisaient mine de douter, d’hésiter. Ils n’osaient pas avouer que leur opinion était faite, et que rien ne saurait les en faire changer. Ils discutaient dans les couloirs de l’assemblée, dans les parlottes, dans les cafés, comme si le doute sur le résultat final était possible. Ils semblaient d’accord avec les gens se disant bien informés, qui colportaient, en prenant des airs mystérieux, des bruits fantaisistes. Ceux-là assuraient, en baissant la voix, comme s’ils communiquaient un véritable secret d’État dont ils posséderaient le tuyau, que la paix ne serait pas votée. À l’appui de cette assertion, qu’ils n’émettaient que pour souder l’opinion ambiante, tâter leurs voisins, provoquer la contradiction, et amener le démenti qu’ils espéraient, ces nouvellistes à double face prétendaient que les députés monarchistes refuseraient le vote. Ces hobereaux formaient dans l’Assemblée un parti important. Ils étaient irrités du refus de l’Assemblée d’admettre le duc d’Aumale et le prince de Joinville, élus dans l’Oise, dans la Manche et dans la Haute-Marne. Ils pouvaient former une majorité contre le gouvernement, en mêlant leurs bulletins avec ceux des députés républicains avancés et des députés de l’Est, qui voteraient contre la paix, ne voulant pas ratifier la cession de l’Alsace et des territoires lorrains.

Les partisans de la continuation de la guerre étaient en réalité peu nombreux, mais plus bruyants et presque provocateurs. Presque tous les députes avancés élus par Paris étaient avec eux. Ils reprochaient aux amis de la paix leur facilité à accepter la défaite, leur résignation trop prompte et leur soumission, peu digne, aux ordres du vainqueur ; quelques-uns, ceux qu’on nommait les vieilles barbes de Quarante-Huit, évoquaient avec une emphase trop cabotine les souvenirs de l’antiquité.

« Les Romains, disaient-ils, ne consentaient à traiter que lorsque l’ennemi avait quitté leur territoire ! » Mais où étaient les sénateurs de Rome ? Pas à Bordeaux, assurément.

Ces orateurs de l’irrédentisme français affirmaient que la France avait encore des hommes, des ressources, de l’énergie. Ils soutenaient, et non sans apparence de raison, qu’on aurait pu se montrer moins disposé à traiter, faire montre de résistance, et déclarer, non pas qu’on était prêt à tout accepter, mais à tout refuser. On eût certainement sauvé Metz en tenant le poing fermé. On tendait trop bénévolement la main ouverte à Bismarck, qui s’empressait de répondre à cette manifestation amicale en redoublant ses prétentions, en se montrant sourd à toutes les argumentations de Thiers, indifférent à toutes les jérémiades de Favre.

LA RÉSISTANCE ETAIT-ELLE POSSIBLE ?

À quarante ans de distance, et bien que la plaie soit encore saignante, puisque, ni en France ni en Allemagne, on n’a rien offert, rien tenté pour la cicatriser, ou pour faire revivre la chair mortifiée, il est permis, sans forfanterie. sans chimérique illusion, d’examiner la question de savoir s’il était possible de lutter encore après la déroule de l’armée de l’Est, due à l’inouïe aberration de Jules Favre, après la défaite de l’armée de la Loire, due à l’inexpérience des mobilisés, après la capitulation de Paris et la reddition des forts, dues à la famine, et après l’immobilisation de l’armée parisienne, ligne, corps francs, mobiles et cardes nationaux, tous, prisonniers de guerre, due à la convention d’armistice.

En examinant froidement la situation réelle des forces militaires existantes, et à créer, en faisant état des corps d’armée qu’il était possible de réunir encore, en évaluant seulement les ressources matérielles de la France, au moment de la discussion des préliminaires de paix, on peut hardiment répondre qu’au prix sans doute de nouvelles et pires souffrances, et en sacrifiant un nombre considérable d’existences, la lutte était encore possible : l’invasion allemande aurait pu se terminer comme les précédentes invasions françaises en Russie, en Espagne, au Mexique.

On avait une vaste étendue de territoire non occupé, qui avait peu souffert de la guerre, qui n’avait éprouvé que la répercussion des désastres, de la disette du siège parisien, et dont les populations, si elles consentaient à se lever et à s’armer, pouvaient obliger les Allemands à disséminer leurs troupes, à faire face à vingt, à cent foyers de résistance, à s’affaiblir, par conséquent. Leurs meilleurs soldats, les troupes actives et de première ligne, avaient été considérablement entamées. Elles étaient en grande partie épuisées, lassées, impatientes de déposer les armes, désireuses de reprendre la route de leur pays. Elles n’eussent pas apporté, dans une guerre de défense simultanée sur vingt points distants de notre pays, le même entrain, la même énergie, dont elles avaient fait montre durant la première partie de la campagne, où elles avaient rencontré si peu d’obstacles, où, sauf Metz et Paris, Bazeilles et Châteaudun, elles n’avaient trouvé que villes ouvertes, campagnes dégarnies, autorités complaisantes et populations résignées.

La France n’avait pas tout son sol envahi. Une partie de la Normandie, la vaillante Bretagne, l’héroïque Vendée, le Bocage, le Poitou, toutes ces contrées où sont faciles la guerre défensive, le combat derrière les haies, la lutte par petites bandes susceptibles de retarder, d’arrêter de grandes masses armées n’ayant pas la possibilité de se déployer, gênées pour tirer parti de leur nombre, toutes ces régions de l’ancienne chouannerie étaient intactes. La solide Auvergne, donjon national, pouvait servir de camp retranché, inexpugnable. Tout le Midi, qui parlait volontiers de se lever en masse, n’avait pas souffert de l’invasion. On le prendrait au mot. Il finirait, le sentiment de la conservation aidant, par bouger. Paris avait capitulé, mais il renfermait des combattants nombreux encore, déjà aguerris, endurcis par le siège. Ces troupes volontaires, inutilisées par Trochu, pouvaient s’évader de la capitale, amener leurs meilleurs contingents. Ces bataillons parisiens, renforçant l’armée de Chanzy, devraient retenir de longs mois les Prussiens dans l’Ouest et au Centre. La marine, qui n’avait été que d’une utilité relative, car les marins, débarqués, avaient fait le coup de feu des fantassins, disposait encore de réserves fraîches. L’argent ne manquerait pas. Les vivres, dans les territoires non occupés, étaient abondants. Des Cévennes aux Pyrénées, on pouvait recruter, armer, lancer, deux millions de citoyens résolus à mourir pour la défense de la patrie…

C’eût été alors sans doute la guerre qu’ignorent et méprisent les professionnels de la destruction. Ils la redoutent aussi. On eût alors assisté à la résistance désespérée, à la guerre sainte, comme la proclament les musulmans. C’eût été la guerre du désespoir, à laquelle ont eu recours les peuples menacés, décidés à se défendre et à périr, mais qui, par elle, se sont défendus et ont survécu. La France pouvait encore se sauver, si la France acceptait la lutte, comme doit la vouloir un peuple aux abois, sanglier blessé qui fait tête à la meute, la guerre atroce et sans merci, qui semble plus que l’autre une régression vers la barbarie, alors qu’elle est seulement la logique de cette barbarie portée à sa plus haute puissance. Au jugement des superficiels de la vie civile et des routiniers de la vie militaire, cette conception de la défense peut sembler un écho ridicule des divagations qui eurent cours dans les clubs, durant les veillées surexcitées du siège. En réfléchissant, on sera obligé de reconnaître que, c’était là seulement la façon de faire la guerre, si l’on avait voulu sérieusement et sans arrière-pensée d’atténuation et de modération réciproques arrêter les Allemands envahisseurs. Eh ! oui, c’était la guerre sauvage, la guerre comme les civilisés ne veulent plus l’admettre, comme si la guerre dilue dans l’humanitairerie, tempérée par les convenances et les procédés codifies, la guerre selon les règles de l’art, devenait œuvre de civilisation ! Elle était désirable, et en même temps abominable, mais à qui la faute ? Cette guerre furieuse, où tout devient arme pour combattre, comme tout être valide devient combattant, la guerre sans freins ni limites, sans conventions courtoises comme sans préoccupations philanthropiques, ou l’on supprime la croix de Genève, où l’on renonce aux suspensions d’armes pour relever les blessés, où l’on ne songe plus à enterrer les morts, où l’on abroge les lois de l’humanité, où l’on se débat comme la victime assaillie par un assassin, se démène, égratigne et mord, sans se soucier des ménagements et des pitiés.

L’heure terrible justifiait la guerre terrible, sans calculs de survie, sans escompte de l’internement protecteur ; la guerre des rues et des haies, des maisons et des chemins creux ; celle où les vieux capitaines frissonnent devant les vieilles femmes lançant leurs chaudrons du haut des toits, où la jeune fille accorte, avec un sourire, verse à l’envahisseur la boisson qui empoisonne, où l’enfant se glisse à quatre pattes sous des caissons, une mèche entre les doigts, et provoque, comme en se jouant, l’explosion du parc d’artillerie ; la guerre des guérillas, et des partisans, celle qui fait reculer les grenadiers devant les moines, et dont le souvenir emplit la tente pavoisée des conquérants de ces visions tragiques : les torches de Moscou, les tromblons de Saragosse, et le fossé de Querétaro.

Oui, la guerre, en février 1871, pouvait être continuée, mais à la condition de la faire autrement qu’en août 1870. Il fallait renoncer à la stratégie classique, et ne plus compter sur les tactiques enseignées aux écoles militaires. Plus de grandes armées, capables de gagner de grandes batailles, mais susceptibles aussi de se disloquer dans le désordre des grandes paniques. Nous ne pouvions disposer que de régiments improvisés, avec des recrues non exercées, conduits par des officiers novices, incapables de tenir en rase campagne contre des armées organisées, disciplinées, aguerries et entraînées par six mois de combats victorieux. Les hostilités devaient être reprises, mais avec de petits corps mobiles, épars et intrépides. Des soldats devenus des insurgés, harcelant sans relâche l’ennemi, interceptant ses convois, l’obligeant à livrer vingt batailles pour prendre un village, pour s’emparer d’un pont, pour franchir un défilé, c’était la bonne manière pour se débarrasser des Allemands en détail. On eût prolongé la guerre, s’il le fallait, jusqu’au printemps, jusqu’à l’automne, jusqu’à la retraite de l’ennemi ou son épuisement total. À moins que toute l’Allemagne valide ne se vidât pour occuper la France le succès était sûr. C’était la méthode qui avait réussi à Benito Juarez, et que notre ancien ennemi, réconcilié et sympathisant à la suite de nos malheurs, conseillait, dans une lettre intéressante adressée à un ami, combattant pour nous dans la légion des Amis de la France.

Cette lettre (b). ne fut publiée que tardivement. Il est vrai que, communiquée plus tôt, les gens de la Défense n’en eussent tenu nul compte : les Trochu, les Jules Favre le Ducrot ne voulaient qu’une défense à leur façon, devant aboutir fatalement à la défaite et à la capitulation.

Ainsi, d’après l’opinion d’un homme comme Juarez qui avait fait ses preuves en matière de résistance nationale, et nui avait sauvé son pays, la lutte était possible pour nous, avec le succès au bout, c’est-à-dire l’évacuation forcée de notre territoire, mais à des conditions qui eussent paru impossibles à la plupart de ceux qui étaient les maîtres de nos destinées.

La majorité du pays était-elle prête à ces sublimes sacrifices que la continuation de la guerre eût exiges ? Qui pourrait l’affirmer ? Qui eût osé, à Bordeaux, se porter garant de cette volonté opiniâtre et tenace, qui eût propose de soutenir jusqu’au bout une lutte d’extermination ?

Il est certain qu’en poussant les choses à l’extrême, cette hypothèse d’une guerre à outrance aurait pu se réaliser, et cela presque malgré nous, par la volonté même des Prussiens. Si les vainqueurs n’avaient pas prudemment imité leurs exigences, s’ils avaient exigé la cession, non plus de trois, mais de dix, mais de vingt départements avec une rançon de cinquante milliards, donc impossible à fournir et si par conséquent ils avaient entendu, jusqu’au parfait paiement, prolonger l’occupation avec leurs troupes en subsistance, l’assemblée de Bordeaux eût-elle réclamé et voté la paix quand même ?

Les Prussiens n’ont pas posé des conditions aussi exorbitantes, parce qu’ils savaient qu’elles ne seraient pas acceptées, parce que c’eût été déclarer qu’ils voulaient, eux, continuer la guerre. La France alors eût bien été forcée de choisir ; il lui aurait fallu se laisser égorger, comme un mouton bêlant, ou essayer de mordre, comme un loup blessé, puisqu’il lui restait des crocs. Les Prussiens se montrèrent relativement raisonnables, — malheureusement pour nous peut-être.

L’obligation de faire la paix, et la nécessité de se rendre à merci n’étaient donc pas aussi absolument impérieuses qu’on le prétendait. Si l’on a accepté les conditions de Bismarck, c’est qu’elles parurent acceptables, en tous cas préférables à l’option pour la continuation de la guerre. Le raisonnement par l’absurde, ou du moins par une hypothèse invraisemblable, prouve que la France pouvait refuser de payer cinq milliards comme elle aurait refusé d’en payer cinquante, et que la cession de l’Alsace-Lorraine aurait pu lui paraître aussi inacceptable que la cession de la Bourgogne, de la Franche-Comté, de tous les départements qui figurent déjà sur les cartes militaires allemandes comme devant être un jour conquis et annexés.

Les lois supérieures du déterminisme doivent être considérées comme ayant agi dans cette atroce nécessité. La France, dans l’état de faiblesse morale où elle se trouvait, ne paraissait pas libre de refuser la paix, bien qu’en réalité elle aurait pu, elle aurait dû le faire.

Il apparaît donc injuste de trop sévèrement juger ceux qui ont conseillé la paix, et l’on ne saurait condamner sans le bénéfice des circonstances atténuantes ceux qui l’ont votée. Il pouvait être facile de protester, isolément. pompeusement, à la tribune ou dans les journaux, contre la paix, c’était une manifestation qui passait pour honorable, et devait procurer de la popularité, voire des suffrages dans l’avenir, mais si la majorité, par une surpris e parlementaire, se fût trouvée du côté des partisans de la guerre, combien eussent déploré leur attitude fièrement belliqueuse, combien auraient regretté d’avoir été écoutes et suivis !

Quant aux nombreux citoyens, à Paris, à Lyon, sur tous les points du territoire, qui ne faisaient point de calculs, et qui par enthousiasme, par sentimentalisme, ou par tempérament combatif, maudissaient la paix et réclamaient la guerre, les événements leur eussent vraisemblablement vite donné tort. Il est probable que si l’Assemblée Nationale eût décidé de refuser les conditions de l’Allemagne et eût voté la reprise des hostilités, le pays n’aurait pas ratifié son vote : alors les Prussiens seraient devenus les maîtres, sans résistance et sans conditions. Ce n’est pas calomnier notre malheureux pays que d’envisager cette éventualité que les circonstances faisaient, hélas ! trop réalisable. En pesant de sangre-froid les choses, on doit reconnaître qu’en déplorant les termes de la capitulation de Paris, qui ont désarmé la France et l’ont livrée abattue a Bismarck et à Thiers, l’acceptation du traité imposé par l’Allemagne était à peu près inévitable, une carte forcée. La France sauf une minorité, avait pu accepter la guerre en 1870, elle ne paraissait plus capable den accepter les conséquences extrêmes en 1871.

LES PRÉLIMINAIRES DE PAIX. DISCUSSION DANS LES BUREAUX

Les préliminaires de paix avaient été arrêtés et signés à Versailles, le 27 janvier, MM. Thiers et Jules Favre partirent aussitôt pour Bordeaux. Ils éprouvèrent du retard à Poitiers, par suite de l’encombrement des voies, et n’arrivèrent à Bordeaux que vers midi, le mardi 28. Les députés avaient reçu une convocation pour une heure, dans les bureaux. Les quinze commissaires examinèrent sur-le-champ les propositions de paix, discutèrent les clauses du traité et nommèrent leur rapporteur. La séance publique, fixée à trois heures, ne fut ouverte qu’à quatre heures un quart.

L’animation était grande ce jour-là, à Bordeaux. Des troupes encadraient le local où se réunissait l’Assemblée. C’était le Grand-Théâtre, l’un des plus imposants monuments de Bordeaux, le chef-d’œuvre de Louit, qui devait être le lieu de la plus douloureuse tragédie nationale. Le contraste était saisissant entre la gaîté du décor et la morne tristesse du moment. Les loges étaient garnies de dames en toilettes élégantes. Des lustres et des candélabres éclairaient la scène. Les députés occupaient les bancs du parterre, depuis la rampe jusqu’aux baignoires. Les banquettes étaient rouges. Des sièges supplémentaires avaient été placés dans les baignoires. Des draperies encadraient le plateau. Le bureau était au centre et la tribune en dessous, à peu près sur le pupitre du chef d’orchestre. Deux rangs de loges étaient réservés aux journalistes, aux autorités, aux diplomates ; aux galeries supérieures, au paradis, s’entassait le public.

En attendant la séance, on se désignait les personnages marquants : Lord Lyons, ambassadeur d’Angleterre ; M. Okonine, ambassadeur de Russie ; le chevalier Nigra ambassadeur d’Italie ; M. de Metternich, ambassadeur d’Autriche, dans la loge diplomatique ; et parmi les députés, Victor Hugo, qui jusque-là avait coiffé le képi belliqueux, et ce jour-là avait repris le chapeau civil ; Louis Blanc tout en noir, sans barbe, l’air jeunet et un peu clérical ; l’évêque Dupanloup, congestionne, ardent, le teint animé, l’air martial ; Henri Rochefort, avec son sourire amer, son œil sarcastique, errant parmi les bancs, examinant les physionomies singulières, ahuries ou méchantes, de ces ruraux, comme Gaston Crémieux les avait qualifies.

Au dehors, la foule était considérable. Les curieux avaient attendu patiemment l’arrivée de M. Thiers. Ils guettaient, depuis plusieurs heures, les députés au passasse, les nommant de travers, et avec des commentaires fantaisistes La garde nationale de Bordeaux, comme dévoyée, passait e repassait, entre les deux haies de troupes. Elle protestait contre son éloignement du local où siégeait l’Assemblée. Elle avait réclamé vainement l’honneur de veiller a la porte. Elle affirmait, par sa déambulation obstinée, drapeau déployé et musique en tête, son droit de circuler et de parader dans sa ville. Au moment où M. Thiers allait faire connaître à l’Assemblée la cession forcée de nos deux provinces, cette musique encombrante, en défiant sur la place de la Comédie, jouait un pot-pourri de la Belle Hélène. C’était charmant d’à-propos, et ceci montre que ces grandes et lugubres séances historiques, où, comme à la barre de la Convention la vie d’un roi, se jouaient le sort de deux provinces et l’avenir d’une nation, sont surtout à distance imposantes. Les contemporains ne semblent jamais se douter qu’il, font de l’histoire Ils vaquent à leurs petites affaires, et poursuivent leur but coutumier, sans trop s’émouvoir. Pendant ces trois terribles journées, où le salut de la France, la reprise des hostilités et la mutilation de la patrie étaient en suspens, les trams « de plaisir », c’était leur désignation administrative, circulèrent sans discontinuer entre Bordeaux et Arcachon. Les hôtes cosmopolites, que les séances de l’Assemblée avaient réunis, allaient manger des huîtres au bord du bassin pittoresque. Les Bordelais flânaient, comme à l’habitude, plus empressés pourtant à sourire aux jeunes femmes passant et repassant par les allées de Tourny. Beaucoup de ces frivoles promeneuses venaient de loin, attirées par la présence d’hôtes certainement disposés à la dépense. Cet élément féminin exotique variait la monotonie du programme des distractions provinciales. Le temps était doux et clair. Un soleil joyeux dorait les physionomies, égayait les édifices. La nature, indifférente à nos deuils comme à nos félicités, est sombre un soir d’épousailles et rit le matin d’un enterrement.

Quand la commission des Quinze eut fini son examen et que M. Victor Lefranc, nommé rapporteur, eut achevé son travail, la séance fut ouverte. Il était quatre heures et quart. Jules Grévy occupait le fauteuil. Le baron de Barante, l’un des secrétaires, donna lecture du procès-verbal de la séance du 13 février, qui fut adopté. M. Thiers monta immédiatement après à la tribune.

Il demanda à la Chambre l’urgence pour la discussion et le vote du traité qu’il apportait, et dont M. Barthélémy Saint-Hilaire donna lecture.

L’urgence fut combattue par MM. Varroy, Millière et Tolain. M. Tolaiu, député de Paris, et l’un des fondateurs de l’Internationale, déclara « honteuse » la proposition. On ne pouvait, dit-il, voter sans une délibération approfondie. M. Thiers remonta à la tribune. Il déclara que la proposition faite par le gouvernement n’était pas honteuse. S’il y avait de la honte, c’était pour ceux dont le vote, à toutes les époques, avait contribué à la ruine du pays. L’Assemblée vota l’urgence.

La réunion dans les bureaux eut lieu à neuf heures du soir. Elle se prolongea jusque vers minuit. Les discussions furent ardentes et poignantes. La situation de l’Alsace et de la Lorraine communiquait aux plus détermines pacificateurs une émotion vive. Les députés des départements sacrifiés faisaient entendre leurs protestations au milieu d’une sympathie générale, mais le vote était acquis dans les esprits. À une très grande majorité, dans tous les bureaux la ratification des préliminaires de paix fut adoptée. La séance publique ne serait plus qu’une formalité d’enregistrement et un prétexte à manifestations diverses, plus ou moins déclamatoires et vaines. La paix était faite, et les Allemands commençaient leurs préparât, d’évacuation en même temps, ils se préparaient à faire leur entrée dans Paris.

SÉANCE DU PREMIER MARS

L’inoubliable et désastreuse séance du 1er mars s’ouvrit à midi trois quarts. Comme la veille, les galènes étaient bondées. Les mêmes femmes élégantes étaient venues là, comme au spectacle. On se montrait, avec la même curiosité les personnages marquants de l’Assemblée, et les notabilités du corps diplomatique.

Au début de la séance, plusieurs pétitions et protestations contre tout démembrement du territoire furent déposées. Un député. M. Girod-Pouzzol, du Puy-de-Dôme avait envoyé sa démission au président avec cette déclaration significative : qu’il ne pouvait accepter le traité, mais que, ne voulant pas aller contre le vœu de ses électeurs, il préférait se retirer. Les électeurs de l’honorable arverne étaient sans doute plus raisonnables, plus prudents que leur représentant, mais les motifs de la démission de M. Girod-Pouzzol étaient éminemment nobles, et la loyauté de son action mérite l’estime.

La parole fut donnée à M. Victor Lefranc, rapporteur de la Commission.

Le rapporteur déclara que la Commission avait accepté, sans aucun changement, les préliminaires de paix : « L’honneur de la France est sauf, ajouta-t-il, au milieu de vives protestations. Pour le présent, il s’agit d’arrêter le fléau de l’invasion ; pour l’avenir, la France saura réparer ses pertes, si elle sait profiter de l’expérience du passé, ne plus se jeter dans les révolutions et ne plus se réfugier dans le césarisme. »

Il termina en adjurant l’Assemblée de voter le traité :

Vous pouvez ne pas ratifier ce traité, dit-il, vous pouvez renouveler la lutte, mais si vous refusez, c’est Paris occupé et la France entière envahie. Dieu sait avec quels désastres ! Nous vous conseillons donc de ne pas vous abandonner au parti du désespoir. Quoi qu’il arrive, la France conservera le droit de maintenir son action dans le monde !

Ces phrases banales soulèvent d’héroïques et vaines protestations.

Edgar Quinet succède au rapporteur. L’éminent historien-philosophe jouit d’une certaine autorité dans les rangs des républicains. La majorité de l’Assemblée l’écoute avec déférence.

Il affirme que la France est rentrée dans la République pour n’en plus sortir, et qu’elle porte encore l’avenir du monde sous l’égide républicaine. Il proteste contre l’obligation de faire servir une Assemblée nationale à démembrer la nation. Le suffrage universel de la nation détruisant la nation elle-même, c’était inique et absurde.

Envisageant la cession des deux provinces, l’illustre auteur du Génie des Religions s’écrie éloquemment :

L’Alsace et la Lorraine font partie intégrante de la France. Vous n’avez pas le droit de dire à des compatriotes : Vous êtes Français aujourd’hui, demain vous serez Prussiens. Sur quoi se base l’Allemagne pour prendre nos provinces françaises ?

L’Alsace et la Lorraine ne sont pas des positions agressives contre l’Allemagne, c’est évident, et la guerre actuelle l’a démontré… L’Alsace et la Lorraine sont les boulevards de la France ; ôtez-les lui et l’ennemi débouche dans les plaines de la Marne, il est le maître de Paris. La Prusse veut non pas notre déchéance, mais notre anéantissement. Nous devons donc repousser le traité de paix, puisqu’il détruit le présent et l’avenir de la France. »

LA DÉCHÉANCE DE NAPOLÉON III

Un incident se produisit alors, qui fournil l’épitaphe légale du régime impérial, défunt depuis la guerre et la révolution du 4 septembre. Ce fut comme l’amende honorable d’une assemblée amenée à voter une paix désastreuse.

M. Bamberger, député de la Moselle, avait succédé à Edgar Ouinet et adjurait l’Assemblée de repousser la paix. Il ajoutait : « Un seul homme aurait dû signer un pareil traité : Napoléon III, dont le nom sera éternellement cloué au pilori de l’histoire ! »

Des bravos éclatent sur tous les bancs. L’Assemblée était rétrograde, cléricale, pacifique et trembleuse, en grande majorité, mais nullement bonapartiste.

Alors une protestation s’élève. C’est M. Conti, député de la Corse, l’ancien secrétaire de l’impératrice, qui l’a formulée. Une agitation suit ses paroles, mal entendues. On somme l’interrupteur de venir s’expliquer à la tribune.

M. Bamberger cède la parole à M. Conti. Celui-ci, au milieu d’un violent tumulte, déclare qu’il ne s’attendait pas à ce que, dans un débat si douloureux, il y eût place pour des discussions passionnées, pour des allusions blessantes envers un passé auquel se rattachaient un certain nombre des membres de l’Assemblée, qui, comme lui, avaient prêté serment à l’Empire.

Plusieurs voix crient : « La déchéance ! » pendant que des orateurs, dont MM. Henri Rochefort, Victor Hugo, Langlois, cherchent à escalader la tribune, pour protester à leur tour contre l’empire.

Une voix crie justement : « Les Prussiens sont à Paris, pendant qu’on se dispute à la tribune ! »

M. Bamberger propose de clore le débat, en votant formellement la déchéance de Napoléon III. Les bravos répondent à cette proposition.

Le président suspend la séance pendant un quart d’heure.

À la reprise de la séance, M. Allain-Targé a la parole pour une motion d’ordre.

Il donne lecture de la proposition suivante :

L’Assemblée Nationale clôt l’incident dans les circonstances douloureuses que traverse la Patrie et, en face de protestations et de réserves inatteodues, confirme la déchéance de Napoléon III et de sa dynastie, déjà prononcée par le suffrage universel, et le déclare responsable de la ruine, de l’invasion et du démembrement de la France.

La proposition est votée par acclamation. Tous les députés se lèvent, sauf quelques-uns.

Le président met la contre-épreuve au vote, par assis et levé. Cinq députés seulement se lèvent.

PROTESTATIONS PATRIOTIQUES

Après quelques paroles de M. Bamberger achevant son discours, interrompu par l’incident et le vote de la motion Allain-Tarçé, Victor Hugo monte à la tribune.

Le grand poète prononce un éloquent discours, aux phrases sonores, aux antithèses vibrantes. Il proteste contre la conquête :

L’Alsace, la Lorraine resteront françaises, quoi qu’il advienne, et quant à la France, elle n’abandonnera rien de son droit et de son devoir, qui est de garder l’Alsace et la Lorraine.

Dans l’abondante phraséologie de ce morceau oratoire, il y a de la philosophie, de la critique, de la prophétie, et aussi de l’utopie humanitaire avec de la chimère fraternitaire.

Un très beau passage à citer :

Une paix honteuse est une paix terrible. Que sortira-t-il de là ? La haine, non contre les peuples, mais contre les rois qui récolteront ce qu’ils auront semé. Les rois endiguent la conscience universelle. Ce que la France perdra, la Révolution le stagnera ! Bientôt l’heure viendra. Dés demain la France n’aura plus qu’une pensée, se reconstituer, reprendre ses forces, ramasser son énergie, nourrir de saintes colères, élever sa génération, ses petits deviendront grands, former une armée qui sera un peuple tout entier, travailler sans relâche, étudier les procédés et la science de nos ennemis, redevenir la grande France, la France de 1792, la France de l’idée avec l’épée…

Et puis un jour elle se dressera irrésistible. Elle ressaisira la Lorraine et l’Alsace !…

Jusque-là c’était admirable, et juste. La voix du grand poète était la voix même de la Patrie. Il dictait au pays le Décalogue du patriotisme.

Mais, emporté par son impétuosité, par sa verve débordante, dans une sorte de délire lyrique, Victor Hugo ajouta :

Elle ressaisira la Lorraine et l’Alsace, le Rhin, Mayence, Cologne…

Ce programme, qui était celui de la Révolution et de Napoléon, la restitution à la France de ses frontières naturelles, et la reprise des limites de l’ancienne Gaule, parut trop vaste et peut-être trop dangereux à l’Assemblée. Elle protesta.

Victor Hugo s’aperçut de la désapprobation dont sa hardie vision des revanches de l’avenir était l’objet. Il s’arrêta, et fit une sorte de rétractation déguisée, sous la forme pompeuse d’une aspiration vers la pacification universelle.

Après avoir noblement riposté aux interrupteurs ; « De quel droit une Assemblée française proteste-t-elle contrôle patriotisme ? » il continua, condescendant aux injonctions de ceux qui lui criaient : nous protestons contre l’esprit de conquête :

« Laissez-moi finir vous allez me comprendre… »

Il conclut lamentablement :

Oui, la France ressaisira la Lorraine et l’Alsace. Est-ce tout ? Non ! Non ! Elle ressaisira Trêves, Mayence, Coblentz, Cologne, toute la rive gauche du Rhin. Elle criera : c’est mon tour ! Allemagne me voilà ! Sommes-nous ennemies ? Non, je suis ta sœur ! Les peuples ne feront plus qu’un seul peuple, une seule République unie par la fraternité. Soyons les États-Unis d’Europe ! Et que la France dise à l’Allemagne : « Nous sommes amies : je n’oublierai pas que tu m’as débarrassée de mon empereur, mais je viens te débarrasser du tien ! »

Cette rodomontade finale produisit peu d’effet. Victor Hugo, qui écrivait à l’avance ses discours, aurait bien dû émonder cette fin, et raturer tout le passage après les mots : « La France ressaisira l’Alsace et la Lorraine. »

Le grand poète a d’ailleurs été jusqu’ici mauvais prophète, car la France n’a pas encore recouvré l’Alsace-Lorraine, et l’Allemagne a gardé son empereur.

Les protestations se succédèrent à la tribune. M. Vacherot dit qu’il votera la paix, qui peut seule sauver la France, quoiqu’il pense qu’on ne dispose pas d’une province comme d’une propriété privée, et quoiqu’il proteste contre le droit de conquête. Déclaration platonique, verbiage électoral, mise en garde contre les réclamations futures.

Louis Blanc fait appel à l’Europe :

Dans la dureté exceptionnelle que nous impose un ennemi barbare, il serait digne de cette Assemblée d’en référer à l’Europe entière, aux petites comme aux grandes puissances, qui sont le plus intéressées à ce que la terre ne soit pas livrée au droit du plus fort.

Mais l’Europe avait été sourde aux plaintes de la France meurtrie. Elle avait conservé, du régime napoléonien, une crainte de cette nation révolutionnaire et batailleuse, que ses désastres récents avaient sans doute diminuée, mais non entièrement supprimée. On n’était pas rassuré complètement par Sedan, Metz et Paris.

L’Europe murmurait : « Comme cette France agonisante est encore vivace et forte ! » Et tous craignaient la résurrection. L’Europe nous accordait trop grand crédit, et, au moins pour longtemps elle se trompait, puisque la France ne s’est pas encore relevée des suites de la chirurgie brutale de Francfort.

Louis Blanc fit un tableau saisissant de l’avidité conquérante de la Prusse, qui devrait alarmer l’Europe :

Qu’attend-on de la Prusse, dit-il, qui a commencé par le vol de la Silésie et le partage de la Pologne ? La Russie ne voit donc pas l’aigle impérial allemand qui étend ses ailes sur la Baltique ? L’Autriche a-t-elle oublié Sadowa ? L’Italie ne comprend-elle pas que la Prusse convoite déjà Trieste ? Le sort du Danemark n’a-t-il pas averti la Hollande ? Et l’Angleterre ne sait-elle pas ce qu’elle peut attendre du pangermanisme levant enfin le masque, et mettant l’épée à la main ? Y a-t-il si longtemps que l’équilibre européen était invoqué comme une nécessite, afin de mettre le territoire belge à l’abri de toute atteinte ? Comment l’Europe ne s’alarmerait-elle pas d’un César germanique, aujourd’hui, après s’être alarmée et coalisée, dans le passé, contre un César français ?

Ces considérations, malgré leur pessimisme, étaient de nature à impressionner l’Assemblée, mais la résolution de faire la paix, sans discuter les conséquences de cette soumission à la loi du plus fort, était arrêtée dans tous les esprits. Ces honorables protestations n’avaient qu’une portée pour ainsi dire historique. Elles permettent aux générations actuelles de constater que la paix n’a pas été consentie à l’unanimité des voix, ni sans réserves.

Parmi les orateurs qui crurent utile de motiver leur vote ou leur abstention, défilèrent ensuite à la tribune :

M. Buffet déclarant s’abstenir ; M. Jean Brunet disant, au milieu de nombreuses exclamations furieuses, qu’il n’y avait qu’un seul moyen de sauver la France, c’était de continuer la guerre ; M. Millière proposant d’employer à combattre l’envahisseur les milliards qu’on allait lui verser pour obtenir la paix ; M. Emmanuel Arago protestant contre l’intention attribuée aux adversaires du traité de rechercher la popularité. On pouvait d’autant mieux croire M. Arago, que, sauf à Paris, et dans quelques villes, et aussi en Alsace et en Lorraine, c’était la paix qui était populaire. Arago pensait aux électeurs futurs.

Enfin M. Keller, au nom de la députation d’Alsace, vint apporter une éloquente et douloureuse protestation. C’était le dernier râle d’agonie de l’Alsace française, au seuil du tombeau.

Voici comment s’exprima le patriote alsacien, prononçant l’oraison funèbre de son pays natal :

Messieurs, à l’heure solennelle où nous sommes, vous n’attendez pas de moi un discours : je ne serais pas capable de le faire. Celui qui devait parler à ma place, — car vous n’avez pas encore entendu un seul député de l’Alsace, — le maire de Strasbourg, le doyen de notre députation, à l’heure où je vous parle, se meurt de douleur et de chagrin ; son agonie est le plus éloquent des discours.

Eh ! bien, dans cette circonstance spéciale qui nous est faite, j’entends dire de tous côtés : Vous, députés de l’Alsace, vous pouvez voter contre le traité, mais nous, nous le voterons.

C’est vrai, nous avons quelque chose de spécial : notre honneur, à nous, nous reste entier ; pour rester Français nous avons fait tous les sacrifices, et nous sommes prêts à les faire encore ; nous voulons être Français, et nous resterons Français, et il n’y a pas de puissance au monde, il n’y a pas de signature, ni de l’Assemblée, ni de la Prusse, qui puisse nous empêcher de rester Français…

Eh bien, messieurs, comme Français, je viens réclamer ici ma part de l’honneur français, et quant à moi, ce traité est une atteinte à l’honneur français… et ce n’est pas seulement comme Alsacien, c’est comme Français que j’en souffre, pour mon pays ; quand on nous a annoncé ce traité, on nous a dit que la paix était nécessaire, mais qu’elle ne serait acceptée que si elle était honorable. Est-elle honorable, messieurs ? Est-il honnête de céder des populations qui veulent rester françaises, et qui, quand même, resteront françaises ? Ah ! je comprends, messieurs, qu’on livre des pierres, des forteresses, des vaisseaux ; mais que diriez-vous, si, sur des vaisseaux qui ne sont que du bols et du fer, vous livriez des équipages, et si vous forciez nos matelots à devenir matelots prussiens, et à faire la guerre à la France ?

Eh ! bien, c’est à ce que fait votre traité, vous livrez à l’empire d’Allemagne des populations entières, dont les enfants seront obligés de servir les desseins ambitieux, despotiques, de l’empire d’Allemagne, obligés du moins par le texte du traité, car je vous le dis d’avance, il y en a beaucoup qui, au péril de leur vie, échapperont à la servitude que vous leur aurez édictée.

Eh ! bien, à mes yeux, c’est là la plus criante, la plus cruelle des injustices, et se faire, dans n’importe quelle mesure, le complice d’une injustice, la ratifier, pour moi, c’est un déshonneur. Sur une question d’honneur, la discussion n’est pas possible : à quelque parti qu’on appartienne, au parti républicain, au parti monarchique, on ne peut comprendre l’honneur de deux manières.

Des orateurs ont tâché de sortir de cet embarras, en venant protester, à l’avance, contre le traité qu’ils signeraient et qu’ils voteraient.

Ce traité, qu’on me propose de ratifier, est une injustice, et, en même temps, c’est un mensonge. On vous dit qu’on cède à perpétuité l’Alsace. Je vous déclare que l’Alsace restera française. Au fond du cœur, vous-même vous le pensez.

Oui, vous pensez que l’Alsace est française ; vous voulez la reconquérir le plus tôt possible, vous voulez qu’elle redevienne française, et je défie qui que ce soit de dire le contraire.

Et cependant, dans votre traité, vous venez de dire que vous cédez à perpétuité la propriété et la souveraineté de l’Alsace. Eh ! bien, ce traité est un mensonge, et un mensonge, c’est un déshonneur.

Ah ! je sais, on me parlera de la menace de la guerre, et des dangers qui pourraient surgir.

D’abord, en fait de déshonneur et d’injustice, à mes yeux, aucuns prétextes ne sont suffisants pour les excuser ; mais j’avoue que, quant à moi, je suis convaincu que si la France avait été plus fermement résolue à l’avance à ne pas sacrifier son territoire, si la Prusse, qui désire aussi la paix, avait été certaine de trouver sur ce point des barrières infranchissables, elle nous aurait fait d’autres conditions.

Je n’ai pas, à l’heure qu’il est, la prétention de changer les dispositions trop arrêtées dans un grand nombre d’esprits. Seulement j’ai tenu, avant de quitter cette enceinte, à protester, comme Alsacien et comme Français, contre un traité qui, à mes yeux, est une injustice, un mensonge et un déshonneur, et si l’Assemblée devait le ratifier, d’avance j’en appelle à Dieu, vengeur des justes causes, j’en appelle à la postérité qui nous jugera les uns et les autres, j’en appelle à tous les peuples, qui ne peuvent pas indéfiniment se laisser vendre comme un vil bétail, j’en appelle enfin à l’épée de tous les gens de cœur, qui, le plus tôt possible, déchireront ce détestable traité !

Ces admirables paroles n’étaient pas que de l’éloquence. Elles ne prouvaient pas seulement une fois de plus que les grandes pensées viennent du cœur. Il se rencontrait autre chose, dans ce mâle langage, que l’explosion indignée et douloureuse d’un patriotisme réduit au désespoir. Il y avait dans la protestation de M. Keller une politique, une indication précise de la conduite qu’on aurait dû tenir, une prévision de l’avenir.

M. Keller a d’abord constaté l’équivoque de la situation. On cédait à l’Allemagne l’Alsace et une partie de la Lorraine, en toute propriété et souveraineté, et cela à perpétuité. Cependant, beaucoup de ceux qui signaient, contraints, et se soumettant à la plus Impérieuse des nécessités, cette cession perpétuelle, cet abandon définitif, protestaient tout bas, et se disaient que rien n’est éternel, que l’Alsace pourrait, devrait redevenir française.

Il y avait là comme un parjure, avant la foi donnée. Le traité, vicié, dans son principe, par la violence allemande, était également vicié, dans son essence, par le patriotisme français, rétractant secrètement la perpétuité de l’engagement.

Ensuite M. Keller a déclaré qu’il était persuade que si la France avait été plus fermement résolue à ne pas sacrifier son territoire, l’ennemi se fût montré moins exigeant. Si la Prusse, qui voulait la paix, qui était épuisée et hors d’haleine, et qui avait besoin, autant que la France, de déposer les armes, avait été certaine qu’on ne transigerait pas sur la cession du territoire, qu’on lutterait sans trêve ni merci, jusqu’à la mort, on aurait eu d’autres conditions. L’Allemagne se serait tenue pour satisfaite avec de l’argent, et peut-être avec une cession coloniale.

On sait aujourd’hui que M. Keller avait raison, au moins en partie. Si la Prusse eût difficilement laissé échapper l’Alsace, proie qu’elle tenait, et qu’elle estimait sienne, ayant toujours protesté contre le traité de Wesphalie, ayant formulé, à plusieurs reprises, le regret qu’en 1815 le traité de Vienne ne lui eût pas restitué ce territoire qu’elle proclamait allemand, elle eût probablement cédé pour la Lorraine. Mais il fallait insister, montrer les dents, en se déclarant prêt à mordre. Il fallait s’affirmer disposé à recommencer la bataille, plutôt que de renoncer à Metz et à son territoire, point sur lequel d’ailleurs l’entourage de l’Empereur conseillait de transiger.

LE VOTE

M. Thiers ne répondit qu’évasivement aux questions, si nettement et si hardiment posées par M. Keller. Il demanda d’abord quels moyens on lui fournirait pour continuer la guerre. Il se donna un certificat de satisfaction : « J’ai conduit, dit-il, les négociations avec tout le patriotisme dont j’étais capable ; j’ai lutté de toutes mes forces pendant des jours entiers ; je n’ai pas pu faire mieux que j’ai fait. »

Il servit ensuite son argument favori, qui consistait à offrir sa démission. Il devait revenir, tant et si souvent à ce moyen d’enlever un vote qu’à la fin, le 24 mai 1873, il lui arriva d’être pris au mot. Mais alors l’argument était neuf et solide, n’ayant pas servi plus de cinq ou six fois. L’idée de perdre M. Thiers apparaissait à la majorité comme aussi épouvantable que la continuation des hostilités.

Aussi, quand M. Thiers ajouta : « Si vous croyez pouvoir obtenir de meilleures conditions, envoyez d’autres négociateurs, vous me rendrez un grand service, vous me soulagerez d’un poids accablant », l’Assemblée protesta. M. Thiers continua à engourdir le peu d’énergie restant aux ruraux, en affirmant qu’il ne doutait pas de la force de la France, que l’ennemi était tout aussi convaincu de la puissance de notre pays, et que le traité exorbitant prouvait ses craintes.

Le chef du pouvoir exécutif se fit applaudir en développant cette thèse de tout repos. Puis il entama le procès du régime impérial, rappelant qu’il avait annoncé, au mois de juillet 1870, que l’on n’était pas prêt à faire la guerre. Il traça un tableau attristant de l’organisation militaire d’alors. Ou avait commencé la guerre avec des cadres vides. Far la suite on avait continué la guerre sans cadres, sans officiers, avec des soldats pleins de bravoure, mais sans organisation. Des braves ne font pas des armées.

Après une nouvelle offre de se retirer, en disant qu’il serait heureux pour lui-même, mais malheureux pour le pays, s’il n’était pas cru, il demanda le vote de la paix en ajoutant :

Messieurs, entendez la vérité. Mais si vous ne savez pas où elle est ; si vous ne voulez pas l’écouter ou la croire, vous pourrez vanter l’avenir de votre nation, mais bien vainement, vous la perdez au moment même où vous la vantez.

Après ce dernier appel à la majorité, on procéda au vote. En voici le résultat :

Nombre de votants 
 653
Majorité absolue 
 327
Bulletins blancs (pour) 
 546
Bulletins bleus (contre) 
 107

Le président proclame le résultat du scrutin : « L’assemblée a adopté. » Les préliminaires sont ratifies. Donc la paix est faite. Le traité définitif, prévu par l’article 7 ne devait rien changer au fond des conditions. L’Alsace et une partie de la Lorraine sont bien définitivement sacrifiées, perdues. Les députés des départements cédés donnèrent alors leur démission, et quittèrent immédiatement la salle des séances au milieu d’une vive émotion.

La guerre étrangère était terminée, et la guerre civile commençait.


Notes et éclaircissements

(b) Voici la lettre de Benito Juarez, ancien président de la République du Mexique, adressée à un de ses amis qui avait servi dans la légion des Amis de la France.

Cuernaveja, 18 décembre 1870.
Bien cher don Joaquin,

Votre silence sur ma lettre, datée de Mexico, 8 décembre, me fait craindre que, malgré le couvert diplomatique sous lequel elle vous était adressée, vous ne l’avez pas reçue.

Peut-être n’aurez-vous pas davantage reçu l’adresse du comité républicain des Deux Mondes, que don Antonio Ortiz y Carvajal vous envoyait par le même courrier, avec prière de lui donner la plus grande publicité possible.

Mais le « Phare de la Loire ». et, d’après lui, d’autres feuilles de Province l’auront sans doute insérée.

Cette adresse, dictée par la plus cordiale sympathie, et que j’ai tenu à honneur de signer l’un des premiers, est, dans la pensée de ses auteurs, destinée non seulement à porter à l’infortuné peuple français l’expression de nos vœux et de notre admiration, mais encore et surtout à ne laisser subsister dans son esprit aucun doute sur les sentiments fraternels qui animent tous les vrais Mexicains pour la noble nation envers laquelle la sainte cause de la liberté a tant d’obligations, et que nous n’avons jamais confondue avec l’infâme gouvernement bonapartiste.

C’est pourquoi, s’il est vrai, — comme nous croyons en être certains à Washington et ici, — qu’il existe un traité secret entre M. Bismarck et les Napoléon, en vue d’une restauration impérialiste, l’adresse en question n’aura certainement pas trouvé grâce devant la police postale allemande.

Quoi qu’il en soit, bien cher ami, et pour ne vous donner que l’expression de mes sentiments personnels, auxquels, je le sais, correspondent ceux de notre monde politique, — autant la défaite du brigand qui pendant cinq années a promené la mort et le pillage dans notre beau pays, m’a causé de joie indicible, autant sa chute, digne de son élévation, — tragique et grotesque à la fois, — m’a transporté d’allégresse, et comme républicain et comme Mexicain : — autant la poursuite de la guerre par le roi de Prusse et les horreurs qui en sont la conséquence en affligent au plus profond du cœur.

Et pourtant, si on détourne les yeux des scènes de carnage et de dévastation, si on parvient à s’affranchir de la douloureuse étreinte du présent, pour entrevoir et considérer l’avenir infini, on se dit que l’effroyable cataclysme qui semble devoir engloutir la France est, au contraire, le signal de la résurrection. Car elle renaît à la grande vie politique, sans laquelle une nation, quelles que soient d’ailleurs ses aptitudes en littérature, science et art, n’est jamais qu’un troupeau humain, parqué soit dans une caserne, soit dans une sacristie. Ces deux antres séculaires du despotisme, que mes amis et moi nous nous efforçons depuis quinze ans de démolir au Mexique.

Eh ! qui pourrait douter du triomphe final de la France, si elle veut, — ou plutôt si elle sait vouloir triompher ?

Je dis : si elle sait vouloir : car bien que les nouvelles qui nous parviennent des provinces non envahies révèlent une énergie, un patriotisme admirables et tout à fait à la hauteur des circonstances, je ne puis me défendre d’une sérieuse appréhension, quand je réfléchis aux qualités et aux défauts essentiels du soldat français, amoureux de la lutte en bataille rangée, là où son bouillant courage peut se développer tout à l’aise et devant témoins, — mais peu fait pour la lutte de partisans, la vraie guerre défensive, la seule efficace à bref délai, contre un envahisseur victorieux.

Certes, grâce à la prodigieuse activité de ce peuple, à ses instincts belliqueux, encore surexcités par la honte de l’occupation étrangère, les grandes armées de 150 à 200,000 hommes, formées à la hâte par l’illustre citoyen Gambetta, peuvent, habilement conduites, écraser en deux ou trois batailles l’invasion germanique.

Mais c’est là une possibilité ; ce n’est pas, tant s’en faut, une certitude. Or, dans la position ultra-critique où est la France, on doit au salut public de rejeter tout moyen qui laisse une porte ouverte à l’aléa d’une défaite, dont les conséquences peuvent être incalculables.

Si j’avais l’honneur de diriger en ce moment les destinées de la France, je ne m’y prendrais pas autrement que je n’ai fait dans notre chère patrie, de 1862 à 1867, pour avoir raison de l’envahisseur.

Pas de grandes masses de troupes, lentes à se mouvoir, difficiles à nourrir dans un pays ravagé, et trop accessibles au découragement après échec.

Mais des corps de 15, 20, 30,000 hommes au plus, se reliant entre eux par des colonnes volantes, pour se porter rapidement secours au besoin : harcelant l’ennemi nuit et jour, tuant ses hommes, coupant et détruisant ses convois, ne lui laissant ni repos, ni sommeil, ni vivres, ni munitions, l’épuisant en détail sur toute la surface du pays occupé, et le réduisant finalement à capituler, emprisonné dans si conquête ou à sauver ses débris mutilés par une retraite précipitée.

Toute l’histoire de la délivrance du Mexique est là, vous le savez. Et si le misérable Bazaine, digne serviteur d’un misérable empereur, veut utiliser les loisirs que lui crée sa lâche trahison, il est mieux que personne à même d’édifier ses compatriotes sur l’invincibilité des guerrillas de l’indépendance.

Mais une autre question se dresse, terrible pour un pays centralisé comme la France :

Paris peut-il tenir jusqu’à ce qu’une armée de secours le débloque ?

Et si Paris affamé, sinon pris de vive force, venait à succomber ?…

Les journaux, les correspondances politiques reviennent sans cesse sur ce point, qui semble être le nœud gordien de la question franco-germanique : « Paris tiendra-t-il ? »

Eh bien ! admettons pour un instant que Paris subisse le sort de Sedan et de Metz : après ? Est-ce que Paris est la France ? — En matière politique, Oui, depuis quatre-vingts ans.

Mais aujourd’hui que les considérations militaires doivent primer sur toutes les autres, en quoi la chute de Paris devrait-elle forcément entraîner celle de la France ? Et quand bien même le roi de Prusse tiendrait sa cour dans ce palais des Tuileries encore tout imprégné de l’infection bonapartiste, en quoi cette fantasmagorie devrait-elle décourager les deux ou trois millions de citoyens armés d’un bout à l’autre du pays pour la défense du sol ?

Maximilien n’a-t-il pas trôné quatre ans à Mexico, ce qui ne l’a pas empêché d’expier son crime sur le Champ de Mars de Queretaro, tandis que la Souveraineté du droit national rentrait triomphante dans la cité de Montezuma.

Pendant ces quatre années, alors que le seul pouvoir légitime errait, fugitif, du Rio-Grande au Sacramento, bien des patriotes éprouvés, bien des esprits fortement trempés contre l’adversité, en étaient venus à douter de l’efficacité de nos efforts, à nier la délivrance future.

Quant à moi — et c’est là mon seul mérite — aidé de quelques patriotes indomptables, tels que Porfirio Díaz, Escobedo, Alvarez Ortega, ma foi n’a jamais chancelé.

Parfois, quand, à la suite de revers accablants, entouré de défections, une morne tristesse s’emparait de mon âme, je me redressais aussitôt et me rappelant ce vers immortel du plus grand des poètes :

« Personne n’est tombé, tant qu’un seul est debout ! » plus que jamais je voulais la lutte, la lutte à outrance, sans pitié, sans merci, jusqu’à l’expulsion de l’intrus.

Dieu a couronne mes efforts et ceux de tant de braves, dont beaucoup, hélas ! ont payé de leur vie notre commune foi en la patrie et en la République.

Il en sera de même pour la France, j’en ai le précieux espoir. Sa cause, depuis la chute de Bonaparte, est celle de tous les peuples libres. Cette vérité est si bien comprise par les démocrates mexicains que six cents ex-soldats de l’indépendance, de ceux-là mêmes qui, pendant cinq ans, ont soutenu le juste combat contre les bandes des Bazaine et des Dupin, doivent s’embarquer à Vera-Cruz pour New-York, d’où, armés et équipés à leurs frais, ils comptent aller rejoindre le corps du glorieux Garibaldi.

Et je le proclame avec fierté :

La légion mexicaine sera digne de combattre et de mourir à côté de l’armée française régénérée, pour la sainte cause de la République universelle.

À vous de tout cœur.

Benito Juarez.