Histoire de l’Affaire Dreyfus/T4/7

Eugène Fasquelle, 1904
(Vol. 4 : Cavaignac et Félix Faure, pp. 546–615).

CHAPITRE VII

MORT DE FÉLIX FAURE

La dernière journée de Félix Faure, 546. — Le prince de Monaco, 547. — Mort du Président de la République, 551. — Versions contradictoires : « Caseria », 553. — II. Article de Clemenceau, 554. — Brisson déclare qu’il ne sera pas candidat à la présidence de la République contre Loubet, 555. — Le Sénat et les groupes républicains de la Chambre proclament la candidature de Loubet, 557. — Méline et les progressistes, 558. — Le duc d’Orléans à San-Remo, 559. — Conspirations royalistes, 560. — Projet de lettre au général Metzinger et projet de proclamation du Duc, 561. — Les bouchers de la Villette à Bruxelles, 562. — Articles de Quesnay et de Lemaître contre Loubet, 563. — III. Séance de l’Assemblée nationale, 565. — Élection de Loubet, 566. — Violentes manifestations à son retour à Paris, 567. — Harangue de Déroulède à la place des Pyramides, 569. — La police avertie qu’il tentera un coup le jour des obsèques de Faure, 570. — IV. Message de Loubet, 571. — Plan d’un coup de force combiné par Déroulède et Marcel Habert, 572. — Déroulède « ne veut pas marcher à moins d’un général » ; Pellieux, 575. — La Ligue réclame et obtient une place dans le cortège de Faure, 578. — Dupuy retire l’autorisation qu’il a accordée aux Ligueurs, 579. — Nouvelles instructions de Déroulède ; affiche de la dernière heure, 581. — V. Complots parallèles des royalistes, 582. — Le duc d’Orléans projette de passer la frontière ; le médecin de Longuyon, 583. — Argent recueilli par la baronne de Waru, 584. — Préparatifs de Guérin, 586. — Dépêche de Buffet au duc d’Orléans, 587. — Castellane chez Déroulède, 589. — Guérin averti par Castellane des desseins de Déroulède, 590. — VI. Obsèques de Faure, 592. — Pellieux renonce à tenter un coup, 593. — Zurlinden, à sa demande, l’autorise à rentrer directement chez lui, 594. — « Tête à gauche, Kermartin ! », 595. — Déroulède et Barrès à la place de la Nation, 596. — Les bandes de Guérin, 597. — Arrivée de Roget sur la place, 598. — Déroulède se jette à la tête du cheval de Roget, 600. — Sa tentative pour entraîner le général à l’Élysée, 601. — Roget refuse de suivre Déroulède, 602. — Il ramène sa troupe à la caserne de Reuilly, 603. — Déroulède et Habert le suivent dans la cour de la caserne, 605. — Ils refusent de se retirer et demandent à être arrêtés par les soldats, 607. — Propos qu’ils tiennent aux soldats et aux officiers, 609. — Le général Florentin les fait arrêter ; ils brûlent leurs papiers, 610. — Kerdrain les prévient qu’ils peuvent s’en aller ; ils s’y refusent à nouveau, 611. — Rapport de Roget à Zurlinden, 612. — Dupuy traîne pendant plusieurs heures avant de faire arrêter Déroulède et Habert par Cochefert, 613. — Inculpation dérisoire, 614. — Dépêches de Buffet et du duc d’Orléans, 615.




I

Le 16 février, Félix Faure, se sentant las dès le matin[1], ne monta pas à cheval, comme il en avait l’habitude, avant le Conseil. Les exercices physiques, dont il eut toujours le goût, l’avaient maintenu longtemps en forme, et, comme il mettait naturellement du ridicule dans tout, il avait étalé jusqu’en ces derniers mois l’orgueil de sa belle santé, une santé « royale ». Dans un livre qu’il avait fait paraître sur le château de Rambouillet[2], une image le montrait, au retour de la chasse, superbe et gaillard, pendant que ses invités, militaires et civils, traînaient la jambe. Il demanda à cette jeunesse artificiellement prolongée plus qu’on n’est en droit d’en attendre aux approches de la soixantaine. Mais il cachait avec soin son usure, et il avait fallu une attaque qu’il eut au Havre, à la fin de l’été, pour en avertir son entourage et ses médecins. On l’engagea alors à se ménager. Il n’en voulut rien faire et, chassant, chevauchant, toujours en mouvement, s’acquittant avec conscience des fonctions de sa charge, y satisfaisant sa vanité, un peu épaissi et volontiers congestionné, la parole parfois empâtée, mais plus glorieux et portant plus beau que jamais et, aussi, plus pressé que jamais de jouir de la vie, il rusait avec son mal et l’aggravait.

Après le Conseil, qui s’était prolongé fort tard, il déjeuna gaîment, causa avec Le Gall, le chef de son secrétariat civil, et donna audience, comme à l’ordinaire. Il reçut d’abord le cardinal Richard[3], puis le prince de Monaco qui revenait de Berlin, où il s’était entretenu de l’Affaire avec l’Empereur allemand[4]. C’était l’attestation formelle de l’Empereur au sujet de Dreyfus et d’Esterhazy que le prince venait répéter au Président. Comme ce n’était pas la première tentative qu’il faisait près de lui, il savait d’avance qu’il serait mal écouté[5], mais il le fut plus mal encore qu’il ne s’y attendait. Faure, contrairement à l’étiquette dont il avait la superstition, marchait à grands pas dans son cabinet et, les pommettes rouges, son œil glauque, éclairé par une colère mal contenue, la voix hésitante, il répétait qu’il ne voulait rien entendre et que cette affaire ne le concernait pas. Le prince, qui oubliait volontiers son rang pour n’être qu’un homme compatissant et généreux, insista jusqu’au point où il serait sorti de la réserve que lui commandait la situation. Il se retira enfin, non sans laisser percer quelque chose de sa déception ; Faure signa les décrets que lui présenta le général Bailloud et dit que ses audiences officielles étaient terminées.

Il était alors un peu plus de 5 heures[6].

Environ une grande heure après, Le Gall et les officiers de service, qui se tenaient dans des pièces voisines, entendirent des cris qui venaient de la rotonde, à l’aile gauche du rez-de-chaussée du palais, où était le cabinet du Président.

Saint-Simon raconte la mort de l’archevêque de Paris, Harlay de Champvallon, d’une santé flétrie, mais qui n’en recevait pas moins « toutes les après-dînées sa bonne amie la duchesse de Lesdiguières », « et toujours tous deux seuls ». Son maître d’hôtel, venant l’avertir qu’il était servi, « le trouva sur un canapé, renversé », et sans vie. La duchesse s’était esquivée, et sans appeler à l’aide. « Le P. Gaillard fit son oraison funèbre à Notre-Dame » ; la matière était plus que délicate et la fin terrible[7].

Cette fin de Félix Faure fut plus terrible encore, car ces cris, auxquels les officiers s’étaient précipités, ce n’était point lui qui les poussait, et son agonie se prolongea encore pendant trois heures.

Nul remède même appliqué immédiatement, n’eût pu le sauver. L’« hémorragie cérébrale foudroyante[8] », dont il avait été frappé, n’en comporte point ; l’artère de l’hémorragie, comme l’a appelée Charcot, quand elle se rompt brusquement, inonde de sang les cavités du cerveau, et ce sang, comme l’eau d’un torrent qui a brisé ses digues, détruit tout sur son passage. L’homme tombe d’une chute soudaine, « insensible », sans connaissance, « avec ou sans convulsions », ses membres « inertes, immobiles », toute la moitié du corps paralysée (« du côté opposé à l’hémisphère lésé »), la respiration profonde et bruyante, le cœur qui bat avec précipitation, « les traits tirés d’un côté, le regard fixe, sans expression ».

Un médecin, le docteur Humbert, qui se trouvait à l’Élysée, en visite chez l’un des officiers d’ordonnance, son cousin[9], aurait cru d’abord à une syncope[10], ou il le laissa dire pour permettre d’expliquer qu’on n’était pas allé chercher aussitôt Mme Faure, Il fallut d’abord réparer un tel désordre, donner aux êtres et aux choses une apparence qui empêchât de reconnaître la vérité. Tout cela prit du temps. On avait étendu Faure, qui râlait, sur un matelas au milieu de la chambre. Des propos touchants lui ont été prêtés : « Je pardonne à ceux qui m’ont offensé… Mon bon Clerh (son maître d’hôtel), je vous ai parfois bousculé ; pardonnez-moi, je vous aimais bien… (À son valet de chambre) : Voyez ce qu’un homme est peu de chose, même quand il est Président de la République[11]… » ; à peine s’il put bredouiller quelques mots qu’on devina plutôt qu’on ne les entendit. Vers 7 heures et demie seulement, on téléphona aux médecins ordinaires, Bergeron, qui arriva le premier, Potain, Cheurlot, Lannelongue ; celui-ci, dès qu’il eût envisagé le Président, eût un geste qui le jugeait sans espérance. Faure, peu après, « tomba dans le coma[12] ».

On envoya alors prévenir Dupuy, et Lannelongue lui-même se rendit chez lui, pour lui annoncer que la mort était imminente. Il s’écria, pensant à Carnot, que c’était le second Président de la République qui mourait pendant qu’il était au pouvoir[13]. Quand il se transporta à l’Élysée, il y trouva les autres médecins, dont le pronostic fut le même que celui de Lannelongue, et la famille, qu’on avait enfin pu avertir[14], Mme Faure, abîmée dans la douleur, ses filles en prières. Il prit la main du Président, lui demanda s’il le reconnaissait, et ne reçut aucune réponse. Par acquit de conscience, les médecins avaient essayé de quelques révulsifs, mais rien n’y fit. Le pouls s’affaiblissait de minute en minute, et l’œil, vitreux, ne voyait plus. Un garde, qui fut dépêché au curé de la Madeleine[15] et qui avait compris que le temps pressait, arrêta le premier prêtre qu’il rencontra dans la rue, l’abbé Renault, professeur à la maîtrise de Notre-Dame et aumônier du Dépôt, et lui dit de courir à l’Élysée. L’abbé ne put administrer que le sacrement de la pénitence, quelques minutes avant la fin (10 heures du soir). L’abbé Herzog arriva trop tard avec les saintes huiles[16].

La nouvelle, aussitôt connue, télégraphiée partout, causa beaucoup moins d’émotion que de surprise. On croyait toujours à sa robuste santé ; le secret sur la sclérose des artères dont il était atteint avait été bien gardé. Mais il avait ruiné lui-même la popularité que lui avaient value, au début de sa présidence, sa bonne grâce, la légende du petit tanneur et les premiers feux de l’alliance russe. Il ne fut regretté que d’un petit nombre d’amis particuliers et des nationalistes, pour qui il avait fabriqué la loi de dessaisissement et qui comptaient sur lui pour empêcher jusqu’au bout la Revision ; Esterhazy écrivit que la mort de Faure était pour lui « un coup terrible[17] ». Les revisionnistes le tenaient pour leur ennemi le plus dangereux, bien qu’il ne travaillât que dans l’ombre, et s’étaient longtemps étonnés que, sorti du peuple, fils d’un ouvrier, ayant vu de près les malheureux, il fût si dur à la plus effroyable des misères humaines ; les républicains, à l’exception des ultra-modérés, lui en voulaient de ses compromissions avec les ennemis de la République ; et le gros de la nation avait fini par s’amuser de cet immense « Monsieur Jourdain » qui jouait au souverain et se croyait de la race des Empereurs, avec qui il échangeait des visites, et des grands ducs, qui s’asseyaient à sa table. Enfin, le mystère de sa mort, qui fut bientôt percé, ajouta à son discrédit. Les récits officiels étaient si maladroits et si contradictoires qu’ils mirent aussitôt les imaginations en travail. Il n’y avait d’éclipse de bon sens que lorsqu’il s’agissait de Dreyfus. Il était inadmissible « que cet homme, frappé d’« apoplexie foudroyante », au dire des médecins, « se fût précipité vers sa porte », comme le racontait Le Gall, pour appeler ce fidèle serviteur ; que, brutalement terrassé comme il le fut, ou dans le coma qui vint si vite, il eût prononcé tant de belles paroles chrétiennes ; que sa famille eût été avertie si tard, s’il n’y avait pas eu quelque chose à cacher. Des domestiques, des soldats du Palais bavardèrent. On sut, dès le lendemain, qu’une femme était partie par une porte dérobée, avant l’arrivée des médecins, et qui elle était. Les gens qui aiment à compliquer racontèrent qu’il était mort « dans une maison amie » et que son cadavre avait été ramené clandestinement à l’Élysée. Cependant ces rumeurs se seraient peut-être dissipées si Drumont n’avait fait sienne cette version de la catastrophe, et pour y ajouter une de ses inventions ordinaires : « qu’une odeur de meurtre s’exhalait de ce cercueil », que « Dalila » était à la solde des juifs, et que « la main gracieuse, qui avait tendu à Faure on ne sait quelle délectation, imitait le geste atroce de Caserio, levant son poignard emmanché d’un bouquet… Le hasard a parfois la face du crime[18] ». Aussitôt, on appela l’inconnue du nom de « Caseria », et rien que ce mot, d’une invention à la fois facétieuse et terrible, qui était presque un symbole, suffit à détruire la légende officielle. Marcel Habert, qui faisait l’intérim de Déroulède absent, recommanda de répandre le bruit que « la mort brusque et mystérieuse » de Faure était due aux juifs ; ils l’avaient empoisonné, parce qu’il aurait dit : « La Revision est un forfait judiciaire », et « juré de ne pas le laisser commettre[19] ».

Il avait été un fils vaillant de ses œuvres, peina beaucoup avant de rencontrer la fortune et servit bien la République tant qu’il ne s’éleva pas trop haut, où le vertige le prit.

II

Clemenceau connut dans la nuit la mort de Faure et dicta étourdiment : « Cela ne fait pas un homme de moins en France… Je vote pour Loubet[20]. »

Ces quatre petits mots furent exploités furieusement[21] contre le président du Sénat, vers qui tous les républicains, hors les amis de Méline, s’étaient tournés, d’un mouvement presque instinctif, dès qu’ils connurent le drame obscur de l’Élysée.

Il était notoire que Loubet était de cœur avec les revisionnistes, mais manifeste qu’il ne fallait pas faire de lui leur candidat, sous peine d’aliéner ceux des républicains qui résistaient encore à l’évidence et ne voulaient pas se brouiller avec les nationalistes.

Dans la foire présidentielle qui s’ouvrit, dès que Faure fut expiré, et que la sagesse de la Constitution avait limitée à quelques heures, le Centre et la Droite s’armèrent d’abord l’imprudence de Clemenceau qui n’était ni député ni sénateur. Au surplus, Loubet, n’était pas seulement le candidat de l’île du Diable mais on effrayait les timides avec les conclusions de la seconde commission du Panama, le discours de Viviani affiché sur toutes les murailles de France, le vote de blâme (on disait de flétrissure) où il avait été nommé avec Quesnay, Floquet, Rouvier, les parlementaires accusés de s’être compromis dans des affaires financières, et qui avait été rendu à l’unanimité de 515 votants, comme le vote sur le faux d’Henry[22].

Cependant, le sentiment de l’intérêt républicain, presque pareil dans ces circonstances au sens de la préservation de l’espèce, fut le plus fort. Bourgeois, qui s’était associé à ce vote de la Chambre précédente et qu’on croyait l’homme de Brisson, alla des premiers offrir la candidature à Loubet. Aussitôt Brisson, « qui avait été candidat à la présidence contre Carnot, Casimir-Perier et Félix Faure, déclara qu’il ne le serait pas contre Loubet[23], et Dupuy lui-même alla lui dire, bien qu’il grillât d’envie de se porter, qu’il se retirerait devant lui, ce qui simplifia beaucoup les choses. Le courant vers le président du Sénat devint aussi irrésistible que s’il avait été aveugle. Pendant que les gens du centre, les nationalistes et les royalistes s’agitaient, la plupart pour Méline que Drumont avait mis en avant[24], mais qui se dérobait, quelques intrigants pour Deschanel qui s’offrait, quelques retardataires pour Freycinet, d’autres pour Cavaignac, et Alphonse Humbert avec les « indépendants » pour Dupuy qui restait aux aguets, les républicains agirent. Ils savaient Loubet hésitant devant cette lourde responsabilité, préférant au demi-trône ballotté de l’Élysée son bon fauteuil tranquille du Luxembourg, et nullement homme de combat. Mais ils le savaient homme de devoir et qui sauterait le pas, si on lui persuadait que c’était nécessaire à la République. Et, en effet, il était l’homme nécessaire, presque indispensable, non pas tant à cause de ses vertus de solide campagnard, — fils d’une vieille paysanne de la Drôme, de cette bonne race des Dauphinois que les Provençaux appellent les Franciaux[25] et qui, pour les Français du Nord, commencent déjà le midi, — et de ses fines qualités de politique, bourgeois seulement d’hier, avocat avisé, rompu aux petites affaires municipales qui préparent si bien aux plus grandes, resté très provincial, malgré le quart de siècle qu’il avait passé à Paris comme député et comme sénateur, deux fois au pouvoir, plein de sens, indulgent aux hommes par bonté naturelle et par système, vigoureux et délié comme les montagnards, républicain à vingt-quatre carats, ami de Gambetta et de Ferry, mais qui ne s’était jamais fâché avec leurs ennemis, très peuple, avec de la grâce et, même, de la malice dans l’esprit ; mais parce qu’il joignait à tous ces avantages celui de n’avoir pas été mêlé aux récentes querelles des partis et qu’au poste qu’il occupait depuis plusieurs années, où il avait été moins élevé qu’il n’y était monté degré par degré, il incarnait ce Sénat dont le plus grand homme d’État de la démocratie avait dit qu’il serait la citadelle de la République[26] et qui, déjà, l’avait sauvée une première fois.

Il s’agissait donc de faire à Loubet une obligation de devenir le premier de l’État ; l’opération fut vivement menée. À la séance du jour, dès qu’il parut au fauteuil pour annoncer le décès de Faure et la réunion du Congrès qu’il avait, malgré Dupuy, fixée au lendemain, tous les sénateurs républicains se dressèrent et l’acclamèrent par trois fois. Très ému et comprenant le sens de cette manifestation, il prononça l’éloge du mort dans les termes qu’il fallait et, aussitôt, les applaudissements éclatèrent à nouveau et les cris prolongés de « Vive la République ! » à son adresse. Les républicains du Sénat tinrent ensuite une réunion plénière où, tout d’une voix, des plus radicaux aux plus modérés, on proclama sa candidature[27]. Même quelques membres de la Droite se prononcèrent pour lui, un peu par esprit de corps, car tous les présidents avaient appartenu jusqu’alors à l’autre Chambre, et parce que sa probité, son caractère aimable et loyal, inspiraient confiance. Les groupes républicains de la Chambre (les anciens opportunistes, la gauche démocratique, les radicaux et les socialistes) l’acclamèrent à leur tour, et leurs délégués[28], se joignant à ceux des groupes du Sénat, allèrent lui offrir la candidature, qu’il accepta.

Les progressistes de la Chambre, si la passion ne les avait pas rendus proprement imbéciles, eussent fait contre mauvaise fortune bon visage et se seraient mis avec la majorité des républicains. Au contraire, ils s’obstinèrent à porter Méline et se persuadaient qu’ils le feraient passer, comme autrefois Félix Faure, avec l’appoint de la Droite. Méline, plus sage, quand il connut l’acceptation de Loubet, retira la sienne qu’il avait donnée, dans les premières heures de l’après-midi, aux progressistes, au nombre de quatre-vingts environ, que présidait Barthou, et aux ralliés, que présidait le vicomte de Montfort. Il vint, lui-même à une nouvelle réunion de ses amis et leur déclara que « maintenir sa candidature, ce serait provoquer la division des républicains et consacrer la défaite de son propre parti » ; il ne s’y prêterait pas ; il ne se laisserait même pas porter malgré lui, comme l’eussent voulu Henry Boucher, Audiffred et quelques autres qui étaient de véritables enragés de modérantisme. Ils se livrèrent dans la soirée et, encore le lendemain matin à Versailles, à toutes sortes de manœuvres, tinrent réunion sur réunion, envoyèrent des délégués[29] aux présidents des groupes modérés du Sénat, à Loubet lui-même, « dupe, disaient-ils, des radicaux et des dreyfusistes[30] », et adressèrent à la presse des communications équivoques où ils maintenaient Méline[31]. Rien ne les éclaira, ni le refus définitif de Dupuy, qui était homme à savoir d’où soufflait le vent, aux amis qui l’avaient de nouveau pressé ; ni le geste de Barthou, se retirant de son propre groupe et annonçant qu’il allait voter pour Loubet[32] ; ni même, à la dernière heure, le revirement de Cochery et de Charles Ferry qui s’opposèrent, au nom de Méline, à ce qu’on distribuât des bulletins à son nom[33]. Ils s’exclurent eux-mêmes, momentanément, du parti républicain.

Pendant que ces incidents se succédaient, les prétendants se mirent également en campagne.

Le duc d’Orléans, qui se trouvait à San-Remo, y avait reçu, le jour même de la mort de Faure, quelques gentilshommes et ouvriers endimanchés de l’Hérault qu’il harangua d’un discours à la Drumont sur « l’accaparement de la puissance financière » ; il ajouta, pourtant, ce correctif, comme s’il était déjà roi : « Les persécutions, je les laisse au gouvernement qui m’a précédé… », et fit appel à la solidarité de toutes les ligues, patriotes, antijuifs, etc. « pour sauvegarder la vitalité de la nation[34] ». Dès qu’il connut la mort de l’homme qu’il avait contribué à faire Président de la République[35], il se laissa persuader que c’était l’occasion depuis si longtemps attendue : « Notre parti est perdu, avait écrit le baron de Brandois, si rien ne vient lui fouetter le sang[36]. » Maintenant, « la parole était aux actes » et, si Déroulède l’y voulait aider, la partie serait facile à gagner. Le sachant à Nice, il lui fit demander une entrevue, espérant de réussir par son prestige où ses conseillers avaient échoué. Mais Déroulède déclina l’honneur[37] et partit pour Paris. Buffet, qui était en visite chez le duc, y courut de son côté[38].

Ce nouveau refus du grand-maître du patriotisme inquiéta le duc et ses amis encore plus qu’il ne les irrita. Évidemment, Déroulède avait le dessein de confisquer les forces latentes qui tendaient à un coup d’État militaire et il ne voulait partager sa victoire avec personne. Après avoir attendu vingt-huit ans à la porte de la République parlementaire, la perspective de rester en exil sous la République consulaire n’avait rien d’aimable.

Comme on redoutait en outre la concurrence, non moins déloyale, du prince Victor, Chevilly télégraphia au duc de venir en toute hâte à Bruxelles, pour s’y tenir à portée des événements[39].

Tous ces étourdis (Lur-Saluces. Buffet, Sabran, Beauvoir, de Bourbon, Godefroy) avaient beaucoup « conspiré » depuis quelque temps, ou ce qu’ils appelaient ainsi, c’est-à-dire qu’ils en faisaient les gestes. Honnêtes gens dans le commerce ordinaire, ils avaient mis de côté tout scrupule, et tout moyen leur paraissait bon « pour étrangler la gueuse », selon la vieille formule de Changarnier. L’intention criminelle (aux termes de la loi) y était donc, et ils s’en faisaient gloire. Mais les grands conspirateurs classiques qu’ils se targuaient de continuer, un Retz ou un Blanqui, n’auraient pas ménagé leur dédain pour une façon de faire qui était à l’opposé de ce qu’il eût fallu, l’attente d’un grand événement imprévu au lieu de la préparation profonde d’un accident certain, des bavardages presque publics, et une manie d’écrire qui était comparable à celle d’Esterhazy. Ils n’avaient des maîtres de l’art du complot que la faculté de s’illusionner, Quand ils avaient rédigé le brouillon d’une lettre au général Metzinger pour l’engager à mettre son épée au service du Roi[40], ou d’une proclamation de Philippe à son entrée dans le royaume de ses pères[41], ou des décrets de nomination d’un tas de fonctionnaires, « pour ne pas être pris au dépourvu comme les gens du 4 septembre », ils croyaient ces bons serviteurs en place, le général en marche et le prince dans ses Tuileries reconstruites. Quelques mauvais garnements qu’ils avaient recrutés n’auraient nullement répugné « à décerveler d’ignobles youpins avec des bayados[42] », mais, eux aussi, ils écrivaient et « gueulaient » plus qu’ils ne faisaient. Le plus clair de leur machination, c’était que ces défenseurs de l’honneur de l’armée comptaient surtout, selon une vieille tradition royaliste, qu’ils finiraient bien par trouver un soldat qui accepterait de trahir, quelque Dumouriez, plus accessible que ne le furent Bonaparte au comte de Provence et Mac Mahon au comte de Chambord. Si « l’aristocratie était composée en majorité de je m’en foutistes », en revanche, « le peuple de Paris était mûr, ultra-mûr pour un coup d’État », et quelques petites bandes, à Caen et ailleurs, s’étaient équipées « pour se ruer sur les préfectures et y hisser le drapeau à bleuets[43] ». Ainsi Buffet pouvait dire « qu’il conspirait d’une façon permanente contre la République et qu’il continuerait à le faire, à moins qu’on ne le mît en prison[44] » ; et Arthur Meyer, « que le duc d’Orléans ne conspirait pas, mais qu’il prévoyait[45] ». En fait, le duc ne « prévoyait » pas avec le juif du Gaulois, à qui Lur-Saluces, notamment, ne cachait pas son mépris[46], mais seulement avec Guérin, qu’il avait encore reçu à Bruxelles, le mois passé[47], avec qui il ne liardait pas et qui était seul capable d’un coup de force et de tenir Déroulède en échec. Il avait donné également audience aux bouchers de la Villette et les avait trouvés solides ; ils assommeraient les défenseurs de la République et ceux de Dreyfus comme des bœufs. Il leur avait tenu un discours et ils avaient juré de tout casser, quand Monseigneur commanderait : « Marche[48] ! »

Pour les gens de la Patrie Française, ils allèrent au plus pressé qui était, comme on l’avait prévu, de « jeter, à pleins seaux, la boue et l’ordure » sur Loubet[49]. Ils avaient été fort grisés par le vote du dessaisissement, qu’ils considéraient comme une victoire personnelle, — Quesnay et Coppée s’en étaient targués dans deux conférences[50] ; — et considéraient qu’ils feraient « marcher la France ». Ils venaient de pousser l’audace jusqu’à envoyer une circulaire, avec un bulletin d’adhésion, à tous les officiers, leur promettant, ce qui aggravait le cas, de ne pas publier les noms. Un exemplaire m’en avait été aussitôt remis par un officier républicain et j’avais dénoncé le jour même cette tentative d’embauchage[51]. Le matin de l’élection, Quesnay et Lemaître publièrent, dans l’Écho, deux furieux articles. L’ancien procureur général y racontait (à sa façon) ses conversations avec Loubet, dans les jours qui précédèrent le procès du Panama (que Quesnay lui-même avait déconseillé de faire), Loubet, alors président du Conseil, lui aurait dit qu’il possédait la liste (qui n’exista jamais) des députés corrompus et aurait cherché à sauver les coupables ; à la dernière heure, il l’avait fait venir pour lui demander « d’écarter un des noms de la liste des prévenus », et avait réussi ainsi à retarder, « exprès », l’envoi des citations, fait très grave, s’écriait aujourd’hui Quesnay[52], après s’être félicité en son temps de ce retard « providentiel[53] ». « Je suis témoin, clamait-il, je jure devant Dieu et les hommes de dire la vérité ! » D’où Lemaître tirait cette conclusion « qu’il était humiliant pour le pays que la candidature d’un tel homme eût pu prendre de la consistance ». Par trois fois, il répéta : « Nous ne voulons pas de Loubet », et il en donnait les raisons : que « Loubet était d’une trop notoire insuffisance intellectuelle », qu’il était « le candidat des dreyfusistes et des panamistes », qu’il était patronné par Clemenceau[54]. Il avait gardé le souvenir des accusations portées par Déroulède, en 1892, contre Clemenceau, les tenait pour exactes et que son éclatante campagne pour Dreyfus n’était pas désintéressée. — Misère de ces temps où les morts eux-mêmes combattaient pêle-mêle (j’entends : les fautes et les calomnies, les hontes et les fureurs du passé), pendant que des fous passaient pour des augures et que les hommes de l’esprit le plus fin chutaient dans le comique. — Lemaître, en formulant sa défense à l’Assemblée nationale d’élire le président du Sénat à la Présidence de la République, se prenait au sérieux.

III

Ces violences ne firent, cette fois, que fortifier les républicains dans leur résolution et les groupèrent plus étroitement autour de Loubet. Ils avaient déjà sacrifié trop de bons citoyens à la haine des ennemis de la République, haine experte à mêler le vrai elle faux et qui prit toujours le masque de la vertu ou du patriotisme, et à la peur d’être eux-mêmes éclaboussés. Loubet, en raison même des outrages dont il était l’objet, avait tenu à présider l’Assemblée nationale. Près de cinq cents républicains le saluèrent, dès qu’il monta au fauteuil, d’une ovation qui était une élection par acclamation, et quand Déroulède, puis Drumont firent mine de parler, des huées formidables les accueillirent. Déroulède, qui, le matin, annonçait qu’il donnerait sa voix à Dupuy[55], refusa alors de voter, « parce que l’élection du chef de l’État appartient au peuple », et somma Loubet, qui haussa les épaules, de s’expliquer sur les allégations de Quesnay. Méline vota pour Loubet, mais n’afficha pas dans les couloirs, comme l’avaient fait autrefois Jules Ferry et Waldeck-Rousseau », qu’il invitait ses amis à joindre leurs bulletins au sien, et il ne sut pas trouver le ton pour le leur enjoindre. C’était son châtiment qu’il restât le prisonnier des ennemis de la République et des énergumènes du Centre. Il eut ainsi 279 voix, 50 voix se perdirent sur Cavaignac, Deschanel et Dupuy, et Loubet fut nommé, au premier tour, par 483 suffrages[56].

On n’a presque jamais vu des vaincus accepter leur défaite galamment, sans l’espoir d’une revanche immédiate qui serait contraire à la nature des choses. Dans l’atmosphère d’une maison de fous où beaucoup vivaient de nouveau, c’était l’évidence que les royalistes, qui, pour la première fois depuis la Fronde, jouaient aux émeutiers, les nationalistes, qui avaient, eux, « le sens de la rue », la canaille antisémite et tous ceux « pour qui c’était déjà un grand avantage de troubler la paix publique[57] », ne s’inclineraient pas sur l’heure et que, lancés du matin contre Loubet, ils ne s’arrêteraient pas net au vote de l’Assemblée.

Dupuy, puisque la police l’en avait informé[58] et que, déjà, les journaux de l’après-midi le racontaient[59], ne pouvait ignorer que Guérin et ses amis avaient passé la nuit à préparer des manifestations et, pour le moins, des bagarres. Ils avaient recruté des débardeurs et des coltineurs à La Villette, quelques bouchers, des rôdeurs de barrières et autres vagabonds[60], leur avaient donné rendez-vous sur les boulevards et aux abords de la gare Saint-Lazare, et les faisaient boire chez les marchands de vin et dans les cafés, en attendant les dépêches de Versailles. Dès que l’élection, d’ailleurs prévue, de Loubet fut connue, les néo-muscadins de la « Jeunesse Royaliste » passèrent dans les groupes, les mobilisèrent et distribuèrent des sifflets à roulettes.

Prévenu comme on l’était, rien n’eût été plus aisé, avec les troupes et les forces de police dont on disposait, que de déblayer le terrain. Mais Dupuy n’en fit rien, soit incurie, — il n’en était pas incapable à ses heures, — soit qu’il ne déplu pas à ce gros homme, à la fois ténébreux et jovial, de dégoûter Loubet, dès le premier soir, de sa magistrature. Ses espérances, s’il en eut, furent dépassées. De la gare à l’Élysée, Loubet fut sifflé par « les gens du Roy » et ceux de Déroulède, sa voiture poursuivie et même secouée « par une quarantaine de gaillards résolus » qui hurlaient : « Démission ! » et « Panama ! », sans que la police, insuffisante ou hostile, intervînt[61]. Dupuy était à côté de lui, comme ses fonctions l’y obligeaient, et, sans doute, mal à l’aise sous le regard attristé de cet honnête homme, mais qui savait sa province et entrevoyait déjà que rien n’aiderait plus à sa popularité parmi les républicains que ces saturnales parisiennes. Il y avait longtemps que Paris qui s’était livré à Boulanger après avoir renié Gambetta et Ferry, ne donnait plus le mot d’ordre aux départements, sauf pour qu’ils en prissent le contre-pied. Beaucoup réfléchissaient à l’étonnant assemblage de contradictions qui faisait que le suffrage de cette grande ville fût la consécration suprême de toutes les gloires, des rois comme des penseurs et des poètes comme des comédiens, et que son histoire eût été si souvent au rebours de la tradition nationale.

Loubet était à peine parti sous ces clameurs que Déroulède arriva de Versailles, avec son escorte ordinaire, et que la même cohue le salua de ses applaudissements. Il en prit la tête et, comme les plus échauffés lui criaient de marcher sur l’Élysée, mais qu’il craignait de s’y faire empoigner, il lui vint l’idée, qui était bien de sa façon, de faire patienter « ce mépris exultant » en allant pèleriner à la statue de Jeanne d’Arc qui se trouve à la place des Pyramides[62]. Guérin, pour prendre les devants, avait déjà fait imprimer un manifeste contre Loubet, « l’élu des juifs », et ses camelots le distribuaient à foison[63]. Mais le cœur de cette cohue — cinq à six cents hommes[64] — était ce jour-là à Déroulède, de beaucoup un meilleur manieur d’hommes que Guérin, et tout le succès fut pour lui. Adossé au piédestal de la statue, il déclara la guerre à Loubet et proclama la nécessité « de bouter hors de France, comme Jeanne d’Arc avait fait des Anglais, une constitution étrangère ». Une fois débondée, son éloquence était intarissable. «  Oublier cette madone de la patrie, — il montrait le bronze de Frémiet, — serait faire preuve d’ingratitude nationale… L’élection d’aujourd’hui est un défi… Ce n’est pas à une aristocratie parlementaire, c’est au peuple qu’il appartient de nommer le Président de la République… Nous aurons à délivrer ensemble le suffrage universel. » Et, comme on criait de nouveau « À l’Élysée ! », il s’engagea en cabotinant : « Ne faisons rien ce soir ; il y a à l’Élysée un mort que j’aimais ; jeudi (c’était le jour fixé pour les obsèques de Faure), réunissez-vous et je vous promets que je ferai mon devoir ; nous chasserons le nouvel élu qui n’est pas pour moi le chef de la nation française, nous renverserons la République actuelle, pour la remplacer par une meilleure. Vive la République meilleure ! À bas celle-ci[65] ! » Comme Loubet, après avoir salué à l’Élysée le cercueil de Faure, était retourné au Luxembourg, Marcel Habert proposa d’y aller et de le « conspuer », mais Déroulède le retint. Puis, le soir, au café des Princes, avec Coppée et Forain, et au bureau de la Ligue, pendant que des bandes d’antijuifs et de « patriotes » parcourant les boulevards en réclamant la démission de Loubet[66], il renouvela ses promesses : « Je n’ai plus de voix, mais qu’importe ; ce qu’il faut à présent, ce ne sont plus des discours, mais des actes… Je suis sûr de la population parisienne… (Il ne hâblait pas toujours, vraiment ivre des acclamations qu’il avait recueillies.) La révolution libératrice est proche. Jeudi, vendredi, au plus tard, je marcherai sur l’Élysée, sur le Palais-Bourbon. Devant les imposantes manifestations qui se produiront, le Gouvernement devra faire sortir la troupe. Paris sera en état de siège. Ce sera le moment de faire un coup[67]. »

La police avait des ligueurs à sa solde, comme aussi des compagnons de Guérin, des membres importants de la Patrie française et des hommes du meilleur monde royaliste[68]. Dès le surlendemain, Hennion fit un rapport à Dupuy : « Il est toujours décidé qu’on tentera de marcher sur le Palais-Bourbon ou sur l’Élysée, au retour des obsèques. Habert le disait encore hier[69]. »

IV

Les journées qui suivirent furent très pleines : Loubet, comme autrefois Casimir-Perier, refusa la démission du cabinet que Dupuy, selon le protocole, lui avait offerte[70] ; les Chambres votèrent que des funérailles nationales seraient faites à Félix Faure ; Dupuy, pour donner à croire que Loubet avait peur de Paris, proposait que les membres des grands corps de l’État se rendraient isolément à Notre-Dame ; Lanessan, indigné, fit décider qu’ils se réuniraient en corps à l’Élysée et accompagneraient le Président à travers toute la ville[71] ; enfin Loubet adressa aux Chambres le message d’usage[72]. Il y évoqua les principes de la Révolution, recommanda de « respecter également la magistrature, qui applique les lois, et l’armée, qui assure l’indépendance de la patrie » : « Ne laissons pas oublier que notre France a toujours professé le même amour du progrès, de la justice et de l’humanité. » Et, très crânement, il dit « qu’il ne laisserait pas affaiblir entre ses mains les droits que lui conférait la Constitution » et que « rien ne le rebuterait ».

Cependant Déroulède préparait son coup pour le jour des obsèques de Félix Faure. Il y avait six mois, de son propre aveu, qu’il en cherchait l’occasion, c’est-à-dire du vivant du « mort de l’Élysée[73] ». Il n’eut ainsi que peu de chose à changer au plan, qu’il avait combiné dès lors avec Marcel Habert, et dont il arrêta ainsi les grandes lignes : le peuple, représenté par les ligueurs, entraînera un général, acquis d’avance, vers l’Hôtel de Ville et, de là, à l’Élysée[74] ; une brigade, « descendant des faubourgs et entourée par les acclamations de la foule », suffira à la besogne, « un 4 Septembre militaire, sans effusion de sang[75] » ; il signifiera lui-même à Loubet sa déchéance et « s’installera » à sa place ; une fois maître de l’Élysée et « des services du ministère de l’Intérieur », la France sera à lui[76] ; un bataillon à la Chambre, un autre au Sénat ; un triumvirat provisoire[77] — Déroulède, le général libérateur et le complice civil, peut-être Cavaignac — adressera cette proclamation[78] au pays : « La Constitution usurpatrice de 1875 est abrogée, le suffrage restreint aboli, le suffrage universel rétabli, le Parlement dissous, le Président de la République renversé, le Gouvernement tout entier (un Gouvernement de privilégiés et de corrompus qui exploitait la nation et dégradait la Patrie) jeté à bas avec l’aide du peuple de Paris et de l’armée ; d’ici peu de jours, le peuple sera convoqué dans ses comices » ; et le tour sera joué. Déroulède se gardait de préciser si le peuple serait appelé à élire une Constituante, comme il l’a prétendu par la suite, ou, d’abord, un autre chef de la République. L’équivoque formule lui en laissait le choix. En tout cas, il eût été le maître de l’interrègne, un premier consul civil, pensant, parlant et agissant (comme il faisait déjà) pour ses associés : « Nous sommes les gardiens des urnes et les sentinelles du pays. Vive la République plébiscitaire ! » Si quelque résistance se produit, soit des républicains « parlementaires » et des socialistes, soit des royalistes, le nouveau Gouvernement aura vite fait de l’écraser[79]. « Nous veillerons au maintien de l’ordre et à la défense des libertés reconquises[80]. »

Ces sortes d’opérations, quand elles échouent, paraissent ridicules. Sa prose et son crime, Déroulède les calquait exactement sur les attentats et sur la littérature des Bonaparte.

Plus il réfléchissait (en s’excitant, comme il en avait l’habitude, par des discours et la boisson), plus son plan lui paraissait bien combiné : les ligueurs, « ses soldats », étaient tout enrôlés, disciplinés, entraînés, exercés, depuis plusieurs mois qu’ils le pressaient, le devinaient, obéissaient « à un signe, à un regard[81] » ; l’argent non plus ne manquait pas, réuni sous des prétextes divers ou pour faire le coup[82] ; rien à craindre de Dupuy ni de Freycinet ; la veille de la mort de Faure, Déroulède avait écrit à son ami Galli : « Dupuy est homme à être notre homme[83] » ; il était probable que Dupuy recommencerait Dupin et que Freycinet, bonapartiste sous l’Empire, républicain sous la République, ami de Boulanger tant que Boulanger fut à craindre, l’un de ces hommes qui ne refusent le concours de leur capacité à aucun gouvernement, l’accorderait au triumvirat ; bien d’autres suivront, du premier jour[84], ou dès que tout danger aura disparu ; Loubet, si parfaitement déshonoré au préalable, protecteur des voleurs et des traîtres, « bouclé » d’ailleurs au Mont-Valérien ou à la Conciergerie, et en compagnie des défenseurs les plus impopulaires de Dreyfus, qui se lèvera, dans le peuple des faubourgs, pour sa défense ? Voilà des années que l’Église appelle un sauveur ; s’étant donnée à Boulanger, pourquoi pas à Déroulède ? Voilà des mois que les républicains eux-mêmes ont désappris à ce peuple le respect du Droit, hier encore en votant le dessaisissement, que les socialistes effrayent la bourgeoisie, que tous les ressorts sont usés ou faussés[85].

Il ne s’agissait plus, — mais c’était toute l’affaire, — que de trouver le levier qui soulèverait l’armée. Déroulède eût parlé comme Médée : « Moi seul, et c’est assez ! » s’il avait été général. Par malheur, il ne l’était pas. Il lui fallait un soldat ou tout craquait. C’était tout son système (l’alliance du peuple et de l’armée) qu’il proclamait depuis longtemps. On n’a jamais plus ouvertement conspiré, cherché à débaucher les soldats et à « proposer la révolte à leurs chefs[86]. »

Cependant il « ne voulait pas marcher à moins d’un général[87] » ; il avait décliné précédemment les offres de quelques colonels et chefs de bataillon qui, peut-être, gasconnaient. « Une brigade » ou il restait chez lui, revenait une fois de plus à ses rimes. Et, « par un vieux fond, disait-il, de hiérarchie, — mais le moins hiérarchique des fauteurs de coups d’État eût partagé sa préférence, — « il aurait aimé mieux le généralissime qu’un divisionnaire, et un divisionnaire qu’un brigadier ». Mais Jamont et Zurlinden, d’autres encore qu’il fit apparemment tâter ou qu’il alla voir[88], étaient loyaux, vieillis et bien pourvus. Au contraire, Pellieux accepta, ou le donna à entendre. S’il n’avait pas eu une promesse, quelque parole qui y ressemblât, Déroulède, il le dit lui-même par une demi-trahison[89], n’eût pas marché ; puisqu’il a marché, c’est qu’il comptait sur un général.

On a vu que Pellieux, après sa belle colère au lendemain des aveux d’Henry, était rentré dans le rang et que, trois jours après, il criait plus fort que jamais que Dreyfus était un traître[90]. Il n’avait fait depuis que s’échauffer davantage et, sans frein, comme il était homme de premier mouvement, irréfléchi, crédule et antisémite, il parlait à tort et à travers, manifestait bruyamment et ne laissait pas d’inquiéter les siens par ses imprudences[91]. On l’avait entendu déclamer à la Cour d’assises, lors de mon procès, et, le soir où fut votée la loi de dessaisissement, à la « magnifique conférence de Quesnay de Beaurepaire ». Il se targuait d’avoir contribué, « dans la limite de ses moyens », à la campagne « contre l’ignoble Chambre criminelle » :

Qu’avons-nous fait, écrivait-il, pour mériter une magistrature pareille ?… Ce qu’on a appris n’est rien encore auprès de ce que nous savons et dirons. Certains des membres de cette Chambre doivent être et seront, s’il y a encore une justice au monde, traduits devant les tribunaux pour forfaiture. Je ne serais pas étonné d’ailleurs qu’un coup de théâtre se produisît. Dreyfus, voyant ses affaires mal tourner, renouvellera ses aveux et dénoncera ses complices. Car il en a. Et c’est ce que craignent les juifs… Cette race, qui a introduit chez nous le culte du veau d’or, cherche à pousser à fond la démoralisation et le déshonneur. Si tu avais vu cet ignoble Reinach fuyant le débat public après avoir insulté la veuve, tu saurais que ces sacrés juifs ne sont pas défendables[92].

On devine la conversation entre ce sabreur et Déroulède, à quelques jours de là, après l’élection de « Loubet-la-Honte ». Certainement, quand il fut au pied du mur, Pellieux hésita. Ces militaires, les plus audacieux et les plus dénués de scrupules, qui parlent de tout casser et de jeter les avocats par les fenêtres, dès qu’il s’agit d’une initiative à prendre, sont saisis d’une timidité subite. Pellieux n’était pas Bonaparte qui, sans Lucien, s’effondrait sous le « Hors la loi ! » des Cinq Cents, et il n’était pas de beaucoup supérieur à Boulanger qui, le soir de son élection à Paris, quand il n’avait qu’un pas à faire pour coucher au moins une nuit à l’Élysée, préféra retrouver sa maîtresse et s’enfuit ensuite devant Quesnay. Tout ce qu’obtint apparemment Déroulède, ce fut une demi-promesse, conditionnelle : si le peuple, c’est-à-dire Déroulède, tirait le premier, Pellieux, c’est-à-dire l’armée, suivrait[93].

Il s’occupa alors des moyens d’exécution. Comme Faure avait été autrefois vice-président de la Ligue, au temps où j’en étais le secrétaire général, les « Patriotes » demandèrent à figurer dans le cortège, et, bien que Dupuy fût au courant, par la police, des projets de la bande, il accorda l’autorisation[94]. Il savait notamment que Déroulède avait promis de « marcher, le 23, sur l’Élysée, quand tout le monde serait dehors », que Marcel Habert le criait à qui voulait l’entendre, que Coppée avait ajouté : « Déroulède fera marcher les faubourgs ; nous (Lemaître et lui) les gens en redingote[95]. » Les deux Directeurs de 1799, qui avaient lié partie avec Bonaparte, ne furent pas plus fourbes, et les trois autres ne furent pas plus imbéciles.

Déroulède décida, en conséquence, avec Habert, qu’ils suivraient le cortège avec tous leurs amis, « à la place que leur assignerait le Journal Officiel », et qu’au moment qui leur paraîtrait le meilleur, — quand ils se trouveraient « en contact avec une colonne d’infanterie, général en tête », — ils lanceraient, « dans la direction et sur les points fixés d’avance », — sur l’Hôtel de Ville, sur la place de la Bastille et sur la place de la Nation[96], — « cette force considérable » qui n’attendait qu’un signal[97].

Si les journaux[98] n’avaient pas révélé à temps que Dupuy consentait à faire escorter officiellement le Président de la République et les Chambres par plusieurs milliers de Ligueurs sous les ordres de Déroulède, il est certain que le danger eût été sérieux. Loubet et les parlementaires eussent pu être, les uns enlevés, les autres assommés, dans une épouvantable bagarre. Par bonheur, les ligueurs bavardèrent, un grand industriel (Expert-Besançon) raconta au sénateur Poirrier que 1.500 cartes leur étaient réservées, et celui-ci demanda aussitôt des explications à Dupuy, menaçant de l’interpeller. Dupuy ne put faire autrement que de s’excuser et de protester qu’il avait, le matin même, retiré l’autorité et qu’il le ferait annoncer par une note. Il était déjà sous le coup d’une demande d’interpellation des gauches du Sénat au sujet du scandale qu’il avait laissé produire au retour de Loubet[99], et ce nouvel incident le mettrait en une posture plus mauvaise encore. D’autre part, il avait la conscience si peu nette, ou il éprouvait une telle crainte à l’idée de se brouiller avec Déroulède, qu’il le fit prier de venir, avec Habert, au ministère de l’Intérieur « pour discuter » du retrait de l’autorisation[100], apparemment pour en rejeter la responsabilité sur les revisionnistes. — Il lui aurait fait part, à cette occasion, du projet concerté avec Mazeau et Lebret d’exclure du cortège la Cour de cassation, sous prétexte d’éviter des fatigues inutiles à ces vieux magistrats, et se serait tu de la réponse des juges à cette insultante sollicitude[101]. — Mais Déroulède, qui n’avait pas de temps à perdre, déclina l’entretien, furieux, selon les uns[102], « plutôt satisfait, selon sa propre version, de ne devoir aucune faveur, si petite qu’elle fût, au Gouvernement qu’il allait attaquer »[103].

Il s’entendit alors avec Habert, toujours son seul confident, sur de nouvelles dispositions pour le lendemain. Informé, sans qu’il ait voulu dire par qui, mais certainement par Pellieux, que le point de dislocation des troupes, après les obsèques, avait été fixé à la place de la Nation[104], il décida de prévenir ses ligueurs, au nombre de 25.000[105], par des convocations à domicile, — il envoya 4.000 cartes télégrammes[106], — des notes dans les journaux et une affiche, « qu’ils eussent à se trouver à 3 heures à la Bastille », à quelques cents mètres de l’autre place. Ils se rendraient de là « au Père-Lachaise, avec le comité de la Ligue, qui porterait, quand même, une couronne sur la tombe de Faure », après les obsèques[107]. La couronne, comme on pense, n’était qu’un prétexte ; elle avait été commandée, mais on la laissa au bureau de la Ligue[108]. Ainsi Déroulède aurait au bon endroit les plus ardents de ses partisans, « sans avoir besoin de leur faire savoir ce qu’ils devinaient d’eux-mêmes et sans que la police pût prévoir ses intentions réelles ». Il les avait harangués la veille (21 février), dans une réunion à la salle Charras, qui s’était terminée aux cris de : « Vive la République ! à bas le Parlement »[109], et il comptait que 5 à 6.000 répondraient à son appel[110]. Par surcroît, il fit venir les principaux meneurs au siège de la Ligue, leur donna, « d’un ton grave et résolu », le mot d’ordre, « sa dernière parole avant l’action » : « Si vous avez confiance en moi, ne me demandez pas ce que j’ai fait et ce que je veux faire ; ne me demandez rien ; soyez seulement, vous et vos amis, demain à la place de la Bastille, où vous trouverez Habert[111]. » Ni lui ni Habert ne veulent avoir dit autre chose à leurs complices ; mais ceux-ci en savaient assez : le silence même était l’aveu du coup à faire. L’affiche que Déroulède fit placarder à la dernière heure n’était pas moins explicite pour qui savait lire : « Le Gouvernement exclut les patriotes d’une cérémonie nationale où les sans-patrie et les insulteurs de l’armée auront leur place. Nous avions fait appel au calme, à l’ordre et à la concorde. (À la salle Charras, quand on n’avait pas encore reçu l’avis que l’autorisation était retirée.) Voilà la réponse des parlementaires ! Que le peuple de Paris nous juge ! »

V

Pendant que le chef des « Patriotes » conspirait ainsi en plein vent, mais agissait, les royalistes se remuaient de leur côté, mais sans la direction dictatoriale qui est indispensable pour préparer ce genre de crime politique, sans autre base populaire (l’opération que les bandes de Guérin, plus brutales, mais de beaucoup moins nombreuses que celles de Déroulède, et, surtout, fort dépités que ce gêneur s’obstinât à vouloir tout pour lui et réclamât jusqu’au monopole des attentats contre la République.

Imaginez, au temps des diligences, deux bandes ayant formé le dessein d’attendre, au coin du même bois, le courrier pour le détrousser, mais, avec cette circonstance embarrassante que le partage du butin était impossible. Telle était exactement la situation respective des « patriotes » et des royalistes. Il eût fallu, ou bien que Déroulède liât partie avec les royalistes, mais c’eût été forcément se mettre à leur service, tirer pour eux les marrons, renoncer à être Cromwell pour n’être que Monck ; ou jouer la comédie d’une action commune, quitte à voir après, mais Déroulède eût risqué d’y perdre ses meilleurs soldats, qui se croyaient républicains. Au surplus, il était sûr d’entraîner à lui seul l’armée et le peuple, et il avait retenu, de son association avec Boulanger, que les gens du Roi gâtaient et perdaient tout ce qu’ils touchaient, ce qui était, en effet, depuis trente ans, le plus clair de leur histoire. Dans son discours du 21, il avait donc fait une vive sortie contre les prétendants, comme pour répondre à quelque demande qui aurait été tentée auprès de lui et, plus particulièrement, « à la menace de l’arrivée du duc d’Orléans »[112].

Cependant Buffet et ses amis, tout ennuyés qu’ils fussent d’être tenus à l’écart par Déroulède, n’en étaient pas au point de se contenter de lui faire échec ; et, comme l’occasion leur paraissait incomparable, ils s’arrêtèrent à ce plan de lui laisser ouvrir la brèche, mais de s’y jeter avec lui. Habitués à prendre leurs propres déclamations et criailleries, celles des nationalistes, le vacarme de la presse et de la rue pour le cri de la nation, ils s’en persuadèrent encore plus pendant cette semaine agitée où, chaque soir, des bandes conspuaient Loubet sur les boulevards[113], et ils s’étonnaient, chaque matin, que la Révolution n’eut pas éclaté encore. Ils harcelèrent donc le prétendant de télégrammes : « Situation très grave… Importantes manifestations… Conseille partir Luxembourg[114]… », et le voyaient déjà, pendant qu’on se battrait dans Paris, montant à cheval et entraînant les régiments sur son passage. — Un agent, dont le nom n’a pas été révélé, alla, à cet effet, proposer à un médecin de Longuyon (localité de l’arrondissement de Briey, à quelques pas du duché de Luxembourg), de recevoir chez lui, pendant deux ou trois jours, le duc d’Orléans ; le prince se rendrait de là à Paris, si son parti le jugeait nécessaire, « c’est-à-dire à l’heure de la révolte, de l’inéluctable révolution » ; autrement, il courait le risque « d’être arrêté à la frontière, coffré et fusillé », et il préférait ne pas l’être, surgir tout à coup, « en pleine émeute », sur le sol même de la patrie[115]. Le docteur (Duréaux) refusa, « alléguant qu’il ne voulait pas s’occuper de politique »[116]. — Le duc, lent et lourd (à demi Espagnol par sa mère), de plus mal impressionné depuis le refus de Déroulède, serait volontiers resté à Turin[117] et n’était revenu qu’à regret à Bruxelles, où Buffet, Chevilly, Lur-Saluces et Lecourt-Grandmaison lui rendirent compte, entre deux trains, de ce qu’ils avaient combiné[118]. — Comme il fallait de l’argent pour subvenir, éventuellement, aux premières nécessités, le député Ramel, la plus forte tête du parti et le plus homme d’action, en sa qualité d’ancien bonapartiste, s’occupa d’en réunir. La Monbazon de cette nouvelle Ligue, la baronne de Waru (veuve d’un professeur de chinois, mariée en secondes noces à un jeune royaliste très militant, et toujours en route avec lui, entre Bruxelles et Paris) trouva deux cent mille francs en une matinée. Moitié de la somme lui fut versée par une protestante, la baronne d’Adelswärd, qui informa sur l’heure le duc de la générosité dont elle avait fait preuve « pour la cause de la monarchie et de la patrie » : « Je mets à la disposition de Monseigneur cent mille francs, dont trente mille versés immédiatement ; que Dieu soit avec Monseigneur et avec la France ! » ; — moitié par une juive autrichienne, mais lavée par l’eau du baptême, Mme Porgès, « malgré l’absence de son mari, mais vu les sentiments patriotiques de Jules »[119]. — Ramel et ses amis affirmèrent plus tard que c’était pour un journal[120], mais sans expliquer pourquoi il aurait fallu, précisément à cette date, où les préoccupations étaient ailleurs, tant d’argent versé immédiatement, et pourquoi la baronne de Waru, après la baronne d’Adelswärd, en avait écrit aussitôt au duc d’Orléans : « Fidélité absolue, priant Dieu pour Monseigneur. » — Enfin, Guérin, qui se concertait surtout avec Guixou-Pagès, le marquis de la Rochethulon, de Plas et Sabran[121], se tenait prêt à « surveiller »[122], à s’emparer de « la révolution spontanée »[123], c’est-à-dire, comme on a vu, si Déroulède réussissait à entraîner la troupe, à se joindre à lui pour dévier le mouvement en faveur du duc. À cet effet, les Ligues royalistes et antisémites firent annoncer par le journal de Drumont qu’elles avaient établi des « permanences »[124] ; Sabran et le baron de Vaux enrôlèrent tout ce qu’ils purent trouver de « gars » et de bouchers, et Guérin convoqua à la place de la Nation une centaine de ses hommes les plus résolus[125], sans leur donner d’autre consigne que celle-ci : « Vous marcherez à mon signal et à mon ordre[126]. » D’autres groupes, disposés sur les grands boulevards, auraient acclamé les troupes à leur passage, les auraient escortés et suivies[127]. Beaucoup des compagnons de Guérin n’étaient pas royalistes et ne soupçonnaient pas que leur chef le fût, bien qu’il eût publié dans l’Anti-Juif le discours de San-Remo, répandu ce manifeste à profusion par ses camelots et désigné le prince « comme l’homme du moment ». Il ne lui avait pas été plus difficile qu’à la police de connaître les desseins de Déroulède. Il n’alla pas le voir, leurs rapports étant tendus, mais il était en relations avec Firmin Faure et Millevoye, qui fréquentaient chez le chef des « patriotes ». Lasies, brouillé avec Guérin, croyait encore que « c’était pour Victor »[128].

On arriva ainsi à la veillée des armes, la nuit du 22 au 23 février. Dans l’après-midi, Buffet, qui avait envoyé plusieurs émissaires au duc pour lui dire de se tenir prêt à passer la frontière ou à débarquer sur quelque côte au premier signal, lui télégraphia : « Tous seront demain à leur poste »[129] ; et le duc, assez sceptique jusqu’alors, graissa ses bottes, s’endormit sur l’agréable pensée que Déroulède, qui n’avait pas voulu marcher avec lui, n’en serait pas moins, « dans ce grand jour »[130], l’auteur de sa restauration et lui « ouvrirait les portes ». Loubet à bas, si Philippe se présentait, — des relais d’automobiles avaient été préparés sur plusieurs routes de Paris[131], — Déroulède, bon gré mal gré, s’inclinerait devant l’héritier de tant de rois.

Tout était si fou dans cette équipée en partie double que ce rêve du duc ne l’était pas plus que le reste. Il était cependant visible que tout ce qu’il y avait de courant était pour Déroulède, et qu’il n’y avait pas une chance sur mille de confisquer l’opération.

Déroulède, après avoir passé toute la journée et la première partie de la nuit à recevoir de nombreux visiteurs, civils et militaires[132], s’était retiré dans son cabinet de travail à la Ligue, — l’ancien boudoir de Mlle de Coigny, la jeune captive d’André Chénier[133], — toujours avec le seul Marcel Habert, et ravi de son personnage, ne s’étant pas encore trouvé à pareille fête, « il marquait sur un plan de Paris », comme l’eût fait Napoléon, « les divers emplacements des troupes »[134].

Dans les salles voisines, ses amis causaient, les uns « très confiants », comme l’eussent été les compagnons du Vieux de la Montagne, les autres « inquiets de son silence absolu sur ses moyens d’action ».

Vers deux heures du matin, le jeune Castellane, pour qui la politique était un sport et qui conspirait comme il chassait à courre, entra chez Déroulède et ce dialogue s’engagea : « Alors, c’est pour demain ? — C’est pour demain. — Et que diriez-vous si le duc d’Orléans paraissait tout à coup au milieu de vos amis ? — Est-ce un avis ou est-ce une invite ? — Ce n’est qu’une question. — Alors, voici ma réponse : « Si le duc d’Orléans se présente demain au milieu des miens, c’est moi-même qui lui mettrai la main au collet[135]. » Puis, s’échauffant, et, sans expliquer à qui il aurait livré le duc, après l’avoir arrêté en pleine émeute, où il l’aurait conduit, et pourquoi il avait seul le droit de faire de mauvais coups : « C’est pour la République que je marche. On ne fera pas de moi un agent royaliste malgré moi… D’ailleurs, j’ai encore là quelques amis et je vais leur donner des instructions pour le cas où cet odieux coup de surprise (contre son coup de force) serait tenté. »

Déroulède criait de toute sa voix ; des pièces voisines, on l’entendait éclater.

Castellane (dans le récit de Déroulède) ne vit pas le comique de la chose : « Je ne vous ai pas dit que le duc d’Orléans serait là demain ; je vous jure même qu’il n’y sera pas. » (Et ce serment suffisait à prouver que Castellane, avant de venir à la Ligue, avait été exactement renseigné, puisque Philippe attendait le succès de son rival pour apparaître seulement le surlendemain.) Déroulède, « froidement » : « Et je vous jure, moi, qu’il fera bien. » Habert : « Qu’il y vienne, nous nous chargerons de le recevoir. »

Déroulède, qui jusqu’à cette scène avait considéré Castellane comme un des siens[136], et qui le tenait maintenant pour un émissaire, apparemment ne lui faisait pas cette furieuse réponse pour qu’il s’en tût, mais, bien au contraire, pour qu’il la transmît aux amis du duc. La déloyauté, en effet, eût été que Castellane ne les avertît pas, s’il avait été envoyé par eux[137]. Il est difficile de supposer que sa seule curiosité, le plaisir de fourrager dans cette aventure, l’ait mené chez Déroulède, comme il était allé précédemment aux nouvelles chez les royalistes. En sortant de la Ligue, il alla chez Guérin qui, lui aussi, veillait avec trente de ses principaux amis[138], et lui raconta la conversation qu’il venait d’avoir. Guérin était déjà résolu à ne pas quitter Déroulède d’une semelle, pendant la journée du lendemain. Il dit à ses camarades « que trois généraux étaient décidés à marcher, mais qu’il n’y avait rien à faire avec Déroulède, qu’avec cet homme tout était raté d’avance ». Il eût ensuite un long entretien avec le comte Ludovic Robinet de Plas, « noble authentique » et vaguement journaliste[139].

À en croire Drumont et Méry, qui étaient alors au mieux avec Guérin, cet agent démagogique du duc d’Orléans aurait informé des confidences de Castellane un des deux amis royalistes dont il prenait toujours conseil, et celui-ci aurait pris sur lui de bousculer toute l’opération, en empêchant Pellieux, par un subterfuge, de se trouver au rendez-vous. Sauf que Déroulède ne met pas Guérin en cause, il suppose également que les royalistes « ont fait disparaître du lieu où il croyait le trouver le cheval qu’il devait monter ». Mais ni Déroulède ni les gens de la Libre Parole ne nomment le royaliste dont « la main mystérieuse a tout bouleversé », et qui, de toute façon, ne serait ni Buffet ni de Luynes, qui vécurent jusqu’au lendemain soir dans leur rêve de s’emparer de l’émeute heureuse du prétendant « d’en face ». Selon un ancien confident de Guérin, ce serait le comte de Plas : Guérin aurait su de Castellane lui-même que le général attendu, c’était Pellieux ; le chef des « Patriotes », dans un de ses accès « d’écoulement vocal »[140], aurait nommé non seulement Pellieux, mais Kermartin ou Florentin[141]. Quoi qu’il en soit, Pellieux, averti le lendemain que « des indiscrétions avaient été commises » et que l’affaire devenait mauvaise, n’aurait pas eu le temps de contrôler l’avis ; et, « se croyant trahi », il « renonça » à trahir lui-même[142],

Les choses se passèrent plus simplement : Pellieux, au dernier moment, eût peur.

VI

Le dénouement fut brusque et presque bouffon.

Pendant que la pompe funèbre de Faure se déroulait, au milieu d’une grande affluence, à qui la magnificence du spectacle faisait oublier pour un instant les querelles, et respectueuse de la mort, — tous les grands corps de l’État réunis autour du nouveau Président de la République et confiants également dans le peuple de Paris et dans l’armée, — Pellieux, à cheval et en service commandé, réfléchit plus qu’il ne l’avait encore fait au crime où il avait été convié. Le crime eût été surtout horrible s’il avait été vainqueur ; vaincu, écrasé entre Zurlinden fidèle et les républicains soulevés, il était fort vilain. Pellieux, pour la première fois, le vit en face, et comme il était un vrai soldat et entouré seulement à cette heure de militaires, il recula, se résolut à se soustraire lui-même à la tentation. Vers le milieu de la journée, en quittant le parvis de Notre-Dame après le service religieux, et après avoir constaté une fois de plus que le peuple ne bougeait pas, ne huait ni Loubet, ni le Sénat, ni même la Cour de cassation, il arrêta son plan de retraite. S’il conduit ses troupes à la place de la Nation, conformément au programme, Déroulède jaillira de la foule pour l’inviter à le suivre et, s’il refuse, pour lui cracher au visage ses promesses. De toutes façons, le voilà compromis et en pure perte. Il faut donc qu’il ne paraisse pas au rendez-vous. Déroulède, en ne l’y voyant pas, comprendra. Il ne sera pas assez sot pour se jeter à la tête du premier cheval venu, monté par un général.

« Un quart d’heure environ avant l’arrivée du cortège au Père-Lachaise[143], » Pellieux aborda le chef d’État-Major de Zurlinden, et lui confia que « des inquiétudes » lui étaient venues « au sujet d’acclamations bruyantes qui devaient l’attendre à la place de la Nation » L’officier avisa aussitôt Zurlinden, qui « n’attacha pas grande importance à la communication », puisque le Gouvernement, « qui devait être mieux informé », ne l’avait prévenu de rien de tel. — Dupuy possédait les rapports d’Hennion, mais n’en avait pas fait part à Zurlinden. — « Voilà encore, dit-il à son aide de camp, Pellieux qui fait du vent[144]. ! » Sans lui faire tenir aucune réponse, il « se borna à prévenir la police et à faire chercher un peloton de la garde Républicaine à cheval qui maintiendrait le bon ordre[145] ».

Cela ne faisait pas du tout les affaires de Pellieux. Pendant que les orateurs officiels discouraient, devant la porte du cimetière, sur le cercueil de Faure, il renouvela sa démarche, et de façon plus pressante encore, demandant cette fois l’autorisation « de disloquer » ses troupes avant la place de la Nation et de renvoyer directement à Vincennes son bataillon de chasseurs à pied qui était très fatigué. — Déroulède avait servi autrefois aux chasseurs, ce qu’il n’aurait pas manqué de rappeler. — Zurlinden, cette fois, dressa l’oreille. Il accorda l’autorisation et fit dire à Pellieux « qu’il lui interdisait de passer de sa personne sur la place[146] ».

C’était tout ce que désirait Pellieux. Il défila fort correctement devant le catafalque et devant Loubet, au contraire de son camarade Kermartin qui affecta de regarder du côté opposé, ce qui lui valut, à haute voix, ce rappel à l’ordre de Zurlinden, que tout le monde entendit : « Tête à gauche, Kermartin[147] ! » ; — sur quoi Kermartin tourna la tête à gauche et consentit à saluer de l’épée le Président de la République. — Pellieux, tout en marchant, « donna ses ordres et, revenant immédiatement sur ses pas, se mêla à l’État-Major de Zurlinden pendant tout le reste du défilé ». Il rentra ensuite à l’École militaire par les boulevards extérieurs, qui étaient ce jour-là presque déserts, on peut croire un peu honteux, mais rassuré.

Plus tard, Zurlinden se posa cette question : « Pellieux avait-il laissé croire auparavant qu’il pouvait prêter son concours ? » et il l’a résolue, sans grande conviction, par la négative : « On ne saura malheureusement jamais toute la vérité, puisque ce galant homme est mort » ; mais la bagarre était trop sotte, l’entreprise trop chimérique pour qu’il y eût pu consentir[148].

Le règlement du service des places[149] obligeait Pellieux « à faire connaître sur le champ à l’autorité supérieure » les desseins de Déroulède. Il y était d’autant plus tenu qu’il était gouverneur de la place de Paris et du département de la Seine. Mais ce qui était son devoir, il en avait fait par sa faute une vilenie, et qui l’aurait perdu. Il avait sali son uniforme, le jour où il avait entendu Déroulède, et, quoi qu’il fît, la tâche était ineffaçable.

Cependant Déroulède l’attendait à la place de la Nation, où il s’était installé, avec Barrès, dans une loge de concierge[150], son écharpe de député en sautoir, ses poches bourrées de proclamations, de décrets, de pièces d’or, de billets de banque (environ cinquante mille francs) pour parer aux premiers besoins[151], et fort satisfait de la façon dont ses consignes auraient été exécutées. Habert, qui n’était pas moins gascon que lui, bien que natif de Montfort-l’Amaury (Déroulède était né à Paris), lui avait rapporté que tout allait pour le mieux. À l’en croire, la longue route de la barrière du Trône à l’Hôtel de Ville et à l’Élysée était jalonnée de leurs partisans et il avait « trompé » la police par un faux avis ; — sur le refus qui lui avait été opposé de laisser porter au Père-Lachaise la couronne de la Ligue, il aurait répondu à l’officier de paix qu’il allait inviter ses camarades à se disperser, et, bien au contraire, il avait envoyé à la place de la Nation les plus résolus, mais qui ne savaient encore rien, « pareils à des officiers de marine qui prennent le large et qui doivent ouvrir leurs instructions en mer[152] ». Lasies, qui n’espérait plus que le mouvement tournerait au profit du prince Victor, s’y trouvait aussi[153] et se promenait parmi les groupes, pendant que Guérin, les mains dans ses poches, plaçait ses bandes, les antisémites, qui étaient arrivés par petits groupes, armés de revolvers, et les malandrins (à 3 francs) de Sabran. Les incidents de la nuit l’avaient confirmé dans son plan de surveiller les événements et, si quelque chose se passait, d’en être[154]. Il y avait donc là un peu plus d’un millier d’individus[155], les uns à Déroulède, les autres à Guérin, qui étaient tout prêts à un coup de main, si l’armée se laissait détourner, et autant de badauds et de curieux. Et « pas un seul agent de police[156] », malgré les avis répétés d’Hennion à Dupuy. Il avait signalé à la dernière heure que le rendez-vous était à la place de la Nation[157]. Mais Dupuy s’était obstiné à masser le gros des forces de police, avec le Préfet, à l’Élysée et à la place Beauveau, où il eût été bien tard pour arrêter une émeute populaire et militaire, qui aurait déjà traversé, en se grossissant, la moitié de Paris.

Il était environ 4 heures et demie quand l’arrivée des troupes qui revenaient du Père-Lachaise fut signalée à Habert ; il fit avertir Déroulède[158], qui descendit enfin sur la place, laissa passer les Saint-Cyriens et la garde républicaine, fit signe à ses amis et se porta vivement, suivi d’environ deux cents hommes[159], vers l’avenue de Taillebourg, qui débouche à droite des deux colonnes de la barrière du Trône et où il entendait les tambours et les clairons. On apercevait un général à cheval. Guérin, s’approchant, l’interrogea : « Est-ce lui[160] ? » Barrès prit Guérin par le bras : « C’est bien d’être ici. » Déroulède, suivant le milieu de la chaussée, marcha droit vers « le chapeau à plumes noires[161] ». C’était Roget.

La veille au soir, quand son chef direct, le général Florentin, commandant de la 9e division d’infanterie[162], lui avait communiqué les ordres de Zurlinden, Roget « avait exprimé le regret que sa brigade fût appelée à marcher, à cause de la petite notoriété qu’il avait et qui pouvait donner lieu à quelques manifestations ». Mais Florentin n’avait pas trouvé le moyen de remplacer la brigade, et Roget était rentré chez lui où il n’avait vu personne[163]. Le jour des obsèques, il ne s’était occupé que de ses régiments. Tout à l’heure, après avoir défilé à leur tête devant le cercueil de Faure, il avait pris aussitôt sa place à côté de Florentin, et l’avait suivi, « à sa distance réglementaire », par le boulevard de Charonne, la grande artère qui va du cimetière au cours de Vincennes, derrière la barrière du Trône[164]. Environ à mi-route, Florentin s’était arrêté pour inspecter ses brigades et avait fait prévenir Roget, qui continuait à la tête du 4e de ligne, qu’il le rejoindrait à la caserne de Reuilly[165]. Cette caserne est située à quelques cents mètres, de l’autre côté de la place de la Nation, entre le faubourg Saint-Antoine, qui descend sur la Bastille, et le boulevard Diderot, qui descend à la Seine, au pont d’Austerlitz, un peu au sud de l’île Saint-Louis et à un peu plus d’un kilomètre de l’Hôtel-de-Ville.

Déroulède, quand il reconnut Roget au lieu de Pellieux, était encore à temps pour battre en retraite. Il ne s’était pas proposé de faire son coup avec « le premier général venu », mais avec « le premier général qui viendrait[166] ». Mais il était lancé maintenant et, s’il eut une vision rapide pendant ces quelques minutes, ce fut celle de son retour à la Ligue, bredouille, après tant de belles promesses, « ses mameloucks » en colère qui lui demanderaient des comptes, l’effondrement de son œuvre, et le petit Castellane à qui il avait dit si fièrement, comme Alexandre ou César à la veille d’une victoire : « C’est pour demain ! » — Déjà Guérin, l’œil goguenard et expectant, était à ses côtés[167]. — Il se dit aussi[168] que, si Roget, l’homme de Cavaignac, qui, d’après les ordres de l’avant-veille, aurait dû prendre la queue du cortège et qu’il avait vu le matin encore aux abords de l’Élysée[169], se trouvait maintenant à l’avant-garde, c’était sans doute que le destin l’avait choisi, et, jouant le tout pour le tout, il se jeta à la bride de son cheval[170].

Roget, quand il vit surgir de la foule ce grand escogriffe, flanqué d’un groupe de braillards qui l’entourèrent en un instant et le coupèrent de sa pointe de sapeurs, « ne se rendit pas compte, au premier moment, de ce qui se passait[171] ». Dans le vacarme qui l’avait accueilli sur la place, il n’avait cru d’abord « qu’à une manifestation en faveur de l’armée[172] », et s’était déjà préoccupé qu’elle ne dégénérât pas en désordres, qui lui vaudraient des ennuis. À présent, l’affaire prenait (en argot de corps de garde) une « sale tournure ». Déroulède, comme un possédé, criait : « Suivez-nous, mon général, ayez pitié de la patrie ; sauvez la France et la République ; des amis nous attendent ; suivez-nous à la place de la Bastille, à l’Hôtel-de-Ville. À l’Élysée, mon général[173] ! » Le député Lasies, bien qu’il ne fût pas du complot[174], les bouchers antijuifs, qui s’étaient mêlés aux « patriotes[175] », Barrès à la droite de Guérin et Habert à sa gauche, Syveton, quelques journalistes[176], formaient cortège pendant que la foule, qui ne comprenait pas encore, poussait ses acclamations habituelles : « Vive l’armée ! Vive la République ! » Comme la musique du 82e de ligne venait de rejoindre, c’était un tapage assourdissant, ces « vociférations » et ces hurlements mêlés à des sonneries de clairons et à des roulements de tambours et, bientôt, la Marseillaise entonnée par les instruments de cuivre, répétée, sur l’immense place, par des centaines de voix avinées, irritées ou simplement joyeuses[177].

Tout ce bruit effraya le cheval du général qui se cabra ; Roget, qui avait l’épée à la main, en frappa le bras de Déroulède, ce que plusieurs dans la foule prirent, de loin, pour un salut, et, résolument, lui signifia son refus : « Lâchez mon cheval et laissez-moi passer. » En même temps, de la voix et du geste, il intima aux sapeurs, « tellement pressés » par les ligueurs « qu’ils étaient en quelque sorte soulevés » et pas mal « ahuris », l’ordre de continuer leur marche[178]. Les émeutiers s’efforçaient de les entraîner, de les pousser vers le faubourg Saint-Antoine ; Roget indiqua de l’épée le boulevard Diderot, c’est-à-dire la caserne de Reuilly[179]. Déroulède, un instant séparé du général par l’écart du cheval, ramené à la botte par un remous de la foule, acclamé par ses hommes qui continuaient à crier : « À Paris ! à l’Élysée ! », reprit ses objurgations. Et les bouchers de la Villette continuaient, eux aussi, à crier sous l’œil de Guérin, qui leur avait dit « qu’une visite à Loubet ne lui serait pas désagréable[180] ». Roget était pâle, très ému, fort occupé de son cheval « qui risquait de se renverser » ; mais soit que le spectre de Mallet fusillé lui eût apparu, soit qu’il se fût rendu compte que tous les soldats ne l’auraient pas suivi, soit que sa conscience lui parlât plus haut que Déroulède et que ses propres haines, il se montra résolu, tout le temps, « à maintenir sa troupe dans le devoir », et se cramponna à sa consigne : faire rentrer la brigade au quartier, « et le plus tôt possible[181] ».

Déroulède et Habert se rendirent compte qu’il n’avait pas d’autre idée en tête et, dès lors, que « l’opération était manquée[182] ». Cependant Déroulède tenta une dernière manœuvre : puisque Roget ne voulait pas marcher de son plein gré, l’entraîner de force, et, pour cela, faire barrer l’entrée de la rue de Reuilly, à droite du boulevard Diderot, par ceux de ses hommes qui marchaient à ses côtés, opposer à la brigade ce mur vivant, la pousser en avant de l’angle de la caserne : « Le Rubicon, dira-t-il plus tard, eût été franchi et la brigade Roget était à nous[183]. » C’était parfaitement « insensé[184] », car les sapeurs de Roget n’auraient pas eu de peine à bousculer ces braillards. De plus, quand il hurla : « Barrez la rue à droite ! », Habert, qui ne savait pas où se trouvait exactement la caserne (à la bifurcation de la rue de Reuilly et du boulevard Diderot), s’imagina que « la rue à droite », c’était celle du faubourg Saint-Antoine, qui se trouvait, en effet, à droite de la brigade, et ne comprenant pas pourquoi Déroulède voulait descendre par le boulevard Diderot à sa gauche, alors que les manifestants poussaient du côté opposé, il s’écria de sa voix aiguë : « Non ! non ! laissez passer, c’est le chemin de la Bastille ! » et en fit l’observation à son ami[185]. La bande, entre ces ordres contradictoires[186], flotta, parut s’arrêter, « tournoya sur elle-même ». Quand Habert comprit, c’était trop tard. La tête de colonne, sur un nouveau signe de Roget, s’était engagée dans le boulevard Diderot, suivie par le reste des troupes ; les sapeurs se dégagèrent des ligueurs qui les avaient pris par le bras[187] ; un peloton du 4e de ligne, que le général avait fait chercher par son officier d’ordonnance[188], avait commencé à déblayer le terrain ; et, quand il arriva à l’angle de la rue de Reuilly, il n’eut qu’un geste à faire pour que les sapeurs lui ouvrissent la route de la caserne[189]. Déroulède, maintenant, n’objurguait plus, « suppliait[190] » : « Je vous en prie, mon général, sauvez la France. Ce n’est pas là, général (à la caserne), c’est à Paris qu’il faut aller. » — Guérin suivait toujours et criait qu’en effet la caserne n’était pas l’Élysée[191]. — Mais Roget répliqua avec violence : « Je ne fais que ce que je veux[192] ! » et, piquant de l’éperon, poussant sa monture, malgré les ligueurs qui s’efforçaient une dernière fois de l’entraîner vers le faubourg Saint-Antoine, et Déroulède, qui, encore au seuil de la caserne, avait cherché à s’emparer de la bride du cheval, il pénétra « violemment, comme de haute lutte », dans la cour[193]. Ses régiments y entrèrent ensuite en bon ordre, mais après avoir éprouvé quelque difficulté à fendre la foule, et non sans avoir fortement bousculé ceux des manifestants qui essayaient de boucher la porte. Déroulède, qui parut alors à l’aide de camp de Roget tout à fait désespéré[194], mais qui parlait toujours, fut comme emporté par le flot des soldats, ainsi qu’une quinzaine de ses gardes du corps les plus décidés qui s’étaient collés à lui. Habert, un instant plus tard, força la double haie de soldats que Roget avait fait rapidement placer pour écarter les envahisseurs ; « il se rua, d’un brusque élan », et parvint à rejoindre Déroulède[195]. Le gros de l’émeute resta dans la rue, avec Lasies, Barrès et Guérin, qui traitait Déroulède d’imbécile[196], et quelques centaines de badauds.

On peut croire que Roget aurait fait preuve d’une moindre mansuétude si, au lieu de Déroulède, un député socialiste, Coutant ou Breton, lui eût proposé, avec les mêmes gestes, d’aller, par exemple, délivrer Picquart ; d’autre part, Roget répondrait fort bien que la foule, dans ce cas, ne lui aurait laissé rien à faire que d’empêcher l’imprudent d’être écharpé. En fait, surpris comme il l’avait été, il n’avait pas bronché au devoir et, « sans brutalité », il avait empêché « sa troupe de se laisser pénétrer par la foule[197] ». Maintenant, il eût bien voulu que Déroulède et les individus qui étaient entrés avec lui dans la caserne, s’en allassent d’eux-mêmes ; il aurait eu à rédiger un rapport moins désagréable et aurait oublié, non seulement les propos, mais jusqu’aux gestes, beaucoup plus éloquents, du fâcheux ; cette tentative avortée d’un crime fût devenue une manifestation, un peu trop bruyante, en l’honneur de l’armée.

Mais, encore une fois, Déroulède vit fort bien que, si les choses se passaient de cette façon, s’il sortait de la caserne comme un quidam qui s’est trompé de porte ou s’en laissait expulser comme un ivrogne, il retombait en plein dans ce ridicule d’où il cherchait toujours, en vain, à s’échapper vers le sublime. Ayant échoué à coucher le soir à l’Élysée, il fallait au moins qu’il couchât en prison[198].

Quand donc Roget fit inviter les quelques ligueurs qui avaient pénétré dans la caserne avec Déroulède à se retirer[199], il les engagea lui-même à le faire, après avoir remis à l’un d’eux les 50.000 francs qu’il avait sur lui[200], et, s’adressant aux manifestants qui criaient encore dans la rue et dont quelques-uns étaient montés sur la grille de la cour, il leur lança la formule où son amour-propre allait se raccrocher : « Allez dire à Paris que je suis prisonnier de l’armée, arrêté parmi les soldats pour qui je me suis sacrifié[201]. » Mais lui-même, avec Habert, il refusa de sortir. Roget étant venu en personne le lui demander[202], accompagné du colonel Gauchotte, il s’écria « qu’il avait essayé de défendre l’armée qu’on insultait », et, « se plaçant près du porte-drapeau », « qu’il voulait être arrêté militairement[203] », « qu’il ne demandait que ça ». Roget n’en put tirer autre chose, sauf cette question : « Comment se fait-il que ce soit vous qui vous soyez trouvé là, alors que votre brigade était ce matin avenue Gabriel ? » (en queue du cortège). Il portait, ainsi qu’Habert, son écharpe de député, « s’était bruyamment déboutonné pour la montrer[204] », et le général ne pouvait se défendre encore d’un certain respect devant ces insignes du pouvoir civil[205], même sur la poitrine de ces deux hommes qui avaient voulu le détruire. Puis, pendant que Roget ordonnait de fermer les portes de la caserne et faisait rompre les rangs à ses régiments, sans rendre les honneurs au drapeau, afin d’en finir plus vite[206], Déroulède se mit à déambuler à grands pas dans la cour et à interpeller les officiers qui l’écoutèrent, mais par curiosité, et les soldats qui, « n’ayant pas mangé depuis midi, se fichaient pas mal des manifestants[207] » : « L’armée, criait-il, me fait prisonnier, moi qui ai arrosé de mon sang les plis de son drapeau ; pour vous, j’ai eu trois duels ; vous êtes des lâches !… L’armée m’a trahi… Tout est pourri ici ; on a pourri les soldats ; vous n’êtes plus des soldats, vous êtes des parlementaires[208] ! » Et toutes sortes d’autres invectives et calembredaines de ce genre, avec de grands gestes, furibonds ou douloureux, vers Roget. Le capitaine Bastien observa que « ce qui pourrait lui arriver de pire, c’était d’être expulsé de la caserne »[209] ; et, comme la foule des braillards, au dehors, continuait à le réclamer, Roget leur dit en riant : « Mais il ne veut pas s’en aller[210] ! » Habert se démenait de son côté, et, comme il n’était pas aussi convaincu de leur défaite que son chef de file, il ne se contentait pas de déclamer, mais criait aux officiers « qu’il était encore temps de les suivre, que le peuple les attendait à la Bastille, qu’il dépendait d’eux de débarrasser la République d’une bande de coquins »[211].

Le colonel du 82e, Kerdrain (l’auteur du rapport sur Esterhazy au conseil d’enquête, s’indigna d’entendre tenir de pareils propos à des officiers et engagea Roget à les renvoyer de la cour, ce que le général trouva très sage[212]. Pourtant, Déroulède continua à bramer et il eût pu poursuivre son monologue jusque dans la nuit, si le général Florentin n’était enfin survenu. Roget lui rendit sommairement compte de ce qui s’était passé et, comme Florentin, bien qu’écœuré par la sorte de gens qui l’avaient accueilli dans la rue au cri rythmé de « Vive l’armée[213] ! » hésitait à porter la main sur les deux députés à cause de l’inviolabilité parlementaire, Roget lui expliqua qu’elle cessait devant le flagrant délit. Florentin, s’avançant alors vers eux, les invita une dernière fois à se retirer ; mais ils s’y refusèrent à nouveau, surtout Déroulède, dont l’excitation lui parut factice et qui, « se complaisant dans l’importance de son rôle », s’accusait à plaisir d’attentat et d’embauchage : « Je voulais sauver mon pays ! Le coup est manqué[214] ! » Le général lui annonça en conséquence qu’il allait le mettre en état d’arrestation et le fit conduire aussitôt, avec Habert, par des hommes de garde, à la salle d’honneur[215]. Les hommes, bien qu’un peu intimidés, firent leur devoir. Déroulède se plaça de lui-même au milieu des soldats[216], comme on fait à l’Ambigu, et leur adressa un dernier discours[217]. Puis, dès qu’il fut seul avec Habert, ils brûlèrent dans le poêle de la salle un tas de papiers, les proclamations dont ils étaient porteurs et des listes de noms et d’adresses. Il y en avait beaucoup ; les cendres débordèrent sur le parquet. Déroulède, à l’en croire, était sûr d’avance que « ses camarades de l’armée ne le fouilleraient pas » et résolu, ce qui paraît contradictoire, « à confier à l’un d’eux, au hasard, s’il l’avait fallu », toute sa compromettante paperasse[218].

Il était alors environ six heures et, les derniers braillards s’étant dispersés après avoir fait encore quelque tapage et réclamé Déroulède sur l’air des lampions, tout était rentré dans l’ordre. Florentin et Roget, qui étaient également ennuyés de cette histoire et qui trouvaient d’ailleurs « l’attentat plus théorique que pratique[219] », députèrent aussitôt Kerdrain aux deux prisonniers « pour les prévenir qu’ils pouvaient s’en aller ». Ils répondirent, « qu’ils voulaient rester arrêtés »[220], et force fut bien à Roget d’envoyer un rapport à Zurlinden[221]. Il le fit le plus édulcoré qu’il pût, bien qu’à raconter exactement les choses, il se serait beaucoup moins compromis qu’en les atténuant. Mais, précisément, ce qui lui pesait, c’était de n’avoir point failli à son honneur de soldat et il s’inquiétait des reproches que lui vaudrait sa loyauté. La visite d’un ancien collaborateur[222] de Rochefort, qui était devenu celui d’Arthur Meyer et qui avait fait partie de la bande des manifestants, ajouta à ses perplexités. Il l’autorisa à communiquer avec les députés[223] et, lui-même, se rendit à la salle où ils venaient de dîner et leur demanda, en présence du journaliste, comme l’avait fait précédemment Kerdrain, « s’ils persistaient dans l’intention de rester à la caserne »[224]. Déroulède, comme on pense, renouvela son refus, criant à son ordinaire[225] et se drapant dans son Brumaire raté. Il protesta qu’il n’était pas un vulgaire manifestant, « qu’il avait tenté d’embaucher les hommes de Roget et de les conduire à l’Élysée », qu’il ne voulait pas être mis dans la rue et que, certain d’être arrêté après ce qui s’était passé, il ne voulait pas l’être ailleurs qu’à la caserne[226]. D’ailleurs, « Roget avait tort de ne pas trouver la chose aussi grave qu’elle l’était »[227].

Roget lui dit « qu’il ne pouvait pas rendre compte de ce qu’il n’avait pas entendu », mais, comme « il ne pouvait ni le trouver moins coupable qu’il le déclarait lui-même, ni l’expulser de force », il n’insista pas et se retira dans son bureau[228].

Cependant Dupuy, informé par Zurlinden et par le bruit de l’échauffourée qui se répandait dans Paris, ne se sentait pas plus à l’aise que les généraux, avec cette nouvelle affaire sur les bras, qu’il n’avait pas su empêcher, malgré tant d’avertissements, et qui aurait pu tourner si différemment, sans l’esprit de discipline des soldats, la correction de Roget et la pusillanimité de Pellieux. Dès qu’il connut les faits qui étaient patents[229], il aurait dû faire décerner contre Déroulède et Habert un mandat d’amener pour complot, attentat et embauchage, mettre les scellés à leur Ligue et faire perquisitionner chez tous les complices présumés. Sauf à Reuilly, il n’y avait eu aucun désordre ; Zurlinden et les troupes qui défilèrent, après les obsèques, sur les boulevards, avaient été acclamés à l’ordinaire, mais sans qu’il en résultât de trouble ; « on eût dit un jour de fête populaire » ; et, le soir, autour des grands journaux, les manifestations ne différaient guère de celles des soirs précédents[230]. L’opération contre le complot décapité n’eût présenté aucune difficulté. Au contraire, Dupuy traîna pendant plusieurs heures, celles qui sont le plus précieuses après ce genre de mauvais coups, parce que les conspirateurs dans le désarroi n’ont pas encore eu le temps de détruire, comme l’avait fait déjà Déroulède, ou de mettre en sûreté leurs papiers ; et il ne s’occupa avec Lebret et le préfet de police que de diminuer l’événement, afin d’atténuer sa propre responsabilité. Il ne consulta même pas ses autres collègues, bien qu’il les eût sous la main, au ministère des Affaires étrangères, où ils dînaient avec Loubet et les missions diplomatiques et militaires qui avaient assisté aux obsèques de Faure. Avec sa décision et son cynisme ordinaires, il prit tout sur lui.

Il était près de minuit quand le commissaire Cochefert se transporta à Reuilly pour signifier à Roget « qu’il eût à garder les députés et à les considérer comme en état d’arrestation »[231]. Il revint ensuite vers une heure du matin[232] pour en prendre livraison et les faire conduire au Dépôt, après leur avoir donné lecture du mandat d’amener. Ils y étaient seulement inculpés « de s’être introduits dans la caserne à la tête d’une bande de manifestants et d’avoir refusé d’en sortir, malgré les injonctions de l’autorité militaire »[233].

Les « termes » de ce mandat parurent à Déroulède une injure. Un homme comme lui ne pouvait être coupable que d’un crime d’État. Il se récria tragiquement et fit insérer au procès-verbal « qu’il s’était rendu place de la Nation pour entraîner les troupes dans un mouvement insurrectionnel et renverser la République parlementaire ».

S’il était permis de faire de l’esprit avec les lois, Dupuy, en qualifiant de tapage l’acte de Déroulède, en le disqualifiant ainsi, aurait recommencé assez gaîment Mazarin. Mais sa préoccupation personnelle était trop visible et la loi ne distingue pas entre les attentats, qu’ils soient commis par des Bonaparte, des Matamore ou des Scapin.

Paris (le boulevard et le faubourg) s’amusa de cette équipée, parce que Déroulède n’avait jamais passé le grade d’un conspirateur d’opérette, et parce qu’il n’avait pas réussi ; à peine si quelques républicains, qui se souvenaient des débuts de Louis-Napoléon, protestèrent que traiter par le dédain la tentative de Reuilly, c’était inviter à la recommencer, et que ce prétendu coup de tête était certainement le résultat d’un complot.

Pour les royalistes, ils étaient furieux que Déroulède, « qui s’était conduit comme un fou[234] », leur eût fait perdre une si belle occasion, et inquiets pour leur propre compte, si la justice s’avisait de vouloir voir clair dans cette affaire et dans les opérations parallèles. Le duc de Luynes avait passé toute l’après-dînée avec Buffet « à attendre le résultat de la tentative » et l’arrivée des troupes entraînées par Déroulède[235] ; maintenant, ils attendaient la police. Guérin, après avoir assisté jusqu’au bout à la déconfiture de Déroulède, s’était barricadé chez lui avec une soixantaine de ses hommes qui le gardèrent jusqu’à 2 heures du matin[236]. Enfin, le duc d’Orléans, qui avait conféré dans la matinée avec des émissaires, envoyé plusieurs courriers à Paris[237] et couru toute l’après-midi et le soir, avec Chevilly et Monicourt, pour dépister les agents d’Hennion[238], reçut assez tard ce télégramme de Buffet : « Inutile venir, enverrons demain nouvelles…[239] », et il alla se coucher assez piteusement[240], sans même répondre, comme il l’avait fait, une autre fois, à une dépêche qu’il n’avait pu déchiffrer, par le mot en cinq lettres qui fut prononcé à Waterloo[241].

La République avait échappé à l’embuscade, et la voie semblait libre devant la Justice.

  1. Récit de Le Gall, directeur du cabinet civil, dans le Figaro du 22 février 1899 : « Le Président nous dit qu’il se sentait les jambes molles. »
  2. Les Chasses de Rambouillet depuis les temps primitifs de la Gaule jusqu’à nos jours (Imprimerie Nationale, 1898). — Une autre gravure, intitulée Minuit, le représente méditant, une plume à la main ; une autre (l’Île des Rochers), debout à la proue d’une barque, sur l’étang où vogue un cygne, au clair de lune.
  3. De 3 heures et demie à 4 heures un quart. (Récit de Le Gall.)
  4. Le prince m’avait écrit de Berlin : « J’entends dire partout que les Français ont perdu le sentiment de la justice… L’admiration qu’on professe pour la noble phalange qui défend le droit et la vérité ne me console pas de ces propos. » (13 février 1899.)
  5. « Je me souviens de l’embarras du Président, lors d’une visite antérieure, quand il me disait ; « Dreyfus est vraiment coupable, vous pouvez en être assuré. » (Lettre du 18 février.)
  6. Lettre du prince Albert : « J’ai quitté M. Faure à 5 heures. » Le Gall rapporte que le général Bailloud présenta alors les décrets à la signature, que Faure causa un quart d’heure avec Blondel, sous-chef du cabinet civil, et que, lui, Le Gall rentra à 6 h. 5, après s’être absenté pendant une heure.
  7. Mémoires (Éd. Boislisle), II, 353. — Cf. Mémoires de l’Abbé Le Gendre, 200.
  8. « Avec paralysie du côté gauche. » (Procès-verbal des médecins, Journal Officiel du 17 et note de l’Agence Havas.) — Sur l’apoplexie et l’hémorragie cérébrale, voir Grasset et Rauzier, Traité pratique des maladies du système nerveux, Ire partie, chap. Ier ; Brissaud, les Maladies de l’encéphale, au t. VI, Ire partie, chap. X du Traité de Médecine, publié sous la direction de Charcot, Bouchard et Brissaud ; Charcot, Leçons sur les maladies des vieillards, etc. — « Toute cause, physique ou morale, dont l’effet immédiat est d’accélérer la circulation en augmentant l’intensité de la systole cardiaque, est de nature à provoquer l’apoplexie sanguine chez les sujets porteurs d’anévrismes miliaires. » (Brissaud, 177.) — Voir Grasset, 95. — « Presque toujours la mort survient dans le coma, au bout de quelques heures. » (Brissaud, 169.) « La mort est la règle presque absolument générale à la suite du décubitus aigu. » (182.)
  9. Le colonel Humbert.
  10. « La syncope a des symptômes trop précis pour être confondue avec l’apoplexie hémorragique. » (Brissaud, 186.)
  11. Premier récit officieux du lendemain, Temps du 18 février, Débats, etc. — « En tous cas, le malade ne peut pas parler ; il bredouille quelques grognements d’une façon tout à fait inintelligible. » (Grasset, 20.) Selon Brissaud, l’aphasie (la perte complète de la parole) est rare. (180.) — La Libre Parole elle-même convint que le procès-verbal des médecins « détruisait la légende des adieux ». (23 février 1899.)
  12. Récit du 18. — Lannelongue arriva à l’Élysée à huit heures moins le quart ; il se rendit chez Dupuy vers neuf heures. — « Tantôt l’ictus débute par une crise convulsive identique à l’épilepsie et aboutissant à un sommeil comateux sans réveil. » (Brissaud, 177.) — Voir Appendice IV.
  13. Il tint le même propos à Le Gall.
  14. À 8 heures. (Note officielle de l’Agence Havas, du 16 février 1899, minuit.)
  15. Le Gall affirma que Faure, avant de tomber dans le coma, « entre 7 heures et demie et 8 heures », avait demandé un prêtre. (Note du 21 février.) L’abbé Herzog, curé de la Madeleine, raconta, de son côté, qu’il fut appelé vers 8 heures et demie à l’Élysée, qu’il y resta environ une heure sans voir le malade, que « les médecins ne croyaient pas à un danger immédiat », et qu’il retourna alors à son église « pour y faire son heure d’adoration perpétuelle ». (Éclair et Libre Parole du 25.) C’est alors que le garde lui fut dépêché à nouveau et rencontra l’abbé Renault.
  16. Récit de l’abbé Renault, dans le Temps du lendemain. L’acte de décès porte que Félix Faure, âgé de cinquante huit ans, mourut à 10 heures.
  17. Lettre à Mme X…, publiée en fac-similé par la Réforme de Bruxelles, 14 février 1899.
  18. Libre Parole du 23 février 1899. — L’article, signé « Lux », est intitulé : L’ont-ils tué ? Il est manifestement de Drumont. — Dès le 18, La Patrie insinuait que Faure avait été empoisonné par les juifs. — Les antisémites changèrent plus tard de version : c’était le prince de Monaco qui avait donné à Faure un cigare empoisonné qu’il tenait de Ranc ou de moi.
  19. Séance de la Ligue, du 17 février. — Haute Cour, I, 15, rapport Hennion. — Instr. Pasques, 36, Habert.
  20. Aurore du 17 février 1899. (Contre la Justice, 288.)
  21. Libre Parole. Intransigeant, Gaulois, Gazette de France, Patrie, du soir ou du lendemain. — Haute Cour, 8 décembre 1899. Bonnamour : « À Versailles, le jour du Congrès, on commentait violemment l’article de Clemenceau. »
  22. Voir t. III. 568.
  23. La déclaration en fut faite par Bourgeois à la réunion des groupes de gauche : « M. Brisson acceptera la décision des groupes républicains. »
  24. Libre Parole du 17 février 1899.
  25. Michelet, Histoire de France, II 58.
  26. Gambetta, Discours, V, 63 ; VIII, 273 ; IX, 334 ; etc.
  27. Par 177 voix (17 février 1899).
  28. Bourgeois, Millerand, Isambert, Pelletan. Sarrien, Viviani, Étienne, Thomson, Maurice Faure, etc. Brisson se rendit également chez Loubet.
  29. Boucher et les autres membres du bureau (moins Barthou), Alicot, Audiffred, Cochery, Charles Ferry, le lieutenant-colonel Guérin, Kerjégu et Antoine Perrier.
  30. Journal des Débats du 19 février 1899.
  31. Écho de Paris : « Si une autre candidature républicaine est opposée à M. Loubet, soit avant la séance du Congrès soit après son ouverture, M. Méline reprendra sa liberté d’action et laissera faire ses amis. »
  32. Il donna, le 19, sa démission de président du groupe, et fut remplacé le 21, par Méline.
  33. Déclarations de Méline et de Barthou dans le Temps (antidaté) du 19.
  34. Gazette de France, etc. du 18 février 1899. Le discours fut reproduit par l’Antijuif et répandu à plus de 100.000 exemplaires. (Rapport Hennion, etc.)
  35. C’était par son ordre que toute la droite royaliste avait voté pour Faure (Moniteur Universel du 17 janvier 1895). — Voir t. Ier, 559.
  36. Haute Cour, II, 41, lettre à Buffet ; lettres analogues du comte de Mayol de Luppé, du lieutenant-colonel (en retraite) La Tour du Pin Chambly, etc. (II, 44.)
  37. Haute Cour, 26 décembre 1899, réquisitoire du procureur général Bernard. Il raconta l’incident d’après un ami particulier de Déroulède, le député Pierre Richard, qui le confirma ultérieurement. (Libre Parole du 5 mars 1901, Petite République des 6 et 7 mars ; récit de Pierre Richard à Jaurès ; Galli, Paul Déroulède raconté par lui-même, 125.)
  38. Scellés Chevilly, dépêche du 17 février 1899. (Haute Cour, II, 59.)
  39. 17 février. (Haute Cour, I, 106). De même Honoré de Luynes (II, 59), Buffet (V, 9).
  40. Haute Cour, V, 170, scellés Buffet, pièce n° 27 : « Mon cher général, c’est à vous que je veux plus particulièrement m’adresser comme à un des représentants les plus élevés de l’armée… Je ne saurais oublier que, parmi vos services de guerre, un des plus marquants est cette campagne de Madagascar… Un moment peut venir où le danger qui menace mon pays m’obligera à me souvenir des graves devoirs que m’impose le droit national dont ma naissance m’a fait le représentant… Ce n’est pas un appel que je vous adresse : je tiens seulement à vous dire que si, avec l’aide de Dieu et le concours de la nation, je reprends un jour ma couronne, j’aurai à cœur de rendre à l’armée le prestige qu’elle doit avoir… etc. » — Buffet (16 novembre 1899) dit que « c’était une lettre type », « que le projet n’avait pas été accepté par le prince ». D’autre part, lors du procès des Ligues, il dit au juge Fabre « qu’il n’avait jamais eu de rapports avec un général, mais que, s’il croyait pouvoir par l’un d’eux rétablir la monarchie, il considérerait de son devoir de le lui demander ». (20 avril 1899). Lur-Saluces avoua franchement l’intention arrêtée de faire un coup avec l’armée (II, 110, à Cordier). De même Guérin (Antijuif du 22 janvier 1899, Dubuc (IV, 105), etc.
  41. Haute Cour, V, 170, pièce 5 : « J’ai dit : Le jour où mon pays aura besoin de moi, je rentrerai malgré tout. L’heure est venue, je tiens ma parole, je rentre… etc. ». — Aux perquisitions, on trouva deux projets de proclamation, l’un dont Buffet s’avoue l’auteur « pour une partie », l’autre qui fut revendiqué par Sabran et qui daterait de 1898. (V, 173, Buffet ; 16 novembre 1899), Buffet et Sabran.) « C’était, dit Buffet, des exercices d’esprit. »
  42. Haute Cour, IV, 105, Dubuc à Brunet. — Les amis de Dubuc étaient, notamment Davout dit Cailly, Brunet et Flavin Brenier, « des frères de la Mort ».
  43. Ibid., II, 41, le baron de Brandois à Buffet, du 18 janvier 1899 ; 105, IV, Dubuc.
  44. Déclaration du 26 février au commissaire de police ; de même, le 16 novembre 1899, à la Haute Cour. — Sabran avoua les mêmes intentions exprimées dans un langage « plus militaire. (17 novembre.)
  45. Gaulois du 19 septembre 1899.
  46. Haute Cour, II, 111, Lur-Saluces à Cordier, du 24 octobre.
  47. Rapport Hennion, 14. — « Il avait reçu précédemment Buffet, de Ramel, Lur-Saluces, Sabran, Fréchencourt et Chevilly. (Haute Cour, I, 103 et suiv., dépêches ; II, 6 et 7.)
  48. 29 janvier 1899. — Haute Cour, 17 novembre 1899, interrogatoire de Sabran.
  49. Millerand, dans la Lanterne du 18 février 1899.
  50. 10 et 15 février.
  51. Siècle du 14 février.
  52. Écho de Paris du 19 février 1899 : « Le mal était très grand, car le 19 (novembre 1892) tombait un samedi : c’était le renvoi des citations au surlendemain, et, dès la nuit suivante, le baron de Reinach mourut, ce qui fait que, malgré ma volonté, il ne fut jamais touché par mes huissiers. »
  53. Le 20 novembre 1892, Quesnay m’avait écrit : « Le magistrat a gravi hier l’âpre chemin et jamais on ne saura ce qu’il a souffert ; aujourd’hui, il jette au feu le fatal papier que le président du Conseil avait providentiellement arrêté dans ses mains. C’est fini. Il a oublié jusqu’au nom prononcé et écrit la veille… Nous sommes arrivés à une heure d’effondrement et de décomposition qui serait suivie de la chute du Régime lui-même si, dans un avenir prochain, ne se retrouvent une petite phalange de citoyens de foi et de courage, comme vous, pour travailler au sauvetage suprême… etc. » La veille, c’était Quesnay lui-même (par une carte-télégramme, datée de 2 heures), qui m’avait prévenu, « avec un grand serrement de cœur », que « les citations contenaient un nom qui me tenait de près ».
  54. L’article est intitulé Déclaration.
  55. Galli, loc. cit., 125. — Il l’avait dit également à Rochefort, qui en déposa. (Procès Déroulède, 10 mai 1899.)
  56. 19 février 1899. — Le résultat du scrutin fut proclamé par le premier vice président du Sénat, Franck Chauveau.
  57. Salluste, Catilina, XXI : Illis quieta movere magna merces videbatur.
  58. Rapport Hennion, du 18 février à 1 heure 1/2 du soir. (Haute Cour, 1, 15.) — Rapports du commissaire Archer, de l’officier de paix Nadaud, etc. — D’autres dépêches de divers officiers de paix sont datées de 11 heures du matin, midi, 1 heure, 2 h. 55, etc., et préviennent des mouvements et des intentions des manifestants. (I, 55.) — Sabran nia qu’il eût participé à cet embauchage (17 novembre 1899) ; il n’était pas à Paris.
  59. Temps du 18, Débats, etc.
  60. « À raison de cinq francs. » (Dépêche de Coston, officier de paix, 11 h 1/2 du matin.)
  61. Écho de Paris du lendemain ; dépêches des officiers de paix du 18. (Haute Cour, I, 58 à 60.) — Les prédécesseurs de Loubet à la Présidence de la République (Carnot, Casimir-Perier, Faure) étaient revenus en voiture de Versailles à Paris. Dupuy lui fit prendre le chemin de fer, ce qui, peut-être à son insu, facilita la manifestation.
  62. Cour d’assises de la Seine, procédure contre Déroulède et Habert, mars 1899, dans les documents distribués à la Haute Cour, Instr. Pasques, 27, Déroulède. — Haute Cour, 20 novembre 1899 : « J’ai dit à Marcel Habert… etc. »
  63. Libre Parole, du 19 février 1899.
  64. Haute Cour, I, 58, dépêche de l’officier de paix Murail.
  65. Instr. Pasques, 27, et Haute Cour, 20 novembre 1899, Déroulède. — L’Écho donna, dès le lendemain, les principaux passages de cette harangue, moins la fin. Il entrevit tout à coup la possibilité d’un brusque et heureux dénouement. » (Galli, loc. cit., 126).
  66. Haute Cour, I, 65 à 70, dépêches des officiers de paix ; Libre Parole du 19, etc.
  67. Instr. Pasques, et Haute Cour, 20 novembre 1899, Déroulède.
  68. Haute Cour, 6 décembre 1899, Puybaraud, inspecteur général des services administratifs. Il précisa qu’il fut informé, « pour argent » par des gens du monde : « Ils profitent de votre confiance, de l’abandon que vous avez dans vos conversations pour venir nous rapporter ce qu’ils savent… etc. » De même Hennion, à la commission d’instruction : « J’ai reçu de nombreux rapports émanant de différentes sources dont la majeure partie se trouve aux endroits même où s’organise l’agitation. » (5 octobre 1899.)
  69. 20 février 1899.
  70. 19 février.
  71. 20 février 1899.
  72. 21 février.
  73. Instr. Pasques, 68, Déroulède : « Depuis six mois, j’ai préparé et réuni tous les éléments d’une insurrection nationale. » De même Habert (36). — Rapport Hennion du 11 février : « L’autre soir, Habert. Poirier, etc., parlaient d’organiser une manifestation place de la Concorde ; si l’on était en nombre, on tenterait d’envahir le Palais Bourbon ou l’Élysée. »
  74. Ibid., 33, 37, 122, Déroulède ; 36, Habert.
  75. Habert se fût contenté d’un régiment ; Déroulède explique « qu’il n’a jamais voulu de pronunciamento de régiment, d’escadron ou de batterie ». (33). — Voir p. 575.
  76. Instr. Pasques : « Le Gouvernement, était à nous. »
  77. Ibid., 608, Déroulède : « Prétendre que j’ai tâché de décider les troupes à me suivre à Paris, sans autre but que de les empêcher de rentrer à leur caserne, ou déclarer que je rêvais de m’installer à l’Élysée sans m’être assuré de qui pourrait m’y rejoindre, sont deux chefs d’accusation aussi indignes de vous que de moi. »
  78. Ibid., 31, Déroulède : « J’ai pu brûler ces papiers… C’étaient, entres autres, une proclamation au pays et des lettres adressées à diverses personnalités politiques, les conviant à signer avec moi l’affirmation du maintien de la République, l’abrogation de la Constitution de 1875 et la convocation du peuple pour l’élection d’une Constituante. — Vous vous croyez donc sûr de l’appui de certaines personnalités politiques ? — Certainement, oui. »
  79. Instr. Pasques, 36, Habert.
  80. Déroulède donna lui-même lecture de cette proclamation, où éclate tout son plan, à la Haute Cour. (20 novembre 1899.) « Cette proclamation devait être affichée après le renversement d’un certain gouvernement… Par qui cette proclamation est-elle signée ? Par qui devait-elle l’être ? Peu importe ; les termes mêmes vous prouvent qu’elle pouvait l’être par de bons républicains. » — Ces » termes » indiquent, assez nettement, que la proclamation ne devait pas être signée seulement par Déroulède.
  81. Instr. Pasques, 32, Déroulède.
  82. Rapport Hennion, « février 1899 : Rapport Blanc, mars 1899 : « Déroulède reçut quelques jours avant son équipée une somme de 50.000 francs. La Ligue reçut également des fonds de M. Boni de Castellane, député royaliste. »
  83. Lettre du 15 février. (Galli, loc. cit., 124.)
  84. Instr. Pasques, 31, Déroulède.
  85. C’est ce dont était convenu Cassagnac : « Si j’avais l’ombre d’un remords au sujet du 18 Brumaire et du 2 Décembre, il s’envolerait en voyant le gouvernement de la République avoir pour la légalité, quand elle le gêne, exactement le même dédain que les Bonaparte. » (Autorité du 12 janvier 1893.)
  86. Instr. Pasques, 26, 29, 69, Déroulède ; 36, 70, Habert. — Arrêt de renvoi : « Les inculpés reconnaissent les faits… etc. » (119.)
  87. Haute Cour, 20 novembre 1899, Déroulède : « Si je n’ai marché ni avec des colonels, ni avec des chefs de bataillon, c’est pane qu’il reste en moi un vieux fond de hiérarchie ; je ne voulais pas marcher à moins de généraux ; j’aurais mieux aimé un généralissime… etc. » De même à l’instruction Pasques, 33, et dans sa lettre du 14 mai à Dupuy : « Ce n’est pas un régiment que j’ai essayé de soulever, c’est un général que j’ai tenté d’entraîner avec sa brigade, je n’ai pas proposé l’indiscipline à des soldats, j’ai proposé une révolte à un chef. »
  88. Ni le juge Pasques ni le président de la Haute Cour ne lui demandèrent à quels généraux il s’était adressé ; il se fût refusé à les nommer, et, s’il les avait nommés, ils l’auraient démenti.
  89. C’est ce que lui reprocha Cassagnac : « Ces choses-là », — la complicité d’un général, — « on ne les dit jamais, alors même que c’est vrai. » (Autorité du 28 février 1901.)
  90. Voir p. 234.
  91. Il écrivit, le 11 février 1899, à sa mère : « Ne t’inquiète aucunement. Nous menons le bon combat, mais sans danger, car nos adversaires sont des lâches. I love you with all my heart. g. de pellieux. » (Cette lettre fut publiée par son cousin G. de Maizière, dans le Gaulois du 8 avril 1903.)
  92. Même lettre.
  93. On trouvera, dans les pages qui suivent, les preuves de cette entente verbale ou, si l’on veut, de cette ébauche d’entente entre Pellieux et Déroulède. La certitude que j’ai de cette « reconstitution » résulte, non seulement de renseignements particuliers qui me sont venus de diverses personnalités royalistes, très au courant de ces incidents, mais d’un ensemble de faits acquis, incontestés : 1° que Déroulède, à la place de la Nation, attendait un général ; 2° que ce n’était pas Roget ; 3° que Pellieux se fit renvoyer directement par Zurlinden du Père-Lachaise à l’Hôtel des Invalides, laissant, par ordre, à un colonel, le commandement de sa brigade ; 4° que Guérin avait été averti du coup. Les dépositions de Zurlinden et de Roget, les divers récits de Déroulède, celui de Gaston Méry (sauf en ce qui concerne la trahison de Guérin), celui de Spiard, concordent ou s’enchaînent parfaitement. Si Déroulède a écrit des Mémoires, il faudra les contrôler par ses propres dépositions et son discours de Saint-Sébastien. ADDENDUM tome 7, p. 293 : [— Tout ce que j’ai écrit ici, en 1904, dans le texte et les notes, et plus loin page 593 et suivantes, a été confirmé par Déroulède lui-même aux obsèques de Barillier, le 3 octobre 1910. Voici, d’après le compte rendu des journaux, le principal passage du discours prononcé par Déroulède aux obsèques de son ami : « Je veux rappeler, dit-il, un événement auquel le défunt fut mêlé : certains journaux ont assuré que c’était par hasard qu’il avait joué un rôle dans l’affaire de Reuilly. « Eh bien non ! ce n’est pas par hasard que nous nous trouvions le 18 février, Barillier et moi, place de la Nation. Rien de ces événements n’a été dû au hasard ; ce qu’il y a eu d’inattendu, c’est un général qui est venu et qu’on n’attendait pas au lieu d’un général qui devait venir et qui n’est pas venu. « Le général Roget ne nous a pas trahis, il n’avait pas à nous trahir et ce n’est pas lui qui nous a fait arrêter, c’est le général Florentin. « Voilà le secret que Barillier voulait que je garde ; mais puisqu’il n’est plus, je le crie aujourd’hui bien haut. »]
  94. Instr. Pasques, 27, Déroulède ; 37, Habert ; Haute Cour, 16 décembre 1899, Thiébaud.
  95. Rapports d’Hennion du 20. (Haute Cour, I, 16.) Dès janvier, Coppée disait, le soir de la première conférence de Lemaître : « Il y avait tellement d’enthousiasme ce soir-là que, si nous avions eu un homme à notre tête, nous marchions sur l’Élysée. (Rapport du 26 janvier.)
  96. Instr. Pasques, 27, 28 et 29, Déroulède ; 37, Habert. — Ces trois points sont désignés par Déroulède.
  97. Notez, l’expression : une colonne et non une brigade. L’ordre officiel du cortège mentionne comme suit les troupes placées sous les ordres de Pellieux : « 29e bataillon de chasseurs ; 1 compagnie de fusiliers marins ; une demie-compagnie de la garde républicaine ; 1 peloton de marins et infanterie de marine ; 1 peloton de l’École Polytechnique ; 1 peloton de l’École de Saint-Cyr ; une demie compagnie de la garde républicaine ; 2 bataillons du 4e régiment d’infanterie. »
  98. Gaulois, Libre Parole, etc., du 21 février 1899.
  99. L’idée d’une interpellation fut vivement appuyée par Waldeck-Rousseau. Dupuy, pour se tirer d’affaire, avait annoncé dans « une note officielle qu’il était décidé à réprimer toute manifestation qui serait de nature à troubler l’ordre public ». (20 février.) Les groupes ajournèrent leur décision.
  100. Instr. Pasques, 69, Déroulède : « Cette décision, encore provisoire le mercredi matin à 10 heures, me fut transmise en même temps que l’on m’annonçait que le président du Conseil nous attendait à 2 heures pour en discuter. »
  101. Temps, Matin, etc., du 23 février 1899.
  102. Rapport Hennion. (Haute Cour, I, 17.)
  103. Instr. Pasques, 69, Déroulède.
  104. Ibid., 29, Déroulède ; 37, Habert.
  105. Ibid., 40, Habert. — Rapport Hennion.
  106. À 50 centimes. (Haute Cour, I, 7, Rapport du préfet de police). 30.000 cartes spéciales furent commandées chez Paul Dupont. (Rapport Hennion.) « On en a envoyé 5.000 à la Jeunesse antisémite et à la Jeunesse plébiscitaire, 2.000 aux groupes du parti socialiste français. »
  107. Instr. Pasques, 27, Déroulède ; 37, Habert.
  108. Ibid., 27, Déroulède : « Ce n’était plus qu’un prétexte » ; 37, Habert.
  109. Instr. Pasques, 27, Déroulède ; 78, Baillière.
  110. Ibid., 37, Habert.
  111. Ibid., 27, Déroulède ; 78, Baillière ; 82, Jarzuel. — C’était notamment Baillière, architecte, et Barillier, boucher. — 56 commissaires furent envoyés, en voiture, dans les divers arrondissements pour prévenir les amis ; « l’argent nécessaire leur avait été remis par Habert ». (Rapport Hennion, 23 février, matin.)
  112. Instr. Pasques, 81, Jarzuel, rédacteur au Gaulois et membre de la Ligue des Patriotes. — Déroulède a raconté plus tard qu’une démarche avait été faite par un journaliste royaliste (Georges Poignant) auprès de Marcel Habert. (Écho de Paris du 20 mars 1901.)
  113. Haute Cour, I, 72 et 75, dépêches des officiers de paix.
  114. 18 et 19 février 1899. (Haute Cour, I, 107, télégrammes Fréchencourt et Buffet.)
  115. Haute Cour, 16 novembre 1899, Buffet.
  116. 21 février 1899. — Haute Cour. I, 115, rapports du brigadier de gendarmerie Montagnon (des 24 et 25 février 1899). — VII (Dépositions), 32, Montagnon ; 35, docteur Duréaux : « Tel est le récit que j’ai fait au brigadier ; il est l’expression de la vérité et je n’ai rien à y ajouter non plus qu’à en retrancher. » — Buffet, à l’audience publique, dit qu’il fut étranger aux démarches faites à Longuyon : « Peut-être le Prince les a-t-il faites ? » Précédemment il avait avoué : « Le jour où j’aurai télégraphié au Prince que tous seront à leur poste, il peut rentrer par vingt points de la frontière avec l’assurance de trouver quelqu’un pour le recevoir. » (16 novembre 1899.) Buffet ajouta que le duc était trop surveillé à Bruxelles pour pouvoir rentrer par la frontière belge, ce qui expliquait sa précédente dépêche relative à Luxembourg (voir p. 583) et le choix de Longuyon. À l’audience du 23, Duréaux maintint son récit et, de même, Montagnon, le 24.
  117. Dépêche à Chevilly. (II, 59) Le duc arriva le 20 février à Bruxelles.
  118. II, 4, Rapport Hennion, d’après son agent à Bruxelles. — Haute Cour, 16 novembre 1899, Buffet : « Nous ne pouvons réussir que par un attentat… etc. »
  119. Haute Cour, II, 60 et 61, lettres de la baronne de Waru et de la baronne d’Adelswärd, née Pourtalès, au duc d’Orléans ; de Mme Jules Porgès, née de Wodianer, à Mme de Waru : J’accompagne (ces cent mille francs) de mes vœux très ardents pour le relèvement de mon pays. » Mme de Waru au duc : « Je vous envoie mon mari pour vous demander si nous devons verser l’argent à M. de Ramel. »
  120. VI, 57, de Ramel. (Interrogatoire du 13 octobre 1899.) Dépositions conformes de Mmes de Waru, d’Adelswärd et Porgès, d’Amédée Dufaure, Bézine, le comte Fruchard, etc. VII, 56 et suiv.) De même Buffet (16 novembre 1899) et de Claye (14 décembre). — Ramel produisit une circulaire d’avril 1899 sollicitant des souscriptions pour la création d’un journal à cinq centimes qui aurait été décidée dans une réunion du 5 février. La liste, au 15 juillet, comprend : 1° des engagements antérieurs à la circulaire, 254.000 francs, dont les 200.000 remis à Mme de Waru ; 2° des engagements postérieurs montant à 105.000 francs. (VI, 62 et suiv.) — Le baron de Waru convint d’avoir envoyé à Londres, le 5 octobre 1899, la somme de 185.000 francs, restant, à cette date, des 200.000, « quand il avait vu le bruit fait autour de cette affaire ». (VII, 59.) — Chevilly, chez qui furent saisies les deux lettres, dit au juge Fabre, chargé d’instruire sur les ligues royalistes, « qu’il ne savait aucunement à quoi elles faisaient allusion. » (20 avril 1899 ; Haute Cour, VI, 232.)
  121. Rapport Hennion du 22 février 1899. (I, 17.)
  122. Haute Cour, VI, 116, Godefroy, et discours du 22 mars 1899.
  123. Ibid., 10 novembre 1899, Buffet ; 21 novembre, Guérin.
  124. Libre Parole du 19 février.
  125. Le Réveil Français, journal de Guixou-Pagès et du colonel de Parseval, précise qu’on enrôla cinq cents individus. (24 février 1899.) — Guixou-Pagès allégua que l’article, emprunté par son propre journal à la Gazette de France, était inexact. (VI, 70.) Sabran démentit qu’il eût participé aux embauchages (109), ce qui fut contredit par Canoine, Delbaude, Noël et autres embauchés. Un nommé Jaeger, au service de Sabran, prétendit avoir tiré l’argent de sa propre poche. — de Vaux avoua ; on avait saisi chez lui des convocations pour la journée du 23 février. (Instr. Fabre, 19 avril.)
  126. Rapport Hennion du 22 février. — Haute Cour, IV, 67 ; et 28 novembre 1899, Peretti, l’un des compagnons de Guérin, même déposition de Guérin le 21 ; à l’audience du 28, Guérin et le sénateur Le Provost de Launay accusèrent Peretti d’être un « mouchard », comme Guérin en accusait également Thiébaud (Anti-Juif du 25 mai 1902) et comme Méry et Drumont l’en accusèrent. — Les antijuifs rapportèrent les télégrammes qu’ils avaient reçus, et Guérin les fit brûler. (Rapport Hennion, 24 février 1899.)
  127. Haute Cour, I, 7, rapport du préfet de police.
  128. Rapport Hennion, notes des 22, 23 et 24 février 1899. Il fut tenu au courant, on peut dire heure par heure, de ce qui se tramait des deux côtés. (Haute Cour, I, 16 à 19.) — Spiard, Coulisses du Fort Chabrol, 80.
  129. Télégramme de 4 h. 40. (Haute Cour, I, 109.). Selon Buffet (16 novembre 1899), il ne s’agissait pas des postes préparés à Paris, mais des dispositions prises « sur tous les points du territoire, même sur la frontière de mer, pour recevoir le duc d’Orléans », Ce qui confirme le récit de Duréaux. (Voir p. 583.)
  130. Haute Cour, 16 novembre 1899, Buffet : « Ce jour-là a été pour moi le grand jour, celui où la révolution spontanée pouvait se faire. »
  131. Haute Cour, I, 7, rapport du préfet de police, Charles Blanc.
  132. Rapport Hennion du 23 février 1899.
  133. Barrès (Scènes du Nationalisme, 235) note ce détail, mais appelle la jeune captive « Mlle de Coislin ».
  134. Je suis ici le récit de Déroulède dans son discours du 23 février 1901, à Saint-Sébastien, pour l’anniversaire de l’échauffourée de Reuilly. Précédemment, à l’instruction Pasques et au procès de la Haute Cour, il n’avait fait allusion qu’incidemment à cet épisode. Même à Saint-Sébastien, il désigna seulement son interlocuteur par une périphrase : « Quelqu’un dont je tairai le nom, mais que j’avais des raisons de croire tout à fait des nôtres. » La certitude qu’il s’agit de Castellane résulte non seulement de conversations particulières de Déroulède qui m’ont été rapportées, mais du récit de Spiard, des articles de Gaston Méry, dans la Libre Parole (29, 30 et 31 mai 1902), qui n’ont pas été contestés sur ce point par les intéressés, de l’article du Figaro (14 mars 1901) qui avait été écrit sur des confidences de Cassagnac, et du démenti même adressé au Figaro par Castellane. « Nulle part Castellane ne nie le fait matériel de sa visite à Déroulède et il s’indigne seulement (dans sa lettre à de Rodays, du 14 mars) du rôle qu’on lui attribue d’avoir trahi Déroulède et averti le Gouvernement ou Pellieux. » (Gaston Méry.) — Les rapports de police confirment ces versions concordantes. — Jaurès ayant supposé que le visiteur mystérieux était Guérin, Déroulède le démentit formellement (dépêche du 27 février 1901 à Drumont, et de même Guérin (dépêche du 28 à Monniot, de la Libre Parole).
  135. « Je lui f… la main au collet. » Haute Cour, 20 novembre 1899.)
  136. Castellane avait donné des fonds à la Ligue. (Voir p. 573.)
  137. D’autres démarches avaient été faites précédemment. (Voir p. 582.)
  138. Spiard, 92 : « J’avais de la peine à calmer l’énervement de mes amis quand enfin parut, en coup de vent, M. Boni de Castellane. » Gaston Méry : « Il est établi que, cette même nuit, Castellane a eu une entrevue avec Guérin… Il chercha à obtenir le concours de la Ligue antisémite à l’effort qu’allait tenter Déroulède. »
  139. Spiard, 89 à 94.
  140. Cassagnac, dans l’Autorité du 28 février 1901.
  141. Spiard, 94.
  142. Gaston Méry : « Sous couleur de conseil à demander, Guérin parle habilement du plan de Déroulède à l’ami dont il a l’habitude de prendre les avis avant d’agir. Cet ami, qui est royaliste, se dit qu’il était de son devoir d’empêcher les plébiscitaires de réussir… Sans rien faire savoir d’ailleurs au Gouvernement, on prévint le général sur qui Déroulède comptait que des indiscrétions avaient été commises… etc. » Méry dit formellement qu’il s’agit de Pellieux. — Déroulède, dans son discours de Saint-Sébastien, termina en ces termes le récit de l’incident : « Le lendemain, de midi à quatre heures, une main mystérieuse avait bouleversé les préparatifs concertés : l’emplacement, la dislocation, l’ordre, le commandement des troupes étaient changés ; le soir, Marcel Habert et moi nous étions arrêtés… J’affirme que ma tentative n’a échoué que parce que les royalistes avaient compris que je ne laisserais jamais toucher à la République. J’en ai eu sur l’heure le pressentiment, j’en ai depuis quelques mois la certitude… Il n’y a pas que des sectaires rouges, il y a aussi des sectaires blancs. » Buffet protesta aussitôt que « les royalistes n’avaient envoyé aucun émissaire à Déroulède » et « qu’ils ne l’avaient pas dénoncé ensuite au Gouvernement », ce que Déroulède n’avait pas dit, mais insinué. Déroulède lui envoya alors ses témoins, après avoir formellement maintenu son récit contre « MM. les conseillers du Roi », et une rencontre fut décidée « pour avoir lieu en Suisse » ; mais la police de Lausanne l’empêcha. (Mars 1901.) — Esterhazy dit simplement : « Ces gens-là (les généraux) ont très bien pu promettre leur concours et flancher après. » (Matin du 17 mars 1899.) Selon une autre version, Arthur Meyer, à qui Castellane avait également raconté sa scène avec Déroulède, aurait fait prévenir Pellieux, par De Maizières, des menaces que le chef des Patriotes avait proférées contre le Duc.
  143. Je suis ici le récit, très manifestement véridique, de Zurlinden. (Haute Cour, Affaire Lur-Saluces, 25 juin 1901.) Zurlinden avait été cité par le ministère public.
  144. Récit de Zurlinden au général André, (Petit Sou du 23 mars 1901.)
  145. Il s’adressa au directeur de la police municipale, Touny. — À la même heure (3 heures environ), Hennion télégraphiait à l’Intérieur : « Les ligueurs ont rendez-vous, place de la Nation, au café Arago. Déroulède s’y rend. » Habert s’établit au café Arago ; Déroulède, dans une loge de concierge. Le renseignement venait d’une des personnes qui avaient déjeuné avec Déroulède ou avaient assisté à son départ (en voiture) avec Barrès, un peu plus tard, un inspecteur des brigades de recherche téléphona à la préfecture de police que Déroulède, fatigué était rentré chez lui.
  146. Haute-Cour, Zurlinden : « Les ordres ont été donnés, la veille des obsèques, après de longs pourparlers entre mon état-major, le cabinet du ministre de la Guerre et la préfecture de police. Ils existent encore aux archives du gouvernement militaire de Paris. Ils ont été exécutés à la lettre ; j’ai apporté une seule modification, vers la fin de la cérémonie, sur les instances de M. le général de Pellieux. »
  147. Journaux du 24 février 1899. — Une note du ministère de la Guerre expliqua que l’erreur de Kermartin n’avait pas été intentionnelle. Le général alla présenter ses excuses à Loubet.
  148. « Il me paraît impossible d’admettre qu’il ait jamais pu promettre son concours pour une bagarre comme celle fomentée par M. Déroulède, et qu’il ait consenti à se révolter contre le gouverneur militaire de Paris, en présence de toute la garnison de Paris, alors qu’il n’avait pas deux bataillons sous ses ordres. » Aussi bien « Pellieux était un très galant homme, incapable de dénoncer ceux dont il aurait reçu les confidences ».
  149. Article 75 : « Les chefs de poste informent le major de la garnison, dans un rapport spécial, de tout événement offrant quelque gravité et que l’autorité supérieure a intérêt à connaître sur le champ. »
  150. Barrès, Scènes du Nationalisme, 238.
  151. Déroulède dit qu’il avait prélevé cet argent sur la caisse de la Ligue et qu’il s’en était muni « pour ravitailler les soldats qui étaient sur pied depuis 6 heures du matin et parer aux premiers besoins ». (Écho de Paris du 12 juin 1899.) — De même Barrès : « Déroulède jugea nécessaire que je connusse cet argent. (238) À la Haute Cour, il passa l’incident sous silence. Cette somme de 50.000 francs avait été indiquée, dès le mois de mars, par le préfet de police dans son rapport.
  152. Haute Cour, 16 décembre 1899, Thiébaud. — Il avait déjeuné avec Déroulède et quelques amis (dont Andrieux, l’ancien préfet de police, Barillier et Barrès) et s’était rendu à la place de la Bastille, mais il n’alla pas plus loin. — Instr. Pasques, 37, Habert ; 66, Carnat, officier de paix. Il dit qu’il n’a pas entendu Habert donner ces ordres ; sinon, il se serait rendu à la place de la Nation.
  153. Ibid., 10, Lasies. — Roget convient de l’avoir aperçu sur la place, entre autres « figures de connaissance ». (16.) — Dans le monde bonapartiste, on était au courant des projets de Déroulède. À midi, la baronne Lepic télégraphia à sa mère, à Bruxelles : « Ici, presque révolution. Déroulède avec Petit Chapeau et mille hommes marche sur l’Élysée. On va faire appel au peuple. On croit duc d’Orléans ici. Prince Henri grandes chances. » Appelée à déposer, Mme Lepic expliqua que sa dépêche « était le résumé de tout ce qui se racontait dans les salons ». (Haute Cour, VII, 160.)
  154. Guérin avait amené un fiacre avec plusieurs caisses de cartouches (4.000). « Les antisémites étaient prêts à se servir de leurs armes. (Rapport Hennion ; ; Spiard, 97 ; Haute Cour, IV, 68, Peretti ; V, 180, Leproust ; 185, Ribourg, etc.) Le cocher de Guérin démentit le récit de Peretti. (28 novembre 1899.) — Sabran et Guixou-Pagès étaient restés à la place de la Bastille.
  155. 4.000 ligueurs, selon Baillière (79), 5 à 600, selon Jarzuel (82).
  156. Instr. Pasques, 38, Habert. — Cette absence de la police ressort de toutes les dépositions. Le commissaire de police Goulier, qui se trouvait au café Arago, assista à la tentative de Déroulède, mais sans y intervenir. (83, Goulier.) Un inspecteur, à bicyclette, suivit les émeutiers jusqu’à la caserne de Reuilly. (I, 76, dépêche au préfet de police.) — À l’audience, de la Haute Cour, l’un des avocats (Me Quentin) constata que Dupuy, malgré les rapports d’Hennion, « n’avait pris aucune précaution, comme il eût été de son devoir de le faire ». (5 décembre 1899.)
  157. 23 février 1899 (3 heures du soir). — À 3 heures et demie, le sous brigadier Génin télégraphia que Déroulède se dirigeait vers la place. (Haute Cour, I, 75.) C’était la bande d’Habert.
  158. Instr. Pasques, 38, Habert.
  159. Ibid., 12, Roget ; Gauchotte, colonel du 4e de ligne ; 24, sapeur Pager ; 33, Déroulède : « Un peloton d’amis à moi… etc. » — 79, Baillière : « Déroulède m’a fait un signe dans lequel j’ai compris : Ça y est, nous allons agir. »
  160. Ibid., 67, Peretti. Déroulède aurait répondu : « Celui-là ou un autre, cela ne fait rien. » À la Haute Cour (20 novembre), Guérin et Déroulède conviennent de leur rencontre, mais sans relater ce dialogue. Spiard raconte que Guérin l’avait envoyé au-devant de la troupe pour s’assurer si c’était Pellieux qui la conduisait (98).
  161. Barrès, loc. cit., 241.
  162. 4e, 82e, 113e et 131e régiments de ligne.
  163. Haute Cour, VII, 101, Roget (Déposition du 7 octobre 1899.) — On raconta, par la suite, qu’il avait dîné avec Déroulède et Quesnay, chez une de leurs amies ; c’était faux.
  164. Instr. Pasques, 11, Roget.
  165. Ibid., 61, Florentin.
  166. Instr. Pasques, 29, Déroulède. — De même Roget : « J’étais le premier général qui se présentât sur cette place. Était-ce à moi qu’on en voulait ou au premier général qui paraîtrait ? Cette dernière hypothèse est la plus vraisemblable. » (Ibid., 12.)
  167. Haute Cour, 21 novembre 1899, Guérin.
  168. Instr. Pasques, 79, Baillière.
  169. Ibid., 12, Roget.
  170. Ibid., 12, Roget. — Il existe, de Roget, cinq récits de l’affaire de Reuilly : son rapport du 23 février à Zurlinden et ses dépositions du 24 devant Cochefert, du 25 devant le juge Pasques, du 30 mai 1899 à la cour d’assises et du 1er décembre 1899 devant la Haute Cour. Ces récits concordent sur presque tous les points ; je suis de préférence celui du 24 février 1899. — Pour les divers récits de Déroulède, Habert et autres, je suis, de même, ceux qui furent recueillis par le juge Pasques, au lendemain de l’affaire de Reuilly. Je ne renvoie aux autres que pour des incidents qui n’y sont pas mentionnés.
  171. Instr. Pasques, 12, Roget.
  172. Ibid., Roget.
  173. Ibid., 29, Déroulède. — Roget dépose (13) « qu’en son âme et conscience, il ne peut pas dire exactement quels sont les cris qui ont été poussés et par qui ». De même Gauchotte (17), Habert (38), le soldat Jules (59), etc. L’avocat Hornbostel (84) entendit » distinctement » ces mots : « À l’Élysée, mon général ! »
  174. Ibid., 10, Lasies : « J’ai profité de cette occasion… etc. »
  175. Haute Cour, 21 novembre 1899. Guérin.
  176. Talmeyr (du Gaulois) et Bonnamour (de l’Écho de Paris). — Selon Barrès, les regards d’Habert sur Guérin « n’étaient point d’un complice à un complice. » (Loc. cit., 245.)
  177. Instr. Pasques, 12, Roget ; 17, Gauchotte, 29, Déroulède ; 38, Habert ; 51, capitaine Morris, officier d’ordonnance de Roget.
  178. Ibid., 12 et 65, Roget ; 24, sapeur Pager ; 38, Habert ; 40, caporal Dessaint ; 45, sapeur Napoléon ; 48, sapeur Delavoix.
  179. Ibid., 12, Roget ; 17, Gauchotte ; 51, Morris.
  180. Haute Cour, 21 novembre 1899, Guérin.
  181. Instr. Pasques, 12 et 14, Roget ; 17, Gauchotte ; 38, Habert, etc. — Roget affirme d’abord « n’avoir ni entendu ce que disait Déroulède », ni distingué les cris des ligueurs : « Dans une situation pareille, on perçoit en gros des sensations, mais on est incapable de notations précises… Je n’avais pas perçu ce qui s’était passé. » Gauchotte et Morris ont entendu les cris : « À Paris !… » Dans une seconde déposition, Roget rectifie son récit du 26 février : « Il est possible que Déroulède m’ait exhorté à le suivre en disant : « Sauvez la France, sauvez la République ! » (64.)
  182. Ibid., 38, Habert.
  183. Haute Cour, 20 novembre 1899, Déroulède.
  184. Gauchotte dit que l’intention d’entraîner la troupe sur Paris était « un acte de folie ». (17.) De même le commandant de Sérignan : « Il nous paraissait insensé que deux individus, sans autorité morale personnelle, aient eu l’idée d’une tentative aussi extravagante. »
  185. Instr. Pasques, 30, Déroulède ; 38, Habert. — Cet incident est également passé sous silence par Roget. Il dit seulement « qu’au moment où les sapeurs arrivaient à la hauteur de la rue du faubourg, Saint-Antoine, il crut s’apercevoir qu’on essayait de leur faire prendre cette rue ». (12.)
  186. Ibid., 30, Déroulède ; 38, Habert ; 17, Gauchotte : « Les manifestants parurent s’arrêter, comme hésitants. ».
  187. Ibid., 24, Pager.
  188. Ibid., 13, Roget ; 17, Gauchotte ; 18, lieutenant Simoni ; 51, Morris.
  189. Ibid., 13, Roget.
  190. Ibid., 52, Morris.
  191. Haute Cour, 21 novembre 1899, Guérin.
  192. Instr. Pasques, 17, Gauchotte. Selon Morris : « Non, on ne me fait pas faire ce qu’on veut. » Déroulède se tait de l’incident : Roget, dans sa seconde déposition du 9 mars, dit que « les récits de Gauchotte et de Morris ne réveillent en lui que des souvenirs confus, mais qu’ils sont certainement exacts ». (64.)
  193. Ibid., 13, 14, et 64, Roget ; 17, Gauchotte ; 21, Duruisseau, capitaine adjudant-major de semaine ; 42, lieutenant Daudier ; 52, Morris. — Il était environ 5 heures. (21, Duruisseau ; 54, lieutenant-colonel Bessan ; 56, sergent Galerne.)
  194. Cour d’assises, 29 mai 1899, Déroulède : « Je me considérais comme perdu. »
  195. Instr. Pasques, 39, Habert ; 55, commandant de Sérignan ; 57, sergent Galerne ; 72, commandant Lambin. Roget ne vit Habert que dans la cour de la caserne. (16.)
  196. Haute Cour, IV, 67, Peretti.
  197. Instr. Pasques, 14, ; Cour d’assises, 29 mai 1899, Roget.
  198. Cour d’assises, 29 mai 1899, Déroulède : « M. Dupuy espérait-il que je filerais en Belgique et que je le débarrasserais de moi ? »
  199. Instr. Pasques, 14, Roget : « On avait pu expulser les manifestants. » L’ordre leur fut transmis par le lieutenant Lefebvre. (17, Gauchotte.) « Ces individus se retirèrent docilement. » (52, Morris.)
  200. Voir p. 596.
  201. Instr. Pasques, 19, Simoni ; 52, Morris ; 57, sergent Galerne ; 60, cavalier Albert Jules ; 73, Lambin ; 74, capitaine Mauriot.
  202. Roget : « Je m’approchai des députés pour les prier de sortir. »
  203. Ibid., 14, Roget ; 17, Gauchotte ; 18, colonel Kerdrain ; 21, lieutenant Daudier ; 22, capitaine Bastien ; 23, capitaine Gerber ; 31, Déroulède ; etc. — Déroulède donne ces deux raisons : « qu’il préférait être arrêté par des soldats et qu’il tenait à faire disparaître ses papiers avant d’être dans les mains de la police ».
  204. Ibid., 17, Gauchotte.
  205. Ibid., 14, Roget. — Il dit à Gauchotte : « Je suis inviolable, » puis, un instant après, « par une singulière contradiction » : « Qu’on m’arrête… etc. » (17.)
  206. Instr. Pasques, 14, Roget ; 21, Daudier ; etc.
  207. Ibid., 43, sapeur Magnat. — De même les sapeurs Roblot (47), Hugnit (49), Chandelier (50), Beaubaut (51).
  208. Haute Cour, VII, 107, Michel, ancien soldat au 45e de ligne, déposition du 20 octobre 1899. Il raconta l’incident à l’un de ses anciens professeurs, Raoul Allier, mais en le priant d’être discret, « afin de lui éviter des ennuis » dans son régiment. Il renouvela ensuite sa déposition en audience publique (2 décembre 1899.) — Selon Barrès (250), Déroulède aurait dit à des officiers supérieurs : « On se fatiguera de vous entretenir. Nous nourrissons une armée, c’est pour qu’elle nous rende des services à l’intérieur ou à l’extérieur. Depuis 1870, vous ne nous avez servi de rien. » — Selon Drumont, il se serait contenté de dire :« Mais vous êtes donc aussi des parlementaires ? Vous ne sentez donc pas que la France attend de vous son salut ? » (Libre Parole du 11 mars 1899.) — Roget, devant la Haute Cour, contesta ces propos « qu’il n’avait point entendus et que personne n’avait entendus ». Or, le lieutenant Daudier en avait déjà relaté plusieurs à l’instruction Pasques (21), les capitaines Bastien et Gerber confirmèrent la déposition de leur camarade (22 et 23) ; Morris allégua seulement « qu’il ne pouvait pas les reproduire, faute de les avoir compris » (52) ; enfin Déroulède lui-même convint de sa harangue : « Je n’ai plus fait appel à la bonne volonté de personne ; j’ai laissé seulement éclater ma colère et mon désespoir en termes violents et sans doute injurieux. » (31). De même Habert : « Je m’adressai, en même temps que Déroulède, aux généraux et aux officiers. » (39.) Précédemment, Roget avait déposé devant Pasques : « Je ne sais pas si Déroulède a harangué les soldats ; je sais seulement qu’il parlait très haut à proximité d’officiers du 82e. » (14.) Dans sa déclaration à Cochefert : « Cette scène a duré sept ou huit minutes. » (5.)
  209. Instr. Pasques, 22, Bastien.
  210. Ibid., 58, soldat Perdereau ; et Cour d’assises, 29 mai, Roget.
  211. Ibid., 39, Habert ; 16, Roget : « Je n’ai nullement la connaissance que Déroulède et Habert, s’adressant à des officiers ou à des soldats dans la caserne, se soient rendus coupables de tentatives d’embauchage. » Déroulède dit que, considérant la bataille comme définitivement perdue, « il ne fit plus appel à la bonne volonté de personne ». (31.)
  212. Ibid., 14, Roget.
  213. Instr. Pasques, 62, Florentin : « La mauvaise allure des cris qui éclatèrent sur mon passage me fit dire à mon officier d’ordonnance : « Ça se gâte ! »
  214. Ibid., 62, Florentin.
  215. Ibid., 14, Roget ; 62 Florentin. Le major Duruisseau (22) ajoute : « Le général Roget m’ordonna de veiller à ce que ces messieurs ne manquassent de rien pendant leur détention volontaire. »
  216. Ibid., 76, lieutenant Comès.
  217. Ibid., 14, Roget : « Déroulède leur parla, mais n’opposa aucune résistance. » « En arrivant dans la salle », il dit encore à Kerdrain « qu’il était heureux d’être arrêté par l’armée ». (17.)
  218. Instr. Pasques, 31, Déroulède. — Cour d’assises de la Seine, 31 mai 1899, Falateuf ; « Ces noms, ces adhésions, on ne les connaîtra jamais… Déroulède ne parlera pas. »
  219. Cour d’assises, 29 mai 1899, Florentin.
  220. Instr. Pasques, 18, Kerdrain. — Cet incident est passé sous silence par Roget et par Florentin.
  221. Ibid., 15, Roget. Florentin adressa de son côté un rapport à Zurlinden sur les incidents auxquels il avait été mêlé.
  222. Maurice Talmeyr.
  223. Instr. Pasques, 15, Roget : « Je n’avais aucune raison pour mettre MM. les députés au secret. » Un peu plus tard, comme d’autres visiteurs se présentèrent, » il interdit absolument l’entrée de la caserne ».
  224. Haute Cour, 1er décembre 1899, Roget. — À l’instruction Pasques : « J’avais arrêté ces messieurs pour les mettre hors d’état de faire de l’agitation dans la caserne, mais je ne me croyais pas le droit de maintenir leur arrestation si je n’en recevais pas l’ordre. » (15.)
  225. Instr. Pasques, 15, Roget : « Déroulède s’emporta. »
  226. Ibid.
  227. Procès-verbal des déclarations de Roget le 24 février à 2 heures et demie du matin, devant Cochefert. (Instr. Pasques, 6.)
  228. Ibid., 15, Roget.
  229. Dupuy alléguerait à tort que les rapports de Zurlinden et de Roget étaient insuffisants ; le préfet de police et le directeur de la Sûreté générale (Viguié) devaient savoir, à neuf heures, ce qui fut connu entre dix heures et minuit dans tous les bureaux de rédaction et dans tous les cafés du boulevard.
  230. Haute Cour, II, 77 et suiv., dépêches des commissaires de police et des officiers de paix. — Millevoye, qui essaya de haranguer la foule, fut arrêté et gardé au poste jusqu’au lendemain matin.
  231. Instr. Pasques, 15, Roget ; 62. Florentin : « À 11 heures 50. »
  232. Instr. Pasques : « À 12 heures 55 ». » Roget venait de rentrer chez lui, après avoir prié Cochefert de remettre au colonel du 82e une réquisition écrite.
  233. Ibid., 3 et 7.
  234. Rapport Hennion du 25 février. — Haute Cour, V, 14, de Vaux à la Jeunesse royaliste, Dailly à Dubuc, etc.
  235. Rapport du préfet de police Ch. Blanc, de mars 1899 (I, 7) et Haute Cour, 7 décembre.
  236. Ibid., et Rapport Hennion. (24 et 25 février 1899.)
  237. Rapport du 25 février 1899.
  238. Haute Cour, 5 décembre 1899, Hennion. (Rapport spécial du 24 février 1899.)
  239. Ibid., I. 110.
  240. À minuit et demi. (Rapport spécial.)
  241. Dépêche du 12 décembre 1898. — Buffet répliqua par sa démission, qu’il retira à la suite d’une lettre du duc, s’excusant de lui avoir envoyé « un télégramme de blague ». La dépêche saisie chez Buffet fut déchiffrée par le commandant Bazeries. (Haute Cour, V, 171 à 174, Buffet ; et 26 décembre 1899, réquisitoire du procureur général Bernard.)