Histoire de l’Affaire Dreyfus/T5/3

Eugène Fasquelle, 1905
(Vol. 5 : Rennes, pp. 195–263).

CHAPITRE III

LE RETOUR DE L’ÎLE DU DIABLE

I. Dreyfus informé de l’arrêt de revision, 195. — Son embarquement à bord du Sfax, 197. — II. Agitation à Brest et à Rennes, 198. — Débarquement nocturne de Dreyfus à Port-Haliguen, 205. — Son arrivée à Rennes, 208. — III. Son entrevue avec sa femme, 209. — Il apprend l’Affaire ; ses conférences avec Demange et Labori, 210. — IV. Boisdeffre chez Galliffet : « Pas de représailles ! », 213. — La légende du bordereau annoté ; photographie montrée par Mercier ; propagande dans les salons et les régiments, 214. — Mercier répand le bruit que Galliffet lui a intimé de ne pas faire usage de la note impériale, 221. — V. Le dossier de Quesnay, 222. — Quesnay mystifié par Karl, 224. — VI. Instructions de Galliffet à Carrière, 229. — Waldeck-Rousseau accusé par les adversaires de Dreyfus de vouloir étouffer les débats, 232. — Article de Clemenceau : « Il faut entendre tout le monde et poser toutes les questions », 233. — Lebrun-Renaud cité par la défense, 234. — Carrière conseillé par Auffray, 235. — VII. Galliffet adresse un sauf-conduit à Esterhazy, 238. — Disgrâce de Pellieux, 238. — Instruction Tavernier contre Du Paty ; non-lieu, 239. — Mort de Guénée, 241. — La femme Bastian quitte l’ambassade d’Allemagne ; le service des renseignements la fait conduire à Marly par l’agent Desvernines, 243. — Zurlinden remplacé par Brugère au commandement de Paris, 248. — Intrigues de Négrier ; il est relevé de ses fonctions, 251. — Discours menaçants de Déroulède, 253. — Divisions des socialistes ; Liebknecht contre Bebel, 256. — Déroulède prépare un nouveau coup, 257. — Cunéo d’Ornano ; article du Petit Caporal sur le bordereau annoté, 259. — Déroulède décide de faire son coup, soit le jour de la déposition de Mercier, soit le jour du verdict, 260.




I

Depuis plusieurs jours, on annonçait l’arrivée du Sfax, avec Dreyfus.

Le 5 juin, à midi et demie (deux jours après l’arrêt de la Cour de cassation), le chef des surveillants à l’île du Diable entra précipitamment dans la case de son prisonnier. Dreyfus, déjà averti des conclusions de Ballot-Beaupré et de Manau, fut pris d’un grand tremblement. Le brave homme, très ému lui-même, lui tendit la dépêche officielle : « Veuillez faire connaître immédiatement au capitaine Dreyfus… En vertu de cet arrêt, le capitaine Dreyfus cesse d’être soumis au régime de la déportation, devient simple prévenu, est replacé dans son grade et peut reprendre son uniforme. » La note portait encore que le croiseur Sfax quittait ce même jour la Martinique pour le ramener en France[1].

Il y avait plus de six mois, « où chaque heure était de trop[2]  », qu’il attendait cette dépêche, la minute où il la recevrait. Cent fois par jour, à travers l’inexplicable retard, il avait vécu d’avance la minute où il apprendrait que son honneur lui était rendu. D’avance, il en avait savouré toute la joie. Cependant, ç’avait été seulement la montée du flot dans la source ; l’issue, si longtemps fermée, éclatait enfin. Maintenant la dépêche était là, sur la misérable table où il avait écrit tant de pages déchirantes : « Faites connaître au capitaine Dreyfus… » Il ne pouvait détacher son regard de ces deux mots.

Les preuves qu’il n’était pas le jouet d’un rêve se succédèrent jusqu’au soir. Les surveillants prirent congé, lui demandèrent de petits souvenirs ; il leur distribua ses livres ; des gendarmes prirent sa garde ; Deniel ne se fit pas voir[3]. Le maire de Cayenne[4], convaincu depuis longtemps de son innocence, lui envoya des vêtements et du linge pour le prochain voyage.

Il resta encore trois jours dans l’île, où la chaleur, par la saison humide, était accablante ; dans l’air de feu, l’implacable rocher mêlait son rayonnement à celui du ciel. Combien de fois avait-il songé que ce serait son tombeau, dans l’ignorance des ordres de Lebon, s’il venait à mourir, d’embaumer son cadavre et de l’expédier en France, pour rassurer Drumont « qu’on n’avait pas commis de tricherie[5] » ! Mais il ne sentait plus que son bonheur, malgré son corps décharné et ses membres sans force.

Le même jour, presque à la même heure où la perfidie de Dupuy, les arguties de Ribot et la lâcheté parlementaire le sacrifièrent à nouveau, il croyait tout fini et que l’arrêt de la Cour laissait seulement aux juges militaires « l’honneur de réparer eux-mêmes leur erreur[6] ». Sa certitude était telle — ne sachant rien de l’Affaire, seulement le nom d’Esterhazy et le crime d’Henry — qu’il se figurait son retour comme une fête triomphale de la justice ; l’armée lui rouvrira ses bras, tout un peuple généreux le remerciera de n’avoir jamais douté de la France. Sa reconnaissance, dans la logique de la fièvre, se partageait entre Faure, dont il ignorait la mort, et Boisdeffre, surtout Boisdeffre, le chef bienveillant d’autrefois, tous deux émus et convaincus par ses lettres. Il se savait terriblement vieilli, mais se croyait plus maître que jamais de son cerveau, parce qu’il fonctionnait avec une rapidité extrême et évoquait des visions d’une précision inaccoutumée.

Il guettait anxieusement le Sfax, qui arriva seulement dans la soirée du 8 ; le croiseur jeta l’ancre assez loin de l’île et trop tard pour l’embarquer avant la nuit. Il rentra, s’étendit une dernière fois dans sa case.

Le lendemain, quand enfin il put monter à bord, le commandant en second, qu’il avait salué militairement, le conduisit dans une cabine de sous-officier qui avait été spécialement aménagée pour lui, avec des grilles au hublot et, sur le couloir, une porte vitrée, gardée par un factionnaire en armes. Le commandant, qui était le fils du général Coffinières, et les officiers du bord le traitèrent, selon la consigne, comme un officier aux arrêts de rigueur. Il ne s’en étonna pas, parce qu’il connaissait les règlements et qu’il en avait été lui-même un observateur sévère.

Vers le soir, il comprit au mouvement du navire que le Sfax avait levé l’ancre, et l’île maudite, sans qu’il la revit, se perdit dans la brume. (9 juin.)

II

Le Sfax marcha très lentement, par ordre, à peine 200 milles par jour. Il fit du charbon à Saint-Vincent, — îles du Cap-Vert[7], — le 18, en repartit le 20. Matin et soir, Dreyfus fut autorisé à se promener sur le pont pendant une heure. Personne ne lui parla, en dehors des besoins du service, et, comme il se considérait « l’égal de chacun[8] », il ne parla à personne.

« Sa force d’âme étonna tous les officiers[9]. »

Pendant la relâche aux îles, le lieutenant Champagnac, qui lui prêtait des livres, lui fit remettre un numéro du Times. Il y lut que Du Paty était arrêté, en prison au Cherche-Midi, aux lieux mêmes où il l’avait si durement torturé. Cela le confirma dans la pensée que son innocence était définitivement reconnue. Il se fût indigné si quelqu’un, cherchant à le détromper, avait insinué que, là-bas, derrière cet horizon qu’il sondait d’un œil avide, il n’allait pas trouver des hommes unis dans une pensée commune de réparation, mais des haines plus atroces qu’à son départ, qui s’exaspéraient, s’affolaient à la sauvagerie, et ses anciens chefs conjurés pour lui faire reprendre la route de l’île du Diable[10].

Coffinières reçut à Saint-Vincent des ordres qui l’édifièrent sur l’inquiétude du gouvernement. Lockroy, encore ministre à cette date, lui prescrivait de faire route sur Quiberon, de régler sa vitesse pour y arriver à la nuit et, sitôt mouillé, de faire transborder Dreyfus sur un stationnaire qui attendrait en rade[11].

C’était déjà quelque chose d’humiliant pour la raison, après ces dix-huit mois où la lumière s’était accrue jusqu’au flamboiement, que des hommes qui n’étaient ni malhonnêtes ni dénués de sens pussent encore mettre en doute une pareille innocence et être de bonne foi. — Il y avait aussi un garde-barrière à Rennes, qui ne savait encore rien de l’Affaire et demandait ce qu’était ce Dreyfus dont la venue excitait tant d’émoi[12]. — Mais l’horrible, quand tout ce qu’il y avait d’humain dans l’humanité attendait avec un tel battement de cœur le bateau qui ramenait une si grande infortune, c’était que ce malheureux entre les malheureux, ce pauvre être qui avait touché le fond des souffrances et qui aurait eu droit, au moins, à la pitié, à celle qu’on ne refuse pas aux bêtes, n’inspirât à des milliers de Français que de la haine, une fureur meurtrière, et qu’ils savaient contagieuse.

Les plus enragés, encore une fois, furent les journalistes, plusieurs rien que pour avoir raison jusqu’au bout, parce que « la férocité naturelle fait moins de cruels que l’amour-propre[13] ». Ils avaient reconnu, du premier jour, que le plus sûr moyen d’obscurcir les intelligences, c’est d’endurcir les cœurs ; ils cultivèrent la méchanceté ; à présent qu’étaient tombés un à un les faux témoignages et les faux, ils ne s’embarrassaient plus de surprendre la raison, piquaient simplement la brute : « L’épuisement physique de Dreyfus n’est qu’un moyen de défense » ; s’il est innocent, « son innocence est un crime contre la patrie » ; s’il se trouve sept officiers pour l’acquitter, « le devoir de tout patriote sera de le tuer[14] ». — À cette fin, la femme d’un peintre, très élégante et recherchée dans les salons, s’exerçait au pistolet[15]. — Une immonde complainte : Il revient, le youpin ! fut expédiée par ballots en province, surtout en Bretagne.

Les revisionnistes, pour se rassurer sur le choix qui avait été fait de Rennes, racontaient que le commandant du corps d’armée, le général Lucas, était républicain et porté à croire Dreyfus innocent ; — autant dire que la vieille cité parlementaire a été désignée pour le souvenir de La Chalotais, qui, lui aussi, fut une victime des Jésuites et dont la statue expiatoire s’élève devant le palais de Justice[16]. — En fait, Rennes, comme on l’a vu, avait été indiquée par Dupuy en raison seulement de la proximité de Brest, où il se proposait alors de faire débarquer Dreyfus ; mais Mercier lui-même n’aurait pas choisi un théâtre mieux préparé pour la recondamnation de sa victime. Il y avait, sans doute, très peu de juifs en Bretagne[17], donc nulle cause locale d’hostilité contre l’accusé, à cause de ceux de sa race, négociants et manieurs d’argent, trop heureux ou trop rapaces, comme c’eût été le cas en Lorraine ; mais si l’antisémitisme y était inconnu dans sa forme économique, la haine des juifs, sous la forme religieuse, y était plus invétérée qu’ailleurs ; elle faisait corps avec un catholicisme encore intact, à la fois mystique et brutal, et qui, depuis les grandes guerres navales contre l’Anglais, était « le symbole de la nationalité[18] ». Ainsi Dreyfus et Judas, c’est tout un, et, de même, l’Anglais et l’Allemand, tous deux protestants.

Les amis de Mercier virent tout de suite quel parti il y avait à tirer d’une population à la fois religieuse et patriote, en majorité ignorante et aux mains des prêtres, et déjà remuée par la nouvelle inattendue que la fameuse tragédie allait se dénouer sur son sol. — Précédemment, en janvier 1898, il avait suffi d’un vague mot d’ordre pour lancer toute une chouannerie, deux mille paysans, contre les maisons de deux professeurs rennais, Andrade et Basch, qui s’étaient prononcés pour la Revision[19]. — On décida, en conséquence, d’organiser une active propagande à Rennes et à Brest, où le préfet maritime lui-même, dans l’ignorance des ordres de Lockroy, attendait le Sfax[20], c’est-à-dire d’y chauffer les esprits à blanc par des distributions de journaux, des manifestes, affichés sur tous les murs, contre les « vendus » et les « traîtres[21] », et des conférences. — Quand on vit accourir Syveton à Brest, il n’y eût personne qui ne comprît que la formation d’une nouvelle section de la Ligue de la Patrie française (l’objet apparent de sa venue) n’était qu’un prétexte[22] et que cet Auvergnat passionné, dont Lemaître aimait le nom « sifflant et rapide » et qu’il appelait « notre Artevelde », était chargé de préparer une manifestation « patriotique » pour l’arrivée de Dreyfus. L’alcool, à Brest, est une monnaie d’échange. Les pêcheurs brestois ne disent pas qu’ils ont vendu « telle quantité de poisson », mais « qu’ils en ont eu pour tant de litres de tafia », une eau-de-vie farouche et corsée de poivre[23]. Au jour venu, il suffira d’une distribution de cent litres d’alcool à la canaille du port pour renouveler les scènes de La Rochelle[24]. — À Rennes, où Guérin envoie quelques-uns de ses hommes pour organiser et encadrer les antisémites du cru[25], une atmosphère d’orage, chargée de colères et de mensonges, va peser sur les membres du conseil de guerre, — déjà connus[26], dont on étudie déjà les approches, — inquiéter l’administration, paralyser le gouvernement. — On n’alla pas, semble-t-il, jusqu’à préparer des troubles plus graves ; mais on semait le vent et l’on savait la Bretagne aussi irascible, aussi prompte aux soudaines tempêtes que sa mer.

Ces sortes d’excitations, qu’il est impossible d’empêcher dans un pays libre, n’ont pour contre-poids que les exhortations des bons citoyens à un peu d’équité et de tolérance. Mais le maire de Rennes, Lajat, et le contre-amiral (en retraite) Réveillère, à Brest, étaient terriblement seuls, avec quelques universitaires et les socialistes.

S’il y avait parmi les personnages du drame, un être qui fût digne de tous les respects, c’était Lucie Dreyfus. Une telle infortune si noblement supportée depuis cinq années, sa foi inébranlée, le prodigieux effort par lequel elle avait écarté de ses enfants jusqu’au soupçon de l’épouvantable tragédie, avaient imposé jusqu’alors aux plus endurcis une pitié pareille à de l’admiration. Les journalistes rennais racontèrent « qu’elle avait été repoussée de tous les hôtels de la ville » et, pour essayer de l’effrayer, « que les pires scandales étaient à craindre[27]. » — La vieille femme[28] qui lui avait loué sa maison fut assaillie de lettres d’injures et de menaces ; on colporta « qu’elle avait fait placer dans le même caveau, par économie, afin de n’avoir pas à partager ses fleurs, le corps de son mari et celui de son amant ». Il fallut qu’elle offrît, publiquement, de faire ouvrir la sépulture familiale[29].

Waldeck-Rousseau s’appliquait surtout à prévoir. Breton lui-même, il connaissait ses compatriotes. La haine des Provençaux, par exemple, eût pu passer en démonstrations bruyantes, gênantes, après tout inoffensives ; d’avoir crié pendant quelques heures : À mort Dreyfus ! ces gens du Midi, le soleil aidant, eussent été aussi soulagés que de l’avoir écharpé. Ceux-ci, au contraire, taciturnes, repliés sur eux-mêmes, sentant fortement, mais cachant profondément leurs joies et plus profondément encore leurs colères, exagérant la froideur apparente à mesure qu’ils s’irritaient le plus, étaient autrement dangereux, comme un volcan qui retiendrait ses fumées et ses mugissements jusqu’à l’éruption. Il savait que le mal prévenu passe pour n’avoir pas existé, mais il ne « travaillait » point pour l’opinion. Deux idées surtout lui faisaient horreur : qu’un malheureux, qui venait se faire juger, fût insulté en remettant le pied sur le sol français ; et que l’odieuse bagarre dégénérât en émeute, que le sang coulât. Depuis quelques jours, les nouvelles de Rennes semblaient particulièrement inquiétantes (la venue imminente de Déroulède, beaucoup de conciliabules avec les envoyés de Guérin, et des distributions d’argent). Le directeur de la Sûreté, qui s’était rendu sur les lieux, lui annonça un choc inévitable pour l’arrivée de Dreyfus ; dix mille manifestants ou curieux se porteront à sa rencontre[30]. Il préféra donc avoir l’air d’avoir peur et décida, avec Lanessan et Galliffet, de maintenir les instructions de Dupuy : Dreyfus sera débarqué de nuit, secrètement, à la pointe de la presqu’île de Quiberon, à Port-Haliguen, d’où un train spécial le mènera à Rennes.

Le 30, au matin, Dreyfus, en montant sur le pont, aperçut les côtes de France ; une grande joie l’envahit ; puis, aussitôt, une dure déception commença à lui ouvrir les yeux. Le Sfax ayant stoppé au large, un premier bateau parut, apporta des ordres (la confirmation de la dépêche de Lockroy). Dreyfus n’en sut que ceci : qu’un autre navire viendrait le chercher pour le portera terre, mais sans qu’on voulut lui dire où[31], et que le débarquement était remis. Ainsi le beau retour qu’il avait imaginé n’aura pas lieu et, de nouveau, la réalité l’étreignait, son épreuve n’était pas finie.

Le Sfax, dans l’après-midi, reprit sa marche, lentement, le long des côtes, jusqu’au soir, où il jeta l’ancre. Le temps, à la tombée de la nuit, devint tout à coup affreux, comme si l’océan déchaîné, le ciel se vidant en pluie, le vent soufflant et hurlant comme pour le roi Lear, eussent voulu préparer l’infortuné à l’accueil des hommes.

Du rivage, les cent et quelques habitants de Port-Haliguen, avertis par des pêcheurs qui avaient rencontré et reconnu le Sfax[32], une compagnie de ligne, venue du fort voisin de Penthièvre, Viguié, le directeur de la Sûreté, entouré d’Hennion et de commissaires de police, suivaient avec inquiétude les feux du Caudan, le stationnaire qui avait été désigné pour prendre Dreyfus et qui cherchait en vain à se rapprocher du croiseur, tanguait dans la nuit. Le capitaine de port disait qu’il y avait danger à mettre une embarcation à la mer.

Cependant, vers 9 heures du soir, le commandant du Caudan détacha une baleinière, avec dix rameurs, sous les ordres d’un officier qui réussit à aborder le Sfax. Dreyfus ne put que se précipiter le long de l’échelle, tomba dans le canot, « qui faisait des bonds effrayants sur les vagues » et, se heurtant contre le bordage, se blessa profondément aux jambes[33]. La douleur physique, le froid pénétrant des embruns, la pluie qui continuait à tomber par rafales, la course folle sous la nuit et le sifflement de la tempête, l’émotion d’un pareil retour après celui qu’il avait rêvé, secouèrent ce pauvre corps émacié, habitué depuis quatre ans aux ardeurs tropicales, d’un violent accès de fièvre et le faisaient claquer des dents. Il chercha, parvint, à force d’énergie, à se dominer. La baleinière embarquait d’énormes paquets de mer, faillit sombrer. Il lui fallut ensuite monter, avec de grands efforts, se traînant à peine, à bord du stationnaire, où pas un mot ne lui fut adressé. Il dompta, une fois de plus, la « bête », ses nerfs, sa douleur, s’enferma dans le silence. Le Caudan se rapprocha tant qu’il put du rivage, s’arrêta de nouveau dans le noir, sous le déluge.

Vers deux heures du matin, la mer étant moins mauvaise, il fut invité à redescendre dans la baleinière qui le conduisit à terre, une côte escarpée, sauvage, où couraient quelques lanternes et retentissaient des commandements. Les soldats qui occupaient le quai, les quelques habitants de Port-Haliguen qui avaient tenu bon sous la tempête pour assister à cette scène tragique, l’aperçurent, à la lueur d’un falot, qui essayait de se redresser, mais qui, accablé de fatigue, souffrant de sa récente blessure et d’une douleur morale, cent fois pire, qu’il ne parvenait pas à dissimuler, gravissait lentement la pente de la Cale. Il se savait en France, mais où ? Il ne le demanda pas, parce que sa voix l’eût trahi, eût éclaté en sanglots ; aucune parole ne fut échangée. Viguié le conduisit à une calèche, l’y fit monter avec trois gendarmes, et la voiture partit aussitôt, entre deux haies de soldats, pour la gare de Quiberon où il fut poussé dans un train spécial. Toujours pas un mot. Comme le jour naissait, le train s’arrêta en rase campagne à un passage à niveau, à trois kilomètres d’un obscur faubourg, encore endormi. Le préfet y était venu « en personne, » avec une escouade de gendarmes[34]. Une nouvelle voiture le mena enfin au grand trot à une ville inconnue, pénétra dans une cour. Quelques curieux aux aguets le virent descendre, mais sans se livrer à aucune manifestation. — Des étudiants avaient passé une partie de la nuit, dans une taverne voisine du logement de Mme Dreyfus, à chanter, « à plein gosier », des refrains de mort contre les juifs[35]. — Il aperçut des soldats, des gardiens de prison, un grand mur. Au-dessus de la porte principale, une inscription lui apprit qu’il était à Rennes. (1er  juillet.)

III

Il était environ six heures du matin quand le gardien chef l’introduisit dans la cellule qui lui avait été assignée et dont la fenêtre était fermée par un grillage en bois, très serré, qui ne permettait pas de voir dans la cour[36]. Il se jeta sur le lit de camp, sans trouver le sommeil.

Vers neuf heures, il fut prévenu de la visite de sa femme ; un violent tremblement le saisit ; il pleura, pour la première fois depuis des années, puis se ressaisit[37], toujours par le même orgueil qui l’avait empêché de faiblir, même aux heures les plus atroces de son martyre.

On se souvient que le directeur du dépôt de l’île de Ré l’avait empêché de serrer la main de sa femme, à son départ pour la Guyane, parce que l’ordre du ministre, qui avait autorisé une dernière entrevue, avait négligé de préciser pour eux « le droit de s’embrasser[38] ». Ils tombèrent, cette fois, aux bras l’un de l’autre, dans une telle étreinte, un tel élan de leurs deux êtres, une telle émotion surhumaine de douleur et de joie, que l’officier qui avait amené Lucie Dreyfus ne put retenir ses larmes. Ils voulurent se parler, les paroles expiraient sur leurs lèvres ; ils ne purent ce jour-là que se regarder, lire sur leurs visages les traces de leurs souffrances et l’immense amour qui les avait soutenus, unis plus étroitement encore qu’aux jours de bonheur, à travers les supplices et les distances.

J’obtins le lendemain[39] qu’ils pussent se voir tous les jours. Dreyfus vit ensuite Mathieu et les autres membres de sa famille ; les enfants étaient restés aux environs de Paris, attendant que leur père revint de son long voyage.

Lucie Dreyfus fut surtout effrayée de l’embarras de sa parole, de la difficulté qu’il éprouvait à trouver les mots. Il s’inquiéta lui-même de celle qu’il avait à écouter ; au bout d’un quart d’heure, il devenait incapable de suivre ce qu’on lui disait. Quatre années de silence lui avaient fait perdre l’habitude des manifestations extérieures de la pensée ; il dut les rapprendre en même temps qu’apprendre l’Affaire, sa propre histoire ; il se rendit compte, aux premiers mots de sa femme, qu’il ne savait rien.

Le 3 juillet, il reçut les visites de Demange, qu’il avait chargé à nouveau de sa défense, dès qu’il connut, à l’île du Diable, le premier arrêt de la Chambre criminelle, et de Labori, qui avait demandé à Mathieu l’honneur mérité d’être adjoint au vieil avocat pour cette grande cause. Demange, sans jalousie ni amour-propre, y avait consenti. Labori assurait que leur collaboration ne se ressentirait ni de la différence d’âge ni de celle, plus grave, de tempérament.

Scheurer excepté, personne n’avait plus souffert que Demange, dans sa vie morale, de tant de déceptions ; pourtant, il avait, lui aussi, gardé tout son idéal, qui n’était pas républicain, mais chrétien, et il n’avait jamais cherché de tremplin dans cette tragédie. Sous une apparence un peu fruste, une bonne figure rougeaude, qui paraissait toujours réjouie, il n’y avait pas de nature plus sensible. D’autre part, l’âge, qui avait grandi son talent, n’en avait pas atténué les défauts ; il y avait de la timidité sous sa prudence, et ses habiletés d’avocat n’étaient pas toujours adroites. Surtout, il n’était qu’avocat dans cette affaire, devenue révolutionnaire, grossie de toutes les passions. Mais c’était précisément la question si les défenseurs de Dreyfus ne devaient pas chasser la politique de son affaire, la ramener sur le terrain juridique, et enlever ainsi aux partis l’homme, la pauvre créature de chair, dont ils avaient fait leur enjeu.

Labori n’y contredisait pas encore. Plus procédurier que Demange, il passait pour beaucoup plus passionné et moins raisonnable qu’il ne l’était, et, s’il était naturellement emporté, mettait le plus souvent dans ses accès un calcul qui échappait au gros du public. Avocat de Zola, puis de Picquart et le mien, il était devenu, en quelque sorte, l’avocat de l’Affaire elle-même. Tant de responsabilités, assumées avec une belle vaillance, les colères qu’il avait récoltées, le genre de talent qui les lui avait values, étaient-ils de nature à servir Dreyfus devant le conseil de guerre ? Quelques-uns en doutaient ; les autres, la majorité des revisionnistes, disaient, au contraire, que, pour convaincre les juges, il était indispensable de le prendre de haut avec les accusateurs ; et ce fut l’avis de Mathieu, bien que leur amitié eût déjà été troublée. La vraie nature des gens se montre le plus souvent dans de menus incidents, parce qu’ils ne sont pas eux-mêmes quand ils sont en scène, où il y a comme un protocole des beaux sentiments et des beaux gestes. Mathieu se persuada que Demange et Labori se compléteraient pour le mieux ; la sagesse et l’expérience consommée de l’un, la vigueur et la dialectique offensive de l’autre, trouveraient également leur emploi dans le procès.

Dreyfus, quand il vit entrer Demange, se jeta dans les bras de son vieil ami qui sanglotait ; il remercia ensuite Labori, dont il avait entendu le nom pour la première fois par sa femme. Tous deux lui firent alors un récit succinct des événements ; il les écouta en haletant, demandait comment on avait pu commettre tant de crimes « contre un homme qui portait l’uniforme » ! Le lendemain, ils lui remirent leur dossier, pour qu’il en prît connaissance à loisir, c’est-à-dire la sténographie des procès de 1898 et l’enquête de la Cour de cassation.

Il passa ainsi, toute une nuit à lire le compte rendu du procès de Zola, lecture passionnante, comme du roman le plus extraordinaire, pour le premier venu, — combien plus émouvante pour lui, le héros du drame, encore prisonnier, qui découvrait tout d’un coup, dans cette pauvre cellule, le seul coin de patrie qui lui fût encore rendu, l’ensemble de l’étonnante aventure que le reste du monde avait vécu au jour le jour, la sienne ! Pareille jouissance intellectuelle n’a été donnée à personne.

Son idéal militaire ne succomba pas au récit de tant de crimes commis contre lui par des soldats.

Il fallut lui dire ensuite que ces haines forcenées n’avaient pas désarmé et que la bataille serait encore dure. Mais il s’était toujours senti fort contre le destin, et des forces nouvelles lui venaient de sa première victoire, de sa femme et de ses frères retrouvés, des milliers de lettres et d’adresses qui lui arrivaient, chaudes de sympathie et de confiance[40].

Il voulut dès lors s’occuper lui-même de la conduite de son procès, rédigea force notes, d’une précision surprenante de mémoire, et fournit aux deux avocats les explications dont ils avaient besoin, tant sur des incidents qui lui étaient personnels que sur des questions techniques. Il débrouilla aussi les divagations d’apparence scientifique de Bertillon, indiqua comment il fallait les réfuter. Il était très éprouvé par le brusque changement de climat et, malgré la chaleur de l’été, grelottait de froid, n’était jamais assez couvert ; à chaque instant, ses fièvres le reprenaient ; mais son intelligence était restée intacte.

L’une de ces séances fut pénible. Demange ayant expliqué qu’il faudrait apporter à l’audience beaucoup de modération et « qu’il ne s’agissait pas de recommencer le procès Zola », Labori s’emporta, à cause de la formule qu’il trouva offensante, et se mit à déclamer que, s’il n’avait pas eu l’attitude qu’on lui reprochait, Dreyfus serait encore à l’île du Diable. On l’entendit crier du couloir[41]. Dreyfus eut beaucoup de peine à le calmer.

Labori avait bu trop jeune d’un vin trop fort. Naturellement personnel et ambitieux, la préoccupation de son moi s’était exaspérée dans cette affaire qui absorbait l’attention du monde ; l’éclatant succès qui lui était venu si vite, les adulations et les attaques, également enivrantes pour un esprit mal préparé, l’avaient persuadé que le procès Zola avait été son procès Baudin et qu’il ne ferait qu’un bond, après la victoire, de la barre à la tribune, et de la Chambre aux plus hautes destinées. Il n’excluait encore de ses prévisions que la défaite.

IV

Le jour même où il s’installa au ministère, Galliffet, en rentrant chez lui, trouva Boisdeffre qui faisait antichambre. Il l’avait toujours tenu en peu d’estime et harcelé d’épigrammes. Dès qu’il le vit, il lui jeta que ni lui ni Gonse ne pouvaient désormais prétendre à aucun emploi, mais qu’il ne souffrirait pas qu’on touchât à un cheveu de leurs têtes : « Pas de représailles, j’ai posé cette condition[42]. » C’était tout ce que demandait Boisdeffre.

Galliffet n’avait posé aucune condition, et il y avait juste quinze jours que le père Du Lac m’avait rapporté l’étrange propos de son pénitent « sur le peloton d’exécution qui l’attendait[43] ».

Comme le cas de Mercier était le même que celui de Boisdeffre, la promesse de Galliffet le couvrait également. Par précaution, Mercier fit rappeler à Galliffet « qu’il l’avait sauvé », en 1894, lors de l’interpellation de Grousset[44].

Plus l’échéance approchait, plus le procès s’annonçait comme le duel de Mercier contre Dreyfus. Ce témoin, qui allait jurer de parler sans haine, non seulement fourbissait ses armes, mais les empoisonnait.

Tout le mois qui précéda l’ouverture des débats, il poussa sa double opération : déclarer publiquement qu’il dira tout au conseil de guerre, qu’il y sortira, quoi qu’il doive en résulter, la révélation décisive, et faire circuler en souterrain que c’était le bordereau annoté.

L’annonce (pour la dixième fois) d’un « coup de massue » eût dû paraître une vieillerie ; cependant, le simple raisonnement que, s’il existait de telles preuves, qui ne fussent pas des faux, elles auraient été administrées depuis longtemps, toucha seulement les partisans de Dreyfus. Pour tous les autres, qu’ils fussent de bonne foi ou de parti pris, instruits ou non de la preuve mystérieuse, la promesse de Mercier remit tout en question.

Alors que le bordereau annoté n’aurait pas été inventé par Henry et Esterhazy[45], mais que l’abominable pièce eût été commandée par Mercier lui-même, son œil d’acier, la première fois qu’il s’arrêta sur le faux, dut cligner, s’enfoncer plus profondément encore dans le trou étroit de l’orbite. Même pour un usage clandestin, c’était autrement dangereux que le plus fameux des faux d’Henry qui mettait seulement en cause les attachés militaires. On n’eût pu imaginer un pire défi au bon sens. Si le bordereau sur papier pelure est un calque du bordereau de Dreyfus sur papier fort, comment donne-t-il l’écriture naturelle d’Esterhazy ? Si c’est une copie commandée par Sandherr à Esterhazy, comment Mercier et tout son État-Major ont-ils juré, en 1894, qu’ils y reconnaissaient l’écriture naturelle de Dreyfus ? De toutes façons, le procès a été bâti sur une imposture ou sur un faux. Et tout le reste n’est pas moins stupide : l’autre faux d’Henry, si inutile quand on avait la photographie du bordereau annoté ; Billot et Cavaignac tenus dans l’ignorance d’une telle preuve ; Henry qui n’avait qu’à l’alléguer, si ce n’avait pas été le faux des faux, pour se sauver ; Boisdeffre qui n’avait qu’à la porter à Brisson pour empêcher la Revision…

Mercier se dit-il à aucun moment qu’il n’avait qu’un mot à dire : « Je me suis trompé… », pour que tout fût fini ?

On voudrait pouvoir lire dans cet homme, d’une intelligence et d’une trempe de caractère si peu communes, le seul, avec Henry, parmi ces malfaiteurs galonnés, qui donne la sensation d’une volonté et d’une force. Mais, lui aussi, comme Henry, il a gardé son secret. Il faut s’en tenir, ici encore, aux faits : nulle velléité de repentir, les ponts coupés derrière lui.

Si le premier à qui il montra la photographie du bordereau annoté se fût récrié, il l’eût sauvé peut-être de lui-même. Mais la crédulité des militaires et des militaristes, qui aurait dû sombrer dans le naufrage d’Henry, s’était, au contraire, accrue, s’offrait comme une complicité. Dès que Mercier commença à parler du faux impérial et à le faire voir[46], il trouva autant de dupes, pour admirer au premier mot, que de fourbes pour s’entendre avec lui d’un regard. L’invraisemblance, l’impossibilité (morale et matérielle) de l’inepte roman n’arrêta personne. Il eût voulu alors revenir en arrière qu’il ne le pouvait plus, prisonnier de ses amis, du monstrueux mensonge qu’il leur avait fait.

On en connaissait déjà différentes versions par les articles de Rochefort et des Croix, le discours de Millevoye à Suresnes, les allusions d’Henry au procès Zola, surtout par les confidences de Boisdeffre et les commentaires de ses officiers dans les salons[47]. — En fait, le faux circule, tantôt visible, tantôt caché, à travers toute l’Affaire. Tel le fil rouge qui traverse d’un bout à l’autre les cordages de la marine anglaise, apparaît aux cassures. — Cependant l’extraordinaire histoire, si Mercier lui-même ne l’avait pas adoptée, fût tombée comme tant d’autres mensonges qui avaient successivement amusé la badauderie ou la méchanceté publiques, ou elle fût restée à l’état d’une légende en formation qui ne parvient pas à se cristalliser. Quels garants en avait-on ? Boisdeffre lui-même ne sait rien que par Mercier. Au contraire, la parole de Mercier s’impose ; seul, il a été directement informé de tout ; il est l’acteur principal du ténébreux épisode, celui qui a rendu le bordereau original à Munster, après l’avoir fait décalquer (ou copier) et photographier.

Que des militaires, qui avaient désappris de raisonner, ou des catholiques, qui correspondaient avec saint Antoine de Padoue et donnaient de l’argent pour le rachat des âmes du purgatoire, crussent aussi au bordereau annoté, c’était presque logique. Mais Émile Ollivier y crut, lui aussi[48], l’objecta, deux ans durant, à l’Impératrice Eugénie qui cherchait à le convertir à l’innocence de Dreyfus.

Quelque rassurantes que fussent de pareilles crédulités, Mercier n’en procéda pas moins avec de grandes précautions. Comme on s’étonnait qu’il n’eût rien dit de cette preuve décisive à la Cour de cassation, il l’expliqua par l’intérêt supérieur de la paix, que la terrible révélation risquait de compromettre, recommanda le silence aux journaux (jusqu’à nouvel ordre) et l’obtint. Tant qu’il y aura une chance d’empêcher la réhabilitation du traître par d’autres preuves, il faudra se taire de celle-ci dans la presse, et, dans les Chambres, comme ont fait Lasies et Firmin Faure, n’y faire que de vagues allusions[49].

Beaucoup obéirent, d’ailleurs sans réfléchir, parce que Mercier était le chef, avait l’allure et le ton du commandement ; les autres (Drumont, Déroulède, Arthur Meyer, Barrès, les Pères Assomptionnistes) comprirent à mi-mot pourquoi il suffisait, pour l’instant, d’en parler dans les salons. Cette propagande mondaine du faux, que Boisdeffre avait organisée avant Mercier et qui avait été, depuis le début de l’Affaire, l’un des principaux ressorts de l’action occulte des généraux, était à deux fins : elle chauffait l’opinion de l’aristocratie et de la haute bourgeoisie[50], essentielle à maintenir en haleine contre Dreyfus ; et elle en débordait dans les couches inférieures de la société, la moyenne bourgeoisie, le monde des artistes, des hommes de lettres et des fournisseurs, en province, surtout dans l’armée.

On sut ainsi, dans nombre de garnisons, que Mercier avait montré la fameuse photographie à des personnes « dignes de toute confiance », et notamment à Stoffel, l’ancien attaché militaire à Berlin avant la guerre, l’auteur des rapports prophétiques sur l’armée allemande, à qui l’on n’en faisait pas accroire[51]. Munster lui-même, « bien qu’il ait juré et fait jurer à Casimir-Perier, sur la Bible, de ne jamais parler du bordereau annoté », en a entretenu Stoffel[52]. L’autre bordereau, celui sur papier pelure, n’est qu’un trompe-l’œil, et cela suffit à vicier toute l’enquête de la Cour de cassation. Ainsi s’explique le tardif aveu d’Esterhazy qu’il est l’auteur du bordereau. Quel bordereau[53] ? Ces esprits simples, passionnés, épris du merveilleux, avalaient tout.

Le mensonge est pareil à la fausse monnaie ; presque tous ceux qui la font circuler la tiennent pour bonne.

Il y avait à Rennes, comme dans toutes les vieilles villes de province, une petite société aristocratique et cléricale, apparentée à la société parisienne ; on se visitait et on s’écrivait. Mercier et Du Lac n’auraient pas eu d’émissaires particuliers à Rennes que la légende y serait venue par les infiltrations ordinaires.

Le bordereau annoté, qui « illuminait » toute l’Affaire[54], une fois arrivé à Rennes, aux portes du tribunal militaire où les juges de Dreyfus s’en entretenaient déjà[55], Mercier considéra qu’il tenait la victoire aussi sûrement qu’aux jours, déjà lointains, où Henry lui avait confectionné le premier dossier secret[56], mais à la même condition qu’alors : de frapper par derrière et dans la nuit.

Il n’était plus, sans doute, le maître de la chambre du conseil ; impossible, cette fois, d’y faire porter par Du Paty le dossier ultra-secret ; cependant, la grande route de la forfaiture était seule fermée ; les sentiers obliques restaient ouverts.

Il continua donc à raconter en confidence qu’il produirait, à son premier témoignage, la formidable preuve, et, mieux encore, il se fit sommer par ses journaux, par Drumont et par Barrès, de tenir sa promesse, la solennelle menace, « acclamée naguère par un auditoire de patriotes », son serment de « tout dire à Rennes, ville qu’arrose le Rubicon », et « coûte que coûte », dût la guerre en résulter[57]. — Coppée surtout, très affaibli, fut impérieux et tragique : « Nous voulons voir en face, s’écriait-il, la vérité, fût-elle hideuse et terrible, et, si c’est la guerre, peut-être sera-t-elle la renaissance et le salut… Ô Jeanne d’Arc, priez pour nous !… Et puis, tout, oui, tout, même un nouveau désastre plutôt que l’enlisement dans la boue et dans la honte. » — Mais, en même temps, il faisait déjà raconter, ou racontait lui-même, que Galliffet lui avait intimé de ne pas faire usage de la note impériale et que, s’il la sortait, Cochefert sortirait aussitôt un mandat d’amener[58].

Les juges connurent cette pression du gouvernement sur l’homme qui détenait la vérité.

V

Pendant que Mercier travaillait avec cet art consommé, de nouvelles élucubrations de Quesnay, une farce d’atelier dont il fut la pitoyable victime, distrayaient la galerie et accroissaient la confiance des Revisionnistes dans le succès.

Pour convaincu qu’il fût de la culpabilité de Dreyfus, il avouait, avec la naïveté qui encadrait chez lui la méchanceté, que le bordereau pourrait bien être d’une autre écriture[59], — sans doute de Mathieu Dreyfus, — et comme Mercier s’était gardé de lui rien dire du bordereau annoté, il réclama des preuves, par la voie de son journal, à tous les patriotes qui en seraient détenteurs, et à Esterhazy lui-même. Il lui fit dire (par Cabanes) qu’il serait allé volontiers le voir à Londres, mais sa présence à Paris était indispensable, et qu’il le conjurait de lui envoyer « un mémoire précis, appuyé sur des pièces » : « Qu’il ait confiance, qu’il nous livre tout ; j’agirai en galant homme, dans le seul intérêt de la vérité[60]… » Il entreprit ainsi d’instruire à lui tout seul contre Dreyfus et se considérait comme une espèce de procureur général in partibus de l’Affaire.

Une première mystification qu’un enfant aurait éventée ne l’avait pas guéri de son grand dessein de porter aux juges de Rennes un dossier qui, « avec l’aide de Dieu », assurerait la victoire. Il acceptait, sans l’ombre de critique, les plus sottes histoires qu’on lui racontait et qui avaient déjà traîné, pour la plupart, dans la presse, et en tirait gravement des conclusions extravagantes, auxquelles il donnait, par habitude, une tournure juridique. Ainsi un juif aurait dit : « Dreyfus reviendra ou la France en crèvera… » ; « les juifs de Roumanie et de Turquie ont été lourdement taxés pour subvenir aux frais du Syndicat » ; « ceux des États-Unis ont illuminé en apprenant l’arrêt de revision » ; Dreyfus a été dépensier, endetté « de 15.000 francs », « bien qu’il reçut assez souvent des fonds de Francfort », et, « visiblement », l’amant d’une femme élégante et « coûteuse ». Pour les révélations plus neuves qu’il avait recueillies, c’était que la Russie, après avoir employé Dreyfus pendant plusieurs années, l’avait dénoncé à Boisdeffre[61] ; qu’un aide de camp de l’empereur Guillaume avait fait voir à un officier autrichien un lot de documents qui provenaient de Dreyfus ; que d’autres officiers allemands avaient expliqué, dans une brasserie, à Dusseldorf, que tous les juifs d’Alsace étaient des traîtres ; que Dreyfus, de passage à Mulhouse, y avait été vu, « par un piqueur et dresseur de chevaux », sur le terrain de manœuvres « où il pointait des canons prussiens » ; qu’il avait eu une Bavaroise pour maîtresse (à Tours, où il n’avait jamais tenu garnison), et qu’à Bourges, à l’École de pyrotechnie, « il se faisait fabriquer par la caissière du cercle des sachets destinés à être portés sous la chemise et pendus au cou comme un scapulaire[62] ». Quesnay tenait, en outre, de l’un de ses témoins, que Faure avait eu en mains la « preuve formelle du crime de Dreyfus[63].

Quand il eut réuni trente-deux « honorables » témoignages de cette espèce, il écrivit à Carrière pour les lui offrir. Il s’attendait à être convoqué par dépêche ; la réponse tardant, il se lamenta « qu’il n’y avait plus de justice : « Notre malheureux pays est fini[64] ! » Il soupirait, depuis six mois, « après la brigade qui balayerait tout, sauverait un peuple qui aime l’armée et l’implore[65] », et les soldats eux-mêmes le repoussaient.

Le plus triste à dire, c’est qu’il avait dépendu seulement de lui (de son amour-propre, de son ambition et de son honnêteté) qu’il continuât à juger, à siéger, comme président de Chambre, à la Cour de cassation, sans être beaucoup moins fou.

L’article où il se plaignait de Carrière tomba sous les yeux d’une espèce de bohème, nommé Lalmand, qui se mit en tête de tirer quelque argent du vieux délateur et se présenta chez lui. Au premier mot du compagnon, qui puait la friponnerie, le parler lent et gras, la mine basse et miséreuse, tout autre l’eût éconduit. Au contraire, ce magistrat, qui avait occupé les charges les plus importantes, requis dans les plus grandes affaires et avait eu pendant tant d’années entre les mains la liberté, la vie et l’honneur d’une foule de gens, l’écouta comme un envoyé du ciel. Le drôle ne prit même pas la peine de donner un air de vraisemblance aux calembredaines qu’il lui débita d’un ton « ténébreux » et qui eussent paru plates à la foire : « Je suis l’homme que vous attendez, vous irez à Rennes et vous anéantirez les dreyfusards. Je vous apporte des preuves écrites de la trahison de Dreyfus. — Où sont-elles ? — En un lieu sûr où personne ne peut aller les chercher que moi. » Il les énuméra, « une carte vélocipédique annotée de la route de Nancy à Metz », etc. Le lendemain, « après avoir prévenu ses amis[66] », Quesnay convint avec l’inconnu d’un mode de correspondance à l’abri du cabinet noir et lui remit une dizaine de louis pour aller chercher les documents à Bâle, « le principal centre de l’espionnage allemand ». L’homme n’en croyait pas ses yeux : c’était là un juge, ç’avait été le second juge de France ! « À partir de maintenant, lui dit-il, je m’appelle Karl ! Adieu[67] ! »

Quesnay était si certain de tenir enfin la preuve écrasante qu’il l’annonça dans son journal : « On est venu à moi spontanément ; je n’ai été qu’un confident… Chaque jour qui s’écoule m’apporte une preuve nouvelle… J’ai la foi, je suis sûr du triomphe final… Si le gouvernement, inspiré par Reinach et par Picquart, me fait arrêter pour étouffer mon enquête, ce sera en vain ; mes secrets sont à l’abri et Dieu fera le reste[68] ! »

L’escroc lui soutira encore cinq cents francs ; sa maîtresse, jouant la dame voilée, lui apportait des lettres, faussement datées de Bâle et de Bruxelles, d’une impudente fantaisie, qui relataient le plein succès de l’entreprise[69], mais se terminaient par de nouveaux appels de fonds. Quesnay paya, répondit longuement : « Qu’il ne perde pas de temps, nous comptons les jours… Je vous attendrai devant la gare dans une voiture fermée, le bras négligemment passé hors de la portière. Ce sera très sûr. » Il signait : « L’homme chez qui Karl est venu deux fois. » Karl devait rapporter les documents « dans des chaussures faites exprès ».

Cornély, quand Karl lui conta cette folle histoire méfia d’un piège et me fit montrer les lettres ; j’y reconnus l’écriture de Quesnay, puis le Figaro publia le récit circonstancié de la mystification[70].

Il y avait si longtemps qu’on n’avait pas ri de bon cœur que cet intermède comique, la farce dans la tragédie, donna à quelques-uns l’espoir d’une détente. Mais les haines étaient si fortes qu’elles relevèrent Quesnay. À l’abandonner au ridicule, on eût craint de perdre ses autres preuves. Il expliqua que l’anecdote « donnait la mesure de sa profonde conviction » et que, « Dreyfus étant un professionnel de la trahison », il n’y avait rien d’invraisemblable à ce que le bureau d’espionnage de Bâle eût reçu d’autres « bordereaux ». Moins de huit jours après, il était de nouveau en campagne, adressait au général Lucas une « dénonciation » en règle contre Dreyfus, recevait du président du conseil de guerre une convocation à se rendre à Rennes, prenait cette fois la citation pour « une plaisanterie », ne déférait qu’à un deuxième appel, refusait alors de détacher de son dossier un fragment quelconque, de peur d’en rompre « l’unité concordante », et, finalement, publia le tout dans son journal, vida sa hotte, mais sans nommer un seul de ses trente-deux témoins, « pour ne pas livrer ces gens d’honneur et de courage aux menaces et aux injures d’une bande sans scrupules[71] ».

VI

Les revisionnistes, qui avaient toujours vécu dans l’illusion, s’y enfoncèrent de plus en plus vers cette époque. Ils écoutaient d’une oreille distraite le fracas nationaliste, les avertissements cyniques de Barrès[72] ou de Drumont[73] que la question, devant l’armée, serait de puissance et non de justice ; traitaient Quesnay par le mépris, — impossible de discuter, de saisir ses gélatineuses sottises ; — ne s’amusaient pas moins de quelques autres menteries qui circulaient, — l’incendie de l’ambassade d’Allemagne où Esterhazy, déguisé en pompier, a volé le bordereau[74] ; des lettres de Mlle de Munster, « d’une hardiesse de passion réaliste », où Dreyfus est nommé[75] ; — et ils défiaient le conseil de guerre de commettre une seconde erreur. Une espèce de foi mystique, anti-scientifique, dans la justice des choses, qui s’était accrue avec le succès, endormit jusqu’aux plus avisés. « Les esprits s’apaisent, écrivait Cornély, les consciences se tassent ; dans un mois, tout sera fini par un acquittement unanime. » Ou encore : « Les juges acquitteront, parce que la pierre tombe, parce que la terre tourne, parce qu’il y a pour le mouvement des esprits des lois aussi inéluctables que celles qui régissent la matière[76]. »

Au contraire, Waldeck-Rousseau, qui avait l’habitude de regarder les difficultés en face, se persuadait davantage que « l’accusé avait seulement un petit nombre de chances[77] ». Encore les perdrait-il si les journalistes continuaient à mettre en cause, indistinctement, les chefs de l’armée ; surtout si les avocats ne s’enfermaient pas dans l’arrêt de la Cour de cassation. Elle n’avait pas osé clore l’Affaire, mais elle s’était prononcée, avec toute l’autorité de la chose jugée, sur les aveux et la communication secrète.

On n’a pas oublié que tant de faits inconnus du premier conseil de guerre, l’écriture d’Esterhazy, le papier-pelure d’Esterhazy, « tendaient » seulement, aux termes de l’arrêt, « à démontrer que le bordereau n’aurait pas été écrit par Dreyfus[78] » ; il n’en restait pas moins que le procès, réduit au bordereau, serait un combat moins difficile qu’une bataille contre la masse de faux et d’inventions de toutes sortes que les amis de Mercier se proposaient de remettre en ligne. Toute pâle qu’elle parût à côté de l’évidence, cette vérité juridique était ce qui les gênait le plus. Ils voulaient que l’arrêt ne fût qu’une « opinion », « un simple succès de procédure » qui laissait à dire le mot de l’énigme ; limiter l’action de la justice militaire serait attenter à son indépendance et lui dicter un verdict d’acquittement[79].

Les instructions de Galliffet à Carrière furent rédigées par Waldeck-Rousseau lui-même, sur une consultation du garde des Sceaux Monis, et résumées fort exactement dans une note officieuse[80]. Il y était précisé au commissaire du gouvernement que ses réquisitions ne devaient porter sur aucun des points où la Cour de cassation avait jugé souverainement, in terminis, et qu’aucun témoin ne pouvait être cité, aucun débat se rouvrir sur ces vérités acquises, définitives, « à peine d’excès de pouvoir et de nullité ». Toute dénonciation relative à des faits autres que ceux visés par l’arrêt doit être écartée, réservée, s’il y a lieu, à un autre procès. Par contre, Galliffet renonce à son droit « de tracer au ministère public des réquisitions écrites ».

Cette dernière décision ne fut pas adoptée sans un grand trouble de conscience. Le gouvernement avait pris l’engagement, dans sa déclaration — et comment ne l’aurait-il pas pris ? qui, parmi les revisionnistes, eût voulu d’un acquittement par ordre ? — que « la justice accomplirait son œuvre dans la plénitude de son indépendance », et Waldeck-Rousseau y avait insisté aux applaudissements des républicains : « Nous avons écarté tout acte qui pourrait être interprété comme de nature à créer un préjugé et à peser sur la justice… Nous aurons le respect de tous les arrêts et de toutes les sentences ; nos actes montreront si c’est ou non une vaine promesse[81]. » Cette même loi, d’autre part, qui veut que les juges soient libres, permet au chef de la justice, qu’elle soit militaire ou civile, de faire connaître qu’il tient l’accusé pour innocent ou pour coupable[82] ; plusieurs ministres, surtout Millerand, furent d’avis que Galliffet invitât Carrière à abandonner l’accusation ; l’opinion du ministre de la guerre, ainsi signifiée, décidera du verdict des juges. Mais Waldeck-Rousseau contesta ces espérances : Comme la plume seule est « serve », le commissaire du gouvernement reste maître, après avoir conclu pour Dreyfus dans des réquisitions écrites, de conclure contre lui dans des réquisitions verbales ; un tel scandale, mais légal, loin de profiter à l’innocent, le desservira ; les juges se prétendront ou se croiront invités à acquitter par ordre ; il ne faut pas seulement respecter l’indépendance de ces soldats susceptibles et prévenus, mais éviter jusqu’à l’apparence d’y porter atteinte ; ainsi mis en confiance, étonnés et surpris de ne pas recevoir d’injonctions, ils sauront gré au gouvernement de cette preuve d’estime et, peut-être, ils n’écouteront alors que leur conscience et ouvriront les yeux à la vérité.

La logique (ou l’élégance) de ces déductions, la connaissance qu’on savait à Waldeck-Rousseau des choses de la justice, celle qu’on lui supposait des hommes, la charge du pouvoir qui pesait surtout sur lui, la certitude qu’il ne demandait pas d’inspirations à la crainte des responsabilités, l’autorité qui se dégageait de lui comme la lumière d’un corps lumineux, ne rallièrent pas seulement les ministres à son avis, mais encore les principaux revisionnistes. Les reproches, les récriminations ne viendront que plus tard, après la désillusion, la défaite que l’énergique intervention du gouvernement eût pu conjurer. Sur l’heure, les plus jacobins approuvèrent ; pas un, dans toute la presse, qui réclamât d’un mot contre « cette entière liberté » laissée au commissaire du gouvernement.

Les gens de Mercier, sans être indifférents à la perspective de mettre la main sur Carrière, virent très bien que cet avantage ne compensait pas pour eux la limitation des débats. Si les avocats de Dreyfus adoptent résolument le plan de Waldeck-Rousseau, Carrière, même libre de conclure à la condamnation, sera d’un médiocre secours. Dès qu’ils avaient connu l’arrêt de la Cour, leur crainte fût que le gouvernement y enfermât le conseil de guerre. Ils avaient entrepris en conséquence de retourner contre les revisionnistes ce qu’il y avait de meilleur en eux : la volonté de terminer leur grande œuvre « en beauté », leur confiance dans l’absolue bonté de leur cause. Tous les jours, Drumont, Judet, les pères de la Croix, les piquaient par l’accusation qu’ils redoutaient de voir pénétrer la lumière dans toute la vie de Dreyfus, qu’ils voulaient le faire acquitter par un subterfuge, mettre l’éteignoir sur la lumière. Et, de même, le comité de la Patrie française[83] et aussi Méline, pour qui le silence, après son propre rôle et celui de Billot dans les procès d’Esterhazy et de Zola, eût été de la pudeur. Au contraire, il réunit ses amis dans un banquet, les harangua longuement. : « Ce cabinet qu’on a pu appeler le ministère de l’Affaire », « ces disgrâces de magistrats » pour le seul tort de ne pas croire Dreyfus innocent, les mesures contre Hartschmidt et Saxcé, sont déjà « une véritable menace contre l’indépendance des juges », autant de tentatives d’intimidation ; « le gouvernement ne doit intervenir en rien dans la procédure[84] ».

Les défenseurs de Dreyfus, au lieu de renvoyer à leur passé ces Tartufes soudains de la justice, ne surent pas commander à leurs nerfs.

Le soir même où parurent les instructions de Carrière, Clemenceau tomba au piège, écrivit dans un même article[85] que, sans doute, « le conseil de guerre, saisi par un arrêt de la Cour suprême, n’était pas plus libre de le modifier que de toucher à la loi en vertu de laquelle il rendait la justice » ; pourtant « qu’il y avait deux sortes de témoins dans tous les procès concevables, ceux du fait et ceux des présomptions », et que, dès lors, « il fallait entendre tout le monde » et « poser toutes les questions », sous peine de tomber au niveau « des juges immondes », Delegorgue et Mazeau[86].

C’était tout ce que demandait Mercier, avec Quesnay et Cuignet, tout ce que Waldeck-Rousseau avait essayé d’éviter : noyer les juges sous un déluge d’inventions et de racontars, hors de tout contrôle, où le bordereau disparaîtra.

Labori, qui se croyait toujours au procès Zola, quand presque toutes les conditions de la lutte avaient changé, se prononça dans le même sens que Clemenceau, « pour ne pas risquer, disait-il, de perdre la partie par pusillanimité », et la plupart des revisionnistes suivirent, « pour en finir définitivement[87] » ; quelques-uns seulement se rendirent compte de la faute, mais se crurent impuissants à l’empêcher. Ainsi, ce fut la défense, à défaut de Carrière, qui cita Lebrun-Renaud. Idée séduisante, évidemment, que de le confronter avec Dreyfus, de lui faire rentrer publiquement son mensonge dans la gorge ; mais c’était la brèche à l’arrêt, convenir qu’il ne suffisait pas que la plus haute justice civile eût déclaré « l’inexistence » des aveux, accorder aux soldats que tout était à reprendre à pied d’œuvre devant leur justice et qu’elle seule comptait.

Aussi bien Carrière ne déféra-t-il lui-même qu’à la lettre des instructions de Galliffet. S’il écarte Lebrun-Renaud de sa liste de témoins, il y inscrit Risbourg, qui ne sait rien que ce qui lui a été raconté par Lebrun[88], et tant qu’il peut, il multiplie les citations, mais contre Dreyfus, pour bien marquer son opinion préconçue[89]. Il n’a rien à demander à Hartmann ou à Forzinetti, à Freystætter ou à Trarieux, ni au général Sebert, à Painlevé ou à Ducros, mais il convoque tous les témoins à charge qui ont déposé devant la Cour de cassation, et, en plus, le général Lebelin de Dionne, le colonel Maurel, ceux des officiers de 1894 qui ont accusé Dreyfus d’indiscrétions suspectes, un capitaine Valério qui a perfectionné les théories de Bertillon, le soldat Savignaud, le concierge Capiaux et la veuve d’Henry[90].

Cette liste comprenait soixante-dix noms ; celle de la défense en compta une vingtaine[91], Lebrun-Renaud en tête, puis Scheurer, ceux des témoins à décharge devant la Chambre criminelle que Carrière avait écartés, et les deux journalistes Deffès et Basset qui avaient recueilli, à Londres, les aveux d’Esterhazy. Labori eût voulu citer également le marquis de Val-Carlos[92] dont la dramatique évocation par Henry avait remué le premier conseil de guerre, et je conseillai d’appeler non seulement Freystætter, mais tous les juges de 1894. Mathieu et Demange s’y refusèrent, disant que ce n’était pas à eux de citer des témoins à charge, sincères ou de parti-pris ; mais il n’eût pas fallu consentir à Lebrun. Pour les « témoins » de Quesnay, on convint de demander au colonel Jouaust qu’il lui réclamât leurs noms et les convoquât, en vertu de son pouvoir discrétionnaire, ou les fît interroger par commission rogatoire, « afin de mettre la vérité en évidence[93] ».

Ainsi rien ne subsista plus, de l’arrêt des Chambres réunies, que le renvoi de Dreyfus devant la justice militaire, et, des instructions du gouvernement, que la faculté pour Carrière de requérir à sa guise, et personne ne doutait plus que ce serait contre Dreyfus. Galliffet s’étant refusé à lui désigner un avocat consultant pour se débrouiller dans sa procédure[94], il avait été dirigé sur Auffray qui était, avec Ployer, l’un des conseils ordinaires de l’ancien État-Major, avait aidé Du Paty, au procès de Zola, à « faire la salle des assises[95] » et appartenait aux Jésuites. On imagine la prise qu’un fanatique de cette espèce, qui avait toujours les mots de patrie et de justice à la bouche, souple et discret pour mieux diriger, connu pour l’ami des généraux et des plus gros bonnets de l’Église, et avec cela instruit et laborieux, sut prendre sur l’ancien gendarme algérien qui avait été improvisé commissaire du gouvernement et, loin de s’en faire accroire, s’était mis, à soixante-quatre ans, à passer ses examens de Droit. Un malhonnête homme eût été moins dangereux que ce pauvre homme, imbu de préjugés, d’une invraisemblable sottise, et qui ne comprenait pas tout ce qu’on lui faisait dire, mais le croyait.

Pourtant, il se garda d’informer Galliffet qu’il travaillait avec Auffray[96].

C’était une question de savoir si, dans le silence de la loi[97], le conseil de guerre devait être assimilé au jury où le ministère public, en cas de renvoi, dresse un nouvel acte d’accusation, ou aux tribunaux correctionnels[98]. Carrière adopta la seconde opinion qui le dispensait de formuler l’accusation et la laissait dans le vague.

VII

De nouveau, le monde entier se préparait à l’une de ces extraordinaires représentations que la France seule sait donner, où la mise en scène égale le drame et qui remue l’âme aux profondeurs. Cependant Dreyfus excitait déjà moins d’émotion que de curiosité, puisque la mort n’était plus sur lui, et, surtout, la qualité des passions n’était plus la même, chez tous, qu’aux premiers jours. Depuis deux ans que, dans cette magnifique tragédie, tout se passait comme au théâtre, les mots commençaient à s’user, à se vider de l’idée qui les devait ennoblir ; on vivait encore dans la tempête, mais aussi dans du décor. Ce procès, si pathétique, par ce malheureux qui demande justice et par cette armée qui va dire si elle est ou non capable de justice, ce sera un spectacle.

Le général Lucas ayant assigné au conseil de guerre la salle de la manutention, étroite et basse, mais où le prétoire n’eût pas été un théâtre[99], les journalistes et Labori protestèrent : « La voix n’aura aucune sonorité ! On n’entendra rien[100]… » Il fallut céder, aménager en hâte au lycée une salle plus vaste[101]. Le public y verra les acteurs, « le son ne s’en ira pas par la fenêtre ».

Le bon sens, l’intérêt de Dreyfus, celui des juges, eussent voulu, comme l’avait très bien vu le général Lucas, que l’affaire fût jugée comme les affaires ordinaires, dans la même salle, sans plus d’appareil, rien qu’avec des sténographes en plus.

En attendant la grande pièce, la scène ne resta pas inoccupée ; chaque jour amena son incident, les uns qui se rattachaient directement à l’Affaire, les autres (de beaucoup les plus importants) d’ordre politique, où Dreyfus n’était qu’un prétexte.

L’une des contradictions les plus singulières de l’opinion à cette époque, c’était l’espèce d’indifférence où elle était à l’égard d’Esterhazy, comme d’un acteur qui avait joué son rôle et qu’on ne reverrait plus aux feux de la rampe. Il renouvela sa déclaration[102] qu’il avait écrit le bordereau, mais ajoutant toujours que c’était par ordre de Sandherr et d’Henry, eux-mêmes les instruments de Boisdeffre, et, nécessairement, sans en donner aucune preuve. Galliffet lui fit adresser un sauf-conduit pour Rennes. Krantz avait précédemment renoncé à le poursuivre, comme il en avait eu l’idée, pour le document libérateur.

L’enquête (confiée au général Duchesne) sur les actes de Pellieux tourna contre lui[103]. Il avait expliqué ses complaisances pour Esterhazy par le faux d’Henry, qui l’avait convaincu[104], et pensait se tirer d’affaire, au sujet de Mme Monnier[105], en niant d’avoir écrit au mari. Celui-ci niait aussi, quand sa femme produisit une copie authentique de la lettre[106]. Pellieux convint, comme autrefois Teste, « que la pièce ne laissait plus de place à la contradiction », et, accepta, sans bruit, d’être envoyé en disgrâce à Quimper.

L’instruction contre Du Paty[107] aboutit, au contraire, à un non-lieu, malgré l’acharnement de Picquart et de Cuignet à lui imputer les faux d’Henry. L’ordre d’informer, émané de Zurlinden, sous le ministère de Krantz, avait repris, en effet, leurs accusations, bien que la Cour de cassation en eût fait justice[108] ; il appelait en outre l’attention de Tavernier sur « des faits à découvrir ».

Comme la loi qui supprimait l’instruction secrète devant les tribunaux militaires[109] venait d’être promulguée, Du Paty en fut le premier bénéficiaire (à dater du 15 juin). Seul d’abord, puis assisté de son avocat Ménard, il tint tête fort résolument à Tavernier[110], dénonça la perfidie d’Henry à son égard, dès qu’il avait soupçonné la lettre de Panizzardi à Schwarzkoppen d’être un faux, — ce qui fut confirmé par les officiers de l’ancien bureau des renseignements[111], — dit sensiblement la vérité sur ses rapports avec Esterhazy, qui avaient été connus de Boisdeffre et de Gonse[112], et, au surplus, les menaça de pièces probantes qu’il avait mises en lieu sûr, mais qu’il produirait devant le conseil de guerre[113]. Il n’avait contre lui que son affreuse renommée, pas une preuve. Une nouvelle expertise conclut formellement que ni les faux télégrammes ni le faux Weyler ne pouvaient lui être attribués[114]. Christian parlait d’après Esterhazy, qui avait refusé de venir déposer, Roget et Cuignet d’après Henry, qui était mort ; pour Cavaignac, il chercha surtout, à l’exemple de Boisdeffre et de Gonse, à se dégager du compromettant personnage.

Du Paty, après ses soixante et un jours de prison préventive, parut d’abord fort aigri contre ses anciens protecteurs : « Ces coquins, écrivait-il à son frère, dont l’incroyable lâcheté m’a fait mettre au Cherche-Midi, espéraient bien que j’y laisserais mes os. » Auguste Du Paty envoya la lettre à un journaliste radical, avec ce commentaire : « Si mon frère, qui est fort malade, ne peut aller à Rennes, il faut qu’on l’interroge à Paris ; il en a assez des lâches et videra son sac[115]. » Mais, entre temps, le « malade » avait fait remettre à Mercier une note sur le décalque officiel de la dépêche Panizzardi ; il s’y accordait avec son ennemi Cuignet pour soutenir que c’était un faux[116].

Cette vilenie (ou cette sottise) était, pour lui, un moyen de rentrer en grâce. D’ailleurs, il n’avait pas été mis dans la confidence du bordereau annoté[117].

Decrion, l’un des anciens hommes à tout faire d’Henry, fut condamné, peu auparavant, pour espionnage. Il prétendait qu’en offrant aux Allemands des documents sur le canon de 75, il n’avait fait que continuer son ancien métier de contre-espion, quand il était attaché au service des renseignements[118].

Une fatalité semblait attachée à tous les anciens agents d’Henry. Vers le printemps, son ordonnance, Lorimier, avait été trouvé pendu, comme Lemercier-Picard, dans une grange. Guénée, qui ne savait pas moins de choses, mourut assez subitement, dans la première semaine de juillet. Une dizaine de jours avant le procès de Rennes, la Bastian disparut de l’ambassade d’Allemagne.

Elle avait été fort liée avec cette femme Forêt, dite Millescamps[119], que Brücker avait fait condamner comme espionne, en 1894, qui n’était sortie de prison[120] que pour être frappée d’un arrêté d’expulsion et s’était retirée aux environs de Metz. Le commandant Rollin, qui avait remplacé Henry, comme on l’a vu, au bureau des renseignements et qui avait été mêlé à l’affaire de la Millescamps, s’était souvenu qu’elle était d’origine belge et l’avait signalée à la Sûreté comme suspecte de recommencer ses anciens trafics. L’idée m’étant venue de la faire questionner sur son aventure, restée assez obscure et qui paraissait se rattacher par quelque lien aux opérations mystérieuses d’Henry, elle ne se fit pas prier, accusa Brücker de l’avoir dénoncée par vengeance et nomma plusieurs femmes, dont la Bastian, qui auraient été mêlées à ces tripotages policiers. Mon informateur continuant son enquête, le hasard fit qu’il se rendit d’abord chez la Bastian et sans soupçonner qu’elle fût cette fameuse « voie ordinaire » que Picquart et ses anciens chefs n’avaient jamais désignée que sous ce sobriquet[121].

Au premier mot que l’inconnu dit de la Millescamps, la Bastian se précipita sur lui, un couteau de cuisine à la main[122], et l’aurait frappé, si son mari ne l’avait désarmée. Elle appela alors des agents qui la conduisirent, ainsi que son visiteur, chez le commissaire de police. La Bastian fit, à son ordinaire, une scène de menaces et de cris ; l’homme, ancien employé de la Sûreté, montra sa carte qu’il avait conservée[123]. Le commissaire n’y comprit rien, en fit cependant son rapport à la Préfecture, après les avoir renvoyés dos à dos. J’avertis de mon côté Waldeck-Rousseau et Lépine qui me prièrent de faire le silence sur l’incident, à cause des noms de la Bastian et de Brücker qu’il y avait intérêt à ne pas divulguer[124].

La « ramasseuse » soupçonna la Millescamps de l’avoir « vendue » au « Syndicat » et fit partager sa crainte au service des renseignements qui avait continué à l’employer et, « si incroyable que cela puisse paraître[125] », toujours à l’ambassade d’Allemagne, où Munster et sa fille lui témoignaient toujours la même confiance. Elle avait peur encore d’être citée au procès de Rennes, « jurait qu’elle n’irait pas, même si on la faisait conduire par les gendarmes[126] ». D’esprit détraqué, elle s’affolait, même sans cause, perdait, cette fois, complètement la tête, devenait dangereuse. Le plus sage parut de la faire disparaître. La semaine qui suivit la visite de l’ancien agent de la Sûreté, elle renvoya un soir ses clés à la comtesse de Munster, avec un billet où elle racontait qu’elle venait d’être arrêtée, et se laissa emmener par le commissaire Desvernines, que nous avons déjà vu au service de Picquart et d’Henry, et qui était toujours détaché au bureau des renseignements ; il la conduisit dans la nuit, « pour le compte de la Guerre », au village de Marly où il avait loué pour elle sous un faux nom[127] ; et elle y séjourna pendant toute la durée du procès de Rennes, non sans bavarder qu’elle avait été mêlée à l’affaire Dreyfus et que ses secrets lui seraient payés cher par les amis de l’accusé.

Munster, quand sa fille lui communiqua la lettre de la Bastian, fut fort surpris, téléphona à la préfecture de police pour s’enquérir des raisons qui avaient fait arrêter la vieille servante de l’ambassade. On lui répondit nécessairement qu’on n’en savait rien, qu’on s’informerait ; Puybaraud courut au Dépôt et à Saint-Lazare, où l’on n’en savait pas davantage, et de là au domicile de la Bastian, où la concierge dit tout de suite que sa locataire était partie la veille pour une destination inconnue[128].

L’évidence (qui n’échappa point à Puybaraud), c’était que la disparation subite de l’espionne, l’associée de Brücker dans le vol du bordereau, avait été machinée par le bureau des renseignements, qui continuait à se croire un pouvoir autonome, indépendant du ministre de la Guerre, et à agir en conséquence, bien que Freycinet déjà lui eût fait défense de s’occuper de l’Affaire[129]. Galliffet, après avoir annoncé l’intention de supprimer la détestable officine où les meilleurs n’entraient pas sans y être gâtés par quelque endroit et qui était à l’origine de ces longs troubles, non seulement l’avait conservée, mais la laissa aux mains du personnel qu’il y avait trouvé et qui continuait les mêmes errements et servait les mêmes haines. Le commandant Rollin, l’archiviste Dautriche, les capitaines François, Fritsch et Mareschal étaient aussi enragés contre Dreyfus que s’ils avaient participé à son premier jugement. Galliffet s’étant enquis si toutes les pièces relatives à l’Affaire avaient été envoyées à Rennes, Rollin et Dautriche l’attestèrent, alors qu’ils continuaient à en dissimuler plusieurs des plus importantes, où les avocats de Dreyfus eussent trouvé la preuve d’autres faux d’Henry[130]. Ils n’informèrent ni le ministre ni le général Brault qu’ils connaissaient la retraite de la Bastian, alors qu’ils savaient la police à sa recherche[131] ; mais ils firent raconter par Drumont que le « Syndicat », inquiet de ce qu’elle aurait pu déposer à Rennes, l’avait dénoncée à Munster, que celui-ci l’avait chassée et qu’elle avait quitté Paris, prise de peur[132].

Ils surent aussi de Brücker qu’il s’était rencontré récemment avec Tomps, le commissaire spécial qui avait eu maille à partir avec Henry, et que le même individu qui était allé chez la Bastian avait fait également une enquête sur lui et sur sa femme[133] ; ils inventèrent en conséquence que Tomps avait essayé de lui faire dire « qu’il avait remis lui-même le bordereau » — dont il n’avait pas été question entre eux — et racontèrent cette histoire à Lauth et à Gribelin pour qu’ils en fissent un incident au prochain procès, et donnassent ainsi à entendre que le gouvernement avait cherché des faux témoins en faveur de son Dreyfus[134].

Galliffet était très désireux de « gagner », comme il disait, la « partie » de Rennes[135], mais il se fiait trop à son étoile pour regarder au détail ; surtout, il a va il d’autres préoccupations. Il s’était flatté de rétablir l’ordre dans l’armée par sa seule présence au ministère et n’avait pas tardé à déchanter. Les chefs ne lui avaient su gré ni de la modération de ses premiers actes[136], ni d’avoir conservé à l’État-Major le général Brault et à son cabinet le général Davignon, ni même d’avoir suivi les tableaux de classement tant pour les promotions que pour les décorations, ce qui avait valu « automatiquement » la croix à Lauth, au grand scandale des revisionnistes[137]. Les intéressés eux-mêmes ne lui tenaient aucun compte de son imprudente promesse qu’il s’opposerait aux « représailles », alors que Waldeck-Rousseau eût voulu laisser planer le doute, ni piquer davantage les coupables ni les tirer d’inquiétude[138]. Tout ce corps d’officiers avait été trop secoué depuis deux ans, trop violemment projeté dans la politique, pour s’arrêter brusquement. Et non seulement les généraux ne s’appliquaient pas à ramener le calme, comme ils y avaient été invités[139], mais plusieurs excitaient leurs subordonnés, annonçaient que les jours du « ministère Dreyfus » étaient comptés et regardaient vers Mercier comme vers leur vrai chef. Il fallut se décider à frapper en haut : d’abord Zurlinden, puis Négrier.

Bien que Zurlinden restât correct dans le service, il n’y avait pas d’homme qui fût moins que lui le collaborateur des jours de crise, celui avec qui l’on se sent en confiance et qui n’exécute pas seulement les ordres. Zurlinden n’aurait participé à aucun mauvais coup des royalistes ou de Déroulède, mais il ne suffisait plus que le gouverneur de Paris fût seulement loyal. Galliffet le remplaça par Brugère, résolu, intelligent et républicain[140]. Il entoura d’ailleurs cette disgrâce de ménagement, le garda au conseil supérieur de la guerre et lui promit le premier commandement qui deviendrait vacant[141].

Le cas de Négrier fut plus grave.

C’était un très beau soldat, admirable au feu, comme tous ceux de sa famille, véritable dynastie militaire, et, de plus, un esprit très ouvert, mais la présomption même, parce que tout lui avait réussi, surtout ses fautes[142], et dévoré d’ambition. Entièrement étranger à l’Affaire, il avait eu, l’année précédente, l’occasion de dégager l’armée de l’injustice systématique où les partis l’enfonçaient, et il n’avait trouvé qu’une menace à jeter au pouvoir civil, à savoir que « les généraux n’avaient été jamais, à aucune époque, plus prêts à se dévouer les uns pour les autres[143] », c’est-à-dire à se solidariser avec Mercier, Boisdeffre et Gonse. Il fut aussitôt très recherché par les royalistes, toujours en quête d’un sabre, se défendit de se mêler de politique, mais ne fut pas moins troublé, empoisonné. Ni la démagogie antimilitariste ni la franc maçonnerie n’ont fait à la haute armée et à l’Église la dixième partie du mal que lui ont fait les salons et les châteaux. Quand Galliffet, qui ne l’aimait pas et à qui il le rendait, devint ministre, il n’y put tenir. Il n’y avait pas de nom qui dût rassurer davantage les officiers ; Négrier feignit de craindre que le gouvernement pactiserait désormais avec les insulteurs et les ennemis de l’armée.

Cette prétendue inquiétude, si Négrier l’avait promenée seulement dans le monde, eût été déjà une assez laide comédie ; mais il la porta dans les régiments qu’il avait à inspecter à cette époque, dans la région de l’Est, où les passions étaient plus vives qu’ailleurs. Galliffet était à peine installé qu’il se mit en campagne[144]. Dès qu’il arrivait dans une garnison ou dans un camp (avec l’appareil du chef de la principale armée, celle qui a la garde des Vosges), il réunissait les généraux et les colonels et les invitait à communiquer à leurs officiers que « le haut commandement ne se désintéressait pas des attaques sans entraves dont ils étaient l’objet… À cet égard, les membres du conseil supérieur de la guerre sont unanimes et leur entente est complète. S’ils ne croient pas devoir agir actuellement, c’est parce que leur action serait attribuée aux préoccupations de l’affaire Dreyfus. Si, après l’Affaire, les attaques continuent, le haut commandement provoquera les mesures nécessaires pour les arrêter… Jusque-là, les officiers doivent s’abstenir, ne pas parler et, surtout, ne pas écrire. »

Si Négrier, en tenant ces propos, n’avait pas eu conscience d’une lourde faute contre la discipline et d’une mauvaise action, il n’aurait pas recommandé aux officiers de s’en taire, même « entre eux », et il en eût rendu compte au ministre. Aucune manœuvre plus perfide n’avait été encore tentée. Il s’offrait comme le défenseur de l’armée contre le gouvernement et se couvrait du conseil supérieur, qui n’avait pris aucune résolution comminatoire et ne s’était même pas réuni.

Les colonels, en répétant ces déclarations, y ajoutaient.

Comme il arrive toujours dans ces sortes d’affaires, le silence, nécessaire au succès, ne fut pas gardé. Le 10 juillet, une dénonciation avisa Galliffet que le colonel Bertrand, du 10e régiment de ligne, à Auxonne, avait réuni ses officiers « dans la salle d’honneur » pour leur faire un étrange discours. Il l’appela aussitôt dans son cabinet, lui donna lecture de l’allocution qu’il aurait prononcée ; Bertrand en convint, « à un mot près », mais sans dire, d’abord, que c’était par ordre de Négrier. Il parut fort surpris d’avoir mal fait (ce qui peint l’état des esprits), ne nomma Négrier que sous le coup des reproches du ministre qui lui demandait « de quel droit il préparait les officiers à la révolte ». Négrier, convoqué à son tour et mis en présence des aveux du colonel, ne contesta pas ce qui ne pouvait plus être nié[145]. Galliffet voulut une déclaration écrite, la porta au conseil et proposa de relever Négrier de toutes ses fonctions (d’inspecteur et de membre du conseil supérieur de la guerre).

Galliffet, en frappant ce grand coup[146], savait à quels soupçons il s’exposait : de se venger d’un rival et d’obéir au Syndicat[147] ; mais il était, avec ses défauts, un soldat de la vieille école, qui ne mettait rien au-dessus de la discipline, et trop politique pour ne pas apercevoir que l’indulgence, le souci, légitime en d’autres temps, d’éviter le scandale, seraient tenus pour de la peur.

Le fait que les propos confidentiels du colonel Bertrand avaient été dénoncés par un de ses officiers, donna fort à réfléchir. Grand embarras pour les fauteurs de coups d’État si les officiers, entre eux, ne se sentent plus en sûreté.

Déroulède n’en continua pas moins ses préparatifs, parce qu’il eût perdu sa raison d’être en cessant de conspirer, et qu’il s’était halluciné à croire sa revanche certaine. Le conspirateur compte sur le hasard à la façon des joueurs ; Déroulède y comptait d’autant plus qu’il l’avait eu, à Reuilly, contre lui, jusqu’au ridicule. Surtout, s’étant assuré, cette fois, du côté des royalistes, il calculait de prendre les parlementaires entre deux feux. L’idée ne lui vint pas une seule fois que le gouvernement connût autre chose que son complot en plein air et qu’il y eût dans son entourage immédiat, parmi les césariens les plus patentés, des agents appointés de la police qui la renseignaient au jour le jour[148]. On avait su ainsi son accord de plus en plus étroit avec Guérin, pour hâter le coup qui avait été décidé en juin, à la réunion du fort Chabrol ; ses instructions pour la fusion des sections de la Ligue des Patriotes avec celles de la Ligue antisémite[149] ; ses conciliabules, tantôt au bureau de la Ligue, tantôt chez des tiers, avec les principaux meneurs royalistes[150] ; et ses divers projets, toujours compromis par quelque indiscrétion dont il s’étonnait, d’arriver brusquement à Rennes et d’y prononcer un discours[151].

Waldeck-Rousseau n’aurait pas eu ces sources d’information qu’il ne se fût pas inquiété au même point des appels publics de Déroulède à la révolte des soldats. Beaucoup y voyaient seulement de la littérature et du tintamarre. L’axiome de César qu’il n’y a à se méfier que des silencieux détournait même des esprits attentifs de prendre au sérieux les déclamations et vaticinations de Déroulède à Angoulême, puis à Saint-Cloud, au théâtre de la République et à Mende[152] : « L’heure est venue, clamait-il, les temps sont proches !… Oui, à l’Élysée ! Honte à tous, malheur à tous, la fin pour tous, si on ne s’insurge pas ! Je sais qu’ils ont déclaré que je serais arrêté si je continuais à les braver. Advienne que pourra, je leur crache à tous au visage mon dégoût et mon mépris !… Il nous faut un général… La population descendra dans la rue aux côtés des vaillants qui ont l’habitude de se faire tuer. Vous connaissez des gens de l’armée qui parlent de discipline et de respect de la Constitution. Il n’y a qu’un respect : celui de la France… Peut-être l’armée hésite-t-elle encore à franchir le Rubicon dérisoire qu’a tracé pour elle une constitution usurpatrice… Le peuple est avec elle, qu’elle soit avec le peuple… Je sonnerai l’appel quand l’heure sera venue… La caserne est là, les faisceaux sont là ; que ceux qui ont des fusils les prennent[153] ! » C’était l’apparente folie de cette conspiration en plein vent qui rassurait les républicains ; ils en concluaient que « Tintinnabule » et ses « trublions[154] » ne s’agitaient et ne criaient ainsi que pour cacher leur impuissance[155].

Au contraire, quand on possédait les rapports de la police secrète, c’est-à-dire des affiliés infidèles de Déroulède, on comprenait son jeu qui était d’abriter sous la méprisante confiance de l’adversaire, systématiquement provoquée, son action souterraine et efficace. Un mot qui lui avait échappé, entre beaucoup de sottises et de plates injures, à la cour d’assises, s’éclairait d’une vive lumière : « Ma tentative doit rester inexpliquée, ne fût-ce que pour être renouvelable. » On pouvait observer enfin avec quel soin nouveau il ménageait le duc d’Orléans, qu’il avait si furieusement menacé en février, avant Reuilly[156], et Victor, toujours endormi, mais dont les amis, Legoux, de Dion, se remuaient beaucoup. Au lieu d’affirmer, à son ordinaire, la République, il n’indiquait plus qu’une préférence : « La France peut-elle être sauvée par un de ces prétendants que je ne connais d’ailleurs ni l’un ni l’autre ? Je ne le crois pas. En tout cas, elle ne peut être sauvée que par la volonté du peuple » qui choisira lui-même son maître après le succès du coup de force[157]. Ainsi, il convenait du pacte, qu’il avait conclu avec le duc et avec les bonapartistes ; réservant l’avenir, en échange des concours qui lui sont accordés, « il n’entrera à l’Élysée que pour balayer ceux qui y sont, non pour prendre leur place », et il sera seulement « un tribun du peuple[158] ».

Les royalistes venaient maintenant en masse à ses réunions, les jeunes gens des cercles, les assommeurs de Sabran et de Guérin, qui l’applaudissaient, juraient de le suivre, « de combattre à ses côtés pour bouter hors de France les ennemis de la Patrie[159] ». Quelques-uns, oubliant la consigne, criaient : « Vive le Roi ! »

La Ligue de la Patrie française poussa de son côté au coup d’État, Coppée et Barrès brutalement, Lemaître avec des précautions de langage, expliquant que « les officiers subalternes ne demandaient qu’à marcher », mais que « les grands chefs » hésitaient ; « leur rôle pourrait être brillant, mais terriblement dangereux[160] ». Enfin la banque catholique et quelques agents de change pesèrent sur le cours de la rente, exploitèrent contre le gouvernement la baisse qu’ils provoquaient eux-mêmes sur les fonds publics[161]. Tout cela constituait une force au moins égale à celle qu’avait réunie Boulanger, et Déroulède escomptait, en outre, les divisions des socialistes depuis l’arrivée de Millerand au pouvoir. Non seulement les guesdistes, allemanistes et blanquistes avaient publiquement rompu avec Jaurès, « parce qu’un parti de classes ne saurait être ou devenir, sous peine de suicide, un parti ministériel[162] », mais encore ils se désintéressaient de l’Affaire depuis qu’elle perdait, sous un gouvernement favorable à Dreyfus, son caractère révolutionnaire. Un peu plus tard, Liebknecht, l’un des chefs du parti socialiste allemand, déclara « qu’un parti qui se liait à des affaires telles que l’affaire Dreyfus allait à l’abîme[163] ». Bebel le désavoua, déclara que « la majorité écrasante » des socialistes allemands approuvait l’attitude de leurs frères français[164] ; pourtant le mot porta, devint le leit-motiv des plus avancés.

Waldeck-Rousseau réclama les papiers qui avaient été saisis chez les royalistes et dans les ligues après l’affaire de Reuilly, et dont Dupuy ni Lebret n’avaient rien fait[165]. C’était le même complot qui continuait, mais avec un seul chef, la fusion faite enfin[166], et d’autant plus audacieux qu’il avait été plus scandaleusement impuni.

Le 14 juillet, Déroulède « pèlerina » à la statue de Strasbourg, place de la Concorde, puis parada à la revue de Longchamp. Les acclamations qu’il y recueillit le décidèrent à brusquer les choses. Le soir, à la Ligue, l’agent de la police mêlé aux principaux meneurs le vit triompher : « Cette journée est réellement la mienne ; j’ai vu que je pouvais compter sur Paris lorsque je ferai un appel ; le peuple est avec moi[167]. » Il avait de l’argent, invita d’urgence les militants à rester à Paris, les répartit en trois brigades sous la direction de Barillier, Foursin et Baillière, qui « prêtèrent serment de discrétion », fit préparer « six jeux d’enveloppes, de façon à pouvoir envoyer des convocations en toute diligence », acheta des armes et des cartouches, s’assura de la jeunesse antisémite (Dubuc) et du parti socialiste français (Rochefort), et constitua un comité d’action avec Turquet, Galli, le baron Legoux, de Plas et Guérin[168]. Celui-ci, bien qu’il trouvât Déroulède « trop emballé[169] », se conformait aux instructions du duc de fusionner ses antijuifs avec les patriotes ; il achevait l’installation de son « fort Chabrol[170] », et avait formé le projet de m’enlever dans la rue et de me retenir comme otage[171]. Déroulède s’était entraîné, depuis six mois, à monter à cheval, « pour raison d’hygiène et aussi en prévision d’une tentative d’action[172] » ; Baillière s’y exerça à son exemple[173].

Tout cela aussitôt connu de la police.

Comme en février, le difficile, c’était de trouver un chef militaire qui s’engageât ; Marchand et Négrier se dérobaient, corrects ou expectants[174]. Déroulède en vint apparemment à se persuader que le général se trouverait après ; une fois porté à l’Élysée par le peuple, installé dans la place, il n’aura que l’embarras du choix.

Pour Mercier, rien ne prouve qu’il l’eût mis dans son complot ; mais c’était la déposition du principal accusateur de Dreyfus qui serait le signal de son entrée en scène, à moins d’attendre le jour du verdict, après quoi la partie ne serait plus jouable[175]. Déroulède se prépara aux deux éventualités. D’une part, dans chacun de ses discours, par l’appel, le plus horriblement éloquent, aux juges de Rennes : « S’il est démontré, par preuve précise, directe, authentique, que Dreyfus est innocent, si ce forfait de lèse-humanité était établi, il n’y aurait pas alors d’honneurs assez grands pour le martyr, ni de châtiment assez terrible, de pilori assez infamant pour tous les ministres, civils ou militaires, qui ont accusé ou laissé accuser Dreyfus ; toutes les représailles seraient excusables, tous les supplices, légitimes[176] » ; et « la France, elle aussi, devrait porter la peine des crimes commis par ses généraux et par ses ministres ; les hommes de notre peuple devront demander pardon au peuple d’Israël… Il y a deux accusés aujourd’hui, et le premier, c’est la France, ses généraux, ses hommes d’État, son corps politique tout entier et, derrière, à de rares exceptions près, tout le corps social, tout le peuple[177]… Je ne peux que le répéter : si Dreyfus est innocent, les généraux sont des scélérats. Puisse l’écho de ces paroles aller jusqu’en Bretagne[178] ! » — Impossible de remuer plus profondément ce qu’il peut y avoir de limon dans le cœur de ces juges d’occasion, catholiques et soldats. Quoi ! ils condamneraient la France à demander pardon aux juifs ! — D’autre part, informé du bordereau annoté, et bien qu’il sût à quoi s’en tenir, il poussait Mercier[179], soit à le produire à l’audience, soit à y protester que Galliffet lui avait intimé de taire la preuve décisive du crime de Dreyfus, par crainte de l’Allemagne[180] ; qu’ainsi le procès n’était qu’une comédie, et que le conseil de guerre, dès lors, n’avait qu’à refuser de siéger et de juger[181]. Un tel coup de théâtre provoquera, à Rennes même, avec l’aide des gens de Guérin, un mouvement[182]. Alors, devant tant de honte, Déroulède, à Paris, descendra dans la rue avec ses bandes, pour chasser « ce gouvernement de l’étranger[183] ».

Mercier, qui tenait à sa peau, nullement à faire Déroulède César ou Philippe Roi, et plus résolu que jamais à ne travailler qu’en souterrain, trouva, apparemment, que ce brutal gâtait tout. Un autre boute-feu, Cunéo d’Ornano, député de la Charente, avait imaginé de raconter dans son journal l’histoire du bordereau annoté ; Mercier eut toutes les peines à empêcher cette publication prématurée[184]. Il fit à Déroulède l’une de ces réponses évasives dont il avait poussé l’art jusqu’à la perfection, ni affirmative ni négative, qui lui donnait du répit[185].

Le lendemain du jour où Mercier avait arrêté la divulgation intempestive du faux impérial, Déroulède vint, à son ordinaire, à la Ligue et communiqua à ses intimes ses dernières résolutions. Il fera son coup, soit le jour de la déposition de Mercier, soit le jour du verdict, restera en conséquence à Paris pour présider aux préparatifs de l’opération, et, d’ores et déjà, assigne à ses trois brigades leurs emplacements de combat : Baillière, de la rue Royale au faubourg Montmartre ; Barillier, du faubourg à la place de la République ; Foursin, aux boulevards Saint-Germain et Saint-Michel. Pour Guérin, on ne l’avertira qu’au dernier moment ; « ses hommes seront alors disséminés sur divers points », ainsi que les socialistes du parti de Rochefort. « Plusieurs généraux, dont Négrier, et de nombreux officiers attendront en civil le long des boulevards ; le moment venu, ils trouveront, dans des endroits désignés d’avance, des effets militaires et des chevaux. » « Tous les militants de la Ligue seront armés de revolvers », recevront, à l’heure décisive, des instructions détaillées. Enfin, si le coup réussit, il tient prêt un gouvernement et il en nomma les membres : Hervé à la Guerre, Pellieux à la Place de Paris, Marcel Habert à l’Intérieur, Quesnay à la Justice et Thiébaud à la Préfecture de Police. « Boulanger n’a pas été heureux, j’espère être plus heureux ». Baillière jura de faire feu sur quiconque chercherait à l’arrêter[186].

On ne saura peut-être jamais dans quelle mesure Déroulède a mêlé ici le vrai et le faux, des indications exactes à des affirmations gratuites et à de simples menteries, pour encourager ses ligueurs. Certainement, les généraux, dont il leur jeta les noms, n’en surent rien ; ni Quesnay ni l’énigmatique Thiébaud[187] ne paraissent avoir été prévenus qu’il disposait d’eux ; Habert, seul, était à lui. D’autre part, l’agent qui fit le récit circonstancié du conciliabule n’était nullement imaginatif, ses précédents renseignements s’étaient toujours trouvés exacts, et ceux-ci concordaient avec ce qu’on savait du côté des royalistes : que Ramel et Buffet avaient reçu des instructions secrètes[188] ; que le Duc avait donné des ordres pour une croisière aux côtes de France[189], et qu’à Lille, à la suite d’une visite de l’avocat Godefroy, les gens des comités annonçaient un grand coup, des généraux gagnés à la cause du prince ; « le mouvement partira de Rennes[190] ».

Ainsi le gouvernement se trouvait dans la situation classique du Sénat romain : « Les circonstances nous avertissent qu’il faut plutôt songer à nous prémunir contre les conjurés qu’à statuer sur leur supplice. Car les autres crimes, on ne les poursuit que quand ils ont été commis ; mais celui-ci, si vous ne le prévenez, vous voudrez en vain, après son accomplissement, recourir à la vindicte des lois[191]. »

  1. Une dépêche de sa femme, également du 3 juin, lui fut remise peu après.
  2. Lettre du 27 avril 1899 à Lucie Dreyfus.
  3. Il fut déplacé, peu après, par le nouveau ministre des Colonies, « appelé à d’autres fonctions ».
  4. Éleuthère Leblond.
  5. Voir t. II, 553.
  6. Cinq Années, 318.
  7. Possession portugaise à hauteur du Sénégal, sur le même parallèle que Dakar, à 1.800 milles environ de Cayenne et 2.000 milles de Brest.
  8. Cinq Années, 320.
  9. Conversation du commandant Coffinières avec un rédacteur du Temps (2 juillet 1899).
  10. « Le conseil de guerre renverra Dreyfus à l’île du Diable, et ce sera le signal de l’exode volontaire ou forcé des Juifs. » (Libre Parole du 1er  juillet 1899.)
  11. Dépêche du 18 juin : « Votre destination sera rade Quiberon où vous devrez mouiller à 9 heures du soir. Vous réglerez votre vitesse en conséquence… etc. »
  12. Figaro et Petite République du 2 juillet ; un des journalistes chercha à savoir comment cet homme avait pu ignorer jusqu’à l’existence de Dreyfus : « On n’a pas de l’argent de trop pour acheter les journaux, répondit le garde-barrière qui s’appelait Picquart. On vit en famille, à soigner ses poulets et ses légumes, quand on n’a rien à faire. »
  13. La Rochefoucauld, lcxxiv.
  14. Gaulois du 27 juin 1899, Éclair du 28, Patrie du 26.
  15. André Chevrillon, Huit jours à Rennes, dans la Grande Revue du 1er  février 1900.
  16. Il avait été accusé, notamment, d’avoir écrit à Saint-Florentin des lettres injurieuses, d’une orthographe et d’une rédaction ridicules. Moins les experts trouvaient de ressemblance entre ces billets et les pièces de comparaison, plus ils étaient convaincus de la culpabilité de l’accusé. « C’était pour eux la preuve qu’il avait contrefait son écriture, mais, disaient-ils, d’une façon dont lui seul était capable. » (A. De la Borderie, cité par Claretie, Temps du 9 août 1899.) On retrouva l’auteur d’une au moins de ces lettres anonymes, un nommé Bouquerel, qui avoua ; mais on ne voulut pas le croire ; on voulait lui faire avouer que La Chalotais tout au moins la lui avait dictée.
  17. Onze familles à Rennes.
  18. Michelet, Histoire de France, II, 16.
  19. Voir t. III, 275.
  20. Le 24 juin 1899, rapport du commissaire spécial à la Sûreté ; on hésite encore entre le débarquement à l’arsenal et le débarquement en face de la poudrière Saint-Nicolas.
  21. Appel du comité antisémite nationaliste rennais du 29 juin.
  22. Conférence du 27. — Syveton était le trésorier de la Ligue. — Du côté opposé, un petit groupe anarchiste, avec Broussouloux, s’agitait beaucoup.
  23. Temps du 1er  juillet.
  24. Voir t. I, 565, — Journal de Rennes du 25 juin : « On redoute pour Dreyfus le couteau ou le pistolet d’un énergumène… On l’attend avec impatience pour lui jeter la malédiction des traîtres… Le dernier cri qui le salua des côtes de France fut un cri de mort ; il retrouvera ce cri de mort à son arrivée en Bretagne. »
  25. Rapports de police des 23, 24 juin 1899, etc. « La ville est calme, mais tout à la surface seulement ; il est essentiel de ne pas s’y tromper. On organise des réunions entre intimes : on s’y donne des mots d’ordre… » (Temps du 4 juillet.)
  26. La liste fut publiée le 28 juin.
  27. Journal de Rennes du 25 juin 1899.
  28. Mme Godard.
  29. Lettre du 27 au Journal.
  30. Rapports des 20, 21, 23, 24 et 26 juin 1899.
  31. Lucie Dreyfus lui avait télégraphié le 18 juin, aux îles Açores : « Attends avec impatience bonheur te revoir à Rennes… » Le Sfax n’ayant fait escale qu’aux îles du Cap Vert (où l’administration eût pu faire adresser la dépêche), Dreyfus resta jusqu’au bout dans l’ignorance de sa destination.
  32. Récit du romancier Céard qui se trouvait à Port-Haliguen. (Temps du 2 juillet 1899.)
  33. Cinq Années, 322.
  34. Rapport au ministre de l’Intérieur.
  35. « Non loin de la maison de Mme Godard, des étudiants antisémites sont réunis dans une taverne enfumée et chantent, à plein gosier : « À bas les juifs ! Il faut les pendre, Sans plus attendre… » (Libre Parole du 2.)
  36. Cinq Années, 324.
  37. « Si fort que je fusse, un violent tremblement me saisit, les larmes coulèrent, les larmes que je ne connaissais plus depuis si longtemps, mais je pus bientôt me ressaisir. »
  38. Voir t. Ier, 572.
  39. Par Mme Waldeck-Rousseau.
  40. Le prince de Monaco lui offrit l’hospitalité de son château de Marchais, « dès que l’œuvre sainte de la justice sera accomplie. La présence d’un martyr, vers qui la conscience de l’humanité tourne « son angoisse, honorera ma maison. » Castellane adressa au prince une lettre d’injures.
  41. Cet incident donna lieu à la version que Labori, au cours d’une de ses visites à la prison militaire, « avait été subitement édifié » par quelque aveu de Dreyfus… On sait combien l’avocat a le verbe haut ; on put l’entendre hurler, s’adressant au traître : « Vous n’êtes pas défendable ! » (Nouvelliste de Rennes du 5 mars 1904.) Labori répliqua que « tout ce qu’il avait dit et écrit depuis dix ans protestait contre les paroles qu’on lui prêtait » et qu’il n’avait jamais mis en doute l’innocence de Dreyfus. (Cass., IV, 647.)
  42. Je tiens ce récit de Galliffet lui-même. — Le même jour, Waldeck-Rousseau avait reçu des délégués de l’Extrême-gauche de la Chambre et de l’Union démocratique du Sénat qui l’interrogèrent sur la lettre de Galliffet, en avril, « contre les représailles ». (Voir p. 79.) Il leur répondit que « les termes de cette lettre, écrite par le général à titre privé, ne constituaient aucun engagement pour le cabinet et que Galliffet, comme ministre de la Guerre, était prêt à prendre les mesures que le cabinet jugerait nécessaires à l’égard des officiers coupables ». (Note officieuse du 24 juin.) Un rédacteur de la France militaire ayant montré cette note à Galliffet, celui-ci répliqua « qu’il s’était prononcé, en effet, contre les représailles, qu’il n’avait pas changé d’idée, mais qu’il avait une responsabilité, ainsi que le disait la note, dans les actes du ministère dont il faisait partie ».
  43. Voir p. 148.
  44. Éclair du 25 juin 1899. Mirman y revint longuement dans son discours du 26. — Voir t. Ier, 10.
  45. Voir t. Ier, 349 ; II, 580 ; III, 396 ; IV, 237, etc.
  46. Gaulois du 1er  août 1899, lettre au général Mercier : « Vous possédez un des exemplaires de cette photographie et vous l’avez emportée sur vous à Rennes. » — De même Croix du 21 septembre, Libre Parole du 22, Fronde du 20 décembre 1900, Intransigeant du 25, etc.
  47. Voir t. I, 349 ; III, 165, etc. — Cass., I, 612, Turenne ; 775, Andrade.
  48. Chambre des députés, 7 avril 1908, Jaurès : « Je ne serai pas démenti par M. Émile Ollivier si je rappelle les termes exacts d’une déclaration faite par lui :« Il n’a jamais vu ni jamais dit qu’il eût vu le bordereau annoté par l’Empereur d’Allemagne et restitué par Casimir-Perier à l’ambassadeur Munster, mais qu’un de ses amis, absolument digne de confiance, a vu une des huit photographies qui en avaient été tirées avant la restitution. » (Note écrite sous la dictée d’Ollivier ; je l’avais communiquée à Jaurès qui, en effet, ne fut pas démenti.)
  49. Voir t. IV, 464.
  50. Haute Cour, II, 70, scellés Fréchencourt : « J’ai eu par mon ami de Fontars des nouvelles sur la future déposition du général Mercier qui aurait une photographie d’une pièce émanant de Guillaume II ; ce serait la preuve indéniable de la trahison de Dreyfus. Signé : Pierre de Saint-Marc. »
  51. Voir t. I, 349 ; III, 165. — Ferlet de Bourbonne, dans sa lettre à Jaurès du 9 mars 1903, place sa première conversation avec Stoffel, au sujet du bordereau annoté, « quelque temps après la démission de Casimir-Perier ». (Cass., IV, 632.)
  52. Ibid. — Stoffel lui-même, en 1898, avait fait le même conte à Robert Mitchell. (Gaulois du 4 février 1902.)
  53. Rennes, II, 568, Belhomme. — Voir p. 271.
  54. Cass., IV, 632, Ferlet de Bourbonne : « Voilà ce qui illumine toute l’affaire Dreyfus, si obscure pour ceux qui ignorent cet incident. »
  55. Récit du colonel (aujourd’hui général) Jourdy, alors premier juge suppléant, au général André et à Wyrouboff, professeur au Collège de France. — Lettre du docteur Dumas à Jaurès sur sa conversation avec le commandant Merle : « Ce serait donc vrai, cette abominable histoire d’un bordereau portant une annotation de l’Empereur d’Allemagne ? — Que dites-vous ? (Il paraissait stupéfait et épouvanté.) Ne parlez pas d’une affaire pareille, il ne faut jamais en parler. » (Cass., IV, 542.) — Brugerette, loc. cit., 28 (conversation de l’abbé V. avec un des juges de Rennes). — Victor Basch, professeur à l’Université de Rennes, me prévint dès le mois de juin : « Les officiers se rendent compte que l’accusation relative au bordereau ne saurait être maintenue, mais ils attendent le coup de massue de Mercier. » (25 juin.) « Ils ont le ferme espoir que le général Mercier apportera une pièce irréfutable ou affirmera du moins qu’il en a une. » (30 juin.) Basch croyait savoir qu’il s’agissait d’une lettre de Mlle de Munster (voir p. 227) où Dreyfus était nommé, mais « Mercier refusera de la lire, à cause des obscénités qu’elle contient et, surtout, à cause des conflits internationaux que pourrait entraîner cette lecture. Ce serait là le plan de Mercier… Nous savons de source sûre que le colonel Jouaust aurait dit à l’un de ses familiers : « Jusqu’ici, c’est l’acquittement ; on me tombera dessus, mais tant pis ! » Le « jusqu’ici » réserve la fameuse déposition de Mercier. » (27 juin.)
  56. Voir t. I, 364.
  57. Journal du 4 juillet 1899, (article de Barrès) ; Gaulois du 6 et Libre Parole du 12.
  58. Vérité du 17 octobre 1899 : « M. le général Mercier n’a pu produire ce document décisif devant le tribunal militaire de Rennes, parce que le gouvernement, qui avait eu vent de la chose, avait donné l’ordre à Cochefert de l’arrêter séance tenante, s’il voulait faire usage de cette pièce aussi compromettante pour le pays qu’accusatrice pour Dreyfus. » — Déroulède (lettre à Galli du 7 août 1899) et Drumont (Libre Parole du 6 septembre) font très clairement allusion à la prétendue menace qui aurait été adressée à Mercier. — Voir p. 306 et 502.
  59. Écho de Paris du 15 juin 1899.
  60. Lettre du 2 juillet 1899 à Cabanes : « L’homme qui vous écrit (Esterhazy) ne peut douter ni de mon impartialité ni de ma largeur de vues, puisque je suis le seul être au monde qui l’ait défendu sans l’avoir jamais vu. »
  61. Le général Frédéricksz démentit formellement qu’il eût, « directement ou indirectement », dénoncé Dreyfus. (Note Havas du 6 août 1899. — Voir t. III, 564.)
  62. Mon enquête sur l’affaire Dreyfus, dans l’Écho de Paris du 30 juillet 1899.
  63. Écho du 8. (Voir t. IV, 237.)
  64. Écho du 25.
  65. Écho du 18 juin.
  66. Lettre de Quesnay à Karl, du 1er  juillet 1899.
  67. Récit de Lalmand dans le Figaro du 5 juillet. Tout l’essentiel du récit fut confirmé par Quesnay. (Écho du 6.)
  68. Écho du 26 juin. — Esterhazy le fit prévenir par Cabanes « qu’on cherchait à le mettre dedans et à le couvrir de ridicule. Je voudrais qu’il ne fît pas quelque sottise. » (27 juin.)
  69. « J’ai revêtu un costume qui me donnait à peu près l’aspect d’un clergyman anglican… Arrivé à Belfort, j’ai eu un moment d’anxiété ; heureusement, j’ai eu la présence d’esprit de me glisser dans le filet du compartiment, avec une couverture sur moi. Le tour était joué… J’ai vu le grand Henri et j’ai déjà deux documents. » (Bâle, 28 juin.) « Je suis en possession du document capital. C’est l’écrasement final, le coup de massue… Ne voulant pas agir sans prendre votre conseil, faut-il revenir seulement avec les photographies et laisser les documents en lieu sûr ? Je crois qu’il est préférable de passer la frontière avec les documents ; du reste, j’ai fait un tour de force, mes chaussures sont faites exprès. Qui croirait que je rapporte de semblables choses dans une paire de bottines ?… Vous enverrez à la gare un homme sûr qui me reconnaîtra au signalement suivant : casquette anglaise, pardessus beige, pantalon gris retroussé, bottines jaunes, perruque blonde et le visage complètement rasé. » (Bruxelles, 1er  juillet.)
  70. 5 juillet 1899. — Karl, grisé par son succès, — Mommsen, de passage à Paris, demandait à le voir, — continua ses mystifications qui participaient, presque toutes, de l’escroquerie ; il finit par se faire condamner à deux ans de prison pour avoir extorqué de l’argent à une jeune fille de bonne famille, à qui il s’était présenté sous le nom de Baudry de Granou, capitaine de dragons, et avait promis le mariage. (Tribunal correctionnel du 14 septembre 1904.)
  71. 29 juillet.
  72. « C’est à choisir : Dreyfus ou les grands chefs. » (Journal du 4 juillet 1899.)
  73. « Si les juges ont la conviction intime que Dreyfus est coupable, ils devront le condamner, même sans preuve matérielle. » (Libre Parole du 20 juin.)
  74. C’était une vieille invention d’Esterhazy, comme je le montrai dans le Siècle du 20 juillet. Le 23 octobre 1897, quand Esterhazy alla faire à Schwarzkoppen sa fameuse visite comminatoire (voir t. II, 591), il put constater, dans la cour de l’ambassade, les traces d’un incendie, vite éteint, qui s’était produit la veille ; les journaux en avaient fait mention.
  75. Teste, rédacteur au Gaulois, dans le Journal de Bruxelles du 9 juillet. — La Libre Parole y revint, le 11 août, à la veille de la déposition de Mercier : « Ces lettres, adressées à un jeune diplomate de Berlin, étaient tombées en la possession du Service des renseignements. Elles sont au nombre de 43. Le général Mercier en a gardé 3. Les 4° autres ont été confiées à quatre personnes différentes et dont on est absolument sûrs » L’article est intitulé : « Ce que dira le général Mercier. »
  76. Cornély, dans le Figaro du 24 juin et du 6 juillet 1899. — J’étais moins « optimiste », mais je l’étais aussi. De même Guyot et Jaurès : « Le jugement du conseil de guerre ne peut être qu’une formalité. » (Siècle du 16 juin.) « Quelle que soit la passion mauvaise ou lâche des officiers, ils seront obligés de proclamer l’innocence du martyr. » (Petite République du 30.) — On doit faire la part, dans les articles et les propos d’alors, à la nécessité, qui s’impose aux meneurs de l’opinion, de donner confiance à leurs troupes ; des pronostics de défaite n’ont jamais encouragé personne.
  77. Lettre du 16 juillet.
  78. Selon Mornard, « la Cour de cassation avait posé à la juridiction de renvoi la question de savoir si Dreyfus avait commis le crime à lui imputé en livrant des notes et des documents mentionnés dans le bordereau sus-énoncé, ce qui aurait exclu la possibilité légale, pour les juges militaires, d’imputer à Dreyfus la confection matérielle du bordereau. » (Cass., IV, 233, 239.) Ce n’est l’avis ni du conseiller Boyer ni du procureur général Baudouin qui s’appuyent sur le texte même de l’arrêt : « Attendu que ces faits tendent à démontrer que le bordereau n’aurait pas été… etc. » Mornard lui-même écrit : « L’arrêt précise deux choses : d’une part, les prétendus aveux n’existent pas ; d’autre part, le bordereau apparaît comme n’ayant pas été écrit… » (IV, 232.)
  79. « On a tendu, osent-ils dire, un piège au conseil de guerre. On ne livre à son arbitrage souverain que le bordereau. La justice militaire, par conséquent, limitée dans son action, n’est plus libre. » (Duruy, dans le Figaro du 11 juin 1899.)
  80. Note de l’Agence Havas du 20 juillet. — Les instructions furent transmises à Carrière par la voie hiérarchique. (Procès Dautriche, 649, Galliffet.)
  81. Discours du 26 juin 1899.
  82. Articles 27 et 274 du Gode d’instruction criminelle.
  83. Manifeste du Comité de la Ligue, 12 juillet 1899.
  84. Discours du 6 juillet au banquet des républicains progressistes.
  85. Aurore du 21. — La Libre Parole du 22 reproduisit l’article (sous ce titre : « La gaffe de M. Clemenceau »), l’opposa à « la mesure d’étouffement du trio Waldeck-Millerand-Galliffet » qui « s’était strictement conformé aux injonctions de Boule-de-Juif ». Selon Drumont, « la note gouvernementale semblait avoir été découpée dans la feuille à Reinach où Yves Guyot avait écrit : « L’arrêt est limitatif et le conseil de guerre est obligé de s’y conformer. »
  86. Mazeau était, au contraire, de l’avis de Clemenceau ; il se prononça pour le débat le plus étendu. (Écho du 26 juillet 1899.)
  87. « Il nous faut la grande lessive. » (Harduin, dans le Matin du 21.) — Les journaux nationalistes constatèrent que « la note du gouvernement avait un effet tout contraire à celui qu’elle semblait se proposer ; personne ne veut de cet étouffement, tant il paraît monstrueux ». (Gaulois du 22.)
  88. Cass., I, 285, Risbourg. — Voir t. Ier, 414.
  89. Voir p. 180.
  90. 25 juillet 1899.
  91. Les citations furent envoyées le 3 août.
  92. Plaidoyer de Labori, du 29 juin 1904, pour Val-Carlos contre Rochefort.
  93. Temps du 2 août 1899.
  94. « Par un sentiment de réserve, peut-être exagéré, mais louable… » (Jean-Bernard, Le Procès de Rennes, 172.)
  95. Voir t. III, 464.
  96. Les journaux ayant raconté que Carrière s’était adjoint un avocat de Rennes, la Sûreté demanda des renseignements au préfet qui démentit la nouvelle.
  97. Article 445 du Code d’instruction criminelle.
  98. Au jury, selon Mornard, parce que le conseil de guerre, comme le jury, n’est pas tenu de motiver ses arrêts. (Cass., IV, 235.) Au tribunal correctionnel, selon Boyer (20), « parce qu’il est uniquement question, au dernier paragraphe de L’article 445, des affaires soumises au jury ». De même Baudouin (127).
  99. La salle était entièrement aménagée (28 juillet 1899) quand les réclamations se produisirent.
  100. « Il serait honteux, écrivait Labori, que le gouvernement n’imposât pas une solution qui sera approuvée de tous. Il nous doit vraiment au moins cela. « (1er  août.)
  101. L’inspection académique essaya de s’y opposer alléguant que « la comparution de Dreyfus dans une des salles du lycée nuirait au développement de cet établissement, déjà menacé par les maisons religieuses ».
  102. Matin du 18 juillet 1899. — Carrière fit saisir l’article aux bureaux du journal. (4 août.)
  103. 25 juillet.
  104. Il donna la même explication à Krantz, lui raconta comment, à la suite des aveux d’Henry, il avait demandé sa mise à la retraite : « Après l’avoir entendu, je me suis absolument refusé à le déplacer. » (Chambre des députés, 7 avril 1904, Krantz.)
  105. Voir t. III, 619.
  106. « Il a été convaincu de mensonge grâce à la production de la copie d’une pièce accusatrice qu’il croyait en lieu sûr. » (Lettre de Picquart, du 16 juillet 1901, au général André.) La lettre (du 6 mai 1899) figurait au dossier du procès en réparation de M. Monnier contre sa femme (Aurore du 1er  juillet 1899) ; Mme Monnier m’en remit la copie que je transmis à Galliffet.
  107. 5 juin-30 juillet 1899.
  108. Ordre d’informer (du 3 juin 1899) pour : 1° faux Speranza (télégramme) ; 2° faux Blanche (télégramme) ; 3° faux Blanche (lettre) ; 4° faux Weyler ; 5° faux Henry ; 6° communication à un journal de la pièce Ce canaille de D… ; 7° communication du document libérateur à Esterhazy ; 8° faits qui pourront éventuellement être découverts. — La cinquième charge n’avait été produite que par Cuignet, (Voir t. IV, 470 et 471.)
  109. Voir t. IV, 382.
  110. 17 juin, 13, 15 et 25 juillet,
  111. Valdant (3 juillet). De même Lauth et Junck.
  112. 6, 7, 26 juin, 21 juillet.
  113. « Je me réserve de produire ces notes devant les juges, s’il y a lieu. » (7 juin.)
  114. L’expertise avait été confiée à Léopold Delisle, membre de l’Institut, Omont et Guérin.
  115. De Hamamet, 9 août 1899 : « Je vous envoie ci-joint une lettre de mon frère dont, à titre d’ancien abonné à la Lanterne, je vous demanderai de publier l’entrefilet marqué au crayon rouge. Après le mot « gens » vous pourriez mettre « coquins » qui est le mot primitivement écrit… Il faut que la presse force le conseil de guerre à interroger mon frère par commission rogatoire, sinon Gonse et Cie mentiront. » La lettre de Du Paty, du 2 août, et celle de son frère (dont j’ai eu les originaux entre les mains) circulèrent à Rennes ; la Lanterne publia celle de Du Paty.
  116. Rennes, II, 826, Mercier. — Voir p. 297.
  117. Lettre du 3 mai 1899 à son frère : « Tu me parles toujours des lettres de l’Empereur et Roi ; je dois te dire que c’est une craque dont on n’a jamais osé me parler, si tant est qu’elle ait jamais été réellement commise. »
  118. 8 juillet 1899. — Decrion fut condamné à trois ans de prison, ses complices Le Rendu et Groult à deux ans et à dix-huit mois. — Voir t. IV, 169 et 517.
  119. Voir t. Ier, 25.
  120. Novembre 1898.
  121. 26 juillet 1899. — Cette enquête avait été organisée, sur mes indications, par la directrice de la Fronde, Marguerite Durand, qui me transmettait les lettres de l’informateur ; c’était un ancien agent secret de la Sûreté générale qui fréquentait dans le monde des journaux sous le nom de Gaston.
  122. Procès Dautriche, 162, François. — Le récit de François, d’après la Bastian, est conforme sur presque tous les points à la note qui me fut communiquée par Marguerite Durand et que j’ai résumée dans ma déposition devant la Cour de cassation (2 mai 1904).
  123. Procès Dautriche, 527, Hennion : « Ce sont des gens qu’on emploie par instants, qu’on liquide quelquefois, pour reprendre plus tard, quand on en a besoin. »
  124. L’incident n’en fut pas moins connu, relaté, d’ailleurs inexactement, dans le Temps (28 juillet 1899) et la Libre Parole (10 août). Brücker avait été précédemment mis en cause par Esterhazy (Matin du 20).
  125. Procès Dautriche, 161, François.
  126. Ibid., 628, Desvernines.
  127. Je tiens ce récit de Puybaraud, peu après le procès de Rennes ; Sardou et le comte de Fiers, qui assistaient à l’entretien, en ont déposé, ainsi que moi, au second procès en revision. Sardou avait fait faire en outre une enquête sur le séjour de la Bastian à Marly. — Procès Dautriche, 509, 510, Cavard : « C’est un agent de la Guerre, Desvernines, qui a amené Mme Bastian avec un agent de la Guerre que je ne nomme pas, parce que ce n’est pas un agent officiel, à Marly… Desvernines me l’a déclaré par écrit… Il m’a dit : « C’est moi, pour le compte de la Guerre. » — Desvernines convient qu’il conseilla à la Bastian de quitter l’ambassade et qu’il la conduisit à Marly (629) ; cependant « elle ne fut jamais séquestrée ». — François raconte ces incidents à peu près de la même manière, mais proteste « qu’il ne fut pour rien » ni dans le départ de la Bastian de l’ambassade ni dans son « internement » à Marly (161, 165, 517 et 518). La « ramasseuse » arriva à Marly le 2 août (récit de Sardou) ; selon François, le 25 juillet (166). (Or, le 26, elle était encore à Paris, où elle reçut la visite qui a été racontée plus haut.) Dans un autre interrogatoire (518), François donne la date du 22 ou du 25 août : « Le 25, on savait très bien que Mme Bastian n’avait plus rien à faire à Rennes. » — 646, Galliffet : Je suis sûr que je n’ai pas enlevé Mme Bastian et je suis sûr aussi qu’aucun de ces messieurs ne l’a enlevée. »
  128. Récit de Puybaraud.
  129. Rennes, II, 23, Rollin ; Procès Dautriche, 160, François : « Le procès de Rennes approchait sans que nous ayons eu à nous mêler en quoi que ce soit de l’affaire Dreyfus. » — Voir p. 65 et 474 le rôle de Rollin et de François dans l’incident Lajoux.
  130. Voir t. IV, p. 476 et suiv.
  131. François raconte (Procès Dautriche, 164) que Galliffet lui parla de la Bastian, « qui avait disparu », et lui dit d’aller chez elle ; il répondit : « Il y a une façon conventionnelle de frapper chez elle ; et puis elle ne me connaît pas ; enfin elle a un revolver à portée de sa main. Il y a quelque chose de plus simple ; nous avons un intermédiaire… » Bref, des prétextes. « J’ai su plus tard que Mme Bastian était allée à Marly ; je n’y étais pour rien. Et la Sûreté ne m’a demandé aucun renseignement. »
  132. Libre Parole du 10 août 1899.
  133. Procès Dautriche, 531, François ; 625, Desvernine ; 635, Brücker.
  134. Rennes, I, 589, Gribelin : « Je n’apprécierai pas cette démarche de cet agent, de ce fonctionnaire, mais je l’ai indiquée au conseil qui en tirera la conclusion qu’il croira devoir en tirer. » I, 610, Lauth : « Il a été l’objet d’une tentative de la part d’un agent officiel du gouvernement. » Les faits furent rétablis par Tomps ; il produisit une lettre de Brücker, du 29 juillet 1899, qui confirmait son récit (III, 367). — Brücker écrivit à Tomps « qu’il avait été surpris avec lui et avait été tancé en conséquence ». (Procès Dautriche, 536, Tomps ; 538, François.)
  135. Galliffet m’écrivait, le 17 juillet : « Mon cher ami, vos amis, trop susceptibles, trop pressés, compromettront toutes les chances de l’accusé. Au talent des défenseurs, il faut joindre certains procédés qui appartiennent au gouvernement et surtout au ministre de la Guerre. W. R. le sait aussi bien que moi… Je quitterais plutôt que de m’exposer à perdre la partie par la maladresse des autres. Vous savez que je n’ai pas recherché l’emploi et que je ne l’ai accepté que sous condition de liberté absolue. » — J’ai déposé cette lettre au procès en revision.
  136. À l’occasion du déplacement du colonel de Saxcé, le général Julliard avait fait lire aux troupes un ordre du jour où « il rendait hommage aux brillantes qualités qui lui avaient valu l’entière confiance de ses chefs ». Galliffet dut inviter Julliard à se montrer plus réservé. (11 juillet.)
  137. Le Journal officiel mentionne ainsi cette nomination : « 28e régiment de dragons, Lauth (Jules-Maximilien), chef d’escadron breveté ; 23 ans de service, 2 campagnes. » Galliffet fit observer que Lauth n’avait été l’objet d’aucune mesure disciplinaire et qu’aucune accusation précise n’avait été formulée contre lui.
  138. Voir p. 213, note 1.
  139. Voir p. 186.
  140. 7 juillet 1899.
  141. Il lui offrit, en effet, trois mois après, le commandement du XIXe corps, Algérie ; mais Zurlinden commença par lui déclarer « qu’il préférait ne pas recevoir ce commandement » et, quand il se ravisa, un peu plus tard, l’emploi était donné. (Chambre des députés, séance du 14 novembre 1899, discours de Galliffet.) Le député Grandmaison ayant écrit à Waldeck-Rousseau qu’il l’interpellerait, à la rentrée, sur le déplacement de Zurlinden, qui aurait été « exigé » de Galliffet, celui-ci en revendiqua la responsabilité dans une note officielle. (13 juillet 1899.)
  142. Notamment au Tonkin, où il fut promu général de division au lendemain des affaires de la Porte de Chine, de Dang-Bo et de Lang-Son.
  143. Au banquet de Gennetine, dans le discours qu’il tint à Félix Faure, après les manœuvres. (Voir t. IV, 267.)
  144. 24 juin 1899. — Le ministère avait été constitué le 22.
  145. Chambre des députés, 14 novembre 1899, Galliffet : J’ai fait venir immédiatement le général de Négrier et, ces explications m’ayant paru insuffisantes, je l’ai invité à me les donner d’une façon plus complète. Dans l’explication qu’il m’a fournie, le général de Négrier varia un peu les termes de la communication » (telle qu’elle avait été dénoncée à Galliffet). — J’ai reproduit les principaux passages de l’allocution de Négrier d’après sa propre explication écrite. Galliffet n’en ayant donné que partiellement lecture à la Chambre, dans cette séance du 14 novembre, le texte in extenso fut porté à la tribune par le lieutenant-colonel Guérin.
  146. Décret du 25 juillet 1899. — Le même jour, Galliffet frappa de soixante jours d’arrêts de rigueur le capitaine Guyot de Villeneuve. Syveton, professeur d’histoire à Reims et trésorier de la Ligue de la Patrie française, ayant été invité à rejoindre son poste, avait critiqué devant ses élèves l’ordre du ministre (Leygues) et déclamé au sujet de l’Affaire. Le conseil académique l’ayant alors suspendu de ses fonctions, Guyot de Villeneuve lui adressa une lettre de félicitations et un chèque de 4.800 francs, montant de son traitement.
  147. Brunetière, dans la Revue des Deux Mondes du 1er  août : Il n’est pas fier des besognes qu’il se croit forcé d’accomplir. Pourquoi forcé ? Et forcé par qui ? » — Chambre des députés, 14 novembre. Galliffet : « Les commandants de corps d’armée sont responsables seulement devant le ministre… À droite : Et Reinach ? »
  148. Voir t. IV, 570.
  149. Haute Cour, 7 décembre 1899, Lépine. — Voir p. 183.
  150. Ibid., I, 32, 33, 37, rapport Hennion.
  151. Rapports des 8, 23 et 26 juillet : « Déroulède avait formellement recommandé de ne pas annoncer à la presse son départ pour Rennes. La note à ce sujet ne devait être communiquée que lorsque Déroulède serait arrivé. Il s’est montré très irrité de ces indiscrétions et en accuse Galli. On envoie Dubuc (de la Jeunesse antisémite) à Rennes. »
  152. 8 juin, 2, 16 et 30 juillet 1899.
  153. Et encore : « Le coup de force, pour le moment, ne peut réussir qu’à une heure non définie. La Révolution de demain s’accomplira par l’union de l’armée et de la rue. (Cris de : « Vive Marchand ! » et de : « À bas Reinach ! ») Les paroles violentes sont un danger. Il ne faut pousser des cris que lorsqu’on est prêt à passer aux actes… Moi, je marcherai. » (Compte rendu sténographique du Gaulois.) — Les autres orateurs de ces réunions, Thiébaud, Marcel Habert, Syveton, tinrent à peu près le même langage ; Millevoye ajouta : « Si un jour nous sommes obligés d’aller à la frontière, nous ne garderons derrière nous ni les Reinach, ni les sous-Reinach. »
  154. Anatole France, Monsieur Bergeret, 378 : « Chacun d’iceulx frappant avec cuiller à pot sur trublio ce qui est à dire marmite de fer et casserole en françois… »
  155. La Gazette de France publia, le 10 juillet, le rapport du préfet de police Blanc (de mars 1899) sur les menées royalistes et l’affaire de Reuilly. Buffet ayant refusé de dire s’il avait ou non donné de l’argent à Guérin et à Déroulède, Guérin niant qu’il fût allé à Marienbad chez le duc, Déroulède protestant qu’il n’avait pour but que de substituer la République plébiscitaire à la République parlementaire, et Castellane déclarant que les subventions qu’il avait pu faire aux ligues ne regardaient personne, les journaux les plus avisés conclurent « à l’inanité de tous les complots et attentats dont on nous rebat les oreilles ». (Temps du 12 juillet.)
  156. Voir t. IV, 582 et 589.
  157. Haute Cour, I, 127, lettre d’E. Berger au colonel Villot : « Beaucoup de républicains sont dégoûtés : mais ils ont tant proclamé leur loi républicaine qu’ils ne peuvent se déjuger sans transition. Il faut donc les amener au plébiscite par degrés et sous le couvert de la République. »
  158. Compte rendu du Gaulois.
  159. Michelin, secrétaire de la Jeunesse royaliste, dans le Gaulois du 18 juillet 1899.
  160. Écho du 10.
  161. On fit courir, à la Bourse du 27, le bruit que plusieurs membres du conseil supérieur de la Guerre et le premier président de la Cour de cassation étaient démissionnaires. L’ouverture d’une enquête de police et l’annonce d’une instruction judiciaire calmèrent les spéculateurs. — Le 5 août, le fondé de pouvoirs d’un agent de change écrivait à Thiébaud : « La baisse de la rente a produit un gros effet… Il n’y a pas de gouvernement qui puisse surmonter de pareilles émotions… Si le Petit Journal voulait donner un coup de pouce, ça irait, à merveille. » (Haute Cour.)
  162. Manifeste du 12 juillet 1899 « à la France ouvrière et socialiste », signé de Guesde, Delory, maire de Lille, Lafargue, Baudin, Roldes, et de vingt-un députés, Bénézech, Bernard, Cadenat, Carnaud, Dufour Ferrero, Ferroul, Krauss, Légitimus, Pastre, Sauvanet, Zévaès, du parti ouvrier, Allard, Breton, Chauvière, Coutant, Létang, Sembat, Vaillant, Walter, du parti révolutionnaire, Dejeante et Groussier, de l’Alliance communiste.
  163. Réunion du 30 juillet à Berlin.
  164. Lettre du 15 août à Gérault-Richard : « Je ne crois pas qu’il se trouve trois personnes, dans notre parti, en dehors de Liebknecht, qui ne seront pas d’accord avec vous. »
  165. Voir p. 7.
  166. Haute Cour, 7 décembre 1899, Lépine.
  167. Haute Cour, I, 31, rapport Hennion.
  168. Ibid., 32, 33, 34 et 35.
  169. Ibid., 33.
  170. Ibid., 34 ; IV, 46 et suiv. ; VII, 15, Lépine.
  171. Le cocher de Louis Guérin ayant bavardé dans un cabaret je fus informé de ses propos par une lettre anonyme que je communiquai au préfet de police ; la surveillance ostensible qu’il organisa suffit à empêcher l’opération. Selon Spiard (Coulisses, 212), on devait « me conduire en banlieue, dans une villa à l’abri de toute indiscrétion ». Les renseignements de la Préfecture indiquaient que j’aurais été enfermé au fort Chabrol « où deux chambres ou cellules avaient été récemment construites ». (Haute Cour, IV, 48, rapport Debric). Guérin convint qu’on appelait ces cellules « la cage à Reinach », « mais c’était par manière de plaisanterie ». (Audience du 20 novembre 1899.)
  172. Galli, Déroulède, 123.
  173. Haute Cour, I, 33, rapport Hennion.
  174. Ibid., 31 : « Le 14 juillet, à 6 heures du matin, Barillier est allé trouvé le commandant Marchand chez lui de la part de Déroulède. Il l’a embrassé au nom du président de la Ligue des Patriotes. Il paraît que le commandant aurait répondu : « Dites à Déroulède que je l’aime et que je suis avec lui. » — 28 juillet : « Galli est allé porter au général de Négrier une lettre de Déroulède. Bonnamour, pour la Patrie Française, avait, de son côté, porté au général une lettre de Coppée et de Lemaître. »
  175. Ibid., II, 33 : « Déroulède profitera, très probablement, soit du jour où le général Mercier déposera, soit du jour où le verdict sera rendu dans l’affaire Dreyfus. » (Rapport du 6 août. — Voir p. 308.)
  176. Discours du 6 juillet 1899.
  177. Discours du 31.
  178. Discours du 16.
  179. Voir p. 306.
  180. Discours du 31 juillet : « S’il me m’était pas démontré que Dreyfus est innocent, il n’est pas de crainte de guerre, pas de puissance au monde qui empêcherait de prononcer un verdict de condamnation. » — L’allusion est évidente.
  181. C’était le conseil que donnait également Thiébaud (Éclair du 25 juillet 1899), en raison des instructions de Galliffet sur le débat « limité » : « C’est un traquenard dont le conseil de guerre ne brisera l’artifice que par un coup d’éclat, par le refus de siéger ou le refus de juger. » De même la Croix du 26.
  182. Haute Cour, V, 159, acte d’accusation : « Les journaux annoncent pour le 12 ou pour le 14 des incidents au conseil de guerre de Rennes qui provoqueront un mouvement dans la rue et auront certainement à Paris leur répercussion. » De même, rapport du commissaire spécial de Lille sur les propos des meneurs royalistes. (II, 75.)
  183. Discours du 6 : « En face d’un gouvernement agenouillé devant l’étranger. »
  184. Le 3 août, à la suite d’une communication de Ferlet de Bourbonne, le Petit Caporal annonça qu’il publierait le lendemain « une information des plus graves sur la pièce secrète du procès Dreyfus. Cette communication traite aussi, avec une compétence particulière, la question des actes personnels de l’Empereur d’Allemagne dans cette affaire. Nous croyons que la lecture d’une telle communication peut jeter sur le drame qui va se dérouler à Rennes un jour nouveau. » Firmin Faure, député antisémite d’Oran, courut aussitôt chez Cunéo pour le prier, au nom de Mercier, de n’en rien faire. Le lendemain, le Petit Caporal annonça que sur les « instances d’un personnage, dont le nom était intimement mêlé à l’affaire Dreyfus et qui était appelé à se rendre à Rennes pour déposer, il avait consenti, dans l’intérêt de la justice, à priver ses lecteurs d’un article vraiment sensationnel et dont tous les termes étaient, on en avait reçu l’affirmation catégorique, l’expression de la vérité. Cette vérité sera du reste démontrée, au cours du procès, d’une façon irréfutable, par le témoin auquel nous faisons allusion. »
  185. Voir p. 306.
  186. Haute Cour, I, 32, rapport du 6 août 1899 ; VII, 78, Bottier, commis de Barillier, convient de propos analogues, mais qu’il cherche à atténuer. Les témoins Lefèvre, Menu et Blanc reconnaissent avoir été convoqués par Barillier.
  187. Voir t. IV, 337.
  188. 21 juillet. Haute Cour, V, 164 ; VI, 56. Ramel prétendit avoir égaré la lettre du prince « relative à un comité de propagande ».
  189. Ibid., acte d’accusation, 159 ; VII, 15, et séance du 7 décembre 1899, Lépine.
  190. Ibid., II, 75, rapport du commissaire spécial ; 120, lettre de Bérard au colonel de Parseval, etc.
  191. Salluste, Catilina, lii : « Res autem monet cavere ab illis, quam quid in illos statuamus consultare. Nam cetera tantum persequare, ubi facta sunt ; hoc nisi provideris ne accidat, ubi evenit frustra judicia implores. »