Histoire de la Commune de 1871 (Lepelletier)/Volume 1/3

LIVRE III

L’ÉMEUTE DU 22 JANVIER

PROCLAMATION DE VINOY

La fièvre patriotique, le désir de venger les morts de Buzenval l’espoir de trouver revanche de l’échec récent, avec la volonté, comme au 31 octobre, chez un grand nombre de républicains, de substituer au gouvernement de la Défense, jugé incapable et mou, le pouvoir, supposé plus énergique, de cette Commune, invoquée dans tous les clubs, durant le siège, comme le remède aux maux présents, comme l’instrument de délivrance et de salut, voilà les premiers éléments du mouvement du 22 janvier. Il y en eut d’autres, et avant tout : la faim pressante, avec la persuasion, où étaient certains miséreux, que le nouveau pouvoir saurait faire sortir les vivres cachés dans Paris, parviendrait à sustenter la population. Une indignation, non pas générale, mais ardente dans les milieux avancés, accueillit la nomination du général Vinoy. Les chefs révolutionnaires jugèrent l’occasion favorable pour agir et faire appel aux forces insurrectionnelles

Le général Vinoy, en prenant possession du pouvoir, avait publié cet ordre du jour à l’armée :

Le gouvernement de la Défense nationale vient de me placer à votre tête ; il fait appel à votre patriotisme et à mon dévouement ; je n’ai pas le droit de me soustraire. C’est une charge bien lourde ; je n’en veux accepter que le péril, et il ne faut pas se faire d’illusions.

Après un siège de plus de quatre mois, glorieusement soutenu par l’armée et par la garde nationale, virilement supporté par la population de Paris, nous voici arrivés au moment critique.

Refuser le dangereux honneur du commandement dans une semblable circonstance serait ne pas répondre à la confiance qu’on a mise en moi. Je suis soldat, et je ne sais pas reculer devant les dangers que peut entraîner cette grande responsabilité.

À l’intérieur, le parti du désordre s’agite, et cependant le canon gronde. Je veux être soldat jusqu’au bout ; j’accepte ce danger, bien convaincu que le concours des bons citoyens, celui de l’armée et de la garde nationale, ne me feront pas défaut pour le maintien de l’ordre et le salut commun.

Le ton de cette proclamation était comminatoire et déplacé. On y retrouvait la mentalité des généraux du Deux-Décembre. L’appel aux « bons citoyens » et les menaces au « parti du désordre » indiquaient la préoccupation unique, chez le successeur de Trochu, d’une résistance à l’intérieur. Il n’était fait aucune allusion aux Prussien, qui cependant bombardaient toujours, ni à ces idées de revanche, de sortie, de délivrance, qui passionnaient encore les Parisiens.

Les révolutionnaires estimèrent l’occasion favorable, et Blanqui, sorti de sa retraite, entra en communication avec différents membres de l’Alliance et de l’Internationale, les militants des clubs et plusieurs commandants de la garde nationale, qui promirent le concours de leurs bataillons.

LE CLUB DE LA REINE BLANCHE CONVOQUE LES BATAILLONS

Le soir du 21 janvier, il y eut une séance importante au club de a Reine Blanche, à Montmartre Ce club se tenait dans la salle de la Reine Blanche, boulevard de Clichy, emplacement actuel du Moulin-Rouge. Beaucoup d’assistants et de militants, non habitués de ce club, se trouvaient là : des membres des comités de Vigilance de divers arrondissements, des délégués de groupes, et notamment ceux du Club Central et du Club de l’École de médicine. La motion suivante fut portée à la connaissance de l’auditoire :

Les Clubs et les Comités de Vigilance se sont mis d’accord. Rendez-vous est donné pour demain midi, sur la place de l’Hôtel-de-Ville. Les gardes nationaux sont invités à s’y rendre en armes ; les femmes les accompagneront pour protester contre le rationnement du pain et les autres mesures destinées à affamer le peuple.

Un citoyen dit que le gouvernement ne fera qu’un semblant de résistance, car il est dans une impasse, et il sera enchanté qu’on lui force la main pour se décharger de sa responsabilité sur la Commune. Quant à la bourgeoisie, elle est mécontente et divisée. Un bataillon de marche des quartiers du centre a déclaré ce matin pointa le peuple. Enfin un citoyen du 17e arrondissement annonce que les républicains des Batignolles iront demain matin, à huit heures, à la mairie, et qu’ils sommeront le maire et les adjoints de se rendre avec eux à l’Hôtel-de-Ville, revêtus de leur écharpe.

(G. de Molinari, les Clubs Rouges. Garnier frères, éd. Paris, 1871.)

Trois délégués avaient été désignés à la mairie de Montmartre, pour inviter le maire et ses adjoints a se rendre à l’Hôtel-de-Ville, ceints de leurs écharpes, avec la manifestation. Les délégués revinrent disant qu’ils n’avaient pas trouvé le citoyen Clemenceau, mais que l’un des adjoints s’était mis à leur disposition, à condition qu’il y ait entente entre les quatre clubs et le comité de Vigilance de l’arrondissement. On décida, en conséquence, de se rendre le lendemain, à dix heures, à la mairie, et de là, à midi, à l’Hôtel-de-Ville.

Cette divulgation, dans une réunion publique, d’une manifestation qui devait vraisemblablement dégénérer en émeute, était imprudente et maladroite. Le gouvernement se trouvait averti, et pouvait prendre ses mesures de défense ; ce qu’il fit d’ailleurs. M. de Molinari, rédacteur aux Débats, dont le compte rendu parut le lendemain matin, en a fait l’observation, dans la préface du recueil de ses articles sur les séances des divers clubs, écrits au jour le jour :

Un des résultats essentiels de cette divulgation quotidienne de mystères des Clubs rousses a été d’avertir le gouvernement des complots qui se tramaient contre lui. Le 21 janvier au soir, par exemple, les meneurs du parti révolutionnaire annonçaient au public du club de la Reine Blanche, à Montmartre, qu’on irait le lendemain, à midi, installer la Commune à l’Hôtel-de-Ville. Le 22 janvier, les lecteurs de journaux étaient prévenus, en prenant leur café du matin ; l’Hôtel-de-Ville était gardé, et les amis de l’ordre se tenaient sur le qui-vive. La surprise était manquée, et les partisans de la Commune, surpris à leur tour, étaient obligés de se replier sur leurs faubourgs. Aussi l’un d’eux n’hésitait-il pas à attribuer aux clubs l’insuccès de la journée…

(G. de Molinari, les Clubs Rouges. Préface.)

DÉLIVRANCE DE GUSTAVE FLOURENS

Un incident important se produisit dans la soirée. Deux militants, Henri Place (Varlet) et Amilcare Cipriani, s’étaient rendus, dans la journée, à la prison de Mazas, munis d’un permis de visiter. Ils venaient voir Gustave Flourens, détenu pour les événements du 31 octobre. Ils firent une reconnaissance des abords de la cellule, et observèrent la façon dont les prisonniers politiques étaient gardés. Ayant pris ces renseignements, ils rejoignirent leurs camarades, et combineront la délivrance de Flourens, en vue de la manifestation du lendemain. Le rendez-vous, sur la place de l’Hôtel-de-Ville, avait été concerté avec des gardes nationaux revenant de l’enterrement du colonel Rochebrune, tué à Buzenval, et les comités de vigilance avaient été informés. Il fallait un chef, un homme d’action, pour le coup de main du lendemain, combiné par Blanqui et ses amis : Flourens, l’aventureux héros du 31 octobre, était tout désigné. Il fallait donc qu’il fût en liberté. Sa délivrance s’opéra audacieusement. Une troupe de 75 gardes nationaux se réunit a Belleville, rue de Couronnes, à dix heures du soir. Elle gagna Mazas sans encombre. On la laissa passer, croyant avoir affaire à une patrouille commandée. Les conjurés s’emparèrent de la sentinelle, puis du porte-clefs, et la prison fut rapidement envahie, sans que le poste fût averti. Le directeur Bayer fut par la suite accusé de s’être laissé trop facilement intimider, par un revolver que Cipriani lui mit sous le nez. Tous les prisonniers du 31 octobre furent délivrés avec Flourens.

Celui-ci se rendit à la mairie de Belleville, dont il avait été nommé maire pendant sa détention. Mais il ne put réunir la légion de son arrondissement, et la mairie fut bientôt réoccupée par une compagnie de douaniers.

Le lendemain matin, 22 janvier, à la première heure, une proclamation de Clément Thomas fut affichée, visant les événements de la soirée, et faisant appel à la garde nationale « pour défendre Paris ». La voici :

Le commandant supérieur des gardes nationales de la Seine :

Cette nuit, une poignée d’agitateurs a forcé la prison de Mazas, et délivré plusieurs prévenus, parmi lesquels M. Flourens.

Ces mêmes hommes ont tenté d’occuper la mairie du vingtième arrondissement, et d’y installer l’insurrection ; votre commandant en chef compte sur votre patriotisme pour réprimer cette coupable sédition.

Il y va du salut de la cité.

Tandis que l’ennemi la bombarde, les factieux s’unissent à lui pour anéantir la défense.

Au nom du salut commun, au nom des lois, au nom du devoir sacré, qui nous ordonne de nous unir tous pour défendre Paris, soyons prêts à en finir avec cette criminelle entreprise : qu’au premier appel la garde nationale se lève tout entière, et les perturbateurs seront frappés d’impuissance.

De bonne heure des groupes se formèrent sur la place de l’Hôtel-de-Ville. Il y avait beaucoup de femmes, quelques-unes très exaltées, très révolutionnaires. Louise Michel était là, en costume de garde national, portant crânement le képi, avec le chassepot en bandoulière. Elle fit d’ailleurs le coup de feu. Des gardes isolés, la plupart sans armes, stationnaient, commentant l’affiche de Clément Thomas regardant avec inquiétude les fenêtres closes et les portes barricadées de l’Hôtel-de-Ville. De temps en temps, on se montrait un mobile, avec son fusil, passant la tête par les vasistas des bureaux, à l’entresol.

Le gouvernement averti avait pris ses mesures. Le préfet de police. Cresson ; avait demandé du renfort à Vinoy. Celui-ci avait aussitôt fait rentrer dans Paris les meilleurs régiments de ligne à proximité, notamment ceux de la brigade Valentin. Le 109e et le 110e de ligne évacuèrent précipitamment les deux redoutes des Hautes-Bruyères et du Moulin-Saquet, qu’ils avaient défendues pendant toute la durée du siège. Les Prussiens auraient pu s’en emparer sans grands risques, ce jour-là, et notre front défensif du Sud se trouva dégarni jusqu’à la fin des hostilités. Le 3e bataillon des mobiles du Finistère, qui avait fait merveille au 31 octobre, était de nouveau chargé de défendre l’Hôtel-de-Ville. On avait au gouvernement, une grande confiance en ces bretons, et ils la justifièrent. Le comte de Legge les commandait. Ces mobiles, dépaysés et irrités, avaient l’âme vaillante et la conscience obtuse des anciens chouans. Ils ne parlaient guère que leur patois ; ils n’avaient que de très vagues rapports avec la population, dont ils ne comprenaient ni la langue, ni le républicanisme, ni l’entêtement à vouloir continuer la guerre. Ces têtus, qui avaient hâte de rentrer chez eux, devaient se montrer et énergiques, si on leur permettait de faire feu sur ces Parisiens, en qui els ne voyaient pas de compatriotes, mais de chenapans et des pillards, ainsi que leurs chefs les désignaient, des poltrons aussi, qui voulaient les envoyer à leur place contre les Prussiens, afin de toucher leurs trente sous, solde qui paraissait inouïe à ces paysans, très pauvres. Les bretons s’étaient barricadés dans l’Hôtel-de-Ville, ils avaient des mitrailleuses, et, sur l’ordre de leurs chefs, vers midi ils prirent leur poste de combat, derrière les fenêtres de la salle du trône (ou de conseil) au premier étage, et aussi à l’entresol.

Les chefs du mouvement s’étaient rendus d’assez bonne heure aux abords de l’Hôtel-de-Ville. Plusieurs membres de l’Alliance se réunirent chez Lefebvre-Roncier qui habitait rue de Rivoli, au numéro 60, en face du bâtiment municipal. Delescluze, Cournet, Edmond Levraud, Arthur Arnould s’y trouvaient. Blanqui se tenait, avec quelques fidèles, au café du Gaz, rue de Rivoli, au coin de la rue de la Coutellerie. Silencieux, il méditait. Par moments il donnait, à voix basse, de brèves consignes, et de ses mains gantées de noir, congédiait les importuns ou faisait des gestes évasifs, indiquant l’Hôtel-de-Ville. Il paraissait perplexe, attendant des nouvelles, et ne sachant quand il donnerait le signal de l’attaque, ignorant même s’il le donnerait.

LES DÉLÉGATIONS À L’HÔTEL-DE-VILLE

La foule était assez grande sur la place, mais elle semblait plutôt un rassemblement de badauds qu’une troupe prête à se battre. Les bataillons attendus ne venaient pas. L’Alliance, par son manifeste cité plus haut, avait répandu les idées de conciliation. Elle envisageait une entente probable avec le gouvernement. Tout appel à la force était par elle écarté. Elle le montra bien, quand, au lieu de convoquer, comme ses membres l’avaient annoncé, des bataillons en armes, qui eussent enveloppé l’Hôtel-de-Ville, prêts à donner l’assaut et à installer un nouveau gouvernement, elle se contenta d’envoyer une délégation sans armes, et borna son action à la remise d’un placet par un orateur amène. Rien de plus pacifique, ce jour-là, que l’attitude et l’intervention de l’Alliance.

La délégation avait pour porte-paroles Tony Révillon. Avec sa haute taille, sa face léonine et souriante, sa physionomie sympathique et intelligente, qu’un encadrement de longs cheveux, à la mode romantique, dépouillait de tout aspect martial, malgré la moustache gauloise ombrageant la lèvre épaisse et sensuelle, Tony Révillon, journaliste populaire très apprécié, vulgarisateur des faits et gestes de la première République, orateur chaleureux, applaudi dans les clubs, mais qui n’avait de révolutionnaire que l’organe, n’était nullement l’homme qui convenait pour intimider un personnage aussi têtu, aussi féru de son autorité, si désireux de maintenir l’ordre, que l’adjoint Chaudey, auquel il eut affaire. La délégation avait demandé à s’entretenir avec le maire de Paris, Jules Ferry. Celui-ci étant absent, ce fut Chaudey, pour son malheur, qui le remplaça.

Tony Révillon, avec sa douceur habituelle, exposa, non sans fermeté cependant, les revendications des délégués et les propositions de l’Alliance. Elles consistaient, principalement, à repousser toute idée de capitulation, à subordonner le gouvernement militaire au pouvoir civil, et à convoquer immédiatement les électeurs pour la nomination de la Commune. Mais il ne parla pas du recours à la force, si ces propositions étaient refusées ou éludées, ce qui était probable. Il s’efforça de persuader, quand il aurait fallu menacer. Il est vrai qu’il ne se sentait pas soutenu, et qu’il ne disposait que de la force morale de l’Alliance, ce qui ne valait pas une dizaine de bataillons déterminés, pour obtenir une réponse favorable de Chaudey, ou du moins pour ôter à ce maître intérimaire de l’Hôtel-de-Ville la tentation de faire usage de la force.

Chaudey répondit avec hauteur. Ce personnage, de valeur médiocre et d’importance secondaire, a dû sa notoriété à sa fin tragique.

GUSTAVE CHAUDEY

C’était un avocat de Vesoul, né en 1817. Il vint à Paris à l’époque des banquets réformistes. Il fut un des grands partisans du général Cavaignac, lors de la sanglante répression de juin 48. Le souvenir de ce patronage dut le hanter, quand il se vit, le 22 janvier, en face de la révolte grondante, investi de la puissance publique, et disposant de la force. Il fut, sous la Commune, arrêté, comme ayant, le 22 janvier, donné l’ordre de tirer aux mobiles du Finistère. Il est douteux qu’il ait signé et même transmis cet ordre. On lui en a contesté le mérite, et son attitude fut qualifiée de « piteuse ». Il se montra sans doute arrogant, et nullement disposé à des pourparlers avec les délégations qui successivement vinrent l’entretenir dans cette journée funeste. Mais il n’est pas établi qu’il ait commandé le feu aux bretons. Il eut le tort, quand il fut arrêté et interrogé sur ce fait, de ne pas témoigner des regrets, en se retranchant derrière les ordres supérieurs reçus, et en arguant de son mandat qui lui imposait l’obligation de s’opposer, fût-ce par la force, à l’envahissement du palais dont il avait la garde et la responsabilité. Il fut fusillé dans la cour de la prison de Sainte-Pélagie, où il était détenu, le 23 mai 1871. Il se montra courageux et digne au moment de la mort. Cette exécution fut accomplie sans jugement, mais on était à une heure atroce et exceptionnelle, où les formalités, les garanties de tout accusé étaient remplacées par la brutalité des faits, départ et d’autre. C’est au milieu des fusillades au hasard et des aveugles massacres, qui accompagnaient l’entrée des troupes de Versailles dans Paris, que Gustave Chaudey fut exécuté. Ce fut un acte assez inexplicable, et qu’on a pu attribuer à une vengeance particulière. Chaudey n’était pas un des plus implacables adversaires de la Commune, et bien d’autres auraient pu avoir son sort, qui furent épargnés. C’était un républicain, autoritaire et entier, sans doute, mais ferme dans ses convictions démocratiques. Il avait été exilé sous l’empire ; revenu lors de l’amnistie, il plaida, et fit partie du conseil de rédaction du journal le Siècle. Après le 31 octobre, il fut nommé adjoint au maire de Paris, en remplacement de Charles Floquet, démissionnaire. Le principal titre de Gustave Chaudey au souvenir de la démocratie est d’avoir été honoré de la confiance de Proudhon, qui fit de lui l’un de ses exécuteurs testamentaires. Il avait les vertus de la classe moyenne, et aussi ses préjugés et ses antipathies. Cet avocat rassis, représentant le type légendaire du bourgeois, se trouva, par l’absence regrettable de Jules Ferry dans la journée du 22 janvier, disposer d’une autorité dont il ne sut pas user avec assez de présence d’esprit pour conjurer le désordre, en évitant l’effusion du sang. Ces natures d’aspect placide sont susceptibles d’emballement, et le dicton sur les moutons enragés fut souvent vérifié dans les discordes civiles. L’attitude qu’il prit, en présence des délégués qu’on lui envoya à plusieurs reprises, a pu rendre vraisemblable l’imputation d’avoir fait tirer, qu’il paya de sa vie.

EUGÈNE RAZOUA

Chaudey, à l’exposé des griefs et des vœux de l’Alliance Républicaine, que formulait avec bonhomie Tony Révillon, assurément persuadé que tout allait s’arranger, répondit que le gouvernement était en communion d’idées avec l’Alliance Républicaine pour écarter toute pensée de capitulation et pour essayer de maintenir le calme dans Paris, mais qu’il était absolument opposé à l’élection d’une Commune. Il déclara qu’il opposerait la force à toute tentative de violence, qu’il était seul à l’Hôtel-de-Ville, qu’il avait la responsabilité de l’ordre, et qu’il réprimerait énergiquement tout mouvement contre le siège de la municipalité. Il ajouta, a dit Louise Michel, cette menace imprudente : « Si l’on en vient à recourir aux armes, les plus forts fusilleront les autres ! » (Louise Michel, la Commune. P.-V. Stock, éd., 1898, p. 101.)

À l’appui de ses paroles comminatoires, Chaudey fit accompagner Tony Révillon et les autres membres de la délégation, de façon à leur faire voir les préparatifs de défense à l’intérieur, les mitrailleuses commandant les escaliers, les mobiles bretons aux fenêtres, prêts à faire feu au commandement, qu’il se déclarait résolu à donner si on l’attaquait.

Deux autres délégations, l’une du XVe arrondissement (Grenelle), conduite par Léo Meillet, l’autre composée de différents groupes de la rive gauche, furent également reçues et éconduites par Chaudey. Les divers délégués, de retour sur la place de l’Hôtel-de-Ville, ayant fait connaître l’insuccès de leur démarche, furent conspués. L’un de ces délégués était Razoua, ex-commandant du 61e bataillon de Montmartre. Razoua avait été cassé de son grade à la suite du 31 octobre, mais son procès était pendant. À Buzenval, il avait suivi son bataillon, conservant ses galons, mais portant le fusil, pour faire le coup de feu, comme un simple garde. Au 22 janvier, il exerçait le commandement de fait. Ses hommes l’avaient, en partie, suivi ; des gardes isolés des autres bataillons de Montmartre s’étaient joints à lui.

Eugène Razoua était un ancien soldat d’Afrique, très brave, homme d’action, nullement politicien. Avec sa barbiche en fer à cheval, son visage sec et anguleux, son allure martiale et son franc-parler, il avait acquis une certaine popularité. Il avait publié des Souvenirs d’un chasseur d’Afrique, et Delescluze l’avait accepté au Réveil, où il rédigeait à la bonne franquette des « entrefilets » sur les choses militaires. Il ne craignait point ce qu’il appelait « un coup de chien » ; il était même venu au rendez-vous, donné à la Reine Blanche, dans l’intention de parlementer le moins possible, et, au premier mot de Delescluze, d’enfoncer à coups de crosses les portes de l’Hôtel-de-Ville. Il ne dissimulait pas son désir, mais il craignait d’entraîner les hommes qui l’avaient suivi dans une embuscade. Introduit auprès de Chaudey, il avait pu se rendre compte de l’inutilité de démarches conciliatrices, et en même temps de l’impossibilité, avec le peu de monde dont il disposait, de pénétrer de vive force dans l’Hôtel-de-Ville, pour y installer un nouveau gouvernement. Il alla retrouver Delescluze et les autres chefs réunis chez Lefebvre-Roncier. Il leur fit part de ses hésitations, leur rendit compte de l’état de défense où il avait trouvé l’Hôtel-de-Ville, et les avertit qu’il avait jugé prudent de faire éloigner les gardes nationaux de Montmartre, vu leur petit nombre. Ils eussent été exposés à une fusillade meurtrière, partie des soupiraux et des fenêtres de l’Hôtel-de-Ville, que les bretons garnissaient. Il avait donc rangé ses gardes nationaux, en bon ordre, près du square de la Tour-Saint-Jacques, le long de la grille, avec la consigne d’attendre les événements.

Eugène Razoua, élu député par la Seine aux élections du 8 février, donna sa démission. Il fut commandant de l’école militaire, pendant la Commune. Il s’était réfugié à Genève, où il est mort en 1878.

L’ATTENTE

L’attente, c’était la situation même. Elle était générale. La foule attendait sur la place qu’il se passât quelque chose. Blanqui attendait, embusqué au premier étage du café du Gaz Félix Pyat attendait dans un fiacre au coin de la rue Saint-Martin. Delescluze, Cournet, d’autres chefs attendaient chez Lefebvre-Roncier. Ceux-ci commençaient à hocher la tête, déconcertés, et à se regarder significativement. Pour que Razoua, dont personne ne pouvait mettre en doute la bravoure, eût ainsi prudemment placé son bataillon en réserve, c’est que l’affaire ne prenait pas bonne tournure. On était sans nouvelles de Blanqui, et ses amis, tous hommes déterminés, ayant pour système les surprises, les coups de main, ne bougeaient pas. Sur la place, une foule désœuvrée et tapageuse grouillait toujours. Les cris de : Déchéance là l’Hôtel-de-Ville ! vive la Commune ! s’élevaient plus nourris, plus impatients, mais il n’y avait que peu de combattants probables dans cette cohue frémissante, où les femmes, les enfants et les curieux sans fusils formaient la majorité. Tout ce monde-là délaierait, en laissant des blessés et peut-être des morts, à la première décharge des mobiles, que prévoyait Razoua.

À deux heures, les bataillons attendus n’arrivaient toujours pas. Plusieurs détachements de gardes nationaux étaient sans doute déjà venus, avaient défilé devant l’Hôtel-de-Ville, en criant comme les autres : Déchéance ! démission ! puis s’étaient éloignés, satisfaits par cette démonstration pacifique.

La journée s’annonçait comme devant se passer en cris, en menaces, en protestations contre le gouvernement accusé de faiblesse, de trahison même, et contre lequel on s’indignait à l’idée qu’il préparât la capitulation, mais rien de plus. Donc une manifestation inoffensive, comme il y en avait déjà eu plusieurs durant le siège. Rien de révolutionnaire, rien de menaçant pour l’ordre publique et social ne se dessinait. Jules Favre, peu suspect d’indulgence, a reconnu l’innocuité de la manifestation :

Il y eut ce jour-là une insurrection qui m’a paru dirigée contre les hommes du gouvernement de la Défense nationale, et non contre la société. C’était surtout contre le général Trochu que l’émeute était dirigée.

(Enquête parlementaire. Déposition de Jules Favre.)

Ce qui prouve la vérité de l’observation de Jules Favre, ce fut l’absence même des bataillons sur lesquels on avait compté. Ces bataillons s’étaient trouvés apaises et comme désarmes, en apprenant le matin même la démission de Trochu. En se disant : Trochu n’est plus gouverneur de Paris ! les citoyens éprouvèrent en majorité une satisfaction vive. Ce fut, dans tout Paris, un soulagement, une détente. Il faut peu de chose pour apaiser les flots populaires et ramener le calme à la surface. On ne réfléchissait guère à la substitution jésuitique de Vinoy. Trochu cédait le commandement pour paraître rester fidèle à sa fameuse gasconnade : « Le gouverneur de Paris ne capitulera jamais. » Ce ne serait pas le gouverneur qui signerait l’acte de reddition, et cela suffisait à sa conscience. La foule ne voyait pas l’artifice. Elle considérait Trochu comme l’obstacle à son désir de se battre, de continuer la résistance. Trochu s’en allait. L’obstacle n’existait plus. On était débarrassé. Il semblait que la lutte allait reprendre plus vive, plus sérieuse, et qu’il ne s’agirait plus d’armistice et de négociations. L’Alliance Républicaine parut partager ces illusion. Elle admit que le replacement de Trochu était beaucoup d’intérêt à la manifestation, principalement dirigée contre lui. Elle avait décommandé le mouvement, et retenu dans leurs arrondissements les bataillons promis. Les événements de la nuit avaient également engagé l’Alliance a chercher la conciliation, à éditer une manifestation dont e le commençait à redouter le caractère révolutionnaire. De là son envoi de délégués, au lieu de bataillons en armes.

En apprenant que Flourens avait recouvré sa liberté, dit Arthur Arnould, l’inquiétude prit la bourgeoisie, pour qui ce nom était un épouvantail. Elle entrevit tout à coup une tendance socialiste derrière le mouvement qui se préparait, et auquel elle se fût mêlée peut-être en partie, s’il avait conservé un caractère exclusivement patriotique… Le nom de Flourens fit évanouir toutes ces belles dispositions, de telle sorte que, les uns chantant victoire parce que Trochu n’était plus là, et les autres rentrant chez eux, parce que Flourens les effrayait, la foule fut peu nombreuse sur la place de l’Hôtel-de-Ville, et peu de gardes nationaux se trouvèrent au rendez-vous. (Arthur Arnould. Histoire Parlementaire et Populaire de la Commune de Paris, t. I, p. 74.)

LES COUPS DE FEU. — MOBILES ET GARDES NATIONAUX

L’affaire pouvait être considérée comme finie, et l’émeute probable comme avortée, vers deux heures et demie de l’après-midi. Le combat, à cette heure déjà tardive en hiver, n’avait pas même commencé, faute de combattants. Tout à coup, des clameurs s’élèvent de la place, mêlées à des vivats, à des sonneries de clairons, au bruit de tambours battant la charge. Ce sont des compagnies du XIVe arrondissement (Vaugirard) qui viennent se ranger sur la place, face à la grille. Un jeune homme énergique, Sapia, ex-chef de bataillon, les commande. Il n’a pas son uniforme de commandant. Presque en même temps, un bataillon du IVe arrondissement (quartier Saint-Merry) débouche par la rue du Temple ; puis le 101e bataillon (la Maison-Blanche 13e), commandé par Duval et Sérizier, arrive, par le Pont d’Arcole. Bientôt deux cents hommes environ sont signalés dans la rue de Rivoli. C’est le contingent, bien réduit, des Batignolles, ayant à sa tête Benoît Malon, adjoint, ceint de son écharpe. En passant devant le café du Gaz, les Batignollais avaient aperçu et acclamé Blanqui. Celui-ci, encouragé, avait alors quitté sa retraite, et s’était avancé sur la place. Le vieux révolutionnaire se reprenait à espérer. Il augura mieux de cette journée, si mal commencée, et qui jusque-là paraissait se borner à des vociférations impuissantes, à des protestations inutiles. Il se montra donc. Posté à l’angle de la place, entouré d’un petit noyau de fidèles, il se prépara à donner enfin le signal du combat.

L’a-t-il donné ? S’illusionnant sur la force réelle des insurgés, abusé par l’arrivée de ces bataillons détermines excité par Sapia Sérizier et quelques autres qui déploraient les pourparlers des délégations, et se montraient impatients de faire parler la poudre, Blanqui, sur qui tous comptaient, qui avait seul de l’autorité morale, a-t-il levé la main ou ouvert son parapluie, comme pour l’attaque du post de la Villette ? Point obscur. Il est possible que Blanqui ait voulu brusquer les événements et engager l’action. Ceci serait assez dans sa mentalité, et l’on retrouverai là sa tactique favorite, mais la preuve de cette initiative manque. Des coups de feu partirent tout à coup, et l’on ne sait d’où.

Les partis se sont renvoyé l’imputation d’avoir commencé le feu. Arthur Arnould, qui était présent, dit :

Une décharge effroyable, partie de l’Hôtel-de-Ville, alla semer la mort parmi cette foule inoffensive de curieux, de femmes, d’enfants, qui couvraient la place (loc. cit., p. 76).

Louise Michel, témoin également, émet la même opinion :

Quelques instants après l’entrée de Chaudey dans l’intérieur, il y eut comme un coup de pommeau frappé derrière une des portes, puis un coup de feu partit, isolé. Moins d’une seconde après une fusillade compacte balayait la place… (loc. cit., p. 102).

Gustave Flourens attribue aussi le premier coup de feu aux défenseurs de l’Hôtel-de-Ville.

Les témoins entendus dans l’enquête parlementaire : comte de Legge, commandant des mobiles de Finistère, colonel Vabre, commandant militaire de l’Hôtel de Ville, Cresson, préfet de police, sont au contraire tous d’accord pour désigner les gardes nationaux comme ayant tiré les premiers, et provoqué ainsi la riposte meurtrière. Leur déposition peut paraître suspecte, ces témoins étant trop intéressés, par esprit de parti, à rejeter sur des adversaires la provocation.

Il y a des motifs plausibles pour admettre que le premier coup de feu soit parti des rangs des manifestants. D’abord l’état des esprits, la mentalité insurrectionnelle des gardes nationaux, et peut-être aussi la surexcitation d’individualités armées, éparses dans la foule, peuvent fort bien expliquer ce coup de feu isolé, dont parle Louise Michel, qui était là, au premier rang, et qui a pris part à la fusillade. Un coup de feu hasardeux pouvait amener la collision, qui, jusque-là, semblait évitée, ce dont quelques-uns devaient se montrer désappointés. Il y avait aussi le souvenir, chez les vieux insurgés, du fameux coup de pistolet, tiré, dit-on, par Lagrange, qui, ranimant l’émeute éteinte, commença la révolution triomphante du 24 février 1848. Ensuite il peut s’être produit comme une décharge spontanée et irréfléchie, le fait d’un doigt fiévreux et impulsif se posant sur la gâchette. Cela s’est vu dans des bagarres analogues, et l’événement n’a rien d’improbable. Personne, en tous cas, dans les rangs des manifestants, ne s’est vanté d’avoir tiré ce coup de feu-signal, alors que, deux mois plus tard, il n’y avait nul danger à faire cet aveu, mais même avantage et mérite à passer pour le premier assaillant de l’Hôtel-de-Ville.

Ce qui permettrait d’attribuer aux mobiles les premiers coups de Feu, c’est qu’au moment de la décharge terrible des bretons la place était encore pleine de monde, avec des femmes, des enfants, des curieux sans armes, comme le prouve le nombre et la qualité des victimes. Il est vraisemblable qu’avant de commencer le feu les gardes nationaux se seraient préoccupés d’écarter ces non-combattants. Ne l’eussent-ils pas fait que d’eux-mêmes ces non-combattants se fussent éloignés, avec terreur, en voyant les gardes apprêter leurs fusils. Une autre explication vient à l’appui de la version imputant aux bretons l’initiative de la fusillade : leurs chefs ceux qui devaient commander le feu, le comte de Legge, chef de bataillon des mobiles du Finistère, et le colonel Vabre, commandant militaire du Palais, accompagnés de l’adjudant-major Bernard, se trouvaient, en cet instant critique, en dehors de l’Hôtel-de-Ville. Les portes étaient fermées. Le comte de Legge et le colonel Vabre frappèrent pour se faire ouvrir. En attendant qu’un battant fût entr’ouvert, au sifflement des balles, ils se jetèrent à plat ventre L’adjudant-major Bernard, qui cognait a une autre porte, plus loin, à la porte centrale, surélevée de plusieurs degrés fut atteint d’une balle et tomba. Il est fort probable qui si les gardes nationaux eussent tiré les premiers, le comte de Legge et le colonel Vabre eussent été frappés par les balles, comme l’adjudant Bernard, sans avoir eu le temps de se jeter à plat ventre. Ceux-ci étaient seuls en vue, puisque tout l’Hôtel-de-Ville était ferme, barricadé, et que les balles, dont on retrouva par la suite les traces, tirées par les gardes nationaux, ne touchèrent qu’à une certaine hauteur les murailles, car il faut retenir ceci que, sauf l’adjudant Bernard, il n’y eut aucune victime parmi les défenseurs de l’Hôtel-de-Ville.

M. Alfred Duquet, très hostile aux manifestants, raconte cependant, d’après les document qu’il a consultés, que « le colonel Vabre et le commandant de Legge s’efforçaient de démontrer aux émeutiers l’inutilité de leur tentative, quand ils voulaient escalader les grilles et pénétrer dans le bâtiment municipal ». (Alfred Duquet : Paris, l’insurrection du 22 janvier, p. 339.) Plus loin il dit :

Les gardes nationaux du 101e se déploient devant l’obstacle et tirent sur le colonel Vabre, le comte de Legge et l’adjudant-major Bernard, qui, à découvert près d’une des portes du palais, s’emploient à calmer les émeutiers qui peuvent les entendre…

Il est bien invraisemblable que ce bataillon déployé ait fait, presque à bout portant, un feu de salve, sur trois hommes à découvert, tous visibles et exposés, avec lesquels on parlementait, et n’en aient atteint qu’un seul. Il est plus vraisemblable de croire que l’adjudant-major, qui n’avait pas l’autorité suffisante pour parlementer avec les délégués et les chefs de bataillons, s’était tenu à distance de ses chefs, et n’a pas eu la chance, comme eux, après s’être mis à quatre pattes, de se faire ouvrir la porte de l’édifice.

Arthur Arnould, qui se trouvait parmi les manifestants, affirme que la fusillade n’a été précédée d’aucune sommation. Il ajoute :

Je déclare qu’à ce moment il n’avait pas été tiré un seul coup de fusil par les gardes nationaux, et que leurs délégués, à cet instant même, parlementaient pour obtenir d’être introduits auprès des membres du gouvernement (c’est-à-dire auprès de l’adjoint Chaudey, seul présent à l’Hôtel-de-Ville). (Arthur Arnould, loc. cit., p. 71.)

Il est évident que le commandement de faire feu n’a pas été donné par Vabre ou par Legge, puisqu’ils étaient au dehors. Ils n’avaient pas davantage convenu qu’on tirerait sur un signe ou un geste émanant d’eux. Ils eussent attendu, pour donner ce signal, d’être rentrés et abrités. On a les noms des deux officiers bretons, qui dirigèrent la fusillade : le capitaine Gourlaouen, qui commandait au premier étage, salle du Trône ou du Conseil, et le capitaine Le Stimuff, qui commandait à l’entresol. Ces deux officiers, en voyant leurs chefs discuter à travers la grille avec les manifestants, qui sans doute en paroles et en gestes ne tardaient pas toute mesure, les crurent en danger ; ils les virent peut-être couchés en joue, et donnèrent précipitamment l’ordre de tirer. L’adjoint Chaudey, chef supérieur, ce jour-là à l’Hôtel-de-Ville, avait autorisé la troupe a faire usage de ses armes si l’on tentait d’envahir le palais. Or, dit Gaston Da Costa (admettant la version des gardes nationaux tirant les premiers), « Sapia et ses hommes essayaient de franchir la grille qui isolait le bâtiment ». (La Commune vécue, p. 254.) Les deux capitaines et leurs hommes ont pu prendre cette tentative de Sapia et des cardes du 101e comme un commencement d’escalade. L’occasion s’offrait à eux d’user de la permission donnée par l’autorité civile, ils en profitèrent, satisfaisant en même temps leur animosité contre les « guerre à outrance ». Ce qui vient à l’appui de cette hypothèse, c’est la présence d’une foule devant les grilles, et aussi celle, au premier rang, du commandant Sapia : « À la première décharge, Sapia est tombé le long des grilles, la tête fracassée », dit Gaston Da Costa. Il est invraisemblable que ce chef de bataillon se fût avance jusqu’aux grilles, où il parlementait avec le comte de Legge et le colonel Vabre, pour faire tirer ses hommes, sur un bâtiment fermé, barricadé, étant certain d’attirer la riposte des bretons à l’abri.

La décharge des bretons, qu’elle ait suivi ou précède celle des gardes nationaux, fut terrible. Le commandant Sapia les délégués Chataigniaud et Fontaine furent tues. Il y eut une cinquantaine de blessés ou de morts, parmi lesquels des femmes, des enfants. Du côté des bretons, quelques pierres de l’Hôtel-de-Ville furent écornées et trouées. Il y eut aussi un certain nombre de carreaux brisés.

La foule inoffensive s’était dispersée, et quelques gardes nationaux, voulant courageusement riposter, se postèrent derrière les candélabres de la place, s’agenouillèrent le long des tas de sable déposés par les cantonniers, et tirèrent vers les fenêtres de l’Hôtel-de-Ville. Les gardes du 101e s’adossèrent au bâtiment de l’octroi, annexe de l’Hôtel-de-Ville ; ceux qu’avait amenés Razoua ébauchèrent une barricade, avec un omnibus renversé, au coin de la rue de Rivoli. M. Cresson, préfet de police, à la tête d’une brigade de sergents de ville, chargea les insurgés qui tentaient de construire la barricade, les dispersa, puis opéra des perquisitions dans les maisons de l’avenue Victoria, où s’étaient réfugiés des manifestants, au moment de la décharge.

Le préfet de police se porta ensuite au-devant du général Dargentolle, qui arrivait par le quai, avec la garde municipale et de l’artillerie. Il lui apprit que tout était fini.

La fusillade avait duré à peine un quart d’heure.

Cette échauffourée n’eut de gravité que par les décharges, absolument inutiles, des bretons, car, quelle que soit la version qu’on accepte sur l’origine des premiers coups de feu, il est certain que les décharges se multiplièrent ; les gardes nationaux ne firent ensuite que riposter par un feu inoffensif, blessant seulement les murailles, au feu plongeant et meurtrier dirigé des fenêtres du premier étage et de l’entresol par les mobiles abrités. La collision produisit peu d’émotion dans la ville, au premier moment. Beaucoup ignorèrent jusqu’au lendemain qu’il y avait des cadavres sur la plaie de Grève.

Jamais je n’ai mieux senti que ce jour-là, dit Francisque Sarcey, combien ce Paris était vaste, et quel univers c’était que cette grande ville. Il faisait beau temps, et c’était dimanche, en sorte que nous étions descendus, quelques camarades et moi, sur les boulevards. La population parisienne, qui fait toujours fête au soleil, s’acheminait, nombreuse et gaie, vers les Champs-Élysées. Nous rencontrâmes par hasard un ami, qui nous apprit qu’on se battait à l’Hôtel-de-Ville. Nous courûmes de ce côté ; sur notre route rien que des flâneurs indifférents qui ne semblaient pas soupçonner qu’on se tirât des coups de fusil, à un kilomètre de là. À mesure que nous approchions, la physionomie des rues changeait sensiblement : partout des groupes animes, des orateurs en plein vent, une foule très houleuse qui roulait vers le lieu du combat. Nous traversâmes la place, derrière les voitures d’ambulance qui emportaient les blessés, et rencontrâmes le préfet de police, M. Cresson, qui nous fit passer de l’autre côté ; car déjà les troupes arrivaient et formaient un cordon autour de l’émeute vaincue. Nous étions sur la rive gauche ; la, sifflaient les obus prussiens, tandis que grondaient les canons de nos forts qui cherchaient à leur répondre. C’était un tonnerre incessant d’artillerie. Nous remontâmes les quais, presque déserts et, par le pont des Arts nous débouchâmes sur la place du Théâtre-Français.

Une foule considérable sortait du théâtre, où l’on avait, joue ce jour-là le Mariage de Figaro.

(Francisque Sarcey, le Siège de Paris. — Ed. Lachaud, Paris, 1871, p. 326.)

Parmi les prisonniers arrêtés dans les maisons de l’avenue Victoria, se trouvait Serizier, le commandant du 101e bataillon, Le colonel Vabre voulait le faire fusiller sur place, mais Jules Ferry, qui venait d’arriver à l’Hôtel-de-Ville s’y opposa. Gustave Chaudey n’avait plus à intervenir, le maire étant présent. Il a pourtant porté le poids du sang versé. On ne lui sut pas gré, par la suite, de son énergie intempestive. On lui contesta même la vigueur, qui devait lui être imputée à crime et provoquer son supplice.

L’attitude de Chaudey avait été fort piteuse, dit M. Alfred Duquet. Il n’avait su que dire au commandant de Legge. « Évitez de faire feu. » Il l’avait répété plus de dix fois.

(Alfred Duquet. l’Insurrection du 22 janvier, p. 347.)

Chaudey avait cependant télégraphié à Jules Ferry, au moment de la fusillade, pour demander du renfort. Mais cette demande peut se justifier par le désir légitime d’empêcher le palais, dont il avait la garde, d’être envahi. Les renforts, conduits par Jules Ferry et le général Dargentolle, arrivèrent, comme on l’a vu, quand tout était fini.

Jules Ferry, en reprenant son fauteuil de maire, s’empressa de rédiger la dépêche suivante aux commandants des neuf secteurs :

Quelques gardes nationaux factieux, appartenant au 101e de marche, ont tenté de prendre l’Hôtel-de-Ville. Ils ont tiré sur les officiers de service et blessé grièvement un adjudant major de la garde mobile. La troupe a riposté. L’Hôtel-de-Ville a été fusillé des fenêtres des maisons qui lui font face, de l’autre côté de la place, et qui étaient d’avance occupées. On a lancé sur nous des bombes et lancé des balles explosibles.

L’agression a été la plus lâche et la plus odieuse, d’abord au début, puisqu’on a tiré plus de cent coups de fusil sur le colonel et ses officiers, au moment où ils congédiaient une députation admise un instant avant dans l’Hôtel-de-Ville. Non moins lâche ensuite, quand, après la première décharge, la place s’étant vidée et le feu ayant cessé de notre part, nous fûmes fusillés des fenêtres en face.

Dites bien ces choses aux gardes nationaux, et tenez-moi au courant si tout est rentré dans l’ordre.

La garde républicaine et la garde nationale occupent la place et les abords.

Le ton emphatique de cette dépêche, les exagérations et les erreurs de fait qu’elle contient prouvent que, ce jour-là, Jules Ferry, si maître de lui au 31 octobre, n’avait pas tout son sang-froid, et ne gardait point sa mesure habituelle.

Les bombes et les balles explosibles n’existèrent que dans l’imagination de Ferry. Où les gardes nationaux se seraient-ils procuré des balles explosibles, dont nulle part on ne trouva la trace, dans les arsenaux ni ailleurs, durant les combats du siège ? Ferry reproduit là, sans nécessité, une calomnie propagée par les journaux prussiens. Quant aux bombes il n’y avait ni mortiers ni canons sur la place de l’Hôtel-de-Ville. Les troupes du général Dargentolle venu avec Ferry, après la fusillade, avaient seules de l’artillerie. L’invraisemblance des cent coups de fusils tirés sur le colonel Vabre et ses officiers « au moment où ils congédiaient une députation admise un instant avant dans l’Hôtel-de-Ville » est évidente. Les gardes nationaux eussent-ils tiré sur ce groupe, au hasard, au risque de tuer les délégués, leurs amis ?

Le gouvernement afficha le lendemain la proclamation suivante, aussi violente de ton et contenant une allégation absurde :

Un odieux crime vient d’être commis contre la patrie et contre la République.

Il est l’œuvre d’un petit nombre d’hommes qui servent la cause de l’étranger.

Pendant que l’ennemi nous bombarde, ils ont fait couler le sang de la garde nationale et de l’armée, sur lesquelles ils ont tiré.

Que ce sang retombe sur ceux qui le répandent pour satisfaire leurs criminelles passions.

Le gouvernement a le mandat de maintenir l’ordre, l’une de nos principales forces en face de la Prusse.

C’est la cité tout entière qui réclame la répression sévère de cet attentat audacieux et la ferme exécution des lois.

Le Gouvernement ne faillira pas à son devoir.

Il est impossible d’admettre cette affirmation. Les patriotes, qui s’insurgeaient pour protester contre l’inaction du gouvernement, et qui voulaient ôter le pouvoir à Trochu et à ses complices pour interrompre leurs négociations avec les Prussiens, ne pouvaient être sérieusement accusés de pactiser avec l’étranger.

FERMETURE DES CLUBS

Les mesures de réaction suivirent ce réquisitoire. Les clubs furent fermés. Il y avait eu, dans ces assemblées populaires, bien des sottises formulées, et les propositions ridicules ou absurdes avaient trop souvent rempli les séances passionnées. On avait écouté, toujours avec attention, souvent avec une crédulité naïve autant qu’enthousiaste, des rêveries d’inventeurs et des motions saugrenues. Le célèbre feu grégeois avait eu les honneurs de plus d’une réunion ; les bombes asphyxiantes avaient été l’objet de discussions ardentes ; et l’on avait seulement souri, quand, au club Favier, un patriote imaginatif avait proposé de lâcher dans les bois autour de Paris les fauves et les reptiles du jardin des Plantes, qui coûtaient cher à nourrir, et qui formeraient une redoutable avant-garde défensive pour nos avant-postes. Mais dans ces clubs aussi, où l’on avait si souvent invoqué la Commune, sans la définir, sans trop savoir ce qu’elle représenterait, où on avait salué en elle le vrai gouvernement populaire et sauveur, celui qui chasserait les incapables du gouvernement, et peut-être avec eus les Prussiens des lignes d’investissement, il y avait eu des motions vraiment patriotiques, et des harangues réconfortantes avaient été débitées et applaudies. On y avait entretenu l’espérance, l’illusion si l’on veut, mais pour un peuple assiégé l’annonce de la délivrance est le meilleur cordial. S’il y avait eu, dans des séances sans intérêt, de vaines dénonciations et des commérages de portières sur « telle dame distinguée, qui nourrissait son petit chien avec du pain », des paroles énergiques et des appels sincères au courage, à la résistance, au sacrifice et au dévouement avaient été fréquemment prononcés. Il y eut même, ici et là, des séances où l’énergie révolutionnaire et le patriotisme exaspéré inspirèrent des paroles enflammées d’une éloquence aussi farouche que celles qui furent prononcées à la tribune de la Convention, quand Danton ou Vergniaud l’occupaient.

M. G. de Molinari, dans ses comptes-rendus ironiques ou malveillants, mais pittoresques et suffisamment documentés pour donner une idée de ces séances à peu près exacte, et qui révèlent la mentalité des tribuns populaires, a conservé la trace de motions et d’impressions du public qui prouvent les intentions patriotiques et la fébrile énergie de tous ceux qui s’entassaient dans ces salles fumeuses, insuffisamment éclairées, non chauffées, où l’on était serré sur des bancs étroits, où l’on restait souvent debout, surtout lorsqu’il y avait une personnalité connue et aimée à la tribune. Molinari n’a pu s’empêcher, par exemple, de reconnaître « le souffle et le don d’émouvoir », chez un orateur qui avait eu déjà de grands succès dans les réunions publiques sous l’empire, Briosne[1]. Voici un fragment du discours de Briosne, au club de la rue d’Arras, le 13 janvier 1871, qui permet de se faire une idée du ton et du langage de ces réunions :

LA SITUATION DÉCRITE PAR BRIOSNE

La situation est désespérée, et pourquoi ? demandait Briosne. Parce que le gouvernement, suivant en cela l’exemple funeste de ses devanciers, nous a constamment caché la vérité ; parce qu’il nous a nourris d’illusions ; parce qu’il s’est évertué à nous dissimuler la puissance de l’ennemi auquel nous avons affaire. Cet ennemi a sur nous l’avantage de la discipline et de la science ; on a voulu nous persuader que nous pouvions l’emporter sur lui grâce à la supériorité de notre courage. Vaine illusion ! Triste mensonge ! Notre ennemi est aussi courageux que nous, et, au lieu de le déprécier, nous aurions mieux fait d’acquérir ce qui nous manque pour l’égaler et le vaincre. Il y a trente-cinq jours, époque de la dernière visite de l’orateur au club Favié, on pouvait encore tout sauver. On avait 600 000 hommes et des vivres ; on pouvait organiser une action énergique et décisive de concert avec la province, aujourd’hui on est à bout, le temps manque, et bientôt tout va manquer ! Qui parle encore de faire la Commune ? Qui serait assez insensé pour assumer la responsabilité de la situation où nous sommes ? La Commune ? son heure est passée. Auriez-vous le temps d’organiser un gouvernement, d’imprimer à tous l’impulsion nécessaire pour assurer la résistance ? Non ! Il est trop tard. Mais à qui la faute ? Sur qui doit peser la responsabilité de la situation ? Est-ce sur le peuple ? Non ! le peuple ne gouverne pas ; il est mené et exploité comme il l’a toujours été ; c’est la bourgeoisie, la bourgeoisie qui a la science, la richesse et le pouvoir, c’est elle qui sera responsable du désastre de Paris. Mais ce désastre sera plus grand et plus complet qu’elle ne se l’imagine. Ah ! elle croit qu’il lui aura suffi de faire un semblant de résistance, d’aller aux remparts et de faire des reconnaissances, où on ne voit pas les Prussiens, et d’où l’on revient en se disant : Nous avons été admirables ! elle croit, cette caste égoïste et vaniteuse, que cela lui suffira pour couvrir sa responsabilité devant le peuple et devant l’histoire ! Non ! non ! nous ne le permettrons pas ! Paris est la capitale du monde civilisé, il faut que sa chute soit digne de sa renommée. Quand Jérusalem est tombée, les femmes jetaient sur l’ennemi, du haut des murailles, à défaut de pierres et de débris, les membres palpitants des défenseurs de la cité sainte ; de Palmyre, la reine du désert il n’est resté qu’une colonnade mutilée, et on a cherche pendant des siècles l’emplacement de Babylone et de Ninive. Eh bien, il faut que Paris aussi sache mourir. Si les Prussiens entrent dans Paris, la province continuera la lutte, et alors comment nous approvisionnerons-nous ? D’où nous viendront les vivres ? Les Prussiens pourront-ils se charger de nous nourrir ? Tu ne seras pas nourrie, bourgeoisie prévoyante, mais tu seras pillée, car les Prussiens commenceront par imposer à Paris une contribution de guerre de ou 3 milliards, et ces milliards, ce n’est pas à Belleville qu’on viendra les chercher ; non ! comme on ne trouvera pas assez d’argent, on prendra les chefs-d’œuvre des musées, on mettra à contribution les riches ameublements des bourgeois, les tableaux de maîtres qui décorent leurs salons, leurs bijoux finement ciselés… Ne vaut-il pas mieux échapper à cette fin ignominieuse par un suprême effort ? Au lieu d’imiter l’autruche qui se cache la tête sous le sable en attendant la mort, imitions le lion acculé qui s’élance sur son ennemi et lui fait sentir sa griffe dans une dernière convulsion d’agonie ; sortons tous, hommes, et femmes, enfants, peuple, bourgeois, oublions nos divisions, nos griefs, nos haines, pardonnons à la bourgeoisie, si elle veut mourir avec nous ; sortons à quinze cent mille, à deux millions ; les Prussiens ne pourront nous massacrer tous ; ceux qui survivront iront nous chercher des vengeurs, et si nous mourons, nous aurons fait une fin digne de la capitale du monde !

Les clubs servirent à soulager la conscience populaire, à soutirer aussi, dans bien des cas, l’électricité révolutionnaire. On peut attribuer à leur force dérivative, à leur efficacité, analogue à celle d’un paratonnerre, pour attirer et canaliser la violence populaire, le calme relatif de Paris, et l’innocuité, absolue au 31 octobre, partielle au 22 janvier, des émeutes pendant le siège. Il n’est pas besoin, pour considérer comme salutaire leur maintien, d’invoquer l’argument, un peu policier, de leur historiographe, qui prétend « qu’ils servaient d’indicateurs au gouvernement » et prévinrent ainsi, les autorités averties ayant pu prendre leurs précautions, plus d’une explosion dangereuse. On ne peut nier que les clubs remplirent, en plusieurs circonstances, l’office de soupape de sûreté, ou d’avertisseur, comme les plombs des chaudières surchauffées, mais ce n’est là qu’une particularité contestable et secondaire. M. de Molinari voit plus juste et constate une forte vérité, quand il dit que les clubs ont contribué à exciter cette fièvre de patriotisme qui exaltait les âmes, et qui aurait sauvé la France, en doublant ses forces morales, se des forces morales avaient suffi pour le sauver, et aussi lorsqu’il fait observer que, les théâtres étant fermés, les clubs fournissaient le spectacle, et l’alimentation intellectuelle si nécessaire à une population enfermée.

On aurait pu, dit-il en faisant allusion à l’ordonnance du préfet de police Kératry, qui, au moment de l’approche des Prussiens, avait prescrit la fermeture des théâtres, fermer les clubs en même temps que les théâtres, et le conseil en a été donné au gouvernement de la Défense nationale. Quelques-uns allaient même jusqu’à l’engager à suspendre la publication des journaux ; mais que serait donc devenue cette population nerveuse et impressionnable, pour laquelle la conversation parlée et écrite est un article de première nécessité, si on l’avait privée à la fois des théâtres, des clubs, des journaux, dans le moment même où toute communication lui était interdite avec le reste du monde ?…

Les Parisiens isolés, détenus dans leur ville devenue geôle, ne pouvaient être tenus en cellule et gardés au secret ; il fallait leur laisser, comme à des prisonniers politiques, la consolation de s’entretenir entre eux, et d’échanger leurs rêves et leurs espérances. Les clubs furent, pendant le siège, les théâtres et les salons du peuple. On eut donc raison de les laisser ouverts, et leur fermeture ne donna nullement ce résultat que Vinoy et Jules Ferry attendaient, de « clore l’ère des émeutes », puisque six semaines s’étaient à peine écoulées depuis le 22 janvier, que le Comité Central et la Commune étaient maîtres de Paris.

Diverses mesures de répression accompagnèrent la fermeture des clubs. Les journaux le Combat et le Réveil furent supprimés. Leurs rédacteurs, Delescluze et Félix Pyat, furent mis en accusation, malgré l’opposition d’Emmanuel Arago, et sur l’insistance d’Eugène Pelletan. De nombreux citoyens furent arrêtés ou recherchés. On proposait l’établissement de cours martiales, mais on se contenta d’instituer de nouveaux conseils de guerre. On instruisit le procès des manifestants arrêtés, et on leur adjoignit des notoriétés révolutionnaires :

Le procès, dit un auteur anonyme exprimant un regret de l’insuffisance des poursuites, ne porta condamnation réelle que sur les instruments secondaires. Il fallut se contenter de condamner à mort, par contumace, Gustave Flourens, Blanqui et Félix Pyat.

(Sempronius, Histoire de la Commune de Paris.
Décembre-Alonnier, éd., 1871)

Ainsi se termina cette journée du 22 janvier, qui aurait pu devancer, et remplacer, celle du 18 mars. C’eût été alors la capitulation retardée, sinon conjurée. La guerre avec les Prussiens terminée sous Paris, prolongée en province, aurait en peut-être un autre dénouement, car Chanzy, malgré sa défaite au Mans, déclarait fièrement à Gambetta pouvoir « se faire battre encore pendant six mois » ! En tous cas, la guerre civile eût été évitée, et l’assemblée nationale, n’étant ni élue à Bordeaux ni installée à Versailles, la Commune issue de l’insurrection aurait pu être reconnue, au moins provisoirement, comme gouvernement national. Les destinées de la France n’étaient plus les mêmes. On doit donc regretter que, comme l’émeute du 31 octobre, l’insurrection du 22 janvier, par les circonstances indiquées plus haut, n’ait été qu’une échauffourée inutile, une révolution ratée.

  1. Briosne, condamné pour complot en 1854, orateur de réunions sous l’Empire, candidat aux élections législatives de 1869, élu membre de la Commune par le IXe arrondissement (2,456 voix), n’accepta pas, et disparut de la vie politique.