Histoire de l’Affaire Dreyfus/T1/11

La Revue Blanche, 1901 (Vol.1 : Le procès de 1894, pp. 454–506).

CHAPITRE XI

LA DÉGRADATION

I. Dreyfus, ramené à la prison, veut se tuer, 454. — Forzinetti le détourne du suicide, 455. — II. Héroïsme de Mme Dreyfus ; ses lettres à son mari, 456. — Dreyfus jure de vivre et d’affronter tous les supplices, 460. — III. Attente fiévreuse de l’opinion pendant le procès, 462. — IV. Le verdict et l’opinion, 464. — Triomphe de Mercier et de Boisdeffre, 467. — Nouveaux progrès de l’antisémitisme, 468. — Attitude des socialistes, 472. — V. Le projet de Mercier sur la trahison et l’espionnage, 474. — Intervention de Jaurès ; scènes violentes à la Chambre, 476. — VI. Rejet du pourvoi de Dreyfus, 478. — Mercier envoie Du Paty chez Dreyfus, 479. — VII. Entrevue de Du Paty et de Dreyfus. 481. — VIII. Rapport de Du Paty à Mercier, 485. — Lettre de Dreyfus, 486. —  Mercier décide de proposer la déportation de Dreyfus à l’île du Diable, 487. — IX. Demange sollicite une audience de Dupuy, 487. — Première entrevue de Dreyfus avec sa femme, 488. — X. Un vent de sauvagerie souffle sur Paris, 490. — Fureur des journaux, 492. — XI. Journée du 5 janvier, 493. — Dreyfus est remis à Lebrun-Renault, 494. — Sa conversation avec cet officier, 496. — XII. La parade d’exécution, 499. — Protestations d’innocence de Dreyfus, 501. — Manifestations féroces des assistants, 504. — Dreyfus au Dépôt, 506.

I

La nuit était tombée depuis longtemps quand Dreyfus fut ramené à la prison qu’il avait quittée, le matin, d’un cœur joyeux, sûr d’être libre le soir, au milieu des siens. Maintenant, la vérité légale, c’est qu’il est un traître, le plus vil des hommes. La vie, avec cette honte, était pire que la mort. La mort seule eût été douce, le profond sommeil sans rêve ni réveil. En rentrant dans sa cellule, où il aperçut Forzinetti, il cria, de la porte : « Mon seul crime est d’être juif ! » et, de toutes les forces qui lui restaient, il demanda un revolver[1].

Tout était brisé en lui : son culte de la raison, sa foi dans la justice, son amour des hommes. Aussitôt, un homme lui prit la main, qui était bon et qui croyait encore en lui.

Ce vieux soldat avait vu beaucoup de malheureux ; se baissant vers eux, il s’était élevé à les plaindre. Il avait vu beaucoup d’injustices ; une de plus, pour effroyable qu’elle fût, l’affligeait sans le surprendre. Le monde, lourd d’iniquités depuis des siècles, ne croulera pas pour une iniquité de plus, continuera sa marche. C’est une bataille de plus à livrer contre le monde ; et toute bataille peut être une victoire.

Dans cet écroulement de tout, de lui-même, de toute sa vie, de ce qui lui semblait la logique des choses, c’eût été pour Dreyfus une douleur de plus, et très amère et cruelle, si son geôlier, qui l’avait cru innocent jusqu’à ce matin, l’avait cru coupable cette nuit, parce que condamné. Or, Forzinetti, quand l’encre était humide encore sur l’arrêt, continuait à le croire innocent. Il y avait donc encore, sous le ciel, de la bonté, de la justice — et de l’espoir.

Cette goutte de lait de l’humaine tendresse, tombant sur cette pauvre âme comme une rosée, la rafraîchit. Rentrant dans son cachot, s’il n’en avait trouvé que les quatre murs, la porte de fer et les grilles, las de tant d’horreurs, terrassé par le destin, il se serait tué avant le jour. À cette heure, dans sa fièvre s’exaspérant en folie, la pensée de sa femme et de ses enfants n’eût pas retenu sa main. Il serait mort, avec leur chère image dans les yeux, avant que la raison fût revenue en lui.

Forzinetti donna à l’étincelle sacrée le temps de se rallumer. Il n’apaisa pas le malheureux de sa première parole de pitié. Plus d’une fois encore, pendant cette longue nuit d’hiver qu’il passa près de lui jusqu’au matin, Dreyfus réclama, comme un bienfait, l’arme libératrice.

N’eût-il été que le Samaritain chargeant sur ses épaules le fils de Jérusalem, il ne l’eût pas sauvé. Mais ayant été seul à lire en lui et à le comprendre, il lui parla, comme un soldat à un soldat, — de la défaite, que c’est lâcheté d’accepter, et d’honneur. Le suicide, c’eût été la confirmation de l’arrêt. Lui, Forzinetti, il aurait dit le premier : « Le traître s’est fait justice[2]. » Dreyfus avait trente-cinq ans. Quand Forzinetti le quitta, il lui avait promis sinon de vivre, du moins d’attendre.

II

Si de telles infortunes se peuvent peser, un être était plus malheureux que lui : sa femme.

Il y a quelques semaines, elle était heureuse entre toutes : de beaux enfants, un mari qu’elle aime et qui l’aime, et l’orgueil joyeux du métier des armes. De la servitude militaire, elle ne voyait que l’âpre grandeur et l’éclat. Maintenant, les ruines mêmes de ce court bonheur se sont écroulées.

Son mari au bagne ; plus un coin de France où son nom ne soit exécré, plus un coin du monde où le nom de ses enfants ne soit flétri. Quelle chute, et dans quel abîme !

Le malheur immérité a cette vertu : celui qu’il frappe, il l’emporte bien au-dessus des hommes, au-dessus de lui-même, à des sommets que, naguère, heureux, vainqueur, l’infortuné n’aurait jamais rêvé d’atteindre. La douleur n’en est pas supprimée, de toutes les heures, de toutes les minutes, qui brûle et ronge sans répit. Mais les cures d’air aux pics élevés ne sont pas plus salutaires au corps que ne l’est à l’âme cette ascension des grandes douleurs.

Dans le bonheur tranquille de la vie familiale, cette âme de Lucie Dreyfus était une petite âme simple, un peu passive, aux ailes courtes.

À l’atroce nouvelle que lui porte un parent, le docteur Weill, venu, dans la foule, au Cherche-Midi, avec l’espoir, la certitude du triomphal acquittement, elle jette un cri de bête blessée et tombe aux bras de sa mère. Puis, sans effort apparent, elle va au devoir.

Eût-elle eu un doute sur son mari, elle en fût morte. Elle était sûre de lui ; elle voulut qu’il vécût.

Un soldat peut-il survivre à l’honneur ? Mais l’honneur de ce soldat est-il mort ? Donc, ce soldat doit vivre pour l’honneur, et elle le lui ordonne.

Une consigne barbare, inventée à l’usage du juif, fermait à sa femme les portes de la prison. Ces deux malheureux êtres, au moment où ils avaient soif de pleurer ensemble, étaient réduits à s’écrire.

Avec le jour, le mirage du suicide était revenu, oasis d’éternel repos. L’attrait était si fort que Dreyfus, comme le voyageur au désert, y cédait, sentait qu’il n’y pourrait résister, qu’il irait s’y perdre. Trop loyal pour s’en taire, il appelle sa femme au secours : « C’est pour toi seule que j’ai résisté jusqu’aujourd’hui, pour toi seule que j’ai supporté ce long martyre. Mes forces me permettront-elles d’aller jusqu’au bout ? Je n’en sais rien. J’essaierai de vivre pour toi, mais j’ai besoin de ton aide[3]. »

Elle avait deviné sa pensée ; à la même heure, elle lui répondait déjà. Point de grandes phrases, de déclamations cornéliennes, rien qu’une infinie tendresse qui enveloppe, pénètre. Elle l’aimait, elle l’admire. Du souvenir des jours heureux, dans cette misère, elle fait non pas une douleur de plus, mais la raison même de l’espoir : « Nous avons passé près de cinq années de bonheur. Vivons sur ce souvenir. Un jour, justice se fera, et nous serons encore heureux. Les enfants t’adoreront ; nous ferons de ton fils un homme tel que toi ; je ne pourrai pas lui choisir de plus bel exemple… Il faut que tu vives pour nos enfants, pour moi. »

Demange avait visité Dreyfus dans sa cellule, l’avait embrassé avec des larmes : « Mon capitaine, votre condamnation est le plus grand crime du siècle ! » Il porta de ses nouvelles à sa femme, lui dit que la loi permettait qu’elle le suivît au lieu de la déportation. Aussitôt, son parti est pris : « Tu sais si je t’aime. Notre immense malheur, l’horrible infamie dont nous sommes l’objet ne fera que resserrer encore les liens de mon affection. Partout où tu iras, où l’on t’enverra, je te suivrai. »

Il l’a appelée au secours contre la mort ; elle l’appelle au secours contre la vie. C’est elle qui ne peut « se passer de lui » ; lui seul est sa consolation. « La seule lueur de bonheur qui me reste est de finir mes jours à les côtés. » Sans lui, elle tombe.

Elle connaît cette âme virile ; la notion d’un devoir à accomplir lui rendra sa force.

Il lui récrit dans la nuit : « Me Demange m’a dit combien tu es admirable. Tu vaux mieux que moi. Tu es une des plus nobles femmes qui soient sur la terre. Si j’arrive à boire le calice jusqu’au bout, ce sera pour être digne de ton héroïsme. »

Toute cette semaine, elle le dispute à la mort, d’une seule raison, toujours la même : s’il meurt, elle meurt. « Je pleure, je pleure et je recommence à pleurer. Tes lettres seules viennent me consoler ; seules, elles me soutiennent et me réconfortent. Vis pour moi, je t’en conjure, mon cher ami. Rassemble tes forces, lutte, luttons ensemble, jusqu’à la découverte du coupable. Que deviendrais-je sans toi ? Je n’aurais plus rien qui me rattacherait au monde, » Elle lui parle des enfants, de son fils qui s’inquiète de sa longue absence, de la petite fille qui commence à balbutier et embellit beaucoup : « Tu les retrouveras un jour… Tu pourras les caresser, les adorer… Garde ton beau courage. Un jour viendra où nous serons tous réunis, tous heureux… Nos rêves, nos projets renaîtront. » Elle sait qu’en le suppliant de vivre pour elle, pour ses enfants, jusqu’à la réhabilitation, elle lui demande « un immense sacrifice ». Ainsi, chaque heure qu’il vit, c’est un cadeau qu’il lui fait. « Si tu n’étais plus, je n’aurais pas la force de soutenir une lutte pour laquelle toi seul au monde peux me fortifier. »

Lentement, il se reprend, s’oblige à détourner les yeux du mirage tentateur, de la source apaisante d’oubli, des cyprès où l’on dort mieux encore que sous les palmiers.

Pourtant, la pensée de la mort l’obsède encore : « Tu es le seul fil qui me rattache à la vie. Comme nous nous aimions ! C’est aujourd’hui surtout que je sens toute la place que tu occupes dans mon cœur. » Il repousse l’offre qu’elle lui fait de le suivre dans son bagne : « Je ne puis accepter ton sacrifice ; il faut que tu restes pour les enfants… Tu es sublime, mon adorée, je me mets à deux genoux devant toi… Comme nous étions heureux ! Tout nous souriait dans la vie : fortune, amour, enfants adorables, famille unie, puis ce coup de foudre… Ah ! si je ne t’avais, comme je quitterais la vie avec délices ! Ton amour seul me retient, me permet de supporter la haine de tout un peuple. Et ce peuple a raison : on lui a dit que j’étais un traître. Ah ! ce mot horrible de traître, comme il m’arrache le cœur ! Moi, traître ! »

Elle le sent plus qu’à demi conquis, prêt à affronter toutes les tortures physiques de la lointaine captivité, mais tremblant, se dérobant encore devant la torture morale de la parade d’exécution, de la cérémonie sauvage, solennelle, où, devant l’armée et tout un peuple, son infamie sera proclamée, où l’inique arrêt sera concrété en d’affreux symboles, où son épée sera brisée, ses galons arrachés, quand il défilera, dépouillé des marques visibles et tangibles de l’honneur, sous les huées et la haine.

Et, bravement, elle rompt le silence sur cette vision qui la hante et le hante. C’est encore un don qu’elle lui demande, une preuve d’amour, de supporter pour elle ce supplice : « La peine qui va t’être infligée est odieuse ; promets-moi que tu la supporteras courageusement… Imagine-toi que c’est un autre que toi que l’on déshonore ; accepte le châtiment immérité ; accepte-le pour moi, donne-moi ce témoignage d’affection, donne-le à tes enfants ; ils t’en seront reconnaissants un jour… Mon cher adoré, il faut que tu te résignes à tout, que tu supportes les terribles épreuves qui t’attendent. »

Enfin, il jure de vivre, d’aller, fort et fier, au supplice[4] : « Ton héroïsme me gagne… Je lutterai donc jusqu’à mon dernier souffle, jusqu’à ma dernière goutte de sang… Sentant ton cœur battre près du mien, je supporterai tous les martyres, toutes les humiliations, sans courber la tête. Ta pensée, ma chérie, me donne les forces nécessaires… Les femmes sont supérieures à nous ; j’essaierai d’être digne de toi. Oui, ce serait une lâcheté que de déserter la vie. Je le sens aujourd’hui ; mais, que veux-tu ? Le coup était trop cruel et mon courage avait sombré. C’est toi qui l’as relevé ; ton âme fait tressaillir la mienne. » Et, le lendemain, les jours suivants, il renouvelle son serment, pour se fortifier lui-même, pour la rassurer tout à fait : « Quelles que soient les épouvantables tortures morales que je vais éprouver, il faut que je résiste. Je n’ai pas le droit de déserter mon poste. Je serais lâche si je le désertais. Je vivrai, je le veux. » Son devoir est nettement tracé ; il faut qu’il laisse à ses enfants un nom pur et sans tache. Et il « rassemble toutes ses forces pour supporter l’horrible humiliation qui l’attend ».

On voit, dans des tableaux anciens, un saint, un martyr, dont des tortionnaires, de leurs couteaux sanglants, enlèvent la peau, mettent à nu la chair. Il est cet homme, dépouillé de son honneur qui tombe, qu’il voit tomber, en lanières, sous les lames tranchantes.

L’aigu de la douleur est dans cette vision. Les souffrances physiques ne l’effraient pas ; elles ne lui sont rien ; « elles pèsent peu sur lui », elles n’ont jamais pu l’abattre et n’y réussiront jamais. Mais « il ne veut pas du mépris » et il sent sur lui le mépris universel. « C’est le pire de tous les supplices, pire que la mort… Ah ! cette torture continuelle de savoir mon nom traîné dans la boue, le nom d’un innocent ! moi, si fier, si sûr de mon honneur ! »

Une crainte lui vient que quelqu’un des siens ne faiblisse : « Recommande à tous de lever la tête comme je le fais moi-même, de regarder le monde en face. Ne courbez jamais le front. »

Inutile conseil ; parmi ces braves gens, il n’y eut pas un saint-Pierre ; nul ne renia jamais, d’un mot, d’un geste, l’infortuné. Le soir de la condamnation, le secrétaire de Demange dit à Mathieu : « Vous avez fait votre devoir. — Il commence ! » répondit simplement le filateur de Mulhouse. Il décida aussitôt qu’il ne quitterait plus Paris, qu’il abandonnerait toute chose pour se consacrer à la recherche de la vérité.

La veille du premier de l’an, le prisonnier écrit à sa femme : « Je pense que tu auras donné des jouets aux enfants, de la part de leur père ; il ne faut pas que ces jeunes âmes souffrent déjà de nos douleurs. »

Dans la même lettre, il lui dit qu’il a commencé à apprendre l’anglais : « Plus tard, il me faudra des ouvrages présentant exercices et corrigés en face. » Il veut occuper son cerveau ; il est sauvé.

III

La France tout entière, Paris surtout, avaient attendu dans la fièvre le verdict du conseil de guerre.

Les journaux, qui, du premier jour, avaient condamné l’accusé, s’étaient réjouis du huis clos. Ils célébrèrent Maurel, « coupant court aux volontaires imprudences de langage dont Demange espérait faire une protection à son client[5] ». Sa fermeté « a permis d’échapper aux plus graves complications[6] ». On répétait ce propos d’un officier d’État-Major : « Le conseil avait à se prononcer entre le huis clos et la guerre[7]. » On racontait que l’ambassadeur d’Allemagne avait menacé Hanotaux de demander ses passe-ports, s’il était fait usage, au procès, d’un document volé dans son ambassade, terre allemande. Maurel avait fait jurer aux juges de garder un silence absolu sur les faits de la cause[8]. Tout cela ajoutait au mystère, à la légende d’une extraordinaire trahison.

Le soir, quand Dreyfus était ramené à la prison, la rue était barrée, envahie par une nuée d’agents. Le huis clos se prolongeait dans la rue[9].

Du procès, avec de telles précautions, rien qu’une obscure lueur avait filtré. On sut la liste des témoins. La pièce unique, base de l’accusation, est « une sorte de bordereau indiquant une liste de documents à livrer[10] » ; elle se termine par ces mots : « Je vais partir en manœuvres[11]. »

À défaut d’autres renseignements exacts, des mensonges circulaient, colportés ou imprimés. Les quatre experts avaient conclu que le bordereau émanait de Dreyfus, qui avait à peine dissimulé son écriture[12]. L’État-Major travaillait nuit et jour à refaire les graphiques de la mobilisation[13]. « Le préjudice causé à la France par la trahison de Dreyfus était énorme[14]. » Et l’acquittement amènerait la démission immédiate de Mercier, de Boisdeffre ; tous les officiers de l’État-Major demanderaient à passer en conseil de guerre[15].

Puis, le soir de la quatrième audience, quand le verdict fut connu, une joie sauvage éclata dans la rue du Cherche-Midi, noire d’une foule grouillante, et cette joie se répandit, toute la nuit, sur les boulevards, dans les lieux publics[16], sincère chez tous, les uns parce que l’armée a rejeté un traître de son sein, les autres parce que le condamné est un juif.

IV

Le verdict unanime des juges dissipa les quelques doutes qui s’étaient élevés depuis un mois. En dehors des proches de Dreyfus qui, tous, lui conservèrent leur foi, avons-nous été dix à rester dans l’imprenable forteresse de la raison : pas de crime sans mobile ? Un juge peut se tromper ; pourquoi pas sept ? Pourquoi pas tout un peuple ? Cela, déjà, s’était vu.

Cette unanimité soulagea les consciences qui s’étaient inquiétées ; elle était nécessaire à la tranquillité de chacun[17]. La raison individuelle abdique ; la crainte instinctive d’une erreur, si poignante hier, se transforme en une féroce certitude du crime. « On ouvrirait le cerveau de Dreyfus, s’écrie Saint-Genest, on n’y trouverait rien d’humain[18]. » Et Clemenceau : « Il n’a donc pas de parent, pas de femme, pas d’enfant, pas d’amour de quelque chose, pas de lien d’humanité ou d’animalité même, rien qu’une âme immonde, un cœur abject[19] ! »

Une angoisse serait restée à beaucoup « si une seule divergence s’était produite[20] » ; tout au moins, « une grande perplexité[21] » ; mais, par bonheur, ces sept juges ont été aveugles. Et de cet aveuglement de tous, il résulte à l’évidence qu’une lumière éblouissante les a tous frappés.

Leur caractère de soldats, d’officiers, ajoute à l’autorité du verdict. Cependant la toge n’est pas infaillible. Pourquoi l’uniforme le serait-il ? par quel privilège ? C’est encore un fait : le sabre confère la souveraine perspicacité. « Le public s’est départi, pour ces soldats, des méfiances que lui inspirent parfois l’intelligence du jury ou l’impartialité de la magistrature[22]. » Sept officiers n’auraient pas, sur des demi-preuves, condamné un frère d’armes[23].

Autrement grave eût été l’acquittement ; il eût prouvé l’erreur des chefs, leur manque de sang-froid[24].

Ainsi se rassurait l’opinion des gens qui se croyaient éclairés et sans haine. Le respect de la chose jugée est une fiction nécessaire ; sans elle, pas de justice possible, la société devient inhabitable. Mais la parole du juge n’est reçue avec une dévote terreur que dans les pays barbares. Dans les pays libres, le respect des jugements n’implique pas le silence. Or, l’organe de la bourgeoisie républicaine avoue « son absolue ignorance des faits de la cause », et conclut que « non seulement justice est faite, mais bien faite[25] ».

Le mystère impénétré du procès ajouta encore, sur l’heure, à la force des certitudes, comme à l’horreur supposée du crime. Quel crime que celui qu’on cache avec tant de soins ! Le huis clos n’a déçu que les curieux. Assoiffé de justice, ce pays reste indifférent au droit. Ces ténèbres firent plus de convictions qu’aucune lumière.

Nul soupçon ne vint de la rage du président à fermer la bouche de l’avocat, à l’empêcher de dire qu’une seule pièce était au dossier, à faire le huis clos même sur les éléments moraux du procès[26].

Manque d’incertitude, mais non d’inquiétude. Non seulement la respectable tristesse que le drapeau ait été éclaboussé, mais le regret qu’il l’ait été par un officier instruit et riche. Quel apport qu’une telle condamnation aux prédicants de la guerre des classes ! Quel sujet à déclamations pour le socialisme grandissant ! La trahison elle-même pousse au fumier bourgeois. On s’alarme des passions qui étendront à ceux de sa race le crime d’un seul ; même on s’en indigne. C’est que derrière cette généralisation injuste une autre apparaît qu’on a des sujets plus directs de craindre.

La grande masse du peuple, qui voulait la condamnation, y applaudit. Elle avait décidé, à la première nouvelle du crime, que l’accusé en était l’auteur. Un acquittement l’eût désappointée, lui eût paru suspect. Ce n’était pas un simple soldat, et c’était un juif.

Cent fois coupable, puisque riche et officier il a été condamné. À qui fera-t-on croire qu’il l’a été sur un seul chiffon de papier, sur une douteuse expertise ? Propos d’avocats et de journalistes payés. Du coup, la légende des crimes innombrables de Dreyfus se cristallise dans l’âme populaire. Il ne fut jamais de plus hideux scélérat. Bazaine n’avait livré que Metz, l’armée de Gravelotte et cinquante drapeaux. Dreyfus a vendu à la Prusse le secret de la mobilisation. Pour remplacer ce secret par un autre, il faudra trois ans et cent millions. Par bonheur, Mercier, Boisdeffre veillaient, et le Tzar est là.

La condamnation de ce traître, unique dans l’histoire, c’est la preuve que les chefs de l’armée ont été perspicaces. La courte, mais si vive campagne qui a été menée contre Mercier, tourne à son profit. La faveur lui revient ; une nouvelle gloire vient à Boisdeffre qui, déjà, avait fait l’alliance russe. Et la popularité va aux accusateurs publics de Dreyfus, aux citoyens clairvoyants qui ont affirmé son crime dès qu’ils ont su son nom, qui ont poussé Mercier lui-même, Casimir-Perier indécis, que l’or impur n’a pu corrompre ; elle va à Drumont qui, depuis si longtemps, dénonçait la race impie, à Rochefort surtout, proscrit pour avoir été l’ami fidèle de Boulanger calomnié.

Ainsi, son bon sens même aide à tromper le peuple, à l’enfoncer dans l’erreur, car c’est faire preuve de bon sens que de donner raison à ceux qu’a justifiés l’événement, le verdict unanime de sept officiers français ; et toutes ses autres vertus y aident : la haine du crime abject et vil entre tous qu’est la trahison, son amour de l’armée qui ne fait qu’un corps avec la nation, son patriotisme jaloux, sa crainte de la guerre dont l’espion impuni eût fait une nouvelle défaite.

Du même coup aussi, l’antisémitisme fait de nouveaux progrès, descend aux couches profondes, vers le vieux lit où il a coulé pendant tant de siècles. Le doute qui a précédé le procès, en arrêtant le flot pour une heure, l’a irrité ; l’impuissance de la digue vaincue ajoute à la colère du fleuve.

Nulle différence entre le peuple des villes et celui des campagnes, entre le paysan et l’ouvrier, dans cette explosion de sentiments. Et leur bonne foi est complète.

Les patriotes de profession exultèrent de la condamnation comme d’une victoire sur le Rhin ; les antisémites, les moines, toute l’armée cléricale, comme d’un triomphe de la Croix.

Il y a de la pathologie dans le cas de ceux-là ; mais ceux-ci poursuivent leur plan politique : déshonorer les minorités religieuses, les chasser de la vie publique, les exclure de la qualité de Français. La condamnation de Dreyfus, si toute sa race n’est pas condamnée avec lui, aura été inutile. Qu’importe son crime, s’il ne s’étend pas à tous ses frères ! « Hors de France, les Juifs ! la France aux Français[27] ! » Le journal de Drumont pousse le cri de haine. Hier, il eût paru celui d’un fou. Aujourd’hui, l’écho répond.

Drumont ne se tient pas de joie. À la manière des prophètes d’Israël, dont il a en lui quelque chose, ame farouche et lyrique, il entonne l’hymne d’allégresse : « La France juive date de 1886 ! Il y a huit ans, et c’est bien peu pour la marche d’une idée… Une volonté supérieure me disait : « Parle ! » J’ai parlé…[28] »

Tous les cléricaux ne réclament pas l’expulsion matérielle des juifs. Mais tous leur dénient la qualité de Français[29]. C’est l’expulsion morale.

Les professionnels de l’antisémitisme, — ou Cassagnac[30], tâchant de se faire pardonner une heure de vrai courage, — ne sont pas seuls à fulminer l’anathème. Ils sont appuyés par des hommes qui se réclament de la liberté et qui en font leur profession. Édouard Hervé fait écrire dans son journal, moniteur du duc d’Orléans : « Dreyfus est un homme sans patrie, un homme d’une race spéciale : ce n’est pas un Français[31]. »

Ainsi, l’hérésie redevient un crime, comme au Moyen Âge et devant le Saint Office ; et la tare ethnique est si profonde qu’elle devient une excuse pour la trahison et qu’elle l’explique. Ainsi raisonnent-ils.

Le Juif n’étant pas Français, Dreyfus n’a point commis de crime en trahissant un pays qui n’est pas le sien ; Drumont ne se lasse pas de le redire, raillant « les indignations factices, les colères à froid, les frénésies » de certains patriotes : « Toutes ces déclamations me font l’effet de gens qui accuseraient d’avoir volé une hostie un homme qui serait étranger aux mystères de notre religion[32]. » Urbain Gohier, dans le moniteur de l’Orléanisme, y insiste de son style corrosif : « Juif, Dreyfus n’a pas trahi sa patrie, qui est le temple de Jérusalem. Soldat passif et discipliné dans l’Internationale judéo-maçonnique, il reconnaissait pour chef le grand maître de cette société. Il a obéi, comme après lui d’autres obéiront, jusqu’à ce que le but soit atteint[33]. »

Cette résurrection du Moyen Âge, bien que préparée depuis Joseph de Maistre et Bonald, annoncée déjà par tant de symptômes, surprend les républicains. Ils ne pensaient qu’à ajouter de nouveaux étages à la maison de la Révolution ; et voilà que les assises, qu’on croyait inébranlables, se mettent à trembler !

Quoi ! les fautes ne seraient plus personnelles, le déshonneur ne serait pas pour celui-là seul qui a forfait à l’honneur, il n’y aurait pas de coupable que le coupable[34] ! Et, les artilleurs n’étant pas flétris du fait d’un des leurs, les juifs le seraient[35] ! Ces rappels plaintifs aux principes se perdent, tardifs et comme démodés, dans le gros rire des moines de la Croix[36] et la clameur grandissante du fanatisme.

Que faire devant un tel tumulte ? Les gens tranquilles n’y voient qu’un remède : l’éternelle politique de l’autruche. « Maintenant que c’est fini[37] », ils supplient qu’on parle d’autre chose : « l’affaire Dreyfus soulève trop de problèmes irritants[38] ». C’est l’avis de Cornély qui, vaillant dans la lutte, répétera ce refrain pacifique après chaque défaite ; l’avis de Saint-Genest, du Journal des Débats et du Temps. C’est aussi le désir du ministère, effrayé de cette explosion, gêné par la réputation d’avoir cherché à étouffer le procès[39], inquiet de la victoire où Mercier s’étale.

En effet, le nouveau boulangisme se développe. Toutes les attaques contre le ministre de la Guerre ont cessé ; c’est un concert d’éloges. Les royalistes sont les plus ardents : « Honneur à Mercier qui n’a pas voulu que ce crime abominable reste impuni, qui a fait tout son devoir[40] ! » La condamnation de Dreyfus « lui doit être comptée comme une action d’éclat devant l’ennemi[41] ». Les socialistes eux-mêmes le remercient « d’avoir résisté à l’incroyable pression des politiciens véreux et des hauts barons de la finance[42] ».

Les démagogues, de tout temps, quand ils voient passer un tumulte, s’y joignent.

La foule ne saurait crier sans qu’ils crient avec elle. Demandez leur la vie, mais non de se taire dans le bruit. Leur conscience ou leur politique les retiendra parfois de pousser les mêmes clameurs ; mais ils en pousseront d’autres, qui ne sont pas discordantes, et descendront dans la rue.

Un jour viendra où les chefs des socialistes comprendront que la vérité, surtout déplaisante, est le premier des devoirs envers le peuple. Grande et féconde idée qui naîtra de cette même cause d’un juif injustement condamné. Mais cette heure, en ces sombres journées de décembre, n’avait point sonné encore.

Ils étaient convaincus alors du crime de Dreyfus. Qui ne l’était ? Les quelques hommes qui le croyaient innocent n’en avaient nulle preuve, ignorants du dossier que Demange avait refusé de leur ouvrir, condamnés au silence par cette ignorance, comme l’était l’avocat lui-même par le secret professionnel, n’ayant à opposer à l’accablant verdict qu’un raisonnement abstrait ou un instinct. Les socialistes, dès lors, puisqu’ils ne mettaient pas en doute que le condamné fût le traître, eussent mérité les injustes reproches dont leur patriotisme était l’objet s’ils n’avaient exprimé leur horreur d’une telle félonie.

Ils eussent pu s’étonner des conditions exceptionnelles du procès, en dehors des règles ordinaires de la justice, s’indigner de l’intervention brutale de Mercier faisant de cette cause un duel entre l’accusé et lui, ameutant les passions à sa suite. Ils n’en voulurent rien voir. Puis, le verdict rendu, ils comparèrent le sort d’un officier, tentant un parricide contre la patrie et condamné à la déportation, avec celui d’un simple soldat, se livrant à une voie de fait contre un caporal et passé par les armes. Ce contraste avait frappé tous les esprits et les avait révoltés[43]. Le mécanisme législatif qui assimile la trahison aux crimes politiques, pour lesquels la peine de mort a été abolie, parut à tous extravagant[44]. Si les socialistes joignirent leur protestation à l’universelle colère, faite à la fois de déception sauvage et du souci de l’égalité, la raison était avec eux.

D’autant plus que, loin de vouloir frapper du châtiment suprême les traîtres et espions à venir, ils en proposaient l’abolition pour les soldats coupables d’une simple voie de fait envers un chef.

Mais où le démagogue perça sous le socialiste, ce fut quand les courtisans de la foule déclarèrent que le traître, condamné de la veille, aurait dû l’être à la peine de mort.

La jurisprudence est formelle ; quand elle a été appliquée à l’adjudant Châtelain, nul n’a réclamé. Aujourd’hui paraît une nouvelle thèse : les crimes commis contre la sûreté intérieure ou extérieure de l’État ne seraient pas des crimes politiques. Dès lors, si le ministère public n’a pas demandé et si le conseil de Guerre n’a point prononcé la peine capitale contre Dreyfus, c’est que le Gouvernement était intervenu pour sauver, par une interprétation mensongère des textes, un officier, un bourgeois. Ici encore, le Gouvernement avait cédé aux injonctions de la finance cosmopolite, des puissances d’argent[45].

Ainsi l’innocent, déshonoré, brisé, jeté au bagne pour le crime d’un autre, l’innocent contre qui toutes les lois avaient été violées, c’était un privilégié !

Thèse absurde et d’une féroce ironie, mais qui resserre le lien entre les socialistes et les antisémites. Cette note ne détonne pas dans le concert des haines ; elle le complète. Les chefs du collectivisme ne seront pas absents de cette foule qui hurle à mort. Ils crient avec elle, dans l’air saturé de folie.

V

De la rue et des officines des journaux, la tempête passa à la Chambre des députés.

Depuis le début de la session d’automne, les débats passionnés s’y étaient succédés. Les orateurs socialistes ne quittaient pas la tribune, infatigables, multipliant les interpellations[46]. Ils avaient combattu le projet de loi sur l’ouverture des crédits pour l’expédition de Madagascar. Cependant le ministère gardait sa majorité, l’aguerrissant dans ces combats de chaque jour. Même Mercier a fait adopter son projet meurtrier sur la constitution du corps expéditionnaire. En vain, au nom de la commission de l’armée, le colonel Guérin et le baron Reille ont démontré que c’est folie d’envoyer dans la grande île des soldats de l’armée métropolitaine, trop jeunes, impropres, malgré leur courage, au service colonial. À ces prophétiques avertissements, Mercier a répondu par des phrases : « Le soldat doit marcher partout où il est appelé, ne doit pas craindre le danger, mais courir à lui et lui dire : Qui que vous soyez, balles boulets, maladies, me voilà et je vais au devant de vous pour vous braver[47] ! » Les radicaux, la fraction la plus considérable du centre, applaudirent cette fanfare[48].

À la première séance qui suivit la condamnation de Dreyfus[49], Mercier déposa le projet de loi sur la trahison et l’espionnage. Cédant avec joie à la sommation de l’opinion, il demande à la Chambre de rétablir pour le crime de trahison, « qui est un abominable forfait », la peine de mort « qui, seule, répond à l’énormité du crime[50] ». La Chambre applaudit bruyamment. Elle se donnait l’illusion de recondamner Dreyfus, de le condamner à mort, et se conférait ainsi un brevet de pur patriotisme.

Mercier lut seulement l’exposé de la loi. Le dispositif, en quinze articles, portait, à chaque ligne, la déportation ou l’emprisonnement pour des délits nouveaux assimilés à l’espionnage ; il rendait précaire, sous la menace de poursuites, la discussion même par la presse des choses de l’armée[51].

La loi a été préparée à l’État-Major depuis plusieurs semaines, dans la préoccupation constante du procès en cours et du silence à imposer, après le verdict, à quiconque osera révéler les documents de l’affaire[52].

Aussitôt Jaurès prend la parole. Il demande l’urgence pour une proposition tendant à reviser les articles du Code de justice militaire qui frappent de mort « le soldat simplement coupable, dans une minute d’égarement, d’un acte de violence envers l’un de ses chefs ». Mais, au lieu de développer cette pensée, humaine et juste, il fait le procès du procès de Dreyfus, dénonçant le Gouvernement pour avoir désarmé la justice militaire : « Si on n’a pas fusillé pour trahison, c’est parce qu’on ne l’a pas voulu, alors que la loi le permet ! »

Presque toute la Chambre est debout, protestant contre l’audace de ces paroles. Brisson, élu depuis peu de jours à la présidence[53], déclare « ce langage injurieux pour les membres du conseil de guerre » et rappelle Jaurès à l’ordre.

Mais Jaurès, d’une véhémence croissante et comme ivre de l’idée qui l’obsède, s’acharne à répéter qu’il était possible, d’après la loi, d’appliquer la peine de mort à Dreyfus, au traître, mais qu’on ne l’a pas voulu. Et la Chambre continue à s’indigner du soupçon insultant pour le conseil de Guerre qui, par ordre, aurait épargné le riche officier. La férocité de ce regret, sur les lèvres de cet orateur au cœur chaud et généreux, étonne les socialistes. Ils se taisent. Pas un applaudissement n’éclate sur leurs bancs quand il descend de la tribune.

Alors Dupuy[54] demande la question préalable sur la motion de Jaurès. « Il lui a plu, dit-il, au nom d’un groupe qui se pique d’internationalisme, de venir ici, sous prétexte de défendre les petits, attaquer la hiérarchie et la discipline de l’armée. Si la question préalable n’était pas opposée à une pareille tentative, le Gouvernement ne resterait pas une minute de plus sur ces bancs. »

Des salves d’applaudissements retentissent. Jaurès, le visage en feu, s’élance à la tribune, renvoie à Dupuy ses accusations ; c’est le ministère et ses amis qui sont les protecteurs d’une bande cosmopolite d’agioteurs. « Vous savez que vous mentez ! » lui crie Barthou. « Le mensonge, tonne Jaurès, il n’est pas chez nous ; il est chez ceux qui, se sentant menacés depuis quelques années dans leur pouvoir politique et dans leur influence sociale, essayent de jouer du patriotisme ! »

Ces parodies des grandes scènes de la Convention n’en reproduisaient que la violence. Les députés s’injurient, se menacent du poing. La censure, avec exclusion temporaire, est prononcée contre Jaurès. Presque toute la Chambre la vote, avec rage.

Spectateur silencieux, je pensais à l’homme qui était la cause de ces fureurs et qui était innocent. Mercier, à son banc, les yeux clignotants, les traits tirés, était très pâle.

À la reprise de la séance, Millerand essaya de démontrer que la Constitution de 1848 n’avait pas modifié l’article 74 du Code pénal, mais sans colère, sans conviction apparente, d’une parole mesurée, comme on discute un problème de droit à la conférence des avocats. Deux autres juristes, Julien Goujon et le professeur Leveillé, le réfutèrent sans peine, du même ton. La Chambre prononça l’urgence sur la proposition de Mercier.

Le lendemain, l’article de Papillaud, dans la Libre Parole, était intitulé : « Bravo, Jaurès ! »

VI

Le conseil de revision rejeta le pourvoi de Dreyfus[55] La communication secrète eût entraîné la nullité[56], mais on l’ignorait. Il n’y avait point de vice de forme. L’avocat[57] ne se présenta même pas à l’audience[58]. La condamnation était définitive.

Dreyfus en fut informé aussitôt. Il savait le rejet certain. Il était très calme, d’une grande sérénité. Depuis deux jours, il avait triomphé de lui-même. Maintenant, il avait accepté de boire le calice jusqu’à la lie. Il avait vécu d’avance la scène dont sa chair avait eu le frisson.

Il avertit sa femme : « Le supplice cruel et horrible approche ; je suis prêt à l’affronter dans la dignité d’une conscience pure et tranquille. » Il lui demanda de lui envoyer son sabre[59], celui qu’il porterait pour la dernière fois à la parade d’exécution, et qui serait brisé devant l’armée et le peuple.

Quelques instants après qu’il eut écrit cette lettre, Dreyfus vit entrer le commandant Du Paty de Clam dans sa cellule[60].

Mercier, dans son triomphe, en sentait la fragilité. Il n’était pas homme à se dire qu’il y a dans le droit une puissance morale plus forte que toutes les puissances matérielles. Mais le crime de Dreyfus ne serait un fait que le jour où lui-même l’aurait avoué. Tant que le condamné protestait de son innocence, sa culpabilité était éphémère. Le monde convaincu de sa félonie pesait moins que ce prisonnier jurant qu’il est sans reproche. Un jour viendrait où son cri serait entendu.

Ç’avait été, dès le début, une des préoccupations aiguës de l’État-Major : obtenir un aveu, quelque chose qui ressemblât à un aveu. La scène de la dictée, la mise au secret au Cherche-Midi, tous les pièges et toutes les tortures ont échoué.

L’aveu qu’il refusait, en vain les journaux à gages l’ont annoncé. Mercier lui-même a dû les démentir.

Dix fois déjà, Du Paty, puis D’Ormescheville ont demandé à Dreyfus s’il ne s’est pas laissé prendre à quelque amorçage. Toujours il a affirmé n’avoir jamais commis la plus légère imprudence.

Mercier calculait : Dreyfus s’est obstiné à nier jusqu’alors, parce qu’il se flattait d’une victoire complète. Maintenant, il est vaincu. La tentation ne sera-t-elle pas grande d’échapper à toutes les conséquences de l’irrévocable sentence ? Peut-être à la dégradation ? Peut-être au bagne ? Qu’il avoue quelque chose, n’importe quoi, il sera transporté dans un lieu agréable, sous un ciel doux ; sa femme, ses enfants l’y rejoindront. Ou, du moins, on peut en faire luire l’espoir à ses yeux.

En tout cas, qu’il lâche un mot, un mot seulement, et ce mot devient l’aveu.

On lit dans les annales judiciaires que souvent des innocents, pour échapper au châtiment ou dans la pensée qu’ils l’atténueront, se sont reconnus coupables. Pourquoi Dreyfus n’en allongerait-il pas la liste, brisé, anéanti qu’il doit être, désespérant de tout après le rejet de son pourvoi ?

Qui sait ? peut-être son aveu ne sera pas un mensonge ! Alors Macbeth pourra dormir tranquille.

Ainsi Mercier avait décidé que Du Paty irait, ce même jour, en son nom, trouver Dreyfus dans sa cellule. Il lui dirait le verdict définitif, irrévocable, et, sur la promesse que sa peine serait adoucie[61], que sa femme et ses enfants le pourraient rejoindre en son exil, il chercherait à obtenir de lui ou l’aveu de son crime, ou celui de quelque imprudence, de quelque tentative d’amorçage, devenu le terrible engrenage qui l’avait perdu.

VII

Du Paty présenta à Forzinetti l’ordre du ministre pour qu’il pût voir librement Dreyfus. Il s’enquit de l’état du prisonnier, enjoignit à l’agent principal de se tenir à portée de sa voix[62], comme s’il eût redouté quelque violence.

En tête à tête avec Dreyfus, il lui fit sa communication. Dreyfus lui répondit, une fois de plus, qu’il n’avait jamais eu de relations avec aucun agent ni attaché étranger, qu’il ne s’était livré à aucun amorçage, qu’il était innocent[63].

Du Paty exposa comment sa conviction de la culpabilité s’était faite, insistant sur les renseignements d’un agent secret et d’un attaché militaire ami de la France. L’agent a rapporté qu’un Dreyfus pratiquait l’espionnage, sans affirmer toutefois qu’il s’agissait d’un officier. L’attaché a fait ses confidences à Henry. Sentant qu’il en a trop dit : « Nous parlons entre quatre murs ; si on m’interroge sur tout cela, je nierai tout[64]. »

Dreyfus conservait tout son calme, voulant connaître toute la pensée de l’émissaire de Mercier.

Du Paty convint qu’on n’avait jamais soupçonné Dreyfus avant l’arrivée du bordereau ; « mais il y avait un fil qui indiquait que le coupable était un officier ; la lettre saisie a mis le point sur le fil ». D’ailleurs, depuis son arrestation, les fuites avaient cessé au ministère. Peut-être les attachés étrangers avaient-ils laissé traîner exprès sa lettre « pour le brûler, afin de ne pas satisfaire ses exigences[65] ».

C’était bien le système qu’il avait construit dans son cerveau bizarre. Rapprochant du bordereau la pièce Canaille de D…, il parlait toujours des folles exigences de Dreyfus[66].

La conversation dura près d’une heure. Dreyfus posa quelques questions qui embarrassèrent Du Paty : puisqu’Henry avait affirmé au conseil qu’il avait été prévenu dès février de la présence d’un traître à l’État-Major, pourquoi les officiers n’avaient-ils pas été surveillés à cette époque ? Il répétait que sa condamnation était inique, mais qu’aucune injustice ne saurait être éternelle. Son innocence un jour sera reconnue, sa famille n’y épargnera aucun effort ; son avocat le lui a promis. Dans deux ou trois ans, lui a dit Demange[67]. Peut-être plus tard, dans cinq ou six ans[68]. Sa foi dans l’avenir est absolue. Et c’est le devoir du Gouvernement lui-même d’employer tous les moyens d’investigation dont il peut disposer pour faire la lumière, trouver le mot de l’énigme[69].

Du Paty répondit que des intérêts supérieurs à ceux du condamné, l’origine même du bordereau, empêchaient d’avoir recours aux moyens habituels d’investigation ; cependant les recherches seront poursuivies. Il promet qu’il en fera la demande à Mercier[70]. Ceux que Dreyfus appelle les vrais coupables, que Du Paty appelle les complices, « on fera tout pour les découvrir[71] ». Et Du Paty s’engage, si les fuites recommencent après le départ de Dreyfus, à l’en avertir[72].

Comme Du Paty parlait vivement des attachés étrangers, Dreyfus s’animant dit que ces officiers savaient, eux, qui était le coupable et, dût-il leur mettre un couteau sous la gorge, « qu’il voudrait leur arracher leur secret[73] ».

Du Paty, par son trouble, par ses promesses, par sa démarche surtout, a trahi sa propre incertitude, celle du ministre ; Dreyfus sait désormais que le doute hante ceux-là même qui l’ont fait condamner. L’émissaire de Mercier chercha à se rattraper en vantant l’expertise de Bertillon, si remarquable, d’après laquelle Dreyfus aurait calqué sa propre écriture et celle de son frère[74]. Il laissa entendre que Mme Dreyfus était sa complice, avec son frère et d’autres membres de sa famille.

Dreyfus l’interrompit : « Assez, lui dit-il, je suis innocent, et votre devoir est de poursuivre vos recherches. — Si vous êtes innocent, s’écrie Du Paty, vous êtes le plus grand des martyrs de tous les siècles ! — Oui, je suis un martyr, et j’espère que l’avenir vous le prouvera[75] ».

Sur le seuil de la porte, son dernier mot fut : « Cherchez ![76] ».

VIII

Ainsi le prisonnier résista aux promesses comme aux tortures. À cette heure où la blessure saigne à vif, quand il peut croire que, d’un mot ambigu, il échappera à l’affreux supplice, il s’enferme dans sa forteresse, la vérité.

Du Paty, le soir même[77], adressa à Mercier une courte lettre où son dépit se traduit en formules mensongères : « Dreyfus n’a rien voulu avouer, déclarant qu’avant tout il ne voulait pas plaider les circonstances atténuantes… Il espère que, d’ici cinq ou six ans, on découvrira le mot de l’énigme qu’il ne peut expliquer… Il se dit l’objet d’une fatalité… Il a pris son parti de tout, y compris la dégradation, qu’il considère pourtant comme un très dur moment à passer. »

L’émissaire regrette de n’avoir pas mieux réussi dans sa mission.

Il en rédigea ensuite un compte rendu détaillé qu’il déposa au cabinet de Mercier[78], et qui fut transmis ensuite par le ministre à la section de statistique[79]. Plus tard, devenu gênant, ce compte rendu a disparu. Mercier y paraissait avec ses doutes ; il voulut n’avoir jamais douté. La question d’amorçage posée par Du Paty détruisait la légende des aveux.

Dreyfus, de son côté, adressa à Demange un long récit de l’incident, d’une minutieuse exactitude[80], et il écrivit à Mercier :

1er  janvier 1895.
Monsieur le Ministre,

J’ai reçu par votre ordre la visite de M. le commandant Du Paty de Clam auquel j’ai déclaré que j’étais innocent et que je n’avais même jamais commis aucune imprudence.

Je suis condamné ; je n’ai pas de grâce à demander ; mais, au nom de mon honneur qui, je l’espère, me sera rendu un jour, j’ai le devoir de vous prier de vouloir bien poursuivre vos recherches.

Moi parti, qu’on cherche toujours ; c’est la seule grâce que je sollicite.

Alfred Dreyfus.

Mercier ne reçut pas sans colère cette lettre si fière[81], d’une hautaine sérénité, où transparaît l’âme invaincue, la conscience sans reproche. Il en perdait son dernier espoir d’un plein triomphe tranquille, paré contre tout danger. Il avait promis un adoucissement de peine à l’aveu mensonger non pas même du crime, mais d’une faute. Il saura se venger de l’obstinée protestation d’innocence. Il décida que l’irréductible juif serait traité avec la dernière rigueur et proposa au conseil des ministres de lui affecter un lieu spécial de déportation, où la surveillance serait plus sévère qu’à la presqu’île Ducos et le régime plus cruel, sous un climat meurtrier : l’île du Diable, du groupe des îles du Salut, en face de Cayenne[82].

IX

La journée du 1er  janvier 1895 se passa sans que Lucie Dreyfus reçût l’autorisation de voir son mari. Il soulagea sa douleur en lui écrivant : « Laisse-moi m’épancher un peu, pleurer à mon aise dans tes bras. Ne crois pas pour cela que mon courage faiblisse ; je t’ai promis de vivre, je tiendrai ma parole. Mais il faut que je sente constamment ton âme vibrer près de la mienne, que je me sente soutenu par ton amour. »

Elle s’inquiétait de l’autorisation qui ne venait pas : « Quelle raison pourraient-ils encore invoquer maintenant, si ce n’est celle de la cruauté, de la barbarie ? »

Demange m’avait prié de lui obtenir une audience du président du Conseil. Il voulait dire à Dupuy son angoisse, sa certitude de l’innocence du condamné. Je vis le ministre ; il refusa de recevoir Demange avant la parade d’exécution ; la visite pourrait être connue des journaux ; on raconterait que l’avocat était venu solliciter une grâce impossible. Je dis à Dupuy ma propre conviction et qu’un jour, au milieu de difficultés redoutables, s’engagerait la lutte de la vérité contre l’axiome de la chose jugée : res judicata pro veritate… « Habetur, interrompit Dupuy, non est. »

Le 2 janvier, au matin, Forzinetti avertit Dreyfus qu’il recevrait dans l’après-midi la visite de sa femme : « J’espère te voir tout à l’heure et puiser des forces dans tes yeux. Soutenons-nous mutuellement envers et contre tous. Il me faut ton amour pour vivre ; sans cela le grand ressort serait cassé. »

Il compte les heures, les minutes, dans l’attente de la voir : « Mon cœur bat à se rompre. Tu n’es pas encore là, les secondes me paraissent des heures. Mon oreille est tendue pour écouter si quelqu’un vient me chercher. Je n’entends rien, j’attends toujours. »

Enfin, un gardien l’avertit, l’emmène au parloir de la prison. Ses jambes tremblaient en descendant ; il se roidissait « pour ne pas tomber par terre d’émotion ».

Ces deux malheureux êtres ne se virent qu’à travers une double grille treillagée, en présence de Forzinetti et de son agent principal. Forzinetti dut soutenir Lucie Dreyfus qui défaillait.

Elle eût voulu embrasser son mari, le serrer dans ses bras. Ils ne purent se parler qu’à distance, dans le parloir sombre, froid, une véritable glacière[83]. Il chercha à lire dans le visage de sa femme « les traces qu’y avaient laissées la souffrance et la douleur ». Il y lut la foi absolue, l’infini de l’amour.

À bout de forces, il abrégea cette entrevue trop cruelle. Il se sauva, « ayant besoin d’aller se cacher pour pleurer un peu ». Il lui en fait aussitôt l’aveu : « Ne crois pas pour cela que mon âme soit moins vaillante et moins forte, mais le corps est un peu affaibli par trois mois de prison. » Il lui dit combien cette entrevue, même à travers les barreaux de la prison, lui a fait de bien. « Tu as dû sentir que j’étais décidé à tout. Je veux mon honneur et je l’aurai. Aucun obstacle ne m’arrêtera. Imposons le respect au monde par notre attitude et notre courage. »

Forzinetti, bouleversé par la cruauté tragique de l’entrevue, demanda que la suivante pût avoir lieu dans son cabinet, en sa présence. Saussier accorda cette faveur, sous la responsabilité de Forzinetti.

La parade d’exécution, fixée d’abord au 4 janvier, fut ajournée au 5 qui était un samedi, le sabbat des juifs, le jour de joie et de prière.

Dreyfus écrit à Demange : « Jusqu’au dernier moment, j’espérais qu’un hasard providentiel amènerait la découverte du vrai coupable… Je marcherai à ce supplice, pire que la mort, la tête haute, sans rougir. Vous dire que mon cœur ne sera pas affreusement torturé, quand on m’arrachera les insignes de l’honneur que j’ai acquis à la sueur de mon front, ce serait mentir ; j’aurais mille fois préféré la mort. Mais vous m’avez indiqué mon devoir, et je ne puis m’y soustraire, quelles que soient les tortures qui m’attendent. Et vous m’avez inculqué l’espoir ; vous m’avez pénétré de ce sentiment qu’un innocent ne peut être éternellement condamné ; vous m’avez donné la foi. »

Il écrit à sa femme : « On m’apprend que l’humiliation suprême est pour après-demain. Je m’y étais préparé ; le coup cependant a été violent. Je résisterai, je te l’ai promis. Je puiserai les forces qui me sont encore nécessaires dans ton amour, dans l’affection de vous tous, dans le souvenir de nos enfants chéris, dans l’espoir suprême que la vérité se fera jour. Continuez vos recherches sans trêve ni repos. »

Le 4, veille du supplice, eut lieu la seconde entrevue. Ils purent s’embrasser. Il lui jura encore de vivre ; « Pour toi et nos enfants, je subirai le calvaire de demain[84]. »

Les journaux, la Croix, l’Intransigeant, annonçaient le prochain divorce de Mme Dreyfus ; l’infâme avait été abandonné par toute sa famille[85]. Cependant, « il avait bon appétit et préférait la honte à la mort[86] ».

Il vit également, pendant quelques instants, son frère Mathieu. Il lui renouvela son serment de vivre ; Mathieu lui jura de consacrer sa vie, toute son intelligence, toute leur fortune à la recherche du coupable.

Le soir, Dreyfus écrivit encore à sa femme : « Je suis plus calme. La joie de t’embrasser m’a fait un bien immense. Merci… Comme je t’aime ! »

X

Un vent de sauvagerie soufflait sur Paris dans l’impatience du supplice.

Cette grande ville a toujours été amoureuse de spectacles, ignobles ou beaux. La canaille, les filles, les assassins en puissance ne sont pas le seul public des exécutions capitales ; de bons bourgeois, des commerçants paisibles en sont friands. Combien plus intéressante la parade de l’École militaire ! Le spectacle en est plus rare ; le supplicié ne sera pas quelque brute inconnue qui a tué un autre inconnu, mais un officier dont le nom, depuis deux mois, est dans toutes les bouches, et qui a voulu tuer la France.

L’âme de Paris se tendait, fiévreuse et furieuse, vers la représentation annoncée. Les passions, les sentiments les plus divers s’y mêlent : la juste horreur du traître et la haine du juif, le culte de l’armée qui va s’amputer de ce membre pourri, la joie de voir souffrir et la curiosité de le voir enfin lui-même, l’infâme, de s’assurer s’il n’est pas un monstre au physique comme au moral.

Ce châtiment, qui sera une fête publique, nul ne doutait qu’il ne fût mérité. Nul, hors celui qui l’ordonnait. La partie la plus féroce de la plèbe se fût révoltée à l’idée que le condamné était innocent. Cette pensée était loin d’elle. Tous avaient la certitude que le misérable avait vendu la patrie. Pourquoi ? Pour trente deniers[87]. L ne clameur sans fin retentissait : Judas ! Judas !

L’imagination excitée donne au supplice promis une effroyable grandeur. Pourtant, ce dépeçage public de l’honneur d’un homme semble insuffisant à la colère populaire. Elle se demande si le supplice égalera le crime.

Depuis trois mois, surtout depuis dix jours, depuis la sentence qui a prononcé seulement la déportation, les mille gueules de la presse aboyaient à la mort. Les patriotes de profession ne tiraient plus qu’un seul cri de leur gosier : « À mort le Juif ! » Le cri a éclaté dans la salle même de la Chambre, à la tribune. La rue, les faubourgs, les plus lointaines campagnes ont été persuadés que l’or, l’influence mystérieuse de financiers tout puissants ont sauvé le scélérat de la peine capitale. Le Gouvernement de la République lui-même, le chef de l’armée trouvent que la peine est au-dessous du forfait, puisqu’ils ont réclamé la mort pour les traîtres à venir.

La disproportion entre le crime et le châtiment exaspérait les esprits simplistes, les cœurs simples. Le petit soldat fusillé sans pitié pour un bouton d’uniforme jeté à la tête d’un supérieur hante les cerveaux comme un remords. Dans cette rage, il y a encore de la justice, la passion de la justice égale pour tous. Chacun de ces peseurs de supplices eût voulu ajouter quelque souffrance à la peine trop légère, trop vite subie. La vieille notion française du droit, que, pour être juste, il ne faut avoir ni faim ni soif du châtiment, s’oblitère dans les âmes saturées de haine.

L’accès d’hydrophobie eût cédé à quelques paroles de la presse. Mais loin de prêcher à la tourbe justicière, au peuple ivre, le respect de cette chose sacrée qu’est un malheureux même coupable, le silence qui sied à l’accomplissement des hautes œuvres de la justice et le dégoût de cette lâcheté d’insulter un homme, fût-il le rebut du genre humain, mais seul contre tous, — les meneurs de l’affaire attisaient le feu pour le prochain autodafé.

Ils endurcissent systématiquement les cœurs par des déclamations ou des bouffonneries. C’est, depuis longtemps, le métier de Drumont, de Rochefort qui adresse « une lettre ouverte à M. le capitaine Dreyfus, en sa villa du Cherche-Midi[88] ». Les Caraïbes, s’ils avaient une littérature, n’en auraient pas d’autre. Judet se lamente qu’on soit « réduit à garder Dreyfus[89] ». Cela sera difficile, coûteux. Un cadavre eût exigé moins de frais. La rumeur croissante de la populace approuve ces horreurs. Et le poète voluptueux du Passant, le tendre poète des Humbles, Coppée, vieilli et dévot, termine une fanfare lyrique par cette supplique : « Ah ! qu’on nous montre l’immonde face du traître, que nous crachions tous dessus l’un après l’autre[90] ! »

On se disputait les billets pour la cérémonie. Mercier eût voulu y faire procéder sur une vaste place, à Vincennes ou à Longchamp, pour associer tout le peuple à son triomphe[91]. Le Gouvernement, décida que la parade aurait lieu dans une des cours de l’École militaire.

XI

Le 5 janvier, dès l’aube brumeuse d’hiver, la foule se mit en mouvement vers la place de Fontenoy[92]. Une grille s’élève entre la place et la grande cour de l’École militaire. La dégradation aura lieu dans cette cour. La foule n’apercevra que la silhouette du condamné, les phases principales du supplice. Cela lui suffit : voir une grille derrière laquelle se passe quelque chose d’affreux, y avoir été. Les rues avoisinantes sont encombrées. Malgré le froid aigu, il y a là plusieurs milliers de curieux, maintenus par un double cordon de gardiens, serrés à étouffer, bruyants, battant la semelle. Au-dessus de la mer des têtes, émergent des échelles, des arbres, la toiture de la Galerie des Machines, où d’autres spectateurs sont grimpés.

De gros nuages neigeux courent sous le ciel, poussés par l’âcre bise. Il a plu une partie de la nuit. Le sol de la cour Morland encore vide est luisant de boue[93].

Les journalistes, quelques privilégiés, l’académicien Claretie, l’historien Houssaye, le fils d’Alphonse Daudet, le poète Clovis Hugues, Barrès pénètrent dans la cour. Un emplacement leur a été réservé, entre deux détachements de troupes.

Des officiers viennent causer. L’un d’eux raconte qu’il faudra trois ans, des millions, pour refaire le plan de mobilisation livré à l’Allemagne par l’infâme.

Dès sept heures, le capitaine Lebrun-Renaud, de la garde républicaine, s’était rendu au Cherche-Midi pour y prendre possession de Dreyfus[94]. Il était prêt, revêtu de son uniforme dont les bandes, les boutons et les galons ne tenaient que par un fil, le sabre au côté.

Forzinetti, avant de remettre son prisonnier à Lebrun-Renaud, lui serra la main, lui dit de prendre courage, qu’il n’y a que la tombe dont on ne sort pas et que son innocence sera reconnue un jour[95].

Dreyfus fut mené d’abord au greffe de la prison et fouillé. Puis deux gendarmes lui présentèrent les menottes. « Est-ce l’ordre ? » dit-il à Lebrun-Renaud qui ne répondit pas, mais fît un geste aux gendarmes qui exécutèrent la consigne.

Le condamné a eu un moment de révolte. Une fois ligoté, il se tourna vers Lebrun-Renaud, et, lui montrant ses vêtements déjà décousus, le pria de donner l’ordre de « faire vite quand on serait là-bas ». Comme l’officier se taisait : « Je vous regarde en face, lui dit-il, et si j’ose le faire, c’est que je suis innocent. On en aura la preuve un jour, et l’on regrettera alors la peine qui m’est infligée aujourd’hui. » Et il répéta la parole de Demange, que « sa condamnation était le plus grand crime du siècle[96] ».

Il monta dans la voiture cellulaire conduite par deux soldats du train, en grande tenue. Les gendarme » y montèrent avec lui. La voiture s’éloigna au galop, encadrée d’un escadron de la garde républicaine à cheval.

Quelques minutes après, le cortège entra dans la cour de l’École militaire. Dreyfus, très vite, descend de voiture. Il jette un regard sur le lieu du supplice, cette maison qui, par deux fois, a été la sienne, où, lieutenant, puis capitaine, il a formé tant de rêves. Puis Lebrun-Renaud le conduit dans le bureau de l’adjudant de garnison, pour y attendre l’heure de la parade[97].

C’était une toute petite pièce (3 mètres carrés)[98]. La porte en resta ouverte sur une salle plus grande, où allaient et venaient des officiers. Il faisait très froid ; Lebrun-Renaud et Dreyfus se tenaient près du poêle[99]. Deux gendarmes étaient de garde.

L’attente dura une heure. Le supplice imminent, mille souvenirs qu’évoquait le lieu où il se trouvait, la pensée de tout ce qu’il a souffert, de tout ce qu’il aurait à souffrir encore, l’image, toujours présente, de sa femme et de ses enfants, la sensation de cette foule qui le considère comme un traître et va applaudir à sa honte, le déchiraient. Il tendait ses nerfs pour ne pas faiblir tout à l’heure, pendant sa brève apparition devant le peuple.

Lebrun-Renault le regardait avec plus de dégoût que de pitié, Il revenait d’un long séjour aux colonies, ne savait du condamné que son crime et sa race. Soldat épais, sans culture, ni bon ni méchant, quelconque, la figure rouge du buveur d’absinthe. Mais quel soldat n’aurait eu l’horreur d’un officier qui avait vendu les secrets de la défense nationale à l’Allemagne ?

Le mépris de cet homme pesait sur Dreyfus. Il eût voulu s’en alléger, le convaincre ; il engagea avec lui une conversation fiévreuse[100], sorte de monologue haché.

Il lui répéta ce qu’il avait dit déjà au Cherche-Midi, qu’il a été condamné à tort, victime d’une terrible erreur.

Lebrun-Renault, d’abord, l’écoute parler, indifférent, puis pose cette question : « Vous n’avez pas songé au suicide, monsieur Dreyfus ? — Oui, répond Dreyfus, mais seulement le jour de ma condamnation. Plus tard, j’ai réfléchi qu’innocent, je n’avais pas le droit de me tuer. On verra, dans deux ou trois ans, quand justice me sera rendue. » Et, comme Lebrun-Renault reste insensible, — tous les criminels ne protestent-ils pas de leur innocence ? — Dreyfus essaye de lui démontrer la sienne : « Voyons, mon capitaine, écoutez. On trouve dans le chiffonnier d’une ambassade un papier annonçant l’envoi de quatre pièces. On soumet ce papier à des experts. Trois reconnaissent mon écriture, deux déclarent que l’écriture n’est pas de ma main, et c’est là-dessus qu’on me condamne. À dix-huit ans j’entrais à l’École polytechnique. J’avais devant moi un magnifique avenir militaire, cinq cent mille francs de fortune et la certitude d’avoir un jour cinquante mille livres de rente. Je n’ai jamais été un coureur de filles ; je n’ai jamais touché une carte de ma vie ; donc, je n’ai pas de besoins d’argent. Pourquoi aurais-je trahi ? Pour de l’argent ? Non ; alors quoi ? — Et, qu’est-ce que c’était que les pièces dont on annonçait l’envoi ? — Une très confidentielle et trois autres moins importantes. — Comment le savez-vous ? — Parce qu’on me l’a dit au procès. Ah ! ce procès à huis clos, comme j’aurais voulu qu’il fût public et qu’il eût lieu au grand jour ! Il y aurait eu certainement un revirement d’opinion[101]. »

L’entrevue du 31 décembre lui revient à la mémoire. « D’ailleurs, dit-il, le ministre lui-même sait que je suis innocent. Il m’a envoyé dans ma prison le commandant Du Paty de Clam me demander si je n’avais pas livré une pièce sans importance pour en obtenir d’autres en échange. » Et Dreyfus rapporte sa réponse à Du Paty : Non, qu’il n’est pas plus coupable d’amorçage que de trahison ; et qu’il veut toute la lumière[102]. Puis, il répète encore à Lebrun-Renault qu’il est innocent, que son innocence sera reconnue dans deux ou trois ans, le délai dont Demange l’a consolé. Et il va crier son innocence à la face du peuple, essayer de faire passer son frisson dans cette foule[103].

Nomma-t-il l’Allemagne[104] comme la puissance à qui il est accusé d’avoir livré ces pièces de trahison ou d’amorçage ? Pourquoi ne l’eût-il pas nommée ? C’était l’inculpation précise (Du Paty, D’Ormescheville), et la rumeur publique, l’universelle accusation. Il n’eût rien appris à Lebrun-Renaud ni à aucun des milliers de spectateurs qui, déjà, s’impatientaient.

Dreyfus continua son monologue, Lebrun-Renaud ne lui adressant que de rares paroles. La conversation était coupée de longs silences[105]. Un peu plus tard, Dreyfus dit, d’un ton roide : « À présent, c’est fini ; on va m’expédier à la presqu’île Ducos ; ma femme m’y rejoindra dans trois mois[106]. » Lebrun-Renaud, quand il était allé à Taïti, avait passé par la Nouvelle Calédonie ; il lui donna quelques renseignements[107]. Dreyfus insista encore, pour que l’adjudant, chargé de le dégrader, procédât vivement à sa besogne[108].

S’étant assuré que Dreyfus était résolu à protester devant la troupe, Lebrun-Renaud en fit aviser le colonel Fayet, major de la garnison. Celui-ci en rendit compte au général Darras qui devait présider la cérémonie[109].

Enfin, quatre artilleurs entrèrent dans la salle : « Voici les hommes qui viennent vous prendre, Monsieur, dit Lebrun-Renaud. — Je les suis, reprit Dreyfus, mais je vous répète, les yeux dans les yeux, je suis innocent[110] »

Et il suivit les soldats.

XII

Lentement, l’immense place d’armes s’était remplie de troupes.

Notre code pénal (militaire ou civil) est plein encore de vestiges des temps barbares. Le supplice y est réputé exemple, l’ignominie ou la sauvagerie d’un châtiment étalé aux yeux un enseignement, et la dégradation d’un officier devant des soldats une leçon de discipline ou de vertu pour les jeunes troupes.

La loi étant formelle, chacun des régiments de la garnison de Paris a envoyé deux détachements, l’un d’anciens soldats en armes, l’autre de recrues en petite tenue, pour assister à la parade. Les élèves de l’École de guerre sont groupés sur une terrasse. Les troupes encadrent la cour. Les commandements militaires, les sonneries des clairons retentissent comme pour une fête. Parfois, de la foule qui s’énerve, une rumeur monte, huée mêlée de sifflets. Le ciel reste noir, sans soleil ; dans l’air glacé, des flocons de neige.

Au premier coup de neuf heures à l’horloge de l’École, le général Darras, à cheval, entouré de ses officiers, tire et lève son épée, commande de porter les armes. L’ordre est répété de régiment en régiment. Les tambours roulent.

Puis un grand silence, fait de tumultes contenus, religieux, puisque la terreur a fait les premiers dieux[111].

Alors, vers l’angle droit de la place, d’une petite porte, sort le cortège : quatre canonniers, sabre au clair ; entre eux, l’homme ; tout proche, « le bourreau[112] », un adjudant de la garde républicaine, une manière de géant[113].

Tous les yeux sont braqués vers l’homme. Dans un rayon subit de soleil, ses galons d’or, l’acier de l’épée brillent une dernière fois ; il marche, d’une allure assurée, ferme, vers le groupe où se tient le général. À mi-chemin, il perd le pas, et, militairement, s’y remet[114].

Une voix, quelque part, rompt le silence : « Regardez donc comme il se tient droit, la canaille[115] ! »

Il s’arrête devant le général, talons joints. Les canonniers se reculent. Le voici seul, la tête haute[116].

Le général Darras lève de nouveau son épée ; les tambours et les clairons ouvrent le ban.

Le greffier Vallecalle lit le jugement du conseil de guerre. Dreyfus garde la position militaire, « la tête toujours très droite[117] », sans un geste, silencieux.

La lecture terminée, le général Darras, dressé sur ses étriers, l’épée à la main, lance d’une voix émue[118] la phrase sacramentelle : « Alfred Dreyfus, vous êtes indigne de porter les armes. Au nom du peuple français, nous vous dégradons. »

Aussitôt, les deux bras vers les troupes, Dreyfus s’écrie d’une voix forte, qui s’entend au loin : « Soldats ! on dégrade un innocent ! Soldats ! on déshonore un innocent ! Vive la France ! Vive l’armée ! »

La foule, sur la place de Fontenoy, répond par une clameur stridente, hurle, siffle[119] : « À mort ! à mort ! » Ces cris volent comme des balles[120].

L’adjudant s’est approché de Dreyfus, et, très vite, arrache les insignes, les galons d’or du képi et des manches, les boutons du dolman. Il se hâte, comme en colère ou fidèle à la consigne. Mais l’affreuse besogne semble, même au rédacteur de Drumont, durer des siècles[121].

Auprès du géant casqué[122], à la crinière flottante, qui le décortique, penché sur lui, Dreyfus semble tout petit. Immobile, sans recul ni secousse, le torse un peu rejeté en arrière, il voit tomber à ses pieds tous ces lambeaux lacérés d’honneur. Il se prête au supplice pour l’abréger.

Mais, incessamment, d’une voix qui s’étrangle parfois, aiguë et déchirante, il répète son cri : « Je suis innocent ! Je le jure sur la tête de ma femme et de mes enfants ! Vive la France[123] ! »

Maintenant le brillant uniforme n’est plus qu’une guenille noire, une loque informe et ridicule. Reste le sabre. L’adjudant le tire, et, d’un coup sec, le brise sur son genou, laissant tomber à terre, dans la boue, les deux tronçons rompus, « morts à la place de l’honneur[124] ».

Et la voix de l’homme continue à s’élever : « On dégrade un innocent ! On a condamné un innocent ! Je suis innocent ! »

La foule, au loin, se remet à gronder : « À mort ! à mort ! » Mais plus haut que la clameur, que l’ouragan d’invectives, sonne le cri d’innocence, qui semble aux uns un défi, qui glace les autres de toute l’horreur de la vérité entrevue.

Le général, très pâle, en a eu le frisson.

Dreyfus connaît les règlements militaires, le programme de la cérémonie. Il enjambe ses insignes flétris ; de lui-même[125] il se place entre les quatre artilleurs, qui sont là, manteau en sautoir, pistolet à la ceinture, sabre nu ; et loin qu’ils l’emmènent, c’est lui qui semble les conduire, roide, inflexible, la tête toujours relevée[126], pour faire le tour de la place d’Armes. Un capitaine s’écrie : « On dirait un officier qui commande son peloton[127] ! »

Il défile, dans son accoutrement pitoyable, de longs bouts de fil à la place des galons, d’abord devant les régiments ; puis, devant la grille d’où la foule aura, pendant un moment, la vision de ce cadavre qui marche ; puis, devant le groupe des journalistes, des invités, des officiers de réserve et de territoriale ; enfin, devant les recrues.

Et pendant tout le tour du vaste carré, il crie son innocence[128], marchant d’un pas toujours plus assuré, comme à la manœuvre, du même pas cadencé que les canonniers qui l’escortent[129], et sans baisser les yeux[130], sans que son front se courbe ou que le rouge de la honte y monte[131], sans qu’un muscle tressaille[132].

Les soldats, en armes, se taisent ; mais la foule, d’une fureur exaspérée, aboie toujours à la mort ; et quand, arrivé devant la grille, face à face avec le peuple, il suspend un instant sa marche pour crier encore : « Je suis innocent ! Vive la France ! », un remous terrible se produit. Les agents s’épuisent à maintenir cette masse qui se rue vers la cour de l’École, pousse la grille, comme pour se précipiter dans l’arène et faire, dit un témoin, « plus prompte et plus rationnelle justice de l’infâme[133] ». L’impitoyable anathème remplit l’air : « À mort ! à mort[134] ! »

Il fait demi-tour à droite, et de nouveau ralentit sa marche devant les représentants de la presse. Le sinistre dialogue reprend. Les yeux droits, la tête en arrière[135], il crie : « Vous direz demain à la France entière que je suis innocent ! » Les injures pleuvent sur lui[136] ; journalistes, officiers de réserve et de territoriale[137] poussent des huées : « Tais-toi, misérable ! Lâche ! Judas ! Sale juif[138] ! » Il se trouve un républicain pour protester ; « il est remis à sa place vertement[139] ». Dreyfus se redresse sous l’outrage : « Vous n’avez pas le droit de m’insulter ![140] » « Cabotin ! Sale juif ! » lui crie-t-on encore[141], « à Satory ! » Les officiers de réserve redoublent de fureur. Dreyfus leur dit : « Vous faites de moi un martyr[142]. »

Le jeune romancier Léon Daudet, fils d’un poète, petit-gendre d’Hugo, qui, de sa lorgnette de spectacle, a suivi le malheureux dans son supplice, le regarde maintenant de près : « Il n’a plus d’âge. Il n’a plus de nom. Il n’a plus de teint. Il est couleur traître[143]. »

Un autre écrivain cherche en vain sur ses traits « une trace de l’anéantissement moral qui doit le terrasser[144] ».

Et Dreyfus continue son chemin, la montée de son calvaire. Un instant, ses jambes fléchissent, sa démarche semble plus lourde. Mais il se redresse, et sa voix ne cesse de retentir : « Soldats ! je suis innocent ! Vive la France ! »

Enfin, le tour du carré est achevé. La parade a duré juste dix minutes.

Les amateurs raffinés d’émotions rares étaient épuisés. Ils respirèrent mieux, soulagés de la présence du spectre[145]. Il était temps, pour leurs nerfs, que le drame prît fin.

L’agonie de Dreyfus ne faisait que commencer. Quand il eut passé devant le front du dernier régiment, il cria encore, se tournant vers quelques officiers : « Je ne suis pas indigne de rester parmi vous ! » Aussitôt, on lui lia les poings et on le jeta dans une voiture cellulaire[146], le panier à salade, qui s’éloigna au galop. Partout où le noir fourgon était reconnu, des huées éclataient, de nouveaux cris de mort. Quand la voiture passa au pont de l’Alma, Dreyfus aperçut par la lucarne les fenêtres de la maison, de l’appartement qu’il habitait, il y a quelques semaines encore, confiant dans la vie, heureux entre sa femme et ses enfants.

Ce fut le moment le plus atroce de cette journée.

Le cocher, qui conduisait la voiture cellulaire, fut interrogé par un journaliste[147] et lui dit : « C’est le plus beau jour de ma vie. »

Au Dépôt, dans son costume déchiré, Dreyfus fut traîné de salle en salle, fouillé encore, photographié, mensuré. Il subit ces humiliations en silence. Bertillon avait reçu l’ordre de ne pas procéder lui-même aux opérations[148]. Le directeur du Dépôt, faisant inscrire au greffe le nom de Dreyfus, observa qu’il était triste d’avoir à faire suivre de la mention d’un tel crime le nom d’un officier français. « Je comprends votre indignation, dit Dreyfus, mais je suis innocent[149]. » En partant, il le répéta encore et dit qu’il avait confiance en Dieu[150]. Vers midi, il arriva à la prison de la Santé et fut conduit à une cellule.

Cependant, dans la cour de l’École militaire, les régiments défilent devant le général, dans le cliquetis des armes, au son de la marche de Sambre-et-Meuse, acclamés par la foule.

  1. Cass., I, 321, Forzinetti ; Rennes, III, 107, Dreyfus : « Après ma condamnation, j’étais décidé à me tuer, à ne pas aller à ce supplice épouvantable… » — Le journal de Dreyfus, à l’île du Diable, commence par la même confession. (14 avril 1895.)
  2. Cass., I, 321, Forzinetti.
  3. 23 décembre 1894. Les lettres suivantes, dont je donne des extraits, vont du 24 au 31 décembre. (Lettres d’un innocent, pp. 34 à 44.) Les lettres de Mme Dreyfus sont encore inédites.
  4. Il le dit à Rennes : « Si je suis allé au supplice, c’est grâce à Mme Dreyfus qui m’a indiqué mon devoir ; si je suis ici, c’est à elle que je le dois. » (Rennes, III, 108.)
  5. Éclair du 21 décembre 1894.
  6. Croix. — Seul, le Siècle osa reprocher à Maurel « d’avoir manqué du sang-froid et du calme qui donnent confiance dans un juge ». Yves Guyot dénonçait l’étrange caractère du procès, duel entre Mercier et Dreyfus, tremplin d’un nouveau boulangisme et terminait ainsi son article : « Le président du conseil de guerre a eu raison de dire qu’il y avait, dans ce procès, d’autres intérêts que ceux de l’accusation et de la défense ; il aurait pu ajouter : que ceux de la patrie et de la justice. » (20 décembre 1894.)
  7. Croix, Gil Blas, Intransigeant, Patrie, Libre Parole, etc.
  8. Mêmes journaux.
  9. Figaro du 22 décembre : « Le seul fait d’apercevoir le prisonnier, c’est encore violer la pudeur du huis clos. »
  10. Intransigeant et Autorité du 21 ; Journal du 22.
  11. Mêmes journaux.
  12. Intransigeant du 21.
  13. Gil Blas du 22.
  14. Éclair du 22.
  15. Croix du 22 décembre, etc.
  16. Rappel du 28 : « Les premières personnes qui apprennent la condamnation font entendre des cris de joie. Ç’a été, hier soir, le cri de tout Paris ; ce sera aujourd’hui celui de la France entière ».
  17. Matin du 28 décembre, article de Cornély. — De même la Lanterne, le Rappel, du 24, Clemenceau dans la Justice du 25.
  18. Figaro du 23 décembre.
  19. Justice du 25.
  20. Temps du 24.
  21. Matin du 28.
  22. Ibid.
  23. Temps, Débats, Paix, Justice, Radical, etc., du 24. C’est aussi le commentaire de ceux des journaux républicains qui ont reçu les communications de l’État-Major, notamment l’Éclair et l’Écho de Paris. Leurs articles, pendant cette semaine, sont d’une modération voulue. Ils s’abstiennent de polémiquer « sur la question de religion et de race qui n’a rien à voir dans l’affaire ». Le 31, pour affirmer sa prétendue impartialité, l’Écho publie un article de Bernard Lazare contre l’antisémitisme.
  24. Matin : « Ce jugement a été pour tous un véritable soulagement. » De même, Petit Parisien du 24.
  25. Temps du 24 décembre.
  26. Clemenceau, dans la Justice du 25 : « Dans de tels procès, il faut le reconnaître, la publicité, avec les commentaires qu’elle entraîne, court risque, le plus souvent, d’aggraver le mal causé par la trahison. »
  27. Libre Parole du 22 décembre.
  28. Libre Parole du 28 décembre : « Mes livres auront rendu un immense service à notre chère France, en lui révélant le péril juif, en l’empêchant d’être livrée, pieds et mains liés, à l’ennemi, au moment d’une guerre, par les Dreyfus et les Reinach, embusqués dans tous les services importants. »
  29. Croix, Gazette de France, Pèlerin, Terre de France, etc.
  30. Autorité du 24 décembre : « Que Dieu soit béni pour avoir permis que ce ne fût pas un fils des Gaulois et des Francs qui porte l’infamie de ce verdict ! »
  31. Soleil du 25, sous la signature du frère d’Hervé, H. de Kérohant.
  32. Libre Parole du 26 décembre : l’âme de Dreyfus.
  33. Soleil du 31.
  34. Journal des Débats, Temps, du 23.
  35. Matin du 23.
  36. Croix du 25 : « Tous ceux dont les attaches juives sont indiscutables chargent comme à dessein le coupable, l’excluent de l’humanité, tâchent de séparer sa cause de celle de ses congénères. Pourquoi donc, avant le procès, ont-ils cherché à soustraire Dreyfus à ses juges ? »
  37. Figaro du 23 décembre : « Maintenant que c’est fini, parlons le moins possible de cette triste histoire. »
  38. Matin du 23.
  39. Intransigeant du 24 : « Jamais la couardise gouvernementale ne pardonnera au général Mercier de s’être refusé à l’étouffement de l’affaire. » De même, la Libre Parole, la Gazette de France, la Croix, etc.
  40. Soleil du 23.
  41. Gazette de France du 24.
  42. Petite République du 24.
  43. Presque tous les journaux de Paris et de province.
  44. « On frappe ce traître comme, après 1871, on frappait les patriotes exaspérés par les malheurs de la patrie. » (Radical du 25, article de Lucipia.) Et Clemenceau dans la Justice : « Nous n’avons même pas été capables de fusiller Bazaine. »
  45. Rochefort et Drumont ont une autre version. C’est aux injonctions de l’Allemagne, du comte de Munster qu’a obéi Dupuy. (27 et 29 décembre).
  46. Interpellations Carnaud (8 novembre), Lavy (10), Prudent-Dervillers (12), Dejeante (13), Lamendin (15), Jules Guesde (24), Dejeante (10 décembre), Millerand (22), Paschal Grousset et Vigne d’Octon (22), Dejeante (24).
  47. 26 novembre.
  48. L’amendement du colonel Guérin était ainsi conçu : « Aucune unité ou fraction d’unité de la mobilisation en France ne sera envoyée à Madagascar en dehors du service du génie, de l’artillerie et des services administratifs. » Il fut repoussé par 292 voix contre 207. La minorité comprenait les socialistes, la droite et un certain nombre de républicains, Aynard, Cavaignac, Méline, Pelletan, Léon Say, Montebello, Jules Roche, général Jung, Reinach, etc. Presque tous les radicaux (Brisson, Bourgeois, Dupuy-Dutemps, Sarrien, Goblet, Chautemps) votèrent avec le Gouvernement et avec la majorité du centre.
  49. Le jour même où le conseil de guerre rendait sa sentence, Millerand interpellait Mercier au sujet d’une punition disciplinaire infligée au député Mirman (voir page 198) pour avoir, étant sous les armes, laissé figurer sa signature au bas d’un manifeste du groupe socialiste. La Chambre approuva les déclarations du ministre, « soucieux de maintenir la discipline dans l’armée ».
  50. Séance du 24 décembre.
  51. Le projet, adopté par la commission de l’armée, fut voté par la Chambre, le 6 juillet 1895 sans débat, malgré les protestations véhémentes de presque toute la presse. Le Sénat refusa de voter cette loi de circonstance et en modifia radicalement le texte.
  52. Notamment l’article 6 : « Sera puni d’un emprisonnement de un à cinq ans et d’une amende de 1.000 à 10.000 francs, celui qui, sans avoir qualité à cet effet, mais sans que le but d’espionnage soit établi, se sera procuré, en tout ou en partie, des objets, plans, écrits, documents ou renseignements, dont le secret intéresse la défense du territoire ou la sûreté de l’État. » La Libre Parole elle-même, dès le 25 décembre, protesta contre cet article.
  53. Brisson avait été élu le 12 décembre par 249 voix contre 213 à Méline, en remplacement de Burdeau, qui venait de mourir.
  54. « En termes d’une rare insolence et avec une attitude de charretier aviné. » (Libre Parole du 25 décembre.)
  55. Le Conseil de revision n’a point à connaître du fond de l’affaire. (Code de justice militaire, art. 72.) Il ne peut annuler les jugements que dans cinq cas limitatifs, notamment lorsqu’il y a eu violation des formes prescrites à peine de nullité.
  56. Code de justice militaire, art. 74, 4°.
  57. Boivin-Champeaux, avocat à la Cour de cassation. Le conseil de revision était présidé par le général Gossart.
  58. 31 décembre.
  59. Lettre du 31 décembre, 5 heures du soir.
  60. Lettre de Dreyfus à Demange, du 31 décembre : « Le commandant Du Paty est venu aujourd’hui lundi, 31 décembre 1894, à cinq heures et demie du soir, après le rejet du pourvoi… » (Cass., III, 534.)
  61. Rennes, III, 512, Du Paty : « Ma mission était de tâcher d’obtenir du capitaine Dreyfus, sur la promesse de certains adoucissements de sa peine… » Mercier convient de cette promesse : « Je chargeai Du Paty d’aller trouver Dreyfus et de lui dire que sa condamnation était un fait acquis, mais que l’application de la peine pouvait être mitigée, soit par le choix du lieu de déportation, soit par ses relations avec sa famille, s’il consentait à révéler ce qu’il avait fait. » (Cass., I, 6.) De même à Rennes (I, 10.)
  62. Cass., I, 322, Forzinetti.
  63. Cass., III, 534, lettre de Dreyfus à Demange. — Cass., I, 6, Mercier : « Il n’a point voulu parler. « — Rennes, I, 100, rapport de Du Paty, du 31 décembre 1894 : « Il n’a rien voulu avouer, me déclarant qu’avant tout il ne voulait pas plaider les circonstances atténuantes. »
  64. Lettre à Demange.
  65. Cass., III, 534, lettre de Dreyfus à Demange.
  66. Rien ne prouve mieux que ce passage l’absolue exactitude du récit de Dreyfus.
  67. Demange a confirmé ce détail dans son plaidoyer de Rennes : « Je lui disais : Oui, on cherchera ; votre famille fera des sacrifices… Mais, c’est long ; il faudra bien du temps, deux ans, trois ans ! » (Rennes, III, 600.)
  68. Rennes, I, 100, rapport de Du Paty, et Rennes, III, 513, Du Paty. — « Je ne pouvais pas fixer de limites, observe Dreyfus (Rennes, III, 99) ; j’ai dit un, deux ou trois ans. »
  69. Rapport de Du Paty.
  70. Rennes, I, 40 ; II, 287 ; III, 99, Dreyfus. — Les preuves de cette promesse abondent. Le 15 août 1895, le commandant supérieur des îles du Salut interroge Dreyfus « qui répond en sanglotant : « M. le commandant Du Paty m’avait promis, avant mon départ de France, de faire poursuivre les recherches. Je n’aurais pas pensé qu’elles pussent durer aussi longtemps. » — Il n’y a pas six mois qu’il est à l’île du Diable ; nous voilà loin du terme fatidique de trois ans ! — Le 25 novembre 1897, dans une lettre au Président de la République, Dreyfus rappelle la visite et la promesse de Du Paty. (Cass., III, 325.) — Le 28 février 1898, alors qu’il ignorait tout des événements récemment survenus, il adressa une pétition au Sénat et à la Chambre. Cette pétition débutait ainsi : « Dès le lendemain de ma condamnation, c’est-à-dire il y a déjà plus de trois ans, quand M. le commandant Du Paty de Clam est venu me trouver, au nom du ministre de la Guerre, pour me demander, après qu’on m’eut fait condamner pour le crime abominable que je n’avais pas commis, si j’étais innocent ou coupable, j’ai déclaré que non seulement j’étais innocent, mais encore que je demandais la pleine et éclatante lumière, et j’ai aussitôt sollicité l’aide de tous les moyens d’investigation habituels, soit par les attachés militaires, soit par tout autre dont dispose le Gouvernement. Il me fut répondu alors que des intérêts supérieurs aux miens, à cause de l’origine de la lettre incriminée, empêchaient les moyens d’investigation habituels, mais que les recherches seraient poursuivies. » La pétition, par une violation de la Constitution et de la loi, ne fut pas transmise.
  71. Rennes, III, 513, Du Paty.
  72. Le 20 avril 1895, Dreyfus écrivit, de l’île du Diable, à Du Paty, pour lui rappeler sa promesse. (Journal inédit de Dreyfus.) Du Paty n’a jamais ni publié ni contesté cette lettre.
  73. Rennes, I, 40. Dreyfus. — Voir Appendice XVIII.
  74. Rennes, III, 513, Du Paty.
  75. Lettre à Demange. — Cass., I, 322, et Rennes, III, 107, Forzinetti.
  76. Rennes, III, 513, Du Paty.
  77. 31 décembre 1894 (Rennes, I, 100).
  78. Cass., I, 440, Du Paty.
  79. Rennes, III, 513, Du Paty : « Cette mission a fait de ma part l’objet d’une lettre adressée au ministre de la Guerre et d’un compte rendu détaillé également adressé au ministre, transmis par lui à la section de statistique, et qui n’a pas été retrouvé dans les archives de cette section ». — Cass., III, 180. Ballot-Beaupré : « Le compte rendu détaillé qu’évoque M. Du Paty ne figure pas au dossier communiqué par le ministre de la Guerre. » — Voir Appendice XIX.
  80. Cass., III, 534 à 536.
  81. Cass., III, 536. — Cette lettre avait été transmise ouverte à Saussier, qui l’avait lue avant de l’envoyer à Mercier.
  82. La proposition fut faite au Conseil des ministres du 5 janvier 1895, adoptée aussitôt et annoncée par les journaux. (Petit Journal du 6). — Le Père Du Lac, avec son ordinaire imprudence, écrira en 1901 : « L’attention a été tellement attirée vers Cayenne, ces dernières années, qu’il semble que parler de son climat si délétère devient presque une inutilité. » Célébrant les jésuites qui furent envoyés en Guyane et à l’île du Diable : « Avec quelle émotion nous leur disions adieu, assurés que la nouvelle de leur mort ne pourrait pas tarder ! » (Jésuites, p. 340.) Et plus loin : « Le climat était meurtrier. »
  83. Cass., I, 321 Forzinetti ; Lettres d’un innocent, p. 49 et suiv.
  84. Cass., I, 322, et Rennes, III, 108, Forzinetti.
  85. Croix du 31 décembre 1894.
  86. Intransigeant du 27 décembre 1894 et du 5 janvier 1895. — De même, Croix du 4 janvier, etc.
  87. Cocarde du 24 décembre 1894 ; article signé de Barrès.
  88. Intransigeant du 2 décembre 1894.
  89. Petit Journal du 5 janvier 1895.
  90. Journal du 28 décembre 1894.
  91. Journal du 25 décembre, Éclair du 26, etc.
  92. Les récits les plus circonstanciés sont ceux du Figaro (Léon Daudet), du Temps, de la Libre Parole et de l’Autorité. Tous les récits sont concordants jusque dans les moindres détails. Autant de photographies prises, d’ailleurs, du même point.
  93. Figaro, Libre Parole, etc.
  94. Cass., I, 275 ; Rennes, III, 72, Lebrun-Renaud.
  95. Cass., I, 322, Forzinetti.
  96. Figaro du 6 janvier, Récit d’un témoin. C’est le récit fait par Lebrun-Renaud au journaliste Clisson, le soir même de la parade d’exécution (Voir page 528). — Sur tous les détails matériels, étrangers aux propos qui servirent par la suite à créer la légende des aveux, le récit de Clisson est confirmé, point par point, par la déposition de Lebrun-Renaud.
  97. Cass., I, 275, Lebrun-Renaud ; I, 279, colonel Guérin. — De-même, Rennes, III, 73, 86, et le Récit d’un témoin.
  98. Rennes, III, 82, Lebrun-Renaud.
  99. Ibid., 86.
  100. « C’était surtout Dreyfus, dépose le gendarme Dupressoir (Cass., I, 477), qui cherchait à engager la conversation. »
  101. Figaro du 6 janvier, Récit d’un témoin.
  102. Cass., I, 815, réponse de Dreyfus, du 5 janvier 1899, à la commission rogatoire de la Cour de cassation, en date du 30 décembre 1898, envoyée par dépêche à Cayenne, et communiquée au condamné par le président de la Cour d’appel. (Procès-verbal signé Danjean, Dreyfus, Darius.) — Rennes, I, 40 ; II, 236 ; III, 82, Dreyfus.
  103. Figaro du 6 janvier ; Rennes, III, 74, Lebrun-Renaud. — Le sergent Merzbach, étant entré dans la pièce, entendit Dreyfus jurer avec véhémence qu’il était innocent (Cass., I, 384).
  104. Rennes, III, 74, Lebrun-Renaud.
  105. Cass., I, 477, Dupressoir.
  106. Figaro du 6 janvier 1895.
  107. Rennes, III, 78, Lebrun-Renaud. — Le colonel Guérin, dans son rapport du 14 février 1898, donne une autre version : « Lebrun-Renaud nous dit qu’il avait causé avec Dreyfus de Taïti, lieu où il serait probablement envoyé. » De même, le gendarme Dupressoir : « J’ai compris qu’ils parlaient de l’île où Dreyfus serait transféré. » (Cass., I, 477.)
  108. Cass., I, 275 ; Rennes, III, 74, Lebrun-Renaud.
  109. Figaro du 6 janvier ; Cass., I, 278, Darras ; Rennes, III, 74, Lebrun-Renaud.
  110. Cass., I, 275 ; Rennes, III, 74, Lebrun-Renaud ; Figaro du 6.
  111. « Il règne un tumultueux silence. » (Léon Daudet, dans le Figaro du 6 janvier). — « Dans cette vaste cour, où il y a plus de quatre mille hommes, on n’entend pas un souffle. » (Libre Parole du 6).
  112. Léon Daudet.
  113. Il s’appelait Bouxin.
  114. Cass., I, 242, De Mitry : « Ce détail m’a paru étrange… L’attitude de Dreyfus m’a produit un profond dégoût. »
  115. Autorité du 6.
  116. Libre Parole.
  117. Libre Parole.
  118. Autorité, Temps, etc.
  119. Léon Daudet.
  120. Libre Parole ; de même Autorité, Liberté, Temps, etc.
  121. Libre Parole. — De même le rédacteur, également hostile, de l’Autorité : « Les secondes nous ont semblé des siècles ; jamais impression d’angoisse plus aiguë. »
  122. Le Petit Journal célèbre le « colosse ». Le Matin vante sa main puissante « s’abattant sur les insignes du condamné qui semblent avoir fondu dans ses doigts ».
  123. Cass., I, 141, Picquart ; 278, Darras ; etc.
  124. Léon Daudet.
  125. Libre Parole, Liberté, etc.
  126. Autorité, Libre Parole, Léon Daudet.
  127. Croix du 7 janvier.
  128. Cass., I, 280, colonel Guérin.
  129. Patrie.
  130. Libre Parole, Petit Journal, etc.
  131. Patrie.
  132. Ibid.
  133. Autorité. — « La foule l’aurait lynché, si elle avait pu l’approcher. » (Croix.)
  134. Libre Parole, Temps, Croix, etc.
  135. Libre Parole.
  136. Liberté, etc.
  137. Petit Journal : « Les injures plus rapprochées de quelques officiers, qui ne pouvaient maîtriser leur indignation… » (Judet). « Cri noblement indiscipliné ! » (Éclair). L’Avenir militaire du 14 signale le fait et réclame une punition pour ces officiers.
  138. Libre Parole, Autorité.
  139. Libre Parole.
  140. Autorité, etc.
  141. Autorité, Liberté, etc.
  142. Cass., II, 136, Louis Druet.
  143. Figaro.
  144. Patrie.
  145. Léon Daudet : « Nos nerfs sont épuisés. Il est temps que le drame s’achève… Le cadavre s’enfourne dans le fourgon noir, soulevé par les gendarmes. Nous sommes soulagés de sa présence. » Judet : « La disparition du traître nous a fait éprouver un immense soulagement. L’air semblait plus pur ; on respirait mieux. »
  146. Cass., I, 280 ; II, 189 ; III, 89, Guérin.
  147. Matin du 6 janvier.
  148. Journal du 6 janvier.
  149. Ce directeur s’appelait Durlin. Il raconta le fait à son collègue Pons, directeur de la Conciergerie, et à l’inspecteur général Fournier. (Cass., I. 405, Fournier ; II, 147, lettre de Dupuy, président du Conseil, au ministre de la Guerre.) Le fait est mentionné le soir même par la Liberté (5 janvier 1895).
  150. Durlin répondit : « C’est beaucoup, sans doute, mais ce n’est pas suffisant sur terre. » (Cass., II, 147, lettre de Dupuy au ministre de la Guerre).