Histoire de l’Affaire Dreyfus/T4/3

Eugène Fasquelle, 1904
(Vol. 4 : Cavaignac et Félix Faure, pp. 226–287).

CHAPITRE III

BRISSON

I. La revision acceptée par tout le monde ; inaction de Brisson, 222. — Pellieux chez Zurlinden ; article du Gaulois sur sa démission, 226. — Arrêt de la Cour de cassation sur les pourvois de Picquart ; la chambre des mises en accusation a violé la loi par défaut d’application, 227. — Ce que Brisson aurait dû faire, 228. — II. Fuite d’Esterhazy, 229. — Offensive de Cavaignac contre la revision, 231. — L’élan vers la revision est arrêté, 233. — Pellieux retire sa démission ; sa lettre à Paul Meyer, 234. — Brisson, au lieu de faire saisir la Cour de cassation par Sarrien, demande à Lucie Dreyfus de saisir d’une requête le garde des Sceaux, 234. — Bourgeois chez Cavaignac, 235. — Démission de Cavaignac, 236. — III. Félix Faure revient à Paris ; ses inquiétudes, 237. — Politique qu’il adopte, 238. — IV. Saussier refuse le ministère de la Guerre, 339. — Zurlinden l’accepte ; conditions qu’il pose, 241. — V. Conseil des ministres du 6 septembre, 243. — Zurlinden renseigné par Roget et Cuignet ; il découvre le « grattage » du petit bleu, 245. — Nouvelle version de l’Affaire, acceptée par Zurlinden, 247. — Récit du capitaine Tassin, 248. — VI. Zurlinden redevient l’adversaire de la revision, 249. — Article de Maurras en l’honneur d’Henry, 251. — Campagne violente des militaristes et des cléricaux, 253. — VII. Enquête du général Renouard contre Du Paty, 255. — Zurlinden transmet à Sarrien son avis « motivé et définitif » sur Dreyfus ; étonnement douloureux de Brisson, 256. — Zurlinden déclare qu’il n’y a pas de trace, au ministère, de la communication des pièces secrètes, au procès de Dreyfus, 257. — Lutte entre Brisson et Zurlinden au conseil des ministres du 12 septembre, 258. — La décision ajournée après la fin des manœuvres, 261. — VIII. Je suggère à Delcassé et à Lockroy de demander à Picquart un rapport sur l’Affaire, 262. — Lettre de Picquart à Sarrien, 263. — Riposte de Zurlinden ; ses accusations contre Picquart, 265. — Brisson invite Zurlinden à référer au conseil des poursuites qu’il veut engager contre Picquart et à interroger Mercier sur les pièces secrètes, 266. — Discours de Négrier au banquet de Gennetines, 267. — En prévision de la discussion de Zurlinden, je signale à Brisson le général Darras ; Bourgeois et Vallé lui amènent le général Chanoine, 268. — Conseil du 17 septembre ; démissions de Zurlinden et de Tillaye ; ils sont remplacés par Chanoine et Godin, 269. — IX. Progrès du parti revisionniste, 270. — Les réunions publiques ; Pressensé, 272. — Esterhazy et Pressensé rayés de la Légion d’honneur, 273. — Polémiques furieuses des journaux ; légende de l’assassinat d’Henry, 274. — X. Zurlinden passe à Chanoine le dossier Picquart que Brisson aurait dû réclamer pour Sarrien, 275. — Il demande à être renommé gouverneur de Paris, 276. — Conversation de Chanoine avec Brisson et Sarrien, 277. — Chanoine, sans en avertir Brisson et contrairement à ce qui a été convenu, donne l’ordre formel d’ouvrir une enquête contre Picquart pour faux et usage de faux, 278. — Visite de Zurlinden à Brisson, 279. — Brisson apprend par Sarrien qu’un ordre d’informer et qu’un mandat d’amener ont été lancés contre Picquart, 280. — Conférence entre Brisson, Sarrien et Chanoine ; Brisson se résigne à laisser faire, 282. — XI. Joie des adversaires de la revision, 283. — Huitième chambre correctionnelle ; procès Picquart-Leblois ; aux débuts de l’audience, le substitut annonce que Picquart est réclamé par l’autorité militaire, 284. — Plaidoiries de Labori et de Fabre, 285. — Déclaration de Picquart ; L’affaire correctionnelle renvoyée au premier jour, 286. — Picquart est transféré au Cherche-Midi, 287. — XII. Violents articles de Clemenceau contre Brisson, 288. — Inquiétudes de Zurlinden, 289. — Brisson subordonne tout à la revision, 290. — XIII. La commission consultative du ministère de la Justice ; Crépon, Petit et Lepelletier, 291. — Sur la recevabilité de la demande de Lucie Dreyfus, la commission se divise par moitié, 292. — Brisson insiste avec force sur la nécessité politique et morale de saisir la Cour de cassation, 293. — Lettre désespérée de Dreyfus au gouverneur de la Guyane, 294. — Déroulède reconstitue la Ligue des Patriotes, 296. — Schwarzkoppen reconnaît l’authenticité du petit bleu ; publication, à Londres, de l’aveu d’Esterhazy qu’il a écrit le bordereau « par ordre », 297. — Conseil de cabinet du 26 septembre ; Brisson l’emporte à deux voix ; la revision transmise à la Cour de cassation, 298. — XIV. L’agitation continue ; Félix Faure reste hostile, 299. — Déroulède réunit les éléments d’une insurrection nationaliste et cherche à préparer un coup de force militaire, 300. — Complot royaliste parallèle au complot de Déroulède, 302. — Guérin chez le duc d’Orléans : le duc le prend à ses gages, 304. — Vaines tentatives des royalistes pour s’annexer Déroulède, 305. — Le prince Victor Bonaparte, 306. — Propos du comte de Bourmont sur Chanoine, 307. — Grève des ouvriers terrassiers ; manœuvres de Guérin, 308. — Bagarre du 2 octobre, 309. — Menace d’une grève des employés de chemins de fer,310. — Bruit d’un complot militaire, 311. — Affaire de Fachoda ; graves complications avec l’Angleterre, 312. — État lamentable de nos forces navales, 316. — XV. Instruction du capitaine Tavernier, 317. — Picquart au secret, 320. — XVI. Travaux préparatoires de la Cour de cassation ; le président Lœw, 321. — Le procureur général Manau réclame les pièces secrètes ; refus de Chanoine, 322. — Lœw confie le rapport à Bard, 323. — Articles de Drumont et de Rochefort ; Cavaignac déclare qu’il faut dessaisir la Chambre criminelle, 326. — XVII. Traîtrise de Chanoine ; il refuse de porter plainte contre les insulteurs de l’armée, 327. — Le duc d’Orléans fait savoir à Guérin que Chanoine, le jour de la rentrée des Chambres, donnera sa démission à la tribune, 328. — Les socialistes constituent un comité de vigilance, 329. — Agitation des groupes révolutionnaires et conciliabules royalistes, 331. — Buffet télégraphie au duc d’Orléans que sa présence est indispensable à Bruxelles, 332. — XVIII. Séance du 25 octobre ; les progressistes contre Brisson, 333. — Démission de Chanoine, 335. — Arrestation de Guérin, 337. — Ordre du jour sur la suprématie du pouvoir civil, 338. — Interventions du comte de Mun, de Ribot et de de Mahy, 339. — Chute de Brisson, 340. — Bagarres royalistes, 341. — XIX. Audiences solennelles de la Chambre criminelle ; rapport de Bard, 342. — Réquisitoire de Manau, 346. — Plaidoyer de Mornard, 347. — La Cour déclare recevable la demande en revision et ordonne l’enquête, 348.




I

Quand ces nouvelles surprenantes, les aveux et la mort d’Henry, la démission de Boisdeffre, la mise en réforme d’Esterhazy, éclatèrent en une seule journée de minuit à minuit, la Revision fut faite d’un consentement unanime, pendant quelques heures[1]. Il n’y avait qu’à l’ordonner, dans le désarroi des hommes de parti, dans le brusque sursaut, le violent retour à la raison qui firent des milliers et des milliers de conversions instantanées. Le moins révolutionnaire des hommes d’État, s’il se fut trompé jusqu’alors, aurait saisi aux crins la terrible et magnifique occasion. Brisson la laissa passer. La semaine d’après, sa propre servante lui dira qu’elle espérait bien « que le procès de Dreyfus ne serait pas revisé, parce qu’il assurait dans le quartier que ce serait la guerre ».

Il n’agit pas, parce qu’il n’était pas homme d’action ; il supposait aussi que cet immense raz de marée des consciences n’aurait pas de reflux.

Tout de suite, ceux des journaux républicains qui ne s’étaient pas encore prononcés se déclarèrent pour la Revision[2] ; les principaux journaux catholiques et nationalistes l’acceptèrent, ou cessèrent de la repousser, ménageant seulement les transitions[3] — sauf Drumont et Rochefort, mais qui balbutiaient, trébuchaient[4] ; — et ce qui n’était pas moins significatif, nombre de députés, les uns parce que le vent tournait, les autres qui avaient souffert à étouffer dans le mensonge et, décidés, s’il fallait encore se battre, à se battre cette fois du bon côté[5] ; et Méline lui-même[6], tout en grondant qu’on n’en serait pas là si Cavaignac s’en fût tenu, comme Billot, à la chose jugée[7].

De même l’armée. Son premier cri, sauf de quelques camarades du faussaire et de quelques forcenés, fut celui qu’on devait attendre. À Compiègne, un des juges de Dreyfus, Gallet, dit tout haut que ses yeux s’étaient ouverts, que la revision s’imposait, puisque le principal accusateur de Dreyfus, en 1894, était un faussaire[8].

On a lu la lettre de Pellieux réclamant sa mise à la retraite. Zurlinden prit sur lui de ne pas la transmettre à Cavaignac[9]. Ce qui en faisait la gravité[10], ce n’était pas tant la démission du brillant général que les raisons qu’il en donnait. Il déchirait l’acquittement d’Esterhazy, en souffletait Gonse et Boisdeffre.

Pellieux, mandé chez le gouverneur de Paris[11], s’y rendit, mais pour donner un nouveau cours à sa colère[12] : il ne se pardonnait pas d’avoir produit une pièce fausse au procès de Zola : « Mes enfants, dit-il, pourraient me reprocher de n’avoir pas assez défendu l’honneur de leur nom. » Zurlinden essaya « de le calmer », lui demanda de préciser ses griefs. Pellieux s’y refusa[13]. Puis, quand le Gouverneur lui signifia » qu’il garderait sa lettre deux ou trois jours », afin de « lui donner le temps de réfléchir »[14], il s’inclina, déjà décidé à reprendre son épée[15], mais non moins résolu à désavouer publiquement les chefs qui lui avaient menti. Le jour même, il dicta le récit circonstancié de l’incident à un journaliste royaliste, avec les phrases les plus virulentes de sa lettre[16] ; pour la Revision, il avait dit autrefois aux jurés : Qu’on la fasse si on veut, nous ne la craignons pas… » ; « aujourd’hui, il la souhaite ».

Pellieux ne s’était pas moins compromis avec Esterhazy que les chefs de l’État-Major, et plus ostensiblement, l’ayant innocenté et s’en étant proclamé fier. De tous les jeunes généraux, nul n’avait retiré plus de profits personnels de l’Affaire, devenu tout de suite populaire, acclamé dès qu’il paraissait dans la rue à la tête de ses troupes, ayant éclipsé Cavaignac et Faure à la revue, guetté par les césariens. Si un soldat de cette trempe et de cette ambition met un tel empressement à faire savoir qu’il souhaite la justice, toute l’armée l’acceptera[17].

Enfin, par une heureuse coïncidence, la Cour de cassation statua le même jour sur les pourvois de Picquart contre les arrêts qui mettaient hors de cause Esterhazy et Du Paty ; et ce fut une nouvelle victoire. En effet, si l’arrêt de non-lieu rendu en leur faveur avait acquis force de chose jugée (parce que le recours contre les décisions de la chambre des mises en accusation n’est ouvert qu’au procureur général et à l’inculpé), il n’en était pas de même de l’arrêt d’incompétence, et la Cour en prononçait l’annulation[18], sans autre conséquence pratique, mais avec les considérants les plus sévères : les juges avaient « violé la loi par défaut d’application »[19].

Ainsi, en quelques heures, se crevassait toute l’œuvre des faussaires et sous les plus hautes des sanctions, les sanctions morales, ce qui était conforme à la poétique de l’étonnante affaire.

Il n’y avait donc qu’à prendre l’offensive, à parler haut, surtout à agir vite, à ne pas commettre l’imprudence « d’imposer à la vérité un nouveau stage ». C’était le conseil des plus modérés, des convertis d’hier, et qui déjà ne ménageaient pas leurs avertissements aux ministres « hésitants et pusillanimes »[20]. Très peu d’actes eussent suffi, très simples, de la plus stricte légalité ou d’humanité : arrêter Esterhazy, — comme complice du faux d’Henry ou comme escroc, en raison de la plainte de Christian, — ouvrir à Picquart les portes de sa prison, abattre la palissade de Dreyfus[21], saisir la commission de revision.

Le débordement des grandes eaux eût tout emporté.

Brisson attendit, négocia.

II

C’était tout ce que demandaient pour l’instant les haïsseurs de vérité : chaque minute perdue par Brisson était gagnée pour eux, car le peuple en concluait qu’Henry avait pu être infâme sans que Dreyfus fût innocent.

Ces journées décisives, du 1er et du 2 septembre, furent gâchées à ne rien faire.

Le premier qui profita du répit fut Esterhazy. Il avait encore goguenardé quand des journalistes lui apprirent l’arrestation d’Henry ; il ne rit plus quand il connut, la nuit suivante, que son ami s’était tué[22]. Persuadé « que son tour viendrait tout de suite après »[23], il partit, dès qu’il fit jour, avec toutes sortes de précautions. Il sortit de Paris sans bagages, en promeneur, se jeta à Saint-Denis dans le premier train, gagna Maubeuge, où il se coupa les moustaches, ce qui le rendit méconnaissable, passa à pied la frontière belge, et, de là, par Bruxelles, à Londres, sous le nom de « M. de Bécourt »[24].

Si Brisson ne l’avait raconté lui-même, on ne croirait pas qu’il n’eut d’entretien avec Cavaignac ni le 1er, ni le 2. Il lui téléphona seulement de faire constater selon la loi la mort d’Henry[25], et lui dépêcha Sarrien. le garde des Sceaux, qui se prononçait pour la Revision, mais eût préféré en laisser l’honneur à son redoutable collègue[26]. Cinq ministres étaient absents[27]. On a vu que, le 31 août, dans leurs quatre conseils et le soir encore, quand Brisson annonça à Cavaignac le suicide du faussaire, ils n’avaient discuté que de Boisdeffre. Pas un mot, ce soir-là, des scellés à apposer, de perquisitions à opérer. On eût dit que Brisson avait encore peur du solennel maniaque dont il avait fait le chef de l’armée. Pas un mot d’Esterhazy, pas un reproche pour avoir gardé le silence, pendant quinze jours, sur la trouvaille de Cuignet. Les journaux maintenant étaient pleins de la protestation de Pellieux[28]. Brisson écrira plus tard que « la lettre de Pellieux, si elle avait été communiquée au conseil des Ministres, eût entraîné la Revision immédiate et changé complètement le cours des événements, en achevant la déroute de l’adversaire »[29]. Il avait lu les journaux, n’avait qu’à demander compte de l’incident à Cavaignac, à lui réclamer la lettre, à faire venir Pellieux, « ce témoin qui savait tout ». Il n’en fit rien.

Pendant que Brisson, dans une telle inertie, laissait évaporer la victoire, Cavaignac, au contraire, se remuait beaucoup, et, d’ailleurs, au grand jour, faisant publier partout que ni les aveux, ni le suicide d’Henry n’avaient en rien modifié son opinion sur Dreyfus[30]. « Moins que jamais », comme il l’a dit dès la première heure à Vallé, il n’accepte la Revision. Décisif contre le juif en juillet, le faux est devenu de nulle importance en septembre et n’infirme nullement, bien mieux, confirme toutes les autres preuves contre Dreyfus, réunies (ou forgées) par ce même Henry. — L’autre pièce, qu’il a lue à la tribune, où l’initiale de Dreyfus a été écrite par Henry sur un grattage, c’est encore un faux ; il s’en tait ou l’ignore. — Les aveux, colportés à l’origine, sinon inventés, par Henry, gardent toute leur force. Seul Dreyfus a pu pénétrer au cœur des mystères de l’État-Major, ainsi qu’il résulte des notes du bordereau, d’autant plus probantes qu’on ne les a pas. Il venait d’apprendre de Gonse qu’Henry était, en outre, un voleur. Gonse, en vidant les tiroirs du faussaire, y avait découvert la « masse noire » qu’il s’était constituée « au moyen de dépenses fictives », et qui s’élevait, ce jour-là, à près de trente mille francs[31]. Cavaignac ordonna de reverser ces espèces dans la caisse et de faire le silence sur cette trouvaille.

De Drumont ou de Rochefort, une telle ténacité dans l’absurde n’aurait pas surpris et n’eût pas été de conséquence. L’évidence même commença à se voiler quand on sut l’attitude de Cavaignac. La notion du devoir avait tant baissé, un scepticisme si corrupteur empoisonnait les sources profondes, qu’on l’admirait de n’avoir pas fait le silence sur le faux. Qu’un ministre révélât lui-même, sans y être contraint, sa propre erreur, cela paraissait d’un héros de Plutarque. Un pays est malade si les honnêtes gens eux-mêmes célèbrent comme un être d’exception un témoin qui ne se parjure pas, quand c’eût été son intérêt, un citoyen qui vient en aide à un opprimé. Scheurer, Grimaux avaient repoussé ces éloges excessifs. Cavaignac, parce qu’il n’avait pas commis le crime de couvrir celui d’Henry, se croyait un Romain, le disait et l’exploitait.

Il eût pu mettre sa faute, simplement reconnue, au service de la Justice ; nul n’aurait réclamé, poursuivi la Revision avec plus d’autorité, au nom de l’armée. Du coup, il passait homme d’État, grand homme.

Il examina cette solution, la repoussa, sous l’influence, a-t-on dit, de Jamont et de Mercier, qui était accouru, mais aussi par manque d’intelligence et de cœur. Le profit qu’il tirait d’un aveu partiel de faillibilité, il l’aurait centuplé par un aveu complet. Son amour-propre, un orgueil démesuré empêcha ce mathématicien de faire ce calcul. Il persista dans son premier projet, où il retournait contre les défenseurs de Dreyfus sa loyauté d’une heure. Un autre eût glissé au cadavre d’Henry ; il s’en fera un marchepied, un piédestal. Jamais homme n’a été plus suffisant dans l’insuffisance, n’a déshonoré à tel point sa propre honnêteté.

Ce vent de bataille qui soufflait de nouveau à l’État-Major ; ces déclarations tranchantes de Cavaignac sur un ton résolu, la même énergie dans ses affirmations nouvelles que dans son fameux discours, le même manque d’incertitude ; ses conversations avec de nombreux visiteurs qui, à sa demande, répétaient ses propos, notamment à Drumont[32] ; celles de ces officiers, du commandant de Maudhuy, de Cuignet surtout, « qu’il n’y avait jamais eu qu’un seul faux au dossier de Dreyfus »[33], que tous les autres documents, passés au crible le plus sévère, étaient authentiques, « irréfragables », arrêtèrent l’élan vers la Revision.

La grande majorité, qui s’y résignait ou allait s’y résigner, en avait trop longtemps et trop violemment détesté l’idée pour s’y être attachée si vite. Deux éléments avaient composé l’immense conviction contre Dreyfus : il était juif, et sept officiers l’avaient déclaré coupable ; — maintenant, après le faux, le ministre de la Guerre le disait plus coupable que jamais. Les nationalistes, les cléricaux de toutes sortes, qui, depuis deux jours, se terraient, réapparurent, l’outrage et la menace à la bouche. La masse des officiers, un instant déconcertés, interloqués, reprit de l’assurance. Pellieux, qui le 1er septembre a demandé la Revision, le 2 la repousse en même temps qu’il retire sa démission[34]. Le directeur de L’École des Chartes (Paul Meyer) lui avait envoyé, après les aveux et avant le suicide d’Henry, ses « sincères condoléances », en souvenir de leurs assauts du procès Zola. Pellieux répliqua par ce billet, qu’il fit publier : « Ne triomphez pas trop vite. Le sang a coulé Vous piétinez dedans avec bonheur. Mais votre triste client n’est pas sauvé[35]. »

Comme on savait Brisson acquis à la Revision, c’était le conflit public, scandaleux, entre le président du Conseil et le ministre de la Guerre.

Enfin, le troisième jour, Brisson se décida. Il fit dépêcher d’abord à Mathieu Dreyfus l’ami de l’un de ses amis[36], pour s’étonner de n’avoir encore rien reçu de la femme du condamné. L’envoyé, n’ayant pas rencontré Mathieu, vint chez moi. Le droit de provoquer la Revision, lorsque survient un fait nouveau, appartient, aux termes de la loi, au garde des Sceaux[37]. Sarrien préférait être saisi par Lucie Dreyfus ; ainsi il n’ouvrira pas de lui-même la procédure ; le premier pas vers la justice, ce n’est pas le ministre de la Justice qui l’aura fait[38]. Je répondis que la demande serait déposée le soir même à la chancellerie, où Demange, en effet, la porta dès qu’il l’eut rédigée et fait signer[39]. — Un peu plus tard, Bourgeois, arrivé de Suisse dans la matinée, convaincu maintenant que prolonger la résistance à la Revision, ce serait trop honteux, et qui avait couru au débotté le dire à Brisson, se rendit de sa part chez Cavaignac, son camarade de lycée et son ami personnel, qu’il tutoyait. Il chercha en vain à le raisonner. Son éloquence si insinuante, où la politique paraît sentimentale et le sentiment s’habille de politique, échoua devant ce mur. L’obstiné, qui avait son plan, étala son immense candeur : « Mon crédit n’a pas été diminué par la découverte du faux Henry. Au contraire. Moi seul, j’étais capable de prouver que la pièce était fausse. » Il s’irrita du reproche de n’avoir pas fait le nécessaire « pour conserver un témoin aussi important » ; il ne l’avait pas fait assassiner. Comment empêcher la Revision ? « En faisant ce que je vous ai proposé, il y a trois semaines, en engageant un procès de haute trahison contre tous ceux qui ont pris en mains la cause de Dreyfus[40] » Bourgeois le regarda avec stupeur, comme un aliéné. Cavaignac, à son tour, commença à le regarder avec méfiance, comme vendu aux juifs. Enfin, il lui signifia qu’il ne resterait pas ministre un jour de plus et qu’il allait porter sa démission à Brisson.

Ses affaires étaient en règle ; il avait fait rédiger dans la journée par Roget l’interrogatoire d’Henry.

Il comptait que Brisson, à « cette suprême folie »[41], croulerait aux premiers pas. Alors il rentrera en maître.

Brisson, dans l’entretien qu’ils eurent, avoua d’abord qu’il n’était pas certain de la majorité de ses collègues ; il alla ensuite jusqu’à lui offrir la présidence du Conseil, s’il consentait à la Revision. C’était centupler les avantages que se croyait Cavaignac et qui n’étaient, d’ailleurs, que trop réels. On peut croire qu’il eut quelque peine à contenir sa joie. Il devait au moins des égards à l’honnête homme, brisé par tant d’émotions, qui lui témoignait une si naïve confiance. Au contraire, il déclara durement qu’il n’était pas seulement décidé à se retirer, mais à le faire savoir tout de suite, c’est-à-dire à sonner le ralliement des troupes débandées depuis le drame du Mont-Valérien, à leur donner un drapeau et à s’offrir comme chef. Tout ce que Brisson put obtenir de lui, c’est qu’il attendrait jusqu’au soir[42].

Deux heures après, il envoya, publia en même temps sa lettre de démission : « Je demeure convaincu de la culpabilité de Dreyfus[43]. »

III

Félix Faure était reparti pour Le Havre, au lendemain de la mort d’Henry. Il aimait cette ville, où il avait fait sa carrière et qui était fière de lui ; la campagne giboyeuse où il se retrouvait avec les camarades d’autrefois, bon prince et redevenant, bon garçon ; surtout sa grande maison neuve sur la mer. Quand Brisson le rappela à Paris[44], une angoisse le prit, un pressentiment qu’il ne reverrait plus ces lieux qui lui étaient chers. Il y avait une très vieille amie, une noble femme qui lui parlait franchement et à qui il ne craignait pas de s’ouvrir. Il lui dit adieu en même temps qu’à sa terrasse, à son jardin : « Tout ce que j’avais voulu empêcher va éclater. L’armée est perdue. C’est une histoire atroce. J’en mourrai. Je ne reviendrai plus jamais ici[45]. » Et cet homme, qui sciemment gardait un innocent au bagne, qui allait s’y obstiner encore, il avait des larmes dans la voix et dans les yeux, pleurant sur lui-même.

En se rendant à la gare, il rencontra le docteur Gibert, qui, l’année passée, avait vainement sollicité une audience, et qui ne le salua pas.

Il connaissait le bordereau annoté ; mais il n’aurait pas osé en parler à Brisson[46]. Il dit à un écrivain de ses amis (Hugues Le Roux) qui le questionnait sur le faux d’Henry : « Est-ce le dernier ? »

Depuis quelque temps, plusieurs parmi les revisionnistes s’acharnaient contre lui, Gohier, les jeunes gens impitoyables du journal les Droits de l’Homme[47]. Ils avaient surpris le chantage de la Libre Parole contre ce pauvre homme heureux et le harcelaient, eux aussi, par de cruelles allusions à une autre histoire que celle de son mariage, si honorable, que Drumont seul lui avait reproché. Jaurès lui-même va l’avertir dans une page terrible :

Qu’il prenne garde ! Si la France, par respect pour elle-même, oublie certaines aventures de l’entourage présidentiel, elle a le droit d’exiger que le Président les oublie lui-même. Elle est prête, si des maîtres-chanteurs veulent exhumer contre lui quelques cadavres, à enfouir dans la même fosse et ces tristes histoires et ceux qui les remuent. Mais elle veut qu’il ne soit pas lié par la peur à des choses passées dont elle-même l’a libéré par son choix[48].

Ainsi se trouvait-il pris entre deux feux, et, maintenant qu’il n’aurait plus qu’à laisser faire ses ministres, modérés ou radicaux, également opposés jusqu’alors à la Revision, cela allait dicter toute sa politique : ne pas se mettre au travers de la justice, mais s’efforcer de la retarder, de l’égarer, de la pousser à des fondrières, sans qu’il y fût apparemment pour rien. Travail souterrain, mais connu de ceux qu’il redoute le plus, de Drumont et de ses acolytes, et que soupçonneront seulement les défenseurs de Dreyfus. Il y avait, jusqu’à l’Élysée, des partisans de la Revision ; il leur dit qu’il n’y était pas hostile.

Je l’ai vu de trop près, en d’autres temps[49], pour douter qu’il souffrit d’un tel rôle, sous le décor officiel, et que plus d’une fois, dans l’attente anxieuse des événements qui éclataient comme des mines, ou pendant qu’il paonnait dans les pompes militaires, son cœur malade battit à se rompre.

IV

Il donna d’abord à Brisson un ministre qui recommencerait Cavaignac.

On avait engagé Brisson à prendre lui-même le portefeuille de la Guerre ; Vallé, son sous-secrétaire d’État, l’eût remplacé à l’Intérieur[50]. Encore atterré sous les événements, il n’en avait pas la force. Il lui parut aussi que l’armée accepterait mieux d’un soldat la revision nécessaire.

Il pensa à Saussier.

Ce grand chef se déroba toujours devant les responsabilités. Il avait refusé à Grévy, dans une heure difficile, de remplacer Boulanger, bien qu’il le redoutât autant pour l’armée que pour la liberté, et sans autre excuse que sa paresse, qui était célèbre. Il avait, cette fois, un prétexte spécieux, son rôle au début du procès d’Esterhazy, et une raison solide dont il ne dit rien, sa crainte de Drumont. Brisson, qui n’était pas informé, perdit encore une journée à le faire chercher par Bourgeois à la campagne, d’où il consentit à venir à Paris, mais pour décliner de réconcilier l’armée avec la justice et d’illustrer la fin de sa vie[51]. (5 septembre.)

Faure, la veille, avait gardé à dîner Zurlinden, qui déjà était venu le saluer à son arrivée. Le gouverneur de Paris y avait tenu de bons propos à Bourgeois et à Delcassé[52]. Il en tint de non moins bons à Faure, dans la soirée, « sur ce qu’il importait de dégager l’armée de cette malheureuse affaire qui se gâtait de jour en jour », de sévir contre les officiers coupables et « d’examiner loyalement si la revision s’imposait[53] ». Au surplus, il ne s’offrit pas, conseilla, lui aussi, d’appeler Saussier.

Faure « l’approuva hautement ».

Zurlinden, de famille alsacienne[54], avec les plus beaux états de service, jouissait d’une réputation intacte et méritée par sa correction politique[55] et son application au service, et de quelque popularité, parce qu’il avait des chevaux superbes et les montait fort bien[56] ; mais, avec ces bonnes qualités et ces avantages, l’esprit court et lent, le plus facile à influencer et qui, comme il arrive souvent, ne se piquait pas moins de faire ses idées. Sa femme, veuve, quand il l’épousa, d’un de ses camarades, et fort religieuse, tenait à frayer avec le beau monde. Il avait été déjà ministre, après Mercier. Faure se connaissait en hommes. Zurlinden, s’il revient ministre, ne se refusera pas de prime abord à faire la revision, ce qui endormira les revisionnistes, mais il se laissera persuader de ne pas la faire, ce qui leur enlèvera quelques-uns des bénéfices qu’ils ont tirés du crime d’Henry.

Les ministres absents étant enfin revenus, Brisson réunit le Conseil, proposa la nomination de Zurlinden, qui fut acceptée avec empressement, et courut chez le général. Zurlinden, qui connaissait le refus de Saussier et s’attendait à la démarche, demanda seulement à consulter le Président de la République. Brisson n’exigea de lui aucun engagement ; tout le monde savait pourquoi Cavaignac était parti. Au surplus, Zurlinden laissa échapper une exclamation qui l’enchanta. Mettant la main sur un dossier : « Si l’opinion publique connaissait ce que j’ai appris là sur le rôle de certains officiers, elle trouverait la revision toute naturelle ! » C’était le dossier du conseil d’enquête d’Esterhazy ; mais Brisson ne chercha pas à en savoir davantage[57].

Les jacobins, autrefois, témoignaient moins de confiance aux militaires et les plus modérés d’aujourd’hui, les derniers venus dans le camp revisionniste, eussent pris plus de précautions[58].

Une heure après, Zurlinden apporta à Brisson son acceptation, mais à cette condition qu’il « aurait le temps d’étudier lui-même le dossier », pour se faire une opinion personnelle, avant de l’envoyer au garde des Sceaux, et que cela serait précisé dans une note. Il avait dit à Félix Faure qu’il n’entendait pas « entrer dans le Gouvernement comme un soliveau[59] », ou ce fut Félix Faure qui le lui suggéra.

Que Zurlinden fût ou non de bonne foi, surtout s’il l’était, cette prétention suffisait à montrer qu’il n’était pas acquis à la Revision, comme on l’avait supposé, et que le crime avéré d’Henry ne l’avait pas édifié. Il n’y avait donc qu’une réponse à lui faire, au risque de se heurter à un refus et de prolonger la crise : qu’un homme qui raisonnait ne pouvait plus admettre la validité d’un dossier qu’Henry avait cru nécessaire de consolider, après coup, par des faux ; qu’aussi bien l’examen des pièces judiciaires n’était pas du ressort du ministre de la Guerre, mais du ministre de la Justice ; que l’expérience qu’on venait de faire avec Cavaignac, qui lui aussi avait voulu s’ériger en juge, suffisait ; qu’il n’y avait plus, dans l’intérêt même de l’armée, qu’à saisir la Cour de Cassation ; et que tout retard ne pouvait servir qu’aux agitateurs, de part et d’autre, et à remettre en doute de lumineuses certitudes. Mais Brisson téléphona seulement à Sarrien, qui joignait à l’incapacité de rien prévoir une peur extrême de la presse violente, et qui consentit, sans plus de réflexion, aux exigences du général[60].

Zurlinden conclut d’une telle hâte à passer par où il voulait que ces civils, n’étaient pas plus sûrs que lui de l’innocence de Dreyfus et qu’ils le faisaient l’arbitre de la Revision. En termes discrets, c’était bien ce qu’il avait réclamé et ce qu’il faisait savoir à ses camarades, dans la note qu’il rédigea avec Brisson.

Comme il observa « qu’il quittait avec regret le gouvernement militaire de Paris » et que c’était un véritable sacrifice, Brisson l’on remercia, mais sans l’inviter à se préoccuper d’un successeur, les circonstances étant telles qu’un poste de cette importance ne pouvait pas rester vacant ; et Zurlinden non plus n’y fit allusion, en bon tacticien qui, avant de livrer bataille, s’est assuré sa retraite[61].

Brisson, tout heureux, respira[62]. Faure, lui aussi, ne fut pas mécontentent de sa journée.

V

L’un des effets les plus communs de la servitude militaire et de l’ambition de parvenir, c’est l’habitude de faire du zèle. Les meilleurs la conservent, même quand ils sont devenus chefs. Le jour suivant, au conseil, Zurlinden dit spontanément que « l’on allait sans doute et très vite à la revision » et, se tournant vers le ministre de la Marine, qu’il y aurait avantage à désigner un navire pour ramener le condamné[63].

Une telle initiative parut du meilleur augure. Brisson ne soupçonna aucune fourberie, même inconsciente, et se concerta avec Lockroy. On avait dans les parages des Antilles deux bateaux, le Dubourdieu et l’Aréthuse, l’un et l’autre mauvais marcheurs. Ils décidèrent d’équiper le Cécille, qui se trouvait à Toulon.

Le Conseil s’ajourna, non pas au lendemain, comme il aurait fallu, mais à six jours, au 12 septembre. Brisson eût voulu lasser la fortune, la faire envoler, qu’il n’eût pas agi autrement.

Zurlinden, laissé à lui-même, c’est-à-dire abandonné aux militaires, était perdu d’avance pour la justice. Il se croyait sans préventions, surtout intéressées, parce qu’il était incapable de combiner de propos délibéré une mauvaise action, et, pareillement, il se croyait intelligent, puisqu’il était parvenu aux plus hauts grades et, pour la seconde fois, à la tête de l’armée.

Il ne fut pas plutôt rentré au ministère que, dans l’air du lieu, avant toute conversation, il fut repris de la mauvaise honte où, depuis un an, les chefs militaires faisaient consister l’honneur de l’armée et qui lui revint comme une vieille fièvre. En montant l’escalier, il n’était déjà plus le même qui venait de se préoccuper du retour de Dreyfus. Quand s’était produit le premier mouvement de sa raison et de sa conscience, après les aveux d’Henry, dans la crise universelle de bon sens qui sévit alors pendant quelques heures, sa responsabilité personnelle n’était pas en jeu. Maintenant que c’était à lui de dire à l’armée qu’un conseil de guerre avait pu se tromper, il y retrouvait toutes sortes de difficultés. Comme Brisson ne lui avait rien demandé que d’être ministre et comme il n’avait rien demandé lui-même que d’étudier le dossier, il s’ensuivait que tout le poids de la Revision retomberait sur lui.

C’était un homme de volonté si incertaine qu’ayant résolu de « travailler seul avec sa conscience »[64], au contraire de ses prédécesseurs, son premier acte fut de prier les officiers de Cavaignac de rester à leurs postes, c’est-à-dire Roget et Cuignet[65], apparemment de toute confiance et d’une scrupuleuse impartialité, l’un qui, depuis six mois, étudiait l’Affaire[66], et l’autre qui n’avait pas hésité devant le plus pénible des devoirs pour un soldat. Il s’entretint aussitôt avec eux ; Cuignet « lui procura les renseignements nécessaires » ; Roget « l’engagea à traduire Du Paty devant un conseil d’enquête pour fautes graves dans le service ». Il y avait déjà songé, chargea d’urgence le général Renouard d’interroger Du Paty ; enfin, il eut la visite de Cavaignac lui-même, qui fut également reçu par Faure[67].

Le moment après qu’il eût pris possession du service et se fut entouré ainsi des gens qui étaient le mieux faits pour le tromper, il réclama les dossiers où Brisson l’avait autorisé à chercher la vérité, alors qu’ils étaient pleins des faux d’Henry. Le miracle eût été qu’il ne tombât pas au premier faux. C’était l’adresse du petit bleu, grattée et récrite de la façon que l’on sait. Il s’aperçut lui-même de la supercherie[68], n’y comprit rien et appela Roget, qui lui expliqua que c’était toute l’Affaire.

Roget, excellent metteur en scène, d’une faconde intarissable, chez qui la parole précédait la pensée, quand Zurlinden trouvait si difficilement les mots, s’empara aussitôt du pauvre homme. La carte-télégramme (il n’y avait qu’à la lire : « La maison R…, » etc.) n’avait point trait à des affaires d’espionnage, mais à des affaires commerciales, communication banale d’un négociant à un confrère qui demeurait dans la même rue qu’Esterhazy. Nul autre que Picquart n’avait pu « gratter » le nom du destinataire sur l’adresse, pour y substituer celui de l’homme perdu de dettes dont le Syndicat avait fait choix. Le fait qu’Henry n’avait pas vu le petit bleu dans le cornet, quand il le reçut de la Bastian, les exigences bizarres de Picquart quand Lauth photographia la carte, ses machinations pour l’authentiquer et pour en attribuer frauduleusement l’écriture à Schwarzkoppen, son long silence à l’égard des chefs, les perquisitions chez Esterhazy, la nécrologie du marquis de Nettancourt (antidatée par Henry) d’où résulte que, bien avant, Picquart guettait déjà le gendre du vieux gentilhomme, autant de preuves que le faussaire c’était lui. Henry, « quand il surprit ces menées », et parce qu’il savait Billot indécis et troublé, eut son heure de folie où il imagina de « répondre » à la pièce qui accusait Esterhazy par une pièce décisive contre Dreyfus. Sans ce conflit avec Picquart, Henry fût resté le bon et brave soldat qu’il avait toujours été. Sous Sandherr, « pendant l’instruction de l’affaire Dreyfus, aucune trace d’irrégularité dans le service des Renseignements ; les irrégularités commencèrent seulement avec Picquart ». Du Paty lui-même n’avait commis tant d’excentricités que « pour sauver Esterhazy, qu’il savait innocent, et confondre Picquart, qu’il détestait. » Dès lors, le faux d’Henry, celui de Picquart s’annulaient. Ou, plutôt, il ne restait que le faux de Picquart, puisque celui d’Henry n’avait été qu’une « riposte ».

On n’a pas oublié que Roget avait déjà constaté le grattage, un jour où il travaillait avec Cuignet, qu’il l’avait signalé à Gonse, qui refusa d’en tenir compte, et qu’en conséquence Billot ni Cavaignac n’en furent avertis. Roget raconta également ces incidents à Zurlinden, excusant la réserve de Gonse par le désir qu’on avait alors, à l’État-Major, de « faire l’apaisement ». Plus tard, il avait paru que les confidences de Picquart à Leblois suffisaient à faire justice de ce soldat infidèle. Pour Henry, comme il avait sur la conscience son propre faux, il avait craint que, du faux de Picquart, s’il le dénonçait, on remontât au sien. Esterhazy avait demandé à Cavaignac l’autorisation de poursuivre Picquart pour le petit bleu. Cavaignac s’y était refusé. C’était Esterhazy qui avait eu raison. Les aveux, le suicide d’Henry ont enfin illuminé tout le drame[69].

Cette version inattendue, mais où toutes les absurdités s’enchaînaient si bien, Cuignet, non seulement la confirma, mais la compléta par une dénonciation formelle contre Du Paty, l’instigateur et, peut-être, le véritable auteur du faux d’Henry[70]. Zurlinden avait gardé un fond de sympathie pour « le pauvre Henry »[71], et Du Paty appartenait à l’espèce d’hommes qui déplaisait le plus au placide Alsacien. Il s’attrista seulement de trouver un nouveau faussaire dans l’armée et s’étonna que ce fût Picquart, qu’il avait tenu en haute estime, son compatriote (lui de Colmar, Picquart de Strasbourg) et qu’il avait appelé lui-même au bureau des Renseignements. En janvier, quand il avait transmis à Billot l’avis du conseil d’enquête, ces vieux souvenirs l’avaient ému, et il avait proposé la peine la moins sévère[72].

L’idée que le « grattage » pût être l’œuvre d’un autre ne lui vint même pas. La démonstration de Roget était formelle : ce ne pouvait être que Picquart. Si quelqu’un eût suggéré que c’était Henry, il s’en fût (sincèrement) indigné. Il interrogea ensuite Gonse, Lauth, et Gribelin, « qui maintinrent intégralement les accusations qu’ils avaient portées solennellement contre Picquart »[73] (au procès Zola et à l’instruction Fabre) ; et, ici encore, l’idée ne lui vint pas que ces officiers pouvaient mentir.

Le lendemain, Cuignet lui remit la déposition, écrite et signée, qu’un officier, le capitaine Tassin, était venu faire le jour même au ministère. Quelques heures après la parade de dégradation, Picquart avait demandé à Tassin son sentiment sur l’horrible spectacle : « Dreyfus, lui avait répondu l’officier, m’a paru d’un cynisme révoltant ; sa marche au pas cadencé, en balançant les bras, m’a stupéfié ; j’ai été surtout confondu de le voir suivre des yeux, comme avec intérêt, l’arrachage de ses galons, — Parbleu ! avait riposté Picquart, il pensait à leur poids : tant de grammes à tant, ça fait tant ! » Et encore, sur l’observation de Tassin qu’il se sentait de la pitié pour les enfants du « gredin » : « Allons donc, il n’y a pas un juif qui n’ait des forçats dans sa famille[74] ! »

Que le même homme eût tenu ces propos et fût devenu le premier accusateur d’Esterhazy, ces soldats n’y trouvaient qu’une explication : il s’était vendu.

Ainsi, l’antisémitisme de Picquart, tare ancienne de cet esprit cultivé, se retournait contre lui pour le rendre suspect dans sa défense du juif innocent. Ainsi recommençait « la folie d’État-Major »[75]. Et ainsi Henry continuait à mener les chefs, puisque c’était lui qui avait gratté l’adresse du petit bleu pour que cette fabrication apparente, plus perfide qu’un véritable faux, fût attribuée un jour à Picquart et le perdît.

VI

Zurlinden une fois convaincu de l’indignité de Picquart, la partie était gagnée pour les officiers de Cavaignac. Il avait entrevu l’innocence de Dreyfus à travers le faux d’Henry ; comment ne l’eût-il pas vu coupable à travers le faux de Picquart ? Alors que ses intérêts (mondains et de camaraderie) et la peur de Drumont qui, par précaution, avait toujours commencé par le fouailler[76], ne l’eussent pas poussé contre la Revision, les prémisses qu’il venait d’admettre suffisaient à l’induire en erreur sur tous les points. La maîtresse d’Esterhazy avait dissimulé pendant quelques jours la fuite de son amant. On le signalait maintenant à Londres, où il annonçait des révélations. Si les juifs ont réussi à détourner de ses devoirs un soldat comme Picquart, combien il leur sera plus facile de faire déclarer à cet aventurier taré et pressé d’argent qu’il est l’auteur du bordereau[77] ! Du moment qu’Henry n’avait eu qu’une défaillance (pour répondre à Picquart), tous ses autres témoignages restaient dignes de foi et tant d’autres faux des documents authentiques et probants. D’ailleurs, Cuignet les interprétait, lui aussi, contre Picquart et contre Dreyfus, comme Henry lui-même[78], et cette garantie était un argument sans réplique pour un esprit simple comme Zurlinden, incapable d’apercevoir que la gloire d’avoir allumé sa lampe au bon moment pesait à ce justicier malgré lui comme un remords. Beaucoup d’officiers, loin de le féliciter d’avoir agi en honnête homme, lui en voulaient et le lui faisaient sentir. Lui-même n’était pas sans inquiétude. Il avait, bien qu’involontairement, causé la mort d’un homme. Il y avait du sang sur sa découverte, sur sa jeune renommée. Pour effacer la tache, il fallait réhabiliter le sacrifié. Surtout, il importait d’empêcher que de la tragique aventure sortît la Revision.

La campagne au dehors, ne fut pas moins audacieusement menée.

On a vu qu’au lendemain des aveux d’Henry, ses meilleurs amis, dans la presse, l’avaient désavoué avec une sorte de rage. Ils eussent fait de lui, s’il ne s’était pas coupé la gorge, le bouc émissaire. Le sang répandu à flots le sauva, l’abrita comme dans une île. Les revisionnistes les plus ardents se turent devant ce cadavre. Aussitôt, les Jésuites, toujours renardant derrière les broussailles, des cyniques, une poignée d’hommes résolus s’emparèrent du silence qui s’était fait autour d’un cercueil.

Les épais menteurs qu’étaient les Assomptionnistes racontaient, dans leurs Croix[79], aux montagnards du Rouergue et du Gévaudan, qu’Henry, envoyé en mission au Mont-Valérien, avait été assassiné par des rôdeurs, des sicaires, sans doute à la solde des juifs. Ces grosses sottises ne furent jamais de la façon des Jésuites ; ils virent très bien que ce qu’il fallait, c’était un miracle : le faussaire ressuscitant héros.

Le lendemain des obsèques d’Henry, Maurras, l’un de leurs hommes, écrivit dans la Gazette de France, la doyenne de la presse catholique et royaliste : « Beaucoup de patriotes ont découpé dans les journaux le portrait du lieutenant-colonel Henry et ont placé cette image, d’un dessin hâtif et grossier, d’un sens sacré, dans l’endroit le plus apparent du lieu qu’ils habitent. »

Et, deux jours de suite[80], il développa ce thème : que le faux n’était pas un faux, mais, comme Judet l’avait trouvé avant lui[81], « un billet de banque, d’une valeur fiduciaire représentant des pièces d’une authenticité absolue » ; — que « l’énergique plébéien, qui n’avait que faire de choquer les délicatesses des gentilshommes de l’État-Major, l’avait fabriqué pour le bien public, ne s’en ouvrant à personne, pas même aux chefs qu’il aimait, consentant à se risquer, mais seul » ; — dès lors, « que sa conscience n’avait rien eu à se reprocher », en dépit de « notre mauvaise éducation demi-protestante, incapable d’apprécier tant de noblesse intellectuelle et morale » ; — et que celui qu’il fallait stigmatiser, c’était le spéculateur en vertu, Cavaignac, « pour la double scélératesse d’avoir arrêté et accusé publiquement ce serviteur héroïque des grands intérêts de l’État, ce grand homme d’honneur » :

Colonel, il n’est pas une goutte de votre sang précieux qui ne fume encore partout où palpite le cœur de la nation… Nous n’avons pu vous faire les grandes funérailles dues à votre martyre. Il fallait secouer sur les boulevards la tunique sanglante et les lames souillées, promener le cercueil, arborer le drap mortuaire en manière de drapeau noir. Ce sera notre honte que de ne pas l’avoir essayé… Mais le sentiment national se réveillera, il vaincra et vous vengera. Avant peu de temps sortiront du sol de la patrie, dans Paris, dans votre village, les monuments expiatoires de notre lâcheté… Dans la vie comme dans la mort vous êtes allé en avant. Votre faux malheureux sera compté entre vos meilleurs faits de guerre.

Ce Maurras, qui avant d’écrire à la Gazette de France, travailla avec Gohier au Soleil d’Édouard Hervé (le plus correct des hommes et fort mal à l’aise entre ces deux extravagants), on l’eût pris, à lire sa prose, pour quelque fanatique du temps de la Ligue. — Depuis que la vieille mère de Mayenne et de Mme de Montpensier monta à l’autel des Cordeliers et, les cierges allumés, devant le peuple à genoux, célébra Jacques Clément[82], on n’avait entendu rien de tel. — C’était au contraire un sceptique, très peuple, très moderne, qui se fit royaliste et catholique non par intérêt, mais par boutade, à l’imitation, croyait-il, de Balzac, et qui vivait dans un perpétuel paradoxe, dont il s’amusait lui-même, surtout avec, la passion d’étonner et de forcer l’admiration.

Il la força cette fois, bien que Drumont eût été seul au début à l’applaudir et que j’eusse été presque seul à m’inquiéter d’un tel défi à la probité et au bon sens[83], Monod s’étonna[84] que je me fusse donné la peine d’invoquer le Pascal des Provinciales : Ô théologie abominable ! » Mais l’énormité même de la chose en faisait le danger. Un autre miracle était d’hier, celui de Lourdes, j’entends le succès, en plein dix-neuvième siècle, de la répugnante thaumaturgie que Rome elle-même avait failli condamner. Encore quelques jours, et l’opinion ahurie par de telles apologies, sans contre-poids du côté d’un gouvernement inerte et inférieur au devoir, fera à peine une moyenne entre ceux qui traitent un faussaire de criminel et ceux qui l’appellent un martyr.

Déjà l’on avait cru, on croyait encore au Syndicat, et, de nouveau, le temps était à la peur : « La Revision, c’est la guerre », et la guerre, « avec une armée désorganisée », « quand nous ne sommes pas prêts », c’est « la Débâcle »[85].

C’était le bruit qui se répandait chez tous les pauvres gens, étouffant le cri des consciences, surtout parmi les femmes des faubourgs et de la campagne, où, trois ans après, aux élections de 1902, il effrayait encore. « Si Henry avait fabriqué un document apocryphe, c’était, de son propre aveu, afin d’éviter d’en fournir d’autres, dont la divulgation eût pu compromettre la sûreté de l’État »[86], — c’est-à-dire les deux forgeries qui, comme on l’a vu, s’étayaient ou se superposaient. les lettres de l’Empereur allemand et le bordereau annoté, et qu’on évoquait, qu’on servait toujours aux heures critiques[87]. — Ainsi la fausse lettre de Panizzardi authentiquait maintenant le faux impérial. — Or, jamais Guillaume ne s’inclinera devant ces pièces terribles. Il fait dire qu’on peut tout publier du dossier secret[88] ; c’est un piège. Dès qu’on lui aura fait rentrer son mensonge dans la gorge, il jettera ses armées en Champagne[89].

VII

Pendant que des milliers et des milliers de feuilles, comme des nuées de moustiques, portaient ces poisons par toute la France, Brisson attendait le résultat des études de Zurlinden. Il lui envoya Sarrien, « de loin en loin », mais sans le presser ni le questionner[90], même quand Drumont annonça que Zurlinden donnerait sa démission plutôt que de se prêter à la Revision[91]. Et le général ne lui fit rien savoir, pas même qu’il allait prouver son impartialité en frappant Du Paty.

Si Zurlinden avait été capable de réflexion, rien que cette enquête sur Du Paty[92] aurait suffi à l’avertir que Roget et Cuignet l’engageaient au rebours de la vérité. Renouard, une autre tête que Roget et qui n’apportait aucune passion dans l’Affaire, vit très bien, à travers la confession de Du Paty, mêlée de réticences et de menaces, et les aveux et les démentis contradictoires de Gonse, que celui-ci et Boisdeffre avaient connu la collusion avec Esterhazy. — Certainement, Du Paty atténuait la vérité quand il racontait qu’en venant au secours d’Esterhazy, « il avait cru seulement répondre à un désir de ses chefs » ; il y avait autre chose, puisque Du Paty n’avait pas craint de dire qu’il avait en lieu sûr des preuves écrites, et puisque Gonse lui-même convenait d’avoir voulu avertir le bandit par une lettre anonyme et d’avoir envoyé Du Paty chez Tézenas. — En conséquence, Renouard conclut que « la faute grave de Du Paty méritait d’être réprimée sévèrement », mais « en tenant compte de son passé et de son dévouement à ses chefs », en d’autres termes, que ceux-ci avaient participé au sauvetage d’Esterhazy.

Cette peur des chefs de l’État-Major qu’Esterhazy prît la fuite devant Scheurer, c’était l’aveu criant qu’ils ne le tenaient pas pour innocent ; mais comme il en résultait que Picquart n’était pas un faussaire et que tout était à recommencer, Zurlinden ne s’y arrêta pas. Repris comme il l’était par la camarilla militaire, il arrangea, dans sa cervelle d’oiseau, que Du Paty avait fait à Renouard un mensonge de plus. Il sentait cependant que ce n’étaient pas des choses à faire connaître aux civils. D’ailleurs, Roget lui avait fait « une démonstration sur l’auteur du bordereau »[93] et le temps pressait. Le 10 septembre, il transmit à Sarrien « son avis motivé et définitif » sur Dreyfus[94], et Roget en informa la presse, coupa les ponts.

Le coup fut rude à Brisson, ce revirement en quatre jours, nul avis préalable, comme au moins la courtoisie l’eût exigé, cette dure formule, rendue aussitôt publique, où Zurlinden s’enfermait, la duplicité de ce soldat, à la figure poupine et rose, qui lui avait inspiré tant de confiance, et la perception aiguë de ses propres fautes. Au soir, déjà terriblement lointain, des aveux d’Henry, la victoire s’était offerte à lui ; « tout le monde, alors, acceptait la Revision »[95]. Maintenant, le vent avait tourné ; demain, après l’imminente démission de Zurlinden confirmant celle de Cavaignac, il soufflera de nouveau en tempête.

Dans les quelques heures qui restaient à Brisson avant la réunion du Conseil, Bourgeois lui fut d’un grand secours. Il acheva de décider Maruéjouls et Trouillot, retint Peytral, Viger et Lockroy, soutint Sarrien ; il échoua seulement avec Tillaye, à demi-nationaliste, qui s’abritait, en bon normand, derrière des chicanes juridiques. Bourgeois, par son charme personnel et les ressources d’un esprit ingénieux et subtil, excellait dans ce genre de négociations.

Sarrien, à qui Zurlinden n’avait remis que le dossier judiciaire de Dreyfus, lui réclama le dossier secret, « celui qui avait été montré aux juges en chambre du conseil ». Comme Mercier avait successivement détruit la notice biographique, qui accompagnait les pièces secrètes, et le commentaire de Du Paty, qui n’avait pas servi, mais que Picquart avait vu[96], on dicta cette réponse à Zurlinden « qu’il n’y avait pas trace de cette communication au ministère[97] ». — Il a dit, plus tard, que malgré ses recherches dans les bureaux, il n’avait pu rien savoir à ce sujet[98]. — On peut supposer qu’il n’osa pas interroger Mercier ou Boisdeffre, questionna seulement Roget ou Gonse, et qu’ils lui firent ce mensonge à la jésuite.

Le mauvais vouloir traditionnel des soldats, quand des étrangers à leur caste veulent regarder dans leurs affaires, s’expliquait surtout dans celle-ci ; mais, cette fois surtout, c’était une faute, et presque aussi lourde que l’injustice même qu’il s’agissait de couvrir, parce que les républicains avaient fait de la suprématie du pouvoir civil l’une de leurs doctrines d’assises, qu’ils en étaient particulièrement jaloux, et que l’évolution de Zurlinden apparaissait comme une révolte de l’autorité militaire, s’érigeant en pouvoir indépendant et dressant drapeau contre drapeau. C’est ce que le gros du parti ne pouvait tolérer. Les républicains n’en voulaient à Brisson d’aucune de ses erreurs dans l’Affaire jusqu’au coup de rasoir d’Henry, parce que ses erreurs avaient été (trop récemment) les leurs ; bien au contraire, ils lui en savaient gré, parce que l’aveuglement d’un citoyen aussi réputé pour sa vertu excusait leur propre cécité. Mais ils ne se solidarisèrent pas avec lui que dans le passé. D’une part, c’était l’évidence que les promoteurs de la Revision avaient eu trop raison contre le sentiment public pour qu’ils pussent aspirer, de longtemps, à un autre rôle que celui de conseillers de l’opinion, — où les hommes auraient été brusquement transformés en demi-dieux. D’autre part, nul ne se rapprochait davantage d’eux que Brisson, qui aurait dû être des leurs dès l’origine, et que les esprits judicieux avaient toujours considéré comme un revisionniste en puissance, même quand il couvrait Billot ou suivait Cavaignac. Les républicains ne pouvaient donc mieux faire que de lier leur fortune à la sienne, alors surtout que, par la force des choses, les héros du drame s’effaçaient du premier plan et que la lutte apparaissait, dans une clarté croissante, comme celle des principes essentiels du monde moderne contre l’extraordinaire retour offensif des forces du passé. Les amis les meilleurs de Brisson savaient tout ce qui manquait à ce vétéran de la démocratie pour être un homme d’État. Mais il était autre chose, un homme-symbole, représentatif de son parti et d’un ensemble d’idées. Il n’avait qu’à rester lui-même, le produit de quarante années de luttes et d’attitudes, pour incarner le pouvoir civil, c’est-à-dire la République elle-même. Il n’y avait pas de majorité parmi les ministres pour la justice, mais, d’avance, une majorité pour Brisson.

Dès le début du conseil (12 septembre), il prit un premier avantage. Zurlinden, cherchant à escamoter l’affaire de Du Paty, l’avait résumée d’un mot : « que cet officier avait commis des extravagances », et, aussitôt, avait passé à Félix Faure le décret qui prononçait la mise en disponibilité par retrait d’emploi. Mais Brisson exigea la lecture du dispositif « sans quoi il n’y aurait plus de conseil des ministres » ; et Zurlinden dut céder, tout en maugréant que « c’était contraire à l’usage »[99].

C’est ainsi que les ministres connurent, pour la première fois, que des officiers de l’État-Major, sous l’œil bienveillant des chefs, étaient venus en aide à Esterhazy. Cependant, le rapport de Renouard était très sommaire[100]. Pas un mot de la lettre « aux deux écritures », des lettres au Président de la République, de l’entrevue de Montsouris, des fausses barbes et des conserves dont s’étaient affublés Du Paty et Gribelin pendant qu’Henry faisait le guet.

Cette révélation, toute incomplète qu’elle fût, fit une vive impression ; la plupart des ministres étaient fort ignorants de l’affaire et n’avaient même pas lu la sténographie du procès de Zola.

La discussion s’engagea alors sur la Revision. Zurlinden convint qu’il l’avait crue prochaine, il y avait six jours[101], avant d’être ministre, mais il s’y opposait maintenant pour deux raisons : parce que l’auteur du bordereau, c’était bien Dreyfus ; et parce qu’Henry n’ayant pas déposé en 1894, en son nom personnel, mais au nom du service, le faux qu’il avait commis en 1896 ne pouvait pas jeter de suspicion sur son témoignage ni vicier le jugement. — Brisson répliqua, avec beaucoup d’émotion et le désir de faire revenir le général. Le bordereau, introduit à l’État-Major par Henry, « perd par là beaucoup de sa valeur ». Si Henry a témoigné au nom du ministre de la Guerre, « sa déposition, avec cette autorité, a dû peser d’autant plus sur les juges », Zurlinden lui-même vient d’ajouter, à son insu, un argument formidable en faveur de la Revision, quand, tout à l’heure, par une mesure grave, il a disqualifié le premier officier de police judiciaire qui fut chargé d’informer contre Dreyfus. Henry convaincu de faux et s’étant fait justice lui-même, Du Paty en réforme, Esterhazy chassé de l’armée et en fuite, comment ne pas saisir la Cour de cassation ? Il ne s’agit pas pour les ministres de se prononcer sur Dreyfus, mais de renvoyer l’affaire à la justice[102]. — Zurlinden tint bon, sortit quelques-unes des pièces secrètes, une lettre de la comtesse Marie de Munster, avec ces mots : « On a trop jasé… », et plusieurs des autres faux d’Henry ; il convint, pourtant, que « la Revision ne faisait courir aucun risque de guerre ». Ces pièces parurent sans intérêt[103]. D’autre part, le classement même du dossier, les notes dont Zurlinden donna lecture démontraient à l’évidence la communication clandestine en chambre du conseil. La Revision s’imposait d’autant plus, mais les responsabilités s’élevaient. (Certains collègues de Mercier n’avaient-ils rien su de la forfaiture, Dupuy, Félix Faure ?) — Enfin Zurlinden se rabattit sur le bordereau ; mais Bourgeois rappela que Cavaignac lui-même renonçait à l’attribuer à Dreyfus. — À bout d’arguments, Brisson et Zurlinden déclarèrent que, si le Conseil ne se rangeait pas à leurs avis respectifs, ils se démettraient, et qu’il fallait trancher la question le jour même.

On avait siégé toute la journée, deux longues séances. Faure, qui n’était pas intervenu aux débats[104], fit décider qu’on voterait seulement le 17, à son retour des manœuvres. La démission de Zurlinden, c’est-à-dire la Revision ; celle de Brisson, c’est-à-dire la crise[105], l’auraient retenu à Paris, empêché d’aller parader devant les troupes, en compagnie d’un prince anglais.

Brisson consentit à l’ajournement, bien qu’il fût certain de la majorité et quelque hâte qu’il eût d’ouvrir la Revision, parce que ce délai lui permettrait de s’assurer d’un général pour remplacer Zurlinden. On lui conseillait à nouveau de prendre lui-même le porte-feuille de la Guerre, afin de marquer avec plus d’éclat la suprématie du pouvoir civil, mais il persista dans son opinion qu’il était nécessaire d’avoir un militaire à la tête de l’armée. Il refusa également de passer au ministère de la Justice, où Sarrien se désolait, mal à l’aise dans ces événements, ayant presque également peur de faire la Revision et honte de ne pas la faire.

VIII

Dans l’intervalle entre les deux séances du Conseil, j’avais écrit à Delcassé et à Lockroy que Picquart était en prison, pour avoir dit la vérité à Brisson, mais que, de sa prison même, puisqu’on hésitait à le mettre en liberté[106], il pourrait parler, si on l’interrogeait, et dissiper les dernières obscurités. L’avis parut bon : Picquart fut invité à adresser au Garde des Sceaux un mémoire sur ce qu’il savait de l’Affaire.

Ce soldat en prison, plaidant pour son camarade au bagne, le fit, dans cette situation dramatique, comme il rédigeait autrefois, dans son cabinet, un rapport sur une question d’État-Major[107]. Nulle passion à l’appui de sa conviction, « profonde et absolue », que Dreyfus est innocent, mais de la logique et des faits, ceux auxquels il avait été mêlé, que j’ai racontés, mais dont la plupart avaient alors, pour Sarrien comme pour Brisson, l’attrait de la nouveauté. Il insista sur la communication des pièces secrètes, « inapplicables à Dreyfus, qui n’auraient pas résisté à la discussion du défenseur ». Le greffier Vallecalle lui a dit un jour : « N’est-ce pas vous qui avez apporté le dossier secret au colonel Maurel ? » C’était lui, ou Du Paty. Après les débats, qu’il avait suivis, il avait rendu compte à Mercier : « L’impression n’est pas favorable à l’accusation, mais les juges seront fixés par les pièces secrètes, » Les juges, troublés, qui « cherchaient une idée claire et nette où se rattacher, après les discussions confuses des experts », ont été trompés par le commentaire qui accompagnait les pièces. « Rien n’avait été épargné pendant le procès pour les influencer » ; Sandherr, Henry leur garantissaient que Dreyfus était bien le traître. Il n’a pas été possible de trouver les mobiles qui l’auraient fait agir. « Le prétendu aveu qu’il aurait fait à Lebrun-Renaud n’est que le résultat d’une manœuvre intéressée de ses adversaires. » Billot a été trompé par le faux d’Henry ; il avait cru, depuis le petit bleu, à la culpabilité d’Esterhazy. Boisdeffre ne paraissait pas convaincu de la culpabilité de Dreyfus ; il n’a opposé à Picquart que la fausse lettre à l’encre sympathique : jamais il ne mit rien [d’]autre en avant, Gonse, lui aussi, n’a jamais combattu ouvertement l’innocence de Dreyfus ni invoqué les aveux. Si les artisans de la condamnation avaient été sûrs de leur fait, ils n’auraient pas cherché à la renforcer par des faux et à ruiner par des machinations les défenseurs du condamné. — Enfin, Picquart, qui s’était cru jusqu’alors tenu par le secret professionnel, remerciait Sarrien de l’en avoir délié : « Vous m’avez donné l’occasion de faire ce que je voulais faire depuis deux ans : soulager ma conscience en disant toute la vérité à celui qui est le suprême arbitre de la justice, l’un des gardiens de l’honneur de ce pays[108]. »

cette joie de se libérer d’un tel poids n’était pas la seule qui éclairât la cellule de Picquart. Après soixante jours de détention préventive, il s’était décidé, depuis la chute de Cavaignac, à demander sa mise en liberté provisoire[109] ; la ridicule affaire, où il était impliqué avec Leblois, allait venir devant des juges déjà édifiés par les aveux d’Henry ; il ne doutait pas que son ami et lui seraient mis hors de cause, et que ce serait la fin de ses épreuves. Il avait envoyé une assignation au journal d’Alphonse Humbert qui, renseigné par Cuignet, l’accusait d’avoir falsifié le petit bleu pour le compte du Syndicat[110], mais il ne s’inquiétait pas autrement d’une pareille sottise.

Zurlinden, dans sa lettre du 10 septembre[111], n’avait notifié que la première partie de ses conclusions, qui étaient, comme on sait, de laisser Dreyfus à l’île du Diable et d’envoyer Picquart devant un conseil de guerre. Quand on sut, à l’État-Major, que Brisson et Sarrien s’étaient adressés à Picquart pour contrôler les dires des grands chefs, la colère y fut extrême. On décida aussitôt Zurlinden à signifier à ces insolents que leur informateur était un faussaire, qu’on en avait cent preuves, et qu’il allait donner l’ordre « au Gouverneur de Paris » d’ouvrir une enquête sur l’origine et la sophistication du petit bleu[112].

Cette nouvelle communication de Zurlinden à Sarrien ne contenait pas d’ailleurs que l’annonce de ces représailles, mais un récit circonstancié de l’Affaire[113]. C’était la contre-partie du récit que Picquart avait écrit à la demande de Brisson, aussi documentée, puisque Roget et Cuignet n’avaient eu qu’à puiser aux dossiers d’Henry et à questionner ses compères, et qui ne parut pas plus invraisemblable au ministre de la Justice que la véridique histoire, car rien n’était plus invraisemblable que la vérité et parce que, depuis longtemps, la haine, la sottise ou la peur faisaient passer le mensonge comme de l’eau. Il n’y avait, en effet, aucune raison a priori pour que la détestable Affaire n’eût gâté à la fois Picquart et Henry, que deux colonels n’eussent commis des faux. Il eût fallu contrôler les faits et les témoignages, connaître les hommes ; ou il eût suffi de regarder l’écriture du bordereau, « identique, selon Picquart, à celle d’Esterhazy », « complètement pareille, selon Zurlinden, à celle de Dreyfus[114] », et tout le reste s’en déduisait.

C’est ce que Sarrien eût fait dans toute autre affaire, et si la conséquence n’en eût pas été que les gens de l’État-Major étaient des coquins ou des dupes. Mais il ne pouvait se résigner à le croire. Les machinations de Picquart pour substituer à Dreyfus tantôt Donin de Rosières[115], tantôt Esterhazy ; l’argent du service, « plus de cent mille francs », gaspillé par lui à surveiller ces officiers sous prétexte « de rechercher des documents sur la concentration des armées étrangères »[116] ; cette autre affirmation mensongère que « la voie ordinaire ne donnait plus rien, afin de supprimer les preuves nouvelles de la culpabilité » du condamné[117] ; ses relations souterraines avec la famille de Dreyfus ; ses tentatives pour « frelater » les photographies du petit bleu, « antitimbrer » la carte-télégramme, menacer et tromper les chefs ; ce n’était pas possible que toutes ces accusations, formulées par des soldats, Gonse et Cuignet, Lauth et Gribelin, n’eussent jamais existé que dans des imaginations malades, perverses ou serviles. Aussi bien, comme Picquart s’était trompé sur la date d’arrivée du petit bleu[118] et avait convenu lui-même de l’avoir gardé pendant plusieurs mois, sans en avertir Boisdeffre, est-ce que toute l’enquête n’en devenait pas suspecte et Zurlinden fondé à se dire, à son tour, l’homme de la justice distributive ? « Henry a expié son crime par le suicide, Du Paty est en non activité ; Picquart na pas encore reçu le châtiment qu’il mérite[119]. »

Le trouble de Sarrien, à ces communications de Zurlinden, venait surtout de ce qu’il était à peine résigné à la revision ; Brisson, au contraire, qui s’y était attaché comme Ulysse au mât, les entendit sans danger. Que Picquart, emporté par la certitude du crime d’Esterhazy, eût ou non étayé sa conviction d’une pièce frauduleuse, Dreyfus n’en était pas moins innocent. Quand Zurlinden l’avisa au téléphone de son intention d’informer contre Picquart, il répliqua que Cavaignac avait référé des précédentes poursuites au Conseil des ministres et que le général eût à faire de même[120]. Il l’invita ensuite (par Sarrien) à faire venir Mercier et à l’interroger sur la communication des pièces secrètes ; mais Zurlinden s’y refusa.

Au travers de ces péripéties, Brisson, rien qu’à ne pas reculer, avait rétabli la bataille. Les plus enragés, dans la presse, en eurent l’impression : que les fureurs et les trahisons s’useraient contre lui, tant qu’il n’aurait pas réalisé la Revision, devenue sa chose. La défaite était si bien dans l’air qu’ils s’en prirent à Faure, qui chevauchait aux manœuvres, le sommèrent de se jeter dans la mêlée, ouvertement, et de donner sa démission plutôt que de laisser déshonorer l’armée[121]. Négrier, au banquet qui suivit la revue de Gennetines, lui fit directement appel : « Jamais, à aucune époque, les chefs de l’armée n’ont été plus prêts à se dévouer les uns pour les autres ; jamais nous n’avons eu plus grande confiance dans nos troupes, qui nous la rendent. Pour développer cette force morale, nous savons que nous trouverons en vous le plus solide appui[122]. » Faure se borna à répondre que « les épreuves passagères avaient toujours rendu plus intime l’union du peuple et de l’armée. » Il considérait, lui aussi, que cette première partie était perdue. Le moins mécontent de tous fut Zurlinden ; il n’aimait pas la besogne qu’on lui faisait faire et ne demandait qu’à s’en aller.

En prévision de sa démission, j’avais indiqué à Brisson le général Darras. L’amour passionné de son métier, des connaissances techniques très étendues, sa valeur dans les grandes batailles autour de Metz, puis à l’armée de Faidherbe, quand il se fut échappé des prisons allemandes, l’eussent avancé plus vite s’il n’avait été républicain[123]. Il eût été beau que le général qui avait présidé à la dégradation de Dreyfus fût associé à la Revision. Brisson me pria de le sonder[124]. Deux de mes amis se mirent à sa recherche, le trouvèrent aux manœuvres, mais hésitant, bien qu’il fût à la veille de sa retraite ; pourtant, il ne refusa pas, répondit qu’il attendrait des ouvertures officielles. Dans l’intervalle, Bourgeois et Vallé menèrent chez Brisson le général Chanoine, qui s’offrait, qu’ils garantirent, et qui fut tout de suite accepté.

Ils l’avaient connu au conseil général de la Marne, point clérical et votant parfois avec la gauche. C’était, lui aussi, un bon soldat, très brave sous le feu, qui avait gagné ses grades à des assauts en Kabylie et en Chine, excellent cavalier, avec cela un esprit cultivé, beaucoup de bonne grâce, de la finesse, qu’il tenait de sa native Bourgogne et qu’il perfectionna en Russie, comme attaché militaire, insinuant et souple, qui s’était fait bien voir de Gambetta tout en gardant ses attaches bonapartistes (il avait épousé la fille de Frossard), inquiétant toutefois, sans qu’on pût dire pourquoi, de ces hommes dont les instinctifs se méfient, un visage qui avait été fort beau et à qui ses soixante-trois ans en avaient laissé des restes. Avec Chanoine en réserve, Brisson ne douta plus du succès.

Zurlinden, au conseil des ministres, tenta un dernier effort (17 septembre). La séance était à peine ouverte qu’il exhiba le petit bleu et demanda l’autorisation de lancer immédiatement un ordre d’informer contre Picquart. — S’il l’avait obtenu, il aurait observé que le faux d’Henry était annulé par le faux de Picquart (l’autre faux d’Henry) et que, dès lors, il fallait laisser les choses en l’état, c’est-à-dire Dreyfus au bagne. — Mais Brisson, sans se prononcer au fond, dit simplement que la question soulevée n’était pas à l’ordre du jour et ramena à la seule qui y fût. Il ne s’agissait pas de savoir si un autre colonel, un autre chef du service des Renseignements, était un faussaire, mais s’il fallait ou non envoyer à la commission consultative la requête de Lucie Dreyfus. Tillaye, seul, s’y opposa ; Faure se borna à résumer les débats. La majorité était si manifestement contre Zurlinden qu’il quitta la salle des séances, avec Tillaye, avant le vote[125].

À sa sortie de l’Élysée, Brisson fut acclamé par des groupes qui attendaient fiévreusement. La noblesse de ces jours tristes, c’est tous ces hommes, toutes ces femmes qui souffraient des souffrances de l’inconnu de l’île du Diable, espéraient sa délivrance comme celle du proche, de l’ami le plus cher.

Zurlinden calqua sa lettre de démission sur celle de Cavaignac : « L’étude approfondie du dossier judiciaire de Dreyfus m’a trop convaincu de sa culpabilité pour que je puisse accepter comme chef de l’armée toute autre solution que celle du maintien intégral du jugement. »

Quatre heures après, les démissionnaires furent remplacés, Tillaye par Godin, sénateur des Indes, et Zurlinden par Chanoine, qui rôdait, se tenait prêt. Brisson lui dit que la Revision était décidée, que le général n’avait, dès lors, qu’à accepter le fait accompli et que sa responsabilité n’y était pas engagée. Chanoine s’inclina[126]. Il avait prévenu des camarades, les membres du conseil supérieur de la Guerre, leur promettant qu’ils pouvaient compter sur lui et qu’il ne les trahirait pas. Ils comprirent à mi-mot, l’encouragèrent[127] à prendre la place, où ils avaient redouté de voir Brisson, et à le trahir.

IX

Les revisionnistes triomphèrent de ce premier progrès vers la justice ; les nationalistes de ce quatrième ministre de la Guerre qui affirmait la culpabilité de Dreyfus ; le monde des affaires, nombre de braves gens qui ne savaient plus que penser, respirèrent mieux, dans l’espoir que la lourde crise touchait à sa fin.

Le temps donne des raisons aux hommes de bonne foi et des prétextes aux autres. En déroute il y a vingt jours, les ennemis de Dreyfus s’étaient partout reformés et, profitant de tant de fautes et de lenteurs, avaient gagné, une fois de plus, le gros de la bourgeoisie et des paysans, qui ne demandaient encore qu’à être trompés. Cependant, ce pays n’était plus le même, comme une terre inondée par une crue subite qui garde, quand l’eau se retire, de riches alluvions.

Infime faction hier, le parti revisionniste apparaissait maintenant comme une imposante minorité, avec presque tous les socialistes, très ardents, la clientèle radicale accoutumée à suivre Brisson et Bourgeois, le Convent et le monde maçonniques, l’élite des républicains libéraux, un appoint d’anciens royalistes et de catholiques éveillés à la vérité et qui auraient eu honte de se rendormir. Quelques prêtres osèrent élever publiquement la voix : l’abbé Augustin Serres[128], longtemps seul ou presque seul, trouva des imitateurs, notamment l’abbé Pichot[129] et le père Maumus, de l’ordre des dominicains ; ils essayèrent de rappeler la conscience chrétienne à la charité.

Par malheur, les esprits qui se seraient calmés, dans une intervention prompte de la justice, de nouveau s’étaient échauffés, les uns sous les excitations des anciens partis qui, s’étant emparés de l’Affaire dans des desseins politiques, ne se résignaient pas à lâcher prise ; les autres, par colère contre des résistances qui, explicables hier, leur paraissaient aujourd’hui sans excuse.

Colère légitime, nécessaire et fâcheuse ; elle arrêta l’adversaire et l’exaspéra, comme fait une citadelle imprenable ; elle stimula et gêna le Gouvernement, comme un aiguillon trop pointu qui blesse au lieu de piquer.

La pensée écrite ne remue pas si profondément que la pensée parlée ; les réunions se multiplièrent. L’obsédante Affaire, qui poursuivait l’ouvrier dans son atelier comme le savant dans son laboratoire, on s’empressait, chaque soir, de l’aller retrouver aux salles enfumées et enfiévrées. Ces tribunes improvisées n’ont rien des chaires d’une Sorbonne. Même quand le contradicteur fait défaut, l’orateur, Jaurès ou le compagnon Boicervoise, tend le poing. Les ironistes disaient des réunions privées « qu’on s’y convertissait entre soi »[130]. Dans les réunions publiques, dès que la contradiction se manifeste, tout de suite on en vient aux coups. C’était pour l’Idée (l’Armée ou la Justice), car, sauf les goujats qui s’amusaient, tous étaient sincères, au moins dans leurs haines. Les gens paisibles, bousculés dans la rue, à la sortie de ces séances ou quand ils en lisaient les comptes rendus, prenaient peur. Cela prêtait, d’autre part, à réfléchir aux césariens : le trottoir n’appartient plus aux anti-juifs ; des soldats, s’il s’en trouve pour un mauvais coup, les faubourgs ne les laisseront pas faire.

Pressensé devint l’un des orateurs favoris de ces clubs. La douleur qu’il éprouva quand il vit les pouvoirs publics, des hommes dont il était l’ami, Hanotaux, Méline, qu’il avait trouvé trop faible contre les partis avancés, et son propre parti, l’ancien centre gauche de son père, se cramponner à un jugement inique, cette douleur le projeta dans le socialisme révolutionnaire[131]. Il en adopta les idées, généreuses ou chimériques, et les haines, tournant le dos à son propre passé mort et s’élançant vers la vie nouvelle. Il ne tendit pas seulement la main aux ouvriers, mais aux agitateurs professionnels, aux exaltés et à d’autres qui étaient moins purs. On le vit tous les soirs, pendant près d’un an, sur les estrades, à Paris et en province, d’une passion et d’une intrépidité infatigables, tantôt avec des camarades de la Ligue des Droits[132], tantôt avec Sébastien Faure, Allemane et Cyvoct, forçat innocent et récemment libéré. Il racontait l’Affaire, en tirait des conclusions politiques et philosophiques, « prêchait bien », comme disent les femmes de Provence d’un candidat éloquent ou disert. Cette rude besogne, après ses multiples travaux de la journée, dont il se reposait autrefois dans d’immenses lectures, et si neuve pour lui, où souvent il courut de sérieux dangers quand les assommeurs antisémites se ruaient sur la tribune, ou, à la sortie, dans d’obscurs guets-apens, il la pratiquait comme un apostolat. Son vrai tempérament, celui des pasteurs du Désert, se réveilla en lui. Sa vieille mère, aveugle, venait l’entendre et l’applaudir.

Ces réunions se terminaient par des votes en faveur de la Revision, « immédiate et loyale », ou de flétrissure contre Mercier.

Les cléricaux en voulurent beaucoup plus à Pressensé qu’aux anarchistes qui poursuivaient la même propagande. On l’accusa d’avoir fait voter que « Picquart était le seul honnête homme de l’armée ». Il rectifia : « de son bureau d’État Major »[133]. Le Conseil de la Légion d’Honneur s’empara de la phrase falsifiée[134], se rappela que Pressensé avait renvoyé son ruban de chevalier dans une lettre injurieuse et, refusant sa démission, prononça sa radiation. Par pudeur, Davout fit rayer d’abord Esterhazy[135].

Les nationalistes ramassaient dans ces réunions toutes les imprudences et violences de langage (des généralisations téméraires et, parfois, des appels à l’indiscipline), les commentaient comme des preuves du complot contre l’armée. (Leurs propres outrages contre Zurlinden et Chanoine, tant qu’ils furent suspects de vouloir la Revision, étaient patriotiques.) Certains que la Cour de cassation déclarerait Dreyfus innocent, ils dénonçaient d’avance les juges comme vendus aux juifs et prêts à vendre à l’Allemagne « les secrets de la défense nationale ». C’est le propre des guerres civiles que les partis se jettent à la tête des calomnies que l’étranger ne proférerait pas.

Chaque jour, les dénigreurs du régime parlementaire, les députés plébiscitaires[136], réclamaient la convocation des Chambres, parce que la Revision ne pouvait être engagée « en dehors des représentants de la nation ». Et c’étaient les parlementaires qui s’y opposaient, puisque l’Affaire allait enfin sortir de la politique et rentrer dans le domaine judiciaire, d’où elle n’aurait pas dû sortir.

Avec cela, outre les polémiques furieuses des journaux d’avant-garde, les fausses nouvelles, les révélations saugrenues ou atroces, achevaient la déroute des esprits, criées dans les rues, imprimées en caractères d’affiches qui tiraient l’œil : Casimir Perier avait démissionné pour éviter la guerre[137] ; Dreyfus, ramené en France, est interné au Mont-Valérien[138] ; Esterhazy a été trouvé pendu[139] ; Henry ne s’est pas tué ; Boisdeffre, ou Cavaignac, ou les jésuites l’ont fait assassiner, ou leurs sicaires, pires que des meurtriers et plus lâches, lui ont mis le rasoir à la main[140]. — Cette version, appuyée par Esterhazy[141], séduisit beaucoup d’imaginations excitées, avides de merveilleux, désireuses d’ajouter aux crimes de l’État-Major ; elle s’incrusta dans les cerveaux. Il y avait, parmi les revisionnistes, des amateurs des chroniques italiennes et, aussi, des amateurs de Gaboriau : l’officier masqué, porteur de l’ordre de mort, remplaça la dame voilée. — On avait pris une telle habitude de l’extraordinaire qu’on croyait tout pêle-mêle. Impossible de distinguer le vrai du faux. L’atmosphère, un instant clarifiée, s’épaissit à nouveau.

X

Les événements se précipitèrent dans un grand fracas, éloignant une fois de plus la Revision, la repoussant si loin qu’on put la croire perdue, la ramenant pour la troisième fois.

Le 17, quand Zurlinden, se sentant battu, avait quitté la salle des séances, il avait demandé à Brisson quelle suite il fallait donner à sa plainte contre Picquart. Brisson, au lieu de réclamer le dossier pour Sarrien, l’affaire étant connexe à celle de Dreyfus[142], lui répondit de le passer à son successeur. (On l’eût dit condamné à ne jamais profiter de la victoire.) Le lendemain, quand Zurlinden remit le service à Chanoine, il « appela fortement son attention » sur Picquart, précisant d’ailleurs que la décision avait été réservée au conseil des ministres[143]. Il insista ensuite « pour que la désignation du gouverneur de Paris (la sienne) ne fût pas retardée »[144] et, Chanoine lui ayant donné sa parole, il alla tout droit à l’hôtel des Invalides, qui est le siège du gouvernement militaire, et reprit possession, d’avance, de sa prébende[145].

Fallait-il réintégrer Zurlinden ? Les revisionnistes (Guyot, Lacroix, Ranc, quiconque voyait clair) conjurèrent Brisson de s’y refuser : « Ce soldat semblait n’être entré au ministère que pour sauver les vrais coupables ; il s’était fait, par camaraderie, par esprit de corps, ou par sottise, leur complice ; aucune compensation ne lui était due. Qui la réclamait pour lui ? La presse catholique et les nationalistes, dans un flot de sales outrages et de menaces : Brisson, « un vieux drôle », « un gredin », « un sinistre hypocrite » ; Chanoine, « un forban », « un Ganelon », « un être abject » ; aussi bien « l’Affaire se terminerait-elle à la française, par la pendaison des ministres vendus », et « par une nouvelle Saint-Barthélemy des Juifs, les égouts charriant les cadavres des traîtres »[146]. Tels sont les patrons de Zurlinden.

Brisson croyait que ces vilenies le laissaient insensible ; elles firent cuire la peau de Chanoine. C’était toujours le même système, si simple.

La veille du conseil, le 19, Brisson fit venir Chanoine. Celui-ci, avec sa rouerie de vieil Africain, commença par le consulter sur le choix du successeur d’Henry au bureau des Renseignements, « où se trouvaient tous les dossiers, tous les secrets et tous les dessous de l’Affaire »[147]. Brisson, de plus en plus en confiance, touché de cette marque de déférence, lui parla comme à un ami. Il lui exposa, en présence de Sarrien, que, Picquart étant à la fois plaignant contre un journal qui l’avait accusé d’avoir falsifié le petit bleu et inculpé devant le tribunal correctionnel, il ne fallait pas avoir l’air de peser, par une nouvelle poursuite, sur ces affaires pendantes ; cette dernière instance venait le surlendemain ; il convenait d’attendre, avant de prendre une décision au Conseil, que l’un ou l’autre au moins de ces procès fût vidé[148]. Chanoine, à ce discours où Brisson ne paraissait pas autrement convaincu que Picquart fût sans reproche, n’eut garde de répondre qu’évasivement ; il demanda seulement à « reparler » de cette histoire ; et Brisson, à qui il suffisait toujours de gagner du temps, se contenta de cette assurance, comme s’il ne venait pas d’avoir été deux fois trompé. Quand Chanoine lui proposa ensuite la nomination de Zurlinden au gouvernement de Paris, il n’osa pas s’y refuser, ni même insinuer qu’on pourrait attendre quelques jours et prolonger, sans grand inconvénient, l’intérim de Borius. Il y consentit tout de suite, c’est-à-dire à payer la dette de Faure[149].

Chanoine, si décidé qu’il fût à trahir Brisson, s’était attendu à moins de complaisance. Il agit en conséquence, sans se gêner, et, dès le lendemain matin, à la première heure. Après avoir regardé sommairement au dossier de Picquart, il ne prit même pas la peine de formuler ses conclusions personnelles, mais parapha simplement la lettre que Zurlinden avait fait préparer, la semaine précédente, pour être soumise à sa propre signature, à l’adresse du gouverneur intérimaire, et qui se référait à sa correspondance avec Sarrien : « Ci-joint copie d’une lettre que j’ai adressée à M. le garde des Sceaux, le 16 septembre courant… Des actes délictueux (un faux en écriture privée) paraissent avoir été commis en 1896 par le lieutenant-colonel Picquart dans le but d’imputer au commandant Esterhazy le crime de trahison… etc.[150]. » Et, comme le bruit était généralement répandu que Picquart serait remis en liberté le jour suivant, ce qui eût été d’un effet considérable sur l’opinion, il envoya d’urgence à la Place « l’ordre formel d’ouvrir une enquête contre le faussaire et de se saisir de lui, dès que la justice civile le relâcherait[151] ».

La séance du Conseil fut courte. Chanoine présenta à Faure le décret qui réintégrait Zurlinden ; Brisson dit qu’ils étaient d’accord ; la chose passa sans objection[152]. Pas un mot de Picquart.

Faure était-il informé du coup ? Chanoine, en tout cas, était sans inquiétude à son endroit.

On a vu que Zurlinden, dans la certitude qu’il serait renommé gouverneur militaire, s’était déjà installé aux Invalides. Dès qu’il y fut avisé par un message de Chanoine que c’était fait, il signa le mandat d’informer contre Picquart. Il eût pu en laisser la honte à Borius, puisque le décret qui le nommait n’avait pas encore paru au Journal Officiel. Il pensa, sans doute, que ce serait trop bas, ou, peut-être, ne pensa rien du tout, sauf qu’il n’avait pas eu à attendre longtemps sa revanche. Il alla ensuite rendre visite, comme le protocole l’exigeait, à Chanoine et à Brisson. Chanoine était absent[153]. Brisson le reçut, et très cordialement, comme si rien ne les avait récemment divisés. Il ne lui parla pas de Picquart, parce que sa confiance en Chanoine était absolue et qu’il était au courant des pourparlers engagés depuis le matin, entre le parquet et Labori, pour l’ajournement du procès correctionnel après l’arrêt sur Dreyfus, et pour la mise en liberté provisoire de Picquart. Et Zurlinden le laissa s’en taire[154], soit qu’il fût de compte à demi avec Chanoine dans sa fourberie, soit qu’il en soupçonnât seulement quelque chose.

Zurlinden était à peine sorti du cabinet de Brisson que la bombe éclata. Le porteur de la nouvelle fut Sarrien. Comme Bertrand, le procureur général, venait de ratifier l’arrangement pour le renvoi de l’affaire de Picquart et de Leblois, le gouverneur de Paris l’avait informé qu’il lançait un mandat contre Picquart, sous l’inculpation de faux, et qu’il le réclamait, quelle que fût l’issue du procès correctionnel, pour l’autorité militaire[155].

On imagine quel coup ce fut pour Brisson qui se croyait hors de peine et escomptait, comme une nouvelle et décisive victoire, la mise en liberté du principal témoin de Dreyfus. Tout craquait de nouveau. Il entendit d’avance les cris de colère des revisionnistes et ressentit une humiliation cruelle d’avoir été joué une fois de plus.

Une pareille félonie, l’une des plus insolentes de cette histoire, si elle se fût produite sous l’un de ces conventionnels que Brisson aimait à célébrer, n’aurait pas été longtemps impunie. Il eût mandé à la fois Chanoine et Zurlinden, les aurait convaincus l’un par l’autre, Chanoine de lui avoir manqué de parole, Zurlinden de s’être associé à la déloyauté de son chef, tous deux d’avoir bafoué le pouvoir civil dans le dessein de peser sur la justice et de la tromper, et aurait exigé leur démission. Il se serait installé ensuite, lui-même, au ministère de la Guerre. Les auteurs du Code de justice militaire ont prévu le cas « d’une plainte inspirée par la passion ou par la haine » et reconnaissent au chef de l’armée, sous sa responsabilité, le droit d’arrêter de telles poursuites[156].

Le malheureux Brisson ne risqua rien de tel. Outre qu’il était naturellement sans initiative, il n’accusa que Zurlinden et seulement d’incorrection à son égard et de mauvais procédés ; cette affaire du petit bleu lui semblait toujours suspecte, et son incompréhension des choses s’était transportée de Dreyfus à Picquart. Sarrien et lui ne firent donc venir que Chanoine, ce qui permit au cynique personnage, accouru sur l’heure, de tout rejeter sur son camarade. Il allégua d’abord, très consciemment, une de ces grosses sottises qui constituent un retranchement invincible : « que la demande en revision avait reçu sa solution avant qu’il fût nommé ministre et qu’il n’avait plus à s’en préoccuper » ; puis, « qu’il avait trouvé au ministère le dossier du petit bleu et l’avait (seulement) transmis au gouverneur de Paris », ce qui n’était même pas matériellement exact, puisqu’il avait envoyé, le matin même, à la Place, outre le dossier, « l’ordre formel d’informer »[157]. Brisson, pour s’excuser d’être tombé à cette autre imposture, raconte qu’il a connu seulement par le récit de Zurlinden, le 23 mai 1903, l’existence de cet ordre « formel » du 20 septembre 1898[158]. C’est l’un de ses torts, Il n’aurait eu, pour le connaître en temps utile, qu’à interroger le soir même Zurlinden, comme tout lui en faisait un devoir. Si Zurlinden avait vraiment engagé, de son propre chef et avec une telle hâte, en sa qualité de gouverneur de Paris, la procédure que, ministre, il avait consenti « à ne pas jeter à travers les instances déjà engagées »[159], c’était à Chanoine lui-même de le frapper pour établir sa propre loyauté, et c’était un motif de plus de l’appeler à s’expliquer. Aussi bien la version de Chanoine ne résistait pas à l’examen, puisqu’il avait été convenu avec lui-même (il y avait deux jours) « de réserver l’affaire de la poursuite en faux jusqu’après le jugement correctionnel ». Mais Sarrien, après en avoir fait la remarque, n’insista pas ; pour Brisson, il ferma les yeux, aima mieux en croire l’ami de Bourgeois et de Vallé, « qui avait accepté le portefeuille avec une rondeur qu’on ne saurait dire »[160], et qui l’avait consulté sur la succession d’Henry. Tout l’effort qu’il fit, ce fut une requête à Chanoine « de retirer la lettre adressée par Zurlinden au procureur général, de suspendre les effets de l’ordre d’informer », ce que Chanoine repoussa, et de ne pas transférer Picquart au Cherche-Midi (la prison de la Santé fût devenue ainsi le symbole de la suprématie du pouvoir civil) ; mais, ici, bonne ou mauvaise, la loi, au moins la lettre de la loi, était contre lui[161].

Il faut entendre Brisson juger ce coup d’audace des soldats, qui n’avait été possible que par ses fautes et qu’il couvrit de son impuissance, c’est-à-dire se juger lui-même : « Le Gouvernement est dessaisi… Les ressorts de toutes les lois sont tendus à l’excès et faussés. Les lois constitutionnelles et les lois morales sont violées… Le département de la Guerre n’est plus qu’un fauteur d’anarchie, de la pire anarchie, celle qui vient d’en haut[162]. »

Tout cela en vingt-quatre heures. Encore à la dernière heure, il eût suffi d’un geste pour faire rentrer les factieux dans l’ordre. Et, maintenant, que faire ? Laisser faire…

XI

Drumont et Rochefort, informés en même temps que Brisson, lancèrent aussitôt la nouvelle : que le ministre de la Guerre avait « exigé » les poursuites contre Picquart et que « le vieux fourbe (Brisson) avait dû céder ».

Ce matin-là, si l’on pouvait tuer la Vérité, elle eût été morte. Du Lac eût été dans l’affaire (qui fut combinée, d’ailleurs, selon les meilleures règles de la Compagnie) que les raisonnements des revisionnistes, depuis un mois, sur le faux d’Henry, n’auraient pas été retournés contre eux avec plus de force. Picquart faussaire, c’est « l’effondrement de la Revision ». Maintenant, il importe peu qu’Esterhazy, « au comble de la gêne », accepte les cadeaux des juifs et se déclare l’auteur du bordereau, « Si, pour innocenter Dreyfus, on inventait des preuves contre Esterhazy, c’est qu’on n’en avait pas. » Chanoine, « Ganelon » d’hier, passe à son tour « loyal soldat ». « C’est la plus belle page de sa carrière militaire[163].

Clemenceau, jusque dans la salle d’audience de la huitième chambre, refusa de croire à l’invraisemblable histoire : « Brisson ne permettra jamais cette infamie[164]. »

Il fallut, pour l’en convaincre, le réquisitoire du substitut Siben, qui demanda le renvoi de l’affaire pour deux raisons : parce que « la porte était ouverte sur la Revision », et parce que Picquart était inculpé de faux. Siben espère encore que le petit bleu est authentique ou que « Picquart a seulement manqué de perspicacité ». Mais, si Picquart a commis « l’acte infâme » de le fabriquer, il n’y aura pas assez de sévérités pour le punir[165].

Dans ces temps empestés de fourberies, on en imaginait, comme s’il n’y en avait pas assez. Labori supposa que la veille, quand il était convenu de la remise avec les magistrats, ceux-ci connaissaient déjà les nouvelles poursuites. Le président Bernard, l’avocat de la République protestèrent. Labori demanda alors au tribunal d’engager le débat au fond, d’entendre les témoins, « La procédure de revision n’aura rien à voir dans l’affaire. » Ordonner la remise avant le débat, c’est faire tenir le civil en état par le militaire.

Il n’avait aucune chance de faire admettre sa thèse, mais quand retrouverait-il l’occasion de faire connaître le cas, si simple, de son client, de crier à la barre que Picquart était innocent de toute faute ?

On reproche à Picquart, en butte à des machinations odieuses, d’avoir été trouver un avocat, de lui avoir confié sa défense sans réserve, de lui avoir donné un mandat général de défense. Il n’a rien fait de plus. Et l’avocat le reconnaît, il dit en toutes lettres dans la procédure que tout ce qu’il a fait, il l’a fait sous sa propre responsabilité de défenseur… De communications de documents ? Aucune. De renseignements détaillés sur les documents ? Aucun. D’indications sur l’origine des documents ? Aucune. Voilà la vérité vraie.

Il ramenait ainsi à ses proportions ce misérable procès, balayait les légendes et les « abjectes calomnies ». Picquart, jusqu’au bout, même à son détriment, proclamait sa fidélité à la discipline.

Maintenant, les machinations recommencent ; « cet homme admirable », on l’accuse d’avoir fabriqué un faux : « Quand on fabrique des faux à l’État-Major, on les fabrique autrement, et plus décisifs. » S’il y avait un doute sur l’authenticité de cette pièce, le ministère de la Guerre s’en serait-il tû depuis deux ans ? « Je me dresse et avec colère. » Mais « on a voulu prendre les devants » sur la plainte déposée par Picquart lui-même contre ses diffamateurs ; surtout, on a voulu présenter à la commission de Revision son témoignage comme celui d’un faussaire. « Alors, une fois encore, la justice aurait été violentée ! »

Fabre, l’avocat de Leblois, s’associa aux déclarations de Labori. Si Henry avait avoué son faux avant la mise en demeure de Cavaignac à Sarrien, est-ce que l’information eût été ouverte[166] ?

Picquart alors demanda la parole et, « regardant en face Gonse et Pellieux, qui baissaient la tête »[167], « d’une voix légèrement altérée par une indignation contenue »[168] :

J’irai peut-être ce soir au Cherche-Midi. C’est probablement la dernière fois, avant cette instruction secrète, que je puis dire un mot en public. Je veux que l’on sache, si l’on trouve dans ma cellule le lacet de Lemercier-Picard ou le rasoir d’Henry, que ce sera un assassinat, car jamais un homme comme moi ne pourra avoir un instant l’idée du suicide. J’irai le front haut devant cette accusation et avec la même sérénité que j’ai apportée devant mes accusateurs. Voilà ce que j’avais à dire.

Un frisson passa sur l’auditoire ; des applaudissements éclatèrent. Séverine dit que « Picquart s’était vacciné contre le suicide »[169]. Le tribunal, après un quart d’heure de délibération, renvoya la cause au premier jour.

On ramena Picquart à la prison de la Santé ; un capitaine de la prévôté s’y présenta aussitôt pour l’emmener. Le directeur refusa de le livrer sans un ordre écrit du Parquet. Picquart passa encore cette nuit, la soixante-douzième, à la prison civile. Il y avait été traité avec beaucoup d’égards, mais soumis au régime du droit commun. Ses voisins de cellules étaient des cambrioleurs et un assassin. Ceux de ses amis qui, deux fois par semaine, furent autorisés à lui rendre visite, ne le virent qu’au parloir ordinaire, prisonnier et visiteurs chacun dans une logette grillée, sans qu’ils pussent se serrer la main. Il parut toujours très calme, patient, d’une sérénité souriante, impassible devant la persécution, confiant dans l’avenir. — Le lendemain, sur les réquisitions du procureur général, il fut transféré au Cherche-Midi et mis, par ordre de Zurlinden, au secret[170].

Il ne fléchit pas plus sous l’absurde, l’infernale accusation de faux que sous tant d’autres dont la méchanceté et la vengeance l’avaient poursuivi. Il écrivit à Gast : « Je suis bien ici, presque aussi bien qu’au Mont-Valérien, et plus que jamais en repos avec moi-même. »

Il hanta alors toutes les pensées et, absent de l’Affaire, y passa au premier plan. On le détestait, on l’admirait, on le plaignait. Le vieux Lalance me dit : « Je l’envie. »

  1. Jules Lemaître : « Ce jour-là, nous avons tous accepté la Revision. » (Discours du 19 janvier 1899 à la réunion constitutive de la Ligue de la Patrie française.) Brisson : « À ce moment, tout le monde était revisionniste. » (Siècle du 18 mai 1903.) Et encore : « C’était le courant général. » (Siècle du 20.)
  2. Temps, Journal des Débats, Figaro, Matin, Liberté, Petit Parisien, Lanterne, Paris du 1er septembre 1898.
  3. Autorité, Écho de Paris, Gaulois, Petit Journal, Presse, Éclair, Univers, Soleil du 1er et du 2 septembre. « Le procès de Dreyfus est à recommencer, écrit Cassagnac, et ce procès ne peut plus avoir lieu dans une cave. On veut tout connaître : si le général Mercier a violé la loi… Si Dreyfus est coupable, on le renverra là-bas, c’est tout ce qu’on risque en somme… la Revision est l’unique, l’inéluctable solution. Sans la revision, l’affaire est sans issue ; c’est l’enlisement dans la boue. » L’Écho : « Tout est changé. La revision s’impose. Elle est désirée par un grand nombre d’officiers — nous le savons — et non des moindres… Le Gouvernement peut, en quelques semaines, en finir avec cette malheureuse affaire. L’abcès a crevé. S’il faut trancher dans le vif, on le fera. Les plaies franches sont vites guéries. » Judet : « Ou la revision rapide ou des poursuites immédiates » contre le Syndicat. Robert Mitchell accepte la revision si l’armée la réclame (comme dit l’Écho). Alphonse Humbert : « Toute la documentation émanée d’Henry ou ayant seulement passé par ses mains est suspecte. » Pierre Veuillot : « On a beau dire que Dreyfus a été bien jugé ; maintenant un doute pénètre dans les cerveaux et dans les cœurs d’un grand nombre ; il y a une maille rompue. » La Presse : « Mieux vaut une revision provoquée par le Gouvernement, acceptée par lui carrément que la revision arrachée tardivement au scrupule des juristes, par l’intérêt d’un particulier. » Hervé de Kérohant : « Il faut en finir et par un jugement rendu cette fois en pleine lumière, avec toutes les garanties qu’un accusé doit avoir dans les pays libres. » Francis Charmes, dans la Revue des Deux-Mondes : « Si on voit un autre moyen de faire cesser l’agitation, nous serions heureux de le connaître. Quant à nous, nous n’en voyons pas. »
  4. Libre Parole : « Si ce malheureux Henry avait voulu servir les dreyfusards, il n’aurait pu employer de moyen meilleur… C’était à la fois imbécile et coupable… Qu’ils revisent ou ne revisent pas, la chose, au point où nous en sommes, n’est pas faite pour nous émouvoir. » Rochefort trouve « la faute d’Henry incompréhensible, puisqu’elle ne pouvait influer sur la condamnation d’un traître déjà condamné ». Les autres pièces du dossier sont « d’une authenticité absolue, car l’exception confirme la règle ». Son beau-frère Vervoort : « Henry représentait le type de l’honneur militaire. » (31 août.) Le lendemain. Rochefort déclare que « le crime d’Henry est à la fois odieux et stupide ».
  5. Notamment Viviani, Millerand, Clovis Hugues, Camille Pelletan, André Berthelot. — Mirman, député de Reims, l’un de ceux qui avaient proposé l’affichage du discours de Cavaignac, lui écrivit qu’il l’interpellerait à la rentrée : « Sur toutes les communes de France, un faux abominable est encore affiché de par notre faute à tous. La vérité, ainsi souffletée, exige une réparation ; il la lui faut éclatante. » (1er septembre 1898.) Un autre ancien boulangiste, Gauthier (de Clagny), dit à un rédacteur du Jour : « C’est la revision fatale. » (2 septembre.) — Plusieurs conseils généraux étaient encore réunis : « On n’a plus eu à enregistrer aucun vœu contre la campagne revisionniste ; on peut juger par là du revirement qui s’est produit en province comme à Paris. » (Courrier du Soir du 2.)
  6. Chambre des députés, séance du 20 janvier 1899.
  7. République française du 1er septembre 1898. — De même Thiébaud (Éclair du 4) et Cassagnac (Autorité du 8).
  8. Conversation du 31 août 1898 avec Chovet, maire de Compiègne et sénateur de l’Oise ; lettre de Chovet à Joseph Fabre du 22 avril 1899. — Gallet, en 1894, avait fait sa conviction de trois preuves : l’écriture du bordereau, la pièce Canaille de D… et la déposition d’Henry. Il s’inquiéta toujours du mobile, en parla, en 1895, à Picquart qui lui répondit « qu’il (Gallet) ne connaissait pas certains juifs de Mulhouse ». Quand il vit, en 1897, l’écriture d’Esterhazy, il ne douta plus que le bordereau fût de lui. Gonse essaya de le rassurer, lui parla d’une nouvelle pièce où Dreyfus était nommé. Gallet le dit à Henry, qui se fâcha du bavardage de Gonse : « Du temps de Miribel, cela ne se serait pas passé ainsi. » À partir du procès Zola, il comprit que la pièce Canaille de D… ne s’appliquait pas à Dreyfus. Il croyait d’ailleurs se souvenir que la pièce secrète qu’il avait vue portait comme dans le texte publié par l’Éclair : « Cet animal de D… devient bien exigeant. » Enfin, avec le faux d’Henry, la dernière preuve, le témoignage d’Henry croulait : « le plancher s’effondrait sous ses pieds. » [Confession (inédite) d’un Juge.].
  9. C’est ce que déclare formellement Cavaignac. (Chambre des députés, et 7 avril 1903.) Zurlinden a varié dans ses récits. Le 4 juin 1899, lors de l’enquête du général Duchêne sur les actes du général de Pellieux, Zurlinden écrit au ministre de la Guerre, Galliffet : « C’est à la suite d’un entretien avec M. Cavaignac, alors ministre de la Guerre, que le général de Pellieux a retiré sa demande du 31 août 1898. » Cette lettre de Zurlinden fut produite à la Chambre, le 6 avril 1903, par le général André. Le lendemain, 7, Zurlinden écrivit à Cavaignac : « Toutes réflexions faites, voici comme à mon avis doit être rétablie l’affaire de la lettre du général de Pellieux : Je fis venir immédiatement le général de Pellieux… Je conclus en lui disant que je désirais lui donner le temps de réfléchir avant de transmettre sa demande ; que je garderais sa lettre deux ou trois jours et qu’ensuite je la lui renverrais par le général Borius, afin qu’il puisse agir à tête reposée. » — Cette seconde version paraît exacte. — Zurlinden dit qu’il a « peut-être parlé » de l’incident à Roget, mais que « ses souvenirs ne sont pas précis à cet égard » ; en tout cas, il affirme n’avoir pas transmis à Cavaignac la lettre de Pellieux.
  10. « Le général Borius est venu me trouver dans mon cabinet aux Invalides pour m’apporter cette lettre du général de Pellieux et appeler mon attention sur sa gravité. » (Lettre de Zurlinden à Cavaignac.)
  11. 1er septembre 1898.
  12. « Il était très surexcité, très énervé… Il avait cédé ce jour-là à un premier mouvement de colère et de révolte bien compréhensible. » (Lettre, de Zurlinden à Cavaignac.)
  13. « Mais je ne pus rien en obtenir. » (Même lettre.)
  14. Même lettre.
  15. « Le gouverneur répondit en priant le général de Pellieux, de revenir sur sa décision… Le général a retiré sa demande. » (Article de Maizières, dans le Gaulois du lendemain 2 septembre 1898.)
  16. « Dupe de gens sans honneur… » Dès la veille, la Libre Parole avait annoncé la démission de Pellieux. La question de savoir si Zurlinden communiqua ou non à Cavaignac la lettre de Pellieux devient dès lors secondaire. Après la publication du Gaulois, Cavaignac avait le devoir de s’informer auprès de Zurlinden, Brisson auprès de Cavaignac.
  17. Le vieux colonel Robert écrivit dans le Soleil : « L’immense majorité de l’armée applaudira à la revision. »
  18. Arrêt du 2 septembre 1898.
  19. Le doyen Sallantin lut d’abord : « par refus d’application ». Tous les journalistes présents entendirent le mot qu’ils enregistrèrent (Débats, Soir, Gazette de France) ; l’Agence Havas le reproduisit, le transmit à tous les journaux de province. On réfléchit ensuite que le refus d’appliquer la loi, c’était le déni de justice qui tombe sous le coup de l’article 135 du Code pénal, et le texte fut remanié en conséquence.
  20. Temps du 2 septembre 1898.
  21. C’est ce que Trarieux, demanda à Trouillot, ministre des Colonies : « Vous pouvez, tout en restant dans le respect de la loi, soulager des souffrances physiques et morales dont nous ne saurons bientôt comment effacer le souvenir. N’attendez pas d’y être contraint pour agir. Vous vous honorerez en accomplissant un acte de libre initiative » (2 septembre 1898). — Le régime de Dreyfus fut maintenu.
  22. Cass., I, 190, femme Gérard ; 198, Pays. — Nuit du 31 août au 1er septembre. — Selon un récit de la fille Pays à la concierge, Esterhazy serait allé chez Du Paty, ce qui est faux.
  23. Dessous de l’Affaire, 70 ; Cass., I, 600, Esterhazy.
  24. Esterhazy ne donne pas la date de son départ, mais de son récit même et de celui de Marguerite Pays, il résulte qu’il partit le 1er septembre. Elle raconte, en effet, qu’elle reçut d’Esterhazy, déjà à Bruxelles, « la veille de la démission de Cavaignac », — c’est-à-dire le 2 — « une lettre fermée qu’il la chargeait de faire porter à Cavaignac. » (Cass., I, 798.) — d’Esterhazy, quand il la publia, la data faussement de « Paris, le 5 septembre, à M. Cavaignac, ministre de la Guerre. » (Dessous, 92.) Or. Cavaignac donna sa démission le 3 et l’Agence Havas l’annonça aussitôt.
  25. Note du 3 septembre 1898 : « Je n’ai eu, avant-hier jeudi et hier vendredi, de rapport avec M. Cavaignac que par le téléphone : pour lui recommander… etc. » (Siècle du 2 mai 1903.)
  26. Sarrien se rendit deux fois dans la journée du 2 au ministère de la Guerre. Dans l’intervalle, il eut un long entretien avec Brisson (Agence Havas).
  27. Bourgeois, Lockroy, Maruéjouls, Viger et Peytral.
  28. Tous les journaux, y compris la Libre Parole, reproduisirent l’article du Gaulois.
  29. Souvenirs de Brisson, dans le Siècle du 2 mai 1903. Il y revient vingt fois : « Cette lettre m’obsède ; elle est grave… quel drame !… Il y avait un phare, et ce phare n’a lui que pour quelques uns. » (Par la faute de qui ?) « Si nous avions pu conférer avec le général de Pellieux… etc. — De même à la séance de la Chambre du 6 avril 1903. — Il ne « songea pas davantage à demander les rapports sur la mort d’Henry ».
  30. Dès le 31 août, dans le Temps : « L’affaire du colonel Henry ne change rien à la conviction de M. Cavaignac au sujet de la culpabilité de Dreyfus. » Les journaux de l’État-Major (Patrie, Soir, Presse, Jour du 31, Écho de Paris et Libre Parole du 1er) reproduisirent presque dans les mêmes termes des conversations du commandant Maudhuy, officier d’ordonnance de Cavaignac, chargé des relations avec la presse : « L’opinion du ministre reste entière. Sa conviction s’est fortifiée de l’étude du dossier. La vérification n’a fait découvrir qu’une pièce fausse. C’est une preuve de plus en faveur de l’authenticité des autres. La culpabilité de Dreyfus est plus absolue que jamais. » La Libre Parole précise que l’officier, qui lui a donné ces assurances au ministère de la Guerre, parlait « au nom de M. Cavaignac ». Et le lendemain : « Plusieurs officiers nous ont fait de nouveau, au nom de M. Cavaignac, la déclaration suivante : « Dites bien, répétez-le » sans cesse et tous les jours, pour que l’on n’égare pas l’opinion… » — L’Écho nomma ses interlocuteurs, Maudhuy et Cuignet.
  31. Procès-verbal du 1er septembre 1898, signé Gonse. Le reliquat était exactement de 29.500 francs (Procès Dautriche et consorts, rapport Cassel. Dossier I, cotes 115 et 119).
  32. Lettre de Lasies, député du Gers, à Drumont, du 2 septembre 1898 : « Le ministre de la Guerre m’a très nettement déclaré… Sa figure reflétait son énergie… Il m’a autorisé à publier et à répandre ces affirmations si catégoriques. » — L’article de Drumont sur Henry est intitulé : « La fin d’un soldat. »
  33. Cavaignac, dans son discours du 7 juillet, avait parlé de deux autres lettres qui encadraient, confirmaient la lettre où Dreyfus était nommé. Par conséquent (ainsi que Jaurès, Monod et moi le fîmes observer), c’étaient aussi des faux. (Siècle du 5 et du 6, Petite République du 8). Journal des Débats : « Le colonel Henry a fait un faux : n’a-t-il fait que celui-là ? ».
  34. Zurlinden lui fit retourner sa lettre par le général Borius. (Note du 2 septembre 1898.)
  35. Gaulois du 3 septembre 1898. — Paul Meyer lui répondit par une très belle lettre ; après avoir établi que « ses condoléances étaient antérieures à la mort d’Henry », il le conjura d’aider à mettre fin « au désarroi qu’il avait contribué à créer… Je vous crois homme de cœur. Agissez promptement. Associez-vous à la réparation des torts dont vous êtes responsable et travaillez, ainsi à l’apaisement. Sinon, vous vous préparez des remords qui empoisonneront votre existence jusqu’à votre dernier jour. »
  36. Léon Bollack ; il était des amis de Gachet, lui-même l’ami intime de Brisson, membre de son comité électoral, l’un des plus fermes républicains du Xe arrondissement.
  37. Article 443, § 4 du Code d’instruction criminelle.
  38. Jaurès le lui reprocha : « Pourquoi laisser à Mme Dreyfus l’initiative de la procédure de revision, au lieu de l’ouvrir soi même au nom de la France ? » (Petite République du 8 septembre 1998.)
  39. La rédaction de la lettre fut arrêtée dans une réunion qui se tint chez moi et qui comprenait Demange, Trarieux, Labori, Mornard, Ranc et Mathieu Dreyfus.
  40. Récit de Bourgeois, le 30 octobre 1898, à Monod, qui le consigna le soir même. (Notes inédites.)
  41. « C’est une suprême folie à laquelle je ne veux prendre aucune part. » (Écho de Paris du 5 septembre.)
  42. Souvenirs : « J’essayai de toutes les façons de le retenir », etc.
  43. La lettre de démission, la seule qui fût publiée, était accompagnée d’une seconde où Cavaignac expliquait pourquoi il ne pouvait pas « ajourner la publication de sa décision. D’une part, des faits nouveaux peuvent surgir à chaque instant, auxquels je ne serais plus en mesure, dans la situation actuelle, de faire face. De l’autre, je ne puis penser, après ce que vous avez bien voulu me dire, que, même en présence d’une décision du Conseil des ministres, vous puissiez consentir à vous opposer à la Revision. »
  44. Brisson, dès qu’il reçut la lettre de Cavaignac, téléphona lui-même à Le Gall, le chef du cabinet civil de Félix Faure.
  45. Notes (inédites) de Monod.
  46. Au mois de novembre 1896, à la suite de l’interpellation de Castelin, Félix Faure en montra la photographie à Linard, député des Ardennes.
  47. Un peu plus tard, Berge, le gendre de Félix Faure, qui se tint toujours à l’écart de la politique, pria Gibert d’intervenir pour arrêter cette campagne. (Souvenirs de Mathieu Dreyfus.) — » Pour d’autres raisons qu’il est inutile de rappeler, Félix Faure n’a pas toujours eu une entière liberté d’esprit ni de mouvements. » (Jules Lemaître, dans l’Écho du 19 février 1899.)
  48. Petite République du 15 septembre 1898.
  49. En 1890, après l’entrevue de Cronstadt, il me poussa à combattre, dans la République Française, la politique d’entente avec la Russie et me proposa d’y publier un résumé, qu’avait fait sa fille, du livre de Kennan, les Prisons de Sibérie. Si j’y avais consenti, ces articles signés de Mlle Faure auraient fait scandale ; Faure n’aurait pas été Président de la République.
  50. Souvenirs de Brisson (Siècle du 18 mai 1903).
  51. « Saussier a refusé de se faire naturaliser allemand ; c’est un scrupule qui l’honore. » Intransigeant.)
  52. Souvenirs de Brisson.
  53. Rennes, I, 205, Zurlinden, et Réponse à Brisson.
  54. Né à Colmar, le 3 novembre 1837.
  55. Quand Saussier, atteint par la limite d’âge, quitta le gouvernement de Paris, Faure réunit à l’Élysée les présidents des deux Chambres (Loubet et Brisson) avec Méline et Billot. Ils furent unanimes à désigner Zurlinden.
  56. Brisson, Souvenirs : « Cavalier admirable, montant des chevaux superbes, il était populaire dans Paris. »
  57. Brisson, Souvenirs. (Siècle du 18 mai 1903.) — Zurlinden dit « qu’il prévoyait alors que le faux Henry entraînerait la revision ». (Rennes, I, 205.)
  58. Journal des Débats du 7 et du 13, Temps du 11 septembre 1898, etc. — Jaurès, dans la Petite République du 13 : « Les lenteurs inexplicables des ministres, l’incroyable légèreté avec laquelle ils ont introduit Zurlinden sans s’assurer de son concours loyal et ferme… »
  59. Rennes, I, 205, Zurlinden, et Réponse à Brisson.
  60. Note du 6 septembre 1898. — Souvenirs de Brisson et Réponse de Zurlinden ; Cass., I, 41, Zurlinden.
  61. Brisson dément formellement, dans ses Souvenirs, qu’il eût été entendu entre Zurlinden et lui qu’on ne pourvoierait pas au remplacement du général comme gouverneur de Paris, « afin qu’il put reprendre cette fonction, une fois passée la crise de la Revision ». Mais il « ignore si des pourparlers de ce genre ont eu lieu entre d’autres personnes », c’est-à-dire avec Félix Faure. — Au conseil des ministres du 6, Zurlinden annonça qu’il avait confié l’intérim, en attendant la nomination de son successeur, au général Borius. — Drumont comprit fort bien et s’en expliqua dans son journal. (7 septembre 1898.)
  62. Souvenirs : « Faire la Revision avec lui et par lui, c’était le rêve ; j’ai pu le caresser quelques jours :
    « Heureux celui qui mourut dans ses rêves ! »
  63. 6 septembre 1898. Souvenirs de Brisson« (Siècle du 18 mai 1903) Réponse de Zurlinden.
  64. Zurlinden, Ma Réponse.
  65. Ibid. et Cass., I, 54, Roget.
  66. Cass., I, 48, Zurlinden.
  67. Zurlinden, Ma Réponse ; Cass., I, 105, Roget ; note Havas du 5 septembre ; la note précise que Cavaignac, redevenu simple député, fut reçu « en audience ».
  68. Instr. Tavernier, 2 novembre 1898, Roget : « Zurlinden fit lui-même, seul dans son cabinet, les constatations que j’avais déjà faites avec Cuignet ; il me fit appeler et m’en fit part. » — De même Rennes, III, 282.
  69. Instr. Tavernier, 2 novembre 1898 ; Cass., I, 110, 115, 116, 122, 611 ; Rennes, I. 328 ; III, 282, Roget. — Lettres de Zurlinden à Sarrien des 10 et 16 septembre 1898.
  70. Cass., I, 343, Cuignet : « J’ai dit aux différents ministres qui ont succédé à Cavaignac qu’une enquête établirait facilement que Du Paty est l’auteur principal du faux d’Henry. » Il le fit dire par les journaux. (Paris du 8 septembre 1898, etc.)
  71. Zurlinden, Réponse.
  72. Cass., I, 217, Galliffet.
  73. Rennes, III, 469, Zurlinden.
  74. « Compte rendu d’une conversation entre le commandant Picquart et le capitaine Tassin le jour de la dégradation de Dreyfus… Certifié conforme à la vérité, Paris le 6 septembre 1898, signé Tassin. » (Dossier de la Cour de cassation.) — le récit de Tassin est mentionné au rapport de Bard. (Revision, 57.)
  75. Souvenirs de Brisson (Siècle du 20 mai 1903).
  76. 7 et 8 septembre 1899 ; Drumont, physiologiste, lui trouve le type du « fourbe » ; Rochefort le compare à Perrinet-Leclerc : « Enfin, il s’est trouvé un général pour trahir l’année !… Sa trahison n’est pas moins odieuse que celle de l’infecte canaille dont il se constitue le protecteur. »
  77. Cass., I, 45 et Rennes, I, 205, Zurlinden. C’est ce que disaient déjà les journaux (Écho, Gaulois, etc.), par précaution.
  78. Rennes, I, 491, Cuignet.
  79. Croix de l’Aveyron du 3 septembre 1898.
  80. Gazette de France des 5 et 6.
  81. Petit Journal du 2.
  82. Michelet, Histoire de France, X. 356.
  83. Mes Petites Lettres, dans le Siècle du 8 septembre 1898.
  84. Lettre du 10.
  85. Libre Parole des 3, 4 et 8, Éclair du 4 (Thiébaud), Patrie du 6 (Millevoye), Croix, Petit Journal, etc.
  86. Intransigeant du 1er. — De même, Patrie du 2, Petit Journal et Libre Parole du 3, Croix des 4, 5, 6, 28.
  87. Voir t. I, 348 ; II, 659 et III, 396.
  88. Gazette de Cologne du 7 septembre 1898 : « On peut tout publier : l’Empereur, qui ne qui ne correspond pas avec des espions, ne fera pas la guerre pour des faux ineptes ; les officiers qui en auront été dupes seront ridicules. »
  89. La Patrie du 3 annonce que de nombreux officiers « généraux et supérieurs », qui savent le secret de l’Affaire, vont donner leur démission et tout révéler : « C’est la guerre certaine. » — Je signalai à plusieurs reprises, le péril de ces faux en réserve. (Siècle des 4, 5, 10 et 11). De même Jaurès, dans la Petite République (11 et 20).
  90. Zurlinden, Ma réponse : « Le premier examen me prend trois jours. De loin en loin, je reçois la visite du garde des Sceaux, qui paraît connaître déjà bien l’Affaire, mais qui me laisse travailler à mon gré.
  91. Libre Parole du 8.
  92. 9 et le septembre. (Cass., II, 189 à 202.) L’ordre de Zurlinden est daté du 7.
  93. Zurlinden, Ma Réponse.
  94. Revision, 239, lettre à Sarrien.
  95. Voir p. 223.
  96. Voir t. I, 450 ; II, 294 ; III, 193.
  97. Revision, 120, lettre du 11 septembre 1898.
  98. Cass., I, 48, Zurlinden : « Je n’ai rien pu apprendre malgré mes recherches au ministère. J’ignore si ce bruit (de la communication secrète) est fondé ou, au contraire, si c’est une simple légende, résultant de ce qu’au bureau des Renseignements on aurait peut-être songé, au moment des débats, à préparer des documents qui pourraient être communiqués aux juges, sans qu’on ait donné suite à ce projet. Je le répète, je n’ai pu recueillir à cet égard aucune espèce de renseignement. »
  99. Brisson, Siècle du 20 mai 1903 ; Zurlinden, Ma Réponse.
  100. Cass., II, 202 à 206, rapport Renouard.
  101. Ibid., I, 41 ; Rennes, I, 205, Zurlinden, et lettre du 10 septembre 1898 à Sarrien. — Zurlinden dit « qu’il ne fit que répéter dans cette lettre l’avis qu’il avait donné au Conseil ».
  102. Souvenirs de Brisson. (Siècle du 20 mai 1903.)
  103. Le récit de cet incident parut, le 22 novembre 1898, dans l’Union Républicaine du Jura, le journal de Trouillot. La Libre Parole et le Petit Journal alléguèrent, plus tard, que Zurlinden n’avait pas communiqué toutes les pièces secrètes.
  104. Plusieurs journaux dirent qu’il était intervenu vivement contre la Revision. Brisson adressa un démenti catégorique à l’Agence Havas (15 septembre 1898).
  105. Faure dit plus tard à Zurlinden « qu’il avait cru s’apercevoir que la majorité allait être contraire à Brisson », d’où une crise qu’il avait préféré ajourner à son retour. Or, dès cette séance du 12, Brisson était assuré de la majorité (Sarrien, Bourgeois, Delcassé, Maruéjouls et Trouillot).
  106. Ranc, Clemenceau, Guyot demandaient, depuis plusieurs jours, l’élargissement de Picquart.
  107. Lettre de Picquart à Sarrien des 14 et 15 septembre 1898.
  108. Revision, 108 à 118.
  109. 8 septembre 1898. — Le 11, Richard, président de la neuvième chambre, refusa de statuer, vu que Picquart et Leblois étaient poursuivis devant la huitième.
  110. Éclair du 13 septembre 1898. — La plainte en diffamation fut déposée au tribunal le jour même.
  111. Revision, 239. (Voir p. 256.)
  112. Cass., II, 124 à 129 (16 septembre).
  113. Note du 14 septembre. (Affaire Picquart, 227 à 251.) — Cette note est visiblement due à la collaboration de Roget, qui, dans sa déposition devant Tavernier (12 novembre), en reproduit certains passages dans les mêmes termes, et de Cuignet, qui convient que c’est lui qui découvrit l’affaire Donin de Rosières (17 octobre). — La note de Gonse, qui est jointe à celle de Roget, porte la date du 16 septembre.
  114. Lettre du 16 septembre 1898. — À Rennes : « Mon opinion était basée sur des constatations que j’avais faites moi-même. »
  115. Rennes, I, 371, Picquart : « J’ai, pour la première fois, entendu parlé de l’affaire Donin de Rosières dans une note qui a été envoyée par le général Zurlinden… Je ne me suis jamais occupé de Donin. »
  116. Note du 16 septembre. (C’est la note de Gonse.)
  117. Note du 14.
  118. Dans son mémoire du 1er septembre 1896, il avait écrit que le petit bleu était de fin avril ; il dit ensuite à Pellieux qu’il l’avait reçu en mai. Lauth avait commis des erreurs de mémoire autrement graves.
  119. Lettre du 16 septembre 1896 : « Les agissements de Picquart pour imputer à Esterhazy le crime de trahison, la production et l’usage du petit bleu, qui paraît être un faux caractérisé, n’ont pas encore reçu la sanction qu’ils méritent. »
  120. Souvenirs de Brisson (Siècle du 20 mai 1903).
  121. Gaulois du 15, Libre Parole du 16 septembre 1898, etc. : « La France demande un chef qui comprenne son rôle, non pas un président à l’engrais, comme eût dit Bonaparte. »
  122. 16 septembre.
  123. Sous-lieutenant en 1856, capitaine en 1862, chef d’escadron en 1875, colonel en 1886, brigadier en 1890. commandant la 15e division d’infanterie en 1895.
  124. Je n’allais pas voir Brisson au ministère. On eût « interpellé sur ma visite ». Les communications eurent lieu par l’intermédiaire de mon ami Gachet, qui s’adressait soit à Mathieu Dreyfus, soit à moi.
  125. Souvenirs de Brisson (Siècle du 20 mai 1903).
  126. Cass., I, 49, et Rennes, I, 213, Chanoine ; Souvenirs de Brisson.
  127. Chambre des députés, séance du 25 octobre 1898, discours de Chanoine : « Lorsque j’ai accepté le portefeuille de la Guerre, j’y ai été encouragé par mes camarades, par les chefs de l’armée. » De même Cass., I, 49.
  128. Disciple et ami d’Ozanam. Dès novembre, il avait écrit une lettre chaleureuse à Scheurer.
  129. Il publia deux brochures : la Conscience chrétienne et la Question juive, la Conscience chrétienne et l’Affaire Dreyfus. — Un prêtre lui écrivit : « L’Église avait un beau rôle à remplir, rôle qui l’eût réhabilitée en France, crier : « Justice ! justice pour tous ! » Elle ne l’a pas compris… Je prévois que seule, ou presque seule, elle portera le poids des rancunes populaires. »
  130. André Beaunier, Les Dupont-Leterrier, Histoire d’une famille pendant l’Affaire, 123.
  131. Chambre des députés, 13 mars 1903 : « La crise intellectuelle qui m’a amené à passer irrévocablement au parti de la révolution sociale… »
  132. Les professeurs Gley, Lapicque et Héricourt, le docteur Hervé, Morhardt, Psichari, Pierre Quillard.
  133. Lettre à Lasies (8 septembre 1898). L’ordre du jour avait été déposé par Cyvoct, qui en prit la responsabilité. (Aurore du 12).
  134. 19 septembre. — Pressensé refusa de se rendre devant la commission chargée d’entendre ses explications (18 octobre). La radiation fut prononcée le 15 novembre.
  135. 29 octobre.
  136. Lasies, Drumont, Gervaize, Millevoye, Berry, etc.
  137. Croix, Intransigeant, Libre Parole du 28 septembre 1898.
  138. Petit Journal du 2 octobre.
  139. France du 8 septembre.
  140. Ce fut la version de Clemenceau dans un article intitulé « Assassins » : « Un officier était dépêché à Henry pour lui donner à choisir entre la dégradation suivie des travaux forcés, ou la mort avec l’Affaire étouffée et la pension militaire à sa veuve. » (Aurore du 24 septembre 1898.) — Ce sera également la version de Gohier : « Cette brute était un prétorien parfait ; cet homme-là ne pouvait pas se tuer. » (5 novembre.)
  141. Dessous de l’Affaire, 70 ; Dép. à Londres (éd. du Siècle).
  142. Cour de cassation, arrêt du 3 mars 1899.
  143. Zurlinden, Ma Réponse : « La nécessité pour Chanoine d’étudier le dossier, afin de le soumettre sans retard au conseil qui en avait déjà été saisi, mais qui n’avait pris encore aucune décision.
  144. « Au delà du prochain conseil des ministres. » (Note officieuse de Zurlinden dans le Temps du 19 septembre 1898.)
  145. « Je m’enferme aux Invalides et pendant deux jours ne reçois âme qui vive. » (Ma Réponse.)
  146. Drumont, dans la Libre Parole du 18 septembre ; de même Rochefort. Millevoye, Judet, les Croix, etc. — Lettre de Lasies : « Vos étoiles sont ternies ; l’armée vous méprise. Vous êtes un soldat indigne. »
  147. Brisson, Souvenirs, dans le Siècle du juillet 1903 : « Qui ne voit combien était significative, étant données les circonstances, comme adhésion du ministre à la Revision, la demande qu’il faisait au président du Conseil, revisionniste déclaré… etc. » — Brisson lui désigna un colonel de ses amis, que Chanoine lit venir et qui refusa.
  148. Brisson dans le Siècle du 24 août 1903.
  149. « Il est certaines situations de confiance, comme celles de ministre de la Guerre ou de gouverneur militaire de Paris, où il ne devrait pas être indifférent de connaître les attaches d’un homme. » (Brisson, Siècle du 29 mai.)
  150. Lettre de Chanoine au gouverneur militaire, du 20 septembre 1898, (Instr. Fabre, 295 ; Cour de cassation, Affaire en règlement de juges, audience du 2 mars 1899, plaidoirie de Mimerel.)
  151. Zurlinden, Ma Réponse : « Le mardi matin, 20 septembre, avant dix heures, l’État-Major reçut du général Chanoine l’ordre formel… etc. »
  152. Décret du 20 septembre 1898.
  153. Zurlinden : « Il était parti pour la Marne. » Chanoine était seulement sorti : Brisson le vit le soir même. (Voir p. 281.)
  154. Zurlinden : « Je fais ma visite au président du Conseil ; il ne me dit rien de cette affaire : moi non plus, ignorant complètement ce qui s’est passé entre lui et mon chef, le ministre de la Guerre. » — Brisson : « Le gouverneur vint me voir ; il ne me parle pas de l’affaire Picquart ; je ne lui en parle pas non plus ; mais, moi, cela se conçoit : je ne sais rien de nouveau ; je demeure dans les conventions passées depuis plusieurs jours… etc. » (Siècle du 7 septembre 1903.)
  155. 8e chambre correctionnelle, audience du 21 septembre 1898. (Instr. Fabre, 266, Sibben ; 271, 272, Bernard, président, Labori.) — Souvenirs de Brisson. (Siècle du 28 août 1903.)
  156. Voir p. 381, le texte de l’exposé des motifs du Code de justice militaire.
  157. Souvenirs. (Siècle du 28 août 1903.)
  158. « C’est seulement par l’article du Gaulois du 23 mai dernier que j’ai connu cet ordre formel… » (Siècle du 7 septembre.)
  159. Souvenirs de Brisson. (Siècle du 31 août 1903.)
  160. Siècle du 28.
  161. Siècle des 28 et 31. — Chanoine, d’après Brisson, dit simplement que, « l’ordre d’informer étant pris, cela était bien difficile ». Sur l’article 60 du Code de justice militaire, Brisson convint que « l’apparence superficielle du texte était opposée à son interprétation… J’avais raison en droit ; en gros et en fait, je semblais me tromper. »
  162. Siècle des 31 août et 7 septembre 1903.
  163. Libre Parole et Intransigeant du 21 septembre 1898.
  164. Aurore du 23 septembre 1898.
  165. Instr. Fabre, 264 à 268, Siben.
  166. Instr. Fabre, 268 à 278, Labori ; 279, Fabre.
  167. Siècle du 22 septembre 1898.
  168. Pressensé, le Colonel Picquart, 377.
  169. Fronde du 23 septembre, Siècle, Libre Parole, etc. — Gast raconta plus tard que, le dimanche qui suivit la mort d’Henry, Picquart, déjeunant dans sa cellule trouva dans une omelette deux morceaux de verre à angle aigus le fit constater par le gardien, le directeur et le contrôleur ; « Il est certain, leur dit-il, que, peu de jours après la mort d’Henry, ce fait paraîtrait bizarre au public ; mais soyez en repos, changez mon restaurateur, et je ne dirai rien. » (Temps du 9 mars 1899.)
  170. La loi du 8 décembre 1897 sur l’instruction criminelle supprime le secret dans les prisons civiles ; les accusés ont le droit de communiquer librement avec leur avocat et de l’avoir avec eux à l’instruction. Le législateur avait négligé d’abroger l’article 112 du Code de justice militaire. Constans, l’initiateur de la réforme, annonça qu’il en proposerai l’abrogation dès la rentrée des Chambres. Labori, en renonçant, devant le tribunal, à la demande convenue de mise en liberté provisoire, espérait que la détention de Picquart se continuerait à la prison civile conformément à la jurisprudence. L’article 610 du Code d’instruction criminelle précise, en effet, que l’inscription de sortie portera la mention de l’ordonnance, de l’arrêt ou du jugement en vertu duquel elle aura lieu.