Histoire de l’Affaire Dreyfus/T1/6

La Revue Blanche, 1901 (Vol.1 : Le procès de 1894, pp. 242–284).

CHAPITRE VI

LA CAPITULATION DE MERCIER

I. Schwarzkoppen et Panizzardi, 242. — Rapport et dépêche chiffrée de Panizzardi à l’État-Major italien, 243. — Interception et déchiffrement de la dépêche du 2 novembre, 245. — Contre-épreuve de Sandherr, 250. — II. Hanotaux et Mercier, 251. — III. L’ambassade allemande proteste que Schwarzkoppen n’a jamais eu aucunes relations avec Dreyfus, 252. — Démarche du comte de Munster auprès d’Hanotaux, 254. — Casimir-Perier n’en est pas informé, 256. — IV. Du Paty et l’instruction judiciaire, 257. — Rapports mensongers de Guénée, 259. — Rapport de la préfecture de police ; Henry le fait disparaître, 260. — Autres mensonges de Guénée, 262. — V. Les débats de l’instruction judiciaire, 263. — Dépositions de témoins, 264. — Le dossier secret, 267. — Sandherr examine avec Cordier les pièces triées par Henry, 268. — VI. Mercier et Boisdeffre, 269. — L’article 101 du code de justice militaire, 273. — Capitulation de Mercier, 275. — VII. Du Paty chargé de rédiger le commentaire du dossier secret, 276. — Accalmie soudaine de la presse antisémite, 278. — VIII. La forfaiture, 279. — Du Paty l’ancien, 283.

I

Pendant cette même quinzaine tumultueuse de novembre, plusieurs preuves de l’innocence de Dreyfus arrivèrent à Mercier.

Le 29 octobre, quand la Libre Parole avait publié sa première note, Schwarzkoppen s’était inquiété. Il avait souvent prémuni Esterhazy contre ses imprudences, s’étonnant de son audace à venir, en plein jour, à l’ambassade. « Vous vous ferez prendre ! » lui disait-il. Esterhazy haussait les épaules, demandait un verre de schnaps.

Schwarzkoppen dit sa crainte à Panizzardi. Associé à son collègue italien, il lui avait confié son aventure[1], sans toutefois nommer Esterhazy. Celui-ci, déclamant son admiration pour l’Allemagne, et trop haut, de façon presque suspecte, se faisait un plaisir de documenter l’attaché allemand. Mais quand l’Allemand, bon camarade, essayait d’obtenir quelque renseignement de nature à intéresser l’Italien, Esterhazy refusait. Ancien zouave pontifical, il détestait l’Italie.

Le 1er novembre, la Libre Parole ayant donné le nom de Dreyfus, Schwarzkoppen respire. « Ce n’est pas mon homme[2] ! » Il en avise aussitôt Panizzardi. Mais qu’est-ce que Dreyfus ? Ni Panizzardi ni Schwarzkoppen ne le connaissent.

Les assertions formelles et contradictoires des journaux les intriguaient. Selon la Libre Parole, « Dreyfus a fait des aveux complets, et on a la preuve absolue qu’il a vendu à l’Allemagne les secrets de la défense. » D’autres journaux, la plupart, le disaient aux gages de l’Italie. Comme il n’était fait aucune allusion aux attachés militaires, Panizzardi supposa que Dreyfus avait pu être en relation directe avec le chef de l’État-Major italien. De même, Schwarzkoppen, en ce qui concerne l’Allemagne, tout en s’étonnant qu’il n’en eût pas été informé.

Panizzardi écrivit au général Marselli, commandant en second de l’État-Major à Rome. Il lui fit part de l’émotion produite par l’arrestation de Dreyfus, s’empressa d’assurer son chef qu’il n’avait jamais eu de rapport avec « cet individu », que « son collègue allemand n’en sait rien » ; il termina par cette question déguisée : « J’ignore si Dreyfus avait des relations avec le commandement de l’État-Major[3]. »


Le lendemain, 2 novembre, comme les journaux continuent à mettre l’Italie en cause, Panizzardi télégraphia en chiffres : « Si le capitaine Dreyfus n’a pas eu de relations avec vous, il conviendrait de charger l’ambassadeur de publier un démenti officiel, afin d’éviter les commentaires de la presse. »

Le général Marselli répondit, le même jour, par dépêche : « L’État-Major italien et tous les services qui en relèvent n’ont jamais eu de rapports directs ou indirects avec le capitaine Dreyfus[4]. »

Des communications analogues, qui n’ont pas encore été publiées, furent échangées entre Schwarzkoppen et Berlin. Dès qu’il connut l’article de la Libre Parole, le chef du grand État-Major télégraphia à tous les attachés militaires allemands. Tous répondirent, de Paris, Rome, Berne et Bruxelles, qu’ils entendaient pour la première fois le nom de l’officier arrêté. Schwarzkoppen et Panizzardi donnèrent aussi, à leurs ambassadeurs[5], l’assurance qu’ils ne savaient rien de Dreyfus. L’attaché allemand eut le tort grave de ne point confier au comte de Munster ses relations avec Esterhazy,

Cependant, la dépêche chiffrée de Panizzardi, du 2 novembre, a été interceptée par l’administration française des Postes et Télégraphes ; le texte original en a été décalqué au bureau central. Le service de la traduction, au ministère des Affaires étrangères, entreprit de lire ce télégramme.

Travail toujours délicat, plus particulièrement difficile en l’espèce, puisque Panizzardi s’était servi, pour la première fois, d’un chiffre nouveau[6]. L’opération — deviner, découvrir la clef du système employé — comporte un grand nombre d’inductions, d’approximations et d’essais.

Des relations « fréquentes et très intimes[7] » existaient entre le colonel Sandherr et le ministère des Affaires étrangères ; Sandherr fut tenu au courant des diverses phases par où passa le déchiffrement de l’énigme[8].

Une première tentative ne donna qu’un mot qui fut considéré comme sûr : le nom de Dreyfus ; le reste était hypothétique : « On a arrêté le capitaine Dreyfus qui n’a pas eu de relations avec l’Allemagne[9]. »

Sandherr en fut informé. La traduction étant à la fois favorable à Dreyfus et incertaine, il ne s’en inquiéta pas.

Peu après, le service communiqua à Sandherr cette traduction : « Si le capitaine Dreyfus n’a pas eu de relations avec vous, il conviendrait de charger l’ambassadeur de publier un démenti officiel ; notre émissaire est prévenu. »

Le cryptographe affirme l’exactitude des deux premières phrases ; il n’a de doute que pour la dernière[10]. Des points d’interrogation, tracés par lui sur l’ébauche, appellent l’attention sur le caractère conjectural de ces derniers mots[11].

Cette ébauche fut prêtée à Sandherr à titre personnel et, sous ces réserves expresses, confirmée de vive voix[12]. C’était le feuillet même du cryptographe, très caractéristique[13], sur papier à cases. Les groupes chiffrés y sont reproduits, avec, sous chacun d’eux, les traductions successives, ici certaines, là hypothétiques. Sandherr l’emporta au ministère de la Guerre[14], et avisa Gonse, Boisdeffre et Mercier[15].

Leur montra-t-il le feuillet original qui lui a été remis[16] ? Il dit, en tout cas, que le déchiffrement des derniers mots n’était pas définitif. Mercier[17] et Gonse[18] en conviennent ; Boisdeffre prête ce propos à Sandherr : « Eh bien, mon général, voilà une preuve de plus de la culpabilité de Dreyfus[19] ! »

Étrange preuve qui eût résulté de ces deux mots : Émissaire prévenu, qui étaient signalés expressément comme douteux[20] !

Plus tard, Mercier, Boisdeffre et Gonse ont cru se souvenir que la traduction portait en outre ces mots : Précautions prises[21]. Mais c’est un fait que la traduction, même dans sa partie conjecturale, ne les contient pas[22].

Sandherr fit prendre copie (par Henry) du texte chiffré et du feuillet original[23] qui portait, sous chacun des groupes, les hypothèses successives des cryptographes. — Un jour, parmi tous ces mots, dont plusieurs ont été suggérés, presque involontairement, par la pensée dominante de l’affaire qui vient d’éclater, essayés, puis abandonnés, mais qui sont restés inscrits[24], il s’en trouvera qui, habilement groupés, permettront de fabriquer une traduction accusatrice[25].

Sandherr, le jour même, rapporta le document au ministère des Affaires étrangères, où il a été conservé[26].

Le surlendemain, 7 novembre, — ou, au plus tard, le 10[27], — le sens du télégramme fut déterminé sans réserve par le service du chiffre, et le texte définitif en fut officiellement communiqué et remis à Sandherr[28] : « Si le capitaine Dreyfus n’a pas eu de relations avec vous, il conviendrait de charger l’ambassadeur de publier un démenti officiel, afin d’éviter les commentaires de la presse[29]. »

Sandherr contribua, par une ingénieuse contre-épreuve, à contrôler cette traduction, « d’une manière formelle et absolue[30] ».

On sait le développement que Sandherr avait donné au service du contre-espionnage. Il fit tenir à Panizzardi par un de ses agents une information, dont le sens général et les termes principaux avaient été arrêtés par lui-même, mais tus aux cryptographes du quai d’Orsay. Aussitôt que la fausse information parvint à Panizzardi, il la télégraphia au chef de son État-Major, à Rome. Ce télégramme, intercepté, fut déchiffré intégralement, au ministère des Affaires Étrangères, à l’aide de la clef qui avait été appliquée à la dépêche du 2 novembre. La traduction en est portée à Sandherr qui en reconnaît l’exactitude[31].

Sandherr remit lui-même à ses chefs la traduction officielle de la dépêche du 2 novembre[32]. Il leur avait présenté l’ébauche, dont il avait eu communication à titre personnel, comme douteuse. Il est impossible qu’il leur ait laissé ignorer la contre-épreuve qui constituait une démonstration sans réplique. Une telle négligence de sa part eût été aussi imprudente que malhonnête. Qui l’assure, s’il se tait de la contre-épreuve, que le ministre n’en sera pas avisé par son collègue des Affaires étrangères ? Comment s’excusera-t-il de ce silence ? Et pourquoi aurait-il menti par prétérition ? Dans quel intérêt ? N’a-t-il pas inventé lui-même le stratagème qui a permis de contrôler la traduction de la dépêche[33] ?

Donc, le 10 novembre, — au plus tard le 13, — Mercier sait, à n’en pas douter, que Dreyfus, s’il a eu des relations avec Schwarzkoppen, n’en a point eu avec Panizzardi[34].

La dépêche de Panizzardi a été envoyée le lendemain du jour où l’arrestation a été connue. La plupart des journaux disent alors que Dreyfus a trahi avec l’Italie, et qu’il a fait des aveux. Comment l’attaché italien s’exposerait-il à voir infirmer, sous peu de jours, la dénégation formelle qu’il adresse, dès la première heure, à son chef ? La dépêche est chiffrée ; elle n’a pas été écrite pour tromper le Gouvernement français ; elle est l’expression sincère de la vérité.

II

Nécessairement, la traduction de la dépêche avait été soumise au ministre des Affaires étrangères[35]. Hanotaux « n’en fut pas frappé[36] » ; la dépêche lui parut de peu d’importance. Il n’en parla pas à Mercier.

Ce silence d’Hanotaux s’explique. Mercier n’avait entretenu ses collègues que du bordereau, leur affirmant d’ailleurs « que la culpabilité de Dreyfus devenait de plus en plus certaine, et que la conviction des magistrats militaires était faite[37] ». Ainsi, Hanotaux est fondé à tenir pour superflue l’affirmation de Panizzardi, puisque Dreyfus n’est pas accusé d’avoir eu des rapports avec l’Italie, ou qu’il l’est seulement par les journaux.

Mercier n’eut garde de tirer Hanotaux de son erreur. Il s’était heurté, dès le début de l’affaire, à l’opposition de son collègue. Il était inutile de lui confier que le procès mettrait en cause, non seulement l’Allemagne, mais l’Italie[38].

S’il avait entretenu Hanotaux de la dépêche de Panizzardi, il eût été amené à lui dire ou qu’il la tenait pour l’expression de la vérité, ou qu’il avait des raisons pour la croire mensongère. La première opinion le liait ; la seconde eût amené les protestations d’Hanotaux. À cette date précise (10-13 novembre), Mercier hésite encore. Du moins, la communication secrète aux juges n’est pas décidée encore dans son esprit.

La clairvoyance d’Hanotaux n’allait pas plus loin que la crainte des complications diplomatiques qui résulteraient du procès engagé ; son courage se bornait à faire part de cette peur à ses collègues.

III

Les difficultés commençaient déjà.

L’arrestation de Dreyfus, l’énorme bruit de la presse, ont ému, au dehors, tous les peuples et leurs gouvernements. Les États-Majors de la Triple Alliance s’étaient vite informés. Ni directement, ni indirectement (par des agents intermédiaires), aucun d’eux n’a jamais connu Dreyfus, Le bureau allemand des renseignements a fait une enquête dans tous les centres d’espionnage. Nulle part, personne n’a connu ce capitaine.

Au bout de peu de jours, le Gouvernement allemand se sentit spécialement visé. Pour secrète qu’elle soit tenue, l’accusation a filtré à travers d’invisibles fentes. C’est bien avec le colonel de Schwarzkoppen que Dreyfus est inculpé d’avoir trafiqué. La Patrie, du 9 novembre au soir[39], déclare savoir de source autorisée que des lettres de Dreyfus à Schwarzkoppen ont été saisies.

Sans perdre une heure, l’ambassade d’Allemagne à Paris protesta. Elle fit paraître, dans le Figaro du lendemain, une note très nette : « Jamais Schwarzkoppen n’a reçu de lettres de Dreyfus. Jamais Schwarzkoppen n’a eu aucunes relations, ni directes ni indirectes, avec lui. Si cet officier s’est rendu coupable du crime dont on l’accuse, l’ambassade d’Allemagne n’est pas mêlée à cette affaire[40]. »

Deux jours après, le 12, déclaration analogue des Italiens, dans l’Italie, à Rome, et le 14, dans le Gaulois, à Paris, démenti non moins catégorique de l’Autriche.

Presque tous les journaux traitèrent ces démentis de mensonges : « Quel intérêt, demande la Libre Parole, a la Triple Alliance à sauver le traître ? » L’Autriche n’avait jamais été mise sérieusement en cause ; on avait fini par savoir que la principale pièce ne venait pas de l’ambassade d’Italie ; le feu de la presse roulait contre l’ambassade d’Allemagne.

Bien que l’antisémitisme contemporain soit d’origine allemande, l’empereur Guillaume n’était pas homme à l’aider d’un silence mensonger. Puisque l’État-Major français accuse Dreyfus de trahison, l’État-Major allemand, tout naturellement, l’en croit coupable, À quelle puissance le traître a-t-il livré, vendu des documents ? L’État-Major allemand l’ignore, eût voulu le savoir ; mais il sait, en tout cas, que ce n’est pas à lui. Son devoir est de le dire. Le comte de Munster reçut du prince de Hohenlohe, chancelier de l’Empire, l’ordre de le déclarer « officiellement et spontanément[41] » à Hanotaux.

Il le lui dit, d’abord dans une de ces causeries familières dont l’élégante portée échappe aux parvenus de la politique[42]. Puis, comme la rumeur publique grondait, toujours plus forte, contre l’Allemagne, l’ambassadeur insista d’un ton plus pressant, affirma, en vieux gentilhomme qui n’a jamais menti, que les agents de son pays n’avaient jamais eu aucun rapport avec l’officier français qui en était inculpé.

Ceci, toutefois, affaiblissait la portée des déclarations du comte de Munster : Schwarzkoppen lui a laissé ignorer son commerce avec Esterhazy, et Hanotaux connaissait l’origine du bordereau.

Un homme d’une intelligence plus haute qu’Hanotaux, moins exclusivement préoccupé de lui-même, sachant, comme il le savait, la fragilité de la preuve alléguée contre Dreyfus, ses protestations, l’impossibilité de trouver un mobile à son crime, cet homme aurait vu cette lueur dans la nuit : que l’officier alsacien était accusé peut-être du crime d’un autre ; et, n’imaginant rien de plus douloureux qu’une erreur judiciaire, aurait marché vers la lumière.

Il eût fallu aussi qu’il méprisât les aboiements de la presse ; or, sa morgue croissante s’arrête devant les entrepreneurs de journaux et quiconque tient une plume. Quel que soit son mépris des gazetiers, il se fait pour eux souple et caressant ; les cordons de sa bourse officielle se délient pour les pauvres scribes ; il prodigue les prévenances aux riches pirates, avides des marques extérieures de la considération.

Il n’agissait point ainsi par bassesse, mais seulement par faiblesse, et, dès lors, s’en croyait plus fort, un vrai homme d’État, le digne héritier du grand cardinal dont il avait entrepris d’écrire l’histoire.

Richelieu avait jeté, fièrement, sa robe rouge sur plus d’un crime. Hanotaux se dégage du crime, tout en le laissant accomplir, trop fin pour ne pas mesurer l’étendue de la faute, trop pusillanime pour s’opposer résolument à un forfait.

Il se fit ainsi une commode attitude. Ayant, par politique, déconseillé les poursuites, il ignore tout du dossier, par scrupule constitutionnel[43].

Ce dossier, qui ne fut jamais porté au Conseil des ministres, il eût pu exiger qu’il le fût. En dépit des affirmations réitérées de Mercier, il y avait déjà assez d’éléments de doute et des signes trop manifestes de grands troubles pour que ces ministres de la République ne fussent pas curieux de savoir, par eux-mêmes, le fond des choses. C’était le devoir, surtout, du ministre des Affaires étrangères. Mais si le dossier avait été porté sur la table verte, Hanotaux eût quitté la salle, puisqu’en effet il jugeait « important de n’avoir pas à répondre aux questions parfois pressantes des diplomates étrangers ».

Il n’opposa donc aux affirmations réitérées de l’ambassadeur d’Allemagne que de vagues formules. L’affaire, dit-il, n’est point la sienne, elle est du ressort exclusif du ministre de la Guerre ; il l’ignore. D’autre part, si le procès a lieu, il promet qu’aucune ambassade étrangère ne sera mise en cause. La presse, sous le régime de la liberté, échappe à tout contrôle. Qui en est importuné plus que lui ?

Mais si l’homme est innocent ? Cette question non plus n’est pas de son ressort.

Il tint Casimir-Perier dans l’ignorance de ces déclarations de l’ambassadeur d’Allemagne[44], mais il en informa ses collègues. Plus d’un se dit alors qu’il y avait quelque chose de louche dans cette histoire. Nul n’osa serrer Mercier qui, les yeux mi-clos, d’apparence impassible, se contentait d’affirmer, une fois de plus, la culpabilité. Et ils laissaient faire[45].

IV

Ce qu’il y avait d’insolite dans les démarches de l’ambassadeur d’Allemagne, qui, sans mot dire, avait regardé condamner tant d’autres espions, ne frappait point les ministres, parce qu’ils savaient d’où venait la lettre incriminée. Ils en concluent, sinon que le comte de Munster ne dit pas la vérité, du moins que la trahison a été organisée à son insu. Et ils acceptent les déclarations de Mercier, pour suspect que leur soit devenu l’énigmatique personnage, parce qu’ils croient à l’honneur des enquêteurs militaires et à la loyauté d’une instruction sans haine. Ils ont, au surplus, d’autres affaires sur les bras.

Mais Mercier, lui, sait le vide du dossier, les mille subterfuges, les ruses indignes, tant de mensonges déjà accumulés, tout ce qu’il a fallu mettre en œuvre pour établir un semblant d’accusation ; l’homme qui a observé Dreyfus de plus près, Forzinetti, habitué à étudier les criminels, affirme qu’il est innocent. N’eût-il été tourmenté encore d’aucun doute qu’une inquiétude aurait dû naître alors en lui.

En fait, elle y était, plus violente peut-être qu’on ne le saura jamais. Il la cachait, par orgueil, à ses collègues, mais elle n’échappait pas à son entourage, aux meneurs de l’affaire.

Ils redoublèrent d’efforts.

Du Paty, dont le rôle eût dû être fini avec son enquête, s’était érigé en directeur de l’instruction. Il faisait, tous les soirs, à Bexon d’Ormescheville d’interminables visites dans son cabinet, au Cherche-Midi, et l’appelait à chaque instant au ministère[46]. C’était un soldat épais, de peu de culture, de tempérament grossier, en proie à des ennuis domestiques, haineux, n’aimant pas les chefs, mais les craignant, sournois et méchant, prompt à chercher le vent, crédule et sans conscience. Du Paty l’accable de sa certitude, le conduit par la main, lui dicte sa procédure en attendant qu’il lui dicte son acte d’accusation. Quand il a fini sa propagande auprès de D’Ormescheville, Du Paty la recommence auprès de ses camarades, acharné, se prodiguant en discours, d’une fureur inlassable contre sa victime, entretenant une atmosphère de haine où toute parole d’équité eût passé pour une complicité avec le traître.

Henry, toujours dans l’ombre, agit, plus efficacement encore, avec sa ruse et son audace habituelles.

Il ne se contentait pas de diriger l’action des journaux, plus vive et plus impérieuse au moindre signe d’hésitation chez les chefs, comme un mécanicien règle la pression de sa machine. Il avait entrepris de créer les charges décisives contre l’accusé.

Guénée a fourni les rapports, oraux, puis écrits, qui lui ont été commandés. Il avait été décidé que le mobile principal du crime de Dreyfus serait le libertinage et le jeu. Guénée eut vite fait d’apporter des racontars sur trois femmes dont deux appartenaient au monde de la galanterie. Il affirmait que Dreyfus avait été leur amant, et de plusieurs autres ; cela n’était vrai que d’une seule, femme mariée et riche ; et quand il aurait eu des maîtresses ? quelle nouveauté dans l’armée française ! Cependant Du Paty en a fait déjà un sujet de scandale dans son rapport à Mercier.

Guénée, bien dirigé, s’est surtout appliqué à établir que Dreyfus, qui n’a jamais joué dans aucun cercle, est un habitué de tous les tripots[47]. Le nom de Dreyfus est fréquent chez les juifs originaires d’Alsace ou de Trèves. Plusieurs homonymes de Dreyfus, un ancien député, des hommes du monde, étaient des joueurs notoires. Guénée ramassa, dans les cafés et sur le boulevard, les bruits, faux ou vrais, qui couraient sur ces personnes.

Il avoue lui-même ne les avoir pas contrôlés dans les établissements de jeu[48], et que « ces renseignements pouvaient se rapporter aussi bien à tout autre. Mais, comme seul Dreyfus était inculpé, tout retombait sur lui ; c’était la tête de turc[49]. »

Guénée exposa longuement[50] que Dreyfus était un habitué d’au moins quatre tripots, si mal famés que deux d’entre eux furent fermés par autorité de justice, qu’il était lié avec les usuriers qui les tenaient, que, du Washington Club, « où il n’avait plus de crédit », il passa au Betting Club, « où il se fit grecquer et escroquer », qu’il fit ainsi son éducation, que sa façon de jouer, au cercle de l’Escrime, éveilla les soupçons, « qu’il y filouta ses coreligionnaires et autres », que la famille de sa femme a payé pour lui de grosses sommes[51].

Les relations qu’il a faites dans ces mauvais lieux, à Nice et à Monaco, ont pu l’entraîner loin. Au surplus, « il a épousé une femme dotale qui faisait d’assez fortes dépenses de toilette[52] ».

Cependant la Préfecture de police avait poursuivi, de son côté, une enquête, tant sur la demande de Mercier que de sa propre initiative, pour vérifier les dires des journaux[53]. Sa note[54] établit nettement qu’il y a eu « confusion de noms[55], et que le capitaine Dreyfus était inconnu dans les cercles de jeux de Paris ». Le préfet de police la remit à Henry, mais non sans en garder la minute.

La note remise à Henry a disparu. Le dossier de D’Ormescheville ne comprend que les rapports de Guénée, l’un daté du 4 novembre, l’autre du 19, mais qui suffit à prouver qu’Henry s’inquiéta des dénégations catégoriques de Lépine, puisque ce second rapport y fait allusion : « Pour que la Préfecture ait répondu négativement à ma demande concernant le capitaine Dreyfus, elle a dû se contenter de réponses aussi négatives qu’intéressées[56]. »

Guénée expose longuement que la Préfecture est mal renseignée, qu’elle ignore les noms des habitués des cercles ouverts, « qui ne publient pas d’annuaires ». — Or, les cercles, qu’ils publient ou non des annuaires, sont tenus d’inscrire les noms de leurs visiteurs sur un registre, et ce registre est toujours à la disposition de la brigade dite des jeux. — Au surplus, « les fonctionnaires policiers, chargés de surveiller les cercles, n’ont jamais été d’un rigorisme outré ; au contraire ». — En d’autres termes, ils sont payés pour mentir, — Surtout, il est impossible de trouver, dans ces tripots, « des témoins acceptables, qui veuillent bien venir déposer devant le Conseil de guerre. Tous ces gens de jeu forment une sorte de camarilla athénienne qui observe scrupuleusement le mot d’ordre donné ; ils sont les obligés des gros tenanciers de ces officines, qui sont, eux, hautement protégés par des hommes politiques et des juifs. » D’ailleurs, Dreyfus a su « dissimuler sa passion ». Mais des croupiers, « adroitement consultés », ont confirmé les premiers renseignements de Guénée à son sujet : « Ah ! oui ! le juif qui était si laid ! » Et « deux sergents », amenés prudemment à causer de lui, l’ont qualifié de « noceur et de joueur ». Enfin, Guénée sait que, le 10 novembre, le grand rabbin de Paris, dont il fait le gendre du grand rabbin « central » Zadoc Kahn, a engagé la belle-mère de l’accusé à convenir des vices de son gendre[57].

Henry a-t-il, tout simplement et de lui-même, détruit la note officielle favorable à Dreyfus ; ou, l’ayant montrée à Mercier, a-t-il fait établir par Guénée son second rapport pour jeter le soupçon sur les agents de la Préfecture ? Dans ce cas, la note du préfet de police a été supprimée par Mercier lui-même, incrédule au premier rapport Guénée, mais se laissant convaincre par le second, parce qu’il avait mûri dans le crime[58].

Henry avait fait demander à Guénée un rapport sur les femmes « qu’avait dû fréquenter Dreyfus[59] » ; Guénée ne fut pas embarrassé. Il apprit, « d’après les déclarations d’autres femmes qu’il ne peut nommer », les rencontres de Dreyfus, chez la femme « d’un juif anglais », avec un officier allemand « qui reprochait à l’espion de devenir trop exigeant, et le menaça de le perdre ». L’accusé « avait eu des relations intimes avec plusieurs femmes du demi-monde ».

Une nouvelle note de Lépine, postérieure de quelques jours, qui exprimait des doutes sur les aventures galantes prêtées à Dreyfus[60], n’arriva pas davantage au dossier.

Il sera, dès lors, avéré que Dreyfus a été un joueur notoire, perdu de vices, et que tous ses démentis, toutes ses protestations sont d’un imposteur.

On avait ainsi réponse à qui s’inquiétait du mobile du crime. Comment expliquer l’inexplicable ? Par le mensonge.

V

Mais l’affaire importante, capitale, c’est le dossier secret.

Mercier a beau rassurer ses collègues[61], il reste inquiet ; de même, tous ceux qui l’entourent, Boisdeffre, Gonse, Sandherr. Du Paty lui-même ne réussit pas à cacher ses craintes sous son effrénée propagande ; Picquart continue à le voir « de plus en plus anxieux sur l’issue de l’affaire[62] ».

Où il n’y avait rien qu’une ressemblance d’écriture, l’instruction de D’Ormescheville ne trouvait pas plus que l’enquête de Du Paty.

La première audience de D’Ormescheville n’avait pas duré cinq minutes. Il avait montré à Dreyfus la photographie du bordereau ; Dreyfus avait affirmé qu’il n’en était pas l’auteur[63].

Puis, sur le conseil de Du Paty, il avait entendu les témoins à charge, Fabre et D’Aboville[64], qui racontèrent leur rôle à l’origine de l’affaire, et les camarades de l’État-Major. Chacun dit ce qu’il avait vu ou cru voir, entendu ou cru entendre, mille choses qui n’avaient aucun rapport ni ensemble ni avec l’accusation, — tous sincères, les uns dans leur superposition de mémoire, les autres dans leur haine.

Gendron, ayant fréquenté chez Mme Déry, « Hongroise qui parlait allemand », a su de son amant, un ancien officier, qu’elle connaissait Dreyfus. L’amant la prenait pour « une femme du monde » ; Gendron trouvait que « ni son âge ni sa beauté ne justifiaient le confortable de ses toilettes ». Bertin, « sans avoir demandé » l’accusé, l’a eu dans son service : « Après avoir semblé apporter le plus grand intérêt à l’étude du réseau de l’Est, Dreyfus avait montré une extrême nonchalance pour traiter les questions du service courant[65]. » Boullenger « a constaté que Dreyfus connaissait parfaitement le service du quatrième bureau », le même où Bertin accusait sa négligence, mais le capitaine « lui avait posé des questions auxquelles il n’avait pas pu répondre, malgré les relations de camaraderie ». Besse juge ainsi le prisonnier : « Caractère vantard et très assuré » ; Dreyfus lui a demandé, de la part d’un officier, dont il a oublié le nom, la liste des quais militaires, et l’a copiée « sur un papier dont Besse n’avait pas remarqué la nature ». Bretaud, comme Besse, tient Dreyfus pour « un peu vantard, et ayant beaucoup d’assurance ». Cuny avait passé sept à huit mois dans le même régiment que Dreyfus, « d’un caractère ferme et très sobre de conversations ». Cependant Dreyfus lui a raconté que « pour prendre les espions, il était d’usage, dans les ministères, de leur tendre des pièges ; on fabriquait de faux documents qu’on jetait dans les paniers pour voir si les employés ne les ramasseraient pas ». Cuny avait constaté aussi que Dreyfus « se promenait souvent seul, après le repas du soir, dans les rues du Mans, et qu’il recherchait assez volontiers les femmes du demi-monde. Nous lui avons même reproché de les payer plus cher que nous. » Chaton a également connu l’accusé au Mans ; il lui a entendu raconter la même histoire d’espionnage, et lui a trouvé « le caractère un peu hautain ».

Mais d’autres dépositions furent honorables. Mercier-Milon se nomma comme l’officier qui avait envoyé Dreyfus chez Besse, pour mettre à jour la liste des quais militaires. Brault et Sibille ont donné à Dreyfus des renseignements sur une question de tir, mais la question n’avait rien de confidentiel. Colard a eu Dreyfus sous ses ordres ; « laborieux, instruit, trop sûr de lui pour son âge », il n’a jamais demandé aux officiers de la section d’autres renseignements que ceux qui lui étaient nécessaires pour ses travaux. Et l’on n’eut garde d’interroger ses camarades de stage, Putz, Sourriau, Fonds-Lamothe, Junck, qui auraient tous répondu « que rien, chez lui, ne faisait prévoir qu’il pût se rendre coupable de trahison »[66].

Enfin, Gonse raconta, à sa façon, son entretien avec Gobert ; Bertillon confirma son expertise et reprocha à Pelletier de n’être pas venu le voir ; il lui aurait remis des « pelures » importantes ; Gobert maintint son rapport d’octobre, et reconnut en avoir causé avec Pelletier, mais seulement après que celui-ci eut fait le sien ; et Henry, très brièvement, affirma, sous serment, que son récit mensonger de son entretien avec Dreyfus était exact[67].

L’instruction en était là, le 12 novembre, et c’était l’effondrement des charges accessoires. Toujours rien en dehors du bordereau, d’une attribution si terriblement contestée, et, dans la pensée même des chefs, charge suffisante pour motiver une arrestation, mais insuffisante pour condamner[68].

Ils eussent bien condamné Dreyfus, et sur beaucoup moins, les uns qui s’étaient hypnotisés à le croire coupable, les autres parce que leur intérêt ou leur amour-propre voulaient qu’il le fût.

Mais qui oserait répondre du verdict des juges, même à huis clos, quand ils se trouveraient devant cette seule pièce ? Quoi ! l’État-Major, la presse, la voix publique, depuis tant de jours, avaient annoncé tant de preuves écrasantes ! Où étaient-elles ?

On n’emporterait la condamnation que par d’autres preuves, par d’autres pièces.

Si, du premier jour, l’État-Major, presque tout entier, a cru Dreyfus coupable, c’est qu’il est juif et que l’écriture du bordereau ressemble à la sienne, mais, aussi, parce que d’autres pièces, avant le bordereau, dérobées dans des ambassades, dénonçaient une vaste entreprise d’espionnage. Il était commode, rassurant, de résumer tous ces crimes sur ce seul nom.

Raison qui n’en est pas une devant la Raison, mais qui est humaine par son infirmité même.

Aussi bien, puisqu’on croyait tenir le traître, était-il légitime de chercher, parmi ces papiers accumulés, s’il n’y en avait pas qui s’appliquassent à lui. Seulement, en une matière si délicate, quand il s’agit de l’honneur d’un homme, la plus sévère critique devra présider au choix des pièces. Et, si l’on en trouve, ou si l’on en croit trouver, ces pièces, qui deviennent des charges, devront, comme toutes les charges, être communiquées à l’accusé et discutées par lui. Ainsi le veulent et l’équité et la loi.

C’était l’usage, dans tous les procès d’espionnage, de faire ainsi rechercher par le bureau des renseignements les pièces « de service » qui, plus ou moins, se pouvaient rapporter à l’affaire en cours. Sandherr ne fit que s’y conformer en prescrivant à Henry d’agir de même en ce qui concernait Dreyfus[69].

Henry réunit huit ou neuf pièces et en composa un dossier qu’il remit à Sandherr[70].

Il y avait, dans les cartons, d’autres pièces qui rendaient impossible d’appliquer à Dreyfus celles qui avaient été choisies par Henry. Elles y restèrent enfouies, plus profondément.

Sandherr examina avec Cordier les pièces triées par Henry.

La première était cette lettre signée Alexandrine, avec la fameuse phrase : « Ci-joint douze plans directeurs de Nice que ce canaille de D… m’a donnés pour vous. » Cordier eut l’impression que « c’était une antiquité », « une vieille pièce »[71]. Cependant, il dit à Sandherr : « Tout cela n’a pas l’air de signifier grand’chose, mais, enfin, il y a une initiale ; on peut l’envoyer. » Il entendait, affirme-t-il, qu’on pouvait la joindre à l’instruction[72].

Cette légèreté d’un très honnête homme, avouée par lui-même, est tristement caractéristique. Il a « dans la tête » que la pièce est ancienne, « d’avant l’affaire Greiner », d’une époque où Dreyfus n’était pas encore à l’État-Major. Il la trouve peu significative. Mais comme elle porte une initiale, — et c’est l’initiale de Dreyfus ! — il opine qu’il convient de la retenir. L’officier instructeur s’en débrouillera.

Les autres pièces parurent peu importantes, « de petites bribes, de petits morceaux », recollés au hasard, « tout le caput mortuum de la section[73] ». Sandherr en élagua plusieurs, « refit trois ou quatre fois le paquet ».

C’étaient une lettre de Panizzardi, une note de Guénée, le brouillon de Schwarzkoppen. Le bon sens indiquait qu’il s’y agissait de personnages différents. Sandherr espéra qu’ils pourraient tous être réduits à un seul, que l’un ou l’autre, du moins, serait Dreyfus. Il y joignit quelques pièces de comparaison et porta son dossier à Boisdeffre, qui en saisit Mercier.

VI

Que se passa-t-il entre ces deux hommes ? Emporteront-ils leur secret dans la tombe, laissant, ici encore, un de ces trous d’ombre qui sont les fondrières de l’histoire ?

Tous deux, d’abord, ils avaient cru Dreyfus coupable ; son arrestation précipitée, dans une espèce de guet-apens, était leur œuvre commune. Boisdeffre, comme Mercier, avait été sourd aux avis de Saussier.

Pourtant, même alors, ils avaient eu des doutes, et l’un à l’autre, ne s’en étaient pas cachés. Ils avaient compté, pour s’en délivrer, sur la scène de la dictée, les perquisitions, la longue mise au secret, les enquêtes de police. Sincèrement, ils avaient escompté l’aveu de l’accusé. Or, toutes ces espérances avaient été déçues. Cependant l’énorme scandale avait éclaté dans un tourbillon de haine, et, sujet plus grave encore d’inquiétude, l’Allemagne refusait de se laisser attribuer un informateur qu’elle n’avait pas connu.

Il y a eu jadis des jours où, jeunes, point gâtés encore par la vie, Mercier et Boisdeffre n’étaient pas préoccupés que d’eux-mêmes. Ces temps sont loin. Après des luttes et des épreuves diverses, ils sont parvenus aux grands honneurs. Ils en jouissent, Mercier qui s’y sent menacé, Boisdeffre qui en rêve de plus grands. Quoi ! parce qu’ils se seraient trompés sur le compte d’un misérable juif, tout cela s’écroulerait !

La fortune de Boisdeffre avait été soudaine. Miribel se l’était adjoint à l’État-Major, non point à cause de ses qualités, mais de sa nonchalance. Ce grand travailleur, jaloux de son travail, aimait à tout voir, à tout faire par lui-même. La paresse de Boisdeffre ne le gênait pas. Miribel mort, l’ignorance où sont les républicains des choses de l’armée avait laissé prendre à Boisdeffre cette redoutable succession. Il s’y était logé comme dans une prébende, passait quelques heures à peine dans son bureau, laissant sa besogne à des sous-ordres, tout entier à la vie du monde, aux plaisirs coûteux, à la représentation où il excellait, avec sa haute stature, l’air d’un gentilhomme militaire et diplomate, décoratif, avec quelque chose, dans le regard, de profond ou de sombre, qui donnait à penser. Ami, depuis trente ans, et pénitent du père Du Lac, il était l’homme des jésuites, n’avait rien à leur refuser, installait leurs élèves aux postes de choix. La Société, reconnaissante, soignait sa renommée, lui gagnait la presse. Au scandale des vrais militaires, qui connaissaient son incapacité, sauf pour l’intrigue, il était devenu, sans que personne ait pu expliquer pourquoi, le chef indispensable et sacré qui avait conclu l’alliance avec la Russie et qui faisait peur à l’Allemagne. Le gouvernement de la République lui offrait toutes les occasions de paraître. L’Empereur de Russie étant mort le 1er novembre, Boisdeffre avait été chargé de représenter la France à ses obsèques[74].

Mercier ne l’aimait pas, et même avait essayé de le malmener ; puis, il avait cédé devant la force qui poussait cet homme heureux, la lui enviant et prêt à tout faire pour se la concilier. La situation du ministre, depuis la rentrée du Parlement, avait encore empiré. La Chambre restait indifférente à l’affaire Dreyfus, n’y voyant qu’un fait divers ; mais le renvoi anticipé des vieux soldats avait été enfin porté à la tribune. À l’unanimité, la commission de l’armée avait décidé que les mesures prises par le ministre étaient inopportunes, à la majorité qu’elles étaient illégales. Mercier, par deux fois, avait été entendu par elle, n’avait pas réussi à la convaincre et s’était retiré, à la fois humilié et irrité. Puis, le 6 novembre, l’interpellation fut développée devant la Chambre. L’ancien confident de Boulanger, qui en prit l’initiative, fut sévère, acerbe. Le Hérissé montra les effectifs « tellement faibles que tout menace de s’effondrer », le service quotidien à peine assuré en pleine paix, le gouvernement de Paris obligé, pour fournir les soixante-quinze hommes du peloton d’honneur à la Chambre, de les prendre dans deux ou trois compagnies, et même dans des bataillons différents, la violation flagrante de la loi, le mépris insolent des décisions du Parlement. Il fut fort applaudi. La commission de l’armée eût préféré joindre l’interpellation à la discussion du budget de la guerre ; son président, l’académicien Mézières, invité à prendre la parole, constata cependant, lui aussi, la désorganisation des corps d’armée sur toute l’étendue du territoire. Enfin, les explications confuses, embarrassées de Mercier furent écoutées au milieu d’un silence glacial. Pour lui épargner un vote de blâme, le président du Conseil accepta, à la hâte, l’aumône de l’ordre du jour pur et simple.

Mercier sortit de cette séance l’ombre de lui-même, écrasé, définitivement jugé comme incapable. La presse, le lendemain, accentua la défaite. Et ce qu’on savait de son projet pour l’expédition de Madagascar n’était pas l’objet de moins violentes critiques.

Cependant Boisdeffre, son collaborateur en toutes choses, restait indemne, respecté de tous, et Rochefort le lui proposait comme modèle, « patriote et vrai soldat ». Nulle tentative plus grossière de séduction. Rochefort, qui se flattait d’avoir fait Boulanger, s’offrait à Mercier. Il racontait que le ministre de la Guerre, enfin pris de honte, avait déclaré au Conseil sa résolution « d’aller jusqu’au bout, c’est-à-dire de faire condamner à mort et fusiller le traître[75] ». Et, le louant « de ce bon mouvement », il lui promettait de « passer de son côté », s’il se décidait à jeter à la face de Casimir-Perier et de « l’impudique gorille nommé Joseph Reinach » sa démission motivée.

Mercier examina avec Boisdeffre les pièces réunies par Henry, classées par Sandherr. Ils connaissaient, l’un et l’autre, la dépêche de Panizzardi, la savaient sincère et exactement traduite. Donc l’antique lettre, au sujet de « ce canaille de D… », qui était à la solde des deux attachés, ne concernait pas Dreyfus, dont l’existence avait été révélée par son arrestation à l’attaché italien.

Il était bien tentant d’appliquer à Dreyfus l’initiale D…, d’y voir la signature du bordereau. Mais cette initiale même ne prouvait rien, les attachés militaires ayant l’habitude, par prudence, de démarquer, dans leurs correspondances, les noms de leurs agents.

Plus misérables encore les autres pièces du petit dossier, la lettre où l’un des attachés engage l’autre à se renseigner près d’un ami, l’indéchiffrable rébus de Schwarzkoppen.

Il n’y a pas une chance sur cent, sur mille, que l’une ou l’autre de ces pièces s’applique à Dreyfus. Cependant, si cette chance existe, d’arriver à la vérité ou de perdre un homme, à qui appartient-il d’en décider ? À la justice régulièrement saisie, au juge instructeur qui interrogera l’accusé, aux juges qui entendront sa défense.

La loi est formelle, impérative, l’article 101 du Code de justice militaire : « Le rapporteur fait représenter au prévenu toutes les pièces pouvant servir à conviction, et il l’interpelle pour qu’il ait à déclarer s’il les reconnaît. » Et l’équité a dit, avant la loi, que l’accusé connaisse les charges qui lui sont reprochées.

Seulement, si Dreyfus connaît ces pièces, versées au dossier, il réduira à néant la tentative de les lui appliquer.

Ainsi ce dilemme s’impose : ou renoncer à faire usage du nouveau dossier, ou le communiquer aux seuls juges, en violation de la loi, y joindre un commentaire officiel, la parole même du ministre de la Guerre, affirmant que les inconnus visés par ces pièces sont un seul homme, l’accusé.

Ou l’acquittement possible, sinon certain, — ou cet amas d’horreurs, mensonge, forfaiture, assassinat d’un soldat dans la nuit.

Boisdeffre a-t-il hésité ? Mercier, bien qu’il s’en taise, a commencé par reculer devant le crime.

Ce n’est pas qu’il n’en voie clairement le prix : cette presse qui l’outrage va l’acclamer ; du même coup il s’annexera l’Église et les démagogues, Drumont et Rochefort ; la condamnation du juif doit le sacrer grand homme, gardien de la défense nationale, chef des patriotes. Vainqueur d’Israël et sauveur de la France, il sera à Boulanger ce que Bonaparte a été à Augereau.

Le même marché avait été offert au chef de l’État : « Casimir-Perier a une terrible occasion de devenir populaire[76]. »

Pourtant un suprême scrupule de conscience arrête. Mercier. Quoi ! violer la loi[77] — plus que la loi, le droit naturel[78], — supprimer la défense d’un accusé, tuer un innocent possible, et d’un coup si lâche !

Il demande à réfléchir. Aussitôt sa défaillance est connue du journal des jésuites.

Le 13 novembre, la Libre Parole s’empare, pour avertir Mercier, d’un propos de l’avocat Demange. Questionné au sujet de la défense de Dreyfus qui vient de lui être proposée, Demange aurait donné à entendre, dans les couloirs du Palais de Justice, que l’accusation porte sur une seule pièce, d’une écriture contestée. La Libre Parole rectifie brutalement : « Il existe d’autres preuves de la trahison. Il s’agit d’un officier, et, qui plus est, d’un juif. Est-il possible d’admettre que le ministre ait pris contre lui des mesures aussi graves si son crime n’avait pas été absolument établi ? »

Ainsi, ces prétendues preuves, ces pièces si secrètes, volées dans des ambassades, la presse les connaît ou sait qu’elles existent, les brandit, les publiera peut-être demain.

Qui a informé le journal de Drumont ? Et qui a confié à Henry les dernières convulsions de l’honneur de Mercier ?

Boisdeffre, ce même jour, était parti pour Moscou.

Il se fait un silence pendant trois jours, dans la Libre Parole, sur Mercier. Puis, tout d’un coup, le quatrième[79], ce cri d’allégresse éclate : « M. le général Mercier paraît désirer que la lumière se fasse absolument complète. Il veut qu’en dépit des efforts tentés par la juiverie, l’officier traître et lâche subisse le châtiment qu’il a mérité. L’expiation est proche. Nous ne pouvons que féliciter le ministre de son énergie et lui dire que, s’il s’est enfin un peu dégagé des compromissions ambiantes, il a bien mérité de la Patrie. »

Nous avons ainsi la date exacte de la capitulation. Mercier, la veille, avait abaissé son drapeau, consenti le crime.

VII

Le dossier secret, c’était la victoire de l’accusation. Quel tribunal militaire résisterait à la parole du ministre de la Guerre, affirmant la culpabilité d’un juif, deux fois traître, espion aux gages à la fois de l’Allemagne et de l’Italie ? Le mystère même de l’ordre le rendra plus impératif. Pièces bizarres, étranges, inexplicables. Mais à quel soldat viendra l’idée que, faussement, devant la justice, le chef de l’armée en puisse accabler un innocent ?

Du Paty fut chargé d’en rédiger, en collaboration avec Sandherr, le commentaire[80]. Il le définit ainsi lui-même : « Une note destinée à établir la concordance entre ces pièces », c’est-à-dire, en effet, à les rendre toutes applicables à Dreyfus.

Il n’avait su cacher ni à Picquart ni à Boucher ses inquiétudes[81]. Il ne sut pas cacher davantage sa joie de la victoire. Il leur dit que des recherches avaient été faites au bureau des renseignements, que « des pièces écrasantes pour Dreyfus y avaient été trouvées[82] », que la partie était gagnée. Il n’hésita même pas à en donner une indication sommaire, les dénaturant d’ailleurs, affirmant qu’il en résultait à l’évidence que les exigences de Dreyfus à l’égard de ses employeurs avaient été folles[83]. — C’est ainsi qu’il traduisait la lettre relative à « ce canaille de D… », qui s’offrait pour quelques louis. — Un peu plus tard, après l’ordre de mise en jugement, il annoncera que certaines de ces pièces, d’une nature trop secrète, « ne seront pas communiquées à la défense, mais simplement montrées aux juges[84] ».

Ni Boucher ni Picquart ne s’en indignèrent, tant la notion du Droit était vague même dans l’âme des plus honnêtes soldats, tant aussi ils avaient confiance en leurs chefs, incapables, évidemment, d’arguer de preuves secrètes, si elles n’étaient solides et décisives. Mercier et Boisdeffre affirmaient, par la bouche de Du Paty, que la preuve de la trahison était au dossier secret ; ils le crurent, sans s’étonner autrement de ce qui ne leur sembla qu’une irrégularité de procédure, dictée par les besoins de la politique.

À l’État-Major, l’existence d’un dossier secret fut bientôt connue de nombreux officiers. Mais si haute était la muraille entre le ministère de la Guerre et le reste du pays que rien ne transpira, sauf de légères allusions dans quelques journaux.

Quelque imprécises que fussent ces allusions, elles auraient dû frapper Mathieu Dreyfus qui, sans communication avec son frère, cherchait avec angoisse la clef du mystère. Mais les mille mensonges, déjà accumulés par ces journaux, le rendaient sceptique à leurs informations ; ces parcelles de vérité, d’un prix inestimable s’il les avait reconnues, se confondirent pour lui dans le flot des inventions courantes. Bien plus, ce fut ce moment que choisit Mercier pour démentir, dans deux conversations successives[85], le bloc des fausses nouvelles. Tout ce qu’avaient raconté les journaux n’était que « suppositions » ; « il n’y avait pas eu une seule pièce détournée ; les renseignements livrés n’avaient pas l’importance qu’on leur attribuait, et Dreyfus s’obstinait à se dire innocent ». Mercier insistait sur son parfait accord avec Boisdeffre ; méchants bruits que ceux qui ont couru sur leurs divergences ; il y a toujours eu, entre eux, unité de vues, d’opinion. Il proteste qu’aucune indiscrétion n’a pu venir « d’un seul de ses officiers ».

Ce démenti tardif, donné à des journalistes, dans une causerie familière, ne détruisit aucune des légendes cristallisées déjà dans l’âme du peuple. L’eau, glissant sur le marbre, laisse plus de traces.

Mais ni Mathieu Dreyfus ni personne n’observèrent alors que ce démenti ne fut relevé par aucun des journaux qui avaient déchaîné l’ouragan des mensonges. Silence significatif, cependant, puisqu’il coïncidait avec la brusque cessation des attaques contre Mercier, devenu tout à coup grand homme et patriote impeccable.

Le ministre de la Guerre avait capitulé, promis la condamnation de Dreyfus ; de nouveaux mensonges étaient inutiles ; ceux d’hier avaient fait leur œuvre, continuaient à la faire dans les esprits. Il n’y avait plus qu’à attendre, tranquillement, l’imminente victoire.

Une grande accalmie se fait dans la presse antisémite. Les journaux, de toutes nuances, continueront à publier des articles sur l’affaire en cours. Mais Drumont, Rochefort, le moine de la Croix et Judet arrêtent leurs polémiques, comme ils les avaient commencées et comme ils les reprendront, tous ensemble, au signal d’un archet.

Mercier n’eut garde de communiquer à ses collègues les pièces qui avaient été réunies au bureau des renseignements[86] ; il eût fallu leur dire quel usage il se réservait d’en faire[87]. Toutefois, il montra la pièce Canaille de D… au Président de la République[88] et à Hanotaux[89], pour les rassurer, mais sans leur dire qu’elle ne serait soumise qu’aux seuls juges.

VIII

Ces juges, d’ici quelques jours, quand ils recevront les pièces secrètes et quand ils jugeront sur elles, ces juges, ignorants de la loi qu’ils appliquent, ne sauront pas qu’ils la violent.

Mais Mercier connaît la loi. Il sait qu’il prépare un crime.

La preuve qu’il le sait, c’est qu’il s’en cache.

Il s’en cache à ses collègues, juristes pour la plupart, qui se seraient refusés à être ses complices. Il s’en cache au chef de l’État dont la loyauté se fût révoltée. Il s’en cache même à l’accusateur public, D’Ormescheville.

Mais l’accusé, maintenant, c’est Mercier. Ne le condamnons pas sans l’entendre.

Il n’allègue qu’un seul motif, qui lui semble suffisant : « L’intérêt qu’il y avait à communiquer les pièces le moins possible[90]. »

Quoi ! pas même à D’Ormescheville, à un officier de plus, quand vingt autres les connaissent déjà ou les connaîtront ! Est-il plus suspect d’indiscrétion, plus bavard que les autres ?

La vraie raison, en ce qui concerne D’Ormescheville, c’est que, si elles avaient été communiquées au rapporteur, les pièces l’auraient été forcément à la défense[91] ; versées au dossier, elles n’eussent plus été secrètes.

Et le seul fait d’apporter, à la dernière heure, ces charges réservées si longtemps, détruisait la première ; elle était donc bien insuffisante, bien fragile, pour qu’il fût jugé nécessaire d’amener ce renfort sur le champ de bataille, de faire donner la garde !

Croit-il du moins, en son for intérieur, que ces pièces s’appliquent à Dreyfus ? Il l’affirme, le jure. Mais s’il les tient pour probantes, que ne les lui jette-t-il à la face ?

Il insiste : « Il l’eût voulu, mais elles eussent été divulguées. » Par qui ? L’avocat est tenu au secret professionnel et Dreyfus va être supprimé du monde, il va partir pour le bagne éternel.

Et pourquoi la production d’une lettre de Schwarzkoppen à Panizzardi est-elle plus dangereuse, à huis clos, que celle du bordereau dérobé à l’ambassade d’Allemagne ? Le bordereau a été communiqué à Demange, à Dreyfus, sans que Mercier ait tremblé pour la paix. Quelle force d’explosion, est dans Canaille de D… qui n’est point dans l’autre pièce volée ?

Non seulement il dissimule les pièces à l’accusé, mais il laisse le Président de la République et ses collègues du ministère dans l’ignorance de son dessein. S’il montre à Casimir-Perier et à Hanotaux, pour les rassurer, l’une des pièces secrètes[92], il leur tait l’usage qu’il en va faire. Pourquoi a-t-il plus confiance en sept officiers du conseil de guerre qu’en sept ministres, en Sandherr, qu’en Hanotaux, en Du Paty qu’en Dupuy, en Henry qu’en Casimir-Perier ?

« Devions-nous désirer la guerre » ? demande Mercier[93]. Et il montre l’Allemagne ayant avancé la transformation de ses canons à tir rapide, quand la nôtre était à peine commencée, notre plan de mobilisation en pleine transformation, l’avènement d’un nouveau tsar dont les dispositions étaient incertaines : ratifiera-t-il la convention militaire conclue par son père ? la Russie marchera-t-elle ? enfin, devant l’Europe, la misère des mobiles qui auraient amené la guerre, « qui ne nous mettraient pas dans une situation avantageuse. » Pour prouver que ces craintes n’étaient pas vaines, Mercier raconte toute une scène tragique, un ultimatum de l’Allemagne, et les ordres de mobilisation prêts à partir[94]. Or, il place lui-même, au 6 janvier[95], quinze jours après le procès, cette nuit historique qu’il invente[96].

Mais les pièces secrètes, et bien d’autres ont été publiées depuis, lues par des ministres à la tribune, jetées en défi, officiellement, non seulement aux défenseurs français de Dreyfus, mais à l’Allemagne et à l’Italie, puis produites en vingt procès : à aucun moment, la guerre n’a été en vue.

L’eût-elle été, en décembre 1894, que la situation, militaire ou diplomatique, n’était ni pire (ni meilleure) qu’aux années précédentes ou suivantes. Deux ans après, en avril 1896, l’Allemagne était encore aux essais de son nouveau matériel d’artillerie[97]. Notre nouveau plan de mobilisation ne devant être mis en vigueur qu’au printemps[98], la mobilisation se serait faite d’après l’ancien plan XII. Et Boisdeffre, revenu de Moscou[99], se vantait à tous que l’alliance serait plus étroite encore avec le jeune Empereur qu’avec son père.

Ainsi, la communication n’a été secrète que pour ce seul motif : si elle n’est pas secrète, elle est vaine. Secrètes, non seulement ces pièces échappent à la discussion de l’accusé, mais elles portent aux juges l’ordre même du ministre[100]. Ce n’est plus le chef de la justice militaire qui soumet, à la conscience des magistrats, des charges qu’ils pèseront. C’est le chef de l’armée qui commande à des soldats de frapper. Sortis avec lui du domaine de la loi, ils cessent, d’être libres ; il leur faut obéir.

Et Mercier sait si bien que son crime n’a pas eu d’autre motif, qu’aussitôt accompli, il s’efforce d’en faire disparaître les traces, et qu’il ne l’avoue finalement que contraint, le couteau sur la gorge.

Et, pour que le crime soit plus tragique, son premier instrument est Du Paty, petit-fils de ce président du parlement de Bordeaux, qui, vengeur volontaire d’une erreur judiciaire, dans son Mémoire pour trois hommes condamnés à la roue[101], dénonce, comme la honte de la justice, l’usage des charges inconnues de l’accusé. Il a rappelé les vieux arrêts : « Toutes les fois qu’il survient de nouvelles charges, il faut nécessairement interroger de nouveau l’accusé sur les faits résultants de ces nouvelles charges, à peine de nullité… Ainsi jugé par arrêt de la Tournelle du 24 juillet 1712, et par un autre du 9 janvier 1743[102]. » Il s’écrie : « Quoi ! le droit de se justifier ne serait plus qu’une grâce ! Quoi ! le juge serait encore le maître d’accorder ou de refuser la justification aux accusés !… Refus barbare, il n’y a pas de cœur qui ne le sente ; mais je soutiens que ce refus est une irrégularité, qui annule tout jugement ultérieur !… Je ne veux point reproduire ici, concernant la justification des accusés, ni les arguments de la raison, ni les cris du genre humain, ni les larmes de tant d’accusés, ni le sang de tant d’innocents. Mais je dirai du moins, de tout mon pouvoir, que, plus une loi tyrannique retient, dans le silence et les ténèbres, pendant tout le cours de la procédure, la justification des accusés, les expose à tous les caprices du sort, à tous les efforts de la calomnie, à tous les outrages du temps, plus aussi, lorsqu’un moment avant le jugement, et se ressouvenant enfin, comme par hasard, de l’innocence, cette loi lui permet alors de paraître et de parler un moment, plus alors cette loi doit forcer la justice à écouter un moment l’innocence, à lui prêter son flambeau. Non, non, je ne demande point que vous donniez, comme chez les Romains, des gardes à l’accusateur… Je consens que la preuve de l’innocence de l’accusé soit renvoyée à la fin de l’instruction, et que cet acte, qui devrait la commencer, la termine. Oui, que l’accusateur soit libre, que l’accusé soit en prison ; que l’accusateur produise, à son gré, à son aise, successivement, autant de témoins qu’il voudra ; et que l’accusé ne puisse indiquer les siens qu’à la hâte, à la fois, dans un moment ; qu’enfin l’accusateur combatte les yeux ouverts, au grand jour, armé de cent lois, et l’accusé, au contraire, les fers au pied, dans la nuit, seul ! Mais je demande que l’accusé puisse au moins combattre ! Je demande que la justice soit contrainte, au moins, de lui ouvrir la barrière[103] ! » Ainsi parlait Du Paty, l’ancien, sous Louis XVI, trois ans avant la Révolution. Or, le Jésuite ayant surgi à nouveau sur les désastres de la Patrie, — car il monte chaque fois que la Patrie baisse[104], — voici l’autre Du Paty, cent cinq ans après la Révolution, à la tombée du siècle, dans l’épanouissement de toutes les libertés.

    partie du Franco-américain et qui ont les prénoms suivants : Camille, G. Maurice, Maxime et Paul. » Et plus loin : « En ce qui concerne Dreyfus (Maxime), toutes les personnes qui ont été consultées sont unanimes à déclarer que l’on confond Alfred Dreyfus avec son homonyme ; en effet, Maxime Dreyfus fait partie de plusieurs cercles de Paris, a perdu au jeu un héritage paternel considérable et a eu souvent affaire avec les frères Bertrand pour des emprunts importants. » Au surplus, la note de police n’incrimine aucun de ces joueurs ; les racontars de Guénée sont de simples mensonges. (Rapport du 9 novembre, Cass., II, 349) Guénée indique précisément Charles Bertrand comme un « usurier du jeu » qui aurait fait faire au capitaine Dreyfus des billets payés par M. Hadamard. (Rapport du 4 novembre, Cass., II, 294.)

  1. Cass., I, 469, Trarieux. (Récit du comte Tornielli, ambassadeur d’Italie à Paris.)
  2. « Schwarzkoppen revint chez moi me dire : « C’était une fausse alerte, ce n’est pas mon homme. » (Récit fait, le 17 février 1898, par Panizzardi à Henri Casella ; Réforme de Bruxelles du 18 mai 1898.) — Ce récit m’a été confirmé par le comte Tornielli.
  3. Voici le texte de cette pièce, qui fut remise, le 5 janvier 1899, par le comte Tornielli à Delcassé, ministre des Affaires étrangères, et transmise, le 3 février, par Paléologue, secrétaire d’ambassade, à la Cour de cassation (Cass., I, 400) : « L’arrestation du capitaine Dreyfus a produit, ainsi, qu’il était facile de le supposer, une grande émotion. Je m’empresse de vous assurer que cet individu n’a jamais rien eu à faire avec moi. Les journaux d’aujourd’hui disent en général que Dreyfus avait des rapports avec l’Italie ; trois seulement disent, d’autre part, qu’il était aux gages de l’Allemagne. Aucun journal ne fait allusion aux attachés militaires. Mon collègue allemand n’en sait rien, de même que moi. J’ignore si Dreyfus avait des relations avec le commandement de l’État-Major. » — À Rennes (I, 280), Roget déposa que Panizzardi avait, à cette même date, adressé un rapport à l’ambassadeur d’Italie, Ressmann, où il aurait déclaré que « Dreyfus trahissait pour le compte de l’Allemagne ». Panizzardi télégraphia aussitôt de Rome, 17 août : « Ce rapport n’a jamais existé, cette déclaration n’a jamais existé. » Il ajoutait : « Je n’ai appris le nom du capitaine français qu’à l’époque de son arrestation, comme, du reste, je l’ai déclaré par écrit et par voie officielle, sur mon honneur de soldat et de gentilhomme. » Roget, sous ce démenti, se tut.
  4. Cette dépêche a été communiquée dans les mêmes conditions que le rapport de Panizzardi. (Cass., I, 400.)
  5. Le comte de Munster, ambassadeur d’Allemagne, et Ressmann, ambassadeur d’Italie. (Cass., I, 469, Trarieux.) — Ressmann fut remplacé à l’ambassade d’Italie, en décembre 1894, par le comte Tornielli.
  6. Cour de cassation (Chambres réunies), 29 mars 1899 ; déposition de Paléologue, « d’ordre du ministre des Affaires étrangères ». La déposition est reproduite, d’après le compte rendu officiel, dans le mémoire de Me Mornard. (Cass., III, 174.)
  7. Cass., III, 175 ; Rennes, I, 57, Paléologue.
  8. Rennes, I, 55, Delaroche-Vernet : « Sandherr a été tenu au courant, je ne dirai pas minute par minute, mais au fur et à mesure que ce travail, qui est très compliqué, très long, très difficultueux, se faisait… J’ai d’abord servi d’agent de transmission entre le ministère des Affaires étrangères et le ministère de la Guerre au moment où on se livrait à des études sur ce télégramme chiffré. « — Voir Appendice VI.
  9. Arrestato capitan Dreyfus che non avuto relazione con Germania… Le premier groupe : 913, avait été traduit par arrestato. On s’aperçut, le jour même, que ce chiffre était un numéro d’ordre. Sur le sens de cette première ébauche, tenue pour hypothétique, les dépositions de Delaroche-Vernet.(Rennes, I, 52 et 56) et de Paléologue (Rennes, I, 59 et 60) sont absolument concordantes. Comme on le verra, la seule divergence entre Delaroche et Paléologue porte sur la date, 10 ou 13 novembre, du déchiffrement définitif. Les ébauches cryptographiques font partie du dossier diplomatique qui fut communiqué à la Cour de cassation et au conseil de guerre de Rennes (1, 52 et 59).
  10. Cass., I, 389, 394, 395 ; III, 175, Rennes, I, 57, Paléologue.
  11. uffiziale ? rimane prevenuto emissario. L’une des raisons pour lesquelles le cryptographe a indiqué cette traduction comme douteuse, c’est le mot rimane, inadmissible, impossible dans cette phrase, avec le sens du verbe être.
  12. Cass., I, 394 ; III, 175, Paléologue. — Gonse (Cass., I, 561) précise que Sandherr seul avait, « à ce moment-là », des relations avec le ministère des Affaires étrangères. Voir Rennes, II, 226-228.
     Selon Du Paty, Sandherr aurait consulté seulement le commandant Munier, ancien secrétaire de la Commission de cryptographie.
  13. Cass., I, 546 ; question d’un conseiller à Mercier.
  14. Cass., I,.394, Paléologue.
  15. Gonse et Boisdeffre déclarent avoir été avisés par Sandherr. Mercier ne se souvient pas s’il a été informé par Sandherr ou par Boisdeffre. (Cass., I, 546.) Selon Gonse, ce fut par Sandherr. (Cass., I, 561.) Boisdeffre ne sait pas si ce fut par Sandherr ou par lui-même. (Cass., I, 556.)
  16. Boisdeffre s’en tait ; Gonse ne s’en souvient plus. (Cass., I, 561.) Mercier le nie : « La traduction m’a été présentée sur papier blanc ordinaire, en écriture courante. » (Cass., I, 546.) Gonse, en tout cas, a eu par la suite entre les mains la copie du feuillet cryptographique. Je le prouverai, notamment par une lettre de lui à Du Paty.
  17. Cass., I, 545 ; Rennes, I, 502, Mercier.
  18. Cass., I, 561, Gonse.
  19. Cass., I, 556, Boisdeffre.
  20. Alors même que la traduction eût été donnée comme certaine, la preuve eût été faible. De ce que Panizzardi, au milieu de la fièvre provoquée par l’affaire Dreyfus, aurait prévenu son « émissaire », il n’en résulterait point que Dreyfus eût été espion aux gages de l’Italie, — bien au contraire, — ni qu’il fût l’auteur du bordereau trouvé ou volé à l’ambassade d’Allemagne.
  21. Cass., I, 546, Mercier ; 557, Boisdeffre ; 561, 564, Gonse.
  22. Cass., I, 546, un conseiller à Mercier. La Cour de cassation et le conseil de guerre de Rennes ont eu les pièces mêmes sous les yeux. Le « souvenir » des trois généraux s’explique par la nécessité de justifier le faux texte qui fut fabriqué par la suite et où figurent ces mots : « Le capitaine Dreyfus est arrêté ; le ministre de la Guerre a la preuve de ses relations avec l’Allemagne ; toutes mes précautions sont prises. »
  23. Rennes, III, 511, Du Paty : « Au commencement de décembre, Sandherr m’a montré : 1° un télégramme chiffré ; 2° deux versions de ce télégramme. »
  24. Proba, relazione, — les deux mots, d’ailleurs, sous le même groupe, et, dès lors, s’excluant l’un l’autre, ne pouvant être exacts l’un et l’autre, — arrestato, Germania, etc.
  25. Il n’est pas contestable que le faux texte de la dépêche a été établi ainsi. La démonstration en a été faite, d’une façon irréfutable, par Paléologue, d’ordre du ministre des Affaires étrangères, devant les chambres réunies de la Cour de cassation. (III, 177.) Mais quand fut-il fabriqué ainsi ? C’est ce que Paléologue ne recherche point et ce que j’aurai à montrer. En tous cas, de ce que ce faux a été établi par quelqu’un qui avait sous les yeux les divers essais des cryptographes, il résulte que quelqu’un avait pris, le jour même, copie de l’ébauche qui n’avait été confiée à Sandherr, pour une heure, qu’à titre confidentiel, et cela est confirmé par Du Paty. (Rennes, III, 511.) Indiscrétion, mais, d’abord, sans préméditation coupable. Cependant le faux est en puissance, à l’état latent, dans cette copie de l’ébauche cryptographique.
  26. Cass., I, 394, Paléologue.
  27. Cass., I, 304, Paléologue : « La traduction définitive du télégramme a été communiquée au service des renseignements probablement le 7, et sûrement pas plus tard que le 10. » — Le 29 mars 1899, devant les chambres réunies, Paléologue dépose : « Bientôt après, aux environs du 11 novembre, le texte définitif fut communiqué comme authentique… » — Delaroche-Vernet croit que ce fut seulement le 13 ; Paléologue maintient la date du 10 : « Je la tiens du chef du bureau actuel du chiffre qui, je le répète, a toujours eu les documents sous les yeux. » — Le fait, d’ailleurs, n’offre aucune importance.
  28. Par M. Delaroche-Vernet, secrétaire d’ambassade.
  29. Voir Appendice VI.
  30. Rennes, I, 161, Paléologue. — D’après Delaroche-Vernet, la contre-épreuve aurait été antérieure à la traduction définitive, au cours même des essais de traduction et aurait servi à déterminer le texte exact de la dépêche. (Rennes, II, 55 et 56.) D’après Paléologue, elle est postérieure. (Cass., III, 176 ; Rennes, II, 58.) Le chef du bureau du chiffre est d’accord avec Paléologue et fixe la contre-épreuve au 13 novembre. Mais les deux diplomates sont absolument d’accord sur la nature même de l’épreuve faite par Sandherr et sur le succès de l’épreuve. Ils déclarent également que Sandherr reconnut l’exactitude rigoureuse de la traduction qui lui avait été officiellement remise par Delaroche-Vernet.
  31. Paléologue(Cass., III, 176) en donne le texte : « Y…, qui est à X., va partir sous peu de jours pour Paris ; il est porteur de documents relatifs à la mobilisation de l’armée… qu’il s’est procurés dans les bureaux de l’État-Major ; cet individu demeure rue… » Les noms propres furent intégralement déchiffrés comme le reste. X… est Schlissenfurt. (Rennes, III, 647, Demange).
  32. Gonse (Cass., I, 561) et Boisdeffre (Cass. I, 556) en conviennent. Mercier croit que la traduction lui fut (remise par Boisdeffre (Cass., I, 546) ; Gonse croit que ce fut par Sandherr (Cass., I, 561).
  33. Mercier, à Rennes (I, 160), interrogé sur le point de savoir si Sandherr lui a fait part de la contre-épreuve, se borne à répondre : « Je n’en ai pas souvenir. »
  34. Mercier dit à Rennes (II, 94) que cette version était « vague ». — Cavaignac affirme que les deux versions furent données, à Mercier, « à très peu d’intervalle, quarante-huit heures, je crois ». (Cass., II, 348.)
  35. Cass., I, 644 ; Rennes, I, 226, Hanotaux.
  36. Cass., I, 644, Hanotaux.
  37. Rennes, I, 220, Hanotaux, note du 7 décembre 1894.
  38. Voir Appendice VII.
  39. Patrie du 10 novembre ; ce journal est antidaté.
  40. Figaro du 10.
  41. Ce sont les termes mêmes d’une lettre du prince de Hohenlohe, racontant l’incident à un ami personnel qui communiqua la lettre à Scheurer-Kestner.
  42. Rennes, I, 221, Hanotaux : « Dès le milieu de novembre 1894, d’abord dans des conversations auxquelles on attachait une importance secondaire, puis dans une série d’autres conversations beaucoup plus importantes et qui se trouvent enregistrées au dossier, une des ambassades nous a fait des observations sur les bruits qui se répandaient que la dite ambassade était mêlée à cette affaire et que le document initial pouvait provenir des papiers de la dite ambassade. »
  43. Cass., I, 643, Hanotaux : « Je n’ai jamais eu connaissance, à aucun moment, du dossier judiciaire de l’affaire Dreyfus. Le principe de la séparation des pouvoirs et le départ qui se fait naturellement, dans le travail des différents ministères, ne me permettaient en rien de le connaître. Il n’a jamais été apporté au conseil des ministres. D’ailleurs, on me faisait, comme ministre des Affaires étrangères, une situation particulière. J’avais, en effet, à faire face aux difficultés internationales qui surgissaient au fur et à mesure que le procès se déroulait. Il était important que je n’eusse pas à répondre aux questions pressantes qui m’étaient parfois adressées par les diplomates étrangers et que j’eusse, à ce point de vue, toute la liberté d’action nécessaire pour sauvegarder les intérêts généraux du pays dans une situation des plus délicates et qui fut même périlleuse. »
  44. Rennes, I, 67, Casimir-Perier : « Je savais que le ministre des Affaires étrangères avait eu des entretiens avec l’ambassadeur d’Allemagne, mais, malgré une observation antérieure, il s’était abstenu de me les faire connaître. »
  45. Rennes, I, 221, Hanotaux : « On a dit que ces échanges de vues n’avaient pas été exposés à qui de droit. Ils ont été si parfaitement racontés à qui devait les connaître qu’ils ont donné lieu à des publications dans l’Agence Havas. » Hanotaux ne dit pas quel est le personnage qu’il désigne sous cette expression vague : « qui de droit. »
  46. Cass., I, 128 ; Rennes, I, 373, Picquart. — Du Paty proteste (Rennes, III, 511) « qu’il ne s’immisça en rien dans la procédure D’Ormescheville ». L’immixtion illégale de Du Paty dans l’instruction fut signalée par Forzinetti à Saussier, qui répondit que Du Paty agissait, sans doute, par ordre du ministre.
  47. Rapports des 4 et 19 novembre. (Cass., II, 289 et suiv.)
  48. Cass., I, 726, Guénée : « C’est un bruit qui courait parmi les habitués des tripots qui fréquentent les cafés des boulevards et les boulevards. — Avez-vous pu vérifier vous-même si Dreyfus fréquentait ces établissements ? — Non, monsieur. »
  49. Ibid.
  50. Rapport du 4 novembre. (Cass., II, 295.)
  51. « Une des amies de Mme Hadamard lui ayant dit qu’elle allait conseiller à sa fille de demander le divorce parce que son mari avait perdu 20.000 fr. au cercle, reçut cette réponse : « Divorcer pour 20.000 fr. ! Ah ! nous en avons payé bien d’autres pour le capitaine ! » (Rapport.)
  52. Cass., I, 722. Guénée.
  53. « Il est exact, dépose Lépine, que le ministre de la Guerre, désirant contrôler des renseignements sur les habitudes de l’accusé, renseignements qui lui avaient été fournis par une police étrangère à la mienne, me demanda une première fois, vers le commencement de novembre 1894, si Dreyfus avait perdu de fortes sommes au cercle Washington et si son beau-père était intervenu pour rembourser le prêteur. » (Cass., II, 12.) Mercier ne fait aucune allusion à cet incident, pourtant honorable, ni devant la Cour de cassation ni à Rennes. Il ne dit nulle part qu’il ait demandé un rapport à Lépine ni qu’Henry ne le lui ait pas remis. C’est, sans doute, pour n’avoir pas à confesser qu’il l’a détruit.
  54. Du 9 novembre 1894.
  55. « Il y a lieu d’établir qu’une confusion doit exister entre Alfred Dreyfus et les Dreyfus, au nombre de quatre, qui font
  56. « La Préfecture, écrit Guénée dans son rapport, a dû se contenter des réponses des personnes suivantes : Altès, ancien président du Washington ; Combes, ancien président du cercle des Capucines ; Aurélien Scholt, etc. » (Cass., II, 291.)
  57. Cass., II, 292 et 293, rapport Guénée.
  58. La minute du rapport officiel avait été, comme toutes les minutes de ce genre, conservée à la préfecture de police. Le fait fut signalé aux chambres réunies de la Cour de cassation par Lépine lui-même (Audience du 24 avril 1899) et la minute authentique fut versée au dossier (Cass., II, 349).
  59. Cass., I, 720, Guénée.
  60. Cass., II, 12, Lépine.
  61. tiennes, I, 220, Hanotaux.
  62. Rennes, I, 373, Picquart.
  63. 5 novembre.
  64. Toutes ces dépositions sont reproduites au tome II de l’enquête de la Cour de cassation, p. 30 et suiv.
  65. « Quand je suis arrivé au 4e bureau, il n’y avait rien à faire… Le service courant était tellement nul qu’on dut donner aux stagiaires un travail fictif de transport. » (Notes manuscrites de Dreyfus, dossier de 1894.)
  66. Cass., I, 426, Junck.
  67. Dépositions des 7, 8, 9, 10 et 12 novembre (Cass., II, 39 à 57). Le deuxième interrogatoire de Dreyfus est du 14. Les dernières dépositions recueillies, Maistre, Tocanne, Pelletier, Bernollin, Dervieu et Roy, sont des 16, 17, 20, 21 et 28 novembre.
  68. Mercier, même à Rennes en convient. Ayant rappelé le propos de Du Paty que, si Dreyfus était sorti victorieux de l’épreuve de la dictée, arrestation n’aurait pas eu lieu, Labori demande : « Est-ce que ce propos correspondait au sentiment personnel de M. le général Mercier ? — J’avais encore, répond Mercier, une certaine indécision. » (Rennes, II, 199).
  69. Cass., I, 300 ; Rennes, II, 514, Cordier. — Henry l’a raconté lui-même au procès Zola : « Au mois de novembre, un jour le colonel Sandherr est entré dans mon bureau et m’a dit : Il faut absolument que vous recherchiez, dans vos dossiers secrets, tout ce qui a trait aux affaires d’espionnage… » (Procès Zola, I, 375.)
  70. Procès Zola, I, 376, Henry : « J’ai recherché ce que j’avais et j’ai retrouvé, je crois, huit ou neuf pièces — je ne me souviens plus du nombre — dont une très importante, ayant un caractère extra-confidentiel, si vous voulez même : extra-secret. » C’est après avoir lancé son fameux : (« Allons-y ! » qu’Henry a raconté au procès Zola (audience du 12 février 1898) qu’il avait constitué lui-même le dossier secret. Mais, précédemment, ce souvenir l’avait gêné. Voir t. II, 658.
  71. Cass., I, 298 ; Rennes, II, 511 et 514, Cordier.
  72. Rennes, II, 514, Cordier.
  73. Rennes, II, 514, Cordier.
  74. Le général de Boisdeffre quitta Paris le 13 novembre ; les funérailles du tsar Alexandre eurent lieu le 19. Boisdeffre assista également à la cérémonie du mariage du nouvel Empereur, le 26 novembre.
  75. Intransigeant du 28 novembre.
  76. France du 4 novembre.
  77. Articles 302 et 305 du Code d’instruction criminelle, 101 du Code de justice militaire.
  78. Arrêt de la Cour de cassation du 14 mai 1835 : « Attendu que la communication des pièces, sur lesquelles peut s’appuyer la prévention, est nécessaire au prévenu pour que sa, défense soit libre et complète, et, par conséquent, est de droit naturel… etc. »
  79. 17 novembre.
  80. Cass., I, 442, 43 ; II, 36 ; Rennes, III, 511, Du Paty.
  81. Cass., I, 127 ; Rennes, I, 378 ; Picquart.
  82. Ibid.
  83. Cass., I, 141, Picquart.
  84. Rennes, I, 379, Picquart.
  85. Journal du 17 et Matin du 18 novembre.
  86. Rennes, II, 198. « Me Labori : Pourquoi le général Mercier n’en a-t-il pas fait part aux ministres ? — Mercier : Je ne crois pas avoir à répondre à cette question ; c’est une question politique qui n’est pas du ressort de la défense. »
  87. Cass., I, 292, Poincaré : « Il ne nous a pas été parlé, alors, d’une communication de pièces secrètes, faites en chambre du conseil de guerre ; si l’autorisation d’une communication de ce genre avait été demandée au Gouvernement, personnellement, pour ma part, je ne l’aurais pas donnée. »
  88. Cass., I, 330, Casimir-Perier. — Voir Appendice VIII. — La première fois où Mercier est interrogé sur la pièce Canaille de D…, il déclare ne pas la connaître (Procès Zola, I, 167) : « Le Président : Connaissez-vous cette pièce, général. — Mercier : Non, je ne la connais pas. »
  89. Hanotaux raconta l’incident à Trarieux, son collègue dans le cabinet Ribot qui succéda au cabinet Dupuy. (Rennes, III, 411. Trarieux). Peu de temps après, Trarieux le dit à Demange. (Matin du 27 février 1898.)
  90. Rennes, II, 215, Mercier.
  91. Rennes, II, 215, Jouaust.
  92. Rennes, I, 97, Mercier.
  93. Ibid., 98.
  94. Ibid., 97.
  95. Ibid., 97, 153.
  96. Voir chapitre XII, p. 545.
  97. Rennes, I, 170, Billot.
  98. Cass., I, 16, Cavaignac. (Exactement : le 15 février 1895.)
  99. Cass., I, 260, Boisdeffre.
  100. Jaurès, les Preuves, p. 19 : « En ce sens, on peut dire que le premier Conseil de guerre a jugé par ordre. »
  101. À Paris, de l’imprimerie Denys Pierre, 1786.
  102. Mémoire, p. 97.
  103. Mémoire, p. 124 et 125.
  104. Gambetta, Discours, VIII, 243 : « C’est toujours quand la patrie baisse que le Jésuite monte. »