Histoire de l’Affaire Dreyfus/T5/4-2

Eugène Fasquelle, 1905
(Vol. 5 : Rennes, pp. 398–476).

Ch. IV : Rennes

(suite 2)

XIV

Demange avait surtout contre lui que la nature semblait l’avoir pétri mollement ; en somme, sans rien casser, il avait posé les questions qu’il fallait et, à plusieurs reprises, enfermé les généraux dans des dilemmes d’où ils n’étaient pas sortis avec les honneurs[1]. Labori, applaudi par toute la salle quand il reparut à la barre[2], se lança presque aussitôt dans l’offensive et s’y montra à la fois égal à lui-même, en haussant les débats au ton du drame, et plus maladroit que de raison, parce qu’il était un tempérament plus qu’une intelligence[3].

Il ferrailla d’abord contre Mercier, épuisa, avec l’assentiment bourru de Jouaust, son questionnaire[4], son « interrogatoire », dit-il à la première passe entre eux ; mais Mercier, à qui rien n’échappait, protesta contre le mot, dit qu’il ne se laisserait pas traiter en « accusé[5] », garda jusqu’au bout son attitude d’accusateur. Rien ne put l’en déloger. — Gonse, quand il se sentait serré, s’effarait, balbutiait d’un ton pitoyable des excuses : « Moi, je ne suis pas responsable… », ou des sottises : « Esterhazy était un accusé spécial » ; Roget, avec le Pellieux du procès Zola pour modèle, n’était pas de taille, enragé, le ton tranchant, l’air de tout pourfendre, enchanté de lui-même, d’une fatuité niaise, intervenant à tout propos, régisseur des témoins militaires, mais tout en paroles, comme les orateurs de café de son pays, et prompt comme pas un à se dégager, dès qu’il sentait le fer, rompant avec des moulinets, mais rompant tout de même[6]. Mercier, lui, à aucun moment, ne recule d’un pas. Tantôt, aux questions les plus pressantes, il riposte par des affirmations ou des raisonnements effrontés qui rendent toute discussion impossible (qu’il ne s’est pas occupé de l’enquête contre Dreyfus, que la lettre d’Henry à Papillaud, dont Papillaud refuse toujours de laisser voir l’original, n’est pas de l’écriture d’Henry) ; tantôt, il refuse de répondre « parce que la question n’est pas du ressort de la défense », ou « qu’il ne pense rien d’Esterhazy », ou « qu’il n’admet pas qu’on l’interroge sur ses opinions[7] » ; et, toujours, sur le même ton hautain et sec, impératif, les yeux mi-clos, sans un tressaillement de sa face glabre, de jour en jour plus sinistre, creusée de rides plus profondes, pareille à celle d’une très vieille femme ou d’un évêque espagnol, dans les tableaux d’Herrera l’Ancien. Il y a des moments où le cynisme, à une telle puissance, force l’admiration, où l’on inclinerait à croire que le crime peut être créateur d’une sorte de beauté.

La lutte fut particulièrement vive au sujet du texte falsifié de la dépêche de Panizzardi. A-t-il été mis, en 1894, au dossier secret ? Freystætter l’atteste d’une voix forte : « Le télégramme (Dreyfus arrêté, émissaire prévenu) a été communiqué aux juges » ; mais Maurel, devenu tout à coup très pâle, en a perdu tout souvenir ; et Mercier affirme avoir prescrit de ne pas faire usage d’une traduction incertaine[8]. D’aucun côté rien qui ressemble à une preuve. Freystætter, avec sa belle tête de soldat, son franc regard, l’énergie concentrée de son accent, donne la sensation de la loyauté, mais pourrait être victime d’une « superposition de mémoire ». Mercier, cette fois, dit peut-être la vérité (au cas où Sandherr ou Henry seraient allés, à son insu, jusqu’au crime complet). Maurel, de toutes façons, est suspect, ayant été pris en flagrant délit de mensonge « à la jésuite ». Il a déclaré d’abord qu’il n’a lu qu’une seule pièce[9] ; puis qu’il n’a point dit « qu’une seule pièce ait été lue » ; enfin que les autres ont été lues par un autre juge et « qu’il ne les a écoutées que d’une façon excessivement distraite ». Au contraire, selon Freystætter, c’est Maurel lui-même qui a passé chacune des pièces aux juges, après l’avoir commentée. Sur quoi Maurel, reculant encore, proteste seulement contre le mot de « commentaire[10] » ; aussi bien « chacun conduit sa barque comme il l’entend ». C’est-à-dire : « Vous avez choisi la vérité ; laissez-moi l’équivoque. »

Ce qui contresigne surtout le témoignage de Freystætter, c’est toute sa vie, ses rudes campagnes d’Asie et d’Afrique, sa claire vision des haines implacables qu’il assemble, lui-même, sur sa tête.

Maurel avait révélé que c’était Du Paty qui lui avait transmis le dossier secret sous pli fermé ; — Picquart avait cru jusqu’alors que c’était lui-même ; — mais Du Paty était ou se disait toujours malade, incapable de se lever de son lit. Labori demande qu’il soit l’objet d’un examen « par des médecins commis » ; il départagera les témoins ; « M. le général Mercier a dit que le pli a été fait par le colonel Du Paty de Clam. » Mercier rectifie ; il n’a pas dit cela, seulement que le pli n’a pas été fait par lui-même[11] ; depuis, il s’est renseigné auprès de Boisdeffre ; c’était Sandherr. Sur quoi Labori : « Toujours le mort, le colonel Sandherr est mort, le colonel Henry est mort, M. Du Paty de Clam ne vient pas ! »

Si la défense avait cité les autres juges de 1894, comme je l’avais conseillé, on les eût entendus sur l’heure, confrontés, à l’improviste, avec Maurel, avec Freystætter ; mais elle s’était méfiée d’eux, ce qui n’était ni juste, ni politique (ni bon pour Freystætter), et elle continuait à s’en méfier alors qu’il était temps encore de réclamer du pouvoir discrétionnaire de Jouaust leur comparution immédiate ; Mercier, en ne la demandant pas lui-même, montrait son inquiétude à leur endroit.

Autre erreur de la défense :

Selon Maurel, sa conviction, en 1894, ainsi que celle de trois autres juges, a été faite à l’audience où, d’ailleurs, « l’attitude de l’accusé a été ferme et absolument correcte pendant tous les débats » ; cependant, « il n’a été éclairé d’une manière complète » que par la première pièce du dossier secret, celle qu’il a lue lui-même, à haute voix[12], et que Freystætter, sans qu’il le démentît, résumait ainsi : « Une notice biographique imputant à Dreyfus des trahisons commises à l’École de Bourges et à l’École de guerre[13]. » Or, ni Demange ni Labori ne firent remarquer que cette description ne s’appliquait pas à la « concordance » de Du Paty, à l’imbécile commentaire que Picquart avait trouvé dans le petit dossier, et ils passèrent ainsi à côté de la vérité[14].

L’absence de Du Paty arrêtait les avocats à chaque pas ; leurs meilleures questions restaient sans réponse. Chamoin ayant renouvelé sa confession au sujet de la fausse version de la dépêche Panizzardi qu’il avait produite au huis clos, Mercier déclare que le frauduleux papier lui a été remis de la part de Du Paty[15] ; mais d’où celui-ci le tient-il ? avec quels éléments l’a-t-il fabriqué ? Ce second procès de Dreyfus, sans que l’un des principaux acteurs du premier fût attaché à la barre, c’était un défi au bon sens.

Il fallut pourtant se résigner à tenir les certificats des médecins pour dépourvus de complaisance[16], — Du Paty souffrait d’une congestion du foie, de troubles cardiaques et de coliques, — et, dès lors, à l’interroger dans sa chambre de malade. Bien que les avocats de Dreyfus eussent le droit d’assister à la déposition et d’y poser des questions comme à l’audience, ils restèrent tous deux à Rennes.

Tavernier, désigné par Jouaust, ne voulut être qu’un greffier, recueillit, sans une seule observation, le récit de Du Paty qui dura trois séances, parce qu’il se disait, au bout d’une heure, trop fatigué pour continuer[17]. Toujours la même façon de travestir la vérité sans tomber dans le gros mensonge, de flotter entre le pour et le contre. Il n’aurait qu’un mot à dire : « Je me suis trompé de bonne foi. » Mais il ne le dit pas. Et il ne dit pas non plus qu’il ne s’est pas trompé, ni qu’il persiste à croire Dreyfus coupable. Il ne dit même pas qu’à aucun moment de son enquête de 1894, il en ait eu la certitude ; des pièces secrètes, dont « il a établi le commentaire sous la direction de Sandherr[18] », il a conclu seulement « qu’il y avait un traître à l’État-Major, que ce traître était un officier, qu’il appartenait ou qu’il avait appartenu au 2e bureau, et que ce pouvait être Dreyfus ». Il ne sait pas ce que contenait le pli fermé et scellé que Sandherr l’a chargé de remettre à Maurel ; il ne sait rien d’une notice biographique sur Dreyfus ; il n’a pas été à même de vérifier « si le texte chiffré, reconnu pour authentique », de la dépêche Panizzardi présentait la même particularité inquiétante que le texte chiffré « qu’il a vu ». La dernière parole que lui a dite Dreyfus au Cherche-Midi, ce fut : « Cherchez ! » Cri d’un innocent. Mais Gonse et Sandherr, quelques jours après, lui ont appris que Dreyfus avait fait des aveux : « Dès lors (donc, en raison seulement de l’affirmation de Sandherr et de Gonse), je considérai cette affaire comme absolument terminée. » Enfin, il n’a pas été le « tortionnaire » dont la hideuse et grotesque légende le poursuit, et il n’en veut pour preuve que des lettres de Mme Dreyfus qu’il a conservées.

À l’audience, tout ce savant édifice fût tombé en poussière, l’écrasant, écrasant ses employeurs et ses associés.

Weil, de même, préféra être malade : Beauvais demanda qu’on recherchât son dossier[19] ; Brogniart, sur la foi de Roget et de Billot, le croyait le trait d’union entre Esterhazy et Dreyfus[20]. Il n’osa même pas protester par lettre qu’il n’avait jamais connu Dreyfus, qu’il avait eu seulement le malheur d’être l’ami et le prisonnier d’un bandit.

Quiconque faisait usage seulement de sa raison ne pouvait manquer d’être frappé de tant d’indices qu’une main suspecte éloignait de Rennes de tels témoins.

L’une des déclamations de l’ancien État-Major qui inquiétait le plus, c’était que les partisans de Dreyfus détruisaient l’œuvre de Sandherr, « le merveilleux instrument de défense » qu’il avait construit[21]. Il eût donc fallu attacher une importance particulière au témoignage de Cordier, l’ami et le collaborateur intime de « ce grand patriote », ainsi que l’appelait Gendron ; mais comme Cordier était revenu de son erreur au sujet de Dreyfus et avait été des premiers à soupçonner Henry, les mêmes gens lui déniaient tout droit à invoquer « cette grande mémoire ». Roget, Lauth, un officier retraité, le colonel Fleur, jusqu’à Gribelin, assaillirent le vieux sanglier qui fit front avec beaucoup de belle humeur et leur porta de rudes coups de son boutoir[22]. On lui jette à la face qu’il a cru, autrefois, à la culpabilité de Dreyfus[23]. « Si je n’y avais pas cru, j’aurais été le dernier des hommes, moi, officier du service des renseignements, de ne pas proclamer alors la vérité. » Il n’y croit plus et le déclare, parce qu’il ne fait pas consister son honneur et celui de l’armée à nier l’évidence. Il traça de verve un portrait pittoresque d’Henry, « imposé à Sandherr » qui le surprit plus d’une fois en faute, suspect de délation, intriguant avec Lauth contre les chefs et fabriquant finalement « son faux pour démolir Picquart et se mettre à sa place[24] ». C’étaient ces manœuvres qui avaient commencé à l’inquiéter au sujet de Dreyfus ; puis, dès le lendemain du discours de Cavaignac, il en a dit son opinion, avec son franc-parler d’homme qui n’attend et ne redoute rien de personne, et de là lui sont venus tous ses ennuis, sa réputation d’ivrogne et l’accusation, étayée d’un faux, qu’il s’est offert et vendu aux juifs. En effet, peu après la mort d’Henry, on avait retrouvé dans la réserve du faussaire une lettre signée d’un simple paraphe, dont l’auteur proposait ses services à Mathieu Dreyfus, et, comme Henry, en la montrant à Lauth, lui avait dit que l’écriture ressemblait à celle de Cordier[25], tous, de Gribelin à Roget, n’hésitèrent pas à la lui attribuer. La lettre, du 26 octobre 1896, — quand Cordier était bien tranquille sur la culpabilité de Dreyfus, — aurait été, selon Henry et Lauth, transmise au ministère de la Guerre par l’administration des Postes, à cause de l’adresse inexacte ou incomplète : « Mathieu Dreyfus, fabricant à Belfort », et elle était certainement authentique, selon Roget, « incontestablement de son vieux camarade d’école », du vieil ami qu’il avait toujours connu, jusqu’à cette soudaine conversion, « pour le plus enragé des antisémites[26] ». Cordier, dès qu’il apprit ces diffamations, déposa une plainte en faux et le juge n’eut pas de peine à établir que la lettre était de Lemercier-Picard[27].

Jouaust n’arrêta pas d’interrompre ce bon troupier, cet honnête homme qui défendait son honneur.

Tomps et Hennion racontèrent, à leur tour, d’autres fourberies d’Henry, d’autres manœuvres de Gribelin ou de Lauth[28] ; Lonquéty démentit à nouveau l’invention de d’Ocagne sur les voyages suspects de Dreyfus à Bruxelles[29] ; Painlevé, à propos de sa conversation avec Jacques Hadamard, prit Gonse et Roget en flagrant délit, les accula à avouer qu’ils lui avaient fait dire, dans le dossier secret et devant la Chambre criminelle, le contraire exactement de ce qu’il leur avait rapporté de cet entretien[30]. Ce fut l’une des scènes dramatiques du procès, le jeune savant d’un côté, très maître de lui, impitoyable, la voix énergique et vengeresse, et de l’autre, ces deux généraux déconcertés, balbutiant, pâles de colère ou de honte. — Cependant les soldats ne voyaient toujours dans ces vilenies que des incidents de guerre, d’une guerre dont l’armée était l’enjeu. Toujours la même peur, le même prétexte : donner tort aux chefs, c’est détruire l’armée !

C’était l’une des fatalités les plus douloureuses de l’Affaire que l’innocence de l’accusé fût devenue inséparable de l’infamie des accusateurs, l’erreur judiciaire ayant, depuis si longtemps, mué en crime. Et les accusateurs portaient le même uniforme, appartenaient à la même caste que les juges, continuaient à s’identifier avec l’armée ! Dans ces conditions, comment ces juges, même délivrés de la hantise du bordereau annoté, regarderaient-ils les choses d’un œil nu ? La couleur n’est pas dans l’objet, mais en eux ; leur vision est ce que la fait la teinte de leurs lunettes ; leur optique n’est pas matérielle, comme elle devrait l’être, mais morale[31]. Le plus éclairé d’entre eux, Jouaust, qui veut sauver Dreyfus, veut aussi sauver Mercier.

Conciliation impossible ? Il y a neuf chances sur dix qu’elle le soit, que Mercier seul échappe. La seule chance qui reste à Dreyfus exigerait la complicité tacite de ses deux défenseurs avec Jouaust, et Jouaust ne se sent compris que de Demange.

Aussi, plus les débats avançaient, plus il s’irritait contre Labori, après lui avoir montré beaucoup de bienveillance, et il le lui marquait durement, pensant peut-être l’avertir et l’en piquant davantage. Au bout de huit jours, presque à chaque audience, ils se heurtaient : Jouaust offensait l’avocat par ses deux attitudes, rogue jusqu’à la brutalité avec les partisans de Dreyfus, prévenant envers les témoins militaires à charge qui pouvaient dire tout ce qu’ils voulaient ; Labori provoquait le vieux colonel par ses gestes, son ton, une manière de frémissement continu, « même pour demander la date d’une pièce[32] », et tantôt une courtoisie d’apparat qui blessait plus qu’une franche grossièreté, tantôt d’orageuses agressions où il semblait se donner en spectacle à lui-même. Ils échangeaient alors d’âpres répliques, Jouaust refusant de poser les questions de l’avocat, le rappelant à la modération avec emportement, lui enjoignant, comme à un caporal, de ne pas couvrir sa voix ou de s’asseoir ; et Labori ripostant de toute la force de « ses poumons héroïques[33] », protestant violemment de son respect, lançant des torrents de grands mots, ou boudant comme un enfant[34].

La plupart des revisionnistes étaient reconnaissants à Labori d’exprimer leurs colères ; quelques-uns seulement, mais des plus chevronnés, qui avaient montré cent fois qu’ils n’avaient peur de rien, même d’être taxés de sages, s’inquiétèrent de ces fâcheux incidents. S’ils surent gré, eux aussi, au jeune avocat de son avidité de bataille, des coups droits qu’il portait à l’adversaire, de l’espèce de force magnétique qui se dégageait de lui, ils osèrent dire cependant qu’il ne commandait pas assez à ses nerfs, exagérait à plaisir l’emportement de la lutte et qu’il mettait du défi dans ses algarades. Mathieu, surtout, souffrit de ces scènes, mais se sentait mal à l’aise pour remontrer quoi que ce fût à l’assassiné d’hier, encore sous le choc de l’attentat et de la maladie dont il avait conservé l’exaltation fébrile, et, de tout temps, l’homme du monde le moins accueillant aux avis. Labori, au premier mot, s’emportait, parlait de s’en aller, accusait la méthode de Demange, réclamait pour lui seul la direction des débats[35]. Même à l’audience, devant l’ennemi, il donnait carrière à son hostilité contre son confrère[36], affichait son dédain pour la prudence, l’inaltérable patience du vieil avocat qui, d’autant plus, se faisait conciliant, presque paterne, s’efforçait de rassurer les généraux, protestait de toute idée de leur nuire, se séparait de son impétueux adjoint rien que par son attitude[37]. Demange, parce qu’il connaît les hommes, les accepte. Labori les ignore si bien que, dès qu’il tient un succès contre l’un d’eux, il s’en grise, incapable de mesure par manque de goût, et, pour vouloir trop vaincre, emporté par l’orageux désir de transformer une défaite en déroute, se fait ramener avec perte.

Il commit plusieurs fois cette faute, notamment à l’une des séances où le directeur de l’artillerie, Deloye, déposa comme « expert technique ».

Bien que Deloye, sous Galliffet, ne fût pas tout à fait le même que sous Freycinet, et que sa parole, à la fois brusque et prudente, fuyait l’expression nette de la pensée qu’il voulait produire, son hostilité avait paru, à sa première déposition, une hostilité de professionnel, d’autant plus dangereuse[38]. C’était un homme de petite taille, toujours en mouvement, l’allure d’un vieux colonel de l’Empire, qui semblait sortir d’un dessin de Raffet, une grosse tête chauve, des yeux vifs et rieurs, le visage énergique, taillé à la serpe, qui finissait dans une barbe de fleuve. Sans aller jusqu’à dire que Dreyfus, à l’École de pyrotechnie, eût vendu le secret de l’obus Robin, il soutenait, par exemple, que le schrapnel allemand et cet obus étaient fondés sur le même principe. Mais quand Hartmann eut établi que c’était faux[39], avec les pièces mêmes qui étaient au dossier, et qu’appuyé par Sebert, il eut démontré que le bordereau ne pouvait pas avoir été écrit par un officier d’artillerie, alors Deloye avait battu en retraite. Ainsi il convint qu’au dire de Robin lui-même, l’inventeur de l’obus, « Dreyfus ne lui avait jamais rien demandé de ses affaires, rien, rien, rien, encore rien, sauf un moyen de faire tourner plus vite des broches de filature » ; et, surtout, en ce qui concernait les documents qu’on croyait visés par le bordereau, que Dreyfus avait pu les connaître, mais qu’il n’en existait aucune preuve : « Si j’en avais, assurément, je les donnerais, mais je n’en ai pas… » Puis, très nettement, il condamna le système « d’éliminations et de recoupements » de Cavaignac : « Nous sommes dans le domaine concret, il faut y rester. Des mathématiques, des raisonnements mathématiques, alors que la culpabilité de l’accusé peut en dépendre, jamais[40] ! »

L’évidence, c’était qu’il fallait s’en tenir à cette déclaration, en prendre acte : « Pas une preuve contre Dreyfus. Voilà, après cinq ans d’enquêtes, l’attestation du ministre de la Guerre, par son représentant officiel. » Mais Labori, une fois lancé en avant, impossible de l’arrêter. Au lieu de remercier simplement Deloye, il le harcèle, s’obstine à lui faire dire ce que le général ne veut pas dire, à savoir que la plupart des espions vendent de la marchandise sans valeur et qu’un document qu’on ne connaît pas n’est pas nécessairement important. Alors Deloye perd patience. Par deux fois, il s’est évadé dans des réponses dilatoires ; à la troisième fois : « Oh ! n’insistez pas, n’insistez pas ! Voyez-vous, il y a dans ce bordereau des choses qui marquent que celui qui l’a écrit n’est pas un petit malheureux, que c’est un maître, un seigneur, un gros seigneur, qu’il était à la source[41] ! »

Les journaux revisionnistes traitèrent la ruade de « stupide ».

Pourtant, le véritable auteur du bordereau n’est pas, en effet, un espion du dernier ordre et « il a été à la source », au moins par Henry. Mais, stupide ou non, et certainement perfide, la riposte atteint Dreyfus[42] derrière Labori et tout le terrain gagné par Hartmann, concédé par Deloye, est à nouveau perdu.

XV

Au dehors, dans l’août brûlant de cette dernière année du siècle, le deuxième été sans la détente d’esprit qui est le vrai repos des vacances, les passions ne montraient encore aucun signe de lassitude.

En fait, les plus vigoureux, les plus enragés, étaient sur les dents, depuis plus de six cents jours que toute la vie de la nation était suspendue à l’aventure de ce petit capitaine juif ; mais les nerfs étaient les plus forts, comme au soir d’une bataille, où, fatigue et faim, on oublie tout.

L’immense fabrique de la presse continuait donc à travailler de toutes ses machines, jetait d’heure en heure à la rue des milliers et des milliers de kilos de papier, qui s’enlevaient, disparaissaient, comme absorbés par une énorme pompe aspirante.

Si l’on songe au nombre d’articles qu’on avait écrits déjà sur Dreyfus, on s’étonnera que les encriers, que les cerveaux ne fussent pas vidés. On n’avait qu’à prendre une plume, elle courait d’elle-même. On eût écrit en dormant.

La curiosité, l’impatience, l’émotion, n’étaient pas beaucoup moins intenses à l’étranger. Est-ce que l’innocent va être rendu aux siens ? est-ce qu’un second assassinat va s’accomplir par l’armée française ?

Les renseignements de Waldeck-Rousseau étaient contradictoires : Chamoin pronostique l’acquittement, « faute de preuves » (lettre à Galliffet) ; Paléologue, la condamnation, peut-être la minorité de faveur, trois voix pour l’innocence, la pire des solutions (lettres à Delcassé) ; surtout, les sons de cloche qui viennent des revisionnistes sont d’un glas. Sauf Picquart, retrempé dans la bataille et confiant encore[43], les plus fermes (Ranc, Trarieux, Hartmann) ne cachent pas leurs inquiétudes, pendant que des accès révolutionnaires reprennent Jaurès : « Quelle autre chance de salut, disait-il, que par les moyens violents[44] ? » D’autres fois, une nouvelle condamnation lui paraissait quelque chose comme « une impossibilité physique ».

À l’ordinaire des veilles de défaite, plusieurs accusaient l’inaction du gouvernement.

Thème constant de Labori, discourant après l’audience dans son jardin, « parlant aux oiseaux », passant, selon son succès ou son insuccès du jour, de l’extrême confiance à l’extrême abattement : Comment Galliffet n’a-t-il pas pris encore des mesures contre Mercier, frappé Cuignet et Roget ? « Il faut que le gouvernement tire de chaque séance les conclusions qu’elle comporte[45]. » — De même Clemenceau, à Paris : « Comment le gouvernement peut-il permettre que Mercier, couvert de crimes, suivi de toute sa bande, dise, du haut de ses plumes d’autruche, au simple colonel qui préside le conseil de guerre : « Entre ce juif et votre général, choisissez », ou qu’il déclare « lui, ancien ministre de la Guerre, que l’Empereur d’Allemagne est à la tête de l’espionnage international ?… Il cherchait ainsi, manifestement, à nous jeter dans des complications extérieures. Quel plus grand crime contre la patrie ?… Évidemment, ce n’est pas la faute du gouvernement si les criminels aux abois tentent de susciter des conflits internationaux grâce auxquels ils voudraient se faire oublier. Mais c’est sa faute s’il le tolère… Quand le châtiment des crimes publics est différé de jour en jour jusqu’à rassurer pleinement toutes les scélératesses, quand l’opinion s’établit qu’on peut tout se permettre et que le gouvernement reculera toujours, pourquoi attendre de sept officiers pris au hasard l’héroïsme, dont on ne leur donne pas l’exemple, de respecter simplement la loi[46] ? » — D’autres demandaient seulement que Chamoin fût remplacé, « pour avoir essayé d’introduire une pièce fausse dans le dossier », et que Jouaust et Carrière fussent invités à ne pas tolérer les perpétuelles interventions des généraux, principalement de Mercier et de Roget, leur prétention de mener l’audience, alors que les témoins à décharge étaient régulièrement invités à abréger ou à se taire. Un jour que Picquart demandait la parole pour une simple observation personnelle : « Encore ! » s’était écrié Jouaust[47]. Si quelqu’un s’avisait de faire allusion aux débats de la Cour de cassation, il l’interrompait brusquement : « Nous n’avons pas à nous occuper du rapport de M. Ballot-Beaupré, ni de ce qu’a pu dire un magistrat dans une autre enceinte[48]. » Carrière était le plus souvent silencieux, l’air d’un grand oiseau triste sur son perchoir, qui sursaute, de temps à autre, d’un mouvement saccadé. Mais s’il intervenait, c’était comme le commissaire de Mercier.

Quand des « dreyfusards », alarmés par les lettres qu’ils recevaient de Rennes, ou par la lecture des journaux, portaient ces objurgations et ces plaintes à Galliffet, il les rassurait ou les inquiétait davantage (selon la mentalité de ses visiteurs) par des hâbleries : « J’ai toujours eu de la chance, j’en aurai encore cette fois… Je connais les militaires ; il ne faut pas les prendre à rebrousse poil… Carrière est un grotesque ; ce qu’il dit dans un sens ou dans l’autre n’a pas d’importance… Pourquoi j’ai couvert Chamoin ? Parce que je sais par lui tout ce qui se passe au conseil. Laissez-moi faire[49] ! »

Bien que Waldeck-Rousseau reçut de lui les mêmes assurances, peut-être sincères, il restait sceptique, mais n’en refusait pas moins à faire intervenir le gouvernement, comme les amis de Dreyfus le lui demandaient. — Impossible, leur disait-il, d’oublier la promesse faite aux Chambres que les débats seront libres, comme le veut la loi et après tant de protestations contre les « par ordre ». — Impossible, en plein procès, de révoquer Carrière, ce qui serait un fait sans précédent, ou d’agir sur lui sans l’en menacer, c’est-à-dire s’exposer à un éclat de sa part, et, dans l’un ou l’autre cas, sans profit ; on n’y gagnerait pas une voix. — Impossible de conseiller autre chose à Jouaust que plus d’impartialité apparente et de bonne humeur. — S’il y a des faux témoins, au sens de la loi, c’est aux avocats, aux intéressés, à les dénoncer : que ne le font-ils ? — Le cas de Chamoin est certainement fâcheux, mais Galliffet ne consent pas à le remplacer, a menacé de s’en aller plutôt que de le frapper autrement que d’un blâme[50]. — La Chambre ayant réservé à statuer sur la mise en accusation de Mercier, impossible de poursuivre les comparses[51] : qui n’y verrait le dessein grossier d’affaiblir leurs témoignages ? — Clemenceau s’indigne que Mercier ait mis l’Empereur allemand en cause comme le chef des espions de son pays. Grand scandale, en effet ; seulement, l’offense publique envers les chefs d’État étrangers ne peut être poursuivie qu’à leur demande[52], et l’Empereur, qui, lui aussi, a ses agités, leur a imposé silence[53]. — Clemenceau signale encore, comme une autre matière à poursuites, « que les puissances étrangères ont appris, de la bouche même des officiers de l’État-Major, que certains papiers des ambassades avaient été dérobés et qu’une muraille avait été truquée pour permettre d’entendre certaines confidences[54] » Or, la muraille a été « truquée » par Picquart et toutes ces histoires de papiers volés sont connues de longue date. — Non, le gouvernement n’ignore pas « la réalité profonde du drame de Rennes », mais il veut respecter sa parole et la loi. Son opinion sur Dreyfus n’est-elle pas assez connue ? Pas de jour où Drumont, les gens de Mercier, ne l’appellent « le ministère Dreyfus ou le ministère Reinach », ne reprochent à Galliffet son amitié pour Reinach et pour Picquart. Le moyen de complaire au pouvoir, jamais tribunal militaire ou civil n’en a été mieux instruit. Au surplus, chaque fois que Demange ou Mathieu Dreyfus réclament un document ou un renseignement, il leur est donné aussitôt satisfaction.

Quand on sortait d’entendre ces explications de Waldeck-Rousseau, on se reprenait malgré soi, et malgré lui, à espérer, tant il semblait monstrueux que la vérité eût besoin d’avoir recours aux procédés ordinaires du mensonge. Puis on retombait dans l’atmosphère enfiévrée, où la colère, la douleur et la déclamation retrouvaient leurs droits.

Malgré des erreurs individuelles, dont plusieurs auront de graves conséquences, le groupe des partisans de Dreyfus à Rennes y vécut une vie morale très noble : les uns, angoissés surtout à la pensée du malheureux qui n’est revenu de son bagne, ne sort chaque matin de sa prison que pour de nouvelles douleurs ; les autres, dans l’inquiétude croissante des problèmes qui se dégagent du cas particulier. L’armée aura été moins atteinte, aux sources mêmes de la vie, il y a trente ans, par les défaites matérielles qu’elle a subies, qu’aujourd’hui par les défaites morales qu’elle s’inflige elle-même ! Quel avenir, révolution ou décadence, attend « une société où, malgré l’évidence accumulée, le fait qui n’est point va reprendre officiellement la place du fait qui est[55] » ? Les principes que Dreyfus a fait reparaître au premier plan de la conscience vont-ils de nouveau sombrer ?

L’ordinaire raillerie, dans l’autre camp, c’est que « les idées dreyfusiennes » sentent le protestantisme ; ces gens-là ne seront jamais « nationaux[56] ». Exactement, après quatre siècles, ce que les Guise et leurs Espagnols disaient de ceux de la religion prétendue réformée, de Coligny et de d’Aubigné, parce que la crise, en effet, étant surtout morale, a refait aux hommes, juifs ou catholiques, les mêmes consciences. Picquart, qui a tout perdu, Hartmann, traité en paria dans son régiment, n’ont pas arrêté l’élan de Freystætter. Pour avoir, le premier, dénoncé l’erreur judiciaire, Bernard Lazare a connu les mêmes haines sauvages que Zola ; quiconque a le respect de soi-même, s’il tient une plume, ne laissera pas tomber le rideau sans s’être inscrit sur la liste des « vendus » et des « sans-patrie ». Claretie, dans une lettre aux juges[57], va les supplier de déchirer le jugement du premier conseil de guerre comme, lui-même, il déchire sa page d’autrefois sur la dégradation[58] et, insulté, se sent léger d’un remords. Vienne une nouvelle défaite ; elle trouvera les vaincus plus nombreux qu’à la veille de la bataille.

Le neveu de Taine, son véritable héritier, Chevrillon, qui passa quelques jours à Rennes, y fut frappé surtout de ce spectacle : « Des hommes qui s’aperçoivent semblables parce qu’en eux toute pensée a disparu sauf une pensée semblable… » « Aussitôt qu’on devinait la même idée chez son voisin, on allait à lui, les mains se tendaient, spontanées, confiantes. Que d’amitiés se sont révélées toutes faites dans ces longs faubourgs silencieux ! » Tous se croyaient, se sentaient vaguement les précurseurs d’un monde nouveau.

XVI

Le drame de Rennes domine l’opinion, mais n’est pas seul à l’occuper.

Nous avons laissé Guérin se barricadant dans son fort Chabrol, après que l’agent chargé de l’arrêter eut commis la faute de ne point le prendre au gîte connu de sa maîtresse. C’était si peu explicable (comme la plupart des maladresses) qu’on soupçonna Waldeck-Rousseau d’avoir cherché une diversion et Guérin d’être à la police[59].

Guérin (j’en ai eu la certitude) n’était qu’à son duc, mais deux ou trois de ses camarades étaient à la solde de Puybaraud et son frère Louis avait des amis à la Préfecture[60]. — Dès que deux antijuifs (ou deux anarchistes) avaient quelque différend, ils s’accusaient de manger au râtelier de la Préfecture ou de la Sûreté ; l’injure ne tombait pas toujours à faux. Ce monde d’agitateurs se recrutant aux bas-fonds, l’employeur seul y reconnaîtra les siens. Chaque service ayant ses hommes, mais dont il tient les noms secrets, le service d’à côté peut s’y tromper. On a raconté d’un des conspirateurs qu’au moment où les agents entrèrent chez lui, il avait sur sa table un rapport qu’il achevait pour l’autre police.

Waldeck-Rousseau crut d’abord que Guérin se contenterait d’une démonstration (pour amuser la galerie), mais qu’il hésiterait à se mettre en rébellion, et lui donna trois jours. Le prétendu policier les employa à achever son armement[61], se ravitailler de vivres, établir des communications avec des immeubles voisins et s’engager par des proclamations[62] et toutes sortes de discours aux journalistes qui affluaient chez lui. Il leur montra ses fusils (des carabines à dix coups), un dépôt de plusieurs milliers de cartouches[63], un lot de sabres et de matraques, ses fenêtres blindées, et les deux cellules dont l’une m’avait été réservée : « la cage à Reinach ». Sa bande se composait de quatorze hommes, trois représentants de commerce et onze rédacteurs et employés à l’Antijuif[64].

Quand donc, le 15 août au matin, le commissaire Hamard se présenta avec son mandat d’arrêt, Guérin, de la fenêtre, l’injuria, au grand amusement de la foule, cria qu’on ne les aurait, lui et les siens, que « morts ou libres, dussent-ils f..... le feu à la baraque[65] ». Son matériel comprenant une cloche, il fit sonner le tocsin.

Quelques députés nationalistes[66] s’offrirent pour le raisonner, furent autorisés à « pénétrer dans le fort », jouèrent aux médiateurs et se heurtèrent finalement à d’orageux refus tragi-comiques. Des grands mots et encore plus de gros mots. D’ailleurs, s’il avait une velléité de céder, ses hommes, disait-il, se révolteraient, le mettraient en pièces[67].

Waldeck Rousseau fut fort embarrassé. L’idée de faire tuer ne fût-ce qu’un soldat ou qu’un agent pour s’emparer de Guérin lui faisait horreur ; d’autre part, le blocus de ce burg d’opérette l’exposait au ridicule. Il s’y décida pourtant, malgré les reproches de la plupart des journaux républicains, et bien que Lépine et Galliffet s’offrissent pour diriger eux-mêmes l’opération. Tout le temps que la tragédie va continuer à Rennes, Paris, déchu, aura sa farce.

De jour, le quartier était à peu près calme, malgré l’affluence des badauds qui venaient regarder le « fort », le drapeau noir au-dessus de la porte principale, les volets clos, comme d’un mauvais lieu, et la poulie au bout de laquelle se balançait un singe empaillé avec cette pancarte : « Joseph Reinach traître ». Vers le soir, l’agitation croissait. Parfois, énervé, Guérin se faisait voir à une fenêtre ou sur son toit, injuriait les agents, leur jetait des briques ; une fois, il tira « dans leur direction » deux coups de revolver ; les camarades le prirent à bras le corps, le ramenèrent à l’intérieur[68]. Jusque fort avant dans la nuit, la foule débordait, une foule criarde qui fût aisément devenue mauvaise, — beaucoup de filles et de souteneurs en goguette, — et que les agents et les soldats avaient peine à contenir.

Le dimanche 20 août, cinquième jour du siège, les « libertaires » convoquèrent leurs amis à manifester place de la République « en faveur de la Vérité ![69] ». Il y eut là deux troupes en face, les anarchistes et les antisémites, se menaçant, poussant des cris également ignobles : « À bas la calotte ! » et « Mort aux juifs ! » La police les empêcha tout juste d’en venir aux mains, arrêta Sébastien Faure et plusieurs de ses compagnons, mais arriva trop tard à l’église Saint-Joseph, envahie par une bande de jeunes malandrins qui brisèrent les autels et les vitraux, fracturèrent les troncs, entassèrent les chaises et les bancs au milieu de la nef et en firent un feu. L’ordre à peine rétabli du côté des anarchistes, il fallut courir aux antijuifs et nationalistes qui se portaient en nombre vers le fort Chabrol[70]. La bataille de la rue, la plus furieuse depuis vingt ans, dura plusieurs heures. Assaillis à coups de pierre, les agents ripostèrent rudement[71]. Une centaine de blessés, émeutiers et agents[72], près de deux cents arrestations, furent le bilan de cette journée.

L’émeute ayant trouvé à qui parler, le blocus de Guérin continua dans un calme relatif. Tout le temps qu’il dura (quarante jours, jusqu’au 20 septembre), il y eut toujours beaucoup de monde aux abords de la rue de Chabrol, ouvriers et bourgeois, qui s’amusaient de ce spectacle gratuit, pas mal d’étrangers, en partie de plaisir pour assister à l’assaut de la fameuse maison. Mais Waldeck-Rousseau s’obstina à penser qu’elle ne valait pas les os d’un seul fantassin et Guérin à attendre la fin du procès de Rennes, espérant on ne sait quoi.

Drumont, bien qu’ils se détestaient, le célébra comme un preux des anciens temps, « vraiment français ».

Le secret de cette longue résistance, c’est probablement que Guérin se trouvait plus en sûreté dans son fort que dans la rue, mieux dans sa prison volontaire qu’à la Conciergerie[73] ; il y gagnait en une fois tout l’argent qu’il avait soutiré à son duc et à ses autres dupes, s’assurait des rentes pour l’avenir (en cas d’insuccès) et, en cas de succès, délivré par quelque coup de force victorieux, passait héros. Ses camarades s’ennuyaient, mangeaient mal ; les journaux les dépeignaient « réduits aux horreurs de la faim », grâce à « l’inhumanité du gouvernement », plus à plaindre que « les naufragés de la Méduse ». Le vieux cardinal Richard se donna le ridicule de solliciter Waldeck-Rousseau en faveur de ces affamés volontaires[74].

La troupe, si elle avait été commandée, eût marché contre cette bande. Galliffet en répondait, pourtant préférait la laisser dans ses casernes, disait de certains officiers de la place, « qu’ils se défilaient ».

Depuis que Galliffet avait montré par des actes, surtout par la disgrâce de Négrier, qu’il n’entendait point qu’on plaisantât avec la discipline, le corps d’officiers était rentré dans le silence. Mais le silence n’est pas tout l’ordre. L’aberration, d’esprit et de conscience restait la même, les colères (contenues) aussi vives.

La machine était si détraquée qu’il parut plus sage de ne pas avoir de grandes manœuvres, la première fois depuis quinze ans.

Puis, comme si ce n’était pas assez des crimes qui s’étalaient à Rennes, on apprit tout à coup un nouveau drame entre soldats, en plein Soudan[75], quelque chose de hideux et de fou, auprès de quoi les pires déclamations étaient pâles.

Il y avait environ un an que deux officiers, qui avaient déjà fait campagne en Afrique, le capitaine Voulet et le fils du général Chanoine, étaient repartis pour une mission « d’études » dans la région entre le Niger et le Tchad. Ils y commirent les plus épouvantables excès, surtout Chanoine, razziant tout sur leur passage, brûlant les villages, payant les réguliers avec des captifs des deux sexes, « faisant la traite », massacrant les noirs par centaines, éventrant, tuant à coups de lances et pendant les femmes mères, mutilant les cadavres[76], et cela en pleine paix, sans le moindre prétexte de résistance, pour le seul plaisir de tuer et de faire souffrir. Les charniers qu’ils laissaient derrière eux, les camps aux palissades « ornées de têtes coupées », empestaient l’air[77]. Un seul de leurs officiers[78] ne voulut pas aller plus avant, revint à la côte où la rumeur de tant d’horreurs l’avait précédé. Voulet le dénonça pour « indiscipline et incapacité ». Les autres officiers alléguèrent plus tard qu’ils avaient craint, s’ils partaient, d’être l’objet de rapports diffamatoires[79].

Le gouvernement (c’était encore Dupuy), dès qu’il fut informé, ordonna à l’un des plus vieux officiers du Soudan, le lieutenant-colonel Klobb, qui se trouvait à Kayes, de courir après ces massacreurs, d’ouvrir une enquête sur place et, « si l’accusation était reconnue exacte, de renvoyer Voulet et Chanoine prisonniers » au Sénégal où ils seraient jugés[80].

Klobb, au début de la mission, avait accompagné Voulet jusqu’à Say[81] ; Voulet le détestait, le soupçonnait d’avoir voulu se faire désigner à sa place.

L’infernale colonne, avec son troupeau de bétail humain, captifs et captives (qu’on vend au détail, chemin faisant), marchait lentement, 900 kilomètres en six mois. Klobb, avec le lieutenant Meynier et une trentaine de tirailleurs montés, l’eut vite rejointe, aux environs de Damangar[82]. Il fit prévenir Voulet de se rendre auprès de lui avec Chanoine (19 juillet). Les deux bandits se sentirent perdus, délibérèrent d’abord de faire tomber le colonel dans un guet-apens, aux environs du village voisin de Tessona, où toute la contrée était soulevée. Pendant que les indigènes massacreraient Klobb, la mission filerait vers l’Est.

À la réflexion, la colonne parut trop alourdie pour un mouvement rapide. Impossible d’échapper à la soumission ou au crime direct.

Voulet se porta au village de Dankori, envoya à Klobb sa réponse : qu’il ne se laisserait pas voler sa gloire, qu’il avait avec lui 600 fusils et que, si le colonel avançait, il le traiterait en ennemi[83]. Chanoine, avec le gros de la troupe, resta au camp. Les autres officiers (Joalland, Pallier) ne furent pas admis à la confidence.

Klobb crut que Voulet n’oserait jamais. Le matin du 14 juillet, Voulet rangea ses noirs en bataille, laissa approcher à cinquante mètres le vieil Alsacien qui venait à lui à cheval, levant la main en signe de paix et escorté de ses quelques hommes à qui il avait défendu de tirer, même en cas d’attaque, et qui avaient déployé le drapeau. Voulet, comme fou, lui hurla quelques injures, puis donna le signal. — D’un poste avancé du camp, le sergent Dumba entendit « quatre feux de salve suivis de feux à volonté[84] ». — Klobb tomba mort à la deuxième salve, le lieutenant Meynier s’abattit à côté de lui, grièvement blessé. L’escorte prit la fuite, mais revint peu après pour l’ensevelir[85].

Voilà ce qu’apprenaient les dépêches du Sénégal (20 août).

On ne sut que le mois suivant la fin du drame.

Quand Voulet rentra au galop au camp de Lamare, il cria à Chanoine et aux deux autres officiers, dès qu’il les vit : « Ne me touchez pas la main avant de m’avoir entendu. » Et il raconta son crime : « Maintenant, je suis hors la loi, je renie la France ; pour me prendre, il faudrait cinq mille hommes et vingt millions ; je ne crains rien. » Chanoine, blême, l’embrassa : « Je prends la brousse et je te suis. Merde pour la France[86] ! » Voulet ayant fait sonner aux sergents, les sous-officiers étaient accourus, écoutaient en silence. Il exposa longuement le plan concerté avec son complice : poursuivre la marche vers l’Est, fonder un royaume indépendant aux environs du Tchad, recommencer Samory. Ceux qui ne se sentiraient pas le courage de les suivre n’avaient qu’à s’en aller.

Les deux lieutenants et le sergent-major Lamy se présentèrent, un peu plus tard, à la tente de Voulet, lui dirent qu’ils ne resteraient pas « dans ces conditions ». Voulet ne chercha pas à les retenir, mais s’ils n’étaient pas rentrés à Say dans un mois, il les attaquerait.

Le médecin (Henric) s’était rendu au village de Nafouta où Meynier avait été transporté, Les contingents nègres, ne furent instruits que le surlendemain des résolutions de Voulet : « Il n’y a plus d’officiers ; Chanoine et moi, nous sommes sultans. Ceux qui n’obéiront pas seront fusillés ; ceux qui resteront avec nous seront riches pour toujours. »

Ces noirs du Soudan aiment les aventures, la chasse, la guerre, le meurtre, les femmes, iraient au bout du monde en se battant, mais à condition qu’ils soient assurés de rentrer un jour chez eux, au village natal, à la rivière et aux palmiers de leur enfance.

Dès qu’ils surent la décision des « Sultans » de faire un établissement définitif quelque part d’où l’on ne retournerait pas, la leur fut prise : partir. Pendant que Chanoine et Voulet font la sieste, ils quittent le village, s’installent sur les hauteurs qui le dominent et, à un signal, tirent en l’air des coups de fusil qui réveillent les dormeurs.

Chanoine, d’un bond, fut sur eux, hurlant des menaces et le pistolet au poing. Depuis six mois qu’il les grisait de meurtres et de viols, il ne les avait pas moins maltraités ; à la moindre faute ou pour un caprice, il faisait battre à mort, mutiler ou pendre. Tous ces misérables l’avaient en exécration. À son cri : « Bas les armes ! » ils répondent par une décharge. Il tombe, mais vivant encore. Ses propres spahis le supplicièrent atrocement, à coups de sabre et de fouet, comme il avait lui-même coutume de faire et avec tous les raffinements qu’il leur avait appris.

Pendant ce temps, Voulet s’était enfui dans la brousse avec la concubine favorite de Chanoine. Il y erra toute la nuit, désespéré, torturé par la faim. Vers le matin, il revint au camp, essaya de parlementer avec un factionnaire sénégalais qui le fusilla à bout portant.

Les sous-officiers blancs, que Voulet avait retenus, ramenèrent alors la colonne à Nafouta où ils trouvèrent Meynier, qui se remettait de sa blessure, et les deux lieutenants de la mission qui l’avaient décidé à reprendre avec eux l’entreprise interrompue. Ils promirent aux noirs le pillage du pays de Zinder et tinrent parole[87].

Évidemment, crime seulement de deux hommes, et du soleil africain. Mais c’est aussi une loi des choses que l’héroïsme d’un seul grandit une armée et une nation.

XVII

À Rennes, les dépositions continuaient.

D’abord, les experts, pendant plusieurs audiences, professionnels et « chartistes », qui maintinrent leurs conclusions antérieures[88], à l’exception de Charavay ; il était mourant, confirma avec d’autant plus de force sa tardive rétractation[89] : « Ayant trouvé un nouvel élément d’écriture, j’ai reconnu que j’ai été abusé, en 1894, par une ressemblance graphique et c’est pour moi un très grand soulagement de conscience de pouvoir le déclarer devant vous et, surtout, devant celui qui a été victime de cette erreur. » (Sa voix, tout son vieux corps tremblaient, mais, maintenant, il s’endormira, s’en ira sans remords.) D’ailleurs, nulle question moins compliquée : « Il suffit de comparer les deux écritures à celle du bordereau, la chose saute aux yeux ; il suffit du simple bon sens[90]. »

Mais précisément, c’est au bon sens, aux explications simples, à la vision claire des choses, que ces cerveaux et ces prunelles militaires sont devenus réfractaires. Ces yeux sont atteints de daltonisme ; quand ces esprits faussés ont à choisir entre deux explications d’un fait, c’est l’absurde, c’est l’invraisemblable qu’ils choisissent.

Si Esterhazy a modifié son écriture depuis qu’il a été dénoncé comme l’auteur du bordereau, c’est apparemment « pour s’en éloigner[91] » ; Molinier signale que, notamment, « l’écriture, anguleuse et fine, s’est arrondie et corsée » ; l’intérêt d’Esterhazy à l’altérer, à la différencier de celle du bordereau, un enfant le comprendrait. — Pas du tout, interrompt Mercier, si Esterhazy a changé son écriture, c’est « pour la rapprocher » de celle du bordereau ; il l’en a rapprochée « beaucoup », « même avant 1897[92] » ; car, depuis longtemps, il était l’homme des juifs, choisi pour être substitué à leur traître, non seulement à cause de ses tares, mais à cause de cette ressemblance providentielle d’écriture ; donc, payé par eux pour perfectionner cette analogie[93]. — Et tous les officiers d’approuver. Les fureurs d’Esterhazy, ses frayeurs, l’État et le peuple ameutés contre les juifs, son acquittement obtenu à coups de chantages et de fraudes, les fausses dépêches concertées avec Henry, les violences contre Picquart, tout cela ne fut qu’une comédie.

Quand des hommes, des soldats en sont là, — surtout si ce sont des polytechniciens, des mathématiciens le plus souvent inachevés, qui, à cause d’un peu de science inintelligible aux profanes, se croient des êtres supérieurs, et qui raisonnent des réalités comme sur les imaginaires, — l’étonnant serait qu’ils se permissent de rire de Bertillon, alors que les juges de 1894, cavaliers et fantassins, se flattent de l’avoir compris[94] et que les grands chefs sont unanimes à l’admirer.

Dreyfus lui-même aurait dit un jour du système de Bertillon que « c’était ingénieux » ; seulement, « le point de départ de la démonstration est faux[95] ».

La vérité, c’est que tout ce qui n’y est pas imbécile est faux, les photographies retouchées, les mensurations de lettres, les superpositions de mots, le calcul des probabilités (pour justifier que les prétendues coïncidences ne sont pas le fait du hasard), ainsi que cela fut aussitôt démontré par le dessinateur Paraf-Javal, l’ingénieur des mines Bernard et deux membres de l’Institut, le général Sebert et « le plus illustre des mathématiciens contemporains », Henri Poincaré, qui s’humilièrent, humilièrent la science à discuter sérieusement ces basses tricheries[96].

L’homme, dans le commerce ordinaire, étant probe, désintéressé, on cherche le mobile d’un si horrible acharnement : aucun autre qu’un monstrueux amour-propre d’inventeur. Coûte que coûte, il faut qu’il ait raison du juif, des journalistes qui l’ont livré à la risée publique. Il n’y a donc pas seulement de la folie chez lui, comme on pourrait croire à son œil hagard, ses gestes de maniaque ou de pantin enragé, sa voix rauque, telle qu’on en entend sortir des cabanons ; il est, comme Quesnay, de ces demi-fous chez qui ce qui reste de lucidité a tourné à la méchanceté et qui, possédés d’une seule idée, démente ou scélérate, incapables d’un raisonnement vulgaire, ont gardé une incroyable faculté d’astuce, de fourberie et de ruse. C’est à la fois un énergumène, bon à enfermer dans un asile, et un faussaire, marqué pour la prison ou le bagne, le jour où le faux scientifique serait assimilé au faux en écriture publique ou privée. Toute son argumentation consiste à expliquer une absurdité par une pire absurdité ou par un mensonge. Si Dreyfus a machiné cette fantastique écriture sur gabarit, c’est apparemment pour en tirer argument en cas de danger : pourquoi n’en a-t-il rien fait ? « Parce que, dit Bertillon, la précision de mes révélations l’a surpris et a montré au conseil mieux que tous les raisonnements que je confinais à la vérité[97]. » — Si l’écriture sur gabarit est un secret de chancellerie, pourquoi Dreyfus l’a-t-il employée, çà et là, dans des pièces de service, notamment dans une note à Galliffet, qu’il a écrite à l’État-Major, à son bureau devant les camarades ? Précisément, pour écarter l’hypothèse d’une écriture forgée[98]. — « Cet ensemble de superpositions géométriquement masquées par des intervalles de même valeur de 1 mm. 25, qui serait l’écriture artificielle de Dreyfus, comment est-ce aussi l’écriture naturelle d’Esterhazy[99] ? » Un juge pose la question : Demange voudrait savoir si Bertillon a soumis l’écriture d’Esterhazy à la même expérience que celle de Dreyfus. Bertillon répond « qu’il n’a cure de l’écriture d’Esterhazy[100] » ; au surplus, « l’analogie entre les deux écritures peut être une simple coïncidence due au hasard » ; enfin, si Esterhazy n’a pas reçu de l’argent des Dreyfus, ce qui paraît le plus probable, pour s’assimiler le graphisme conventionnel du traître, il se peut aussi que tous deux aient été simultanément au service de Schwarzkoppen « qui leur aurait communiqué son procédé ». — Écrite également sur gabarit la lettre de Mathieu Dreyfus qui a été prise dans le buvard de son frère. — Bertillon, ayant tracé sur une feuille de papier ordinaire « une chaîne imbriquée », reproduit (à peu près), sur une feuille de papier calque, l’écriture du bordereau. Quel faussaire, quel dessinateur, tant soit peu habile, ne réussirait pas, sans gabarit, à reproduire n’importe quelle écriture longuement étudiée ? Ni Guénée père et fils, ni Lemercier-Picard n’ont fait usage du gabarit, ni Bertillon lui-même quand il a « refabriqué » le faux Weyler avec une si merveilleuse exactitude qu’Henry lui-même s’y serait trompé[101].

Demange questionna l’anthropométreur avec beaucoup de fine ironie, Labori lourdement, opposant « la faiblesse de sa propre intelligence » au « génie » du témoin ; mais ce qu’il fallait voir, c’était l’attention soutenue des juges à observer Bertillon, se démenant au tableau noir, avec des gestes d’exorciseur, ou récrivant le bordereau, « penché sur sa table comme un alchimiste du moyen-âge sur ses cornues[102] »,

Ils écoutèrent avec la même faveur le capitaine Valério qui avait perfectionné, à la demande de Mercier, le système de l’auto-forgerie, « preuve matérielle de la culpabilité de l’accusé ». Ainsi, par la découverte la plus subtile, la Science confirme les présomptions des chefs et des camarades du juif ; surtout elle ramène à la version du bordereau annoté, qui est le nœud de l’Affaire ; bien plus, elle en donne une preuve nouvelle, en permettant de démêler dans les aveux d’Esterhazy le vrai et le faux. Et voici le chef-d’œuvre de Valério : « Esterhazy a prétendu être l’auteur du bordereau. — Il peut dire : « Je l’ai obtenu de mon écriture naturelle. » Nous répondrons : « Ce n’est pas vrai, parce qu’il est démontré péremptoirement et géométriquement que le bordereau est un document forgé. » — Esterhazy a pu écrire sur la chaîne ? Alors il faudrait qu’il nous prouve, « non seulement » qu’il la possédait dès 1894, « mais encore, ce qui est impossible », qu’il aurait pu intercaler dans le bordereau les mots : « dernier, couverture, quelques renseignements », qu’on retrouve dans la lettre du buvard de Dreyfus. — Donc « il peut » seulement « avoir obtenu le bordereau par décalque ». Et, sans doute, « le décalque a pu altérer le graphisme de l’écriture, mais il n’a pu en altérer les propriétés géométriques, et les conclusions doivent rester les mêmes[103] ». C’est-à-dire que Dreyfus seul peut avoir écrit matériellement le bordereau, — sur papier fort, — et qu’il fait dire à son « homme de paille » que c’est lui, Esterhazy, qui l’a décalqué.

Encore une fois, les avocats laissèrent passer ces allusions à un deuxième bordereau, parce qu’ils n’y comprenaient rien, mais comme s’ils avaient eu peur de s’y brûler.

De même les « chartistes », Paul Meyer, Molinier, Giry, n’aperçurent pas la nouvelle fraude, s’attachèrent seulement à démontrer que Dreyfus n’avait pas décalqué Esterhazy, comme ç’avait été le premier système du misérable ; en conséquence, ils laissèrent l’avantage aux experts de l’accusation qui repoussaient également la confession d’Esterhazy et la protestation de Dreyfus.

Teyssonnières ne va pas jusqu’à Bertillon ; cependant, « il y a un certain déguisement » dans l’écriture du bordereau[104] ; Couard donnerait toujours « sa tête à couper que le bordereau n’a pas été écrit par Esterhazy » et « qu’il y a eu calque, au moins pour quelques mots[105] » ; Varinard n’écarte pas moins vivement les aveux suspects qui sont venus de Londres : « Il est absolument impossible à la personne qui a fait l’écriture ronde du bordereau de faire l’écriture anguleuse d’Esterhazy…[106] » ; Belhomme, enfin, à l’abri de sa réputation de sottise, dit impunément ce que les autres se bornent à insinuer : « Depuis qu’Esterhazy, trahi par sa cousine, dénoncé par son cousin, poursuivi avec acharnement, a été poussé hors de France et jeté dans les bras de ceux qui l’attendaient là-bas et qui le sollicitaient en lui promettant la forte somme, il n’est plus libre d’agir, il est le prisonnier de ces gens-là, et il ne fera que ce qu’ils voudront. Il ne viendra pas s’ils ne lui en donnent pas la permission. Sa situation précaire est connue. Tant qu’Esterhazy n’aura pas fait sous nos yeux le bordereau qu’il prétend avoir fait, je ne croirai pas qu’il en est l’auteur[107]. » Et encore : « Esterhazy se dit l’auteur du bordereau : de quel bordereau[108] ? »

Ces experts, à la différence de Bertillon et de Valério, connaissaient-ils le secret de Mercier ? Il y a lieu d’hésiter. Mercier, en tout cas, jugea le moment bon pour faire donner à nouveau sa presse, avertir ceux des officiers, qui s’y seraient trompés, du véritable sens de ces témoignages. Le jour même de la déposition de Belhomme, le Nouvelliste de Bordeaux[109], reproduit aussitôt par cinquante journaux, en donna la clef : « Le gouvernement est à la merci de Mercier : d’un mot, d’un geste, le général peut amener un conflit avec l’Allemagne. Il n’a qu’à sortir de sa poche la photographie qu’il a conservée du bordereau annoté de la main même de Guillaume. Il y a longtemps qu’on le répète ; aujourd’hui, tout le monde le sait. Le conseil de guerre le sait encore mieux que tout le monde ; ni Demange ni Labori ne l’ignorent. Il faut être lâche et canaille comme un dreyfusard pour avoir l’air d’en douter et pour exiger qu’on le dise publiquement, dans l’espoir, toutefois, qu’on n’osera pas le dire. »

Clemenceau lut l’article du journaliste girondin, le signala à Labori qui n’en fit rien[110].

XVIII

On entendit ensuite Freycinet, Lebrun-Renaud et les témoins de Quesnay.

Freycinet, « sur les 35 millions venus de l’étranger », équivoqua. Il ne savait par lui-même « rien de précis », avait répété seulement à Jamont, « au général en chef de nos armées en temps de guerre », les estimations, sans doute « arbitraires », de personnes compétentes, « ou se disant telles », et « sans se les approprier ». — Roget, interrogé par Labori, sur le Syndicat, avait répondu : « C’est une institution publique, tout le monde en parle[111]. » — D’ailleurs, cette somme représente « l’effort total depuis l’origine de l’Affaire dans le monde entier », mais la France exceptée, car « la campagne y a été très désintéressée », l’argent étranger « n’a joué aucun rôle dans le procès en revision », et il rend hommage à la haute probité de Scheurer.

Il sentit la grossière subtilité de ces propos (si c’était ceux qu’il avait tenus) ou de sa rectification, essaya de se dépêtrer par des phrases qui sonnaient faux, des compliments à tout le monde : « La confiance des soldats dans les chefs… Les passions généreuses de ceux qui les attaquent… Apprenons à nous estimer. Ces aveux partent d’un cœur qui n’a plus grand’chose à souhaiter pour lui ici-bas. »

Mais comme il tenait à être réélu sénateur et à redevenir ministre, quand Brogniart lui demanda « s’il avait une opinion personnelle sur l’accusation », il déclina de répondre, parce qu’il ne connaissait pas assez « le dossier et les faits ». — Le mot, le petit mot, qui, venant de lui, en raison même de ce que ses amis appelaient sa sagesse, eût été d’un si grand poids, il refusa de le dire[112].

Le plus intelligent des hommes sans caractère, il y avait longtemps qu’il avait renoncé à sa propre estime, l’avait sacrifiée à sa fortune.

La légende des aveux occupa une audience que Jouaust présida avec plus d’incohérence encore qu’à l’ordinaire, dur avec Lebrun-Renaud, plus dur encore avec Forzinetti (pour son récit de la captivité de Dreyfus), et plein d’égards pour les officiers, Anthoine, Guérin, de Mitry, qui ne savaient rien que par ouï-dire. Lebrun, lourd, épais, penaud, portant sa mauvaise action sur un front de brute alcoolisée, s’en tint à l’exacte limite du mensonge qu’il s’était précédemment fixée. Dès que Jouaust fit mine de le presser, le cœur lui manqua : « L’impression qui est restée pour vous a-t-elle été celle d’un aveu ? — Je n’ai aucune impression là-dessus. Je ne veux pas donner d’opinion. Je ne juge pas la chose. » Demange : « Comment conciliez-vous ces deux phrases : Je suis innocent, et j’ai livré des documents ? — Je n’ai pas à les concilier. Je répète la phrase et c’est fini. » Quand il dit « qu’il n’avait pas eu le temps de parler des aveux à Casimir-Perier », Beauvais lui-même laissa échapper que « c’était fâcheux[113] ».

Guérin, avant de venir à Rennes, étant allé voir Saussier, lui rappela leur conversation, du jour même de la parade, et ce que le vieux général lui avait dit : que les aveux concordaient mal avec l’obstiné cri d’innocence. Saussier le pria de ne point parler de lui, toujours ennuyé d’avoir connu Esterhazy et Weil. Guérin, comme tous ceux qui l’avaient approché, lui était resté très dévoué, pour rien au monde n’aurait voulu lui causer des désagréments.

Ce mot de Saussier eût illuminé l’audience.

Cependant le terrain était si mauvais que Gonse, Mercier lui-même, battirent en retraite. Mercier « n’a pas pensé » à faire fixer les aveux de Dreyfus, Gonse à les objecter à Picquart, — c’est-à-dire que la légende était encore dans le devenir, à peine ébauchée.

Seul, Roget tenta une offensive, mais oblique. Forzinetti ayant déposé que d’Attel, son ami de vieille date, avec qui il s’était entretenu souvent de Dreyfus, ne lui avait jamais parlé des aveux, Roget lui demanda s’il savait où d’Attel avait logé à Paris. Comme le commandant ne le savait pas ; Roget triompha, dit que d’Attel ne lui avait jamais parlé de Forzinetti. Par contre, Lebrun convint d’avoir dit à Forzinetti que Dreyfus n’avait pas avoué.

Dreyfus intervint à plusieurs reprises, confirma le récit de Forzinetti sur la hantise qui lui était venue, après sa condamnation, de se tuer. C’est sa femme qui lui a ordonné d’aller au supplice, « la tête haute », de vivre pour elle et ses enfants : « Si je suis ici, c’est à elle que je le dois, mon colonel ! » et il éclata en sanglots.

Mais, encore une fois, parlant avec toute son âme, il parla sans art. Un comédien, qui se trouvait parmi les spectateurs et des plus ardents pour Dreyfus, observa : « Si j’avais eu à dire ça, j’aurais fait pleurer toute la salle ! »

Aussi bien, il se préoccupait de moins en moins de parler aux imaginations, d’« avoir du succès », seulement de ne pas défaillir, d’entendre, de comprendre quelque chose à son « affaire ». Il y avait des jours où il ne percevait, au bout d’un quart d’heure, qu’un bruit de paroles, une espèce de vent, et, repris de ses fièvres, grelottait, malgré ses gilets superposés, dans l’étouffante atmosphère, claquait des dents. Il vivait de quelques litres de lait, avait encore maigri, paraissait « un squelette[114] ». Mathieu tremblait de voir s’évanouir ce souffle de vie : « Pourvu qu’il aille jusqu’au bout ! On le crucifie tous les jours[115] ! » Même les plus solides, les plus sceptiques, rien qu’à suivre depuis des semaines les interminables audiences, n’en pouvaient plus d’énervement et de fatigue. Cependant, ils avaient des heures de délassement, d’oubli, des flâneries à la promenade du Thabor, à la campagne, aux ruines de Combourg. Lui ne quittait les haines du prétoire que pour la solitude de sa cellule[116].

Avec les témoins de Quesnay, on toucha le fond du fond de la sottise. C’étaient l’avocat Mertian et le boyaudier Villon, dont on connaît déjà les racontars, le maquignon Germain (deux ou trois fois condamné pour escroquerie), qui avait vu Dreyfus suivre les manœuvres prussiennes à Mulhouse ; son ancien patron, non seulement lui donna le démenti, mais raconta que Sandherr avait assisté à des exercices de tir en Alsace et le lui avait dit à lui-même ; et un propriétaire normand, du Breuil, ancien magistrat, qui savait d’un mari trompé que Dreyfus fréquentait des étrangers et était « indigne de porter l’uniforme[117] ».

Entre temps, Drumont révéla des propos de Schwarzkoppen au comte de Chézelles : « Oui, Dreyfus, nous a livré des documents ! » et du général Bronsart de Schellendorf à un Anglais : « Dreyfus est un coquin et un espion. » Chézelles répliqua que Schwarzkoppen ne lui avait jamais parlé de Dreyfus et le général prussien qu’il n’avait rien dit de tel à personne[118].

XIX

Esterhazy étant toujours défaillant, Jouaust avait fait donner lecture de sa déposition devant la Chambre criminelle[119]. Gonse demanda aussitôt à s’expliquer sur les incidents de 1897, les raconta à sa manière, protesta surtout qu’Esterhazy n’avait jamais été l’homme ni de Sandherr ni de l’État-Major. Boisdeffre prit son plus grand air, regretta de n’avoir pas devant lui « le commandant » ; il eût voulu lui dire en face « son mépris ».

Ils avaient eu beau accréditer qu’il s’était vendu aux juifs, que ses aveux étaient aussi suspects que ceux de Dreyfus étaient certains : ils eussent apparemment parlé d’un autre ton si, tout à coup, la tête de Méduse se fût dressée devant eux.

Non seulement son absence leur donnait pleine licence de se dégager de lui, de démentir en bloc l’inextricable tissu de mensonges et de vérités qu’était son récit de ses aventures, et, en outre, de le dire l’homme des Dreyfus ; mais elle le faisait comme étranger aux débats, réalisait la vieille consigne de Gonse : « Séparer les deux affaires, l’affaire Dreyfus, l’affaire Esterhazy[120] » ; il n’y avait pas d’affaire Esterhazy. Le conseil de guerre prononcera sur Dreyfus comme si Esterhazy n’existait pas.

Entre tant d’absurdités du procès, ce n’était pas la moindre et, peut-être, ce fut la plus fatale. Il n’était pas au pouvoir de la défense de faire venir Esterhazy ; d’autant plus, elle eût dû tout ramener à Esterhazy, empêcher les généraux, par tous les moyens, de mettre à exécution leur plan : « Pour faire dire aux généraux que Dreyfus est coupable, il faut qu’ils pensent le moins possible à Esterhazy, qu’ils l’oublient, qu’il flotte loin de leur esprit comme de leurs yeux, en dehors du procès, comme une ombre pâle, qu’une savante distribution de lumière et d’ombre le rende comme invisible[121] ». Or, l’absence opérait aussi sur les deux avocats ; ils laissèrent Esterhazy tourner au mythe, au fantôme, quelque chose d’obscur et de lointain.

Pourtant, quelques témoins l’évoquèrent, moitié traître, moitié escroc : Grenier, Jules Roche, l’anglais Strong, l’agent Desvernine qui l’avait suivi chez Schwarzkoppen ; surtout Émile Picot, qui savait directement de l’attaché autrichien comment Esterhazy, cassé aux gages par l’attaché allemand, avait essayé de renouer, d’où le petit bleu dicté, puis déchiré ; et le lieutenant Bernheim qui lui avait prêté une réglette de tir qu’il n’avait jamais rendue[122]. — Seulement, dès que des accusations d’Esterhazy contre l’État-Major on passait aux preuves des témoins à charge contre Esterhazy, de menteur il redevenait sur l’heure calomnié, l’Esterhazy d’autrefois, non plus le stipendié, mais le martyr des juifs. — Si Esterhazy avait voulu avoir le Manuel de tir, il l’aurait eu du capitaine Lerond qui accompagna aux écoles à feu les officiers étrangers à l’artillerie. — Labori demande à Roget comment il concilie la visite d’Esterhazy à Schwarzkoppen et son rôle d’agent du Syndicat ; Roget : « Je n’ai pas à dire ce que j’en pense. » — Mercier fait venir du régiment de Bernheim une réglette pareille à celle qui aurait été prêtée à Esterhazy, explique « qu’il n’y a pas corrélation indispensable entre cette réglette et le Manuel de tir[123] ». — Et tout cela pris aussitôt avec un empressement extrême par les juges. Jouaust, qui a laissé Mercier mettre en cause l’Empereur allemand, bouscule Picot pour avoir nommé l’attaché autrichien, Bruyerre et le capitaine Carvallo pour avoir démenti Lerond sur le prétendu secret du matériel de 120[124] ; Brogniart et Beauvais malmènent Bernheim. Labori : « Il faut bien que le conseil sache quel est le rôle d’Esterhazy. » Jouaust : « Soyez bref ! »

De Londres, Esterhazy suivait les débats de Rennes avec beaucoup d’attention, tantôt s’amusant des imbéciles qui imputaient encore son crime à Dreyfus, tantôt s’échauffant contre les généraux qui le « lâchaient » ; il les avisait alors « qu’il avait toujours été un tireur de riposte[125] » et harcelait Roget de lettres où l’annonce qu’il allait sortir ses documents alternait avec de monotones injures.

Que voulait-il exactement ? Comme il écrit que le manque d’argent est la seule cause de son absence, il est à croire que son unique objet est de tirer un dernier subside (avant que le dénouement de la tragédie, quel qu’il soit, l’ait rendu définitivement inoffensif). D’autre part, il souhaitait avec violence la recondamnation de Dreyfus, le haïssait cent fois plus qu’il n’en était haï.

Il s’appliqua, finalement, à faire de son mieux le jeu de Mercier.

Roget, après avoir lu la première épître qu’il reçut de lui, s’était empressé de la faire tenir à Jouaust : « Il n’a jamais eu, dit-il, de relations avec le commandant, n’a pas envie d’en avoir[126] » et « ne veut pas se laisser compromettre[127] » ; et il remit pareillement les suivantes, « sans même les ouvrir », « dès qu’il les reconnaissait à l’écriture ».

Labori, ayant eu vent de ces lettres dont Roget convint sans le moindre embarras, les fit verser aux débats[128], mais n’en put rien tirer. Celles qu’il fit lire à l’audience tombèrent à plat[129] ; dans toutes, rien que des gros mots, des fureurs contradictoires qui s’annulaient : Bertillon est « un dément », mais Paraf-Javal qui l’a réfuté est un « idiot » ; les généraux, « Mercier excepté, le seul de vous qui soit crâne », sont des lâches, Boisdeffre un « insensé », Roget un « bourreau », « l’assassin d’Henry », et tous leurs journalistes, Rochefort, Sabatier, « des gueux », « des brutes », « une bande stupide de sales juifs » ; mais Dreyfus, lui aussi, est un « infâme » et « il voudrait fusiller les juifs jusqu’au dernier » ; enfin, tantôt « il veut éviter de frapper à la tête l’armée que les siens ont illustrée », tantôt, las de sa duperie de « chien fidèle », crevant de fièvre et de faim, « il va envoyer à Demange des documents qui ne feront pas rire l’État-Major[130] ».

Il est probable que ses lettres à Carrière, que celui-ci jeta au panier, « parce qu’il n’y avait rien dedans[131] », étaient du même ton et aussi dénuées d’intérêt.

Mais Esterhazy écrivit aussi à Mercier, — pour plus de sûreté sous le couvert de Saint-Germain[132] ; — Mercier se garda d’en aviser Jouaust, comme avait fait Roget ; et Jouaust, sur ces entrefaites, reçut d’Esterhazy une lettre où, cette fois, il n’y avait pas seulement des injures :

Quant à la culpabilité de Dreyfus, lui écrivait Esterhazy, elle ne ressort pas du bordereau ; elle ressort d’ailleurs, de ce que devait dire le général Mercier et de ce qu’il n’a pas dit ; elle ressort de ce qui éclaterait comme une fanfare de trompette si ce gouvernement ignoble n’avait fait de la vieille et grande France une chose sans nom, tremblant de peur à la pensée du canon de l’ennemi… Dreyfus est un misérable, mais vous êtes de bien lâches coquins[133].

Relisez la lettre d’Esterhazy à Félix Faure sur le document libérateur : « Cette pièce est un danger pour mon pays, parce que sa publication, avec le fac-similé de l’écriture, forcera la France à s’humilier et à faire la guerre[134]. »

Et c’est exactement le secret de Mercier.

XX

« Le conseil de guerre n’ayant rien voulu savoir de l’enquête de la Cour de cassation, ni du programme judiciaire où l’enferme la loi, il en résulte que toutes les anciennes démonstrations sont à refaire. »… Seulement, depuis dix-sept séances, « il n’a pas encore été dit un mot de l’unique question posée devant le conseil : Connaîtriez-vous quelque fait qui vous permît de penser que Dreyfus, ici présent, ait pu livrer à une puissance étrangère les pièces mentionnées dans le bordereau d’Esterhazy[135] ? »

Ainsi parlait maintenant Clemenceau, après avoir aidé, lui aussi, à démolir les instructions de Galliffet à Carrière ; mais il se rendait compte de la faute commise à ses conséquences.

Obliger le conseil de guerre à revenir au cas étroit de Dreyfus, qui n’était point, comme Waldeck-Rousseau n’avait cessé de le dire, l’affaire Dreyfus, l’opération, qui n’aurait été aisée à aucun moment, était plus difficile de beaucoup qu’il y a un mois. Il y avait pourtant un moyen d’endiguer le flot, à savoir, comme c’était la constante prière de Mathieu Dreyfus et la mienne depuis le premier jour du procès, d’obtenir de l’Allemagne les notes du bordereau. Demange, puis Labori, adressèrent à Waldeck-Rousseau la même requête : « Sinon, disait Labori, tout est perdu, irrévocablement perdu[136]. »

C’eût été si certainement le salut que les journaux de Mercier, se méfiant du coup, s’essayaient déjà à le parer, et s’en prenaient à Zurlinden pour avoir dit des notes du bordereau « qu’elles étaient la clef du procès[137] », (sur quoi Dreyfus, comme on s’en souvient, avait demandé aussitôt qu’on les réclamât). Les Allemands seraient gens à communiquer des pièces apocryphes, ou qu’ils auraient fait écrire plus récemment par Esterhazy. Au surplus, même si elles étaient démontrées authentiques et contemporaines du bordereau, Dreyfus n’en restait pas moins un traître[138]. Et ces vilenies étaient à deux tranchants : discréditer les notes par avance ; empêcher l’État-Major allemand de les livrer (pour éviter de nouveaux outrages à l’Empereur et un incident diplomatique).

Waldeck-Rousseau connaissait trop bien les gens de Mercier pour supposer qu’ils ne mettraient pas leurs menaces à exécution ; seulement, cette fois, il sera armé contre eux, puisque l’accusation de faux contre l’Empereur allemand se doublera d’une accusation d’usage de faux contre le gouvernement français et que, dès lors, il pourra saisir lui-même les tribunaux et prévenir de la sorte toute mise en demeure de l’étranger. Il hésita cependant et, précisément, pour la même raison qui faisait l’espérance de Mercier : la crainte d’un refus. Il faut avoir du pour et du contre dans l’esprit. Il en avait beaucoup, mais aussi la plus haute idée de ses devoirs. Il s’agissait à la fois de ne pas compromettre les bons rapports avec l’Allemagne, dans une affaire aussi délicate, et, sans presser sur les juges, rien qu’en leur fournissant les pièces dont Zurlinden lui-même regrettait l’absence, d’épargner à l’armée l’éclaboussure d’une nouvelle injustice.

Il se décida ainsi, après mûre réflexion, à sonder d’abord le gouvernement de Berlin et, pour qu’une réponse décourageante, si elle se produisait, eût le moins possible d’inconvénients, non seulement à ne pas employer Delcassé, mais encore à ne pas intervenir lui-même à titre officiel et à s’adresser d’homme à homme au conseiller de Below qui gérait l’ambassade en l’absence de Munster. Below, prévenu par un intermédiaire, se prêta de la meilleure grâce à cette procédure inusitée ; le jour même où il eut à son domicile particulier un entretien prolongé avec Waldeck-Rousseau, il télégraphia au comte de Bulow, qui était à la fois chancelier et ministre des Affaires étrangères, et qui en référa à l’Empereur[139].

La réponse, de Bulow à Below (du 21 août), fut négative :

Le gouvernement allemand a le désir sincère de rendre service au gouvernement français ; mais la façon dont les organes officiels français ont ignoré la déclaration faite par M. de Bulow, en sa qualité de représentant du gouvernement impérial devant le Parlement, « que jamais l’Allemagne n’avait eu affaire avec Dreyfus ni directement ni indirectement », exclut, d’après l’opinion et d’après la volonté exprimée par S. M. l’Empereur, la possibilité que le gouvernement impérial s’intéresse désormais, par des démarches quelconques, à cette affaire intérieure française.

Le refus, d’une dure franchise, semblait péremptoire. D’autre part, le seul argument invoqué était inexact, car « les organes officiels français » — ou ce qu’on pouvait entendre par cette formule — non seulement n’avaient pas ignoré la déclaration de Bulow, mais en avaient au contraire fait état à la Cour de cassation. Même à Rennes, au huis clos où Paléologue, au nom de Delcassé, avait rappelé la déclaration allemande, et à l’audience publique, où Demange en avait donné lecture, aucune objection ne s’était produite ; Roget seul avait essayé de dire qu’elle excluait aussi bien Esterhazy que Dreyfus, puis était convenu « qu’il y avait (au moins) une nuance[140] ». En conséquence, Waldeck-Rousseau observa au comte de Below que le chancelier faisait erreur, que le gouvernement français ne pouvait pas accepter un reproche immérité et que, pour sa part, toujours à titre personnel, il croyait devoir insister sur une question qui intéressait à un si haut degré la manifestation de la vérité.

Below télégraphia donc à nouveau, mais sans plus de succès, sauf que Bulow donna cette fois le fond de la pensée impériale : Le gouvernement allemand « reconnaît volontiers la correction du gouvernement actuel de la République française, toujours et partout » ; «  cependant la politique allemande ne doit pas seulement compter avec le gouvernement français tel qu’il existe », mais aussi « avec les forces nationales de la presse qui, par leur inimitié et leur effort de se faire valoir, troublent la paix de leur propre pays, et qu’on comprend sous le nom collectif d’opinion publique ». Or, la presse, à propos de « la question Dreyfus », « a discuté de telle façon l’Allemagne, et surtout la personne du souverain », qu’il en résulte pour le gouvernement impérial la conviction « qu’aucun fait ou qu’aucune personne introduits par lui dans les débats ne sauraient trouver une appréciation impartiale » ; il a donc « le devoir d’éviter autant que possible toute complication ultérieure » et « n’est pas en mesure d’examiner s’il pourrait fournir, en dehors de la déclaration faite au Parlement par le secrétaire d’État, d’autres éléments pour éclairer l’affaire Dreyfus ». — Telle est « la manière de voir de Sa Majesté qui suit avec attention les symptômes, souvent dignes d’être observés, de ce procès ». Pour le Secrétaire d’État, « il exprime, personnellement, son vif regret qu’il ne lui ait pas été donné de pouvoir rendre service à un gouvernement dont la lutte difficile pour la justice et la vérité lui inspire les sympathies les plus sincères » ; « il est persuadé toutefois que cette lutte ne peut être menée à bonne fin que par des forces exclusivement françaises ». (30 août.)

Quand Waldeck-Rousseau reçut communication de cette réponse, il en éprouva une grande tristesse, à la pensée de Dreyfus qui perdait sa meilleure chance, et aussi de tout le mal que la presse pourrait causer encore, et dans des circonstances encore plus graves. Si l’Empereur allemand faisait preuve de peu de générosité, il ne manquait, par contre, ni de prudence ni d’observation, et il n’y avait rien à lui objecter. Impossible de lui répondre que la France et l’armée sont encore trop malades pour dégager elles-mêmes la vérité.

Monis, sur les instances de Trarieux, se laissa aller à faire arrêter, en vertu de la loi sur l’espionnage, le journaliste Lissajoux, que Picquart désignait comme l’auteur du fameux article de l’Éclair, de septembre 1896, sur Dreyfus[141], et à faire perquisitionner chez le directeur et le secrétaire du journal[142]. L’inculpation était juridique, mais excessive, et l’instruction, tardive, molle, ne donna rien.

XXI

Il nous faut maintenant revenir en arrière et repasser dans l’autre camp. Il y avait longtemps qu’on y craignait que les fameuses notes sortiraient à la dernière heure, que les Allemands finiraient par parler. On n’y fut, à aucun moment, aussi sûr de la victoire qu’on feignit de l’être.

Depuis cinq ans, chaque fois qu’une inquiétude plus vive reprenait, aussitôt le faux témoin ou le faux papier surgissaient, le besoin créait l’organe. Ni Boisdeffre ni Gonse n’avaient commandé à Henry la lettre de Panizzardi avec le nom de Dreyfus ; mais ils l’attendaient.

Au point où en était l’Affaire, c’était certain qu’un nouveau faux se condensait quelque part, dans l’atmosphère de mensonges, éclaterait avant le dénouement.

Seulement, l’imposteur, cette fois, n’eut pas l’envergure d’Henry et l’épisode reste obscur, enchevêtré à d’autres qui ne le sont pas moins.

Il y avait à Paris, depuis 1895, un ancien officier autrichien, du nom de Cernuski[143], de famille bohémienne, qui se donnait comme descendant d’une dynastie serbe du dixième siècle (le kniaze Lazare et son fils Étienne Lazaréwitch), l’avait persuadé à quelques dupes et s’était fait épouser par la fille d’un fils naturel du comte Sérurier (le fils du maréchal), malgré l’opposition des parents de la demoiselle[144]. C’était proprement un escroc et qui suait l’aventurier par tous les pores ; au surplus, d’esprit détraqué, fils d’un père usé avant l’âge, qui finit dans la paralysie générale[145], et d’une mère qui était morte dans un asile d’aliénés[146] ; lui-même, avant de déserter, il avait été traité dans un hôpital de Prague pour troubles cérébraux[147]. Il vécut, tant qu’il y eut moyen, aux dépens de sa femme (pendant quelque temps à la campagne), puis retomba aux expédients, au jeu, en pleine crapule[148]. Il y aurait retrouvé (selon l’une des deux versions qu’on a de son histoire) un ancien camarade de collège, Stanislas Przyborowski, chevalier d’industrie, joueur et, depuis peu, espion[149].

Ce Polonais, ancien fonctionnaire au ministère des Chemins de fer autrichiens, avait été débauché, en 1898, par une fille Mathilde Baumler, bavaroise, espèce de Dalila de l’espionnage, c’est-à-dire que son emploi était d’entrer en commerce intime avec les officiers ou employés étrangers que le service des renseignements lui désignait comme de fidélité douteuse et qu’elle « rabattait », une fois engrenés, sur le bureau, par l’intermédiaire de Tomps, alors détaché à l’État-Major. C’est ainsi qu’elle avait « amené à la trahison » plusieurs des meilleurs agents du service, l’officier Fritz Wolff, qu’elle fut soupçonnée plus tard d’avoir revendu à l’Allemagne, et le lieutenant Helmuth Wessel, qui finit par l’épouser[150]. Quand elle s’adressait à des sous-officiers et simples soldats, non seulement elle ne tarifait pas ses faveurs, mais offrait de l’argent ; si ces amants de rencontre acceptaient, elle abordait les questions militaires. Tomps l’avait prise en amitié pour son « honnêteté professionnelle », pourtant douteuse, et la tutoyait. Elle était belle fille, intelligente, la corruption même. Quand son trafic « officiel » chômait, elle travaillait pour son propre compte ou faisait la proxénète. À l’époque du procès de Rennes, elle formait avec Wessel et Przyborowski une sorte de bande. Wessel avait quitté le service allemand, à la suite d’une sottise de Junck qui avait mis l’État-Major prussien en éveil[151], mais le bureau continuait à l’employer ; Przyborowski, très en faveur, avait des intelligences à Vienne, dans son ancien ministère ; un vieux contrôleur au bureau des plans de mobilisation, Auguste Mosetig, lui livrait des pièces importantes[152]. Depuis la disgrâce de Tomps, ils opéraient sous la direction du capitaine Mareschal[153], mais, déjà, se jalousaient et se tenaient les uns les autres pour capables de tout[154].

S’il n’est pas démontré que Cernuski ait connu Przyborowski, il n’y a, par contre, aucun doute sur ses relations avec Brücker, dès 1896, et, par lui, avec le service des renseignements. L’un de ses mensonges familiers consistait à raconter qu’il avait noué, de Prague, un complot pour une révolution à Belgrade, et qu’il était à la veille de réussir quand un des conjurés, Hofmann, le dénonça au gouvernement autrichien, ami et allié des Obrénovitch. Il n’avait échappé à la prison que par la fuite. Pour Hofmann, il habitait maintenant Paris et s’était fait espion. Cette histoire étant venue aux oreilles de Brücker, à qui Hofmann était signalé, d’autre part, « comme allant fréquemment à l’ambassade de son pays », l’ami de la Bastian se rendit chez le prétendu descendant des rois serbes[155] ; celui-ci lui dit aussitôt qu’il était sur la bonne piste et que son délateur, bien que « fort riche », était en effet à la solde de l’Allemagne, mais sans en donner « aucune preuve[156] ». Brücker en fit un rapport à Henry[157].

Hofmann, négociant très estimé, n’avait d’autre tort que de savoir, par le menu, les antécédents de Cernuski.

Les rapports de Brücker avec Cernuski se bornèrent-ils à cette seule conversation ? C’est ce que raconte Brücker. D’autre part, selon Przyborowski, « Cernuski avait été présenté à l’État-Major par un officier allemand, ancien propriétaire d’un tattersall à Munich », et « il se rencontrait habituellement dans un café du boulevard Saint-Germain, près du ministère de la Guerre, avec Mareschal[158] ».

Nécessairement, dès que l’Affaire avait éclaté, Cernuski s’était mis avec les « patriotes », ce qui était une façon de passer pour honorable ; aussi bien, en sa qualité d’ancien officier de la Triple Alliance, il possédait des preuves certaines du crime de Dreyfus. Sa femme, désireuse de lui voir jouer un rôle, ne fût-ce que pour faire pièce à son père qui avait fait mettre sa dot sous séquestre, et « française dans l’âme », le poussa, surtout aux environs du procès de Rennes, à offrir son témoignage[159]. Lui résistait, alléguant qu’il serait expulsé, « à cause de l’émotion » que produirait son secret une fois connu, et, déjà, il était sans le sou, « manquant même de pain par moments » et devant à tout le monde (trente francs au boulanger, cent dix au crémier, qui se refusaient à rien livrer, trois mois de gages à son unique domestique, qui commettait des escroqueries, pour nourrir ses maîtres, chez les fournisseurs) ; en juin, pour se cacher de ses créanciers, il déménagea d’un petit rez-de-chaussée qu’il occupait à Passy et prit logement dans un hôtel garni avec sa femme ; pour leurs enfants, il les avait laissés à la campagne, « dans un abandon complet[160] ». Cependant, il alla chez Quesnay, qu’il avait connu dans l’Orne et qui le prenait pour ce qu’il se donnait, un gentilhomme et un prince du Danube, et il lui raconta son roman, d’abord « avec quelque hésitation », dans « la crainte de compromettre l’officier prussien dont il avait reçu les confidences », puis, à une deuxième visite, « sans réserve, ses additions n’étant que le raccordement de ses réticences du premier jour[161] ». L’histoire était imbécile : à l’automne de 1894, peu de temps avant l’arrestation de Dreyfus, Cernuski avait vu, sur la table d’un officier allemand, de passage à Paris, un lot de papiers du ministère de la Guerre ; l’officier lui avait nommé son fournisseur qui n’était autre que « ce canaille de juif », et deux autres officiers de la même armée le lui avaient confirmé par la suite[162].

Quesnay trouva la révélation d’autant plus admirable qu’il était encore tout meurtri de son aventure avec Karl et que son visiteur, cette fois, lui donnait des preuves : « la photographie de l’officier prussien qui avait contribué à l’éclairer » et « le nom d’un officier supérieur français », à qui Cernuski s’était précédemment ouvert et qui l’avait précisément adressé à l’ancien magistrat, comme « à un convaincu et un indépendant[163] ». Il fit donc une place d’honneur dans son dossier au récit du prince serbe, lui promit de ne jamais dire le nom de l’officier français, ne lui demanda pas celui de l’officier prussien et l’assura de la reconnaissance des bons citoyens. Entre temps, il avait reçu la visite de Mme Cernuski, toujours très ardente, bien qu’effrayée à l’idée d’être expulsée[164], et celle de deux négociants qui avaient été honorés de la même confidence, mais qui étaient d’avis différent, l’un « vivement frappé », l’autre sceptique[165]. Enfin, après que Jouaust eût refusé, en juillet, de faire usage de son dossier[166], il décida Mme Cernuski à lui écrire pour le conjurer de faire appeler son mari à Rennes. (15 août.)

Les choses en étaient là, l’héritier des Lazaréwitch se débattant contre sa propre imposture, la petite-fille du maréchal Sérurier et l’ancien procureur général l’excitant à faire son devoir, quand Przyborowski rencontra le capitaine Mareschal qui rentrait de Suisse où il était allé avec le commandant Rollin[167].

On a su d’eux-mêmes, mais cinq ans plus tard[168], qu’ils avaient eu rendez-vous à Zurich, le 16 août, avec un autre espion (peut-être un contre-espion) allemand[169], qu’ils connaissaient seulement sous le pseudonyme d’« Austerlitz ». L’individu se donnait pour un homme du grand monde, s’était offert, l’année d’avant, du vivant d’Henry, par correspondance, était venu ensuite à deux entrevues avec Mareschal, à Bâle et à Berne[170], annonçait toujours des documents extraordinaires, n’en livrait que de médiocres, et, comme tous les agents qui exagèrent à la fois leurs prétentions et leurs risques, réclamait des sommes considérables. Dans les derniers temps, il promettait les états du XVIe corps allemand (Metz) et demandait jusqu’à 60.000 francs, tant pour cette fourniture qui eût été, en effet, importante, que pour payer ses dettes dont, à chacune de ses lettres, il accroissait le montant[171]. Le général Brault, chef de l’État-Major, convint avec Rollin qu’on pouvait aller à 25.000 francs[172] qui furent remis à Mareschal par le capitaine François et l’archiviste Dautriche[173]. Les deux sous-chefs de l’État-Major, le général de Lacroix et le général Delanne, et Galliffet lui-même ne surent rien de l’affaire[174].

Rollin et Mareschal avaient pris rendez-vous avec Austerlitz dans un jardin public de Zurich. Mareschal causa seul avec lui, puis vint dire à Rollin, qui faisait le guet, que les documents ne valaient pas plus de 8 à 10.000 francs[175], mais que l’homme déclarait ne pouvoir continuer « si on ne le sortait pas de ses embarras[176] ». Rollin décida de donner le tout, pourtant n’assista pas au payement[177]. Austerlitz écrivit, signa un reçu (au crayon) que Mareschal fit voir à son chef[178].

Toute la somme fut-elle versée ? Mareschal, par la suite, a varié dans ses réponses. D’abord : « La plus grosse somme que j’aie jamais emportée était de 10.000 francs[179] » ; puis, convaincu par sa propre signature (ses reçus à Dautriche et à François) d’avoir emporté 25.000 francs : « Comme je n’ai rien rapporté, c’est que j’ai donné les 25. 000 francs à Austerlitz[180]. » La déduction ne s’impose pas. Surtout, le reçu d’Austerlitz n’a jamais été au dossier ; l’archiviste Dautriche ne l’a jamais vu[181] ; et d’autres circonstances encore sont suspectes. Des payements de cette importance, tout à fait exceptionnels, ne s’oublient pas[182] ; celui-ci disparaît de la mémoire de ces officiers jusqu’à l’heure, comme on verra, où il deviendra pour eux un moyen de défense contre des accusations de vol et de corruption[183]. Puis, tout juste pour cette grosse opération, la comptabilité de Dautriche s’obscurcit : tantôt, il inscrit « après coup » le nom d’Austerlitz dans un interligne[184] ; tantôt, il l’écrit sur un grattage où l’expertise croit retrouver le nom de Rollin[185]. Enfin, de l’aveu même de Mareschal, après avoir payé Austerlitz le 16 et, le 17, donné 625 francs[186] à un autre agent et acheté un fusil à un troisième, son portefeuille n’était pas à sec ; il aurait donc emporté de Paris encore plus d’argent, quand ses propres reçus le démentent[187]. Où l’argent, ainsi détourné — environ 15.000 francs, — aurait-il passé[188] ? Dans la poche de Mareschal ? Non, mais à Brücker, à la Bastian, pour les frais de son séjour forcé à Marly, à des journalistes « patriotes », éventuellement à d’autres opérations non moins inavouables[189] ?

Ces majorations de dépenses étaient un des legs d’Henry qui avait constitué ainsi sa caisse noire[190]. Et Henry était resté sacré pour Mareschal, qui l’avait fidèlement conduit au cimetière de Pogny[191], pour François[192]. Ils font une vérité du mot de Maurras : « Le colonel Henry fut aussi notre éducateur[193]. »

Quelle heure, depuis le drame du Mont-Valérien, fut plus lourde aux anciens amis d’Henry ? À l’exception de quelques généraux qui luttent à Rennes, les grands chefs pactisent avec les ennemis de l’armée, se taisent, pitoyables de timidité et de mollesse. Eux, les petits, les humbles, de la race de ceux qui se font toujours tuer, vont-ils laisser faire ?

Quoiqu’il en soit, les deux officiers, après avoir réglé leurs affaires, en Suisse, rentrèrent à Paris, Mareschal d’abord, puis Rollin[194], et ce fut alors qu’ils rencontrèrent (ou que Mareschal seul rencontra) Przyborowski.

Comme Mareschal ni Rollin ne se sont expliqués sur cette entrevue, on la connaît seulement par le récit que le Polonais en a fait quatre ans plus tard au juge Trottabas, délégué par la Cour de cassation pour recevoir sa déposition à Nice[195], et par celui qu’il en aurait fait au couple Wessel, peu après le procès de Rennes. Mais ces deux récits diffèrent.

Selon les Wessel[196], Rollin et Mareschal auraient entretenu d’abord Przyborowski de l’arrestation de Mosetig, son complice viennois. Ils venaient de l’apprendre et en étaient fort troublés. En dehors des officiers du service, il n’y avait, disaient-ils, que le Polonais et Tomps à connaître leur commerce avec lui, et ils ne soupçonnaient pas l’espion, mais le commissaire spécial, de l’avoir dénoncé par une lettre anonyme[197]. Tomps, on le sait, était leur bête noire. Aussi bien n’en était-il pas à sa première trahison ; il avait essayé précédemment de conduire Brücker en Alsace et de l’y faire arrêter, et c’était, en effet, la dernière invention de l’homme qui avait apporté le bordereau[198]. Les trois compères auraient machiné ensuite le faux témoignage de Cernuski. Précédemment Przyborowski aurait dit à Mathilde « qu’il y avait de l’argent à gagner avec l’État-Major en trouvant quelqu’un pour faire un faux témoignage à Rennes » ; son mari et elle s’y seraient refusés, « par peur de la prison » ; et leur associé se serait décidé à opérer sans eux. Il aurait procuré Cernuski « au parti de l’État-Major » au prix de 30.000 francs, dont 19.000 d’avance et 1.000 pour lui à titre de commission[199]. Il avait des lettres de Cernuski qu’il fit voir à Mathilde[200].

Au contraire, Przyborowski, dans sa déposition, ne nomme pas Rollin ; il a vu seulement Mareschal. Celui-ci, « très occupé », se serait borné à lui « donner de l’argent » et à l’engager à aller en Belgique et en Angleterre[201] ; et ils n’auraient point parlé, ce jour-là, de Cernuski, dont Przyborowski n’aurait appris l’existence que par le procès de Rennes, mais seulement de Mosetig ; Mareschal accusait « formellement » Tomps de l’avoir livré.

Il est difficile de retenir seulement ce qu’il y a de commun dans ces récits, bien que la conversation entre Mareschal et Przyborowski au sujet de Mosetig suffirait à éclairer un large coin d’ombre. S’il paraît certain que le mensonge d’un aventurier aux abois ne fut pas payé 30.000 francs et s’il résulte des enquêtes que la situation de Cernuski et de sa femme est restée fort misérable[202], il ne s’ensuit pas que les Wessel aient inventé après coup toute la seconde partie de leur version. Quesnay ou Brücker, à défaut de Przyborowski, ont pu indiquer Cernuski à Mareschal. Le faux Serbe, comme on le verra tout à l’heure, n’a pu tenir les noms dont il étayera son imposture que de Mareschal, de Brücker ou du Polonais. Les officiers du bureau, furieux que Galliffet leur ait fait défense de s’occuper de l’Affaire et s’efforçant par tous les moyens d’y rentrer, se sont-ils désintéressés du principal témoin de Quesnay ? Ils cherchèrent, selon toute vraisemblance, à le diriger. On ne lui fit pas son témoignage ; on le mit au point.

Si on lui donna quelque argent sur le reliquat de l’affaire Austerlitz, ce fut peu de chose. D’autres dépenses secrètes, dont j’ai parlé précédemment, étaient plus pressantes.

L’entrevue de Mareschal avec Przyborowski est au plus tard du 19 août, probablement du 18[203]. Le 20, Cernuski se décida enfin à couper les ponts derrière lui, à écrire lui-même, ce qu’il s’était refusé à faire jusqu’alors, à Jouaust. La lettre de sa femme, du 15 août (à la veille du voyage en Suisse), est, dit-il, incomplète », « un simple renseignement » ; maintenant, il offre résolument tout son témoignage : « Je joins à ma lettre une déposition complémentaire. »

Il n’avait parlé à Quesnay que d’un seul espion, un juif, dont un « camarade » allemand lui avait révélé la trahison ; à Jouaust, dans sa déposition complémentaire, il déclare qu’il connaît les noms « de quatre et même de six personnes aux gages de différentes nations étrangères » ; ces noms lui ont été confiés, en août 1894, par un diplomate qui lui voulait du bien, « parce que ces personnes auraient pu devenir dangereuses pour sa sécurité en lançant contre lui, à l’instigation d’une de ces puissances, des dénonciations calomnieuses » ; le récit du diplomate lui a été ensuite confirmé, en septembre de la même année, d’abord à Genève, puis à Paris, dans un hôtel meublé de la rue Lafayette, par un officier supérieur allemand, attaché à la personne de son souverain, qui voyageait sous des noms d’emprunt et se faisait passer pour un commerçant ; et « le premier, le plus important de ces espions, était Dreyfus ». L’officier, qui correspondait directement avec Dreyfus, lui a montré un lot de « documents militaires français de première importance » qu’il tenait de son agent, notamment « des cartes de mobilisation, des graphiques des chemins de fer de l’Est, avec des annotations remarquables sur les quais d’embarquement », et « des renseignements sur la réorganisation des différents corps de troupes ». « En France, dit l’officier, on peut tout avoir en y mettant le prix. » Puis, « deux jours après, il quittait précipitamment Paris ; son départ avait l’apparence d’une fuite ; et, à quelque temps de là, les journaux annonçaient l’arrestation de Dreyfus ». Aussi bien Cernuski « a déjà relaté tous ces faits, vers la fin de 1896, à un agent du ministère de la Guerre » (Brücker) ; ils en ont dressé procès-verbal et Jouaust n’a qu’à faire rechercher le document[204].

Jouaust n’attacha aucune importance à cette lettre ; il en recevait tous les jours d’aussi absurdes, les passait à Carrière. Il fit de même pour celle-ci et Carrière ne s’y arrêta pas davantage[205].

Pendant ce temps, Mareschal était rentré au ministère où il trouva tous les esprits qui chauffaient. Au lendemain des audiences où les généraux avaient révélé les sottises et les méfaits de l’espionnage, Galliffet avait résolu d’interrompre le service des renseignements, en attendant de le supprimer tout à fait[206] ; de plus, Rollin venait d’être mandé par Jouaust pour s’expliquer sur le cas de Lajoux[207]. Grand émoi où les négociations avec Austerlitz disparaissaient, n’étaient plus que le dernier incident d’un système enfin condamné. Dautriche inscrivit l’opération des 25.000 francs, mais sans y faire mention d’Austerlitz, l’antidata, le 21, du 16 août[208], et Delanne signa au registre, machinalement[209], comme fait un homme accablé d’affaires (en l’absence de Brault et de de Lacroix). Il ne savait rien, n’avait jamais voulu rien savoir de ces obscures histoires, apparemment écouta d’une oreille distraite François, chef intérimaire pendant le congé de Rollin, ne s’étonna pas de la façon dont la somme avait été faite : 20.000 francs prélevés à la réserve[210], quand il y avait plus de 400 francs au service courant. (21 août.) Le jour suivant, après avoir touché barre au bureau, Rollin déposa à Rennes. Lajoux avait écrit à Galliffet et à Loubet le récit de ses mésaventures, ses conversations avec Cuers, d’où la colère d’Henry et son premier exil en Amérique, puis son retour, sous Freycinet, et, aussitôt, la mission de François auprès de lui, à Gênes, le nouveau pacte de silence contre un nouveau subside et la promesse d’une mensualité, et son rembarquement pour le Brésil. Rollin, à voix basse, convint de ce honteux trafic, dont les preuves étaient au dossier, tout en protestant qu’il ne s’était jamais occupé de l’affaire Dreyfus[211].

Cette confession, tout ce qu’elle laissait soupçonner de vilenies ignorées, eût dû achever le service des rengeignements. Mais la bête avait la vie dure. François, dans un rapport à Galliffet, va plaider sa cause, obtenir un sursis à la « brutale » exécution[212]. Rollin, seul, paya pour tous, fut renvoyé dans un régiment[213].

En fait, Galliffet vivait sur son passé, n’avait plus que des accès d’homme d’action. Aussi bien y avait-il toujours eu en lui du Matamore, même en son meilleur temps ou aux époques les plus terribles de sa vie.

Cependant Cernuski, toujours sans nouvelles de Jouaust, était retombé dans ses hésitations, et, bien que sa femme le poussât à se rendre tout de même à Rennes et à y forcer les portes du prétoire, il s’y refusait, alléguant ses embarras d’argent, la volonté manifeste des juges de ne pas l’entendre et le silence de Mercier lui-même, à qui il avait écrit et qui ne lui avait pas répondu. Puis, brusquement, le 2 septembre, il changea d’avis, alla trouver les deux négociants, Montéran et Deglas, qu’il avait pris des premiers pour confidents, leur dit qu’il s’était résolu à aller jusqu’au bout et leur demanda de l’accompagner le soir même à Rennes, ce qu’ils acceptèrent. Ils attribuèrent l’un et l’autre ce revirement à l’influence de Mme Cernuski[214]. Selon Quesnay, Montéran aurait pris à sa charge les frais du voyage[215], mais Montéran n’en dit rien. Enfin, Quesnay, averti, se mit aussitôt en campagne ; il résuma dans l’un de ses articles les plus fous ce qu’il savait de Cernuski, mais sans le nommer encore, accusa le gouvernement et Jouaust de vouloir « enterrer » les redoutables révélations de l’ancien officier et jura, sur son honneur de magistrat, que c’était « la preuve[216] ».

  1. Barrès, 164 : « Avec la componction d’un maître d’hôtel qui passe le turbot, il présente des observations à Zurlinden et à Chanoine, qui ne voient pas le piège sous le persil, et quand il leur à mis dans l’assiette une horreur, de quel air bonhomme il le signale aux juges ! » — Chevrillon : « Massif, benoît, cordial, tempéré, prudent, discret dans ses questions, les lèvres pleines d’un sourire bienveillant à tous les partis comme à toutes les thèses, il oblige les juges et les généraux de l’aimer. »
  2. Presque tous les témoins, notamment Billot et Mercier, vinrent lui serrer la main. Jouaust lui adressa des compliments auxquels il répondit par un petit discours ému qui fut chaleureusement applaudi.
  3. Barrès, 179 : « Cet avocat, qui compromettrait même l’innocence, n’est pas une intelligence ; c’est un tempérament. Un homme de cette sorte, s’il a de l’entraînement, pourra simuler la plupart des sentiments sans y mettre rien de sincère. » Chevrillon : « C’est un Lohengrin, un fabuleux chevalier qui, à la vue du danger, oublieux de soi, avide de bataille, fonce en avant et n’est plus qu’attaque impétueuse. »
  4. Rennes, II, 196, Labori : « Je dois vous demander, monsieur le Président, de revenir sur l’ensemble de la déposition de M. le général Mercier. »
  5. Ibid., II, 213, Mercier : « Je proteste contre le mot interrogatoire ; je ne suis pas un accusé. » 402 : « Ce n’est pas sur les réquisitions de Me Labori que je viens témoigner. »
  6. Ibid., 170, 171, Gonse ; 230, 256, Roget.
  7. Rennes, II, 198, 202, 213, etc. Mercier,
  8. Voir t. Ier, 363.
  9. Rennes, II, 105, Maurel.
  10. Ibid., 400, Maurel ; 401, Freystætter.
  11. À l’audience précédente, 25 août 1899. — Rennes, II, 222, Labori : « C’est le général qui a fait faire le pli ? — Mercier : Non, je ne sais pas qui l’a fait, je ne puis donner de détails précis. »
  12. Rennes, I, 194 et 195, Maurel. — Voici en quels termes la déposition de Maurel est racontée dans la Libre Parole (édition du soir) du 24 août 1899 : « Le colonel Maurel, Dreyfus légalement condamné. Le colonel Maurel vient à la barre, il dépose et, d’un seul mot, il détruit une légende, celle qui avait attiré à Dreyfus l’appui de quelques partisans de bonne foi. Oui, un pli lui a été porté en 1894, par le commandant Du Paty de Clam, sur l’ordre du ministre, pour être ouvert en chambre du conseil. Mais ce pli n’a pas été ouvert, il n’en a pas donné connaissance aux juges. Sa conviction et celle de ses camarades étaient complètement établies par les débats… Qu’importe que, pour tâcher de faire disparaître l’impression écrasante dû ce témoignage, Labori ait voulu faire un incident avec le général Mercier. Le témoignage n’en reste pas moins entier, avec toute son importance : Dreyfus a été légalement jugé en 1894. »
  13. Rennes., I, 399, Freystætter.
  14. 26 août 1899. — Mercier essaya de prendre Freystætter à revers : « Le témoin a parlé des documents livrés par Dreyfus pendant qu’il était à l’École de pyrotechnie ; à quels documents a-t-il voulu faire allusion ? » Freystætter : « Je sais que cela concerne un obus. » Mercier : « Eh bien, le capitaine Freystætter est pris en flagrant délit de mensonge. » Jouaust : « Permettez… » Mercier : « L’obus Robin, auquel il est fait allusion, n’a été adopté par l’Allemagne qu’en 1895 et nous n’avons été prévenus qu’il y avait trahison qu’en 1896. » Freystætter rectifie : il n’a pas parlé de l’obus Robin ; il a dit seulement « que cela concernait un obus ». « Était-ce, demande Jouaust, le chargement de l’obus à la mélinite ? » Freystætter : « Je ne puis l’affirmer, mon colonel ; je n’affirme ici que ce dont je suis absolument sûr. » Mercier allégua alors « qu’il n’avait pu être fait état en 1894 du chargement des obus à la mélinite puisqu’à ce moment là on avait demandé à la direction de l’artillerie ce qui s’était passé pour l’obus en question, (que la direction n’avait pu retrouver le dossier, et que c’était seulement en 1897 ou en 1898 que le dossier avait été retrouvé. » Or, on, c’était Henry, comme Mercier et Gonse en étaient convenus précédemment. (11, 210.) — Voir t. Ier, 362.
  15. Rennes, II, 223, Labori : « N’avez-vous pas détenu une note de trois pages rédigée je ne sais par qui, écrite je ne sais par qui… »
  16. Les docteurs Ménard et Poupet : « Congestion hépatique accompagnée d’une légère teinte ictérique avec crises douloureuses, vomissements et diarrhées ; troubles cardiaques se traduisant par de la lenteur du pouls, 50 à 64, et à des intermittences. » (Certificat du 25 août 1899.
  17. 29 et 31 août, 1er septembre. — La déposition de Du Paty fut lue par le greffier à l’audience du 6. (Rennes, III, 503 à 514.)
  18. Il ne dit pas qu’il en avait conservé un brouillon. Précédemment, à l’enquête de la Cour de cassation, il avait déclare : « Les pièces énumérées par le colonel Picquart faisaient partie de celles qui m’ont passé sous les yeux ; je ne m’en souviens pas assez pour pouvoir les énumérer moi-même. » (I, 442.) À l’enquête de 1904, il se décida à verser à la procédure le brouillon de sa « concordance ».
  19. Rennes, II, 295, Beauvais.
  20. Ibid., III, 94, Brogniart : « Pensez-vous qu’il ait connu l’accusé ? » Le lieutenant-colonel Guérin répond qu’il n’en sait rien. « J’affirme, intervient Dreyfus, que je n’ai jamais connu la personne dont on vient de citer le nom. » — Roget nomma Weil (I, 292). Billot dit seulement : « Cherchez dans telle et telle direction s’il n’y aurait pas un lien. » (III, 489.)
  21. Rennes, II, 70, Gendron : « Il avait construit, ce grand patriote… etc. » (Émotion générale.)
  22. Ibid., 496 à 555, Cordier, et confrontation avec Roget, Lauth, etc.
  23. Ibid., 257, Fleur.
  24. Ibid., 520 et 522, Cordier.
  25. Instr. Boucard, dép. de Lauth, Gribelin, Junck, Rollin, etc.
  26. Cass., I, 639, Roget : « Il existe au ministère de la Guerre une lettre qui paraît être incontestablement du colonel Cordier… etc. »
  27. La déposition de Roget est du 3 février 1899. Dès le 14 janvier, Drumont, toujours informé par avance, faisait paraître cette note : « Le colonel Cordier osera-t-il nier avoir écrit à Mathieu Dreyfus pour lui offrir ses services ? » — : À l’enquête du juge Boucard, l’écriture, de Lemercier-Picard fut formellement reconnue par le directeur du séminaire israélite de la rue Vauquelin, « dont il était parlé à deux reprises dans la lettre incriminée » ; il se souvenait d’avoir donné lui-même à l’agent d’Henry « l’adresse telle qu’elle était libellée sur l’enveloppe ». (Ordonnance du 22 juillet 1899 dans l’affaire Cordier contre X…) Pour Roget, il déclara au juge « qu’en attribuant la lettre à Cordier, il n’avait fait que s’en rapporter aux affirmations d’officiers attachés au service des renseignements », et il les nomma (Junck, Lauth, Gribelin), ainsi que le rédacteur Noth, « dont le témoignage devait être catégorique ». Mais aucun, une fois devant le juge, ne voulut plus rien affirmer ; « tous se sont expliqués d’une façon des plus évasives sur les propos qu’on prétendait tenir d’eux ; chacun se retrancha derrière une simple opinion personnelle, fondée sur des présomptions morales… etc. » Henry et Lemercier-Picard étant tous deux morts, le juge fut contraint de rendre une ordonnance de non-lieu, mais qui lavait complètement Cordier. — L’obscur de l’histoire, c’est les raisons pour lesquelles Henry (en octobre 1896, quelques jours avant de fabriquer la fausse lettre de Panizzardi) crut devoir commander cet autre faux à son scribe ordinaire, le montra à Lauth et l’enterra ensuite dans ses dossiers.
  28. Rennes, III, 360. Tomps (sur l’entrevue de Bâle, la tentative d’Henry pour qu’il accusât Picquart d’avoir remis au Matin le fac-similé du bordereau, sur sa conversation, en juillet, avec Brücker). — 372, Hennion (sur le faux Pomier). — Voir t. III, 593.
  29. Ibid, II, 183, Lonquéty : « M. Cavaignac et M. d’Ocagne ont insisté auprès de moi pour que je tâche de déterminer l’époque où j’ai vu Dreyfus à Bruxelles. »
  30. Ibid, III, 325, Hadamard ; 331, Painlevé. — Voir t. III, 591, 592. — D’après la note de Gonse (pièce secrète n° 96), Painlevé lui aurait ainsi rapporté « textuellement » sa conversation avec Hadamard : « Je n’ai pas voulu vous dire que je croyais Dreyfus innocent… etc. » Painlevé s’indigna : « Cette phrase est fabriquée. Elle est monstrueuse ! C’est le contraire même de la vérité ! » Gonse allègue que sa note, mise au dossier secret, était « un simple renseignement pour le ministre ». Painlevé lui inflige un nouveau démenti, puis fonce sur Roget, pour sa déposition devant la Cour de cassation où il a fait de Jacques Hadamard le beau-père de Dreyfus. Roget balbutie : « C’est un M. Hadamard, un autre alors ! »
  31. « Voici enfin que nous apprenons l’optique morale… etc. » Taine, Littérature anglaise, V, 305.)
  32. Barrès, I, 78 : « Perpétuellement lance en avant et frémissant de colère… etc. »
  33. Anatole France, Figaro du 24 août 1899.
  34. Rennes, II, 380, 382 ; III, 346, 490 : « Je vous prie de vous exprimer avec modération. — Je n’ai pas dit un mot qui ne fût modéré. — Mais le ton ne l’est pas. — Je ne suis pas maître de mon ton. — Vous devez en être le maître ; tout homme est maître de sa personne. — Je suis le maître de ma personne ; je ne le suis pas de mon ton. — Je vais vous retirer la parole. — Retirez-la moi. — Asseyez-vous. — Je m’assieds, mais pas par ordre. »
  35. Il me fit écrire que « la direction des débats lui appartenait ». « Il demande qu’on tienne compte de ce fait à Paris et qu’on marche incessamment d’accord avec lui, qu’il soit prévenu de tout ce que le gouvernement pourra décider et qu’on le consulte avant de prendre des décisions graves. » (22 août 1899.)
  36. Barrès s’en aperçut, signala (165), avec son ordinaire méchanceté, « les incroyables procédés » de Labori contre Demange, « la haine de prêtre entre ces deux robes ». — « Pour un avocat, ce qu’il y a eu peut-être de plus extraordinaire au procès de Rennes, c’est le désaccord sur le système de défense entre Demange et Labori. » (Lord Russell, 320.)
  37. Chevrillon, loc. cit. — « Quand Demange a dit : « C’est bien, j’en tirerai les conséquences que je jugerai utile », il a tout dit. Paléologue prétend que c’est la meilleure tactique, qu’il faut laisser aux juges le soin de tirer eux-mêmes leurs conclusions. » (Lettre de Gast.)
  38. Rennes, II, 56, Deloye (30 août 1899).
  39. 31 août (audience à huis clos).
  40. Rennes, III, 237, Deloye.
  41. Rennes, III, 237, Labori : « M. le général Deloye n’a-t-il pas reconnu, dans sa note à la Cour de cassation, que tout ce qu’on disait sur le mot formation du bordereau ne pouvait être que des hypothèses ? — Deloye : Je n’ai pas dit cela. J’ai dit que, pour répondre d’une manière certaine, il faudrait avoir la note elle-même. — Labori : À la bonne heure ! très bien mon général ! — Deloye : Je dis seulement que les impossibilités qu’on allègue n’existent pas. — Labori : M. le général Deloye n’a-t-il pas reconnu que, le plus souvent, les espions communiquent à l’étranger des choses sans importance ? — Deloye : J’ai dit que l’on pouvait classer les espions en trois catégories… etc. — » Labori : M. le général Deloye ne reconnaît-il pas alors que, lorsqu’il s’agit d’un fait d’espionnage, si l’espion reste dans le vague, c’est un raisonnement arbitraire que de partir de ce point de départ que le document est nécessairement important. — Deloye : Oh ! n’insistez pas… etc. »
  42. Cass., IV 137, Baudouin.
  43. Lettre de Gast : « Picquart est admirable. Il a supporté, comme un roc, toutes les infamies débitées sur son compte… Il me disait, ce matin, qu’il ne s’est jamais senti si dispos, moralement et physiquement. Ne nous croyez, pas abattus. » (25 août 1899.) « Dreyfus sera acquitté : cela nous paraît impossible autrement et cela nous aide à vivre. » (30 août.)
  44. Chevrillon, loc. cit.Petite République du 27 août 1899 : « Il ne resterait plus à la France contre l’irrémédiable chute morale et l’abêtissement définitif d’autre ressource que la révolution. »
  45. C’est textuellement ce que Labori me fit écrire par Victor Basch (22 août). Il insiste notamment sur le cas de Cuignet (pour sa diatribe au sujet de Schneider).
  46. Aurore du 27 août 1899.
  47. Rennes, I, 659. — De même I, 469, 473, 563, etc.
  48. Ibid., II, 460, Jouaust.
  49. Voir p. 300 — Au procès Dautriche : « Je ne connaissais pas les juges de Rennes et j’avais le droit de ne rien leur dire. Je ne leur ai jamais rien dit. » (669.)
  50. Procès Dautriche, 649, Galliffet : « J’arrive au conseil des ministres. Là on me demande la tête du général Chamoin ; je réponds : « Je l’ai couvert, on ne le découvrira pas, ou je m’en vais. » L’incident fut clos. » — Il a dit précédemment : « Je lui avais lavé la tête pour avoir commis une imprudence. »
  51. La lettre de Lebret à Deschanel visait seulement la communication des pièces secrètes ; mais les autres crimes dont Mercier était accusé (usage de faux, destruction d’actes et de titres) devaient nécessairement être considérés comme connexes de la forfaiture.
  52. Loi du 29 juillet 1881, art. 47, § 3.
  53. Le jour où la déposition de Mercier fut comme à l’ambassade d’Allemagne, l’un des secrétaires annonça que ce serait la guerre : « Da giebt’s Krieg. » Je tiens l’anecdote du prince de Munster.
  54. Aurore du 27 août 1899.
  55. Chevrillon, loc. cit.
  56. Barrès, 177, 192.
  57. Temps du 7 septembre 1899.
  58. Son article du Temps, du 17 septembre 1896. (La Vie à Paris, 269.)
  59. Charmes, Revue des Deux-Mondes du 15 septembre 1899 ; Gaston Méry, Libre Parole de mai-juin 1902 ; Spiard, Coulisses. 146 et suiv. ; etc.
  60. Spiard le montre en relations avec un contrôleur général de la Préfecture (181) ; le fait est exact ; pour Guérin, selon Spiard, il soupçonnait ou accusait tout le monde. Ainsi, il « allait jusqu’à dire qu’il connaissait le numéro matricule sous lequel étaient inscrits à la préfecture de police MM. Papillaud et Boisandré » ; « Guixou-Pagès, Max Régis, Galli étaient aussi des casseroles, sans compter Dubuc et Cailly ». (206.)
  61. Il fit acheter par Spiard quatre mousquetons Winchester et 300 cartouches. (Coulisses, 152.)
  62. Manifeste du Grand Occident de France et appel au peuple : « Ceux qui sont prêts à mourir pour la cause de la liberté vous saluent. » Signé : Jules Guérin et ses camarades.
  63. Procès-verbal des perquisitions : « Une caisse contenant 3.264 cartouches. » (Haute Cour, IV, 43)
  64. Spiard, l’auteur des Coulisses, Mayence, Chanteloube, George Otto, Ledet, Lejeune, Garcia, Alexandre, Potier, Larquier, Gry, Mandrin, Capdeville et Pinté. — Les typographes du journal partirent le 15 août.
  65. Le 23, apercevant Puybaraud dans In rue, il lui cria la même phrase. (Temps du 24.)
  66. Lasies, Magne, Drumont, le général Jacquey.
  67. Haute Cour, 16 décembre 1899, Jacquey. — Selon Spiard (170 et suiv.), Guérin laissa ignorer ces pourparlers à ses camarades (qui n’auraient pas mieux demandé que de s’en aller), ce qui est confirmé par Lasies : « Guérin n’a pas voulu me laisser discuter avec ceux qui étaient enfermés avec lui au fort Chabrol ; c’est à lui seul que j’ai eu affaire. » (Haute Cour, 18 décembre 1899.)
  68. 26 août 1899. — Haute Cour, IV, 32, rapport des sous-brigadiers Lebrun et Gaudinot ; 34, mandat d’arrêt du juge Fabre pour tentative d’homicide ; 60, rapport de l’expert Gastine-Renette : « La balle (recueillie) appartient à des munitions de la catégorie pour tir réduit » ; V, 73, mémoire des avocats de Guérin contestant que les cartouches continssent un projectile ; 161, acte d’accusation ; séances des 20, 21 novembre 1899, etc., interrogatoire de Guérin : « J’ai tiré à blanc » ; dépositions de Gastine-Renette, Buvat, Santenac, etc.
  69. Journal du peuple du 20 août.
  70. Haute Cour, VII, 16, Lépine : « 5 à 6.000 manifestants ».
  71. Ibid., 7 décembre 1899, Lépine ; journaux des 21 et 23 août.
  72. Haute Cour, II, 16, Lépine : « 137 gardiens furent blessés. »
  73. Ibid., 20 novembre 1899, Guérin : « Je ne voulais pas être l’objet d’une détention préventive indéterminée. »
  74. 1er septembre. — Guérin avoue, d’autre part, que les gens du voisinage, même les soldats, leur passaient du pain. (Haute Cour, 20 novembre 1899.)
  75. Dépêches du résident supérieur du Haut Dahomey et du résident de Saï au ministère des Colonies, en date du 19 août 1899 ; note Havas du 21.
  76. Lieutenant-colonel Klobb, Dernier Carnet de route, avec préface de Jules Lemaître ; rapports du capitaine Grandeyre, transmis par le gouverneur général Bergès, du docteur Henric du lieutenant Pallier, des capitaines Joalland et Dubreuil, du commandant Crave ; lettre du lieutenant Peteau, etc. — Enquête du commandant Lamy et du capitaine Reibel sur la mission Voulet-Chanoine. — Charles Dorian, député de la Loire, qui accompagna Lamy au Soudan, résuma l’enquête dans un volume, encore inédit, Un député au Sahara. Un seul chapitre en a paru. (Gil Blas des 3, 4, 5, 6 et 7 mai 1904.) — Chambre des députés, 23 et 30 novembre 1900, discours de Vigne (d’Octon), Lasies, Guillain et Decrais. — Selon Lasies, Voulet avait été grisé par les louanges de Lebon, pour sa précédente mission, et par les pouvoirs exorbitants qui lui avaient été conférés par Trouillot, l’organisateur de la deuxième mission d’études. — L’instruction « pour établir les responsabilités dans l’affaire Voulet-Chanoine et leur donner les sanctions qu’elles appellent, et aussi dans l’intérêt de ceux qui, mêlés à cette malheureuse affaire, s’y sont conduits avec honneur », dura deux ans (1900-1902) et fut close par un non-lieu du Gouverneur général.
  77. Rapport du docteur Martinet (de Say, le 3 février 1899). — Dans un village aux environs de Say, on trouva 111 cadavres couchés côte à côte ; à Kondory, 1.000 prisonniers furent fusillés. (Rapport Pallier.)
  78. Le lieutenant Peteau.
  79. Télégramme Voulet et rapport Pallier.
  80. Dépêche Guillain (n° 86) du 16 avril 1899. — Klobb fut désigné par le Gouverneur général de l’Afrique occidentale, aucun des officiers supérieurs du Soudan ne se trouvant alors à proximité. — Klobb, loc. cit., 158 : « Je n’ai pas l’habitude de refuser de marcher. Ce n’est cependant pas sans peine que je me suis décidé. »
  81. Janvier 1899.
  82. Klobb partit de Kayes le 26 avril, retourna à marches forcées jusqu’à Tombouctou, d’où il gagna Say, ayant parcouru 2.000 kilomètres en 44 jours (10 juin). « Il arriva le 23 juin au Balloi-Maoûri et put suivre ensuite la mission aux ruines qu’elle avait laissées sur son passage. » (Discours de Guillain.) — Klobb, loc. cit., 178, 179, 184, 185, etc. : « Il y a de plus en plus de villages détruits par la colonne Voulet. — Village brûlé. — Village complètement brûlé. — Arrivé dans un village brûlé, rempli de cadavres… L’odeur est infecte. » (11 juillet 1899, dernières lignes tracées par Klobb.)
  83. Lettre au crayon, sans date. (Rapport Grandeyre.)
  84. Rapport Joalland.
  85. Rapport Grandeyre : « Dès les premiers coups de feu, le colonel était blessé à la cuisse droite, Meynier recevait une halle dans le ventre… Le sergent Mamadou-Ouahi demanda la permission de tirer : « Non, non, pas de coups de fusil, ne tirez pas », répondit le colonel, immobile sur son cheval… fresque aussitôt une nouvelle décharge le tuait roide d’une balle dans la tête. »
  86. Rapport Joalland. Dans le texte lu à la Chambre par Decrais, ces mots sont supprimés.
  87. Rapport Lamy.
  88. Gobert déposa le premier, le 25 août 1899, puis Alphonse Bertillon, qui continua le 26 ; le même jour Valério, Paraf-Javal et Bernard ; le 28, Teyssonnières, Charavay, Pelletier, Couard et Varinard ; Belhomme, le 29 ; le 30, Paul Meyer, Molinier et Giry ; le 3 septembre, Painlevé donna lecture de la lettre d’Henri Poincaré, sur le système de Bertillon. La déposition d’Havet (du 2) porta principalement sur « la terminologie » d’Esterhazy et de Dreyfus, la syntaxe « allemande » d’Esterhazy, l’irréprochable correction grammaticale de Dreyfus : « Il a écrit des phrases qui sont des modèles au point de vue de style. »
  89. Voir p. 56.
  90. Rennes, II, 466, Charavay.
  91. Rennes, III, 29, A. Molinier. — Il avait signalé le fait à la Cour de cassation (I, 650). De même Grenier (I, 715). — Giry, sur une question de Labori, répond au contraire qu’il n’a fait aucune remarque de ce genre. (Rennes, III, 50.)
  92. Ibid., III, 30, 31 et 50, Mercier ; il envoie à Bertillon (II, 870). Voir t. III, 291 et 343.
  93. Ibid., III, 31, Labori : « M. le général Mercier veut faire confirmer la déposition de M. Molinier. — Beauvais : Au contraire ! — Jouaust : N’interrompez pas ! »
  94. Rennes, II, 192, Maurel ; Cass., II, 7, Freystætter.
  95. Clemenceau, dans l’Aurore du 26 août 1899.
  96. Rennes, II, 404, Paraf-Javal ; 436, Bernard ; III, 180, Sebert ; 329, lettre de Poincaré à Painlevé.
  97. Rennes, II, 343, Alphonse Bertillon. — De même Valério : « Parce qu’il avait eu vent du système de Bertillon. » (II. 397).
  98. Ibid., 339, Bertillon.
  99. Ibid., III, 23, Molinier.
  100. Ibid., II, 381 et 382, Bertillon.
  101. Rennes, II, 369, 372, 373, 379, 380, etc.
  102. Jaurès, Petite République du 27 août 1899. — Barrès : « Bertillon a montré aux hommes compétents la matérialité de la culpabilité de Dreyfus en refaisant devant le conseil le bordereau. » (Journal du 1er septembre.)
  103. Rennes, II, 397, Valério.
  104. Rennes, II, 459, Teyssonnières.
  105. Ibid., 477 et 485, Couard.
  106. Ibid., 492, Varinard.
  107. Ibid., 575, Belhomme.
  108. Ibid., 568. — Belhomme rappelle, à cette occasion, les propos d’Esterhazy à un rédacteur de la Liberté sur les deux bordereaux. (Voir p. 271).
  109. 29 août 1899, article signé Paul Duché.
  110. Aurore du 31 août : « Je suis sûr que Labori n’a pas lu le Nouvelliste de Bordeaux du 29 août. C’est un tort. Voici ce que j’y recueille d’un ciseau satisfait… ».
  111. Rennes, II, 255, Roget. — J’insistai, à plusieurs reprises, pour que la défense « liquidât » la question du « Syndicat » : « Les gens, imbéciles ou scélérats, qui parlent du Syndicat, doivent savoir au moins de quels membres il est composé, où il loge, quelles sont ses opérations. Il faut les mettre au pied du mur, les obliger à parler, à dire tout ce qu’ils savent de cette mystérieuse association. Alors, de deux choses l’une : ou ils donneront des noms, et l’on pourra enfin, devant des déclarations claires, nettes, précises, les poursuivre pour diffamation ; ou ils se réfugieront dans l’équivoque et, par cela même, avoueront qu’ils sont ou des drôles ou des niais… Le Syndicat, s’il n’est pas composé de simples crétins, a dû faire des tentatives auprès des petites vierges du nationalisme et de l’antisémitisme, leur envoyer des émissaires autorisés. Nommez donc ces émissaires. Dites les sommes qui ont été refusées par ces pucelles. » (Siècle du 23 août 1899.)
  112. Rennes, II, 555 à 563, Freycinet. — Quelques jours après, Monod raconta, dans le Figaro, qu’il avait rencontré Freycinet à la gare du Mans et que « le délicieux vieillard » lui avait dit, avec un accent d’énergie particulier : « La condamnation, c’est la perpétuité de nos discordes ; tout le monde doit désirer l’acquittement. » Ce que Monod interprétait : « Si M. de Freycinet croit que l’acquittement peut seul donner la paix à la France, c’est qu’il est convaincu que l’acquittement est la vérité. » (31 août 1899). Arthur Meyer, par dépêche, somma Freycinet de démentir le récit de Monod, ce que l’ancien ministre fit aussitôt. (De Thoune, 1er septembre). Monod maintint « intégralement et textuellement » son récit.
  113. Rennes, III, 73 à 112. (31 août 1899.) — Risbourg avait déposé précédemment. (II, 232.)
  114. Claretie, dans le Temps du 30 août 1899. — La presse féroce n’en continua pas moins à l’insulter : « Il marche d’un pas de caporal allemand… Son corps se secoue dans son uniforme, comme s’il s’y disloquait de rage et de souffrance… On sent, chez ce misérable, une hideuse comédie… Sous ce binocle, où son œil vous guette, il a toujours vendu la France. » (Talmeyr, dans le Gaulois du 26.)
  115. Lettre du 20.
  116. Un dessin d’Hermann-Paul le montre s’abattant sur son lit ; le geôlier, compatissant, lui dit : « Vous trouvez que c’est long, mais on n’a pas encore eu le temps de trouver des preuves. » — L’iconographie de l’Affaire est considérable ; il faut citer, en première ligne : Forain, du côté des nationalistes, et, du côté des revisionnistes, Renouard, Couturier, Hermann-Paul, Ibels, Feuillet.
  117. Rennes, II, 101 et III, 112, du Breuil (il fut démenti par Linol, liquidateur judiciaire, à qui Bodson avait dit, au contraire, qu’il tenait Dreyfus pour innocent) ; III, 118, Germain (démenti par le commandant d’Infreville : « C’est une confusion de noms » ; et par Kulmann, marchand de chevaux : « Jamais je ne suis sorti à cheval avec Dreyfus ») ; 135, Villon. — Du Breuil fut condamné par la suite pour diffamation à un mois de prison (avec sursis). (Tribunal de Coutances, 7 septembre 1903.)
  118. Libre Parole du 24 août. — Démentis du comte de Chézelles (27 août), de Bronsart dans la Gazette de Cologne du 31.
  119. Rennes, II, 122 et suiv. (23 août.)
  120. Voir t. II, 299.
  121. Jaurès, Petite République du 12 août 1899.
  122. Rennes, II, 3, Grenier ; 244, Roche ; 251, Desvernine ; 287, Strong ; III, 53, Picot ; 141, Bernheim.
  123. Rennes, II, 113, Lerond ; 255, Roget ; III, 245 et 523, Mercier.
  124. Ibid., III, 144, Bruyerre ; 153, Carvallo.
  125. Matin du 12 août 1899.
  126. Lettre de Roget à Jouaust du 21 août 1899.
  127. Rennes, III, 392, Roget. — Cette première lettre d’Esterhazy est du 19 août,
  128. Esterhazy avait télégraphié à Serge Basset pour lui demander l’adresse de Roget à Rennes ; le journaliste en informa Labori qui le lui fit répéter à la barre.
  129. Rennes, III, 393 et 597. — Esterhazy, dans sa déposition à Londres, n’en dit pas moins que ses lettres à Roget furent étouffées. (117.)
  130. Lettres à Roget du 19 et du 21 août. (Dép. à Londres, 120, et Rennes, III, 597). — Parmi les journalistes, il en voulait surtout à Rochefort : « L’esprit de celui-là, c’est comme le cheval que le grand homme montait à Marengo ; cet animal était extrêmement brillant en juin 1800… »
  131. Rennes, III, 394, Carrière.
  132. Dép. à Londres, 111.
  133. Cette lettre à Jouaust, qu’Esterhazy a publiée lui-même en 1901 (Dép. à Londres, édit. du Siècle, 217), ne porte pas de date, mais est certainement de septembre, des derniers jours du procès : « J’ai écrit à maintes reprises au général Roget… » Or, les lettres à Roget sont des 19, 21. 22, 25 et 30 août.
  134. Voir t. II, 656.
  135. Aurore des 24 et 30 août 1899.
  136. Labori fit porter sa lettre par un de ses secrétaires qui me la communiqua. Mathieu m’écrivit presque dans les mêmes termes : « il n’y a que cette solution ; c’est là qu’est le salut, et le seul. » (20 août 1899.) À cette date, Waldeck-Rousseau avait déjà agi ; il m’écrivit : « J’ai fait tout ce qui pouvait être fait pour obtenir le nécessaire et j’attends la réponse. »
  137. Rennes, I, 205, Zurlinden. — Voir p. 378.
  138. Écho du 26 août, Éclair, Libre Parole, etc.
  139. En 1899, le comte de Bulow était seulement ministre des Affaires étrangères ; il fut nommé chancelier l’année suivante en remplacement du prince de Hohenlohe (19 octobre 1900).
  140. « Je me bornerai donc à déclarer de la façon la plus formelle et la plus catégorique qu’entre l’ex-capitaine Dreyfus et n’importe quel agent allemand, il n’y a jamais existé de relations ni de liaisons de quelque nature qu’elle soit. Les noms de Walsin-Esterhazy et de Picquart, je les ai entendus, pour la première fois de mon existence, il y a trois semaines. » (Déclaration de Bulow du 24 janvier 1898.) — Rennes, I. 335, Demange : « Je demande à M. le général Roget s’il ne trouve pas, lui qui connaît très bien le langage diplomatique, le langage des hommes d’État, qu’il y a une différence de nuances entre la dénégation absolue au point de vue des relations avec Dreyfus et cette indication quant au nom d’Esterhazy. — Roget : Il y a certainement une nuance. » — « Donc, en fait, il a été tenu état, à l’audience publique, de la déclaration officielle de M. de Bulow… » (Lettre de Demange du 29 août 1899.)
  141. Voir t. II, 348, 358 et 375.
  142. Sabatier et Montorgueil (28-31 août 1899). — Lissajoux fut relâché le 9 septembre. — Trarieux avait signalé que la prescription du délit d’espionnage serait acquise le 15 septembre.
  143. Eugène-Lazare Hudeneck de Cernuski Lazaréwitch, né à Budweiss (Bohème) le 5 septembre 1869 ; lieutenant au 14e dragons à Klattau.
  144. 9 novembre 1895.
  145. Cass., IV, 195, Baudouin : « Le père est mort gâteux. »
  146. À Pesth, 27 février 1897.
  147. Dossier de Rennes (liasse 3, nos 79 à 104).
  148. Il demanda l’admission à domicile, en fin de naturalisation ; sa demande fut repoussée (1898.)
  149. Procès Dautriche, 547, dép. de Wessel, le 4 mai 1900, devant le commissaire central de Nice : « Przyborowski m’avait confié qu’il avait fréquenté la même école que Cernuski… etc. » Il invoque le témoignage de sa maîtresse, qui confirme le sien, et de plusieurs femmes galantes à qui Przyborowski aurait fait le même récit. — D’autre part, Przyborowski nie formellement avoir connu Cernuski : « Je ne l’ai jamais vu et je n’ai jamais eu de relations d’aucune sorte avec lui. » (Tribunal de première instance de Nice, 23 mars 1904, commission rogatoire au cours de la deuxième enquête de la Cour de cassation.) Le journaliste Galmot, rédacteur au Petit Niçois, déposa d’abord que Przyborowski lui avait dit qu’il connaissait Cernuski, puis, confronté avec lui, se rétracta : « Je ne puis préciser s’il ma raconté qu’il le connaissait personnellement. » — Cependant Przyborowski convint « qu’il avait rencontré Wessel en Belgique, en décembre 1899, et qu’ils avaient parlé de Cernuski, mais d’une manière générale ».
  150. Procès Dautriche, 170 à 172, capitaine François ; 535, Tomps. — La trahison de Wessel commença en 1896 ; il était alors détaché à l’École de l’artillerie et du génie à Berlin. Devenu l’amant de Mathilde, il se rencontra à Liège avec Lauth et Tomps. Aux perquisitions faites chez Wessel, à Nice, en 1903, on trouva, de sa main, le récit de ses aventures, daté de mai 1900, Le récit paraît sincère.
  151. « En février 1898. j’ai eu des nouvelles du bureau des renseignements par l’intermédiaire de Junck. Il m’écrivit par la poste, La lettre comprenait des indications en clair des documents livrés et des renseignements fournis, ainsi que des sommes versées par Tomps. Fut-elle ouverte par la poste ? On s’informa à l’École d’artillerie au sujet des documents qui m’avaient été communiqués… Cela nous obligea à quitter l’Allemagne pour toujours. » (Note de Wessel.)
  152. Lettre de Przyborowski au ministre de la Justice, à Bruxelles, du 20 décembre 1899. — Il avait été arrêté, à la demande du gouvernement autrichien, pour « corruption de fonctionnaires », et protestait que l’extradition ne pouvait être accordée pour crime politique. — Mosetig était ober-revident (contrôleur en chef) au ministère des Chemins de fer de l’État ; il était âgé de soixante ans, père de famille ; il déclara, lors de son procès (11 juin 1900), qu’il avait été poussé par la nécessité de payer des dettes qui s’élevaient à 5.000 florins.
  153. Procès Dautriche, 171. François ; 213, Mareschal ; 535, Tomps, etc.
  154. Tribunal de Nice, 24 mars 1904, Mathilde : « Tout ce que je puis dire, c’est que Przyborowski et mon mari sont capables de tout. Cependant, mon mari vaut mieux que l’autre ». » — Przyborowski : « Wessel est capable de tout. »
  155. Cernuski place cette visite « vers la fin de mai 1896 » (Rennes, III, 314), ce qui est exact, ainsi que cela résulte de la date même du rapport de Brücker qui a été retrouvé en 1904. (Voir p. 488.) Brücker dit faussement que ce fut « tout de suite après le mariage de Cernuski, 9 novembre 1894. » (Procès Dautriche. 633, et dép. du 4 juin 1904 devant Atthalin, à l’enquête de la Cour de cassation.)
  156. Déposition Brücker.
  157. Ibid. : « J’ai fait un rapport ; il n’a pas été peut-être conservé. » — Lettre de Cernuski à Jouaust : « Ce récit (celui qu’il aurait fait à Brücker) donna lieu à un procès-verbal signé de cet agent et de moi. Ce document doit exister au ministère de la Guerre. Je prie M. le Président de le faire rechercher. » (Rennes, III, 314.)
  158. Tribunal de Nice, 23 et 24 mars 1904. — Przyborowski précise qu’il n’a pas vu lui-même Mareschal avec Cernuski, mais « qu’il en a la certitude morale ». Le renseignement sur l’officier allemand qui aurait été l’intermédiaire entre l’État-Major et Cernuski lui vient d’une dame Winkler, « qui avait des relations avec beaucoup de personnages titrés et avait été expulsée de France ». — D’après Galmot (Petit Niçois du 13 mars 1904), qui prétend tenir le récit de Przyborowski, la première rencontre entre Cernuski et Mareschal aurait eu lieu, à Paris, dans un hôtel de la rue Lafayette, le même hôtel où Cernuski raconta qu’il reçut les confidences de l’officier allemand Schœnebeck. (Voir p. 472.)
  159. Procès Dautriche, 661, Montéran ; 666, Deglas : de même Quesnay, Écho de Paris du 3 juin 1900, la Déposition Cernuski.
  160. Dossier de Rennes. — Clemenceau, dans l’Aurore du 6 septembre 1899, reproduit le billet par lequel Cernuski s’engage à payer a sa crémière, Mme Prinborgne, fin août, « dans son domicile judiciaire », la somme de 110 francs, « valeur reçue en marchandises ». — Quesnay : « M. et Mme Cernuski étaient très pauvres. »
  161. Écho du 3 juin 1900.
  162. Écho du 30 juillet 1899, dossier de Quesnay, 24e témoin.
  163. Écho du 3 juin 1900.
  164. « Madame, lui dit-il, avec la bande qui est au pouvoir, vous avez tout à craindre, mais cela ne saurait durer, et, d’ailleurs, il ne faut pas songer à cela, mais au devoir… Si les amis de Dreyfus vous font partir, mes amis à moi, un peu plus tard, vous feront rentrer. »
  165. Procès Dautriche, 661, Montéran : « Frappé de l’importance et de l’intérêt… » ; 666, Deglas : « Je n’étais pas du même avis. »
  166. Voir p. 226.
  167. Voir p. 471, note 2.
  168. Enquête Atthalin (mai 1904).
  169. Procès Dautriche, 108, Général Bertin, président du conseil de guerre.
  170. Ibid., 108, Dautriche ; 109, Mareschal.
  171. Ibid., 113, Mareschal : « Austerlitz me demande des secours d’argent allant de 300 à 40 et 60.000 francs ; il dit toujours qu’il est couvert de dettes… » C’est ce qui résulte, en effet, de sa correspondance : « J’ai 25.000 francs de dettes… J’ai besoin de 30.000 pour payer mes dettes… J’espère que vous commencerez par me donner 60.000 francs. » (Avril-juin 1899.) « Marchandage, dit Mareschal, qui dura un an. » — 333, colonel Hollender : « Tous sont exigeants, exagèrent leurs prétentions ; d’ailleurs, ils courent de grands risques. »
  172. Ibid., 149, 152, François ; 228, Rollin. — Brault étant mort bien avant le procès Dautriche, le 22 septembre 1899, le témoignage des officiers en ce qui le concerne échappe à tout contrôle. — Le 14 juillet, Mareschal écrit à Austerlitz : « Cela pourra bien aller à 20 ou 30.000, selon que les renseignements donneront quelque chose d’important. »
  173. Reçus de Mareschal produits à l’enquête de la Cour de cassation (mai 1904) et au procès Dautriche (102).
  174. Procès Dautriche, 400, Delanne ; 419, de Lacroix : « Je n’ai aucun souvenir d’avoir été mêlé aux négociations de cette affaire… » ; 648, Galliffet : « Je n’en connaissais pas le premier mot. » Rollin ne se souvient pas d’avoir parlé de l’affaire Austerlitz soit à Delanne, soit à de Lacroix : « Cela m’étonnerait que je ne l’aie pas fait, mais je ne me le rappelle pas. » (Interrogatoire du 25 juin 1904).
  175. Ils furent estimés plus tard de 2 à 4.000 francs. — Procès Dautriche, 330, colonel Hollender ; 336, commandant Brissé ; 116, Mareschal : « On les a payés dix ou vingt fois trop cher. » — Instr. Cassel, 5 juillet 1904, général de Lacroix : « Il n’est pas admissible qu’une dépense de 20.000 francs ait été faite pour l’achat de ce document. »
  176. Procès Dautriche, 248, Rollin : « S’il était parti, nous n’avions plus personne. »
  177. Enquête, 14 mai 1904, Rollin : « Je ne crois pas avoir été présent au payement. » Mareschal : « Il est possible que j’aie été seul avec Austerlitz au moment du payement. »
  178. Procès Dautriche, 230, 250, Rollin : « Mareschal m’a présenté un reçu de 25.000 francs. » À l’enquête : « Le reçu était au crayon ; je le vois encore. » Mareschal : « Je suis convaincu qu’Austerlitz m’a remis un reçu.
  179. Enquête, 9 mai 1904, Mareschal. (Procès, 100.)
  180. Enquête, 14 mai. — Mareschal dit ensuite au procès « Le fait de la perte de mémoire est absolu, je ne le nie pas. » (462.)
  181. Procès Dautriche, 82, Dautriche. — Il existe au dossier un reçu d’Austerlitz, non daté, pour 10.000 Francs. Selon l’accusation, ce reçu s’appliquerait à l’entrevue de Zurich (25) ; selon Mareschal, à l’entrevue de l’année précédente, 23 août 1898, à Berne. Seulement, Mareschal a commencé par dire qu’à Berne, en 1898, il avait donné 6.000 francs (et non 10) à Austerlitz (Interr. du 6 juillet 1904) et les registres de Gribelin, alors archiviste, indiquent, en effet, cette somme (132). Mareschal allègue alors que la différence entre la somme de 6.000 francs, « seuls sortis de la caisse du service courant », et la somme de 10.000 francs mentionnés au reçu qu’il applique à l’entrevue de Berne, aurait été parfaite par Henry sur sa caisse noire (Interr. du 19 juillet 1904), ce qui paraît au général Bertin, président du conseil de guerre, « peu rationnel » (122). — Gribelin dit comme Mareschal (481). — Selon un autre officier, le capitaine Lambling, le reçu de 10.000 francs « comprenait une fourniture qui lui avait été faite à lui-même par Austerlitz », mais il ne se souvient pas d’avoir pris un reçu « particulier » (445).
  182. Procès Dautriche, 308, Faurie ; 323, Hollender.
  183. Ibid., 100, 103, Mareschal. — De même François. À l’enquête de la Cour de cassation : « Si un document avait été payé 25.000 francs, auriez-vous pu l’ignorer ou l’oublier ? — L’ignorer, jamais de la vie ; l’oublier, ce serait invraisemblable. » (9 mai.) Il explique ensuite, au procès, qu’en effet, après cinq ans, il avait tout oublié (197), mais que cet oubli était la preuve de sa loyauté dans l’affaire : « On ne peut pas admettre que je n’aurais eu aucun souvenir d’un acte criminel… Si j’avais réellement payé le témoignage Cernuski, je me serais dit : « On arrive aux 30.000 francs… » J’aurais répondu avec aplomb : « Parfaitement, nous avons payé 25.000 ou 30.000 francs, en août 1899, les documents d’Austerlitz. » — Le général Bertin lui dit alors que sa réponse aurait toute sa valeur « si l’accusation était qu’il avait employé toute la somme à payer Cernuski », mais « qu’elle perdait de sa valeur si, au lieu de s’appliquer à une dépense totale, la somme s’appliquait à une succession de dépenses ». (198, 199.)
  184. La mention d’autorisation de prélèvement de 20.000, francs pour « assurer les besoins du service » est de la main du capitaine François ; cette mention fut signée par le général Delanne ; puis, « après coup », Dautriche ajouta la rubrique : « Documents fournis par Austerlitz. » (48, Dautriche ; 196, François.)
  185. Sur l’inscription préexistant au grattage, Dautriche, se borne à répondre : « Je ne sais pas ce que c’est. » (164, etc.) — L’expert lit Rol… (« Certainement ol ; quelques réserves sur l’R. ») Un nom qui suit donne seulement la lettre k. (350 et suiv., Camille Legrand.)
  186. La dépense est mentionnée comme suit : « Et Berg, 625 francs à ce dernier », de la main de Mareschal. (130.)
  187. Procès Dautriche, 578, France, commissaire spécial : Mareschal : « Je n’avais probablement pas emporté seulement 25.625 francs. »
  188. Ibid., 34, capitaine Cassel.
  189. Rapport du capitaine Cassel, conclusions du lieutenant-colonel Rabier, etc. — On verra, au tome suivant, dans quelles conditions le commissaire du gouvernement abandonna l’accusation contre Rollin et ses collaborateurs qui furent, en conséquence, acquittés.
  190. Procès Dautriche, 431 et suiv., Gribelin : « Au lieu de verser les économies qu’il faisait à la réserve ordinaire, il les versait à une réserve spéciale. » 283 : « Il avait des habitudes de vieux sergent-major roublard. »
  191. Voir t. IV, 221.
  192. Lettre du 28 avril 1900 : « J’ai toujours devant moi l’exemple de mes trois prédécesseurs : le premier, mort fou ; le deuxième, disqualifié et honni ; le dernier, le meilleur de tous, le plus droit et loyal, suicidé d’un coup de rasoir. » (Procès Dautriche, 41.)
  193. Action française de novembre 1900 : « J’ai longtemps balancé, à l’idée de la commémoration de nos morts, entre sa mémoire tragique et le paisible souvenir d’un Auguste Comte ou d’un Sainte-Beuve… Parce que nous savons qu’il n’a pas été un faussaire, nous savons ce que c’est qu’un faux. »
  194. Le 18, il s’arrêta à mi-route pour aller dans le Doubs, son pays natal, où il prenait ses congés ; mais il en fut rappelé dès le lendemain. Il passa la journée du 20 à Paris avant d’aller à Rennes. (Procès Dautriche, 230, Rollin.)
  195. Tribunal de Nice, 23 mars 1904.
  196. Déclaration de Wessel au commissaire central de Nice, 4 mai 1900. (Procès Dautriche, 547) ; dép. de Mathilde au tribunal de Nice, 24 mars 1904.
  197. En fait, il avait été arrêté à la suite d’une perquisition chez le lieutenant de réserve Charles Saria, soupçonné d’espionnage. On trouva chez Saria un registre avec des annotations marginales dont l’écriture ressemblait à celle de Mosetig. Saria était innocent ; Mosetig avoua ses relations avec Przyborowski, dont il avait reçu en tout 210 florins, et fut condamné à 18 mois de prison.
  198. Procès Dautriche, 635, Brücker.
  199. Wessel dit qu’il raconta lui-même cette histoire à Maréchal en mars 1900 : « Cette conversation lui fut visiblement désagréable. Il fut subitement surexcité et me dit : « Przyborowski n’a qu’à se taire, sinon je le fais arrêter. » (Nice, 4 mai 1900.)
  200. Déposition de Mathilde.
  201. Il alla d’ailleurs à Vichy sous un faux nom.
  202. Procès Dautriche, 663, Montéran, et rapports de police. — À l’hôtel de Castille, rue Cambon, où il logea avant et après le procès de Rennes, il laissa environ 2.000 francs de dettes.
  203. Ibid., 550, Wessel, déclaration de mai 1900 à Nice : « Peu après l’arrestation de Mosetig, en août 1899, Przyborowski avait rencontré le capitaine Mareschal et le chef du service des renseignements. Ces deux messieurs rentraient de Suisse. » Comme le voyage des deux officiers ne fut connu du public qu’en 1904 (Enquête de la Cour de cassation), la véracité de Wessel sur ce point n’est pas contestable. — Cass., IV, 194 : « Il y a quelque chose qui est pourtant grave, dit le procureur général Baudouin, et qui accrédite les dires de Wessel, c’est que ceux des renseignements par lui fournis qui ont pu être contrôlés ont été reconnus exacts. »
  204. Rennes, III, 313 et 314, lettre de Cernuski à Jouaust.
  205. Ibid., 315, Carrière. — Voir p. 480.
  206. Procès Dautriche, 151, François ; 411, Delanne ; 433, colonel Hache ; 644, Galliffet.
  207. Ibid., 230, et Rennes, II, 10, Rollin.
  208. Procès Dautriche, 45, Dautriche ; 149, François.
  209. Ibid., 399, 400, Delanne : « J’ai donné ma signature comme s’agissant d’une affaire courante… Je n’en ai gardé aucun souvenir. » — 150, François : « C’est moi qui me suis trouvé en face du général Delanne pour le règlement de l’affaire Austerlitz. Je vais donc chez lui avec cette formule à signer : « Le général Delanne autorise le prélèvement de 20.000 francs pour assurer les besoins du service courant… Il est matériellement impossible que je n’aie pas donné d’explications au général ou qu’il ne m’en ait pas demandé… Il a dû me dire : « Pourquoi me fait-on signer, le 21, une pièce qui est datée du 16 ? » Je procède par raisonnement, étant donné que je n’ai de cette affaire aucun souvenir, mais, tout de même, ces raisonnements sont exacts. » Il établit ensuite que le général de Lacroix a lu son rapport du 6 septembre sur l’utilité du service des renseignements, rapport où il est fait mention « d’une grosse somme remise dernièrement à Zurich », et que le registre de comptabilité avec ces deux mentions : « Austerlitz, 5.000 » et « Austerlitz, complément pris à la réserve », a été vu et paraphé par le général Brault. Mais tout cela établit seulement la sortie des 25.000 francs, nullement qu’ils aient été donnés à Austerlitz.
  210. Procès Dautriche, 74, Dautriche ; 201, François. Selon Dautriche, si les 25.000 francs avaient été pris sur le service courant (49.000 francs au 14 août), « on se serait trouvé à court, avec 24.000, jusqu’au mois suivant ».
  211. Rennes, II, 11 et suiv., Rollin. « Il parle de plus en plus bas. » (Claretie.) — Rollin déposa, en outre, qu’il manquait un certain nombre de pages au cours de fortifications, alors que c’était lui-même qui avait retrouvé le cours complet (Voir p. 254).
  212. Rapports du 6 septembre 1899. (Procès Dautriche, 154, François ; 419, de Lacroix.)
  213. 18 octobre 1899. (Ibid., 430.) — Rollin dit : « Vers le milieu de septembre. » (243.) Il entend (vraisemblablement) par là qu’il fut prévenu à cette date des intentions du ministre.
  214. Procès Dautriche, 662, Montéran ; 666, Deglas.
  215. Écho du 3 juin 1900.
  216. Écho (antidaté) du 5 septembre 1899.