Histoire de l’Affaire Dreyfus/T1/5

La Revue Blanche, 1901 (Vol.1 : Le procès de 1894, pp. 191–241).

CHAPITRE V

LA LIBRE PAROLE

I. La Libre Parole révèle une arrestation mystérieuse, 191. — Papillaud chez Henry, 192. — II. Du Paty montre à Dreyfus la photographie du bordereau, 193. — Dénégations de Dreyfus, 195. — Dernier interrogatoire, 197. — III. Séance du 30 octobre à la Chambre, 197. — Hésitations de Mercier, 198. — IV. Rapport de Du Paty, 199. — Mercier reste perplexe, 205. — V. La Libre Parole annonce l’arrestation de l’officier juif A. Dreyfus, 205. — Conseil extraordinaire de cabinet, 207. — Ouverture de l’instruction judiciaire, 209. — VI. Du Paty autorise Mme Dreyfus à prévenir ses beaux-frères, 209. — Mathieu Dreyfus à Paris, 210. — Le grand-père de Du Paty, 211. — Entrevue de Du Paty et de Mathieu Dreyfus, 212. — VII. Explosion des haines antisémitiques, 213. — Le jésuitisme, 215. — Drumont, 217. — VIII. Henry et la presse, 218. — IX. L’opinion systématiquement trompée, 221. — X. Mensonges répandus par la presse, 223. — Fanatisme et sauvagerie, 229. — Le général Riu, 230. — Drumont et le moine de la Croix, 231. — Le Petit Journal, 232. — XI. Campagne d’intimidation contre Mercier, 233. — XII. Mercier accusé de vouloir étouffer l’affaire, 237. — Violentes polémiques de Drumont, 238. — Forme nouvelle de la Terreur, 240.

I

Quand je publiai pour la première fois la lettre révélatrice d’Henry[1], Papillaud déclara « qu’elle n’avait eu pour lui, quand il la reçut, que la valeur d’une lettre anonyme, puisqu’il n’en connaissait pas le signataire[2]».

Étrange idée d’écrire à un inconnu : « Mon cher ami, je vous l’avais bien dit…! » Ce chiffon, Papillaud va le jeter au panier, surtout en l’absence de Drumont, caché à Bruxelles, dans son faux exil !

Au contraire, il tient la dénonciation pour exacte et rédige aussitôt cette note :

 Est-il vrai que, récemment, une arrestation fort importante ait été opérée par ordre de l’autorité militaire. L’individu arrêté serait accusé d’espionnage. Si la nouvelle est vraie, pourquoi l’autorité militaire garde-t-elle un silence absolu ? Une réponse s’impose.

La note paraît dans la Libre Parole du lundi 29 octobre. Tout de suite la curiosité s’éveille, les journalistes courent au ministère, mais s’y heurtent à la consigne : on ne sait rien.

Cependant Papillaud, accompagné du rédacteur militaire de la Libre Parole[3], s’occupait à contrôler la nouvelle que le journal avait lancée. Au domicile de Dreyfus, une servante, « à l’accent alsacien très prononcé », répond que « le capitaine est absent ». Elle a l’air « navré ». Les journalistes examinent l’appartement. « Tout est en ordre. On sent que la police a passé par là. Pas un papier sur la table du capitaine. » En s’en allant, dans l’antichambre décoré de drapeaux et de trophées d’armes, ils aperçoivent des jouets d’enfants[4] et s’attendrissent.

Tous deux se rendent alors au ministère. Henry fait quelques difficultés pour les recevoir. Papillaud lui montre la lettre[5]. Et, selon Papillaud, Henry feignit une grande surprise, voulut s’emparer du précieux papier : « C’était un faux ; il ferait procéder à une enquête minutieuse pour en découvrir l’auteur. » Papillaud, prudent, ne lui en laissa qu’une copie.

La preuve que la lettre venait d’Henry, qu’elle soit ou non de son écriture, c’est qu’il ne rendit compte de l’incident à personne. Eût-il hésité à le faire, si la lettre avait été un faux ?

L’agitation était vive dans les bureaux de la Guerre. Qui a parlé ? Qui a désobéi aux ordres du ministre ? Qui cherche à lui forcer la main ?

Henry, comme les autres, en discourut, de cet air « ingénu » que Du Paty a fait observer un jour[6] et qui servait de masque au fourbe dans les circonstances difficiles.

II

Du Paty a été accusé d’être l’auteur de la divulgation, d’avoir fabriqué et signé du nom d’Henry la lettre à la Libre Parole. Soupçon injuste et stupide. Il n’est point homme d’initiative, n’agit que par ordre. Et quelle raison à cette indiscrétion ? « Pour avoir le procès[7] » ?

Cependant, l’entrée en scène de Drumont lui fut une raison de se hâter. Le soir même, il montra à Dreyfus la photographie du bordereau. « Cette lettre, lui dit-il, a été prise à l’étranger, au moyen d’un portefeuille photographique, et nous en possédons le cliché pellicule… Reconnaissez-vous cette lettre pour être de votre écriture[8] ? »

Dreyfus répondit :

« J’affirme que je n’ai jamais écrit cette lettre infâme. Un certain nombre de mots ressemblent à mon écriture ; mais ce n’est pas la mienne. L’ensemble de la lettre ne ressemble pas à mon écriture ; on n’a même pas cherché à l’imiter[9]. »

Du Paty fit faire à Dreyfus une copie du bordereau. La dissemblance des deux écritures apparut si vivement que Du Paty n’osa pas montrer la copie aux experts, ni à Charavay qui en aurait pu être frappé, troublé dans ses conclusions, ni même à Teyssonnières[10].

Il n’osa même pas la faire photographier.

C’était la pièce décisive, capitale ; mais l’expertise avait coûté déjà trop de peine, causé trop d’angoisses ; c’eût été folie.

Du Paty rapporta à Mercier que Dreyfus, d’une astuce consommée, avait altéré son écriture habituelle en copiant le bordereau.

Dreyfus, sachant enfin l’objet précis de son inculpation, délivré de l’affolant mystère, prit l’accusation corps à corps. Dans la misère où il agonisait depuis deux semaines, la vue du bordereau, de la pièce maudite, c’était la lumière dans la nuit, un rayon d’espoir. Des juges éclairés, loyaux, des soldats français, pourraient-ils, sur une pareille pièce, d’une écriture si visiblement différente de la sienne, condamner un camarade ?

Il ne se contenta pas de dénier l’écriture de la lettre missive : il prouva encore que le texte même ne pouvait pas, sans absurdité, indépendamment de toute expertise, lui être attribué[11].

L’auteur de la lettre écrit : « Je vais partir en manœuvres. » Or, Dreyfus n’est pas allé aux manœuvres ; il n’a fait, en juin, qu’un voyage d’État-Major. Ces deux : expressions, aller en voyage d’État-Major, aller en manœuvres, ne peuvent s’employer l’une pour l’autre ; un officier instruit, qui sait la propriété des termes, ne fera jamais cette confusion.

Dans son interrogatoire du 20 octobre, Dreyfus imaginait qu’un ennemi inconnu avait pu ramasser dans son panier des fragments quelconques, peut-être le brouillon d’une lettre où il discutait avec un camarade[12] un problème du jeu de la guerre. Du Paty lui demanda si cette lettre ne se terminait pas par ces mots : « Je pars en manœuvres. » La lettre originale sera produite au cours de l’instruction judiciaire ; Dreyfus a écrit : « Je pars, la semaine prochaine, en voyage d’État-Major. »

Il n’est pas allé aux manœuvres ; donc, l’auteur du bordereau et de la trahison, ce n’est pas lui.

Si l’on admet toutefois l’équivalence des termes, le bordereau serait du mois de juin : dans cette hypothèse, Dreyfus a-t-il connu, à cette date, les documents qui y sont énoncés ?

Il a connu, dès 1889, le principe du frein du 120 ; mais jamais, à aucun moment de sa carrière, il n’a possédé aucun document sur la structure intime, le secret de cet appareil. N’ayant vu ni tirer ni manœuvrer la pièce, il ignore la manière dont elle s’est comportée. Il ne l’a vue qu’au repos, pour la dernière fois, pendant son séjour à l’École de guerre.

Du 1er janvier aux premiers jours de juillet 1894, il a travaillé au 2e bureau de l’État-Major ; il n’a jamais eu à s’y occuper d’aucun travail sur la couverture, possédé aucun document sur cette question. Il n’est entré au 3e bureau qu’en juillet ; en septembre seulement, il a surveillé le tirage de certains documents relatifs, non pas à l’emplacement, mais à l’approvisionnement des troupes de couverture.

Une note sur les modifications aux formations de l’artillerie ? En juin, il savait seulement la suppression des deux régiments de pontonniers et la création de 28 batteries nouvelles. Il ignorait alors, il ignore encore les formations de campagne de l’artillerie[13].

Jamais, à aucune époque, il n’a rien lu, rien eu entre les mains « sur Madagascar ».

Jamais il n’a possédé le projet de manuel de tir d’artillerie de campagne pour 1894 ; il en ignorait même la publication. Il ne s’en est pas occupé, parce qu’il savait ne pas aller aux écoles à feu et qu’il était absorbé par d’autres travaux. Il n’a eu, avec un officier d’État-Major[14], que des conversations générales sur l’artillerie, notamment sur l’artillerie allemande.

Donc, il est innocent.

Mais Du Paty était sourd à cette logique et s’obstinait à affirmer que le bordereau était de la main de Dreyfus : « Reconnaissez-vous la ressemblance des écritures ? — Oui, il y a des ressemblances dans le détail, mais l’ensemble ne ressemble pas. » Et, comme s’il eût voulu chercher des excuses à ses chefs, il concède que cette ressemblance « a pu donner prise aux soupçons » ; il demande à être entendu par le Ministre. Il proposera à Mercier de « l’envoyer n’importe où, pendant un an, sous la surveillance de la police, tandis qu’on procédera à une enquête approfondie au ministère de la Guerre ».

Le lendemain, 31, Du Paty l’interrogea une dernière fois, après avoir pris les ordres de Mercier : « Voici les rapports des experts qui déclarent que la pièce incriminée est de votre main ; qu’avez-vous à répondre ? — Je vous déclare encore que jamais je n’ai écrit cette lettre. — Le ministre est prêt à vous recevoir si vous voulez entrer dans la voie des aveux ? » (Ainsi, il ne répugnait pas à Mercier de donner audience à un traître, mais à un innocent.) Dreyfus répondit : « Je vous déclare encore que je suis innocent, et que je n’ai rien à avouer. Il m’est impossible, entre les quatre murs d’une prison, de m’expliquer sur cette énigme épouvantable. Qu’on me mette en rapport avec le chef de la Sûreté, et toute ma fortune, toute ma vie seront consacrées à débrouiller cette affaire. »

III

Le 30 octobre, la séance de la Chambre fut très dure pour Mercier. Un des membres de l’assemblée avait été élu député, l’année précédente, alors qu’il n’avait pas encore accompli l’engagement décennal qui tient lieu de service militaire pour les membres de l’Université. Démissionnaire de ses fonctions de professeur, incompatibles avec son mandat de député, il retombait, selon les jurisconsultes du ministère, sous le coup de la loi de recrutement. Mercier avisa la Chambre que Mirman serait incorporé le 16 novembre.

Les radicaux et les socialistes s’élevèrent avec beaucoup de véhémence contre cette décision ; ils soutinrent que l’autorité militaire ne peut pas priver un député de l’exercice de son mandat, un collège électoral de son représentant, de sa part de souveraineté. Dupuy et Mercier répliquèrent que le service militaire est dû par tous, quel que soit le titre ou le mandat de celui qui le doit.

Leurs discours, surtout celui de Mercier, furent hachés d’interruptions passionnées. Brisson posa ainsi la question : « Est-ce le suffrage universel, est-ce le ministre de la Guerre qui est le maître ? » Et quand la Chambre eut donné raison au Gouvernement[15], ce fut, à l’extrême gauche, une explosion de fureur. Ces cris de Jaurès éclatèrent dans le tumulte : « Chambre servile ! Vote d’esclaves ! À bas la dictature ! Il n’y a plus de Chambre ! » Des députés montraient le poing aux ministres.

Mercier surtout, harcelé par la gauche, soutenu à regret par le centre, avait senti l’hostilité de la Chambre. Il a pu repousser cet assaut ; pourra-t-il résister à l’assaut de demain, où il sera seul en cause, quand la commission de l’armée l’interpellera sur la désorganisation des régiments, énervés ou vidés ? Et que lui réserve l’affaire, inconnue encore, mais qui va éclater, d’autant plus dangereuse qu’il a essayé de la tenir secrète ? Pourquoi ce secret ? S’il relâche, faute de preuves, le prisonnier du Cherche-Midi, Drumont le dira vendu aux juifs. Qui prendra sa défense ? On s’indignera qu’un officier d’État-Major ait pu être arrêté sur d’aussi faibles soupçons. Ses collègues du ministère l’accableront de son impéritie. Quoi ! ce flair merveilleux d’artilleur le trompe donc toujours ! Mieux vaut être terrible que ridicule.

Pourtant, il hésite. Le péril est grand pour lui à prononcer la mise en liberté du prisonnier, mais non moins grave si le scandale d’une poursuite doit aboutir à un acquittement. Le condamné, alors, ce sera lui.

Il errait sur la lande, mais il n’y avait pas rencontré les sorcières.

IV

Le rapport de Du Paty[16] n’était pas pour le tirer d’embarras. Il chargeait Dreyfus, mais laissait au ministre le soin « de juger quelle suite il convenait de donner à l’affaire[17] ».

Cet exposé, de ton modéré, méthodique dans ses mensonges, qui n’était point destiné à devenir public[18], donne exactement la mesure où Mercier fut trompé.

Deux experts sur cinq se sont prononcés contre l’attribution du bordereau à Dreyfus ; Du Paty les dénonce comme suspects.

« Gobert a manifesté le désir de connaître le nom de la personne soupçonnée et demandé un laps de temps incompatible avec la conservation du secret… Pelletier n’a pas pris connaissance de certaines photographies importantes ; parmi les documents qui lui ont été remis se trouvent une lettre et divers documents écrits postérieurement à l’arrestation, et dans lesquels l’écriture est visiblement altérée[19]. »

Presque tous les faits sont dénaturés. « C’est sur le vu des conclusions de Bertillon que l’arrestation de Dreyfus fut décidée. » Elle l’était depuis la veille. Sur la scène de la dictée : « Dreyfus commença à écrire irrégulièrement… L’écriture continue à être irrégulière… Il répondit, avec une sorte de rictus nerveux, qu’il avait froid aux doigts. La température du bureau était très normale. » Pendant son premier interrogatoire, « il contrôlait ses gestes du coin de l’œil dans une glace ». Dans les interrogatoires subséquents, « il a avoué avoir eu connaissance de trois documents : le frein hydraulique, le plan de transport et de couverture, le projet du manuel de tir… Quand il a connu le bordereau en entier, il a même dit : On a volé mon écriture[20]. »

Si Mercier avait ouvert le dossier annexé au rapport, il y eût trouvé la preuve de la plupart de ces mensonges.

« L’attitude de Dreyfus a été celle d’un simulateur, » très habile, d’une excessive prudence, d’un comédien consommé ; théâtrale, le jour de l’arrestation, puis, au Cherche-Midi, sournoise : « En défiance, il est toujours resté dans le vague ; lorsque je lui ai présenté des fragments d’écriture isolés, son premier soin a été de s’assurer s’il s’y trouvait des mots compromettants. »

Les protestations d’innocence deviennent « des manifestations emphatiques et déplacées, dont le but était de faire sortir Du Paty de son calme ». Et l’antisémite accuse le juif de nourrir une haine violente contre les chrétiens : « Il me maudissait, appelait la malédiction de Dieu sur moi et les miens, criait que sa race se vengerait sur la mienne. »

Le résultat négatif des perquisitions, puis des enquêtes chez les marchands de papier, est passé sous silence. Pas un mot de l’impression de Forzinetti que l’accusé est innocent.

« Recherches sur la vie privée de M. le capitaine Dreyfus. » C’est le chef-d’œuvre de l’insinuation subtile, empoisonnée, d’un Basile délicat, expert en l’art des lentes gradations, presque insensibles. Famille d’industriels alsaciens, « d’origine badoise, dit-on », — elle était de Rixheim (Haut-Rhin)[21] — très riche. Dreyfus s’est marié dans une famille qui ne l’est pas moins. « Le ménage dispose de 26 à 30.000 francs de revenu ; il est ordonné, et mène un train de vie apparent proportionné à ses ressources. » Tout un système est dans ce seul mot, le système que Du Paty développe dans ses entretiens quotidiens : la vie double de Dreyfus, régulière en apparence, pleine de mystère en dessous. « Intelligent, doué d’une mémoire remarquable, tenace, avec le sentiment de sa valeur, ambitieux. » Chaque mot, juste en soi, est à sa place, bien calculé.

« Il concourt pour l’École de guerre ; il est admis et vise la première place. Un déboire cruel l’attendait à la sortie. Du premier rang rêvé, du troisième assuré dans son esprit, le capitaine Dreyfus est rejeté au neuvième. La blessure fut profonde, cruelle ; elle saigne encore, elle est incurable. Mme Dreyfus m’a dit, en présence de M. Gribelin, que son mari avait été malade de cette déception, qu’il en a eu des cauchemars, et qu’il en souffre toujours. « C’est bien la peine, disait-il, de travailler dans cette armée où, quoi qu’on fasse, on n’arrive pas selon son mérite ! » Lui-même parlait de ce qu’il appelait une infamie. »

Et voilà l’image évoquée de Coriolan. Pourquoi cet officier riche, instruit, ambitieux, est-il devenu un traître ? Le bouillon de culture du crime, c’est cette ambition déçue.

Du Paty atténue d’un mot, puis d’un autre jette le germe d’un nouveau mensonge : « Quoiqu’il en soit, le capitaine Dreyfus obtint d’être employé comme stagiaire à l’État-Major de l’armée. » Dreyfus n’avait eu à solliciter aucune faveur. Aux termes de la loi, selon le jeu naturel, mécanique, de l’École de guerre, les douze premiers sortants sont employés, dans des fonctions de leurs grades, pendant deux ans, à l’État-Major général. Mais l’arrestation de Dreyfus sera à peine connue que Drumont écrira : « Le vrai coquin, ce n’est pas Dreyfus, c’est ce ministre politicien, familiarisé avec toutes les bassesses (Freycinet), qui, pour complaire à Reinach, installa ce juif dans un bureau, où viennent aboutir les renseignements les plus confidentiels[22]. » Or, je ne connaissais pas Dreyfus, même de vue, et je ne l’avais recommandé ni à Freycinet ni à Miribel.

Du Paty achève ainsi le portrait du prisonnier :

« L’année 1894 arrive. Le capitaine Dreyfus fait la connaissance d’une femme mariée ; — on échange, à l’insu de Mme Dreyfus, une correspondance dont la dernière lettre se termine par ces mots : « À la vie et à la mort ! » Jusqu’où a été cette liaison ? Le capitaine Dreyfus déclare que, s’étant aperçu qu’on en voulait plus à sa bourse qu’à son cœur, il a rompu. A-t-il tout dit ? La bourse a-t-elle résisté aussi bien que, d’après lui, le cœur ? En tout cas, il avoue des liaisons intimes passagères, mais sans préciser, sans citer un nom. Dans un ménage ordonné comme celui de Dreyfus, un trou au budget ne saurait passer inaperçu. Si ce trou a existé à un moment, soit par le jeu, soit par les femmes, comment le boucher ? On a pu se confier à une amie. Il s’en trouve une, ignorée également de la femme légitime. C’est une étrangère : le capitaine Dreyfus la déclare suspecte. Il a même dit qu’elle recevait des espions, mais il a rétracté bien vite cette parole. »

Voilà Coriolan chez Dalila ; la sirène étrangère qui reçoit des espions, l’affole d’amour, exige de l’or, et lui en montre la source abondante et facile : la trahison.

C’était une petite bourgeoise, une dame Déry, Autrichienne, maîtresse « d’un ancien officier, riche industriel, intelligente et instruite, mais ni jeune ni jolie, ayant la charge d’un enfant[23] » ; elle recevait les amis de son amant, des officiers, le commandant Gendron. Dreyfus avait désigné Gendron à Du Paty comme fréquentant, lui aussi, chez la prétendue Dalila.

Mercier vit la précarité de ce réquisitoire. Malgré l’habileté de Du Paty à dénaturer les faits, — et qu’eussent-ils prouvé s’ils avaient été vrais ? quel ambitieux n’eût ressenti quelque amertume d’une déception imméritée ? quel officier n’a pas eu de maîtresse ? — c’était le néant. Rien qu’une expertise contestée, viciée par la fraude ! Quel tribunal condamnerait sur un pareil dossier ?

Si le silence, qu’il avait prescrit, avait été gardé, l’affaire encore eût pu être classée. Mais les indiscrétions continuaient, filtraient de toutes parts. Ce même jour, l’Éclair précisait que le coupable n’était pas un officier supérieur, que l’enquête venait d’être achevée ; la Patrie ajoutait que le traître était « un officier israélite, attaché au ministère de la Guerre », qui aurait tenté de vendre « à l’Italie des documents confidentiels ». Éclair et Patrie rassuraient les consciences : « Accablé par l’évidence, le misérable avait fait des aveux. »

Mercier restait perplexe[24] ; son indécision apparaît dans le texte de la note qu’il envoya, dans la soirée, à l’Agence Havas. Il y convenait de « l’arrestation provisoire d’un officier ». Cet officier était « soupçonné d’avoir communiqué à des étrangers quelques documents peu importants, mais confidentiels ; une solution pourra intervenir à très bref délai ».

Ainsi, non seulement Mercier réduisait l’affaire à de médiocres proportions, mais il marquait, par une dernière révolte d’honneur, que sa conviction définitive n’était point faite, qu’un non-lieu pouvait encore intervenir. Il promettait une solution, mais pas pour le lendemain,

Henry, d’autres aussi, eurent la vision de Dreyfus qui échappait.

V

Le lendemain matin[25], le journal de Drumont lança la bombe.

La manchette de la Libre Parole, en caractères d’affiche, était ainsi rédigée : « Haute trahison. Arrestation de l’officier juif A. Dreyfus. »

Le rédacteur, qui signe « Ct Z. » — Papillaud ou Biot ? — rappelle le premier article de la Libre Parole, reproduit les citations de l’Éclair et de la Patrie, la note de l’Agence Havas, puis, longuement, raconte comment il a reçu, la veille, confirmation « de ce crime inouï ».

L’informateur de la Libre Parole lui avait adressé une nouvelle note plus précise que la première : « L’officier, arrêté pour trahison, appartient à l’État-Major. Mais l’affaire sera étouffée parce que cet officier est juif. Cherchez parmi les Dreyfus, les Mayer, les Lévy. » Le traître, « arrêté depuis quinze jours, a fait des aveux complets ; on a la preuve absolue qu’il a vendu nos secrets à l’Allemagne. Il est au Cherche-Midi, mais pas sous son nom ; on veut le faire réfugier à Mulhouse, où réside sa famille ».

Papillaud n’avait pas eu besoin de chercher parmi les Mayer et les Lévy, puisqu’il savait d’Henry, depuis quatre jours, le nom de Dreyfus. Il racontait, mais sans en donner la date, sa visite au domicile du capitaine. La veille, dans la soirée, il avait vu un député, ancien boulangiste, antisémite notoire, Gauthier (de Clagny), qui lui avait dit : « Il ne sera pas possible, d’après le Code et les lois, de condamner à mort un tel misérable. Nous avons pourtant une consolation. C’est que ce n’est pas un vrai Français qui a commis ce crime. »

Ainsi, dès le premier jour, à la première rumeur, la politique des guerres religieuses, le fanatisme, factice ou sincère, s’emparent de l’affaire, et, sur leur drapeau, inscrivent la formule des jésuites : « Un juif n’est pas un Français. »

D’autres journaux encore, informés par Henry ou par les rédacteurs de la Libre Parole, qui colportaient la bonne nouvelle, nommèrent ou désignèrent Dreyfus ; ils mettaient l’Allemagne en cause, menaçaient Mercier pour avoir parlé d’arrestation provisoire, quand le traître avait avoué[26].

Grande habileté que de répandre, ensemble, la vérité et le mensonge, de publier à la fois l’arrestation de Dreyfus et ses aveux. La nouvelle vraie, qui sera confirmée, authentique la fausse. Du même coup, le forfait est révélé et avéré, puisqu’il est avoué par son auteur.

Le ministre des Finances, Poincaré, avait été tenu à l’écart des préliminaires de l’affaire. Il apprit l’arrestation de Dreyfus par la lecture des journaux[27]. Il téléphona aussitôt à Mercier et à Dupuy. Bien que ce fût jour de fête (la Toussaint), le Conseil de cabinet fut convoqué d’urgence au ministère de l’Intérieur. Tous les ministres, sauf Félix Faure et Viger, y assistèrent[28].

Les ministres, qui n’avaient pas été convoqués aux premiers conciliabules, s’en plaignirent. Hanotaux rappela les objections d’ordre international, qu’il avait fait valoir auprès du Président de la République et du président du Conseil, que le ministre de la Guerre avait repoussées.

Mercier avait lu la Libre Parole ; il en fut irrité, mais n’ordonna aucune enquête sur l’origine de l’indiscrétion[29] et, tout de suite, il prit son parti. Depuis la veille au soir, où, de sa propre main, il a écrit que l’arrestation de l’inculpé était provisoire, l’enquête judiciaire ne s’est pas accrue d’une présomption ; c’est le même dossier qui est sur sa table. Seulement, Drumont a parlé ; ce sont les oracles de Mercier.

Il porta au Conseil le bordereau, le commenta, et, dans son exposé, fut âprement affirmatif, trancha, répondit à tout. Aucune affaire plus simple, plus claire. Il raconta, à sa façon, les expertises. Les documents visés dans la pièce accusatrice n’avaient pu être livrés que par Dreyfus. Seul, Dreyfus les avait connus ; seul, il les avait détenus. Seul il avait pu les vendre[30]. Mercier dit aussi la prétendue épreuve de la dictée, le visage du misérable « trahissant une émotion extrême à l’énumération des documents du bordereau », le tremblement de sa main et de son écriture.

Il attribua le crime aux déceptions éprouvées par l’ambitieux[31]. Aucune autre pièce ne fut montrée ; il ne fut question d’aucune autre preuve[32].

Plusieurs ministres tenaient Mercier pour incapable, maladroit, et d’une présomptueuse sottise ; aucun ne suspectait sa parole. Tous eussent repoussé avec horreur l’idée qu’il aurait pu charger un innocent, mentir dans des circonstances aussi tragiques, quand l’honneur d’un homme, d’un officier, était en cause. Auraient-ils demandé d’autres preuves s’il ne s’était pas agi d’un juif, si l’opinion n’avait pas été saisie par la Libre Parole ?

Les poursuites contre Dreyfus, l’ouverture d’une instruction judiciaire furent décidées à l’unanimité[33].

Dupuy et Mercier se rendirent aussitôt à l’Élysée ; ils informèrent Casimir-Perier qui, n’ayant pas assisté au Conseil, n’avait eu à intervenir ni dans le débat ni dans la décision[34].

Dès le lendemain, Mercier transmit le dossier au gouverneur de Paris[35] ; le 3, Saussier donna l’ordre d’informer, et chargea de l’instruction le commandant Bexon d’Ormescheville, rapporteur près le 1er conseil de Guerre.

VI

La veille de ce jour où la Libre Parole nomma Dreyfus, Du Paty, sur une nouvelle demande de Mme Dreyfus, l’avait autorisée à prévenir les frères de son mari[36]. Il avait vu « des figures suspectes rôder autour de la prison » ; le secret ne lui paraissait pas devoir être gardé plus longtemps. Elle télégraphia aussitôt à son beau-frère Mathieu, qui était à Mulhouse, de venir tout de suite.

Mathieu crut à un accident, prit le premier train. Il arriva le 1er novembre au matin à Paris. Sa belle-sœur l’attendait à la gare, lui conta le drame.

Son frère n’était pas qu’un frère pour lui ; c’était l’ami de son cœur, l’ami d’élection. Aucune intimité plus étroite. Leurs deux vies n’avaient fait qu’une seule vie. Mathieu, lui aussi, avait rêvé du métier militaire. Découragé par un premier échec, il s’était résigné à suivre la carrière paternelle, dirigeait avec ses autres frères, Jacques et Léon, les usines de Mulhouse. Mais il avait gardé un goût très vif des choses de l’armée, se plaisait avec les officiers qui étaient les amis de son frère. Son patriotisme de protestataire alsacien n’était pas moins ardent.

Il fut atterré, mais n’eut pas un doute. Il y avait là quelque affreuse erreur qu’il aurait vite éclaircie.

Les vendeurs de journaux criaient, dans la rue, la grande nouvelle, l’arrestation de l’officier juif Dreyfus. Il crut rêver. Il lui semblait que les passants le regardaient, que les murs, les pierres, criaient les mots de trahison et de crime.

Du Paty, qui connaissait l’irrévocable décision de Mercier, avait adressé, le matin même, par une cruauté gratuite, cette note à Mme Dreyfus : « Il y a encore de l’espoir. Le Conseil des ministres se réunit ce matin. Je passerai dans la journée. »

Mathieu envoya l’un de ses neveux à Du Paty pour lui demander un entretien. Du Paty consentit, fixa l’heure, dans l’après-midi, chez Mme Dreyfus. Il fit au jeune homme un long discours. Il savait l’honorabilité de sa famille, mais le capitaine, son oncle, était un misérable. Il avait une maîtresse : « Celui qui commet un adultère est capable de trahir son pays. » S’exaltant, se posant en exemple, Du Paty racontait son enquête, les deux jours et les deux nuits qu’il avait passés, au début, à étudier la cause ; il était descendu au fond de sa conscience, avait évoqué les leçons de son père et de son grand-père. Il montrait, par une réminiscence classique, leurs portraits. « Voici mon grand-père ; premier président à Bordeaux, il descendit de son siège pour se consacrera à la défense de trois hommes, injustement condamnés, et il les sauva du supplice. En gage de reconnaissance, ils lui donnèrent cette coupe, l’un de mes plus chers souvenirs. »

Et c’était vrai. Par un de ces jeux où se complaît l’histoire, il était le petit-fils du président Mercier du Paty, l’auteur du fameux mémoire « pour trois hommes condamnés à la roue ». Cet émule de Voltaire avait lutté deux ans[37] contre l’inique chose jugée, soutenu par les philosophes, bravant les injures, les sarcasmes : « De quoi se mêle M. Du Paty ? est-il avocat ? est-il juge ? est-il intéressé dans la cause ?… Eh ! quoi ! il faut être avocat ou juge pour défendre les opprimés ? Ne suffit-il pas d’être homme ? L’ordre des citoyens est avant celui des avocats ; le jugement de la voix publique est le premier des jugements[38]. » Les mémoires furent brûlés par la main du bourreau, en place de grève. Finalement, il triompha dans une apothéose : Bradier, Simare et Lardoise furent absous par une sentence du bailliage de Rouen.

Le jeune homme essaya de plaider la cause du capitaine ; l’adultère, s’il avait été commis, n’entraînait pas forcément le crime ignoble de trahison. Du Paty désigna de l’index le milieu de son front : « Votre oncle aurait dû se tuer. »

Un peu plus tard, il arriva, escorté de Gribelin, chez Mme Dreyfus, qui se retira, le laissant avec Mathieu. Il recommença son discours ; le capitaine était un monstre et un fou, les charges accablantes, il était entré dans la voie des aveux. Mathieu eut l’impression que le fol, c’était ce juge. Il lui tint tête, énergique, de grand sang-froid, attestant l’impossibilité morale d’un tel crime. Du Paty déclamait : « Nulle tâche plus terrible que celle qui lui avait été imposée. Du premier coup d’œil, il avait reconnu l’écriture de l’accusé dans les pièces et lettres anonymes qui prouvaient la trahison. Dès que le crime avait été connu au ministère, tous avaient nommé Dreyfus. » Il évoqua encore une fois ses aïeux.

Mathieu lui fit cette proposition : « Laissez-moi pénétrer auprès de mon frère. Vous réglerez vous-même les conditions de l’épreuve. Je les accepte toutes. Vous assisterez, derrière un rideau, à notre entretien. Pas un mot, pas un geste ne vous échappera. Si, dans une heure de folie, par impossible, il a commis une imprudence, il me dira tout, à moi, à moi seul, et moi-même je lui mettrai le pistolet dans les mains ». Du Paty cria : « Jamais ! jamais ! un mot, un seul, ce serait la guerre, une guerre européenne[39]. »

Et Dreyfus resta muré dans sa cellule, au secret, sans communication avec les siens, déjà hors du monde,

VII

Au dehors, la tempête sévissait.

Du premier jour, et partout, l’accusé, — qui toujours doit être présumé innocent, — est déclaré coupable.

Pourquoi cette conviction instantanée, universelle, cette justice sommaire, tumultueuse, féroce, qui décide du crime sur le seul fait de l’accusation ? Pourquoi Dreyfus, à peine nommé, est-il le traître ?

Pour beaucoup, parce qu’il est juif. Israël, c’est Judas. Cet article de foi suffit. Le droit du chrétien : être innocent jusqu’à la condamnation, n’appartient pas au juif. Le juif a livré Christ, il a tué Dieu. Il tue la Patrie.

Pour tous les autres, parce que le ministre de la Guerre a parlé. Le chef, qui, sans preuve, ferait arrêter pour trahison un officier, serait plus infâme que le traître lui-même. La tradition française veut que l’honneur par excellence, ce soit l’honneur militaire.

Ces deux torrents, grossis par l’orage, déborderont, mêleront leurs eaux. Mais, au début, ils roulent séparément, d’un même flot emporté, sous la pluie de mensonges, dans un même fracas qui remplit tout l’air.

Joie furieuse de tous les ennemis des juifs, acharnés, depuis tant d’années, à les charger de tous les crimes, de tous les malheurs publics, à les chasser de l’armée. Qui osera leur arracher cette proie ? Et colère folle de toute cette foule, si violemment éprise de son armée, hallucinée, depuis ses désastres, à croire aux plans et aux engins mystérieux qui donnent la victoire, habituée aussi, depuis des siècles, à imputer ses défaites à la trahison qui explique tout. Qui osera défendre l’accusé, sans accuser le ministre, sans excuser le crime ?

Les peuples vainqueurs ont la fierté de leurs soldats, mais craignent l’insolence de leur orgueil. Toujours quelque bouffon suit le char de triomphe. Sur l’amour des vaincus pour leur armée il n’y a pas une ombre. Le Gloria victis a fondé le culte d’un pernicieux mensonge, qui détourne du viril devoir, endort la vengeance. Mais il s’inspire d’une sainte piété. Cette piété est, au fond des cœurs, reconnaissance pour l’héroïque passé, espoir dans l’avenir.

On eût pu suspecter un soldat accusant un civil, mais un camarade ! La solidarité des militaires n’est que légende. En tout cas, la solidarité de ces brillants officiers d’État-Major s’arrête au fils de Sem. Ce peuple ne connaît pas ses propres préjugés, endormis, mais vivants : comment les soupçonnerait-il chez les chefs de son armée ? Il lit sur tous ses monuments : Égalité, Fraternité ; il pense avoir fait de la devise le principe de ses actes. Et, déjà, la haine du Juif, consciente ou latente, lui ôte son sang-froid, sa claire raison, entame sa vieille générosité.

En d’autres temps, le crime, avéré, d’un officier eût été pour tous une cause de tristesse. Quoi ! un Français, un soldat a trahi ! Le drapeau, de lui-même, se serait replié contre la hampe ; de pieuses mains, pour une heure, l’auraient voilé d’un crêpe.

Et l’âme chrétienne, l’âme de l’Évangile et de l’Imitation, est le temple de la pitié. Pitié pour tous, pour le malheureux, pour le plus malheureux des malheureux, pour le méchant ! L’amour infini, la miséricorde infinie, qui sont toute la religion du Nazaréen, ont embaumé le monde, il y a dix-neuf siècles. Ce qui en est resté suffit à consoler de leurs maux des millions d’êtres humains.

Pourquoi n’entend-on aujourd’hui que des cris de haine ? Quelque chose serait-il changé dans l’âme française ?

D’autres altérations vont y apparaître, chaque jour, tout le long de cette tragédie qui clôture le siècle. Voltaire ne reconnaîtra plus les siens, ni Vincent de Paul.

Un phénomène, si grave, ne saurait avoir une seule cause. Il en a plusieurs qui vont se dévoiler d’elles-mêmes, à travers les événements, aux yeux du spectateur. La principale, celle qu’il convient de nommer ici, sans plus attendre, c’est le jésuitisme.

Depuis cinquante ans, il s’identifie de plus en plus avec le catholicisme. Depuis que les générations, qui lui ont été livrées par la loi Falloux, sont arrivées à la vie publique, il a passé de l’Église, sinon encore dans l’État, du moins dans le tempérament des classes dirigeantes. Depuis dix ans, par le livre et par la presse, il pénètre dans le peuple, qui, jusque-là, avait échappé à la contagion.

Du jour où il est né sur la colline de Montmartre, le jésuitisme a voulu régner sur la France. Vingt fois, sous la monarchie déjà, il a cru la saisir. Chaque fois, au contact de la mortelle étreinte, elle s’est révoltée, échappant d’un grand bond. Elle n’a eu, pour reconnaître le danger, qu’à regarder autour d’elle. Sitôt que le jésuite a pris un peuple, ce peuple en est mort : Espagne, Pologne, Portugal, Paraguay. Son triomphe, son progrès même, c’est partout le signal d’une double décadence, physique et morale, appauvrissement et diminution de la race, affaiblissement de la moralité et du cerveau.

C’est un fait. Les preuves sont là : ces ruines, ces tombeaux.

Mais rien ne décourage le Jésuite. Après Pascal, après la Révolution, il reprend la lutte pour la conquête de la France. Milice de l’Église, il participe de l’éternelle patience. À peine vaincu, il se remet à l’œuvre ; chassé, il rentre, s’insinue, empoisonne les sources, la source des sources, l’esprit.

Il est rentré en France ; depuis longtemps déjà, son travail y avance. Dès 1873, l’un de nos prophètes républicains, Quinet, a écrit ces lignes : « J’ai trop vu la vérité étouffée, le faux honoré, le mensonge acclamé. Cela doit-il durer toujours ? De grâce, épargnez-moi au moins de voir, pour couronnement du siècle, une république jésuitique[40]. »

Tant que les partis monarchiques et cléricaux avaient gardé l’espoir de restaurer le trône et l’autel sur le trône, les juifs furent ménagés. Les plus riches d’entre eux courtisaient l’aristocratie, achetaient, à prix d’or, l’honneur de frayer avec elle, subventionnaient les entreprises des prétendants et les « bonnes œuvres ». Mais, dès que la République triomphante décida de laïciser l’école et porta des regards curieux sur l’énorme fortune des moines, l’Église se souvint du vieil expédient, si simple, qui, tant de fois déjà, l’avait préservée de la colère du peuple[41], Elle la détourna sur les juifs.

Les congrégations, — la Congrégation par excellence, la Société de Jésus, — avaient trouvé en Drumont un homme à tout faire. D’extraction juive peut-être, au type juif prononcé, celui du colporteur hirsute et crasseux des images d’Épinal, haineux, avide, écrivain incorrect, mais intarissable et puissant, il peinait, depuis des années, sans se faire jour, en d’obscures besognes[42], et traînait le souvenir d’une louche association de presse, dans les derniers temps de l’Empire, avec un mouchard[43]. En 1885, il se donna aux jésuites, comme jadis le fameux Pfefferkorn (Grain de poivre) aux Dominicains de Cologne, et ils le lancèrent en avant, faisant sa fortune, d’abord avec un livre, la France juive, dont le succès dépassa leur espérance, puis, avec un journal armé en corsaire, la Libre Parole[44].

La première campagne de Drumont dans son journal fut dirigée contre les officiers juifs[45]. Il y eut plusieurs collaborateurs, un joueur ruiné, bretteur émérite, le marquis de Morès, et un officier, demeuré inconnu, dont un nommé De Lamase signa les articles. Depuis quelque temps, les jésuites s’inquiétaient du nombre croissant des juifs qui, par l’École de Saint-Cyr et l’École polytechnique, entraient dans l’armée, faisaient concurrence à leurs élèves. La Libre Parole les dénonça, en bloc, comme les artisans des futures trahisons[46]. L’un d’eux, Crémieu-Foa, releva le gant, provoqua Drumont et Lamase, se battit avec eux. Un autre, Mayer, Alsacien, de grandes espérances, fut tué par Morès. L’indignation fut générale. Drumont, ayant glissé dans le sang, arrêta les polémiques contre « les officiers juifs dans l’armée ».

Maintenant, du premier coup d’œil, le Jésuite a vu les lointaines conséquences du crime présumé de Dreyfus. Ce crime, s’il devient la vérité légale, abîmera, sous lui, toute la race maudite, la première que, partout où il veut régner, il cherche à exterminer. Ce sera ensuite le tour des autres hérétiques, protestants, libres penseurs. Alors, il aura remporté la plus grande de ses victoires. Du Sacré-Cœur, qui domine déjà Paris, il tiendra la France, devenue Espagne,

S’il se fait, par excellence, le vengeur de ce crime, sa cause devient celle du sabre. Le sabre se met à son service. S’il opère la transfusion de son sang, de ses haines, dans les veines du peuple, ce peuple est à lui.

Ce crime est un don du ciel. Il porte en lui l’avenir. Malheur à qui, — juge, témoin, ministre, passant, — refuse de proclamer le miracle !

VIII

Henry, d’un obscur mais sûr instinct, ne s’y est pas trompé : il a donné le nom de Dreyfus au journal des jésuites, à Drumont.

Leur premier intérêt, son intérêt unique se confondent : il faut que le juif soupçonné soit condamné, qu’il soit le traître.

Et, pour qu’il soit condamné par les juges, il faut qu’il le soit, d’abord, par le peuple.

La presse moderne n’est pas le chœur de la tragédie antique qui dit les pensées du peuple ; elle les fait.

Donc, pour faire l’opinion, on remplira la presse de mensonges. Point d’œuvre plus facile. Il suffira à Henry de faire parvenir à ses amis des journaux quelques fausses confidences. Il a, pour cela, des agents de choix, employés civils de la guerre ou de sa propre police[47]. D’autres officiers parleront, sans qu’il les y excite, parce qu’ils ont, eux aussi, la haine de l’Infidèle, ou pour ne pas sembler ignorer les secrets du drame. Ils répètent ce qu’ils tiennent d’Henry, de Bertin, de Du Paty, et y ajoutent. Le moindre propos, chuchoté dans l’oreille d’un camarade ou d’un ami, arrive, au bout d’une heure, grossi en route, dans quelque bureau de rédaction. L’imagination des gazetiers achèvera de transformer ce crime, imbécile escroquerie d’un espion aux abois, en la trahison la plus monstrueuse de l’histoire.

Le niveau de la presse avait beaucoup baissé sous la liberté illimitée et soudaine. Beaucoup de journaux s’étaient fait une habitude de la violence et du mensonge. L’injure finira par lasser, par mettre le lecteur sur ses gardes. Comment se défendra-t-il contre l’information inexacte, volontairement fausse ?

Déjà le Gaulois de César allait au-devant des nouvelles. Le Français n’en est pas moins friand. Par métier, par désir d’étonner ou de plaire, le donneur de nouvelles n’est point réservé ou scrupuleux. La presse centuple sa puissance. En quelques heures, le mensonge parvient à des milliers de lecteurs avides, s’enfonce, comme un clou, dans les cerveaux. Pour une fin sainte et patriotique, comment négliger une telle force ?

L’esprit fruste résiste au fait qui déplaît ; le fait qui flatte est accueilli avec joie, sans contrôle. La critique hésite devant une information isolée, dite par un seul ; mais cent bouches annoncent la même nouvelle ; les mêmes mensonges sont partout, sortis de la même officine : qui est assez sain pour résister à la contagion, défier l’épidémie ?

Depuis des années, l’atmosphère est chargée de soupçons, infectée de scandales. Les poumons ont désappris l’air pur. Dans cette Venise démocratique qu’est devenue la République française, la délation est embusquée à tous les carrefours ; nul n’échappe au soupçon : tout est corrompu, gâté, pourri. Une turpitude nouvelle n’est pas plus tôt révélée ou inventée, qu’elle trouve partout créance. Quelqu’un la met-il en doute ? C’est un complice.

Rochefort, surtout Drumont, ont acclimaté ces mœurs. Ils ont entrepris l’empoisonnement systématique de l’esprit public. Cependant, leur éternelle colère enlève à leurs éternels mensonges quelque chose de leur action persuasive. Mais quelle âme pieuse se défiera de la Croix qu’orne l’image du Crucifié ? Quelle âme simple suspectera le Petit Journal, qui se prétend étranger aux partis politiques, ne poursuit qu’un but : informer ses lecteurs, et, tirant à plus d’un million d’exemplaires, va partout, chez les humbles, surtout chez le petit peuple, et pétrit l’opinion des foules, comme un potier la glaise ? Or, la Croix est aux Pères Assomptionnistes ; et Henry renseigne Judet[48].

Il reste des journaux honnêtes, qui auraient horreur de tromper sciemment la confiance du peuple ; mais la fièvre d’information à outrance les gagne, ou la peur les prendra, intimidés ou lâches, de paraître résister au courant, pécher par tiédeur, d’être vendus aux juifs. Les plus hardis enregistrent les bruits, impartialement, comme des faits. À cette heure, où leur voix serait encore entendue, plus forte que la tempête qui se forme, la barbarie renaissante de l’antisémitisme les trouve muets. Drumont surveille, — comme jadis, sous la Terreur, Marat.

IX

Comment le peuple, dès lors, eût-il douté, de la culpabilité du juste ? D’abord, le gouvernement semble l’affirmer : il a attendu quinze jours avant d’annoncer l’arrestation du traître, l’ouverture d’une instruction ; donc, la longue enquête secrète a fourni des preuves écrasantes ; l’État-Major, les ministres les ont pesées, avant de déchaîner ce scandale, de jeter sur l’armée cette tache de boue. Et les faits mêmes de la trahison, précis, recueillis de bouches autorisées, qu’aucun démenti ne vient frapper, remplissent les colonnes des journaux, non seulement des journaux du parti prêtre, des jésuites, mais de tous les autres qui répètent, les uns comme les autres, les mensonges intéressés et les commérages. L’innombrable presse de province répète à son tour et amplifie.

En moins de huit jours, des millions de lecteurs, toute la France saura, par le menu, l’histoire détaillée de la plus effroyable trahison de tous les temps.

Ce n’était pas la première affaire d’espionnage qui eût éclaté depuis vingt ans ; déjà, d’autres espions avaient été découverts, condamnés. Mais c’étaient d’obscurs sous-ordres, soldats ou caporaux besoigneux, un seul adjudant perdu de dettes. L’accusé d’aujourd’hui est un officier d’un grade élevé, sortant d’une grande école, attaché à l’État-Major. Il était naturel que l’émotion fût en proportion du grade, du rang social, des hautes fonctions occupées.

Et, aussi, de la gravité du crime. La seule note officielle, du 31 octobre, ne mentionne « qu’une communication de documents confidentiels, mais peu importants ». L’opinion, restée en présence de cette seule note, n’eût pas pris peur. Ne prenant pas peur, elle eût réfléchi. Peut-être eût-elle été retournée, comme d’une saute de vent, si elle avait appris dès lors quelle était l’unique pièce du procès, déniée par l’accusé, divisant les experts.

Cela, qu’il n’y avait aucun inconvénient à dire, qu’il eût été équitable de faire connaître, Mercier le cachait. Seuls, les ministres le savaient, mais murés dans une réserve qui accroissait l’inquiétude. Et toutes précautions étaient prises pour que rien ne transpirât de la vérité. Dreyfus, au Cherche-Midi, restait au secret absolu. Il y restera pendant plus d’un mois, jusqu’au 4 décembre. Alors, seulement, son avocat verra le dossier. Tout ce temps, son frère, ses proches, ne savent rien de l’inculpation, se perdent en conjectures sans fin.

Ce silence de Mercier, à l’heure où la curiosité est la plus excitée, centuple les avantages des ennemis du juif ou des juifs. La presse va faire de Dreyfus un tel monstre, un traître si prodigieux, unique dans l’histoire, que l’opinion, quand elle apprendra enfin la simple vérité, refusera d’y croire. Elle se persuadera que, pour de mystérieuses ou terribles raisons, le ministre ne peut lever qu’un petit coin du voile. La disproportion est telle entre la masse des crimes imputés au misérable, entre cette montagne d’atroces légendes devenues certitudes dans l’âme populaire, et le chiffon de papier, seule charge contre lui, que Mercier, à l’heure du procès, n’osera faire connaître publiquement la pitoyable accusation. Elle s’effondrerait, rien que sous le contraste, dans son néant.

Cette première image d’un homme que se crée le peuple, médaille fondue au creuset de la haine, d’une matière impérissable, reste fixée dans son cerveau. Elle ne s’en effacera pas, ou il y faudra des années, une révolution.

X

Maintenant, à qui eût exprimé un doute, tous avaient à répondre par cent faits avérés, imprimés partout, point démentis, les uns plus affreux que les autres. Il est certain que Dreyfus a vendu ses services à la fois à l’Italie et à l’Allemagne ; il a trahi pour de l’argent[49]. Il ne fut arrêté « qu’après avoir subi un long interrogatoire du général de Boisdeffre lui-même[50] ». Boisdeffre en a déposé[51]. L’enquête avait été conduite avec le plus grand soin, à Nancy et à Nice, par Cochefert ; à Paris, par le commandant Henry, « chef du bureau des renseignements[52] ».

Dreyfus avait commencé par s’aboucher avec un officier italien qui lui avait livré, pour un peu d’argent, des pièces sans importance. Ainsi amorcé, il avait remis à ce même Italien d’autres pièces d’amorçage, et s’était fait payer. Alors, le goût du métier lui était venu. Les plans, tous les documents qu’il avait pu se procurer, il en avait trafiqué, « les plans de mobilisation du XVe corps, série C, ceux du fort de Briançon et des points offensifs dans les Alpes[53] ».

C’était le secret même de la mobilisation « qu’il avait vendu à l’Allemagne[54] ».

Rochefort tient ces renseignements « d’un attaché du ministère de la Guerre qu’il a vu à Bruxelles[55] ».

Quand Mercier « fait dire que les documents vendus sont de peu d’importance », Rochefort et Drumont sont en mesure de le démentir. Si les pièces étaient sans importance pour la mobilisation, la Triple Alliance n’aurait pas été assez naïve pour les acheter. On n’en connaît ni la nature ni le nombre, « attendu qu’après les avoir communiquées à l’Allemagne, le Dreyfus les replaçait, mystérieusement, dans leurs cartons[56] ».

Il était donc le grand maître de l’État-Major ? Les trois millions de lecteurs du Petit Journal savent, par Judet, que « le grade de Dreyfus, son poste, les affaires d’une importance capitale dont il était chargé, les pièces, les dossiers dont il avait la clef, lui donnaient le moyen de servir utilement l’ennemi, de faire à la France un mal irréparable[57] ». « Si la guerre eût éclaté, il fût resté l’homme de confiance du ministère, envoyant ses frères d’armes à la mort, dans des embûches préparées par ses soins[58] ».

On a saisi ses lettres au colonel de Schwarzkoppen[59]. Juif errant de l’espionnage, on l’a vu partout, poursuivant son œuvre, à Monaco, à Rome, à Bruxelles à Pétersbourg, dans toutes les villes frontières comme dans toutes les capitales de l’Europe.

Il n’a pas vendu que la mobilisation, mais encore l’horaire, c’est-à-dire la marche des trains de mobilisation et de concentration, notamment sur la ligne de l’Est[60]. Pour refaire l’horaire, il faudra trois ans.

C’est l’accusation portée par Bertin-Mourot contre Dreyfus. L’information relative à la défense des Alpes vient de quelqu’un qui a eu connaissance de la pièce, Canaille de D…, évidemment d’Henry.

Enfin, dans sa rage de trahison, il n’avait pas livré seulement les plans, mais aussi les hommes, les officiers envoyés en mission secrète, à l’étranger, par le ministre de la Guerre[61]. Le général Riu, député d’Indre-et-Loire, l’atteste à un rédacteur de la Libre Parole : « Il n’y a pas de doute ; il a livré à l’ennemi le nom de ses camarades. Il les vouait ainsi à une condamnation certaine, à la prison, à la mort peut-être. Ce crime est le plus lâche, le plus immonde qu’on puisse imaginer[62]. » Les journaux précisent. C’est Dreyfus qui a dénoncé à l’Italie le capitaine Romani[63] ; à l’Allemagne, les deux officiers de marine, Degouy et Delguey-Malavas, arrêtés, en 1898, à Kiel[64], et Mme Ismert, détenue encore à Metz[65], et tant d’autres. Au surplus, il en a fait l’aveu[66].

Donc, tous les actes de trahison et d’espionnage dont les auteurs sont restés inconnus, et ce crime imaginaire, la prétendue dénonciation de nos officiers à l’étranger, c’est Dreyfus qui les a commis. Ce bloc énorme est sur lui, un monde de forfaits. Il n’est pas un espion comme dix autres. Bonnet, Châtelain, des chrétiens qui n’ont livré que des bagatelles. Il est le génie infernal de la trahison, le Traître.

Pourtant, quoi qu’on fasse, il viendra un jour où Dreyfus criera publiquement son innocence. Grave danger ! Pour que ce cri se perde alors, clameur de comédie, dans une huée formidable d’incrédulité, on en fera, par avance, un mensonge ; on imprime tous les jours, comme on l’a annoncé dès le premier, que le scélérat a confessé son crime, fait des aveux complets. Tous les journaux le répètent[67] ; le fait est acquis.

Des fâcheux demanderont quel mobile a pu pousser au crime cet officier instruit, intelligent, riche. Est-il si riche ? La Libre Parole insinue qu’on exagère sa fortune. À l’en croire, d’ordinaire, les juifs détiennent tout l’or du monde ; mais Dreyfus jouit à peine d’une modique aisance. « On voudrait accréditer que ce n’est pas pour de l’argent qu’il a trahi. On habituera le public à ne voir en lui qu’un aliéné, un passionnel, un malade. Son forfait ne serait plus que l’acte d’un fou[68]. » La Croix insiste : « Sa femme a montré qu’elle avait quatre cent mille francs comptants le jour de l’arrestation. On ne s’occupe même pas d’affirmer que ce magot extraordinaire ne vient pas de Berlin[69]. » Cela est signé : « Le Moine. »

« Il n’est pas riche ; il est joueur[70]. » « Il dépensait beaucoup[71]. » « Il était connu comme un joueur effréné[72]. » On raconte ses habitudes de cercle, sa bravoure au baccara. C’est le rapport de Guénée à Henry qui a filtré. « Joueur effréné, bourreau d’argent[73]. »

L’or du crime se perd dans ces deux gouffres insondables : le jeu, les femmes. Une espionne italienne, de noble famille, admirablement belle, l’avait connu à Nice » C’est pour elle qu’il a trahi[74].

Au surplus, aigri par les déceptions, envieux, plein de haine pour ses chefs et pour la France. Alsacien, Allemand ! C’est le premier coup de poignard dans le cœur de l’Alsace. Et, six ans durant, les patriotes de profession vont retourner le poignard dans la plaie, « Il est entré dans l’armée avec le dessein prémédité de la trahir[75]. » « À peine relâché, il ira prendre un commandement dans l’armée allemande[76]. » « Il déteste les Français en tant que juif et Allemand… Allemand de goût et d’éducation, juif de race, il a fait œuvre d’Allemand et de juif, pas autre chose[77]. »

Ailleurs : « Ceux qui l’ont approché de près l’ont souvent entendu exprimer son antipathie pour notre armée. Il n’avait d’admiration que pour l’armée allemande. Il répétait volontiers que l’on devrait traiter, en France, les soldats comme on les traite au delà du Rhin, à coups de pied, à coups de poing. » Ce sont là quelques traits principaux du portrait d’Esterhazy. On dirait qu’Henry, par gageure, s’est amusé à décrire Dreyfus sous les traits de son ami[78].

Le crime est si avéré qu’on discute déjà du châtiment ; il n’est plus question que de choisir, entre divers supplices, celui auquel on va livrer le traître. « Qu’on le fusille[79] ! » crie le général Riu ; c’est aussi l’avis de Cluseret, l’ancien ministre de la Commune. Millevoye clame : « Il faut qu’il meure[80] ! » Bec, dit Bonamour : « Qu’on le fusille et qu’on se taise[81] ! »

Quand les juristes révèlent que la loi tient la trahison pour un crime politique, et que dès lors la peine de mort n’est pas applicable, c’est une désolation. Cette presse de sang éclate en cris de fureur, maudit la Constitution de 1848 qui a aboli la peine de mort en matière politique.

Cent journaux reproduisent le récit du supplice qu’a subi, en Chine, le capitaine Tso, accusé d’avoir renseigné un général japonais, « exemple salutaire à ceux qui tenteront de l’imiter ». Le bourreau lui a brûlé les paupières avec un tisonnier rougi, arraché la langue, mis le feu à ses mains et à ses pieds enduits de goudron, écrasé le nez, brisé les dents à coups de marteau et donné un lavement avec une seringue remplie d’huile bouillante. « Le traître expire alors et l’on jette son corps, devenu une loque sanglante, au charnier. » Un lecteur du Petit Journal propose de mettre Dreyfus « dans une cage de fer, comme une bête fauve », et de le faire passer ainsi devant les régiments, avant de le fusiller[82].

Ce peuple, aimable et bon, rapprend, avec la haine, la férocité. Dès que le fanatisme y rentre, l’âme redevient une caverne d’animaux de proie.

Comment cet être abject, portant sur son visage toute la vilenie de sa race, a-t-il pu être appelé au bureau le plus important de l’État-Major ? « Il était le protégé de Reinach[83]. » « Il est l’ami, le protégé de Joseph Reinach, le forgeron des justes lois pour conduire à la mort un général glorieux qui inquiétait Bismarck[84]. »

Le général Riu[85] en donne sa parole. « Reinach a amené Dreyfus au général de Miribel, lui aussi protecteur avéré des juifs, allié à une famille juive de Carlsruhe[86]. » « Personne n’ignore, écrit Rochefort, que Reinach est resté le fidèle sujet du roi de Prusse[87]. » Dreyfus était aussi le protégé, le parent des Rothschild[88]. Et Casimir-Perier, Dupuy, Mercier, ne sont que « les huissiers de Rothschild et de Reinach[89] ». La presse cléricale reprend ce thème, toutes les Croix et de nombreux socialistes… « Dreyfus est l’agent de ce pouvoir occulte, de cette haute juiverie internationale, qui a décidé la ruine des Français et l’accaparement de la terre de France[90]. »

« Les juifs comme lui, écrit Drumont, ne sont probablement que des espions en sous-ordre qui travaillent pour les financiers Israélites ; ils sont les rouages du grand complot juif qui nous livrerait, pieds et poings liés, à l’ennemi, si on ne se décidait, au moment où la guerre deviendra imminente, à prendre des mesures de salut public[91]. »

Quelles mesures ? Le massacre, des Vêpres juives, la Saint-Barthélémy d’Israël.

Drumont ne prend même pas la peine de voiler sous la rhétorique cet appel aux Maillotins, aux massacreurs : « Si quelque défaite se produisait, ce mot : les juifs ! ce sont les juifs ! reprendra la signification véridique et terrible qu’il avait pour les juifs d’autrefois. Il résume toutes les indignations et justifie tous les entraînements. Quelques innocents se trouveront peut-être confondus avec les coupables… »

En attendant, il faut exclure les juifs non seulement de l’armée, mais de la cité elle-même. « Que le tsar avait l’intelligence de la situation quand il les excluait en masse de son armée et de son empire[92] ! »

Et tout cela, avec cent lazzis, sur un ton de lyrisme goguenard : quelle aubaine que ce crime ! « Ce fait est assurément l’un des plus considérables de ce temps[93]. » La joie, une joie féroce, éclate et crève sous toutes les métaphores patriotiques des moines du Pèlerin et de la Croix, des journalistes de robe courte, des bas journalistes à qui tel juif a refusé (ou prêté) cinq louis.

Ainsi recommence la campagne contre les officiers juifs, interrompue par la mort du capitaine Mayer ; elle éclate, le même jour[94], dans vingt journaux, pour ne plus cesser. D’autant plus perfide que Drumont, Judet, le moine de la Croix plaident cette circonstance atténuante pour Dreyfus : la tare héréditaire, la malédiction qui pèse sur la race. « La conversion seule, et non le Code civil, peut effacer la malédiction[95]. » « C’est l’ennemi juif trahissant la France[96]. » « C’est la fatalité du type[97]. » « Le juif n’est qu’un mélange de voleur, de ruffian et de porc[98]. » « Tout juif trahit celui qui l’emploie[99]. » Drumont prête ce discours aux juifs : « Pourquoi, ô chrétiens ! avez-vous rompu avec les traditions de vos ancêtres ? Pourquoi confiez-vous vos secrets à ceux qui vous trahissent toujours ? » Il intitule cet article : « L’espionnage juif. » Le Petit Journal, dont le principal administrateur est un juif[100], écrit : « Le peuple renie Dreyfus comme compatriote… La nation entière désespérerait de l’avenir, si elle se figurait qu’un Français, de lignée indiscutable, est descendu aux bassesses ignobles, dont l’atavisme de Dreyfus n’a peut-être pas deviné toute l’horreur. » L’article est intitulé : « Ce n’est pas un Français[101]. » Et encore Drumont : « Cet homme fait du commerce, comme tous les fils de Sem. Vous le fusilleriez par derrière, après l’avoir souffleté avec ses épaulettes, que vous ne parviendriez pas à lui mettre dans le cerveau des idées qu’il n’a pas sur l’Honneur, sur le Devoir, sur la Patrie, qui sont des legs et des transmissions d’innombrables générations. Cela ne s’improvise pas[102]. » La Libre Parole publie les tables de proscription, la liste des officiers juifs, dans les armées de terre et de mer. Et le moine ivre de la Croix : « Quoi ! le déicide, dont ils portent la malédiction perpétuelle, ne toucherait plus notre génération ? »

La contagion du fanatisme fut si rapide, que, dans plus de la moitié de la France, où nul écho jusqu’alors n’avait répondu aux excitations de Drumont et des jésuites, la haine contre les juifs éclata aussitôt[103]. Les paysans abordaient les députés : « Quand nous délivrerez-vous des juifs ? »

La poussée d’antisémitisme, faible jusqu’alors, paraît incompressible ; les observateurs du dehors s’en étonnent ou s’en indignent : mais comment nier ce grand mouvement collectif, cette fureur ethnique, poussée, dans une nuit, au paroxysme ?

Par la trahison du juif, la traîtrise de tous les juifs est démontrée.

XI

Spectacle douloureux, humiliant, que celui de ces haines, qui se précipitent comme des paniques. Quoi ! ce peuple manquera toujours de sang-froid ! Et ces principes de la Révolution, qu’on croyait acquis à jamais, construits sur le roc, ne sont bâtis que sur le sable, à la merci du vent qui passe !

Mais la tempête ne s’acharnait pas seulement contre Dreyfus et les juifs ; elle souffle aussi contre Mercier.

Henry, en effet, d’autres encore restaient inquiets. « À quoi bon ce magnifique effort, si Mercier laisse la justice libre, si le procès de Dreyfus doit être public et loyal ? »

Il suffit de connaître le vide du dossier pour redouter l’acquittement. Quels officiers condamneront un des leurs sur un seul morceau de papier, sur une écriture contestée ? Et quel lendemain au verdict qui proclamera l’innocence de Dreyfus ! Aussitôt, dans l’armée elle-même, et d’un bout à l’autre du pays, un cri retentira, une sommation irrésistible au Gouvernement d’avoir à rechercher, à découvrir à tout prix le véritable auteur du crime. On n’aura pas affolé et énervé en vain ce peuple pendant tant de jours. Il a été bouleversé jusqu’au plus profond de son être par la nouvelle de la trahison ; il lui faudra le traître. Et si on le trouve ? si le Dieu des juifs l’emporte ? La sécurité d’Henry, le rêve des jésuites, tout s’effondre.

Ainsi, rien de fait si Dreyfus n’est pas condamné. Comment emporter, arracher cette condamnation, salut d’Esterhazy et d’Henry, triomphe des jésuites et de Drumont ?

Ou Mercier jettera son épée dans la balance, pipera les dés, trompera les juges, étouffera la défense dans l’ombre, sans qu’une seule lueur de vérité parvienne au dehors, — ou Dreyfus sera acquitté.

Comment décider Mercier ?

Henry a lu en Mercier ; il sait le secret de sa faiblesse : la peur de la presse. Depuis le début de l’affaire, il n’a agi que sous cette peur. Une première fois, quand il a arrêté Dreyfus, à Saussier, à Hanotaux le suppliant d’attendre, de chercher d’autres preuves qu’une analogie d’écriture, il n’a fait que cette réponse : « Une divulgation peut survenir ; je serais accusé d’avoir pactisé avec l’espionnage[104]. » La seconde fois, quinze jours après, quand il a ordonné les poursuites, il n’avait déjà plus la même certitude que Dreyfus fût le traître, il inclinait au non-lieu. Pourtant, il a suffi de vingt lignes de Papillaud… Quelle distance comptez-vous de la lâcheté au crime ?

Pour hideuse qu’est la forfaiture qu’on attend de lui, est-il de taille à repousser, à la fois, et l’assaut furieux et la tentation, s’il y cède, de devenir, du coup, sacré à ses insulteurs, leur héros et leur chef ? S’il résiste, s’il refuse de mentir à la justice, de poignarder un soldat dans le dos, qu’y gagnera-t-il ? Rien que sa propre estime, le repos de sa conscience. Cependant, l’acquittement de Dreyfus le tue. Tous, et ceux à qui il aura enlevé leur proie, plus haut que les autres, accuseront son impéritie, la légèreté dont il a fait preuve, sa précipitation à déshonorer un innocent, à éclabousser l’armée. Dreyfus acquitté, Mercier ne restera pas ministre une heure de plus. Dès lors, qui a plus d’intérêt que lui à la condamnation de ce soldat ? Par quelques moyens qu’il l’obtienne, le verdict de condamnation le sauve, et, plus encore, incarne en lui le patriotisme vigilant, impitoyable aux traîtres. « Salut, Macbeth ! Salut, comte de Cawdor ! tu seras roi ! »

Ou Henry a eu cette claire vision des choses, ou c’est un autre que lui, dont il n’a été que l’instrument, mais qui aurait eu le même intérêt à perdre l’innocent.

Quelqu’un, dès cette première semaine de novembre, quand commence la campagne de presse, a-t-il arrêté dans son esprit tous les détails du plan qui s’est déroulé par la suite : que le procès, sous prétexte d’intérêts supérieurs, se fasse à huis clos ; que l’inculpation légale soit ignorée du public ; que l’accusé ne se sache inculpé que du bordereau ; qu’un dossier de charges secrètes, faussement appliquées à Dreyfus, ne soit communiqué qu’aux seuls juges ; que la valeur probante de ces charges leur soit attestée par un commentaire officiel, d’ordre même du ministre ?

Il n’y a point de bataille qui ait été gagnée d’après un programme ; ce grand crime n’a pas été conçu d’une seule inspiration. Tous les instigateurs de l’affaire vivaient au jour le jour, poussés par la fraude ou par la lâcheté d’hier à la fraude ou à la lâcheté de demain, sans autre idée générale que celle de se sauver, de sauver leurs mises par la perte de Dreyfus, moins meneurs que menés par la logique, par le développement de la faute initiale dans des âmes basses.

Toutefois, deux faits sont constants : les journaux, qui reçoivent l’inspiration d’Henry, ont affirmé, annoncé, dès la première heure, que le procès serait jugé à huis clos ; et cette polémique de Drumont contre Mercier cessera, tout à coup, dès que la constitution d’un dossier secret, à communiquer aux seuls juges, aura été consentie. L’article où la Libre Parole passera du côté de Mercier mentionne nettement cette clause de la capitulation.

On peut croire que Drumont a ignoré, au début, le but précis de la campagne contre Mercier ; sur la parole d’Henry, informateur éprouvé qui lui avait révélé l’arrestation et le nom de Dreyfus, il a pu supposer ou craindre que Mercier, vraiment, cherchât à sauver le prisonnier du Cherche-Midi. Il n’est pas le scélérat parfait, sans tare, sans parcelle aucune d’un fanatisme sincère. Mais quand Drumont fera cesser le feu, il saura pourquoi : il a reçu l’assurance que le juif, coûte que coûte, sera condamné. Et qui, sinon un innocent, condamne-t-on ainsi ?

XII

La base de l’opération a été choisie avec une remarquable habileté : pourquoi cet ordre de silence au lendemain de l’arrestation de Dreyfus, cette longue enquête mystérieuse qui durerait encore, si la Libre Parole n’avait pas jeté le cri d’alarme ?

Pourquoi, sinon pour négocier avec les Rois de l’Or ?

Henry sait la raison de ce silence. Mais il s’en tait et s’arme contre Mercier de sa première faute, de cette première lâcheté d’avoir fait arrêter Dreyfus, malgré Saussier et malgré Hanotaux, par la seule crainte des divulgations de la presse.

Tout de suite, Papillaud le lui dit de haut : « Avant de faire mettre par des argousins la main au collet d’un capitaine, avant de prendre une détermination aussi grave, nul doute que le ministre avait réuni auparavant toutes les preuves de la culpabilité. » Bien plus, aussitôt arrêté, Dreyfus « avait fait des aveux complets ». Qu’avait donc attendu Mercier pour ouvrir l’information[105] ?

Or, l’argument porte sur l’opinion qui n’imagine pas, en effet, que le chef de l’armée ait pu faire arrêter un officier même juif, — « surtout un juif », dit Drumont — sans être cent fois certain de son crime.

Dès lors, « il est avéré que, si l’arrestation de Dreyfus a été tenue secrète, c’est que ce misérable est juif ». Mercier, trahissant tous ses devoirs, « n’a eu qu’une pensée, qu’un désir : étouffer l’affaire ». « C’est la juiverie qui lui a imposé le silence. » « Sans la note publiée par la Libre Parole, il y a trois jours, Dreyfus était sauvé[106]. »

Désormais, chaque matin, à coups redoublés, Drumont frappe sur Mercier, vendu aux juifs. « Si on fusille Dreyfus, ils sentent que c’en est fait de leur puissance[107]. » Donc, ils ont mis à Mercier le marché à la main et l’effrayent de sinistres menaces. Ainsi, le chantage qu’il entreprend, Drumont l’attribue à ses ennemis et à ses victimes, selon l’éternelle tactique des voleurs poursuivis. Tout le long de ce drame qui commence, l’État-Major, la Congrégation et leur presse n’en auront point d’autre.

C’est un torrent inépuisable d’injures : « Regardez ce ministère de la Guerre qui devrait être le sanctuaire du patriotisme et qui est une caverne, un lieu de perpétuels scandales, un cloaque qu’on ne saurait comparer aux écuries d’Augias, car aucun Hercule n’a encore essayé de les nettoyer. Une telle maison devrait embaumer l’honneur et la vertu ; il y a toujours, au contraire, quelque chose qui pue là dedans[108] ». « Il y a près de 40.000 officiers dans l’armée ; le Mercier choisit, pour lui confier le secret de la défense nationale, un cosmopolite-né : n’est-ce pas que ce Mercier est bien vil[109] ? Il savait, au surplus, « à quoi il s’exposait, en obéissant comme un laquais à Reinach[110] ». Si Mercier a fini par marcher, « c’est bien malgré lui, poussé par les révélations des journaux[111] ». Maintenant, il hésite : « Est-ce que les juifs seraient sacrés, même quand ils trahissent[112] ? » Drumont esquisse un parallèle entre Dreyfus et Turpin : « l’un, né pauvre, l’autre entré dans la vie par la porte dorée ; l’un s’épuisant en vains efforts pour franchir le seuil du ministère de la Guerre, l’autre installé d’emblée dans le premier bureau de l’État-Major » ; « sa place, chaude encore », Mercier, déjà, l’a promise à quelque nouveau fils de Judas, « cautionné et recommandé par Reinach[113] ».

Mercier, contre de telles vilenies, cherchera-t-il un appui près de ses collègues, à la Chambre ? Il s’est bien affaibli par ses propres fautes ; pourtant, qui hésiterait entre ces bandits et lui ? Il s’adressera à ses adversaires les plus déclarés, aux gentilshommes de la droite, fera appel à leur esprit de justice : le croient-ils capable de ces turpitudes ?

Ce danger n’échappe point à Drumont. Il y pare. Et toujours par le même moyen : la peur. D’avance, il dénonce la Chambre qui s’apprête « à applaudir le ministre de la Guerre, quand il viendra se vanter des mesures qu’il a prises pour sauver Dreyfus[114] ». Marat ne parlait pas autrement à l’Assemblée ; elle s’inclinait, dévorant sa honte ; et c’était la Convention !

Il menace surtout la droite. « Ils sont là, les Montfort, les La Ferronnays, les Lanjuinais, les Reille pour approuver, pour couvrir, de la considération qui s’attachait jadis à leurs noms, les infamies qui se commettent au ministère de la Guerre. Les uns agissant ainsi par une sorte de respect superstitieux pour l’uniforme, fût-il porté par Alfred Dreyfus ; les autres, comme Reille, parce qu’ils sont administrateurs d’innombrables sociétés et qu’ils tiennent à se mettre bien avec le ministère qui donne des commandes à l’industrie[115]. »

Et ne les a-t-on pas vu causer, à la Commission de l’armée, dans les couloirs, avec Reinach[116] ? Albert de Mun n’a-t-il pas invité les Rothschild au mariage de son fils ? N’a-t-il pas accepté un cadeau de noces, un peigne orné de diamants[117] ?

Un mot d’ordre est venu d’intimider tout le monde, de réveiller chez tous, aux plus basses régions de l’âme, l’horrible lâcheté humaine. Quiconque osera risquer un mot de simple bon sens est vendu aux juifs. Vendu, ce député, rallié ou droitier, qui se plaint « qu’on exploite la fibre patriotique[118] ». Vendu ce journaliste qui refuse de dire : Assomme ! « Laffon — c’est le caissier de Rothschild — longtemps assoupi, va redevenir le Laffon de Castiglione et faire tomber une pluie d’or[119]. »

Qui veut être accusé demain, journaliste ou député, d’avoir été corrompu ?

Forme nouvelle de la Terreur qui fauche les consciences au lieu des têtes, mais qui fera le même silence de mort.

Mercier s’appuiera peut-être sur Saussier. Mais Saussier, lui aussi, est suspect. Qui ne connaît ses amitiés juives[120] ?

Cet énorme chantage n’épargne que Boisdeffre, ami et pénitent du Père Du Lac.

Sans qu’il ait été besoin, peut-être, de les solliciter, la Croix, l’Intransigeant, l’antique Gazette de France, le Petit Journal, la Cocarde donnent de la voix dans ce concert. Rochefort, surtout, bafoue Mercier, « son incurie, sa bêtise, sa mauvaise foi[121] ». Décidé à sauver le traître, Mercier, « son quasi-complice », le fera comparaître, à huis clos, devant un conseil de guerre qui le frappera d’une modeste réprimande, « les officiers ne se fusillant pas entre eux » ; Mercier n’a pas commis moins de sept crimes, que Rochefort énumère, et « en voilà beaucoup plus que la Convention n’en aurait demandé pour faire fusiller le Ramollot de la guerre[122] ». Un collaborateur de Barrès expose que Mercier, sollicité par les juifs, « allait se débarrasser de Dreyfus en l’expédiant à l’étranger, quand Henry s’y opposa avec énergie » et força la main au ministre[123]. Mais, visiblement, Rochefort et les autres ne font ici que suivre Drumont, la Libre Parole qui a pris la tête du mouvement.

Combien de temps durera ce siège de l’honneur d’un homme ?

  1. Siècle du 2 avril 1899. — Tout le Crime, p. 123. — Papillaud avait donné une copie de cette lettre à l’un de ses amis qui, à son tour, la copia pour un rédacteur du Siècle.
  2. Libre Parole du 3 avril 1899. — « Pour une fois, Joseph Reinach n’a pas commis un faux ; j’ai montré cette lettre à tous ceux qui voulaient la voir. »
  3. Le commandant Biot, qui signait Ct Z…
  4. « Un de ces petits ballons de bébé dont la vue nous serre le cœur. » (Libre Parole du 1er novembre, article intitulé : « Arrestation d’un officier juif », signé : « Ct Z… ».) La visite de Papillaud à Henry n’y est pas mentionnée.
  5. Récit fait par Papillaud à Mlle Yvonne Leclaire qui l’a publié dans la Fronde du 3 avril 1899. Papillaud n’y opposa aucun démenti. Si Papillaud était déjà en relations avec Henry, — qui lui écrivait : « Mon cher ami », — il est à croire que l’entrevue s’est passée différemment. S’il ne l’avait pas connu du tout, pourquoi aurait-il été chercher, parmi les nombreux Henry, celui du ministère de la Guerre ? En tous cas, Papillaud garda la lettre. À l’époque où je l’ai publiée, les collaborateurs de Drumont racontaient (à la Chambre, au Palais de Justice) qu’elle était l’œuvre de Du Paty qui l’aurait méchamment signée du nom d’Henry. Le commandant Biot protesta, par la suite, qu’il n’avait jamais vu le commandant Henry (Temps, 4 août 1903). Papillaud invité, en 1903, par la Cour de cassation à produire la lettre d’Henry, déclara qu’il ne la possédait plus (voir t. VI, 352). J’acquis un peu plus tard la certitude que Papillaud avait eu de fréquentes relations avec Henry et qu’il le connaissait dès 1894.
  6. À l’instruction Tavernier. — Voir p. 268, en note.
  7. Cass., I, 342, Cuignet.
  8. Interrogatoire du 29 octobre, procès-verbal. — Qu’est-ce qu’un portefeuille photographique ?
  9. Du Paty, dans son rapport du 31 octobre, ayant sous les yeux le procès-verbal signé de lui-même, rapporte ainsi la réponse de Dreyfus : « On m’a volé mon écriture. » Cette réponse était antérieure de cinq jours, elle datait du 24 octobre, alors qu’il ne connaissait pas encore le bordereau et que Du Paty lui affirmait l’unanimité des experts. — Voir Appendice V.
  10. Rennes, II, 455, Teyssonnières : « Avez-vous eu connaissance de cette pièce ? demande le capitaine Beauvais. — Je ne l’ai jamais vue, » Beauvais insiste : « Cette pièce n’a pas été soumise à l’expertise de M. Teyssonnières ; elle aurait dû l’être ; au même titre que les autres. »
  11. Enquête Du Paty, interrogatoire du 29 octobre. Mêmes déclarations, plus ou moins détaillées, à l’instruction D’Ormescheville, notamment à l’interrogatoire final du 29 novembre.
  12. Son cousin, le capitaine Hadamard.
  13. « D’ailleurs, d’après ce qui m’a été demandé dans un interrogatoire, ces formations de campagne de l’artillerie ne sont parvenues à l’État-Major de l’armée que dans le courant du mois de juillet. » (Interrogatoire du 29 novembre 1894.)
  14. Le commandant Jeannel. — Voir p.289.
  15. Par 302 voix contre 205. La majorité était composée du centre, de la droite et d’un certain nombre de radicaux ; Bourgeois, notamment, s’était séparé de Brisson.
  16. Le rapport est daté du 31 octobre.
  17. Du Paty, devant la Cour de cassation, s’est targué de cette habileté comme d’un acte d’impartialité scrupuleuse : « Il importe de détruire les allégations qui me représentent comme ayant établi un autre rapport occulte, concluant à la culpabilité de Dreyfus. Il n’existe de moi qu’un seul rapport, celui qui a été lu ici, et si, dans ce rapport, je ne conclus pas à des poursuites contre Dreyfus, c’est que je ne m’y suis pas cru autorisé, ayant été entravé, dans mon enquête, par la raison d’État, ayant reçu défense d’entendre aucun témoin et n’ayant pas fait prêter serment aux experts en écriture (cette formalité ayant été remplie par M. le préfet de police). Pour toutes ces raisons, j’aurais jugé téméraire et irrégulier de poser des conclusions fermes ; mais, pour dissiper toute équivoque, je dois dire que j’étais, et que je suis, jusqu’à preuve du contraire, convaincu de la culpabilité de Dreyfus. » (Cass., I, 439.)
  18. Il a été publié, pour la première fois, le 27 octobre 1898, dans le rapport du conseiller Bard à la Cour de cassation.
  19. Mercier dit à Rennes (I, 90) que « Pelletier eut une petite histoire qui le mit en défiance. Se trouvant appelé en même temps à deux réunions qui devaient avoir lieu, l’une pour des expertises et une autre pour je ne sais quelle affaire judiciaire, il écrivit à chacune des deux réunions qu’étant obligé de se rendre à l’autre, il ne pouvait pas se trouver à celle dans laquelle sa présence était indispensable à l’audience… De sorte, poursuit Mercier, que, quand il conclut contre l’identité de l’écriture du capitaine Dreyfus avec celle du bordereau, son témoignage nous parut un peu suspect. » Or, le malentendu, dont Pelletier s’est d’ailleurs justifié (Rennes, II, 471), eut lieu quinze jours après le dépôt de son rapport au cours de l’instruction D’Ormescheville, le 12 novembre 1894 (Cass., II, 65). Il semble difficile que cette histoire ait pu mettre en défiance, le 31 octobre, Mercier et Du Paty, pour un rapport qui avait été déposé le 26.
  20. Voir Appendice V.
  21. Rixheim, dès le commencement du xviiie siècle, était habité par beaucoup de juifs. L’arrière-grand-père de Dreyfus y était né.
  22. Libre Parole du 6 novembre 1894 : « les Juifs dans l’armée. »
  23. Rennes, II, 67, Gendron. Ce témoin ajoute : « Son intérieur n’était pas des plus sérieux ; ce n’était pas celui d’une courtisane complète ; ce n’était pas non plus celui d’une très honnête femme ; c’était en somme un milieu tout à fait équivoque. » Gendron aurait dit à son ami, l’ancien officier, l’amant de cette femme : « Elle doit trouver autre part que dans la galanterie l’argent nécessaire à son train de maison ; je ne serais pas surpris qu’elle soit une espionne. » Et l’ami aurait abandonné sa maîtresse, en faisant un sacrifice d’argent.
  24. Rennes, I, 91, Mercier : « J’aurais préféré que l’enquête continuât deux ou trois jours, lorsque des indiscrétions furent commises, je ne sais pas par qui… Il était important de ne pas laisser l’opinion s’égarer. »
  25. Jeudi 1er novembre.
  26. Le Journal et le Matin nommaient Dreyfus. Le Figaro savait le nom, mais se refusait à le dire, « l’accusation n’étant pas nettement prouvée ». Le Petit Journal révélait que les officiers français, récemment arrêtés en Allemagne et en Italie, l’avaient été sur la dénonciation du traître. L’Éclair aussi nommait Dreyfus, précisait que la puissance, qui était entrée en rapport avec lui, n’était pas l’Italie, affirmait qu’il avait fait des aveux, et protestait contre la note officieuse de la veille : « Que veut dire arrestation provisoire ? Qui trompe-t-on ? Que se passe-t-il ? Quoi ! le traître qui avoue peut donc n’être pas maintenu en état d’arrestation ! Qui cherche à peser sur le Gouvernement ? » Seule, l’Autorité, de Cassagnac, gardait quelque sang-froid : « L’arrestation d’un officier français sous une inculpation de haute trahison, sans preuve sérieuse, serait un crime aussi abominable que la trahison elle-même. »
  27. Cass., I, 292. — De même, le ministre des Travaux publics, Barthou (Cass., I, 336), et les autres ministres, Félix Faure, Leygues, Delcassé, Lourties, Viger.
  28. Dupuy (Cass., I, 157) commet ici une nouvelle erreur de mémoire. Il parle d’une autre réunion, antérieure de quelques jours, à laquelle auraient assisté, avec lui, Poincaré, Mercier Guérin et Hanotaux. Il n’est question de cette réunion dans aucune autre déposition. Elle est démentie par la déposition de Poincaré, qui invoqua, à l’appui de son récit, les témoignages de ses collègues, Barthou, Leygues et Delcassé.
  29. Procès Zola, I, 168 : « Je n’ai fait aucune enquête ; ces publications ont été faites en dehors du ministère de la Guerre. » Et, plus loin : « Cette publication pouvait venir de la famille Dreyfus. »
  30. Cass, I, 292, Poincaré ; I, 290, Guérin : « La nature des documents consignés au bordereau démontrait invinciblement que, seul, Dreyfus avait eu connaissance de l’ensemble des documents, que seul, il les avait eus en mains, que seul, par conséquent, il avait pu les livrer. »
  31. Cass., I, 336, Barthou.
  32. Cass., I, 292, Poincaré ; I, 336, Barthou ; I, 290, Guérin ; I, 658, Dupuy. — Poincaré invoque les souvenirs de deux autres de ses collègues, Delcassé et Leygues, qui concordent avec les siens (Cass., I, 292).
  33. Cass, I, 292, Poincaré ; I, 658, Dupuy. — Rennes, I, 92, Lettre de Dupuy à Mercier.
  34. Rennes, I, 92, Lettre de Dupuy ; I, 65, Casimir-Perier.
  35. 2 novembre.
  36. Mme Dreyfus avait fait sa demande le 29 ; Du Paty en rédigea un procès-verbal qu’il joignit au dossier. Ce procès-verbal est signé : Du Paty de Clam, Gribelin, L. Dreyfus. La réponse affirmative de Du Paty ne fut donnée que le 31.
  37. 1785-1787.
  38. Le président Du Paty, aux Champs-Élysées, 27 (Paris, 1788).
  39. Du Paty rédigea encore un procès-verbal de cette conversation : « Nous lui avons répondu qu’il ne nous appartenait pas de donner cette autorisation, et que nous ne croyions pas qu’il put l’obtenir en plus haut lieu. » Signé : Du Paty, Gribelin, Lucie et Mathieu Dreyfus.
  40. Préface de la dixième édition des Jésuites (Avril 1873). L’invasion du jésuitisme dans la religion, dans les mœurs, y est annoncée, prédite, avec la clairvoyance du génie, dans les termes mêmes où on la constate aujourd’hui.
  41. Michelet, Histoire de France, VIII, 17.
  42. Au début de sa carrière, il avait été au service de banquiers juifs, les Péreire, et avait collaboré à l’un de leurs journaux, la Liberté. Il écrivit sur les Péreire une brochure dithyrambique.
  43. Marchal, dit Charles de Bussy, et Stamiroski, dit Stamir, tous deux à la solde de la préfecture de police, publièrent contre Rochefort, qui venait de lancer la Lanterne, d’ignobles calomnies. Rochefort roua de coups de canne l’imprimeur de leur journal, l’Inflexible.
  44. L’administrateur de la Libre Parole, Odelin, était également administrateur du collège de la rue des Postes.
  45. Mai 1892.
  46. 23 mai 1892.
  47. C’est ce qu’avoua l’Écho de Paris lui-même, le 10 décembre, dans une chronique d’Henry Bauer en faveur des débats publics. Bauer croit à la culpabilité de Dreyfus, mais s’étonne des versions contradictoires du crime qui ont circulé : « Les points de l’accusation, écrit-il, je parle de ceux qui nous viennent de façon officielle ou officieuse, ont singulièrement varié depuis un mois. » Bauer dénonce, courageusement, l’instruction secrète, d’où vient tout le mal, plus encore que de la presse, « avec sa hâte outrancière d’information ».
  48. Rédacteur en chef du Petit Journal, ancien professeur de lycée ; il avait été rayé des cadres universitaires, pour des motifs restés inconnus, par le ministre Bardoux, le plus indulgent des hommes. Le directeur du Petit Journal était Marinoni, ancien ouvrier, le constructeur des grandes machines rotatives.
  49. Libre Parole, Autorité, Journal, Matin, Temps, Cocarde du 2 novembre ; Patrie du 4 ; Croix du 5 ; etc.
  50. Temps du 2 novembre ; Autorité du 5.
  51. Patrie du 15.
  52. Intransigeant et Petit Journal du 2.
  53. Libre Parole du 2. L’information est reproduite par tous les journaux. La mention exacte de la lettre de série indique la provenance du mensonge.
  54. Libre Parole du 2, Intransigeant du 7, etc.
  55. Intransigeant du 7. Il n’est pas impossible qu’un officier d’État-Major soit allé « renseigner » Rochefort à Bruxelles, comme le fera plus tard, en 1897, le commandant Pauffin, par ordre de Boisdeffre.
  56. Intransigeant du 4 novembre.
  57. Petit Journal du 2.
  58. Pèlerin du 10.
  59. Patrie du 9.
  60. Intransigeant du 7, Radical du 16, Écho de Paris du 17, presque tous les journaux.
  61. Petit Journal, Matin, Libre Parole, Figaro (avec une réserve) du 2 novembre ; Croix, Intransigeant du 3 ; Autorité du 6 ; Écho de Paris du 7 ; Intransigeant du 8 ; Gil Blas du 9 ; Pèlerin du 10.
  62. Libre Parole du 2.
  63. Intransigeant du 7 ; France du 4 ; etc.
  64. Libre Parole du 2 et du 6 ; Intransigeant du 8 ; puis, tous les journaux.
  65. Intransigeant du 8.
  66. Écho de Paris du 7. Je tiens de Lane, inspecteur général à la gare de Cologne, que, vers 1890, un agent que l’État-major allemand avait à Paris signala des officiers français qui devaient visiter les bords du Rhin sous un déguisement et envoya leur photographie au Thiergarten. Les officiers furent reconnus, en effet, mais s’aperçurent qu’ils étaient filés et gagnèrent la frontière. Henry était, sans doute, au courant de l’incident.
  67. Libre Parole du 1er novembre, du 8, etc. ; Intransigeant du 4 ; Écho de Paris du 7 ; Temps et Matin du 18, etc.
  68. Libre Parole du 4.
  69. Croix du 6. — Je cite textuellement ce jargon.
  70. Intransigeant du 4.
  71. Libre Parole du 2.
  72. Autorité du 2. Puis, tous les journaux, Temps et Matin du 18.
  73. Éclair du 4.
  74. XIXe Siècle, Temps, Matin du 5, etc.
  75. Libre Parole du 14 novembre.
  76. Intransigeant du 8.
  77. Libre Parole du 14.
  78. Voir les lettres à Mme de Boulancy.
  79. Libre Parole du 2 novembre.
  80. Patrie du 8.
  81. Cocarde du 10.
  82. Petit Journal du 10 novembre.
  83. Libre Parole des 2, 6, 8 novembre. Je déclarai dans une lettre publique à l’Agence Havas n’avoir jamais vu ni recommandé le capitaine Dreyfus (12 novembre). La légende persista.
  84. France du 4.
  85. Le général Riu était un protégé de Gambetta, qui l’avait appelé au commandement du Palais-Bourbon. Lorsque le général de Miribel fut appelé, en 1881, à l’État-Major de la Guerre, Riu accusa Gambetta de préparer un coup d’État, jura qu’il ne serait arrêté que de sa main. Ranc, Spuller, tous les amis de Gambetta, lui tournèrent désormais le dos. Plus tard, en 1889, Riu, encore en activité de service, prononça, dans une loge, un discours, qui fut publié, contre Boulanger. Je m’expliquai sévèrement sur cette immixtion d’un soldat dans la politique, même pour la défense des idées qui étaient les miennes (République Française du 5 février 1889). Riu fut frappé, par Freycinet, de quinze jours d’arrêts forcés. Il se vengeait.
  86. Intransigeant du 9 novembre.
  87. Intransigeant du 3.
  88. Intransigeant des 4, 5 ; Libre Parole, tous les jours.
  89. Intransigeant du 3, etc.
  90. France du 4 ; l’Intransigeant du 5 et d’autres journaux reproduisent cet article.
  91. Libre Parole du 6.
  92. Pèlerin du 10 novembre ; — Voir tous les journaux antisémites d’Algérie : « Est-ce que ces gens-là ont une patrie ? Que l’on en débarrasse la nation française au plus vite ! » (Républicain de Constantine, 10 novembre.) — En Russie, tous les juifs sont soldats.
  93. Pèlerin du 10.
  94. Croix du 3, Vérité du 3, Libre Parole et Intransigeant du 3, Petit Journal du 3, Pèlerin du 10, etc.
  95. Croix du 3 Novembre.
  96. Ibid.
  97. Libre Parole du 3.
  98. Triboulet du 11.
  99. Soleil du Midi du 12, sous la signature d’Oscar Havard. L’article est intitulé Atavisme.
  100. Albert Ellissen.
  101. Petit Journal du 3 (signé Tristan, pseudonyme de Judet).
  102. Libre Parole du 6. (Des idées dans le cerveau d’un fusillé ! C’est l’habituel galimatias de Drumont.)
  103. Tous les articles de Drumont, Rochefort, Judet, sont aussitôt reproduits, commentés et développés par la presse de province. On en remplirait des volumes.
  104. Rennes, I, 220, Hanotaux.
  105. Libre Parole du 2 novembre.
  106. Libre Parole du 2 novembre. — L’Éclair s’attribue également une part de cette victoire : « C’est à obtenir ce résultat du ministre lui-même (l’ouverture d’une instruction judiciaire) que nous nous sommes employés depuis le moment où, mettant les points sur les i, nous avons poussé à l’aveu nécessaire. » (4 novembre.)
  107. Libre Parole du 4 — « La juiverie lui met le marché à la main ; c’est Reinach qui mène toute l’intrigue. » (5 novembre).
  108. Libre Parole du 5, article de Drumont intitulé : « Le ministère de la Guerre ».
  109. Libre Parole du 6, article de Drumont intitulé : « Les Juifs dans l’armée. »
  110. Libre Parole du 6.
  111. Ibid.
  112. Libre Parole du 7.
  113. Libre Parole du 12,
  114. Libre Parole du 5.
  115. Libre Parole du 5 novembre.
  116. Libre Parole du 7.
  117. Libre Parole du 8, tout un article de Drumont intitulé : « Le Peigne. » Le numéro du journal a cette manchette en gros caractères : « Le traître Dreyfus et le député Joseph Reinach. »
  118. Libre Parole du 8.
  119. Libre Parole du 6.
  120. Libre Parole du 7 novembre.
  121. Intransigeant du 5.
  122. Ibid.
  123. Cocarde du 4.